Cinquante-quatrième session

Compte rendu analytique de la première partie (publique)* de la 54e séance

Tenue au Palais des Nations, à Genève, le mardi 22 septembre 2015, à 15 heures

Président (e):M. Sadi

Sommaire

Examen des rapports :

Rapports soumis par les États parties en application des articles 16 et 17 du Pacte (suite)

Rapport initial du Burundi (suite)

La séance est ouverte à 15 h 5.

Rapports soumis par les États parties en application des articles 16 et 17 du Pacte (suite)

Rapport initial du Burundi (E/C.12/BDI/1; E/C.12/BDI/Q/1; E/C.12/BDI/Q/1/Add.1) (suite)

Sur l ’ invitation du Président, la délégation burundaise reprend place à la table du Comité.

M.  Mancisidor salue les importants progrès accomplis par le Burundi en matière d’accès à l’enseignement primaire au cours des cinq dernières années mais considère qu’il reste malgré tout beaucoup à faire dans ce domaine. Il aimerait savoir quand le pays prévoit d’assurer l’accès universel à l’éducation primaire et s’il envisage de rallonger la durée de l’enseignement obligatoire, qui est actuellement de six ans. Des informations complémentaires sur les mesures permettant d’améliorer la qualité de l’enseignement et sur les dispositifs employés pour évaluer la qualité de celui-ci seraient bienvenues.

Constatant que les Batwas ont un accès restreint aux droits économiques, sociaux et culturels, y compris au droit à l’éducation, M. Mancisidor souhaite savoir si l’État partie a adopté des politiques spécifiques pour promouvoir leur droit à l’éducation, en concertation avec leurs représentants. La situation des albinos en matière d’accès à l’éducation semble tout aussi problématique, voire inquiétante, si l’on s’en tient au fait que selon le rapport initial du Burundi (E/C.12/BDI/1), aucune mesure n’a été prise pour éviter la discrimination à leur égard dans le domaine éducatif.

S’agissant de la mise en œuvre de l’article 15 du Pacte, la délégation est invitée à indiquer quelles mesures et politiques ont été adoptées pour promouvoir le respect de la langue et de la culture batwas et si elles l’ont été en concertation avec les représentants de ces populations. Il serait également utile de savoir si le Burundi met en œuvre des programmes pour faciliter l’accès des petits paysans aux progrès et avancées scientifiques et technologiques et améliorer leur productivité agricole.

M.  Ribeiro Le ã o souhaite en savoir davantage sur la politique de réduction prioritaire des redoublements dont il est question au paragraphe 398 du rapport initial du Burundi et sur les méthodes employées pour évaluer la qualité de l’enseignement dispensé dans la dizaine d’universités privées créées au cours de la dernière décennie.

M.  Kedzia salue les excellents résultats obtenus par l’État partie en matière de droit à l’éducation, celle-ci étant désormais gratuite. Il s’inquiète cependant des informations selon lesquelles les directeurs d’école auraient pour habitude d’imposer des frais obligatoires aux parents, ce qui pousserait ces derniers à déscolariser leurs enfants, faute de moyens. D’autres sources indiquent que très peu de Batwas parviennent au niveau universitaire, ce qui est alarmant car cela signifie que tout un pan de la population burundaise n’a pas accès à l’éducation. L’État partie devrait s’attacher à ce que ses lois, aussi justes et louables soient-elles, sont effectivement suivies d’effet.

M me Gomez  demande à la délégation d’infirmer ou de confirmer les statistiques sur l’enseignement qui montrent que beaucoup plus de garçons que de filles poursuivent le cycle d’enseignement secondaire et d’indiquer, si ces chiffres sont avérés, ce que les autorités envisagent de faire pour enrayer cette tendance. Il serait également intéressant de savoir quelles mesures les autorités ont prises pour protéger l’artisanat traditionnel des Batwas qui est menacé de disparition car les poteries à usage culinaire qu’ils fabriquent sont de plus en plus remplacées par des ustensiles en métal, plus résistants.

M. de  Schutter (Rapporteur pour le Burundi) souhaite savoir pourquoi un grand nombre d’écoliers abandonnent l’école avant la fin du cycle primaire et ce que le Gouvernement entend faire pour remédier à cette situation.

Le Président , s’exprimant en qualité de membre du Comité, souhaite savoir si les fillettes scolarisées en milieu rural ont accès aux services d’assainissement et si les droits de l’homme et les causes profondes des conflits qui ont touché le pays pendant de longues années sont traités par les manuels scolaires. Il aimerait également des statistiques sur le niveau de revenu des parents qui envoient leurs enfants dans les écoles privées.

M.  Nivyabandi (Burundi), répondant aux questions posées par les experts à la séance précédente, dit que les personnes porteuses du VIH/sida ont certes été stigmatisées et marginalisées par le passé parce que considérées comme incarnant une forme de malédiction pesant sur leur famille, mais ne sont plus aujourd’hui victimes de discrimination. Les mentalités ont évolué, notamment grâce aux deux plans quinquennaux de lutte contre le sida portant sur les périodes 1999-2003 et 2007-2011 et au plan stratégique national 2012-2016. Ces personnes sont aujourd’hui mieux prises en charge et considérées comme des patients ordinaires. Une instance nationale que dirige le Président de la République et plusieurs organismes présidés par des comités communaux et provinciaux poursuivent les activités de sensibilisation dans ce domaine.

Évoquant le question de la privatisation de la filière du café, le représentant dit que le Burundi compte aujourd’hui de très nombreuses coopératives composées de dizaines de caféiculteurs qui achètent et revendent le café produit dans le pays. Le problème dans ce secteur est double : d’une part, les cours mondiaux du café sont au plus bas, ce qui exigera la mise en place d’un fonds de stabilisation pour pallier la chute des cours et, d’autre part, la culture du café ne devient rentable que trois ans après la plantation de caféiers. C’est la raison pour laquelle de nombreux cultivateurs se tournent vers les cultures vivrières, qui assurent leur sécurité alimentaire immédiate.

Plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) luttent contre la violence à l’égard des femmes. Les violences que le pays a connues durant les longues années de la guerre civile ont été intériorisées par les enfants qui, devenus adultes, les ont perpétuées, ce qui a contribué à leur institutionnalisation. La Commission vérité et réconciliation mène une action de fond afin de faire triompher la non-violence.

Répondant aux questions posées à la délégation à la séance en cours, M. Nivyabandi dit que le taux d’accès à l’enseignement a beaucoup augmenté et que le taux d’abandon scolaire, qui touche les filles davantage car elles sont traditionnellement affectées aux tâches domestiques et aux travaux agricoles, s’explique principalement par la pauvreté des parents. Le Gouvernement mène des programmes en coopération avec le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) pour créer des cantines scolaires et a aussi pris des mesures incitatives en direction des parents qui acceptent de laisser leurs filles poursuivre l’école. Cette politique a eu des résultats très prometteurs dans certaines régions du pays. La réforme de l’enseignement de base a fait passer l’âge de la scolarisation obligatoire de six à neuf années. L’évaluation de la qualité de l’enseignement primaire est confiée aux inspections régionales.

Tous les Burundais parlent la même langue, le kirundi, et partagent la même culture. Aucun groupe de population ne revendique de particularismes, malgré certaines spécificités : les Hutus pratiquent traditionnellement l’agriculture, les Tutsis l’élevage et les Batwas la poterie. Ces derniers, qui ne parviennent plus à assurer leur survie grâce à cette activité devenue désuète, font l’objet de mesures de soutien de la part d’associations et du Gouvernement qui s’efforcent de leur assurer un niveau de vie décent. Le Ministère en charge de l’artisanat s’emploie d’ailleurs à promouvoir la poterie en tant qu’activité artisanale et artistique, de façon à valoriser le travail des femmes batwas.

S’agissant des personnes atteintes d’albinisme, les mentalités ont évolué : jadis considérées comme une malédiction, elles ne font aujourd’hui l’objet d’aucune discrimination et bénéficient elles aussi du soutien d’associations qui veillent à ce que leurs droits soient garantis.

Le Gouvernement s’est donné pour objectif d’instaurer l’enseignement primaire universel. Pour cela, il devra combattre l’abandon scolaire en primaire et faire comprendre aux parents que l’avenir des enfants passe par l’éducation, les diplômes étant la seule « propriété mobile » qui permet de s’exporter. Depuis 2011, autant de filles que de garçons sont scolarisées dans le primaire, et les filles sont de plus en plus nombreuses à poursuivre leurs études dans le secondaire. Les écoles primaires ont l’interdiction de percevoir des frais de scolarité et perçoivent des subventions de la part des directions communales d’enseignement.

Les provinces touchées par la famine liée à la sécheresse, notamment celle de Kirundo et de Muramvya, connaissent un fort taux d’abandon scolaire. En collaboration avec le Programme alimentaire mondial (PAM) et l’UNICEF, des cantines scolaires, auxquelles ont accès les Batwas et les personnes déplacées, ont été créées pour tenter d’enrayer ce phénomène.

Face à la pression démographique et à la forte augmentation du nombre d’étudiants depuis les années 1990, le Gouvernement burundais a encouragé la création d’universités privées. Si la Commission nationale de l’enseignement supérieur veille à ce que les universités dispensent un enseignement de qualité, les ressources allouées au secteur de l’éducation sont insuffisantes. Le pays ayant besoin d’ingénieurs agronomes et civils, il faudrait que les étudiants privilégient les filières techniques plutôt que générales, ce qui offrirait davantage de débouchés aux jeunes diplômés. Le nombre de Batwas à l’université commence à augmenter.

Pour réduire la fracture numérique et offrir un accès à Internet moins coûteux que celui proposé via le satellite dans les cybercafés, le Gouvernement a nommé un secrétaire exécutif pour les technologies de l’information et de la communication, a exonéré de droits de douane le matériel informatique importé de l’étranger et a favorisé le déploiement du réseau de fibre optique qui s’élargit progressivement aux zones rurales.

Dans le cadre de la politique de réconciliation et de la création de villages ruraux intégrés, les rapatriés vivant encore dans des camps de déplacés sont invités à se réinstaller progressivement dans des villages proches de leur lieu d’origine. Des échanges sont actuellement en cours avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés afin d’organiser le retour volontaire de ces personnes.

Des efforts ont été consentis pour élargir l’accès à l’eau potable, à l’hygiène et à l’assainissement, notamment grâce à l’aménagement des sources. Actuellement, la couverture du réseau d’assainissement s’étend à 80 % du territoire. Dans les écoles, des systèmes de collecte et de purification des eaux pluviales ont été mis en place, ce qui améliore grandement l’hygiène des filles.

En cette période postconflit, de nombreuses mesures ont été prises pour sensibiliser la population aux droits de l’homme, notamment au droit à la vie. Ces droits, et plus précisément le principe de cohabitation pacifique entre les membres des différentes communautés, ont été inscrits dans les programmes scolaires de l’enseignement primaire. La Commission vérité et réconciliation prépare actuellement toute une série d’actions dans ce domaine. Un service chargé de l’éducation à la paix a en outre été créé au sein du Ministère de la solidarité nationale, des droits de la personne humaine et du genre.

L’extension de la protection sociale est encore embryonnaire et un fonds d’appui à la protection sociale a été créé récemment pour permettre une certaine redistribution des revenus. Bien que le Burundi ait construit de nombreuses infrastructures, notamment routières, il demeure un pays enclavé, ce qui renchérit le coût des marchandises arrivant par la mer depuis la Tanzanie.

M. de  Schutter (Rapporteur pour le Burundi) demande si le Burundi envisage de poursuivre sa politique de villagisation, soutenue par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), malgré les difficultés rencontrées, notamment en matière d’emploi. Compte tenu des difficultés pratiques importantes de la lutte contre la corruption, M. de Schutter demande s’il serait opportun de modifier la loi no 1-12 du 18 avril 2006 sur la prévention et la répression de la corruption et des infractions connexes en vue de protéger les lanceurs d’alerte. Il s’enquiert également des mesures qui pourraient être prises pour mieux lutter contre le blanchiment d’argent.

M. de Schutter demande quelles mesures sont envisagées pour appliquer pleinement la politique foncière et les programmes de certification foncière car, d’après les informations dont le Comité dispose, les moyens d’application sont insuffisants et les autorités publiques utilisent de manière trop souple la notion d’intérêt, parfois au bénéfice d’investisseurs privés. La délégation pourrait préciser également si le dialogue engagé depuis huit ans avec la Banque mondiale sur la privatisation de la filière du café tient compte du droit à l’alimentation des caféiculteurs et si elle dispose de données actualisées à communiquer pour le nombre d’inspecteurs du travail.

M.  Uprimny demande si l’inamovibilité des juges est garantie et si la nomination des juges par une commission judiciaire est une décision provisoire ou permanente.

La séance est suspendue à 16 h  30; elle est reprise à 16 h  40.

M.  Nivyabandi (Burundi) dit que le projet de villagisation est actuellement axé sur l’amélioration de l’habitat. En 2006, un projet de loi a été rédigé pour réformer la loi contre la corruption et protéger les lanceurs d’alerte. En coopération avec la Suisse, un projet de guichet foncier communal a été lancé dans des communes pilotes pour délimiter les propriétés et délivrer des certificats de titre foncier.

Le principal problème de l’agriculture burundaise concerne le mariage des cultures vivrières et de rente et la stabilisation des prix. De nombreux agriculteurs choisissent de remplacer leurs plantations de café par des cultures de soudure.

Le Burundi compte actuellement 12 inspecteurs du travail et 3 contrôleurs du travail. Lorsque des ressources supplémentaires pourront être allouées, chaque région pourra être dotée d’un inspecteur au moins.

Les recommandations formulées à l’issue des états généraux de la magistrature tenus à Gitega en 2013 ont permis de renforcer l’indépendance de la justice, notamment en établissant un concours de la magistrature. Un juge ne peut être muté sans son accord, y compris dans le cadre d’un promotion.

M. de  Schutter (Rapporteur pour le Burundi) remercie la délégation pour les renseignements de qualité qu’elle a fournis au Comité et pour son attitude très constructive. Il espère que les observations finales du Comité seront largement diffusées pour permettre une forte prise de conscience des droits économiques, sociaux et culturels.

M.  Nivyabandi (Burundi) remercie le Comité pour la qualité des échanges auxquels a donné lieu l’examen du rapport de l’État partie. Le Burundi est résolu à appliquer le Pacte dans la mesure du possible, dans un monde en mutation marqué par des crises socioéconomiques, et dans un contexte où l’histoire et la culture ont un poids important, afin de réaliser pleinement les droits économiques, sociaux et culturels.

Le  Président remercie la délégation et rappelle que le rôle du Comité est d’aider les États parties à respecter les obligations qu’ils ont contractées en ratifiant le Pacte.

La première partie (publique) de la séance prend fin à 17 h 5.