Nations Unies

E/C.12/ESP/CO/6

Conseil économique et social

Distr. générale

25 avril 2018

Français

Original : espagnol

Comité des droits économiques, sociaux et culturels

Observations finales concernant le sixième rapport périodique de l’Espagne *

1.Le Comité a examiné le sixième rapport périodique de l’Espagne (E/C.12/ESP/6) à ses 16e et 17e séances (voir E/C.12/SR.16 et 17), les 21 et 22 mars 2018. À sa 28e séance, le 29 mars 2018, il a adopté les présentes observations finales.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le sixième rapport périodique de l’Espagne, soumis selon la procédure simplifiée de présentation des rapports en réponse à la liste de points établie avant la soumission du rapport conformément à cette procédure (E/C.12/ESP/Q/6). Le Comité sait gré à l’État partie d’avoir accepté la procédure simplifiée, qui permet d’améliorer la collaboration et de mieux cibler le dialogue entre l’État partie et le Comité. En outre, il se félicite du dialogue ouvert et constructif qu’il a eu avec la délégation multisectorielle de l’État partie, des réponses apportées oralement par la délégation et des informations complémentaires fournies pendant le dialogue.

B.Aspects positifs

3.Le Comité est conscient du profond impact que la crise financière internationale a eu sur l’économie et la jouissance effective des droits économiques, sociaux et culturels dans l’État partie. Dans ce contexte, il note avec satisfaction que l’État partie a surmonté la récession économique et qu’il a pris des mesures et des politiques qui témoignent de son engagement en faveur des droits économiques, sociaux et culturels, notamment en ratifiant le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, ainsi qu’en adoptant le Plan d’action national pour l’inclusion sociale (2013-2016), la stratégie nationale pour l’inclusion des Roms (2012-2020), la stratégie nationale globale en faveur des sans-abri (2015-2020) et le Plan d’action national sur les entreprises et les droits de l’homme.

4.Le Comité se félicite du rôle actif joué par les organisations de la société civile dans le processus d’examen du sixième rapport périodique de l’État partie.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels

5.Le Comité prend note de certains progrès majeurs dans l’interprétation, par les juridictions ordinaires, de la mise en œuvre des droits énoncés dans le Pacte, mais est préoccupé par le fait que ceux-ci sont toujours considérés comme de simples principes directeurs destinés à orienter la politique sociale et économique, et que, par conséquent, ils ne peuvent être invoqués que lorsqu’ils ont été inscrits dans la loi ou encore dans le cadre de la mise en œuvre d’autres droits bénéficiant d’un niveau de protection supérieur, comme le droit à la vie. En outre, le Comité regrette que l’État partie ne se soit toujours pas doté d’un mécanisme chargé de la mise en œuvre des conclusions et décisions du Comité.

6. À la lumière de sa recommandation précédente (voir E/C.12/ESP/CO/5, par. 6), le Comité recommande à l ’ État partie :

a) De prendre des mesures législatives appropriées pour faire en sorte que les droits économiques, sociaux et culturels jouissent d ’ un niveau de protection semblable à celui accordé aux droits civils et politiques et pour promouvoir l ’ applicabilité de tous les droits consacrés par le Pacte à tous les niveaux du système judiciaire, notamment par le recours en amparo  ;

b) D ’ organiser à l ’ intention des juges, des avocats, des agents des forces de l ’ ordre, des membres de l ’ Assemblée législative et des autres personnes chargées de l ’ application du Pacte des formations portant sur la teneur de ces droits et des observations générales du Comité et sur la possibilité de les invoquer devant les tribunaux ;

c) De mener des campagnes de sensibilisation des titulaires de droits à la justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels ;

d) De mettre en place un mécanisme national efficace de mise en œuvre et de suivi des conclusions et décisions du Comité.

7. Le Comité appelle l ’ attention de l ’ État partie sur son observation générale n o 9 (1998) sur l ’ application du Pacte au niveau national.

Entreprises et droits économiques, sociaux et culturels

8.Le Comité se félicite de l’adoption du Plan d’action national sur les entreprises et les droits de l’homme. Il est néanmoins préoccupé par l’existence de certaines lacunes réglementaires qui font que les entreprises ne sont pas liées par l’obligation de diligence raisonnable en matière de droits de l’homme. Il note toutefois avec préoccupation que la législation de l’État partie n’encadre pas comme le devrait la responsabilité juridique des entreprises qui mènent des activités dans l’État partie ni de celles qui relèvent de sa juridiction mais qui ont des activités à l’étranger et se rendent coupables de violations des droits économiques, sociaux et culturels (art. 2, par. 1).

9. Le Comité recommande à l ’ État partie, dans le cadre de la révision du Plan national sur les entreprises et les droits de l ’ homme :

a) De créer des mécanismes efficaces propres à garantir l ’ application par les entreprises de la diligence voulue en matière de droits de l ’ homme afin d ’ identifier, de prévenir et d ’ atténuer les risques de violation des droits énoncés dans le Pacte ;

b) De renforcer le cadre normatif applicable afin de garantir la responsabilité juridique des entreprises lorsque celles-ci violent directement les droits économiques, sociaux et culturels ou lorsque ce sont leurs filiales qui le font dans le cadre de leurs activités à l ’ étranger ;

c) De renforcer les mécanismes d ’ enquête existants lorsque les entreprises font l ’ objet de plaintes et de prendre des mesures concrètes pour que les victimes aient accès à des recours utiles, et puissent jouir du droit à la réparation et à l ’ indemnisation.

10. À cet égard, le Comité renvoie l ’ État partie à son observation générale n o  24 (2017) sur les obligations des États en vertu du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels dans le contexte des activités des entreprises.

Autonomie et disparités régionales

11.Bien que la décentralisation et l’autonomie puissent faciliter la mise en œuvre du Pacte, le Comité demeure préoccupé par la persistance de certaines inégalités injustifiées entre les communautés autonomes, qui entravent l’exercice de certains droits reconnus dans le Pacte par les membres de certaines communautés. Il note également avec préoccupation que certaines décisions de la Cour constitutionnelle empêchent les communautés autonomes de mettre en place, avec leurs propres ressources, une protection des droits consacrés par le Pacte d’un niveau supérieur à celui prévu au niveau national ; s’il prend note avec satisfaction des mesures appliquées uniformément au niveau national lorsqu’elles favorisent la réalisation progressive des droits économiques, sociaux et culturels, il les jugent préoccupantes lorsqu’elles entravent cette réalisation (art. 2, par. 1, et 28)

12. Le Comité réitère sa recommandation précédente (E/C.12/ESP/CO/5, par. 9) et prie l ’ État partie d ’ intensifier ses efforts en vue de combler les écarts injustifiés existant entre les communautés autonomes pour ce qui est de l ’ exercice des droits économiques, sociaux et culturels, en favorisant la jouissance de ces droits dans les régions défavorisées, sans empêcher pour autant certaines communautés autonomes de chercher à mettre en place, avec leurs propres ressources, une plus grande protection de certains droits sur le territoire relevant de leur juridiction. À cet égard, il recommande à l ’ État partie de veiller à instaurer une bonne coordination entre les mécanismes et les institutions du Gouvernement central et les communautés autonomes chargées de fournir des services publics de protection sociale.

Programmes d’austérité

13.Le Comité note que l’État partie a amorcé une phase de reprise de la croissance économique, mais constate avec préoccupation que le maintien de certaines mesures d’austérité continue de toucher démesurément les personnes et les groupes les plus défavorisés et marginalisés s’agissant de la jouissance effective des droits économiques, sociaux et culturels, ce qui a contribué à l’accroissement des inégalités. Il note en outre avec préoccupation que, cinq ans après avoir mis en œuvre ces mesures, l’État partie n’a pas procédé à une évaluation approfondie, fondée sur la consultation des intéressés, des effets de ces mesures, de leur proportionnalité et de leur temporalité, et n’a pas envisagé d’y mettre fin (art. 2, par. 1).

14. À la lumière de sa recommandation précédente (E/C.12/ESP/CO/5, par. 8), le Comité demande instamment à l ’ État partie de veiller à ce que les mesures d ’ austérité soient temporaires, nécessaires, proportionnées et non discriminatoires, et respectent la teneur essentielle des droits, de sorte qu ’ elles n ’ aient pas d ’ incidence disproportionnée sur les droits des personnes et groupes les plus défavorisés et marginalisés. À cet égard, il recommande à l ’ État partie de procéder à une évaluation approfondie des effets de ces mesures sur la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels, en particulier des personnes et groupes défavorisés et marginalisés, notamment les femmes, les enfants, les personnes handicapées, les Gitans et les Roms, ainsi que les réfugiés, les demandeurs d ’ asile et les migrants et, en consultation avec eux et avec la participation des populations touchées, d ’ envisager de mettre fin à ces mesures. Le Comité appelle en outre l ’ attention de l ’ État partie sur les recommandations figurant dans sa lettre ouverte sur les droits économiques, sociaux et culturels dans le contexte de la crise économique et financière, adressée aux États parties en date du 16 mai 2012, notamment sur celles qui ont trait aux critères relatifs aux mesures d ’ austérité et à sa déclaration de 2016 sur la dette publique, les mesures d ’ austérité et le Pacte i nternational relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

Maximum des ressources disponibles

15.Le Comité note avec préoccupation que la politique budgétaire n’est pas suffisamment efficace pour faire face aux effets néfastes des inégalités sociales croissantes dans l’État partie, en raison du poids excessif des impôts indirects dans les recettes de l’État et du fait que certains transferts sociaux ne parviennent pas aux personnes qui devraient en bénéficier. Il note également avec préoccupation que les exonérations fiscales et l’absence de lutte contre la fraude fiscale empêchent l’État partie de s’acquitter de son obligation de mobiliser le maximum de ressources disponibles en vue de la pleine réalisation des droits économiques, sociaux et culturels des personnes et des groupes défavorisés et marginalisés (art. 2, par. 1)

16. Le Comité recommande à l ’ État partie :

a) D ’ entreprendre, avec la participation des acteurs sociaux, une évaluation approfondie des effets de sa politique budgétaire sur les droits de l ’ homme, qui comprenne notamment une analyse des conséquences de ses redistributions et de la charge fiscale des différents secteurs, ainsi que des groupes marginalisés et défavorisés ;

b) De veiller à ce que son système fiscal soit équitable du point de vue social et à ce que les redistributions bénéficient à davantage de personnes ;

c) De faire en sorte d ’ optimiser le recouvrement de l ’ impôt afin que l ’ État dispose de davantage de ressources pour assurer la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels ;

d) D ’ évaluer régulièrement le bien-fondé des exonérations fiscales ;

e) De prendre des mesures strictes pour lutter contre l ’ évasion fiscale, en particulier lorsqu ’ elle est pratiquée par des sociétés et des particuliers fortunés.

Principe de non-discrimination

17.Tout en prenant note de la loi no 62/2003 qui, dans le cadre d’un ensemble cohérent de mesures fiscales, incorpore des directives de l’Union européenne sur l’égalité de traitement, le Comité constate avec préoccupation que cette règle méconnue et incomplète n’offre pas de protection contre les formes multiples de discrimination, ni ne prévoit de sanctions appropriées et de garanties procédurales, ce qui permet de conclure que l’État ne dispose pas d’une loi générale contre la discrimination. Il relève également avec préoccupation que les mesures prises n’ont pas permis de combattre efficacement la persistance de la discrimination de fait à laquelle continuent de se heurter certains groupes, y compris les Gitans, les personnes d’ascendance africaine, les personnes handicapées, les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile (art. 2).

18. Le Comité appelle l ’ attention de l ’ État partie sur sa précédente recommandation (E/C.12/ESP/CO/5, par. 11) et le prie d ’ adopter une loi générale sur la non-discrimination qui garantisse une protection adéquate, et vise expressément tous les motifs de discrimination interdits énumérés au paragraphe 2 de l ’ article 2 du Pacte, qui définisse la discrimination multiple, ainsi que la discrimination directe et indirecte, conformément aux obligations que le Pacte lui impose, qui interdisse la discrimination dans la sphère publique comme dans la sphère privée, qui introduise des dispositions permettant d ’ obtenir réparation en cas de discrimination, y compris par la voie judiciaire et par la voie administrative. En outre, il lui recommande de redoubler d’efforts pour prévenir et combattre la discrimination dont continuent de faire l’objet en particulier les Gitans et les Roms, les personnes handicapées, les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile, notamment en menant des campagnes de sensibilisation, afin de leur garantir le plein exercice des droits reconnus par le Pacte. Le Comité appelle l ’ attention de l ’ État partie sur son observat ion générale n o 20 (2009) sur la non-discrimination dans l ’ exercice des droits économiques, sociaux et culturels.

Égalité entre hommes et femmes

19.Le Comité note avec préoccupation que, malgré les mesures prises par l’État partie pour promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes, les stéréotypes sexistes restent profondément ancrés dans la société, comme le montrent les actes de discrimination à l’égard des femmes, qui empêchent celles-ci d’exercer leurs droits économiques, sociaux et culturels (art. 3).

20. Le Comité recommande à l ’ État partie de redoubler d ’ efforts pour parvenir à une égalité concrète entre les hommes et les femmes et pour lutter contre la perception traditionnelle et stéréotypée des rôles incombant à chaque sexe, à la fois dans la famille et dans la société. Il prie l ’ État partie d ’ accélérer l ’ adoption du plan stratégique pour l ’ égalité des sexes 2018-2021, évoqué pendant le dialogue, et de veiller à son application effective et transversale en le dotant de mécanismes de contrôle efficaces et de ressources humaines, techniques et matérielles suffisantes, de sorte que les femmes aient pleinement accès aux droits économiques, sociaux et culturels et exercent ces droits.

Chômage

21.Le Comité reconnaît que des mesures ont été prises pour faciliter la création d’emplois, dont l’adoption de la Stratégie espagnole pour l’activation du marché du travail 2017-2020, et se félicite de la baisse du chômage. Il est toutefois préoccupé par le nombre encore important de chômeurs, en particulier parmi les jeunes, les femmes, la population gitane et les migrants. Il est également préoccupé par le taux élevé de chômage de longue durée.

22. Le Comité recommande à l ’ État partie de procéder à une évaluation complète de sa politique de l ’ emploi, avec la participation des acteurs sociaux et compte tenu de la reprise de l ’ activité économique, et d ’ apporter les ajustements nécessaires pour lutter efficacement contre les causes profondes du chômage. Il lui recommande en outre de redoubler d ’ efforts pour assurer l ’ application effective de la Stratégie espagnole pour l ’ activation du marché du travail 2017-2020, notamment en lui allouant des ressources humaines, techniques et matérielles suffisantes, en accordant l ’ attention voulue aux groupes les plus touchés par le chômage, en veillant à la bonne participation des différents acteurs sociaux ainsi que des services de l ’ emploi des communautés autonomes, et en effectuant les évaluations périodiques prévues dans les plans d ’ action. Le Comité prie l ’ État partie de continuer de promouvoir des programmes de formation technique et professionnelle de qualité et adaptés aux besoins du marché du travail.

Écarts de rémunération entre les hommes et les femmes

23.Le Comité est préoccupé par la persistance d’écarts de rémunération entre les hommes et les femmes, la difficulté pour les femmes de bénéficier de perspectives professionnelles identiques à celles des hommes, et l’inapplication dans les faits du principe d’une rémunération égale pour un travail de valeur égale (art. 7).

24. Le Comité recommande à l ’ État partie de redoubler d ’ efforts pour supprimer les écarts salariaux qui subsistent entre les hommes et les femmes, en luttant contre la ségrégation verticale et horizontale dans le monde du travail. Comme pendant le dialogue, il invite l ’ État partie à continuer de veiller à l ’ application effective du principe d ’ une rémunération égale pour un travail de valeur égale, y compris par la réalisation d ’ études comparatives sur le sujet en fonction des organisations et des professions, de manière à imposer une plus grande transparence salariale dans les entreprises.

Conditions de travail

25.Le Comité est préoccupé par certaines formes de travail précaire, comme les contrats à durée déterminée, qui, bien qu’en recul, restent très courantes, ce qui est surtout préjudiciable aux femmes. Il est également préoccupé par les conséquences négatives que ces formes de travail et le gel des salaires ont sur l’exercice du droit à des conditions de travail justes et favorables et sur l’accès aux prestations sociales, notamment pour les femmes (art. 7).

26. Le Comité recommande à l ’ État partie :

a) De prendre toutes les mesures appropriées pour empêcher le recours abusif à des formes de travail précaire, en particulier le recours à des contrats à durée déterminée, notamment en proposant des emplois décents, sûrs et assortis d ’ une protection adéquate des droits des travailleurs ;

b) De veiller à garantir pleinement, à la fois en droit et en pratique, le droit à des conditions de travail justes et favorables ainsi qu ’ à la sécurité sociale pour les personnes qui travaillent à temps partiel, qui sont au bénéfice de contrats à durée déterminée ou qui exercent d ’ autr es formes de travail précaire ;

c) De renforcer le système d ’ inspection du travail de sorte que, dans toutes les régions de l ’ État partie, des ressources humaines et matérielles suffisantes soient allouées pour la surveillance effective des conditions de travail.

27. Le Comité renvoie l ’ État partie à son observation générale n o 23 (2016) sur le droit à des conditions de travail justes et favorables.

Droits syndicaux

28.Le Comité constate avec préoccupation que les modifications apportées dans le cadre de la réforme du marché du travail de 2012 peuvent compromettre l’exercice du droit de négociation collective. Il est également préoccupé par les informations portées à sa connaissance concernant l’application excessive du paragraphe 3 de l’article 315 du Code pénal, qui s’est traduite par des poursuites pénales contre des travailleurs grévistes (art. 8).

29. Le Comité recommande à l ’ État partie de garantir l ’ effectivité de la négociation collective et du droit de représentation syndicale, à la fois en droit et en pratique, conformément à l ’ article 8 du Pacte et aux dispositions de la c onvention de 1948 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical ( n o 87) et de la c onvention de 1949 sur le droit d ’ organisation et de négociation collective ( n o 98) de l ’ Organisation internationale du Travail (OIT). De plus, il prie l ’ État partie d ’ envisager de réexaminer, voire d ’ abroger, le paragraphe 3 de l ’ article 315 du Code pénal afin de protéger les travailleurs grévistes contre des poursuites pénales.

Sécurité sociale

30.Le Comité est préoccupé par le déficit chronique du système des retraites, le faible taux de couverture des prestations non contributives et les montants insuffisants des prestations contributives et non contributives, qui ne permettent pas de garantir un niveau de vie décent aux bénéficiaires et aux personnes à leur charge (art. 9).

31. À la lumière de sa recommandation précédente (E/C.12/ESP/CO/5, par. 20), le Comité prie l ’ État partie :

a) De prendre les mesures nécessaires, en concertation avec tous les acteurs sociaux, notamment les syndicats, pour sortir le système des retraites du déficit et assurer sa viabilité ;

b) De redoubler d ’ efforts pour que le système de sécurité sociale bénéficie à tous, y compris aux personnes et aux groupes les plus défavorisés ou marginalisés ;

c) De faire en sorte que les montants des prestations sociales soient à nouveau en adéquation avec le coût de la vie et permettent à leurs bénéficiaires et aux personnes dont ceux-ci ont la charge d ’ accéder à un niveau de vie décent et, à cet effet, d ’ instaurer un système d ’ indexation efficace et transparent .

32. Le Comité appelle l ’ attention de l ’ État partie sur son observation générale n o 19 (2008) sur le droit à la sécurité sociale.

Pauvreté

33.Le Comité constate avec préoccupation que, pour un pays avec son niveau de développement, l’État partie compte parmi sa population une proportion élevée de personnes qui risquent de connaître la pauvreté et l’exclusion sociale, notamment dans certains groupes tels que les jeunes, les femmes, les personnes avec un faible niveau d’éducation et les migrants. Il constate aussi avec préoccupation que la part de la population concernée est plus importante dans certaines communautés autonomes et que les enfants courent un risque plus élevé de tomber dans la pauvreté (art. 11).

34. Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ élaborer et d ’ adopter dans les meilleurs délais la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté et l ’ exclusion sociale 2018-2020, en faisant en sorte que celle-ci soit centrée sur les personnes et les groupes les plus touchés, notamment les enfants, et soit mise en œuvre selon une approche fondée sur les droits de l ’ homme. Il lui recommande également de consacrer des ressources suffisantes à l ’ application de cette stratégie, compte tenu des disparités entre les communautés autonomes. Le Comité appelle l ’ attention de l ’ État partie sur la Déclaration sur la pauvreté et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qu ’ il a adoptée en 2001.

Droit à un logement suffisant

35.Le Comité note avec préoccupation que les mesures de rigueur adoptées par l’État partie ont été préjudiciables à l’exercice du droit à un logement suffisant, en particulier parmi les personnes et les groupes les plus défavorisés et marginalisés. Le Comité est notamment préoccupé par le nombre insuffisant de logements sociaux, la difficulté toujours plus grande d’accéder à un logement, en particulier sur le marché privé en raison des prix excessifs qui sont pratiqués, et le manque de sécurité de jouissance. Il est aussi préoccupé par le grand nombre de ménages qui n’ont pas un logement décent ou qui sont sans logement (art. 11).

36. À la lumière de sa recommandation précédente (E/C.12/ESP/CO/5, par. 21), le Comité recommande à l ’ État partie :

a) De prendre toutes les mesures nécessaires, y compris l ’ allocation de ressources suffisantes, pour faire face au manque de logements sociaux, en particulier pour les personnes et les groupes les plus défavorisés et marginalisés, tels que les ménages à faible revenu, les jeunes, les femmes et les personnes handicapées ;

b) De prendre les mesures nécessaires pour réglementer le marché privé du logement afin que des logements décents soient plus facilement disponibles, accessibles et abordables pour les personnes à faible revenu ;

c) De revoir sa législation sur les loyers et d ’ apporter les modifications nécessaires de manière à protéger comme il convient la sécurité de jouissance et à instaurer des mécanismes judiciaires effectifs qui garantissent la protection du droit à un logement suffisant ;

d) De prendre des mesures pour remédier au problème des logements de mauvaise qualité ;

e) D ’ agir sans délai, y compris en allouant les fonds nécessaires aux autorités des communautés autonomes, afin que les centres d ’ accueil, les hébergements d ’ urgence et les foyers soient en nombre suffisant.

Expulsions

37.Le Comité prend note des mesures actuellement adoptées par l’État partie pour empêcher les expulsions par exécution hypothécaire ou pour non-paiement de loyer, mais il reste préoccupé par l’absence d’un cadre législatif approprié, qui détermine les garanties légales et procédurales dues aux personnes lésées (art. 11).

38. Le Comité réitère sa recommandation précédente (E/C.12/ESP/CO/5, par. 22) , et prie l ’ État partie d ’ adopter un cadre législatif qui fixe les prescriptions et les procédures à suivre en matière d ’ expulsion et qui, entre autres, tient compte des principes du caractère raisonnable et de la proportionnalité et garantit le respect des lois et des procédures, en faisant en sorte que les personnes expulsées aient accès à une compensation ou à un autre logement décent, qu ’ elles soient informées dans un délai suffisant et raisonnable de la décision d ’ expulsion et qu ’ elles aient accès à un recours judiciaire effectif. Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ adopter un protocole d ’ action en cas d ’ expulsion qui assure une bonne coordination entre les tribunaux et les services sociaux locaux, ainsi qu ’ entre les services sociaux eux ‑mêmes, de manière à apporter une protection appropriée aux personnes susceptibles de se retrouver sans logement à la suite d ’ une expulsion. Le Comité appelle l ’ attention de l ’ État partie sur son observation générale n o 7 (1997) sur les expulsions forcées.

Migrants et demandeurs d’asile

39.Le Comité est préoccupé par les difficultés rencontrées par les migrants, les demandeurs d’asile et les réfugiés dans l’exercice de leurs droits économiques, sociaux et culturels, en particulier de leur droit à un niveau de vie suffisant. Il est particulièrement préoccupé par les mauvaises conditions d’hébergement des migrants et des demandeurs d’asile dans les centres de séjour temporaire pour immigrés, à Ceuta et à Melilla (art. 2 et 11).

40. Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre des mesures concrètes pour favoriser l ’ insertion sociale des migrants, des demandeurs d ’ asile et des réfugiés, afin que ceux-ci jouissent effectivement de leurs droits économiques, sociaux et culturels et, en particulier, aient accès à l ’ emploi, à l ’ éducation, au logement et à la santé. De plus, le Comité prie l ’ État partie de redoubler d ’ efforts pour assurer des conditions de vie décentes aux migrants et aux demandeurs d ’ asile qui se trouvent dans les centres de séjour temporaire pour immigrés à Ceuta et à Melilla.

Droit à la santé

41.Le Comité constate avec préoccupation que le décret-loi royal no 16/2012 du 20 avril 2012 sur les mesures urgentes pour garantir la viabilité du système national de santé a fait reculer l’exercice du droit à la santé, notamment en limitant l’accès aux services de santé pour les migrants en situation irrégulière, en entraînant une baisse de la qualité des prestations de santé et en creusant les inégalités entre les communautés autonomes. Le Comité constate aussi avec préoccupation que ces effets n’ont pas été pleinement évalués et que les dispositions adoptées ne sont pas considérées comme provisoires (art. 12).

42. À la lumière de sa recommandation précédente (E/C.12/ESP/CO/5, par. 19), le Comité prie l ’ État partie de procéder à une évaluation complète des effets de l ’application du décret-loi royal n o 16/2012 sur le droit de jouir du meilleur état de santé possible et d ’ apporter les aménagements nécessaires pour que les services et les prestations de santé soient disponibles, accessibles, abordables, acceptables et de qualité, y compris en abrogeant les dispositions qui font régresser la protection du droit à la santé. Il le prie en outre d ’ agir pour que les migrants en situation irrégulière aient accès à tous les services de santé nécessaires, sans aucune discrimination, conformément aux articles 2 et 12 du Pacte. Le Comité renvoie l ’ État partie à son observation générale n o 14 (2000) sur le droit au meilleur état de santé susceptible d ’ être atteint.

Droit à la santé sexuelle et procréative

43.Le Comité demeure préoccupé par la difficulté d’accès des femmes aux informations et aux services de santé sexuelle et procréative, notamment à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception d’urgence, qui s’explique notamment par les effets négatifs du décret-loi royal no 16/2012 et par l’absence d’un mécanisme propre à garantir l’accès à l’avortement lorsque les médecins et le personnel médical exercent leur droit à l’objection de conscience. Le Comité est également préoccupé par le fait que la loi organique no 11/2015 subordonne l’accès à l’avortement pour les adolescentes de 16 à 18 ans et les femmes handicapées à l’obtention du consentement exprès de leurs représentants légaux (art. 12).

44. À la lumière de sa recommandation précédente (E/C.12/ESP/CO/5, par. 24), le Comité recommande à l ’ État partie :

a) De garantir, dans la pratique, l ’ accessibilité et la disponibilité des services de santé sexuelle et procréative pour toutes les femmes et les adolescentes, en tenant dûment compte des disparités entre les différentes communautés autonomes ;

b) D ’ établir un mécanisme propre à garantir que, dans la pratique, l ’ exercice de l ’ objection de conscience n ’ empêche pas l ’ accès des femmes aux services de santé sexuelle et procréative, en particulier à l ’ interruption volontaire de grossesse  ;

c) De mettre fin aux disparités dans la distribution des moyens de contraception d ’ urgence et de rendre ceux-ci accessibles, disponibles et abordables pour toutes les femmes et adolescentes de l ’ État partie ;

d) D ’ envisager de ne plus subordonner l ’ accès à l ’ interruption volontaire de grossesse pour les adolescentes de 16 à 18 ans et les femmes déclarées juridiquement incapables à l ’ obtention du consentement de leur représentant légal ;

e) De faire en sorte que les programmes d ’ enseignement primaire et secondaire prévoient une formation à la santé sexuelle et procréative qui soit complète et adaptée à chaque âge et à chaque sexe.

45. Le Comité renvoie l ’ État partie à son observation générale n o 22 (2016) sur le droit à la santé sexuelle et procréative.

Droit à l’éducation

46.Le Comité prend note des efforts déployés par l’État partie pour améliorer la qualité de l’éducation, mais reste préoccupé par :

a)Le niveau élevé du taux de redoublement dans l’enseignement secondaire et du taux de décrochage scolaire précoce. Même s’il a diminué, le taux de décrochage scolaire précoce de l’Espagne reste le deuxième le plus élevé de l’Union européenne et se rapporte surtout aux élèves appartenant aux groupes les plus défavorisés, en particulier les enfants et adolescents gitans, roms et migrants, et issus de familles à faible revenu ;

b)Les conséquences des mesures de rigueur sur l’accès effectif à l’éducation et la qualité de l’éducation dans certaines communautés autonomes, notamment celles qui présentent les taux de risque de pauvreté ou d’exclusion sociale les plus élevés ;

c)La ségrégation scolaire persistante qui, dans certains cas, est le résultat d’une ségrégation résidentielle et concerne surtout les groupes défavorisés et minoritaires, tels que les gitans et les migrants (art. 13).

47. Conformément à ses recommandations précédentes (E/C.12/ESP/CO/5, par. 26 et 27), le Comité demande instamment à l ’ État partie :

a) De continuer de réduire le taux de décrochage scolaire précoce et le taux de redoublement dans l ’ enseignement secondaire, en adoptant une stratégie qui t ienne compte des facteurs socio économiques susceptibles d ’ influer sur la décision d ’ abandonner l ’ école prématurément, et d ’ accorder l ’ attention voulue aux groupes les plus concernés, en particulier aux enfants et adolescents gitans, roms et migrants, et issus de familles à faible revenu ;

b) De veiller à consacrer des investissements et des crédits budgétaires réguliers et suffisants à l ’ éducation, en particulier dans les communautés autonomes qui présentent des taux de risque de pauvreté ou d ’ exclusion sociale élevés, de manière à garantir l ’ accès à une éducation de qualité ;

c) De faire plus pour lutter contre la ségrégation scolaire, y compris celle résultant d ’ une ségrégation résidentielle, qui concerne surtout les enfants et adolescents gitans, roms et migrants.

48. Le Comité renvoie l ’ État pa rtie à son observation générale n o 13 (1999) sur le droit à l ’ éducation .

Droits culturels

49.Le Comité est préoccupé par les effets négatifs que les coupes budgétaires réalisées dans le contexte de la crise économique ont eus sur l’exercice des droits culturels, en particulier sur la promotion et la diffusion de la science et de la culture. Il est également préoccupé par le fait que, malgré les efforts déployés, l’identité culturelle et le patrimoine historique de la population gitane continuent de faire l’objet d’une promotion et d’une diffusion limitées. De plus, le Comité regrette de ne pas avoir reçu d’informations précises sur les mesures qui ont été adoptées en vue de garantir l’accès aux bienfaits du progrès scientifique, dont Internet (art. 15).

50. Le Comité recommande à l ’ État partie de poursuivre ses efforts, y compris au moyen de dépenses budgétaires plus importantes, pour promouvoir le développement et la diffusion de la science et de la culture. Il l ’ invite notamment à favoriser la promotion, la conservation, l ’ expression et la diffusion de l ’ identité culturelle et du patrimoine historique de la population gitane. De plus, le Comité recommande à l ’ État partie de prendre les mesures qui s ’ imposent pour continuer de rendre les activités culturelles plus accessibles et plus abordables, et pour permettre de bénéficier du progrès scientifique et de ses applications, y compris Internet.

D.Autres recommandations

51. Le Comité invite l ’ État partie à ratifier la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.

52. Le Comité recommande à l ’ État partie de tenir pleinement compte des obligations que lui impose le Pacte et de garantir le plein exercice des droits qui y sont énoncés dans la mise en œuvre au niveau national du Programme de développement durable à l ’ horizon 2030, avec l ’ aide et la coopération de la communauté internationale en cas de besoin. La réalisation des objectifs de développement durable serait grandement facilitée si l ’ État partie établissait des mécanismes indépendants pour suivre les progrès réalisés et s ’ il considérait que les bénéficiaires des programmes publics étaient détenteurs de droits qu ’ ils peuvent faire valoir. La mise en œuvre des objectifs dans le respect des principes de participation, de responsabilité et de non-discrimination permettrait de garantir que nul n ’ est laissé à l ’ écart.

53. Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre des mesures pour mettre au point et appliquer progressivement des indicateurs appropriés à la mise en œuvre des droits économiques, sociaux et culturels, et faciliter ainsi l ’ évaluation des progrès réalisés pour se conformer aux obligations que lui impose le Pacte pour diverses catégories de la population. À cet égard, il renvoie au cadre conceptuel et méthodologique concernant les indicateurs des droits de l ’ homme mis au point par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l ’ homme (voir HRI/MC/2008/3).

54. Le Comité prie l ’ État partie de diffuser largement les présentes observations finales à tous les niveaux de la société, en particulier auprès des fonctionnaires, des autorités judiciaires, des législateurs, des avocats, du Défenseur du peuple et des organisations de la société civile, et de l ’ informer dans son prochain rapport périodique des mesures prises pour y donner suite. Il l ’ encourage à associer les organisations de la société civile au processus de consultation nationale sur le suivi des présentes observations finales avant la soumission de son prochain rapport périodique.

55. Conformément à sa procédure de suivi, le Comité demande à l ’ État partie de fournir des informations, dans les dix-huit mois suivant l ’ adoption des présentes observations finales, sur la suite donnée aux recommandations faites aux paragraphes  14 (Programmes d ’ austérité), 38 (Expulsions) et 42 (Droit à la santé).

56. Le Comité prie l ’ État partie de lui soumettre, le 31 mars 2023 au plus tard, son septième rapport périodique. L ’ État partie ayant accepté la procédure simplifiée de présentation des rapports, le Comité lui communiquera une liste de questions en temps voulu, avant la date de présentation du rapport. Les réponses de l ’ État partie à cette liste de questions constitueront son septième rapport périodique. Le Comité invite aussi l ’ État partie à mettre à jour son document de base commun conformément aux directives harmonisées pour l ’ établissement des rapports à présenter en vertu des instruments internationaux relatifs aux droits de l ’ homme (voir HRI/GEN/2/Rev.6, chap. I).