NATIONS UNIES

E

Conseil Économique

et Social

Distr.

GÉNÉRALE

E/C.12/2003/7

4 septembre 2003

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES,

SOCIAUX ET CULTURELS

Trente-et-unième session

Genève, 10-28 novembre 2003

Point 3 de l’ordre du jour provisoire

QUESTIONS DE FOND CONCERNANT LA MISE EN ŒUVRE DU PACTEINTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS ÉCONOMIQUES,SOCIAUX ET CULTURELS

Journée de débat général sur l’article 6 du Pacte: droit au travail (lundi 24 novembre 2003)

Projet

Observation générale sur le droit au travail (article 6) du Pacte international sur les droits économiques sociaux et culturels

Document soumis par M.Philippe Texier, membre du Comité des droits économiques, sociaux et culturels

Les opinions exprimées dans le présent document sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles des Nations Unies.

Légende :

Les notes de bas de page en italique sont des indications destinées à éclairer (notamment citations d’articles de conventions de l’OIT) qui ne doivent pas être conservées pour la forme finale.

Par ailleurs, j’ai parfois lors de référence à un texte international inscrit l’ensemble du texte pour une compréhension plus rapide, qui ne doit pas parfois figurer dans la forme finale.

Introduction et principes de base

Le droit fondamental que constitue le droit au travail est reconnu dans plusieurs instruments du droit international. Les fondements mêmes de l’Organisation Internationale du Travail reposent sur l’idée selon laquelle le travail n’est pas une marchandise et la pauvreté, où qu’elle existe, constitue un danger pour la prospérité de tous. Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels en traite de façon plus complète qu’aucun autre instrument en y consacrant les articles 6, 7 et 8 du Pacte.

Le droit au travail est un droit fondamental en soi et une des clés de l’exercice des autres droits inhérents à la personne humaine. Toute personne a le droit de pouvoir travailler, lui permettant de vivre dans la dignité. Le droit au travail concourt [à la fois] à la survie de l’individu et de sa famille mais aussi contribue, dans la mesure où le travail est librement choisi ou accepté, à son épanouissement et sa reconnaissance au sein de sa communauté.

Le droit au travail conditionne la jouissance d’un ensemble de droits consacrés par le Pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels.

Le Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels consacre le droit au travail dans son article 6 de manière générale et explicite la dimension individuelle du droit au travail en reconnaissant à l’article 7 le droit de chacun à des conditions de travail justes et favorables, et notamment, la sécurité des conditions de travail, et la dimension collective du droit au travail à l’article 8 en consacrant le droit de former et de s’affilier librement à des syndicats et d’exercer librement leur activité.

Lors de la rédaction de l’article 6 du Pacte, la Commission des droits de l’Homme a affirmé la nécessité de reconnaître le droit au travail dans un sens large [précédant les articles 7 et 8] tout en consacrant des obligations juridiques précises et non un simple principe à portée philosophique.

L’article 6 définit le droit au travail de manière générale et non exhaustive. Au paragraphe 1 de l’article 6, les Etats parties reconnaissent « le droit au travail, qui comprend le droit qu'a toute personne d'obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail librement choisi ou accepté, et prendront des mesures appropriées pour sauvegarder ce droit. » Au paragraphe 2, ils reconnaissent qu’« en vue d'assurer le plein exercice de ce droit», des mesures seront prises …incluant « l'orientation et la formation techniques et professionnelles, l'élaboration de programmes, de politiques et de techniques propres à assurer un développement économique, social et culturel constant et un plein emploi productif dans des conditions qui sauvegardent aux individus la jouissance des libertés politiques et économiques fondamentales ».

Ces objectifs reflètent les buts et principes fondamentaux de l’Organisation des Nations Unies, tels qu’ils sont définis à l’article 1 paragraphe 3 et 55 de la Charte des Nations Unies. Ces objectifs se retrouventaussi pour l’essentiel au paragraphe 1 de l’article 23 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme qui énonce que « toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage ».

Depuis l’adoption du Pacte par l’Assemblée Générale en 1966, plusieurs instruments internationaux et régionaux relatifs aux droits de l’Homme ont reconnu le droit au travail. Au niveau international, le droit au travail est notamment évoqué au paragraphe e), i) de l’article 5 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale ; au paragraphe 1, a) de l’article 11 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.

Plusieurs instruments régionaux reconnaissent le droit au travail dans sa dimension générale(), notamment la Charte sociale européenne de 1961 (article premier), telle que révisée, et le Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l’Homme traitant des droits économiques, sociaux et culturels de 1988 (article 6) qui reconnaissent le principe selon lequel le respect du droit au travail met à la charge des Etats parties l’obligation d’adopter des mesures ayant pour but la réalisation du plein emploi(). De même, le droit au travail a été proclamé par l’Assemblée générale des Nations Unies dans la Déclaration sur le Progrès social et le développement par sa résolution 2542 (XXIV) du 11 décembre 1969 ( article 6). La réalisation du droit au travail peut être assurée par diverses démarches complémentaires, notamment la formulation de politiques de formation, d’accès à l’emploi, de lutte contre le chômage, d’indemnisation du chômage, telles qu’elles sont recommandées et élaborées par l’Organisation Internationale du Travail (O.I.T) ou l’adoption d’instruments juridiques spécifiques. En outre, le droit au travail comprend certains éléments dont le respect est garanti par la loi et en particulier le principe de non discrimination dans l’accès au travail, l’embauche, la carrière, le licenciement, qui est un droit garanti par la loi dans de nombreuses juridictions nationales.

Selon le principe énoncé à l’alinéa 5 de la Déclaration et du programme d’action de Vienne « tous les droits de l’Homme sont universels, indissociables, interdépendants et intimement liés ». Le droit au travail est étroitement lié et interdépendant d’autres droits de l’homme et ainsi dépend de leur réalisation : il s’agit des droits sociaux mais aussi de droits civils et politiques. [Ces droits et libertés, notamment, sont des composantes intrinsèques du droit au travail].Le droit au travail est indissociable de la dignité intrinsèque de la personne humaine et est indispensable à la réalisation des autres droits fondamentaux consacrés dans la Charte internationale des droits de l’Homme. Dans son Observation générale n°15 paragraphe 3 sur le droit à l’eau, le Comité souligne que l’article 11, paragraphe 1, du Pacte reconnaît « le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants ». L’utilisation de l’expression « y compris » indique le caractère non exhaustif de la liste de droits. Le droit au travail rentre très clairement dans cette liste de droits.

180 millions de personnes dans le Monde sont au chômage, et 41 % d’entre elles sont des jeunes femmes et hommes.

Le droit au travail tel que consacré par le Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels affirme l’obligation à la charge des Etats parties d’assurer aux individus leur droit à un travail librement choisi ou accepté, incluant notamment le droit de ne pas en être privé injustement. [Cette définition illustre le fait que le respect de l’individu et de sa dignité passe notamment par la liberté de l’individu quant aux choix de travailler tout en soulignant le rôle du travail dans l’épanouissement personnel de l’individu mais aussi de manière plus générale en inscrivant l’individu dans la société.]

Néanmoins, pour des millions d’être humains dans le monde, la pleine jouissance du droit à un travail librement choisi ou accepté reste un objectif lointain. Le Comité reconnaît l’existence d’obstacles structurels et autres résultant de facteurs internationaux et autres échappant au contrôle des Etats, qui entravent la pleine mise en œuvre de l’article 6 dans un grand nombre d’Etats parties.

Dans le souci d’aider les Etats parties à mettre en œuvre le Pacte et à s’acquitter de leurs obligations en matière d’établissements des rapports, la présente Observation générale porte sur le contenu normatif de l’article 6 (sect. I), les obligations des Etats parties (sect.II), les violations (sect.III) et la mise en œuvre au niveau national (sect.IV), tandis que les obligations des acteurs autres que les Etats parties font l’objet de la section V. La présente Observation générale est fondée sur l’expérience acquise depuis de nombreuses années par le Comité à l’occasion de l’examen des rapports des Etats parties.

Contenu normatif (des paragraphes 1 et 2) de l’article 6

Le droit au travail ne saurait se comprendre comme le droit individuel et (inconditionnel) d’obtenir un emploi. Le droit au travail suppose à la fois des libertés et des droits. Le paragraphe 1 de l’article 6 contient une définition incomplète du droit au travail et le paragraphe 2 cite à titre d’illustration et de manière non exhaustive des exemples d’obligations incombant aux Etats parties. Les libertés comprennent le droit de tout être humain de décider librement d’accepter ou de choisir un travail, ce qui suppose de ne pas être forcé de quelque manière que ce soit à exercer ou effectuer un travail.

Le Comité réaffirme la prohibition de toutes les formes de travail forcé et la nécessité du consentement de l’individu sous quelle que forme que ce soit.

[L’accès à un travail décent est un des aspects de la réalisation de la dignité de la personne. Le travail tel qu’énoncé à l’article 6 du Pacte doit pouvoir être qualifié de travail décent. Est qualifié de travail décent tout travail qui respecte les droits fondamentaux de la personne humaine ainsi que les droits des travailleurs, et dont le revenu permet au travailleur de vivre et de faire vivre sa famille. Parmi ces droits fondamentaux figurent le respect de l’intégrité physique et morale du travailleur dans l’exercice de son activité. A titre d’exemple, le Comité affirme sa préoccupation concernant le harcèlement sexuel et moral et en particulier touchant en majorité les femmes, et notamment la pratique de surveillance et de télésurveillance des travailleurs.]

D’autre part, les droits comprennent le droit d’accès à un système de protection qui garantisse à chaque travailleur de pouvoir accéder à un emploi, et de ne pas en être privé injustement lui permettant ainsi de vivre et de faire vivre sa famille, ainsi que de contribuer à sa satisfaction personnelle. Le Comité rappelle la Convention n°158 sur le licenciement de l’O.I.T qui définit la licéité du licenciement en son article 4.

Il faut souligner l’interdépendance des articles 6, 7 et 8 du Pacte, et en particulier l’article 7 dans la définition de la notion de  travail décent.

La qualification de travail décent telle qu’entendue par le Comité suppose que le travail respecte les droits fondamentaux du travailleur. Ces droits sont pour partie protégés par l’article 7 énonçant les droits des travailleurs quant à leurs conditions de travail, de sécurité et de rémunération.

Les articles 7 et 8 feront l’objet d’Observations générales séparées.

Le Comité réaffirme la nécessité pour les Etats parties d’abolir, de condamner et de lutter contre toutes les formes de travail forcé, tel qu’énoncé dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme (article 4), à l’article 5 de la convention relative à l’esclavage et à l’article 8 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’Organisation Internationale du Travail définit le travail forcé comme « tout travail ou service exigé d’un individu sous la menace d’une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s’est pas offert de plein gré ». 

Le taux de chômage élevé et le manque de sécurité de l’emploi engendrent une flexibilité des pratiques poussant les travailleurs vers le travail non déclaré. Néanmoins, l’Etat partie doit prendre les mesures législatives et administratives nécessaires pour réduire au maximum le nombre de travailleurs non déclarés et qui de ce fait ne disposent d’aucune protection. Ces mesures doivent obliger les employeurs à respecter la législation du travail et à déclarer les personnes qu’ils emploient et leur permettre ainsi d’accéder à la jouissance de l’ensemble des droits des travailleurs et en particulier ceux prévus aux articles 6, 7 et 8 du Pacte tels que mis en œuvre par les Etats parties.

Ces mesures doivent être guidées par une approche prenant en compte le fait que les personnes vivant dans une économie informelle le font par nécessité de survivre le plus souvent et non par choix. Le comité insiste sur la nécessité de mettre en oeuvre une politique encourageant la responsabilisation des entrepreneurs, le développement de micro entreprise, des politiques commerciales qui stimulent l’auto emploi. Les gouvernements doivent formuler et mettre en œuvre des approches globales, de manière à aider le secteur informel et les travailleurs à dépasser les obstacles au bénéfice de la sécurité que la reconnaissance légale donne à l’entreprise et à la création d’emploi décents.

De même, le travail domestique doit être régulé de manière adéquate par la loi nationale pour que les travailleurs domestiques aient le même niveau de protection que les autres employés.

Le droit au travail sous toutes ses formes et à tous les niveaux suppose l’existence des éléments interdépendants et essentiels suivants, dont la mise en œuvre dépendra des conditions existant dans chacun des Etats parties :

a) Disponibilité. Il doit exister dans l’Etat partie, des services spécialisés ayant pour fonction l’aide et le soutien aux individus afin de leur permettre d’accéder au marché du travail et de trouver un emploi (stable).

b) Accessibilité. Le marché du travail doit pouvoir être accessible à toute personne relevant de la juridiction de l’Etat partie. L’accessibilité revêt trois dimensions qui se recoupent mutuellement :

i) En vertu du paragraphe 2 de l’article 2 et de l’article 3, le Pacte proscrit toute discrimination dans l’accès à l’emploi ainsi que dans le maintien de l’emploi qu’elle soit fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance, un handicap physique ou mental, l’état de santé (y compris l’infection par le VIH/Sida), l’orientation sexuelle, la situation civile, politique, sociale ou autre, dans l’intention ou avec pour effet de contrarier ou de rendre impossible l’exercice sur un pied d’égalité du droit au travail. Il convient de réaffirmer le principe posé à l’article 2 de la Convention n°111 de l’O.I.T selon lequel les Etats parties devraient « formuler et adopter une politique nationale visant à promouvoir, par des méthodes adaptées aux circonstances et aux usages nationaux, l’égalité des chances et de traitement en matière d’emploi et de profession, afin d’éliminer toute discrimination en la matière ». A l’instar de ce qui a été souligné dans l’Observation générale n°14 en son paragraphe 18 portant sur le droit à la santé, nombre de mesures, de même que la plupart des stratégies et programmes visant à éliminer toute discrimination en matière d’accès à l’emploi, peuvent être mises en œuvre moyennant des incidences financières minimales grâce à l’adoption, la modification ou l’abrogation de textes législatifs ou à la diffusion d’informations. Enfin, le Comité rappelle que, même en temps de grave pénurie de ressources, les éléments vulnérables de la société doivent être protégés grâce à la mise en œuvre de programmes spécifiques relativement peu coûteux.

ii) Le droit au travail tel que défini à l’article 6 du Pacte considère le travail comme un élément constitutif de l’existence digne de l’individu en ce qu’il lui donne les ressources économiques pour vivre.

L’accessibilité physique constitue l’une des dimensions de l’accessibilité au travail, telle qu’énoncée dans l’Observation générale n°5 sur les personnes souffrant d’un handicap au paragraphe 22. L’Etat partie se doit de prendre les mesures nécessaires à l’accessibilité physique des personnes handicapées à leur travail afin d’assurer l’accès de tous au travail.

iii) Accessibilité de l’information : L’accessibilité comprend le droit de rechercher et d’être informé des moyens d’accéder à un emploi par la mise en place de réseaux d’information sur le marché de l’emploi au niveau local, régional et national.

c) Acceptabilité et qualité. Comme le Comité l’a énoncé précédemment (paragraphe 2 de ladite Observation générale), la protection du droit au travail revêt plusieurs dimensions. Les installations, les lieux de travail et de manière plus générale les conditions de travail du travailleur sont protégés par le Pacte aux articles 7 et 8.

Thèmes spécifiques de portée générale :

Les personnes handicapées et le droit au travail.

Le Comité rappelle le principe de non discrimination dans l’accès au travail des personnes handicapées énoncé dans son Observation générale n°5 relative aux personnes souffrant d’un handicap et notamment les paragraphes 20 à 24 portant sur l’article 6, et en particulier la nécessité pour les Etats parties d’appuyer activement l’intégration des personnes souffrant d’un handicap dans le marché normal du travail. En effet « « le droit de toute personne d’obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail librement choisi ou accepté » n’est pas réalisé lorsque la seule véritable possibilité offerte aux personnes souffrant d’un handicap est de travailler dans un environnement dit « protégé » et dans des conditions ne répondant pas aux normes ». Il est nécessaire que les Etats prennent des mesures permettant aux personnes handicapées d’obtenir et de conserver un emploi convenable, de progresser professionnellement « dans le respect des capacités des individus », et partant, de faciliter leur insertion ou leur réinsertion dans la société. 

[Le Comité affirme la nécessité de mettre en œuvre un programme national permettant l’adoption de mesures notamment législatives affirmant le droit des handicapés à travailler et à avoir le statut de travailleur.]

Les personnes âgées et le droit au travail.

Le Comité rappelle son Observation générale n°6 portant sur les droits économiques, sociaux et culturels des personnes âgées et notamment la nécessité d’adopter des mesures propres à éviter toute discrimination fondée sur l’âge en matière d’emploi et de profession.

[Le Comité souligne le droit de tout travailleur à la retraite au-delà d’un certain âge fixé par l’Etat partie et la nécessité de mettre en place des programmes de préparation à la retraite et en particulier visant à assurer une fin de vie professionnelle digne permettant aux travailleurs âgés de faire ace à leur nouvelle vie.]

Les femmes et le droit au travail

Aux termes de l’article 3 du Pacte, les Etats parties s’engagent à « assurer le droit égal qu’ont l’homme et la femme au bénéfice de tous les droits économiques sociaux et culturels ».

Le Comité rappelle, pour briser le cercle vicieux de la pauvreté et de la discrimination à l’égard des femmes qui se transmet d’une génération à l’autre, la nécessité d’élaborer et de mettre en œuvre une stratégie nationale globale en vue de promouvoir la non discrimination et l’égalité de traitement des femmes dans leur droit au travail.

En particulier, la situation des femmes enceintes ne doit pas constituer un obstacle à l’accès à l’emploi et ne saurait constituer une justification à la perte de l’emploi.

Enfin, il faut souligner le lien entre le fait que les femmes ont moins accès à l’éducation que les hommes et certaines cultures traditionnelles, compromettent les chances d’emploi et d’avancement pour les femmes.

Les jeunes et le droit au travail

Le passage à l’âge adulte et l’accès au premier emploi constitue une chance d’échapper à la pauvreté. Néanmoins les jeunes femmes ont plus de difficultés que les jeunes hommes à trouver un emploi. Les Etats parties devraient mettre en place des mesures nationales visant à promouvoir et à soutenir les jeunes, et plus particulièrement les jeunes femmes dans leur accès à l’emploi.

Les travailleurs migrants et le droit au travail

Le principe de non discrimination et d’égalité de traitement est notamment consacré à l’article 25 de la Convention internationale relative à la protection de tous les travailleurs migrants et leurs familles. Par ailleurs, la Convention n°143 sur les travailleurs migrants de 1975 encourage vivement les Etats parties à « formuler et à appliquer une politique nationale visant à promouvoir et à garantir, par des méthodes adaptées aux circonstances et aux usages nationaux, l’égalité des chances et de traitement en matière d’emploi et de profession (…) pour les personnes qui, en tant que travailleurs migrants ou en tant que membres de leur famille, se trouvent légalement sur (le territoire) de l’Etat partie».

Les enfants et le droit au travail

La protection des enfants face au travail relève de l’article 10 du Pacte en ce qu’il définit le champ de protection et d’assistance de la famille et notamment des jeunes et des enfants. Néanmoins, des instruments internationaux relatifs aux droits de l’Homme adoptés ultérieurement au Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels, telle la Convention relative aux droits de l’enfant ont reconnu aux enfants et aux adolescents la nécessité de protection contre toute forme d’exploitation économique, et de travail forcé. Par ailleurs, la Convention de l’Organisation Internationale du Travail n°182 concernant l’interdiction des pires formes de travail des enfants et l’action immédiate en vue de leur élimination de 1999 et notamment son article 3 qui énumère les pires formes de travail, complète le dispositif international d’interdiction du travail des enfants.

Enfin, le Comité rappelle son Observation générale n°14 et plus particulièrement les paragraphes 22 et 23 sur le droit à la santé des enfants et souligne la nécessité de protéger les enfants des formes de travail pouvant porter préjudice à leur développement et à leur santé physique et psychique.

Il faut réaffirmer la nécessité de protéger les enfants de l’exploitation économique et de leur permettre de s’épanouir pleinement par des mesures notamment énoncées au paragraphe 2 de l’article 6 telles l’enseignement technique et professionnel. Le Comité rappelle à cet égard son Observation générale n°13 et notamment la définition de la formation technique et professionnelle (paragraphes 15 et 16), devant être appréhendées comme un élément de l’enseignement général.

Limitations

[Le Comité réaffirme le principe posé à l’article 4 du Pacte selon lequel les droits énoncés dans le Pacte peuvent être limités par la loi, mais dans la seule mesure compatible avec la nature de ces droits et exclusivement en vue de favoriser le bien-être général dans une société démocratique.]

Obligations incombant aux Etats parties

Obligations juridiques générales

La principale obligation consiste à agir en vue d’assurer progressivement le plein exercice du droit au travail, ce qui impose l’obligation de progresser aussi rapidement que possible vers l’objectif de plein emploi.

S’il est vrai que le Pacte prévoit la réalisation progressive des droits qui y sont énoncés et prend en considération les contraintes dues à la limitation des ressources disponibles, il n’en impose pas moins aux Etats parties diverses obligations avec effet immédiat. Les Etats parties ont des obligations immédiates au regard du droit à un travail librement choisi ou accepté: par exemple celle de «garantir » qu’il sera exercé «sans discrimination aucune» (art.2 para.2) et celle d’«agir» (art.2 para.1) en vue d’assurer l’application pleine et entière de l’article 6. Les mesures à prendre à cet effet doivent avoir un caractère «délibéré et concret et viser» au plein exercice du droit au travail.

Le fait que la réalisation du droit au travail s’inscrit dans le temps, c’est-à-dire qu’elle s’opère « progressivement », ne devrait pas être interprété comme privant les obligations de l’Etat partie de tout contenu effectif. Il signifie que les Etats parties ont pour obligation précise et constante « d’œuvrer aussi rapidement et aussi efficacement que possible » pour appliquer intégralement l’article 6.

Tout laisse supposer que le Pacte n’autorise aucune mesure régressive s’agissant du droit au travail et notamment en matière de licenciement, ni d’ailleurs des autres droits qui y sont énumérés. S’il prend une mesure délibérément régressive, l’Etat partie considéré doit apporter la preuve qu’il l’a fait après avoir recherché  toutes les autres solutions possibles et vérifié qu’elle est pleinement justifiée eu égard à l’ensemble des droits visés dans le Pacte et à l’ensemble des ressources disponibles.

Le droit au travail, à l’instar de tous les autres droits de l’Homme, impose trois catégories ou niveaux d’obligations aux Etats parties : les obligations de le respecter, de le protéger et de le mettre en œuvre. Cette dernière englobe l’obligation d’en faciliter l’exercice et celle de le promouvoir. L’obligation de respecter le droit au travail exige que l’Etat s’abstienne d’en entraver directement ou indirectement l’exercice alors que l’obligation de mettre en œuvre le droit au travail suppose que l’Etat adopte des mesures appropriées d’ordre législatif, administratif, budgétaire, judiciaire, incitatif ou autre pour en assurer la pleine réalisation.

L’obligation de respecter le droit au travail requiert des Etats parties qu’ils évitent de prendre des mesures susceptibles d’en entraver ou d’en empêcher l’exercice. L’obligation de le protéger place la protection et la promotion de l’emploi au centre des politiques nationales et requiert des Etats parties qu’ils prennent des mesures pour empêcher des tiers de s’immiscer dans son exercice. L’obligation de faciliter l’exercice du droit au travail requiert des Etats qu’ils prennent des mesures concrètes qui permettent aux particuliers et aux communautés de jouir du droit au travail et les aident à le faire. Enfin, les Etats parties ont pour obligation d’assurer l’exercice du droit au travail. D’une façon générale, ils sont tenus d’assurer l’exercice d’un droit énoncé dans le Pacte lorsqu’un particulier ou un groupe de particuliers sont incapables, pour des raisons échappant à leur contrôle, d’exercer ce droit avec les moyens dont ils disposent. [Il reste que la portée de cette obligation est toujours subordonnée au libellé du Pacte.]

Obligations juridiques spécifiques

Les Etats sont en particulier liés par l’obligation de respecter le droit au travail, notamment en s’abstenant de refuser ou d’amoindrir l’égalité d’accès de toutes les personnes et notamment les personnes vulnérables ou marginalisées dont les détenus (sur une base volontaire), les membres de minorités, les travailleurs migrants à un travail décent. Les Etats parties sont en particulier liés par l’obligation de respecter le droit des femmes et des jeunes personnes à accéder à un emploi décent, et donc de prendre des mesures pour lutter contre la discrimination ou l’inégalité d’accès et d’opportunité.

L’obligation de respecter le droit au travail inclut la responsabilité des Etats dans la prohibition du travail forcé ou obligatoire et son respect par les acteurs non étatiques.

Concernant les obligations incombant aux Etats parties relatives au travail des enfants, protégés par l’article 10 du Pacte,le Comité rappelle le paragraphe 55 de l’Observation générale n°13 relative au droit à l’éducation dans lequel il énonce que « les Etats parties doivent faire en sorte que les communautés et les familles ne soient pas tributaires du travail des enfants. Le Comité affirme tout particulièrement l’importance que l’éducation revêt dans l’élimination du travail des enfants, ainsi que les obligations énoncées au paragraphe 2 de l’article 7 de la Convention n°182 de 1999 sur les pires formes de travail des enfants. En outre, compte tenu du paragraphe 2 de l’article 2, les Etats parties doivent s’efforcer de faire disparaître les stéréotypes sexistes et autres qui entravent l’accès à l’éducation des filles, des femmes et d’autres personnes appartenant à des groupes défavorisés. »

L’obligation de protéger le droit au travail englobe, entre autres, les devoirs incombant à l’Etat d’adopter une législation ou de prendre d’autres mesures destinées à assurer l’égalité d’accès au travail, de veiller à ce que les mesures de privatisation ne se fassent pas au détriment de l’emploi, de veiller à ce que la situation économique générale du pays et de la région n’hypothèque pas la disponibilité, l’accessibilité, l’acceptabilité et la qualité du travail. D’autre part, l’obligation de protéger inclut la mise en place à la charge de l’Etat de plans de formation et d’éducation technique et professionnelle facilitant l’accès à l’emploi ; de promouvoir des politiques de lutte contre le chômage.

[Enfin, les mesures particulières prises pour accroître la flexibilité des marchés du travail ne doivent pas avoir pour effet la précarisation du travail et la diminution de la protection sociale du travailleur.

L’obligation de mettre en œuvre le droit au travail requiert des Etats parties, entre autres, de lui faire une place suffisante (centrale) dans le système politique et juridique national (de préférence par l’adoption de textes législatifs) et de se doter d’une politique nationale de droit au travail comprenant un plan détaillé tendant à lui donner effet. [Les Etats sont tenus de mettre en place et de veiller au bon fonctionnement des formations et des enseignements techniques et professionnels destinés en particulier aux jeunes mais visant aussi au reclassement des travailleurs ainsi qu’à l’augmentation de leurs connaissances et compétences par la formation continue.]

Enfin, la mise en œuvre du droit au travail requiert l’élaboration et la mise en œuvre par l’Etat partie d’une politique de l’emploi en vue de « stimuler la croissance et le développement économiques, d’élever les niveaux de vie, de répondre au besoin de main d’œuvre et de résoudre le problème du chômage et du sous-emploi ».

L’obligation de faciliter l’exercice du droit au travail requiert des Etats qu’ils prennent des mesures concrètes permettant aux particuliers de jouir du droit au travail et les aider à le faire. Les Etats parties sont également tenus d’assurer l’exercice d’un droit donné énoncé dans le Pacte lorsqu’un particulier ou un groupe de particuliers sont incapables, pour des raisons échappant à leur contrôle, d’exercer ce droit avec les moyens dont ils disposent.

L’obligation de promouvoir le droit au travail requiert de l’Etat qu’il mène des actions tendant à assurer, maintenir ou rétablir le droit au travail de la population.

C’est dans ce cadre, que des mesures effectives augmentant les ressources allouées à la réduction du taux de chômage en particulier touchant les femmes, les personnes désavantagées et les groupes marginalisés devraient être prises par les Etats.

[Par ailleurs, le Comité souligne la nécessité de mettre en place un mécanisme d’indemnisation lors de la perte de l’emploi ainsi que l’obligation de prendre les mesures nécessaires permettant la mise en place de services de l’emploi (public ou privé), au niveau national et local.]

Obligations internationales

[La mondialisation comme phénomène économique n’est pas en soi négative.

Néanmoins, le Comité rappelle la nécessité pour les Etats parties de prendre des mesures additionnelles appropriées ayant pour effet de réduire les effets négatifs de la mondialisation et, en particulier, dans le domaine du droit au travail des personnes particulièrement vulnérables.]

Dans son Observation générale n°3, le Comité a appelé l’attention sur l’obligation faite à tous les Etats parties d’agir, tant par leur effort propre que par l’assistance et la coopération internationales, notamment sur les plans économique et technique, en vue d’assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le Pacte, dont le droit au travail.

Dans l’esprit de l’article 56 de la Charte des Nations Unies, des dispositions spécifiques du Pacte (art.2, para.1, et art.6, 22 et 23) les Etats parties devraient reconnaître le rôle essentiel de la coopération internationale et honorer leur engagement de prendre conjointement et séparément des mesures pour assurer la pleine réalisation du droit au travail. Les Etats parties devraient, par voie d’accords internationaux s’il y a lieu, faire en sorte que le droit au travail tel qu’énoncé à l’article 6 mais aussi à l’article 7 notamment dans le cadre des entreprises multinationales et du travail à la chaîne, bénéficie de l’attention voulue [et envisager d’élaborer à cette fin de nouveaux instruments juridiques internationaux.]

Pour s’acquitter des obligations internationales leur incombant au titre de l’article 6, les Etats parties doivent respecter l’exercice du droit au travail dans les autres pays et empêcher tout tiers de violer ce droit dans d’autres pays [s’ils sont à même d’influer sur ce tiers en usant de moyens d’ordre juridique ou politique compatibles avec la Charte des Nations Unies et le droit international applicable.]

Lors des négociations avec les institutions financières, les Etats parties devraient veiller à la protection du droit au travail de leur population. De même, les Etats parties qui sont membres d’institutions financières internationales, notamment du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale et de banques régionales de développement, devraient porter une plus grande attention à la protection du droit au travail et infléchir dans ce sens la politique de prêt, les accords de crédit, (les plans d’ajustement structurel) ainsi que les mesures internationales prises par ces institutions.

Le Comité souligne que les obligations minimales liées aux programmes d’ajustement structurel supposent que les stratégies, les programmes et les politiques choisies n’aient pas un impact disproportionné et négatif sur les groupes vulnérables et en particulier les femmes, les jeunes.

Obligations fondamentales

Certaines des mesures à prendre à ces différents niveaux d’obligation des Etats parties ont un caractère immédiat, tandis que d’autres sont des mesures à long terme, de façon à assurer progressivement le plein exercice du droit au travail.

Dans l’Observation générale n°3, le Comité confirme que les Etats parties ont l’obligation fondamentale minimum d’assurer, au moins, la satisfaction de l’essentiel de chacun des droits énoncés dans le Pacte, dont le droit au travail. Dans le contexte de l’article 6, cette « obligation fondamentale minimum » englobe l’obligation d’assurer la non discrimination et l’égale protection de l’emploi.

La discrimination dans le domaine de l’emploi est constituée d’un large faisceau de violations touchant toutes les phases de la vie, de l’éducation de base à la retraite. Toute discrimination peut avoir un impact non négligeable sur la situation professionnelle des individus et des groupes.

De l’avis du Comité, l’Etat partie a donc pour obligation fondamentale minimum :

a) de garantir le droit d’accès sans discrimination à l’emploi et notamment pour les groupes vulnérables ou marginalisés  leur permettant de gagner les moyens d’une existence digne ;

b) d’éviter toute mesure [et en particulier les mesures arbitraires] ayant pour effet d’intensifier la discrimination et les traitements inégaux dans les secteurs privé et public ou de fragiliser les mécanismes de protection des personnes vulnérables ;

c) d’adopter et de mettre en œuvre au niveau national une stratégie et un plan d’action en matière d’emploi, reposant sur et répondant aux préoccupations de l’ensemble des travailleurs; cette stratégie et ce plan d’action devaient être mis au point et examinés périodiquement dans le cadre d’un processus participatif et transparent (inclusion syndicats) ; ils comprendront des méthodes ( indicateurs…) permettant de mesurer les progrès accomplis ; la mise au point de la stratégie et du plan d’action, de même que leur contenu, doivent accorder une attention particulière à tous les groupes vulnérables et marginalisés.

Obligations incombant aux acteurs autres que les Etats parties

Seuls les Etats sont parties au Pacte et ont donc, en dernière analyse à rendre compte de la façon dont ils s’y conforment, mais tous les membres de la société – individus, familles, collectivités locales, organisations non gouvernementales, organisations de la société civile et secteur privé – ont des responsabilités dans la réalisation du droit au travail. L’Etat doit assurer un environnement qui facilite l’exercice de ces responsabilités.

Si elles ne sont pas liées par le Pacte, les entreprises privées – nationales et transnationales – ont un rôle particulier (primordial ou croissant) à jouer dans la création d’emplois, les politiques d’embauche, les licenciements, l’accès non discriminatoire au travail. Elles doivent mener leurs activités dans le cadre d’un code de conduite ou d’une charte éthique, qui favorise le respect du droit au travail, arrêté d’un commun accord avec le gouvernement et la société civile.

Ces codes de conduite ou chartes éthiques devraient reconnaître les normes en matière de droit au travail dégagées par l’O.I.T, et viser à la prise de conscience et la responsabilisation des entreprises dans la contribution de la réalisation du droit au travail.

Le rôle imparti aux organismes et aux programmes des Nations Unies, en particulier la fonction-clé de l’Organisation Internationale du Travail dans la défense et la réalisation du droit au travail à l’échelle internationale, régionale et nationale revêt une importance particulière. Lors de l’élaboration et de la mise en œuvre de leur stratégie nationale concernant l’exercice du droit au travail, les Etats parties peuvent bénéficier de l’assistance technique et de la coopération de l’Organisation Internationale du Travail. De même, pour l’établissement de leurs rapports, les Etats parties devraient utiliser les informations exhaustives, notamment les éléments statistiques et les services consultatifs disponibles auprès de l’O.I.T, à la fois pour la collecte et la ventilation de données et pour la définition d’indicateurs et de critères.

Conformément aux articles 22 et 23 du Pacte, l’O.I.T et les autres institutions spécialisées de l’O.N.U (PNUD, OMS, UNICEF, PNUAD), la Banque mondiale, les banques régionales de développement, le Fonds monétaire international (FMI), l’OMC et les autres organes compétents du système des Nations Unies devraient coopérer efficacement avec les Etats parties pour faciliter la mise en œuvre du droit au travail à l’échelle nationale, sous réserve que le mandat propre à chaque organisme soit respecté.

En particulier, les institutions financières internationales, notamment le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, devraient s’attacher davantage à protéger le droit au travail dans leurs politiques de prêts, leurs accords de crédit. Il faudrait veiller, conformément au paragraphe 9 de l’Observation générale n°2 du Comité, à ce que dans tout programme d’ajustement structurel le droit au travail soit protégé.

En examinant les rapports des Etats parties, le Comité examinera les effets de l’aide apportée par les acteurs autres que les Etats parties sur l’aptitude des Etats à s’acquitter de leurs obligations au titre de l’article 6. L’adoption par les institutions spécialisées, les programmes et les organes des Nations Unies d’une démarche fondée sur les droits de l’Homme facilitera grandement la mise en œuvre du droit au travail.

Les syndicats [conformément à l’article 8 du Pacte] jouent un rôle primordial pour assurer le respect du droit au travail au niveau local et national et pour aider les Etats à s’acquitter de leurs obligations découlant de l’article 6. Le rôle des syndicats est fondamental et sera examiné par le Comité lors de l’examen des rapports des Etats parties.

Manquements aux obligations (violations)

Il importe d’établir chez l’Etat partie qui ne s’acquitte pas des obligations lui incombant au titre de l’article 6, une distinction entre l’incapacité et le manque de volonté. Ce constat découle du paragraphe 1 de l’article 6 qui énonce le droit qu’a toute personne d’obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail librement choisi ou accepté, et le paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, qui fait obligation à chaque Etat partie de prendre les mesures nécessaires « au maximum de ses ressources disponibles ». C’est à la lumière de ces deux articles que doivent être interprétées les obligations d’un Etat partie. Un Etat dépourvu de la volonté d’utiliser au maximum ses ressources disponibles pour donner effet au droit au travail manquerait par conséquent aux obligations lui incombant en vertu de l’article 6. Néanmoins, la pénurie de ressources pourrait justifier une application partielle de l’article 6, dans la mesure où l’Etat démontrerait qu’il a utilisé ses ressources au maximum pour s’acquitter de son obligation.

Les atteintes au droit au travail peuvent être le fait d’une action directe de l’Etat ou d’entités contrôlées par lui, ou une insuffisance de mesures prises pour inciter à l’embauche. Les manquements par la voie de la commission d’actes englobent dès lors: l’abrogation ou la suspension officielle de la législation nécessaire à l’exercice permanent du droit au travail ; le déni de l’accès au travail à certains individus ou groupes, que cette discrimination repose sur la législation ou qu’elle soit anticipative ; l’adoption de mesures législatives ou de politiques manifestement incompatibles avec les obligations juridiques préexistantes touchant le droit au travail, et le fait que l’Etat ne réglemente pas les activités de particuliers ou de groupes de façon à les empêcher de porter atteinte au droit d’autrui au travail.

Manquements à l’obligation de respecter

L’Etat peut se soustraire à l’obligation de respecter par des actions, des politiques ou bien des lois contraires aux normes énoncées à l’article 6 du Pacte et susceptibles de provoquer des atteintes au droit au travail. Notamment, toute discrimination en matière d’accès au marché du travail ainsi qu’aux moyens et prestations permettant de se procurer du travail, que cette discrimination soit fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, l’âge, la religion, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation, dans le but d’entraver la jouissance ou l’exercice, en pleine égalité des droits économiques, sociaux et culturels, ou d’y porter atteinte, constitue une violation du Pacte. L’interdiction qui est consacrée à l’article 2 paragraphe 2 du Pacte n’est ni sujette à une mise en œuvre progressive ni tributaire des ressources disponibles ; elle s’applique sans réserve et directement à tous les aspects du droit au travail et vaut pour tous les motifs sur lesquels le droit international interdit de fonder l’exercice d’une discrimination quelle qu’elle soit.

Le fait pour l’Etat de ne pas tenir compte des obligations juridiques qui lui incombent en vertu du droit au travail lors de la conclusion d’accords bilatéraux ou multilatéraux avec d’autres Etats, avec des organisations internationales ou avec d’autres entités telles que les entités multinationales, constitue un manquement à ses obligations.

L’adoption de mesures régressives dans la politique de l’Etat vis-à-vis de l’embauche pourrait constituer un manquement à l’article 6, et une atteinte au droit au travail, de même que l’abrogation ou le déni de l’accès au travail à certains individus ou groupes, que cette discrimination repose sur la législation ou qu’elle soit anticipative, la suspension de la législation nécessaire à l’exercice du droit au travail ou l’adoption de lois ou de politiques manifestement incompatibles avec des obligations juridiques préexistantes de caractère interne ou international ayant trait au droit au travail (à titre d’exemples, l’institution du travail forcé ou l’abrogation d’une législation protégeant le salarié contre les licenciements abusifs).

Manquements à l’obligation de protéger

L’Etat peut enfreindre l’obligation de protéger quand il s’abstient de prendre toutes les mesures voulues pour protéger les personnes relevant de sa juridiction contre des atteintes au droit au travail imputables à des tiers. Dans cette catégorie de manquements entrent certaines omissions, comme le fait de ne pas réglementer l’activité de particuliers, de groupes ou de sociétés aux fins de les empêcher de porter atteinte au droit au travail d’autrui ; le fait de ne pas protéger les travailleurs, le fait de ne pas mettre en place les processus de formations techniques et professionnels.

Manquements à l’obligation de mettre en œuvre

L’Etat partie manque à l’obligation de mettre en oeuvre le droit au travail quand il s’abstient de prendre toutes les mesures voulues pour garantir la réalisation de ce droit. Nous citerons à titre d’exemple le fait de ne pas adopter ou de ne pas mettre en œuvre une politique nationale relative à l’emploi destinée à garantir à chacun la réalisation de ce droit ; le fait d’affecter à l’emploi un budget insuffisant ou de répartir à mauvais escient les ressources publiques de telle sorte qu’il sera impossible à certains individus ou certains groupes d’accéder à un travail, tout particulièrement les éléments vulnérables ou marginalisés de la population ; le fait de ne pas contrôler la réalisation du droit au travail à l’échelle nationale, comme l’Etat pourrait le faire, par exemple, en définissant les critères et les indicateurs permettant de vérifier si le droit au travail est exercé.

Indicateurs et critères concernant le droit au travail

Une stratégie nationale pour l’emploi peut-elle définir des indicateurs et des critères relatifs à l’exercice du droit au travail ? De tels indicateurs doivent être conçus pour permettre de suivre à l’échelle nationale comment l’Etat s’acquitte de ses obligations au regard de l’article 6, et s’appuyer sur les indicateurs internationaux retenus par l’OIT (taux de chômage, de sous-emploi, proportion entre le travail formel et travail informel…). L’O.I.T a développé un certain nombre de critères à prendre en compte lors de l’élaboration des statistiques du travail ; qui peuvent être utiles lors de l’élaboration d’un plan national pour l’emploi.

Recommandations aux Etats parties

Inévitablement, les moyens les plus appropriés de donner effet au droit au travail varient de façon très sensible d’un Etat partie à l’autre. Chaque Etat a une certaine latitude pour choisir ses méthodes, mais le Pacte impose sans ambiguïté que chaque Etat partie prenne toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte que toute personne soit à l’abri du chômage et de la précarité dans l’emploi et puisse jouir dès que possible du droit au travail. D’où la nécessité d’adopter à l’échelle nationale une stratégie visant à assurer à tous l’exercice du droit au travail, c’est-à-dire l’objectif de plein emploi pour tous, les objectifs de ladite stratégie étant définis à partir des principes relatifs aux droits de l’Homme, et la nécessité en outre de définir des politiques ainsi que des indicateurs et des critères permettant de mesurer l’exercice du droit au travail. Cette stratégie nationale impose également de définir les ressources dont l’Etat est doté pour atteindre les objectifs définis ainsi que le mode d’utilisation desdites ressources qui présente le meilleur rapport coût-efficacité.

Une fois qu’ils ont définis des indicateurs bien adaptés, les Etats parties sont invités à définir en outre à l’échelle nationale des critères liés à chaque indicateur. Pendant l’examen du rapport périodique, le Comité procédera à une sorte d’étude de portée avec l’Etat partie. C’est-à-dire que le Comité et l’Etat partie examineront ensemble les indicateurs et les critères nationaux définissant les objectifs à atteindre au cours de la période faisant l’objet du rapport suivant. Et pendant les cinq années qui suivront, l’Etat partie pourra utiliser ces critères nationaux pour mieux contrôler l’application de l’article 6. Puis, lors de l’examen du rapport ultérieur, l’Etat partie et le Comité verront si les critères ont été ou non remplis et pour quelles raisons des difficultés ont peut-être surgi.

L’élaboration et la mise en œuvre d’une stratégie et d’un plan d’action national en matière de travail doivent tout particulièrement respecter les principes de non-discrimination et de participation populaire. Il faut notamment que le droit des individus et des groupes à participer à la prise de décisions susceptibles d’orienter le développement fasse partie intégrante de toute politique, de tout programme ou de toute stratégie ayant pour objet de donner effet aux obligations incombant à l’Etat au titre de l’article 6. Promouvoir le travail passe nécessairement par l’association effective de la collectivité et plus spécifiquement par des associations de défense des travailleurs et syndicats, à la définition de priorités, à la prise de décisions, à la planification, à la mise en œuvre et à l’évaluation de la stratégie visant à améliorer la situation en matière d’emploi. Il n’est possible de mettre en place de bons services d’aide à l’emploi que si l’Etat s’assure à cette fin de la participation de la population.

La formulation et l’application de stratégies nationales concernant le droit au travail passent par le respect intégral des principes de responsabilité, de transparence, de participation de la population, de décentralisation, d’efficacité du pouvoir législatif et d‘indépendance du pouvoir judiciaire. La bonne gouvernance est indispensable à la réalisation de tous les droits de l’Homme, s’agissant notamment d’éliminer la pauvreté et d’assurer un niveau de vie satisfaisant et permettant l’épanouissement pour tous. Pour instaurer un climat favorable à l’exercice de ce droit, il faut que les Etats parties prennent des mesures appropriées pour faire en sorte que le secteur privé tout comme le secteur public prennent conscience du droit au travail dans l’exercice de leurs activités et de l’importance qu’il convient de lui accorder.

La mise en œuvre d’une telle stratégie devrait faciliter la coordination entre les ministères et les autorités régionales et locales, et garantir que les politiques et les décisions administratives connexes soient compatibles avec les obligations découlant de l’article 6 du Pacte.

La stratégie devrait tenir particulièrement compte de la nécessité de prévenir la discrimination dans l’accès à l’emploi. Elle devrait prévoir les garanties d’un accès sans restriction et en pleine égalité aux ressources économiques, à la formation technique et professionnelle et en particulier pour les femmes, les personnes en difficulté sociale, vulnérables ou marginalisées; des mesures visant à faire respecter et à protéger l’emploi indépendant et le travail assurant la rémunération qui procure une existence décente aux salariés et à leur famille (comme stipulé à l’alinéa a) ii) de l’article 7 du Pacte).

Pour mettre en oeuvre les stratégies de pays visées ci-dessus, les Etats devraient établir des critères pour le suivi aux échelons national et international. [A cet égard, ils devraient envisager d’adopter une législation en tant que principal instrument de l’application de leur stratégie nationale concernant le droit au travail. Cette législation devrait instituer des mécanismes nationaux de contrôle de la mise en oeuvre de la stratégie et du plan d’action national en matière de droit au travail. Elle devrait contenir des dispositions sur les objectifs chiffrés à atteindre et le calendrier d’exécution ; sur les moyens permettant de respecter les critères fixés sur le plan national ; sur la collaboration à instaurer avec la société civile, y compris les experts des questions du travail, avec le secteur privé et avec les organisations internationales ; la législation doit également dire où se situe la responsabilité institutionnelle de la mise en œuvre de la stratégie nationale et du plan d’action adoptés et indiquer les procédures de recours possibles. Lorsqu’ils surveillent les progrès accomplis sur la voie de la réalisation du droit au travail, les Etats parties doivent aussi déterminer quels éléments et quelles difficultés les gênent dans l’exécution de leurs obligations. Les Etats parties devraient faire participer activement les organisations de la société civile à l’élaboration de ces critères et de la législation.]

Les programmes et organismes compétents des Nations Unies devraient, sur demande, prêter leur concours à la rédaction de la législation et à l’examen de la législation sectorielle. L’O.I.T, par exemple, dispose de compétences considérables et a accumulé une somme de connaissances concernant la législation dans le domaine du travail. (L’Unicef possède des compétences équivalentes en matière de législation dans le domaine du travail des enfants.)

Suivi

Les Etats parties doivent mettre en place et faire fonctionner des mécanismes permettant de suivre les progrès accomplis dans la voie de la réalisation du droit de tous à un travail librement choisi ou accepté, de cerner les facteurs et les difficultés faisant obstacle à l’exécution de leurs obligations et de faciliter l’adoption de mesures correctrices d’ordre législatif et administratif, notamment des mesures pour s’acquitter des obligations que leur imposent le paragraphe 1 de l’article 2 et l’article 23 du Pacte.

Recours et responsabilité

Toute personne ou groupe victime d’une atteinte au droit au travail doit avoir accès à des recours effectifs, judiciaires ou autres, aux échelons tant national qu’international. Les victimes devraient également pouvoir faire jouer leur droit à réparation. Au plan national, les syndicats, les commissions des droits de l’Homme doivent jouer un rôle essentiel dans la défense du droit au travail.

Toutes les victimes de telles violations ont droit à une réparation adéquate –réparation, indemnisation, gain de cause ou garantie de non-répétition.

L’intégration à l’ordre juridique interne d’instruments internationaux consacrant le droit au travail, et en particulier les conventions pertinentes de l’O.I.T, doit renforcer l’efficacité des mesures prises pour garantir le droit au travail ; elle doit être fortement encouragée. Elle donne compétence aux Tribunaux pour se prononcer sur les atteintes au droit au travail, en particulier lorsque la législation nationale est déficiente. L’incorporation dans l’ordre juridique interne des instruments internationaux reconnaissant le droit au travail, ou la reconnaissance de leur applicabilité, peut accroître sensiblement le champ et l’efficacité des mesures correctrices et devrait être encouragée dans tous les cas. Les tribunaux seraient alors habilités à se prononcer sur les violations du contenu essentiel du droit au travail en invoquant directement les obligations découlant du Pacte.

Les magistrats et les autres membres des professions judiciaires sont invités à prêter plus d’attention, dans l’exercice de leurs fonctions, aux violations du droit au travail.

Les Etats parties doivent respecter et protéger le travail des défenseurs des droits de l’Homme et des autres membres de la société civile et notamment les syndicats protégés par l’article 8 du Pacte qui aident les groupes vulnérables à exercer leur droit au travail.

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