Nations Unies

E/C.12/2011/SR.2

Conseil économique et social

Distr. générale

9 mai 2011

Original: français

Comité des droits économiques, sociaux et culturels

Quarante -sixième session

Compte rendu analytique de la deuxième partie ( publique )* de la 2 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le lundi 2 mai 2011, à 15 heures

Président: M. Pillay

Sommaire

Questions de fond concernant la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels: documents soumis par des organisations non gouvernementales

La deuxième partie (publique) de la séance est ouverte à 16 h 5.

Questions de fond concernant la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels: documents soumis par des organisations non gouvernementales (point 3 de l’ordre du jour)

Turquie

1.M me Özpinar (FIAN International) rappelle que, d’ici à 2023, le Gouvernement turc prévoit de construire 1 738 barrages et centrales hydroélectriques, en plus des 2 000 qui existent déjà en Turquie. Or, malgré l’ampleur de ce plan, aucune étude d’impact sur l’environnement ou la société n’a été menée, alors qu’il touche tous les cours d’eau du pays et menace les ressources en eau et le mode de vie de quelque 2 millions de personnes.

2.Pour l’organisation non gouvernementale (ONG), il convient de mettre un terme aux violations des droits de l’homme liées à la construction de barrages et de centrales hydroélectriques, et le Gouvernement turc doit retirer le projet de loi sur la nature et la conservation de la biodiversité et adopter une nouvelle politique de préservation de l’eau et de l’environnement qui garantisse la pleine participation de la société civile et des populations locales à la prise de décisions. Il doit également revenir sur les modifications apportées à la loi sur les sources d’énergie renouvelables, qui ouvrent la voie à la déforestation et dispensent les sociétés privées de procéder à toute étude d’impact de leurs projets sur l’environnement. Des mesures doivent être prises pour encourager les modes de vie traditionnels et éviter la paupérisation des populations rurales et leur migration vers les métropoles. Pour le peuple d’Anatolie, c’est un devoir moral que de protéger ses terres et de lutter jusqu’au bout pour préserver la culture et les droits des populations locales.

3.M. Ayboga (FIAN International) déplore les pratiques préjudiciables du Gouvernement turc, notamment le projet de construction de huit barrages dans la province de Dersim (Tunceli), pour lequel ni les autorités locales, ni les organisations de la société civile n’ont été consultées et aucune étude d’impact n’a été menée. Or, ce projet prévoit l’inondation de 86 villages et touchera donc la plupart des habitants de la province.

4.Les deux vallées principales de la rivière Munzur, qui abritent de nombreux sanctuaires alévis et la plus vaste population parlant le dialecte zaza − l’une des langues menacées figurant sur la liste établie par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture −, sont en péril. L’économie, l’agriculture, l’élevage et le tourisme vert sont menacés, en particulier dans le Parc national de la Munzur où sont répertoriées 55 espèces endémiques. Malgré la forte mobilisation des habitants, le Gouvernement se refuse à privilégier le développement du tourisme et à renoncer à la construction de barrages. Le peuple de la province de Dersim, soumis à l’état d’urgence quasiment sans interruption depuis une centaine d’années et privé de sa liberté d’expression, revendique le droit de faire entendre sa voix et de participer à la prise de décisions.

5.M me Drillisch (FIAN International) déclare que la Turquie doit d’urgence modifier sa législation sur l’expropriation et la réinstallation de manière à garantir aux populations touchées par la construction d’un barrage leur droit à un niveau de vie suffisant. Le Gouvernement turc doit également prévoir des plans d’action juridiquement contraignants, assortis de mesures réalistes de restitution des moyens de subsistance, mises en place avec le consentement préalable et éclairé des populations concernées, et une attention particulière doit être portée à la protection des groupes vulnérables.

6.Dans l’intervalle, tous les projets de construction de barrage, en particulier celui d’Ilisu, doivent être interrompus, et les mesures d’expropriation et de réinstallation antérieures révisées de manière à rendre aux populations touchées leurs moyens de subsistance et à les soulager de leurs dettes.

7.M me Eberlein (FIAN International) dénonce la situation des Sarikeçili Yuruks, peuple de bergers nomades contraint depuis quelques années à la sédentarisation dans la région de Karaman. Privé d’accès à l’éducation, à l’emploi et aux sources de revenus, il y subit une pression psychologique importante. À ces graves difficultés s’ajoutent les problèmes liés à la construction d’une soixantaine de barrages dans le bassin du Göksu, qui les privent d’eau et condamnent leurs troupeaux.

8.M me Özgökçe (Programme on Women Economic, Social and Cultural Rights − PWESCR) regrette que, malgré un taux de croissance élevé, l’essentiel des richesses de la Turquie demeure concentré dans l’ouest et que, partout dans le pays, les femmes profitent peu de la croissance.

9.La Turquie doit d’urgence élaborer une loi sur l’égalité des sexes et intégrer dans la Constitution et dans le projet de loi contre la discrimination une définition de la discrimination fondée sur le sexe, y compris l’orientation et l’identité sexuelles. Parallèlement, les fonctionnaires devraient être formés aux questions relatives à l’égalité des sexes. Le Gouvernement devrait prendre des mesures pour promouvoir les droits des femmes handicapées − notamment dans les domaines de l’éducation, de la santé, de l’emploi, de la politique et de l’adoption − et appliquer pleinement la circulaire du Premier Ministre sur l’emploi des femmes. Enfin, des fonds devraient être consacrés à l’enseignement préscolaire et aux services de garde d’enfants de moins de 5 ans. Il faudrait également prévoir un budget suffisant et un mécanisme de contrôle complet, assorti d’indicateurs de résultats, d’objectifs et d’échéances, pour l’exécution du Plan d’action national de lutte contre la violence à l’égard des femmes, et les progrès accomplis dans l’application de ce plan d’action et de celui consacré à l’égalité des sexes devraient être mesurés avec précision.

10.M me Yalcindag (PWESCR) fait observer que la répartition inégale des richesses et des ressources entre l’ouest et l’est de la Turquie exacerbe la discrimination à l’égard des femmes kurdes. Ces dernières n’ont pas accès à l’enseignement dans leur langue maternelle et occupent seulement 6 % du marché du travail (contre 25 % pour la moyenne nationale des femmes). Dans l’est et le sud-est du pays, à majorité kurde, une femme kurde sur deux est victime de la violence (contre un taux de 39 % à l’échelle nationale), les taux de mortalité infantile et maternelle sont supérieurs à la moyenne nationale, et le taux de fécondité atteint quasiment le double du taux national.

11.La Turquie doit élaborer une nouvelle Constitution démocratique et civile, première étape vers le règlement pacifique de la question kurde, et traduire en justice les auteurs de crimes et de violations des droits de l’homme dans le cadre du conflit armé qui dure depuis trente ans.

12.Les autorités doivent promouvoir des programmes de formation de traducteurs et de spécialistes des questions relatives à l’égalité des sexes pour les services sociaux, les tribunaux et les établissements de santé de l’est et du sud-est de la Turquie. Les textes juridiques relatifs aux droits des femmes doivent être mis à disposition dans d’autres langues que le turc. Dans ces mêmes régions, des centres de réhabilitation doivent être créés pour les femmes atteintes de troubles psychologiques liés au conflit et à la violence qui règnent, et l’assistance doit y être offerte en turc, en kurde et en arabe. Il importe de recueillir des données sur les nombreux cas de discrimination à l’égard des femmes de langue maternelle autre que le turc en matière d’accès à l’enseignement et aux services de santé, et le droit à l’enseignement dans la langue maternelle doit être inscrit dans la Constitution. Par ailleurs, des mesures efficaces doivent être prises pour mettre fin aux assassinats de femmes par des hommes de la famille, ainsi qu’aux «crimes d’honneur».

13.M. Sadi demande si, pour instaurer l’égalité de traitement et promouvoir les droits des femmes en Turquie, il ne serait pas plus utile d’œuvrer à faire tomber les barrières culturelles et à changer les mentalités plutôt que d’adopter des lois spécifiques dans ce domaine.

14.M. Tirado Mejia n’est pas sûr d’avoir bien compris les revendications des ONG turques: souhaitent-elles que la construction de barrages en Turquie soit interrompue ou qu’une loi soit adoptée pour encadrer les travaux d’aménagement des cours d’eau, qui prévoirait notamment de consulter préalablement les populations concernées?

15.M. Ribeiro Leao voudrait avoir confirmation que lesdites populations n’ont pas été consultées avant le lancement des travaux de construction, ni indemnisées pour les éventuels dommages subis.

16.M me Shin, estimant qu’il est possible desupprimer les barrières culturelles en mettant en place un cadre législatif, demande aux représentants d’ONG présents s’il serait selon eux préférable d’adopter une loi spécifique sur l’égalité des sexes ou une loi antidiscrimination de portée générale dont certaines dispositions protégeraient plus précisément les droits des femmes.

17.Les représentants d’ONG pourraient en outre donner un aperçu du système actuel d’enregistrement des naissances, et notamment préciser si l’inscription sur les registres de l’état civil est obligatoire et si les filles doivent être déclarées à la naissance au même titre que les garçons.

18.M me Özpinar (FIAN International) explique qu’en Turquie les nouvelles lois se succèdent à un rythme effréné, ce qui a engendré la défiance de la population envers l’appareil législatif. Il sera donc tout particulièrement important de débattre avec la délégation turque de la nécessité de créer un cadre législatif propre à protéger durablement un certain nombre de droits.

19.La plupart des entreprises privées lancent leurs projets de construction de barrages sans en avoir préalablement étudié les conséquences sociales et environnementales, et tous les cours d’eau du pays sont concernés. De plus, le problème ne se limite pas à la construction d’une seule centrale hydraulique: plus d’une vingtaine de chantiers touchent parfois le même bras d’une rivière. Enfin, les populations intéressées ne sont consultées à aucun stade du processus, car ces projets sont devenus une priorité de la politique gouvernementale.

20.M. Ayboga (FIAN International) précise qu’il ne s’agit pas de s’opposer systématiquement à la construction de barrages en Turquie mais de faire en sorte que soit appliqué le cadre pour la prise de décisions adopté en 2000 par la Commission mondiale des barrages, qui regroupe les meilleures pratiques dans ce domaine.

21.M me Özgökçe (PWESCR) dit que si les mariages religieux étaient par le passé plus nombreux que les mariages civils, cette tendance s’est inversée depuis que les époux sont tenus de produire un certificat de mariage civil pour bénéficier des services sociaux, ce qui prouve que l’adoption d’une loi peut effectivement avoir des répercussions sur les traditions culturelles.

22.Dans le contexte turc, où le Premier Ministre lui même a déclaré qu’il ne croyait pas en l’égalité entre les hommes et les femmes et que l’homosexualité était une maladie, la lutte contre les discriminations semble nécessiter de mettre en place, dans un premier temps, un cadre législatif comprenant une définition de la discrimination, qui permettra dans un deuxième temps de modifier en conséquence les dispositions du Code pénal, du Code civil et enfin d’adopter à terme une loi antidiscrimination.

23.L’enregistrement des naissances est désormais acquis dans les centres urbains, où tous les enfants nés à l’hôpital, quel que soit leur sexe, sont systématiquement déclarés à l’état civil. Ce n’est cependant toujours pas le cas dans les zones rurales.

République de Moldova

24.M me Sorocan (Groupement d’ONG nationales) dit qu’en République de Moldova les personnes âgées − qui constituent 14 % de la population − sont particulièrement touchées par la pauvreté. S’il est vrai que le montant des retraites a augmenté de près de 20 % depuis 2008, il n’en reste pas moins qu’il constitue en moyenne 60 % seulement du niveau minimum de subsistance. À cela vient s’ajouter le fait que les nombreuses personnes parties à l’étranger à la recherche d’un emploi (près de 25 % de la main-d’œuvre) et celles qui sont employées dans le secteur informel risquent de ne pas percevoir de retraite une fois l’âge requis atteint.

25.Les personnes âgées sont en outre victimes de violences, y compris au sein de leur famille (en particulier dans les zones rurales), ainsi que de diverses formes de discrimination, dans le domaine de l’accès aux soins de santé notamment.

26.Dans ce contexte, le Comité pourrait recommander à l’État partie de relever le montant des retraites afin qu’il assure aux retraités un niveau de vie adéquat, de faire en sorte que les personnes travaillant dans l’économie informelle et les travailleurs migrants puissent percevoir une retraite le moment venu, et que les personnes âgées puissent bénéficier du meilleur niveau de santé susceptible d’être atteint et avoir accès aux soins médicaux, notamment à un médecin de famille − y compris dans les zones rurales reculées − au même titre que le reste de la population.

27.M me Mardari (Groupement d’ONG nationales), après avoir décrit dans quelle mesure les personnes séropositives et celles qui vivent avec le VIH/sida sont privées de leur droit au respect de la vie privée et de leur droit à la confidentialité des données médicales, énumère un certain nombre de recommandations que le Comité pourrait adresser à la République de Moldova dans le cadre de l’examen de son deuxième rapport périodique (E/C.12/MDA/2). Il pourrait notamment inviter l’État partie à faire en sorte que seuls les établissements de santé chargés du suivi médical de ces personnes aient accès à leurs données personnelles, que les médecins et le personnel soignant soient liés par des clauses de confidentialité et que le patient ait un droit de regard quant au traitement des données confidentielles le concernant.

28.Par ailleurs, compte tenu de l’ampleur de l’homophobie en République de Moldova, il serait bon d’encourager l’État partie à adopter un cadre antidiscrimination de portée générale, qui interdirait notamment la discrimination au motif de l’orientation sexuelle.

29.M me Lefter (Groupement d’ONG nationales) dit que, compte tenu de la faible représentation des femmes dans la vie publique, son organisation recommande de modifier le Code électoral de la République de Moldova afin que les listes de candidats aux élections parlementaires comprennent au moins 30 % de femmes, et celles pour les élections aux instances locales au moins 40 %. Dans le pays, les femmes sont durement touchées par le chômage, faute de mécanisme qui les protège véritablement. Il faudrait donc mettre en place un dispositif qui permette d’appliquer les lois existantes, telles la loi pour l’égalité des chances entre hommes et femmes et la loi sur la prévention de la discrimination et la lutte contre cette dernière. Introduire des données statistiques ventilées par sexe dans les rapports économiques et sociaux du pays serait également utile. Concernant la violence familiale dont sont victimes les femmes, les enfants et les personnes âgées, il conviendrait que les instances publiques locales élaborent des stratégies, prévoient des financements et satisfassent à leurs obligations au titre notamment de la loi no 45 sur la prévention et la répression des violences dans la famille, afin de jouer un rôle actif dans la lutte contre ce phénomène.

30.M. Rusanovschi (Groupement d’ONG nationales) dit qu’en République de Moldova les Roms constituent le groupe ethnique le plus vulnérable et le moins représenté sur la scène politique. Ils sont pourtant victimes de discriminations de toutes sortes: à l’école, sur le marché de l’emploi, dans l’accès aux soins de santé et dans l’accès au logement. Face à cette situation, le Gouvernement devrait adopter un nouveau plan d’action en faveur de la communauté rom pour la période 2011-2015, dûment financé et assorti d’un mécanisme permettant de contrôler sa mise en œuvre. Si des progrès ont été faits à l’égard des personnes handicapées, l’accès à l’emploi ou la formation professionnelle, ou encore à des centres de réadaptation pour les enfants, continue de poser problème. Les autorités devraient donc prendre des mesures à cet égard, en vue notamment de mettre un terme à la discrimination dont ces personnes sont victimes. Compte tenu de l’importance de l’émigration, des mesures doivent être prises pour éviter que les nombreux enfants laissés dans le pays par les parents partis à l’étranger n’abandonnent l’école et ne deviennent victimes de la traite d’êtres humains, notamment.

31.M me Lamackova (Center for Reproductive Rights) dit que la République de Moldova ne respecte pas ses obligations au titre du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, pour ce qui est des droits en matière de santé sexuelle et procréative. Elle dénonce l’absence d’éducation sexuelle obligatoire dans les écoles, l’impossibilité d’accéder à des moyens de contraception modernes à un prix abordable et le maintien du consentement parental pour l’accès des mineurs aux services médicaux. Les femmes se heurtent à de nombreuses difficultés lorsqu’elles souhaitent avorter au-delà du premier trimestre de la grossesse. Mme Lamackova évoque le cas d’une jeune femme − «Mme Z.» − condamnée à vingt ans de prison pour avoir avorté chez elle, à un stade avancé de sa grossesse, ignorant qu’elle était enceinte, faute de cycles menstruels réguliers et d’informations sur la santé sexuelle et procréative. Dénoncée à la police par un médecin de l’hôpital où elle venait d’être admise en urgence, elle a été condamnée pour meurtre, bien que son dossier médical précise qu’il s’agissait d’un avortement, et que le droit pénal ne prévoie aucune sanction pénale contre la femme enceinte qui avorte. En prison, Mme  Z. a été privée des soins médicaux requis par son état et a été la cible de mauvais traitements de la part du personnel pénitentiaire.

32.La République de Moldova ne respecte pas non plus le principe de non-discrimination fondée sur le sexe et ne prévoit pas de conditions de détention adaptées aux besoins particuliers des femmes. Le personnel pénitentiaire n’est pas formé à la surveillance de femmes, notamment au respect de leur intimité. La condamnation de «Mme Z.» résulte des comportements discriminatoires, en particulier à l’égard des femmes enceintes, et de la stigmatisation de l’avortement dans le pays. Elle s’explique aussi, en partie, par le manque d’informations et de formation des responsables de l’application des lois et des personnels de santé en ce qui concerne la législation en matière d’avortement, les droits de la femme et, en particulier, les droits en matière de santé sexuelle et procréative. Imposer aux professionnels de santé de dénoncer aux autorités les femmes ayant avorté illégalement constitue une violation des normes internationales relatives aux droits de l’homme.

33.M. Tirado Mejia demande si le phénomène de la traite des femmes − que le Comité avait jugé très préoccupant dans ses observations finales sur le rapport initial de la République de Moldova (E/1990/5/Add.52) − s’est stabilisé, atténué ou, au contraire, aggravé.

Allemagne

34.M. Stamm (Alliance pour les droits économiques, sociaux et culturels en Allemagne − WSK-Allianz), s’exprimant au nom d’une vingtaine d’organisations, dit qu’en ce qui concerne l’article 9 du Pacte, la réforme du système de sécurité sociale s’est traduite par une détérioration des conditions de vie des personnes à faible revenu, les personnes dépendant de l’aide sociale ne bénéficiant plus des mêmes droits que leurs concitoyens, en violation du principe de non-discrimination. Il est donc demandé au Gouvernement de prendre les mesures qui s’imposent pour renforcer la protection juridique de ces personnes. Au sujet de l’article 11 du Pacte, la Cour constitutionnelle fédérale a estimé en février 2011 que le Gouvernement devait garantir une aide minimum de subsistance afin de respecter la dignité humaine, d’autant que les indemnités de chômage ne suffisent pas actuellement pour couvrir les besoins fondamentaux.

35.M. Frey (Forum Pflege aktuelle et Aattac Munich) rappelle qu’en 2001 le Comité avait prié instamment l’Allemagne d’adopter immédiatement des mesures pour améliorer les conditions de vie déplorables des personnes âgées dans les maisons de retraite. Le Service médical des associations nationales des assurances santé (MDS), en 2004 et 2007, et l’Institut national allemand des droits de l’homme, en 2006, ont mené des inspections dans les maisons de retraite du pays, qui ont montré que 41 % des résidents ne recevaient pas de nourriture et de boissons en quantité suffisante et que de nombreuses personnes ne recevaient pas de soins adaptés. M. Frey demande au Comité de rappeler la République fédérale d’Allemagne à l’ordre pour son inaction et d’exiger qu’elle prenne immédiatement des mesures pour mettre fin à cette situation, notamment en affectant davantage de personnel qualifié dans ces établissements et en menant des inspections plus approfondies. En ce qui concerne la pauvreté et la malnutrition des enfants, de nombreuses organisations confirment que la moitié des enfants dans l’enseignement primaire et secondaire ne prennent pas de petit-déjeuner, voire de déjeuner, que le pays manque de structures d’accueil pour les enfants, en particulier d’écoles à plein temps, que les enfants de familles défavorisées sont désormais privés de vie sociale et que le fossé entre pauvres et riches se creuse. Il est donc demandé au Comité de faire des recommandations à l’Allemagne à cet égard.

36.M. Nestler (Society for the Protection of Civil Rights and Human Dignity − GBM) explique que la plupart des membres de l’organisation qu’il représente sont des Allemands de l’Est, soulignant ainsi que les conditions de vie dans l’Allemagne d’aujourd’hui ne sont pas égales pour tous, notamment en matière de droits à pension. Il appelle également l’attention sur la détérioration du système de sécurité sociale et du système de santé, et sur la passivité des tribunaux allemands. Compte tenu des informations figurant au paragraphe 7 du rapport à l’examen (E/C.12/DEU/5) quant à l’examen systématique des projets de dispositions législatives et réglementaires avant toute promulgation, GBM s’étonne du nombre de cas où les dispositions du Pacte ne sont pas respectées par des lois et des règlements. Parallèlement, elle espère vivement que l’Allemagne ratifiera dans les meilleurs délais le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

37.M me Wenk-Ansohn (Centre for the Treatment of Torture Victims − Bzfo) appelle l’attention sur les lois − notamment la loi sur les prestations versées aux demandeurs d’asile − qui bafouent différents droits économiques, sociaux et culturels, en particulier le droit à la non-discrimination. Ainsi, les demandeurs d’asile sont tenus de limiter leurs déplacements à un rayon de 30 km au plus, ce qui restreint leur droit d’accès à un avocat, à l’éducation, au travail ou encore aux soins de santé, par exemple, et les empêche d’assister à des événements culturels, voire de rendre visite à des proches. Les prestations qui leur sont versées sont inférieures d’environ 40 % aux prestations sociales minimales, et les enfants ne bénéficient que de 60 % de ce montant. Dans de nombreux États, les réfugiés doivent vivre pendant de longues périodes dans des locaux qui leur sont destinés, souvent surpeuplés et dans de mauvaises conditions d’hygiène. Les demandeurs d’asile et les réfugiés n’ont accès aux soins de santé qu’en cas d’urgence ou de maladie douloureuse. L’accès au marché du travail et à la formation professionnelle est limité pour les réfugiés.

38.M me Veith (Intersexuelle Menschen e.V.) demande que les personnes intersexuées soient à l’abri de toute intervention chirurgicale et de tout protocole médicamenteux lié à leur condition de personne intersexuée, sauf lorsque leur vie est en jeu; qu’elles ne subissent d’intervention à caractère cosmétique qu’avec leur consentement écrit; que les médecins soient tenus de leur remettre une copie de tout dossier médical les concernant; et qu’elles aient accès sans discrimination à des soins médicaux tenant compte de leurs besoins spécifiques. Mme Veith demande aussi qu’il soit mis fin à la castration, aux traitements de normalisation et aux mutilations génitales infligées à ces personnes.

39.M me Shicklang (Aktion Transsexualitat und Menschenrecht e.V.) dénonce la promotion des stéréotypes sexistes en Allemagne − appuyée par les lois et pratiques en vigueur dans le pays − comme étant contraire aux dispositions du Pacte et, en particulier, à ses articles 2 et 12, et demande au Comité d’intervenir pour y mettre un terme. L’ONG demande en outre l’abrogation dans l’État partie des lois imposant des examens psychiatriques aux transsexuels qui souhaitent changer de sexe sur leurs papiers d’identité.

40.M. Hausmann (Forum allemand des droits de l’homme et FIAN Allemagne), s’exprimant tout d’abord au nom du Forum allemand des droits de l’homme au sujet des obligations extraterritoriales de l’Allemagne dans le cadre de la coopération pour le développement, demande que les incidences négatives possibles des politiques allemandes sur les droits économiques, sociaux et culturels fassent l’objet d’une attention plus soutenue et, pour éviter ce risque, réclame des évaluations de l’impact des projets sur les droits de l’homme. L’intervenant plaide pour la mise en place d’un mécanisme indépendant de plainte accessible aux personnes qui subissent les effets négatifs d’un projet bénéficiaire d’une aide de l’Allemagne au titre de la coopération au développement; il demande enfin que des mesures plus énergiques soient prises pour renforcer la cohérence des politiques en matière de droits de l’homme, notamment en évaluant, sans délai, les effets du commerce et de l’investissement sur ces droits.

41.S’exprimant ensuite au nom de FIAN Allemagne, M. Hausmann demande instamment au Gouvernement allemand de réaliser une évaluation qualitative complète de sa coopération au développement dans le secteur foncier cambodgien et d’établir un mécanisme de suivi des droits de l’homme avec la participation active des groupes concernés.

42.M. Paasch (MISEREOR), prenant la parole sur les obligations extraterritoriales de l’Allemagne dans le cadre de la politique commerciale et agricole de l’Union européenne (UE), engage le Gouvernement allemand à demander à l’UE de procéder à une évaluation d’impact ex ante sur les droits de l’homme de tous les accords de libre-échange bilatéraux récents ou en cours de négociation, selon les principes directeurs proposés par le Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, ainsi qu’à une évaluation similaire de la politique agricole commune (PAC) avant l’adoption de la réforme pour la période 2013-2020. Dans le cadre de cette réforme, l’Allemagne devrait aussi proposer qu’il soit mis fin à toutes les exportations à prix cassés à destination des pays en développement et, à tout le moins, que cessent les subventions directes à l’exportation, indépendamment des résultats du Cycle de Doha. Elle devrait également proposer la mise en place, au niveau de l’UE, d’un mécanisme de plainte accessible aux individus ou aux groupes qui estiment que la PAC ou la politique commerciale de l’UE ont porté atteinte à leur droit à l’alimentation. L’Allemagne devrait enfin veiller à ce que les accords de libre-échange et les conditions de prêt du Fonds monétaire international (FMI) ne restreignent pas la marge d’action des pays en développement pour ce qui est de la protection de l’accès à leurs marchés, de leurs revenus et du droit de leur population à une alimentation suffisante. Elle devrait proposer que les clauses relatives aux droits de l’homme figurant dans les accords commerciaux soient modifiées de manière à permettre la révision des dispositions de ces accords qui se sont révélés préjudiciables pour les droits économiques, sociaux ou culturels.

43.M me  Drillisch (GegenStrömung) aborde la question des obligations extraterritoriales de l’Allemagne dans le contexte de la promotion des exportations, et recommande que le Gouvernement allemand adopte rapidement un cadre juridique régissant les plans de promotion des exportations, qui reconnaisse sans ambiguïté l’obligation extraterritoriale de respecter les droits de l’homme et qui mette en place des procédures d’évaluation, de réduction et de prévention des risques pesant sur ces droits ainsi que des mécanismes permanents de suivi et de dépôt de plainte. Elle recommande aussi que le Gouvernement allemand, conformément aux obligations extraterritoriales découlant du Pacte, s’emploie à faire inscrire dans les Approches communes des dispositions imposant aux organismes de crédit à l’exportation une procédure conforme aux normes internationales relatives aux droits de l’homme, les obligeant à faire preuve de la diligence voulue dans ce domaine.

44.M me Lüst (Aktion-GEN-Klage) dénonce l’utilisation croissante des organismes génétiquement modifiés (OGM) dans la production alimentaire et agricole, au mépris des études scientifiques et de l’expérience des agriculteurs, qui constitue une violation des droits économiques, sociaux et culturels de ces derniers et de ceux des consommateurs dans de nombreux pays du monde et met en danger leur sécurité alimentaire. L’ONG demande au Comité de faire part de ses préoccupations au Gouvernement allemand et de formuler à son intention des recommandations l’encourageant à mettre fin immédiatement à de telles violations.

Fédération de Russie

45.M me Nechushkina (L’auravetl’an Information and Education Network of Indigenous Peoples − LIENIP) dit que les peuples autochtones représentent 250 000 personnes en Fédération de Russie et qu’il s’agit d’un des groupes les plus marginalisés de la société russe. Le Ministère du développement régional, dont ces peuples relèvent au premier chef, a pris un certain nombre de mesures financières en leur faveur. Toutefois, l’intervenante estime que, pour favoriser l’intégration économique de ces groupes, les aides devraient être accordées non pas sur la base du seul critère ethnique mais plutôt sur celle du mode de vie, qui doit être véritablement traditionnel. Il convient de renforcer les droits de ces peuples sur leurs terres et sur leurs ressources naturelles. Le processus est engagé mais les progrès sont très lents et varient d’une région à l’autre.

46.M. Payot (FIDH – Anti-Discrimination Center «Memorial») appelle l’attention du Comité sur deux groupes vulnérables: les migrants et les sans-abri. Il demande que les autorités russes modifient la législation et les pratiques en vue de garantir le respect des droits sociaux et économiques, en particulier des migrants et des minorités ethniques, et qu’elles exercent un contrôle strict sur les entités privées afin de veiller au respect des droits de travailleurs migrants. Pour ce qui est des sans-abri, l’intervenant demande que les autorités russes modernisent le système d’enregistrement du lieu de séjour et mettent fin aux discriminations qui s’exercent à ce titre contre les Russes sans abri.

47.M me Barahona Riera souhaiterait obtenir des précisions sur les problèmes liés à l’enregistrement du lieu de séjour et sur la modernisation qui est demandée. Elle voudrait aussi savoir quel est le pourcentage de migrants en Fédération de Russie, d’où ils viennent et ce qu’il en est du trafic d’êtres humains et de ses réseaux. Elle demande également des précisions quant à la législation en vigueur ou aux projets de législation visant à protéger les droits des peuples autochtones. Enfin, elle souhaiterait avoir des renseignements supplémentaires sur la législation de la République de Moldova en matière d’avortement.

La séance est levée à 18 h 5.