Nations Unies

E/C.12/2018/1

Conseil économique et social

Distr. générale

31 octobre 2018

Français

Original : anglais

Comité des droits économiques, sociaux et culturels

Les changements climatiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels

Déclaration du Comité des droits économiques, sociaux et culturels *

I.Introduction

1.Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels se félicite de la publication, le 8 octobre 2018, du Rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels. Ce rapport confirme que les changements climatiques font peser une menace considérable sur l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels.

2.Lors de l’adoption de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques en 1992, les États sont convenus de s’employer à stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique (art. 2). En décembre 2015, l’Accord de Paris a rappelé l’objectif mondial consistant à contenir l’élévation des températures nettement en dessous de 2 °C et ses parties se sont engagées à poursuivre l’action menée pour limiter la hausse des températures à 1,5 °C (art 2). Le GIEC montre dans son rapport publié le 8 octobre qu’il est impératif de respecter cette limite.

3.Le Comité accueille avec satisfaction les engagements déjà pris. Toutefois, indépendamment des engagements pris volontairement dans le cadre du régime applicable aux changements climatiques, tous les États ont des obligations en matière de droits de l’homme qui devraient servir de fil directeur à l’élaboration et à la mise en œuvre de mesures visant à remédier aux changements climatiques.

II.Effets des changements climatiques sur les droits de l’homme

4.Il a été amplement rendu compte des effets des changements climatiques sur les droits consacrés par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (A/HRC/32/23). Les changements climatiques ont déjà des effets sur le droit à la santé, le droit à l’alimentation et le droit à l’eau et à l’assainissement, et les choses vont encore s’accélérer. Du fait de l’augmentation prévue des températures saisonnières moyennes et de la fréquence et de l’intensité des épisodes caniculaires, le nombre de décès dus à la chaleur va s’accroître. Les changements climatiques pourraient entraîner près de 38 000 décès supplémentaires d’ici à 2030 et près de 100 000 décès supplémentaires d’ici à 2050, phénomène qui devrait toucher particulièrement l’Asie du Sud-Est. Les changements climatiques ont aussi des incidences sur la nutrition parce qu’ils modifient le rendement des cultures et entraînent la perte de moyens de subsistance, une aggravation de la pauvreté et la réduction de l’accès à l’alimentation, à l’eau et à l’assainissement. La perturbation de l’approvisionnement en eau et les températures élevées endommagent les cultures et favorisent la prolifération d’algues dans les réservoirs, tandis que l’acidification de l’océan a des répercussions sur la pêche. La Banque mondiale estime qu’une hausse de 2 °C de la température moyenne du globe exposerait entre 100 millions et 400 millions de personnes supplémentaires à un risque de famine et pourrait se traduire chaque année par plus de 3 millions de décès supplémentaires dus à la malnutrition. En 2014, l’Organisation mondiale de la Santé a estimé que, d’ici à 2030, la dénutrition serait responsable d’environ 95 000 décès supplémentaires par an chez les enfants âgés de 5 ans ou moins. Le droit au logement sera aussi touché. Tant l’élévation du niveau de la mer que les phénomènes météorologiques extrêmes, tels que les ouragans et les inondations, auront des incidences sur les établissements humains, notamment dans les zones urbaines et côtières où la densité est plus importante, et en particulier sur ceux qui sont déjà vulnérables. Les communautés et les peuples autochtones qui dépendent des ressources naturelles pour leur subsistance sont particulièrement touchés, et le seront encore à l’avenir.

III.Obligations des États en matière de droits de l’homme

5.En vertu du Pacte, les États sont tenus de respecter, protéger et mettre en œuvre tous les droits de l’homme pour tous. Cette obligation concerne non seulement leur propre population, mais a aussi un caractère extraterritorial, conformément aux articles 55 et 56 de la Charte des Nations Unies. Pour s’en acquitter, les États devraient agir en se fondant sur les données scientifiques les plus fiables dont ils disposent et sur le Pacte.

6.Le Comité a déjà souligné qu’il serait contraire à cette obligation de ne pas prévenir des atteintes prévisibles aux droits de l’homme provoquées par les changements climatiques ou de ne pas mobiliser les ressources disponibles dans toute la mesure possible afin de prévenir de telles atteintes. Les contributions déterminées au niveau national qui ont été annoncées jusqu’à présent sont insuffisantes par rapport à ce que les scientifiques estiment nécessaire pour éviter les effets les plus graves des changements climatiques. Afin d’agir conformément à leurs obligations en matière de droits de l’homme, les États devraient revoir ces contributions afin qu’elles correspondent mieux au « niveau d’ambition le plus élevé possible » mentionné dans l’Accord de Paris (art. 4, par. 3). Dans les futures directives de mise en œuvre de l’Accord, il faudrait exiger des États qu’ils tiennent compte de leurs obligations en matière de droits de l’homme lors de l’élaboration des contributions déterminées au niveau national, en gardant à l’esprit les questions de genre et les principes de participation, de transparence et de responsabilité effective et en s’appuyant sur les savoirs locaux et traditionnels.

7.Les États parties devraient en outre adopter des mesures pour s’adapter aux effets néfastes des changements climatiques et les intégrer dans leurs politiques sociales, environnementales et budgétaires au niveau national. Enfin, dans le cadre de leurs obligations d’assistance et de coopération internationales aux fins de la réalisation des droits de l’homme, les États à revenu élevé devraient aussi soutenir les efforts d’adaptation, en particulier dans les pays en développement, en facilitant le transfert de technologies vertes et en contribuant au Fonds vert pour le climat. Cela serait conforme à l’obligation qui incombe aux États parties au Pacte de garantir le droit de chacun de bénéficier du progrès scientifique et de ses applications et à la reconnaissance par le Pacte des bienfaits qui doivent résulter de l’encouragement et du développement de la coopération et des contacts internationaux dans le domaine de la science et de la culture (art. 15, par. 1 b) et 4).

IV.Contribution des mécanismes de protection des droits de l’homme

8.Dans certains pays, les tribunaux et les mécanismes de protection des droits de l’homme, notamment les institutions nationales des droits de l’homme, ont activement contribué à ce que les États s’acquittent de l’obligation qui leur est faite par les instruments relatifs aux droits de l’homme de lutter contre les changements climatiques. Des tribunaux ont en particulier accepté d’entendre les griefs d’organisations non gouvernementales ou de victimes des changements climatiques, et ont ordonné aux États d’adopter des plans d’action adaptés à l’urgence qu’il y a à atténuer les changements climatiques et, si nécessaire, à s’adapter à leurs effets inévitables.

9.Le Comité se félicite de cette évolution. Les mécanismes des droits de l’homme ont un rôle essentiel à jouer dans la protection des droits de l’homme en veillant à ce que les États ne prennent pas de mesures pouvant accélérer les changements climatiques et à ce qu’ils mobilisent autant de ressources disponibles que possible pour adopter des mesures propres à atténuer ces changements, notamment accélérer la transition vers les énergies renouvelables, telles que l’énergie éolienne ou solaire, ralentir la déforestation et opter pour l’agroécologie afin que les sols puissent jouer le rôle de puits de carbone, améliorer l’isolation des bâtiments et investir dans les transports publics. Il est urgent de remplacer, au niveau mondial, les hydrocarbures par des sources d’énergie renouvelables afin d’éviter une perturbation anthropique dangereuse du système climatique et les graves violations des droits de l’homme qu’une telle perturbation entraînerait.

10.Tant les États que les acteurs non étatiques ont le devoir de se conformer aux obligations relatives aux droits de l’homme qui leur incombent dans le contexte des changements climatiques. À cette fin, ils doivent respecter les droits de l’homme, en s’abstenant d’adopter des mesures qui pourraient aggraver les changements climatiques ; les protéger, en réglementant efficacement les activités des acteurs privés pour qu’elles n’aggravent pas les changements climatiques ; et les mettre en œuvre en adoptant des politiques propres à rendre les modes de production et de consommation plus durables d’un point de vue écologique. Les entreprises doivent respecter les droits énoncés dans le Pacte, qu’il existe ou non des lois internes ou que celles-ci soient, ou non, intégralement appliquées en pratique (voir l’observation générale no 24 (2017) sur les obligations des États en vertu du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels dans le contexte des activités des entreprises, par. 5). Les tribunaux et les mécanismes des droits de l’homme doivent veiller à ce que les activités des entreprises soient dûment encadrées afin de soutenir les initiatives des États contre les changements climatiques, plutôt que de les entraver.

V.Rôle du Comité

11.Dans le cadre de ses travaux futurs, le Comité continuera à suivre les effets des changements climatiques sur les droits économiques, sociaux et culturels et à fournir aux États des orientations concernant la manière dont ils peuvent s’acquitter de leurs obligations au titre du Pacte dans le contexte de l’atténuation des changements climatiques et de l’adaptation à leurs effets inévitables.