Nations Unies

E/C.12/2021/1

Conseil économique et social

Distr. générale

23 avril 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits économiques, sociaux et culturels

Déclaration sur la vaccination universelle abordable contre la maladie à coronavirus (COVID-19), la coopération internationale et la propriété intellectuelle

Déclaration du Comité des droits économiques, sociaux et culturels *

1.La coopération scientifique internationale, un vaste effort de recherche et un appui financier conséquent des États ont permis la mise au point en un temps record de plusieurs vaccins sûrs et efficaces contre la maladie à coronavirus (COVID-19), sans compromettre la sécurité, puisque les protocoles et les principes directeurs internationaux qui existent à cet égard ont été suivis, et que les vaccins ont été approuvés par les autorités sanitaires des différents pays. Cependant, on ne parvient pas à tirer pleinement parti de cette immense réussite scientifique pour juguler la pandémie et atténuer les souffrances qu’elle a occasionnées, en raison de problèmes d’approvisionnement, le nombre de vaccins produits à ce jour étant insuffisant, et du fait que la production existante et les commandes de vaccins sont répartis inégalement sur le plan mondial. La plupart des vaccins ont été administrés dans les pays développés et à revenu élevé, et réservés à l’avance pour ces pays, tandis que souvent, la vaccination n’a même pas commencé dans les pays les moins avancés et les pays en développement. Cette situation n’est pas seulement synonyme de discrimination au niveau mondial dans le droit d’accès à la vaccination, elle compromet aussi les progrès accomplis dans la réalisation des objectifs de développement durable, en particulier pour ce qui est de l’objectif 3, permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous à tout âge, de l’objectif 10, réduire les inégalités dans les pays et d’un pays à l’autre, et l’objectif 17, renforcer les moyens de mettre en œuvre le Partenariat mondial pour le développement durable et le revitaliser. Elle constitue aussi une grave menace pour la santé mondiale. Si des milliards de personnes ne sont pas vaccinées rapidement, la contagion par le coronavirus 2 du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS-CoV-2) se poursuivra et d’autres personnes mourront. Une distribution lente et inéquitable des vaccins augmenterait aussi les chances de survenue de nouvelles mutations du virus, ce qui augmenterait les risques d’apparition de nouveaux variants qui se transmettent plus facilement, soient plus létaux et contre lesquels les vaccins actuels pourraient être moins efficaces.

2.Le décalage entre les immenses possibilités offertes par les vaccins d’améliorer la santé mondiale et les retombées positives limitées et inégales qu’ils ont eu à ce jour ont conduit le Comité à adopter la présente déclaration. Le Comité s’appuie dans celle-ci sur ses précédentes déclarations relatives à la COVID-19 de façon à rappeler aux États les obligations que leur impose le Pacte en ce qui concerne l’accès universel aux vaccins contre la COVID-19 et leur abordabilité, particulièrement en matière de coopération internationale et de propriété intellectuelle.

3.L’accès à un vaccin contre la COVID-19 qui soit sûr, efficace et fondé sur les meilleurs résultats scientifiques fait partie intégrante du droit pour toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable d’atteindre et de bénéficier du progrès scientifique et de ses applications. Les États ont donc l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires, à titre de priorité et en agissant au maximum de leurs ressources disponibles, pour garantir sans discrimination aucune à toutes les personnes l’accès aux vaccins contre la COVID-19. Cette obligation doit être appliquée au niveau national, et comporte en même temps une dimension internationale, car beaucoup de pays du monde ne produisent pas eux-mêmes de vaccins. Les États ont donc un devoir de coopération et d’assistance internationales consistant à garantir l’accès aux vaccins contre la COVID-19 où que ce soit nécessaire, notamment en utilisant leur droit de vote en qualité de membres de différentes institutions et organisations internationales et d’organisations d’intégration régionale comme l’Union européenne. Toutes ces organisations internationales devraient contribuer elles aussi à la réalisation de l’accès universel et équitable aux vaccins et s’abstenir de toute mesure contraire à cet objectif. Ainsi, les États doivent renforcer leur coopération internationale pour faire en sorte que l’on ait accès dès que possible à des vaccins abordables contre la COVID-19 partout dans le monde, y compris dans les pays en développement et les pays les moins avancés.

4.Le Comité regrette la course malsaine à laquelle se livrent actuellement les États pour les vaccins contre la COVID-19, qui a créé une sorte de monopole temporaire de certains pays développés sur les premiers vaccins qui devaient être produits, particulièrement en 2021, année décisive du point de vue de l’effort de vaccination, du fait que toute la capacité de production disponible à l’heure actuelle a déjà été achetée par ces pays. Étant donné le caractère mondial de la pandémie, les États ont l’obligation de soutenir les efforts menés pour rendre les vaccins accessibles partout dans le monde, en agissant au maximum de leurs ressources disponibles. Le nationalisme vaccinal enfreint l’obligation extraterritoriale qu’ont les États de s’abstenir de prendre des décisions qui limitent la capacité d’autres États de mettre des vaccins à la disposition de leur population et donc de s’acquitter de leurs obligations en matière de droits de l’homme concernant le droit à la santé, dès lors qu’il en résulte une pénurie de vaccins pour les personnes qui en ont le plus besoin dans les pays les moins avancés.

5.Le Comité réaffirme qu’au lieu de cet isolationnisme sanitaire, les États doivent honorer leur obligation de contribuer à l’exercice de tous les droits de l’homme, y compris le droit à la santé, partout dans le monde. La production et la distribution de vaccins doivent être organisées et soutenues par la coopération et l’assistance internationales, qui visent notamment à diffuser les avantages du progrès scientifique et de ses applications. Les États parties doivent établir les stratégies et les mécanismes nécessaires pour garantir une production suffisante et une distribution mondiale équitable de vaccins contre la COVID-19. Dans la distribution des vaccins au niveau mondial, et même national, les priorités doivent être établies en fonction des besoins médicaux et des considérations de santé publique. Dans ce contexte, le Comité salue les déclarations et les propositions visant à garantir un accès universel et équitable à la vaccination contre la COVID-19 qui ont été faites par différents États.

6.En particulier, le Comité exhorte tous les États, en particulier les pays les plus développés et ceux où les vaccins sont produits, à apporter tout l’appui financier et technique nécessaire au renforcement du Mécanisme COVAX pour un accès mondial aux vaccins contre la COVID-19 afin de permettre une distribution plus équitable des vaccins. Cependant, ce mécanisme ne résout pas le problème de la production insuffisante de vaccins. En conséquence, d’autres mesures doivent être prises d’urgence, notamment en matière de propriété intellectuelle, afin de parvenir, aussi rapidement qu’il est possible sur le plan technique, à un accès universel aux vaccins.

7.La plupart des vaccins approuvés sont soumis à un régime de droits de propriété intellectuelle. Il est juste que les entreprises privées ou les instituts de recherche publics qui ont créé les vaccins, non sans bénéficier d’aides financières considérables provenant de fonds publics, soient rétribués convenablement de leur effort d’investissement et de recherche. Le Comité rappelle cependant que les droits de propriété intellectuelle ne font pas partie des droits de l’homme, mais sont un produit social qui remplit une finalité sociale. En conséquence, il est du devoir des États parties de faire en sorte que les régimes juridiques de la propriété intellectuelle et des brevets n’entravent pas la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels. Comme il est énoncé dans la Déclaration de l’Organisation mondiale du commerce sur l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) et la santé publique (2001), le régime de propriété intellectuelle devrait être interprété et mis en œuvre d’une manière qui appuie le droit des États de « protéger la santé publique ».

8.Les entreprises, y compris pharmaceutiques, ont l’obligation, au minimum, de respecter les droits énoncés dans le Pacte ; des responsabilités spécifiques leur incombent en ce qui concerne la réalisation du droit à la santé, notamment en matière d’accès aux médicaments et aux vaccins. En particulier, les entreprises pharmaceutiques, notamment celles qui innovent, fabriquent des génériques et dont l’activité concerne les biotechnologies, ont des responsabilités, qui relèvent des droits de l’homme, concernant l’accès aux médicaments, qui recouvrent les principes actifs, les instruments de diagnostic, les vaccins, les produits biopharmaceutiques et les autres technologies de santé connexes. Dès lors, les entreprises devraient aussi s’abstenir d’invoquer les droits de propriété intellectuelle d’une manière qui ne serait pas compatible avec le droit qu’a toute personne d’accéder à un vaccin sûr et efficace contre la COVID-19 ou avec le droit qu’ont les États d’exercer les flexibilités prévues par l’Accord sur les ADPIC.

9.Les États parties ont l’obligation internationale de respecter l’exercice du droit à la santé dans les autres pays, et d’empêcher tout tiers, notamment toute entreprise, de violer ce droit dans d’autres pays s’ils sont à même d’influer sur ce tiers en usant de moyens d’ordre juridique ou politique compatibles avec la Charte des Nations Unies et le droit international applicable. Eu égard aux ressources disponibles, les États parties devraient faciliter l’accès aux soins, services et biens sanitaires essentiels, y compris les vaccins, dans d’autres pays, dans la mesure du possible, et fournir, au besoin, l’aide nécessaire. En outre, les États parties ont l’obligation extraterritoriale de prendre les mesures nécessaires pour empêcher que des violations des droits économiques, sociaux et culturels ne soient commises à l’étranger par des entreprises domiciliées sur leur territoire et/ou relevant de leur juridiction. Ils doivent donc prendre toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte que ces entreprises n’invoquent pas le droit de la propriété intellectuelle, que ce soit sur leur propre territoire ou à l’étranger, d’une manière qui serait incompatible avec le droit reconnu à toute personne d’avoir accès à un vaccin sûr et efficace contre la COVID-19.

10.Dans ce contexte, les États parties devraient, si nécessaire, utiliser toutes les flexibilités prévues dans l’Accord sur les ADPIC, notamment les licences obligatoires, pour augmenter la production et faire en sorte que tous aient accès à un vaccin sûr et efficace contre la COVID-19. Cependant, les flexibilités découlant de l’Accord sur les ADPIC se sont avérées insuffisantes jusqu’à présent pour garantir une offre suffisante de vaccins et une distribution équitable des vaccins, surtout dans les pays en développement. En particulier, les flexibilités sont applicables cas par cas, à l’issue de décisions prises par des pays déterminés concernant des produits précis, et sont assorties de conditions juridiques qui ne sont pas adaptées au traitement d’une crise sanitaire aussi exceptionnelle que celle qui résulte de l’actuelle pandémie. Ainsi, les procédures utilisées dans le cadre de l’Accord sur les ADPIC pour demander une licence obligatoire et pour l’accorder sont complexes et doivent répondre à plusieurs exigences, notamment celle de veiller à ce qu’une demande soit faite pour chaque produit protégé par un brevet et à ce qu’une fois accordée, la licence obligatoire soit utilisée principalement pour approvisionner le marché national. Dans le contexte de la pandémie, ces exigences limitent fortement la coopération internationale rapide qui s’impose, car elles entravent la capacité des pays qui sont à même de produire des vaccins de les exporter vers les pays qui en ont besoin. C’est aussi ce qui explique que certains pays et certaines entreprises qui ont les moyens techniques de produire les vaccins déjà approuvés s’en soient abstenus, par crainte d’être poursuivis pour violation de brevet. Il convient aussi d’aider les entreprises qui ont inventé des vaccins à assurer le transfert de technologies nécessaire pour augmenter la production dans d’autres pays et sur d’autres sites de production.

11.En raison des restrictions actuelles, qu’imposent les règles de propriété intellectuelle de l’Accord sur les ADPIC, il est très difficile de parvenir à la coopération internationale indispensable si l’on veut augmenter massivement la production et la distribution de vaccins, comme on en a aujourd’hui la possibilité technique et comme il est urgent de le faire, dans les proportions voulues pour que l’immunité collective soit atteinte le plus rapidement possible. C’est impératif pour empêcher des millions de décès évitables, surmonter les dislocations économiques et sociales créées par la pandémie et réduire les risques de mutations dangereuses du virus.

12.L’offre insuffisante de vaccins et leur répartition mondiale profondément inégale imposent de prendre d’urgence des mesures supplémentaires en ce qui concerne le régime de propriété intellectuelle. Dans ce contexte, certains États ont proposé que l’Organisation mondiale du commerce (OMC) soumette à une dérogation temporaire certaines des dispositions de l’Accord sur les ADPIC pour les vaccins et les traitements contre la COVID‑19, au moins jusqu’à temps que l’immunité collective mondiale contre la COVID‑19 soit atteinte et que la pandémie soit considérée comme maîtrisée. Cette proposition a reçu l’appui d’un certain nombre de titulaires de mandat au titre des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme, du Mécanisme d’experts sur le droit au développement, de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), d’États de plus en plus nombreux et d’un nombre croissant d’organisations scientifiques et humanitaires.

13.L’actuelle situation exceptionnelle créée par la pandémie vient rappeler avec force l’importance primordiale que revêt l’obligation qui s’impose à tous les États, en vertu de la Charte des Nations Unies, de contribuer à la jouissance de tous les droits de l’homme, y compris du droit à la santé, partout dans le monde, et l’obligation faite aux États parties de coopérer à l’échelle internationale pour assurer la pleine jouissance des droits économiques, sociaux et culturels. Dans ce contexte, les États ne devraient pas perdre de vue qu’il est techniquement possible d’augmenter la production et la distribution des vaccins de manière à parvenir rapidement à une vaccination contre la COVID-19 qui soit abordable et accessible pour tous. L’objectif le plus important est d’empêcher des décès et de pouvoir riposter à la pandémie dans les meilleurs délais. Des accords de licence et de transfert de technologies − fondés sur le partage volontaire, transparents, non exclusifs et axés sur la santé publique − favoriseront la concurrence et stimuleront la fabrication de vaccins à plus grande échelle. Tous les mécanismes, y compris les licences volontaires, les pôles de mise en commun de technologies, l’utilisation des flexibilités de l’Accord sur les ADPIC, et les dérogations à certaines dispositions relatives à la propriété intellectuelle ou certaines exclusivités commerciales, doivent être étudiés de près et exploités. Toutes ces initiatives ont leurs propres caractéristiques et pourraient être appliquées de façon différenciée et complémentaire, car il existe aussi des difficultés d’application propres à chacune d’entre elles. C’est pourquoi elles devraient être envisagées simultanément, d’après les différents besoins des pays et la capacité de chacun de les mettre en application aux niveaux national et international. La dérogation à certaines dispositions de l’Accord sur les ADPIC constitue donc un élément essentiel de ces stratégies complémentaires. En outre, l’absence d’approbation de la dérogation temporaire aux dispositions de l’Accord sur les ADPIC visant à garantir un accès équitable et abordable aux technologies médicales, y compris aux vaccins contre la COVID-19, serait aussi un obstacle à la reprise économique mondiale, qui est nécessaire pour surmonter les répercussions néfastes de la pandémie sur la jouissance de tous les droits économiques, sociaux et culturels. Dans ce contexte, le Comité recommande vivement aux États d’appuyer les propositions figurant dans cette dérogation temporaire, notamment en exerçant leur droit de vote à l’OMC.

14.Enfin, si la présente déclaration est surtout centrée sur l’accès équitable et universel aux vaccins contre la COVID-19, le Comité estime que ses considérations principales s’appliquent, mutatis mutandis, à l’obligation qu’ont les États de garantir également un accès universel et équitable au traitement de la COVID-19. Le Comité continuera d’étudier et de suivre les répercussions de la pandémie de COVID-19 sur les droits économiques, sociaux et culturels, en particulier quant au droit à la santé, dans l’exercice des divers mandats que lui confère le Pacte.