Nations Unies

E/C.12/2011/SR.12

Conseil économique et social

Distr. générale

26 mai 2011

Original: français

Comité des droits économiques, sociaux et culturels

Quarante -sixième session

Compte rendu analytique de la 12 e séanc e

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le lundi 9 mai 2011, à 15 heures

Président: M. Pillay

Sommaire

Examen des rapports:

a)Rapports présentés par les États parties conformément aux articles 16 et 17 du Pacte (suite)

Deuxième rapport périodique du Yémen

La séance est ouverte à 15 h 5.

Examen des rapports

a)Rapports présentés par les États parties conformément aux articles 16 et 17 du Pacte (point 7 de l ’ ordre du jour) (suite)

Deuxième rapport péri odique du Yémen (E/C.12/YEM/2; document de base (HRI/CORE/1/Add.115); liste des points à traiter (E/C.12/YEM/Q/2); réponses écrites du Gouvernement yéménite à la liste des points à traiter (E/C.12/YEM/Q/2/Add.1) en anglais et arabe seulement))

1.Sur l ’ invitation du Président, la délégation yéménite prend place à la table du Comité.

2.Le Président souhaite la bienvenue à la délégation yéménite et l’invite à présenter le deuxième rapport périodique de l’État partie.

3.M. Al-Rassas (Yémen) indique que le Gouvernement yéménite, soucieux de continuer de s’acquitter de ses obligations au titre des instruments internationaux et de promouvoir l’application de l’ensemble des droits économiques, sociaux et culturels, estime essentiel de pouvoir dialoguer avec le Comité et, ainsi, lui permettre de se faire une idée concrète de la situation sur le terrain et des obstacles rencontrés, compte tenu en particulier des événements qui bouleversent la région et des difficultés qui en découlent pour respecter pleinement les droits de l’homme, notamment en matière de sûreté et de sécurité.

4.En vertu de la Constitution yéménite, qui englobe toutes les catégories de la société et énonce les principes relatifs aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, le pouvoir souverain est détenu par le peuple, et les organes législatifs locaux et nationaux sont chargés de faire respecter les droits. Au cœur des valeurs de la société yéménite, la justice, la liberté et l’égalité garantissent l’égalité de chances pour tous. Les autorités sont tenues de protéger les femmes et les enfants, et l’armée et les forces de l’ordre ont autant de droits que de devoirs. Les principes définis ayant trait à l’égalité ne peuvent être modifiés que dans des cas exceptionnels. Depuis l’unification du pays, tous les citoyens, y compris les femmes, jouissent de leurs droits fondamentaux et participent activement à la vie politique. Les décisions sont prises par le peuple dans le cadre d’un système multipartite reposant sur la liberté d’expression et la décentralisation administrative et financière, avec la participation de la société civile.

5.Avec le soutien des pays donateurs et en coopération avec les organisations de la société civile, le Yémen s’efforce d’étoffer et de moderniser sa législation régissant les droits fondamentaux, en particulier ceux des femmes et des enfants, conformément aux instruments internationaux auxquels il est partie, mais pour autant qu’ils soient positifs, ces changements n’en sont pas moins récents. Il est donc particulièrement difficile d’éliminer complètement les violations des droits de l’homme, dues non pas à des lacunes juridiques mais, le plus souvent, à des traditions et coutumes qui exigent de la patience et un travail de sensibilisation, ainsi que la concertation entre les autorités, l’opposition et la société civile.

6.Ces trois dernières années, le Yémen a adopté plusieurs lois et stratégies relatives aux femmes − axées notamment sur le développement, l’emploi des femmes et la santé procréative −, qui visent à combler le fossé qui les sépare des hommes à tous les niveaux. Un service consacré à l’éducation des filles a été créé au sein du Ministère de l’enseignement technique et professionnel et du Ministère de l’enseignement et de l’éducation. Le Conseil des ministres a approuvé les recommandations du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et adopté des mécanismes ayant trait à la petite enfance, au trafic des enfants, aux enfants des rues et aux violences à l’encontre des enfants, mais aussi à la reconversion professionnelle, à la corruption, au blanchiment de l’argent et au financement du terrorisme. En outre, grâce à des amendements législatifs, les enfants de femmes yéménites mariées à des étrangers peuvent désormais obtenir la nationalité yéménite.

7.Sur le plan international, le Gouvernement a approuvé la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, et des lois et amendements ont été adoptés en vue de l’entrée du Yémen au sein de l’Organisation mondiale du commerce. Par ailleurs, le pays s’est doté d’une stratégie de réforme nationale 2011-2015, et du quatrième plan de développement 2011-2015 visant à promouvoir la croissance économique et à mettre un terme à la pauvreté et au chômage, tout en renforçant la protection sociale. Le Gouvernement a en outre adopté un projet relatif à la main-d’œuvre yéménite employée dans les pays du Conseil de coopération du Golfe, et créé plus de 60 000 emplois à l’échelle nationale pour les diplômés des universités et des instituts techniques, faisant également bénéficier de la sécurité sociale plus de 500 000 personnes supplémentaires, ce qui porte à 1 230 000 le nombre de bénéficiaires. De plus, dans le pays − déclaré en 2009 indemne de poliomyélite −, des lois ont été adoptées ou modifiées dans les domaines de la santé publique, de la lutte contre le VIH/sida, de l’analphabétisme et de l’enseignement supérieur, et des stratégies ont été approuvées dans les domaines de la santé, de la santé mentale, ainsi que de la sécurité alimentaire.

8.Même s’il est sur la voie de la stabilité politique et économique, indispensable à la protection des droits et libertés, le Yémen est confronté aux crises alimentaire et économique mondiales, dont les répercussions négatives se font encore sentir, tout comme celles des changements climatiques, de la rébellion dans le nord du pays ou encore des attaques d’Al-Qaida, autant de facteurs d’une instabilité peu propice aux investissements et aux capitaux étrangers, pourtant nécessaires au redressement de l’économie. À l’image des autres pays arabes, le Yémen vit de profonds bouleversements dus à des circonstances exceptionnelles, qui ont des incidences sur les politiques mises en œuvre. Conformément à sa Constitution et aux valeurs démocratiques, le Yémen a toujours été partisan d’une transition pacifique. Convaincu que les conflits, notamment politiques et sociaux, ne peuvent être résolus que par un dialogue transparent, responsable et mené avec sérieux, le Yémen entend, à cet effet, prendre en considération les ambitions des différents partis politiques.

9.Évoquant l’initiative prise par les ministres des affaires étrangères des pays du Conseil de coopération du Golfe en faveur du règlement pacifique des problèmes politiques, M. Al-Rassas dit que les autorités et l’opposition doivent coopérer, avec l’appui des pays du Golfe, de l’Union européenne et des États-Unis, afin de garantir les droits des Yéménites dans un climat sain et stable, et de faire face aux différents problèmes: croissance démographique aiguë, dispersion géographique de la population, absence d’investissements étrangers, taux d’analphabétisme élevé, instabilité de la corne de l’Afrique, flux des réfugiés, augmentation des attaques de pirates et du terrorisme, hausse de la dette extérieure due à la pénurie de ressources. Le Gouvernement s’efforce de relever le produit intérieur brut par habitant, de contrôler l’inflation, de rationnaliser les dépenses, de gérer le déficit financier et de consolider le filet de sécurité sociale. Soulignant qu’un pays ne peut fonctionner si l’ensemble des parties prenantes n’a pas à cœur la protection des droits de l’homme et le respect de la dignité humaine, M. Al-Rassas conclut en précisant que le Gouvernement yéménite attend avec intérêt les observations et les questions du Comité.

Articles 1er à 5 du Pacte

10.M. Kedzia (Rapporteur pour le pays), relevant que les réponses écrites de l’État partie à la liste des points à traiter sont incomplètes, souligne tout d’abord la nécessité d’évaluer de façon exhaustive les répercussions des investissements et des projets sur les droits économiques, sociaux et culturels, et souhaite en savoir plus sur la suite donnée aux recommandations formulées par le Comité. Il demande quel est le statut du Pacte dans l’ordre juridique interne, s’il a un caractère contraignant et si ses dispositions peuvent être invoquées devant les tribunaux. Il s’enquiert de la création d’une institution nationale chargée des droits de l’homme qui soit conforme aux Principes de Paris.

11.M. Kedzia souhaite également savoir si le Yémen prévoit d’adopter une loi générale sur l’égalité et de prendre des mesures pour protéger les droits économiques, sociaux et culturels des groupes vulnérables. Il relève le nombre particulièrement faible de femmes candidates aux élections, membres du Conseil consultatif (Shoura), ministres, ambassadrices et juges, ainsi que le maintien de l’obligation, pour toute femme cherchant un emploi dans le secteur public, d’obtenir l’autorisation d’un homme de la famille. Il s’inquiète en outre de la lenteur de la mise en œuvre des initiatives visant à éliminer les facteurs de discrimination à l’égard des femmes et s’enquiert des mesures prises pour mettre la législation yéménite en conformité avec le Pacte. Enfin, relevant que les Akhdams sont l’objet de discriminations multiples, et se référant à l’Observation générale no 20 (2009) du Comité, qui met l’accent sur l’élimination de la discrimination systémique, il demande si le Gouvernement prévoit de prendre des dispositions pour éliminer la discrimination à l’encontre de ce groupe.

12.M. Kerdoun souhaite savoir si le fossé entre hommes et femmes, notamment dans le domaine de l’éducation, est dû à la pauvreté, au poids des us et coutumes, de la culture, voire de la religion, ou à des raisons économiques. Il s’enquiert de l’origine des difficultés rencontrées par les femmes dans le domaine de l’éducation, sachant qu’elles ont accès à l’enseignement à tous les niveaux (primaire, secondaire, supérieur, technique, professionnel).

13.Évoquant le choix fait de la décentralisation après l’unification du pays, qui confère des pouvoirs aux autorités locales (art. 145 de la Constitution), M. Kerdoun souhaite savoir si les investissements sont répartis équitablement entre les différentes unités administratives et s’ils permettent de mener à bien les projets et programmes de développement à l’échelle locale, sachant que les financements relèvent toujours du pouvoir central. Il pose en outre la question de l’indépendance véritable du Ministère des droits de l’homme et demande si, en cas de violations des droits de l’homme, ce Ministère est tenu de s’aligner sur les décisions du Gouvernement et du Conseil des ministres.

14.M. Tirado Meija regrette que le Yémen n’ait pas davantage tenu compte des recommandations formulées à son égard par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels à l’occasion de la présentation de son rapport initial, notamment en matière d’égalité entre les sexes. Si une femme peut désormais transmettre la nationalité à ses descendants, il reste encore de nombreux domaines où des progrès sont attendus. Divers facteurs peuvent jouer en matière de discrimination, comme la culture ou la pauvreté parfois, mais il faut avant tout une volonté politique et des moyens financiers. L’argument selon lequel la discrimination à l’égard des femmes est d’ordre culturel vaut presque partout dans le monde; cela n’empêche nullement les pays de progresser dans cette lutte. Il ne suffit pas d’inscrire l’égalité de droits dans la Constitution, comme l’a fait le Yémen, encore faut-il prendre des mesures concrètes dans ce sens et adopter une législation plus complète visant expressément l’égalité entre les sexes. M. Tirado Meija déplore que le pays n’ait pas pénalisé le crime d’honneur, ni érigé en infraction pénale le viol entre conjoints. Par ailleurs, il souhaiterait savoir quelles mesures concrètes sont prises en faveur des Akhdams, dont 90 % des enfants n’atteignent pas l’enseignement secondaire. Il demande ce qui est fait pour lutter contre la consommation du qat qui, outre le fait d’être nocif pour la santé, monopolise une partie des revenus des ménages. Pour trouver des solutions aux problèmes qu’il affronte, le Yémen pourrait requérir l’appui de la communauté internationale et faire appel, notamment, aux nombreux organismes des Nations Unies spécialisés dans les domaines visés.

15.M me Shin, après s’être félicitée de la présence d’une délégation dans cette période si troublée, constate que l’État partie rencontre nombre de difficultés pour protéger les droits de l’homme et en particulier les droits économiques, sociaux et culturels, et demande ce que représente l’aide internationale dans le budget national. Si la corruption a pris tant d’importance dans le pays malgré l’existence de mécanismes de lutte contre ce phénomène, c’est sans doute par manque de transparence et de responsabilisation mais aussi en raison de l’impunité qui règne. Il ne s’agit donc pas tant d’un problème de sensibilisation de l’ensemble de la population, que de répression: tout agent de l’État corrompu doit être sanctionné et renvoyé. Il semblerait que la discrimination au Yémen prenne de nombreux visages et touche, par exemple, les femmes, les minorités ethniques ou encore les personnes handicapées, d’où l’étonnement de Mme Shin devant le faible nombre de plaintes − 1 500 environ − reçues par le Ministère des droits de l’homme en deux ans. Elle aimerait savoir de qui émanent ces plaintes, combien ont été adressées par des femmes, des membres de minorités ethniques, des personnes handicapées ou des personnes contaminées par le VIH/sida, par exemple, et quelle suite y est donnée puisque le Ministère − qui n’est pas une institution de défense des droits de l’homme − ne peut offrir aucune réparation. Elle demande également si une femme peut accéder à la présidence du pays, la formulation de l’article 107 de la Constitution de la République du Yémen portant à penser que cette fonction est réservée à un homme. Considérant qu’un mariage précoce est nécessairement un mariage forcé, Mme Shin déplore que, dans l’État partie, le mariage à 15 ans soit autorisé même s’il requiert le consentement des parents; elle demande ce que l’État partie fait pour lutter contre les mariages forcés, phénomène lié à de nombreux autres problèmes (viol, violence domestique, traite des êtres humains, ou accès au droit à l’éducation et à la santé).

16.M. Texier souhaite savoir quels sont le budget et les pouvoirs du Ministère des droits de l’homme, dont une des missions est de sensibiliser l’opinion à l’ensemble des droits et libertés publics et privés. Il se demande si cette mission ne serait pas remplie plus efficacement par des cours dispensés à tous les niveaux d’enseignement. De même, il semblerait que recevoir et traiter des plaintes − autres attributions du Ministère − relèvent davantage des prérogatives des juges et des procureurs. S’interrogeant également sur les moyens d’action des agents du Ministère lorsqu’ils constateront par exemple, lors de leurs visites de centres de détention, que ceux-ci n’offrent pas les conditions d’hygiène voulues ou qu’ils sont surpeuplés, M. Texier en arrive à la conclusion qu’il faudrait mettre en place une commission indépendante des droits de l’homme. Par ailleurs, il demande si les tribunaux appliquent directement le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et souhaite, dans l’affirmative, disposer d’exemples de la jurisprudence en la matière, au plus tard dans le prochain rapport périodique de l’État partie. La délégation yéménite est également invitée à préciser si l’État partie prévoit de ratifier dans un avenir proche le Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

17.M. Schrijver s’étonne que le document de base (HRI/CORE/1/Add.115), qui date de 2001, n’ait pas été actualisé, comme le veut la pratique. Il s’inquiète du fait que les données statistiques, une fois combinées, montrent qu’un nombre très important de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté au Yémen, ce qui va de pair avec les taux très élevés de chômage et d’analphabétisme. Il s’enquiert des mesures prises récemment pour renforcer l’efficacité des stratégies mises en place dans ces domaines. En outre, il serait utile de savoir dans quelle mesure l’application du Pacte pourrait aider les autorités à instaurer une stabilité économique dans le pays, à la lumière des événements qui s’y déroulent.

18.M. Sadi dit que l’importance de la délégation − nombreuse et composée de membres de haut niveau − atteste l’intérêt que porte l’État partie au dialogue avec le Comité. Si, comme l’a indiqué le chef de la délégation dans son discours liminaire, la difficulté à résoudre certains problèmes est souvent due au poids des traditions culturelles, cette position mériterait d’être précisée, car elle risquerait d’échapper aux personnes peu familiarisées avec les traditions arabes. La délégation est par ailleurs invitée à faire part des mesures concrètes prises pour lutter contre la corruption, et pour mettre en œuvre toutes les recommandations formulées dans le cadre de l’Examen périodique universel. S’il peut y avoir des avantages à disposer d’un Ministère des droits de l’homme, celui-ci ne peut cependant pas avoir les mêmes prérogatives qu’une institution indépendante conforme aux Principes de Paris, dont M. Sadi espère vivement la mise en place. Si les institutions yéménites ne font pas figure d’exception en ne comptant que très peu de femmes dans leurs rangs, il faudrait néanmoins que les autorités s’attachent à y remédier, éventuellement par un système de quotas. Par ailleurs, il conviendrait que le Pacte soit juridiquement contraignant au Yémen.

19.M. Ribeiro Leão dit qu’à la lecture des documents fournis par l’État partie, on pourrait croire qu’il existe, dans le pays, une stratégie transversale de lutte contre la pauvreté s’appuyant sur les principes de l’égalité et de la non-discrimination. Or, paradoxalement, cette stratégie ne transparaît pas dans les statistiques dont le Comité dispose. La délégation est donc invitée à donner des précisions sur cette stratégie et sur l’application de ces principes aux étrangers.

20.M. Abashidze dit que le Yémen, partie à plusieurs instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et ayant dû, à ce titre, reconnaître le droit de pétition auprès d’un organe conventionnel une fois tous les recours internes épuisés, pourrait être prêt à ratifier le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. La délégation est invitée à expliquer pourquoi, alors que d’autres pays arabes l’ont fait, les parlementaires refusent d’adopter une loi fixant l’âge minimum du mariage à 17 ans, jugée «contraire à l’islam», et indiquer si les très jeunes filles qui sont données en mariage par leur père ont un recours contre cette décision. Par ailleurs, le Yémen étant historiquement un pays d’immigration, il pourrait envisager de ratifier la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.

21.M. Abdel-Moneim salue le fait que M. Al-Rassas, dans son discours, n’ait pas nié l’existence de certaines violations des droits de l’homme et qu’il ait évoqué les raisons pour lesquelles il était parfois difficile de les empêcher. Dans ce discours, il était dit que l’État partie avait besoin de la coopération internationale pour appliquer le Pacte, comme l’y invite l’article 2; or, ceci n’apparaît pas clairement à la lecture du rapport. La délégation est priée de clarifier la position du Yémen à cet égard. M. Abdel-Moneim demande également si la conférence internationale sur le Yémen, tenue début 2010 à Londres, a été suivie d’effets et si l’État partie a bénéficié de la coopération des institutions financières internationales.

22.M. Riedl, revenant sur le problème du qat, rappelle qu’au paragraphe 41 des observations finales formulées en 2003 (E/C.12/1/Add.92), le Comité invitait l’État partie à prendre des mesures efficaces pour y remédier. Or, aux paragraphes 143 à 147 du deuxième rapport périodique de l’État partie (E/C.12/YEM/2), la culture du qat est présentée sous un angle plutôt positif: il est dit en particulier que les superficies qui lui sont consacrées ont été multipliées par 18 entre 1970 et 2005, au détriment des autres cultures. M. Riedl souhaite savoir si ces superficies ont encore augmenté depuis 2005. Il souhaite également des précisions quant au contenu du troisième plan de développement, à sa date de mise en œuvre et aux résultats concrets auxquels il a abouti. M. Riedl insiste sur la nécessité de disposer de données sur plusieurs années, pour pouvoir mesurer l’évolution et les progrès réalisés. Donnant l’exemple des mesures d’accompagnement prises en Allemagne après l’adoption des lois antitabac, il demande à la délégation si l’État partie envisage des solutions de ce type pour remplacer progressivement le qat par d’autres cultures.

23.M. Al-Rassas (Yémen) indique qu’à l’issue d’un débat entre juristes de haut niveau organisé par l’Université de Sanaa, il a été établi que les traités internationaux, du fait de leur ratification, devenaient une norme de droit interne que tout avocat pouvait invoquer devant un tribunal national. Des cours sur les traités internationaux relatifs aux droits de l’homme, et notamment aux droits économiques, sociaux et culturels, sont prévus dans le cadre du conseil des juristes. L’alignement de la législation nationale sur les instruments internationaux est une tâche considérable pour laquelle le Yémen compte établir un plan en vue de solliciter l’aide d’institutions internationales compétentes.

24.Le financement des services administratifs décentralisés dépend de la densité de la population dans la région concernée, de la taille du service, de ses particularités, des besoins et des priorités. La législation yéménite, loin de favoriser la discrimination, prévoit au contraire l’égalité de droits et de devoirs entre tous les citoyens, hommes et femmes. Certains groupes marginalisés, notamment les Akhdams, se déplacent d’un lieu à l’autre, et c’est pour cette raison et non à cause de la discrimination que leurs enfants ne sont pas scolarisés. En ce qui concerne la nationalité, l’égalité est aussi la règle: tout Yéménite, homme ou femme, dont le conjoint est étranger peut transmettre la nationalité yéménite aux enfants nés de cette union.

25.L’abandon scolaire chez les filles, qui est plus fréquent dans les zones rurales, n’est pas imputable à la discrimination mais à l’ignorance et à la pauvreté des familles. Dans les familles aisées, les filles poursuivent des études, y compris universitaires. Par ailleurs, du fait de la situation politique perturbée, les abandons scolaires se multiplient sous l’effet des pressions exercées par les partis; il faut toutefois espérer qu’il ne s’agit que d’un problème provisoire.

26.Pour ce qui est du Ministère des droits de l’homme, le Gouvernement a créé un comité conjoint composé de représentants de la présidence et du Ministère des affaires étrangères en vue d’établir une institution nationale des droits de l’homme indépendante; le projet est actuellement à l’étude. Le Ministère des droits de l’homme, institution importante parce qu’elle fait le lien entre les différents ministères et organisations intéressés par les instruments relatifs aux droits de l’homme, veille à l’intégration de ces droits dans les activités de tous les départements du Gouvernement. Il a, par exemple, présenté des projets de loi touchant aux droits de l’homme, tels que la loi sur la nationalité ou la loi sur l’âge minimum du mariage. Il existait bien une loi dont les dispositions fixaient à 18 ans l’âge minimum du mariage et de la majorité politique, mais ces dispositions ont été abrogées et, présentées de nouveau, elles suscitent une très forte opposition de la part des islamistes. Le Gouvernement s’efforce néanmoins de sensibiliser la population au bien-fondé de ces règles, mais il faudra beaucoup de temps et d’efforts avant que le Yémen parvienne à surmonter ce qui, dans la tradition et l’héritage culturel, fait obstacle à l’exercice des droits de l’homme.

27.M. Al-Adoofi (Yémen) explique que la création d’une institution nationale des droits de l’homme, conforme aux Principes de Paris et aux résolutions de l’Assemblée générale, est l’une des 90 recommandations issues de l’Examen périodique universel de 2009 qui ont été acceptées par le Gouvernement du Yémen. Beaucoup sont en cours d’application, en particulier celles qui concernent les femmes, la discrimination à leur égard et les mariages précoces. Un comité examine actuellement le projet de création de cette institution nationale, avec l’appui de la société civile et de donateurs. Convaincu que la création d’une institution nationale des droits de l’homme est vitale, le Gouvernement ne voit aucune contradiction entre le Ministère des droits de l’homme et une institution nationale indépendante, qui se renforcent mutuellement, l’institution garantissant la transparence, la crédibilité et l’impartialité nécessaires.

28.M me Algaefi(Yémen) dit que l’égalité entre hommes et femmes se heurte à de nombreux obstacles, notamment culturels. Le Président et le Gouvernement ont apporté leur soutien aux programmes en faveur des femmes, et le Président s’est déclaré favorable à un quota destiné à renforcer la représentativité des femmes mais face à la vague de protestations que ce projet a soulevée, en particulier parmi les extrémistes, le Conseil des ministres a renoncé. L’analphabétisme et l’abandon scolaire ne font qu’aggraver la situation des femmes. L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) apporte son appui au maintien des filles à l’école et à la création d’un environnement propice à la poursuite de leurs études. Des organisations de promotion des droits des femmes, telles que la Commission pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, œuvrent à l’élimination des barrières. En coopération avec les ministères des affaires religieuses, du travail et de la communication, des émissions de radio et de télévision ont été réalisées et des pièces de théâtre ont été montées afin de sensibiliser le public à l’éducation et au travail des femmes. Enfin, des émissions sur la violence à l’égard des femmes et les stéréotypes féminins ont été diffusées à la télévision en période de grande écoute (ramadan). Par ailleurs, des prédicateurs ont été formés au débat sur ces problématiques.

29.S’agissant des femmes dans la vie politique, elles sont rares au Parlement où elles ne disposent que d’un siège. Toutefois, il est indiqué dans le rapport présenté par le Yémen à la Commission pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes que, sur les 160 femmes qui se sont portées candidates, les partis politiques en ont appuyé 80 dans 19 gouvernorats. Au niveau des districts, parmi les 38 candidates retenues, huit ont été élues aux conseils locaux. En 2006, le Programme des Nations Unies pour le développement a exécuté la première phase d’un programme visant à renforcer la participation des femmes à la vie politique, qui était axé sur la sensibilisation et le renforcement des capacités politiques; pendant la deuxième phase (2008-2009), des étudiants ont participé à des groupes de travail où ils ont été sensibilisés aux droits des femmes et à leur participation à la vie politique. On observe une certaine progression du nombre de femmes occupant des fonctions politiques de haut niveau. Ainsi, la commission permanente du parti au pouvoir, par exemple, compte cinq femmes pour 34 hommes; des femmes siègent également dans les instances dirigeantes des partis d’opposition.

30.Bien que leurs effectifs restent faibles, les femmes sont aussi représentées dans les syndicats. C’est toutefois dans la société civile que les femmes ont effectué la percée la plus importante. Elles ont créé un Parlement des femmes, unique dans les pays arabes, qui forme des candidates en vue des élections au Parlement national, et qui surveille les élections locales et les élections présidentielles, et organise des activités de renforcement des capacités à l’intention des femmes dans 21 gouvernorats. Un rapport analytique a été élaboré sur la question de la surveillance des élections et un site Web a été créé.

31.Au niveau international, le corps diplomatique yéménite compte 45 femmes pour 500 hommes. Dans le secteur de l’éducation, le Gouvernement, qui est attaché à l’éducation des femmes et des filles, a créé cinq établissements d’enseignement technique pour inciter les filles qui ont quitté l’école à reprendre des études. Les disciplines techniques des sept universités publiques sont celles qui, avec plus de 30 %, comptent le plus fort taux de filles; les femmes représentent 18 % du personnel universitaire. En 2008, 85 % des bourses universitaires ont été accordées à des filles. Les enquêtes montrent que le taux d’abandon scolaire est moins élevé chez les filles que chez les garçons, qui quittent l’école pour travailler.

32.En ce qui concerne le mariage précoce, la loi sur l’âge minimum du mariage ayant été rejetée, le Conseil supérieur de la mère et de l’enfant a publié divers documents et mené des campagnes fondés sur des bases jurisprudentielles et des informations médicales attestant l’importance de la question et s’appuyant notamment sur des témoignages de jeunes filles mariées à un âge précoce, qui ont eu un grand impact sur l’opinion. Ainsi, un certain nombre de membres de l’opposition se sont ralliés aux partis de la majorité pour voter en faveur de la loi.

33.Un projet pilote d’octroi de microcrédits a été lancé avec les partenaires sociaux pour permettre aux femmes de travailler. Diverses publications ont été diffusées pour expliquer les inconvénients du mariage précoce et le Ministère de la santé réalise une étude sur les complications liées aux grossesses précoces. S’agissant des crimes d’honneur, conformément à la charia quatre témoins sont nécessaires pour confirmer un cas d’adultère, crime passible de peines de prison. Les mineures jugées coupables ne sont pas incarcérées, mais placées dans des centres de réinsertion. Des centres d’accueil ont été créés pour les femmes sortant de prison; elles y reçoivent une formation et une aide à la recherche d’emploi.

34.S’agissant du qat, un projet doté d’un budget de 2 millions de dollars, financé par la Banque mondiale, a été mis en place pour encourager la population à remplacer la production de qat par d’autres cultures; par ailleurs, un projet du Fonds social pour le développement financé par l’Union européenne et d’autres donateurs vise à sensibiliser les étudiants et à les encourager à renoncer à la consommation traditionnelle du qat; d’autres mesures de sensibilisation ont été prises, notamment la création de centres sportifs et encore de l’Association Yémen sans qat.

35.M. Alabbasi (Yémen) estime que l’augmentation du nombre de pauvres de 2005 à 2010 s’explique par des facteurs aussi bien intérieurs − terrorisme, conflits internes − qu’extérieurs. Il insiste notamment sur les crises alimentaire, économique et financière, cette dernière ayant eu des répercussions sur le marché du travail des pays du Golfe, qui emploie 1 million de Yéménites, et sur les investissements privés.

36.S’agissant des critères adoptés pour décider de confier l’exécution des projets de développement aux autorités centrales ou locales, ils reposent notamment sur la densité de population, la situation économique, le niveau de scolarisation et les taux de mortalité maternelle et infantile. Une troisième enquête sur la pauvreté est menée pour recueillir des données précises sur la situation et suivre l’évolution du phénomène.

37.Les programmes de développement sont exécutés dans la limite des crédits budgétaires; en 2006-2010, ils s’élevaient à 14 milliards de dollars (46 % pour l’infrastructure et 24 % pour les autres projets). Durant cette période, en collaboration avec la Banque mondiale, il a été mené une étude d’impact des investissements du Fonds de développement rural fondée sur des critères qualitatifs précis, s’agissant notamment des établissements scolaires des régions éloignées et rurales et de la scolarisation des filles ou encore des taux de mortalité maternelle et infantile.

38.Le montant de l’aide internationale accordée au Yémen est l’un des plus faibles parmi les pays les moins avancés (11 dollars par habitant, contre 70 dollars en Éthiopie ou en Ouganda) et il ne répond pas aux besoins. Cette aide et les prêts consentis atteignent 200 à 300 millions de dollars par an, alors que la dette nationale s’élève à environ 5,5 milliards de dollars (30 % du PIB), les principaux donateurs étant la Banque mondiale, le Fonds arabe de développement économique et social, le Fonds saoudien de développement et d’autres institutions régionales. Seulement 15 % des 5,6 milliards de dollars d’aide promis lors de la Conférence des donateurs de 2006 ont été versés, ce qui retarde l’exécution des projets de développement dans les domaines de l’éducation, de la santé et de l’infrastructure, par exemple.

39.M. Said (Yémen) déclare que, en collaboration avec la Banque mondiale, la République du Yémen a mis sa législation en conformité avec la Convention des Nations Unies contre la corruption; à cet égard, le Parlement est saisi d’un projet de loi sur la lutte contre la corruption dans la fonction publique élaboré en 1995, et d’un projet de modification du Code pénal visant à rendre les sanctions plus dissuasives. De plus, la loi no 39 de 2006 contient une définition de la corruption fondée sur les résultats d’une étude menée par la Banque mondiale.

40.Pour ce qui est de la jurisprudence, 39 affaires ont été portées devant les tribunaux, 27 ont été réglées administrativement et 112 font encore l’objet d’une enquête; au total l’action des tribunaux administratifs a permis de recouvrer 111 milliards de dollars. Une campagne nationale de lutte contre la corruption, axée sur l’éducation, la sensibilisation, les sanctions et le renforcement des capacités, a été lancée en juillet 2010.

41.Par ailleurs, en application de la loi relative au patrimoine les hauts fonctionnaires doivent fournir une déclaration de revenus dans les deux ans qui suivent leur nomination, sous peine d’être renvoyés ou condamnés à des peines pouvant aller jusqu’à six mois d’emprisonnement. L’Autorité nationale suprême de lutte contre la corruption est une entité indépendante composée de 50 personnes (dont 11 choisies par le Parlement) qui ne peuvent être limogées par l’État; elle soumet régulièrement des rapports au Président de la République et au Parlement.

42.M. Alwazzan (Yémen) estime que le fait que le Ministère des droits de l’homme n’ait reçu que 1 471 plaintes en deux ans n’est pas le signe d’éventuelles lacunes, étant donné que d’autres organes reçoivent et examinent également des plaintes émanant de citoyens. Par ailleurs, toutes les plaintes sont traitées sur un pied d’égalité, sans discrimination fondée sur le sexe, le statut de malade du sida ou autres. Le Ministère a mis en œuvre un programme de formation sur la manière de traiter les plaintes, en collaboration avec le Centre danois pour les droits de l’homme et le Programme des Nations Unies pour le développement, qui dispose d’une antenne au Ministère, ce dernier étant également doté d’une section chargée de la réception et du traitement des plaintes par des experts compétents selon les critères énumérés dans le rapport.

Articles 6 à 9 du Pacte

43.M. Texier demande si le Code du travail a été modifié pour donner aux travailleurs la liberté de démissionner sans présenter de justification, et si une politique nationale a été adoptée pour garantir l’égalité des sexes en matière d’emploi (notamment s’agissant du travail domestique et du secteur agricole), conformément aux recommandations formulées par les experts indépendants de l’Organisation internationale du Travail (OIT). Il s’enquiert des raisons de l’écart considérable entre le taux de chômage des hommes et celui des femmes, et s’interroge sur les obstacles à la mise en place d’un salaire minimum. S’agissant de la réforme du Code du travail, il demande s’il est prévu de mettre le libellé de l’article 67 a) en conformité avec ceux de la Convention no 100 de l’OIT sur l’égalité de rémunération (1951) et de l’article 7 du Pacte, et d’autoriser la formation de syndicats et l’affiliation des syndicats nationaux à des confédérations internationales.

44.M. Abashidze demande ce qui a été fait pour réduire l’écart entre hommes et femmes en matière de chômage, et pour lutter contre le travail des enfants.

45.M. Kedzia (Rapporteur pour le pays)s’interroge sur les raisons de l’échec des mesures prises pour lutter contre le chômage, qui reste fort élevé, et sur les initiatives envisageables pour faciliter l’accès des jeunes diplômés à l’emploi. Il voudrait par ailleurs savoir si l’État partie prévoit d’instaurer un salaire minimum et de mettre la législation nationale en conformité avec le Pacte au sujet du droit de grève.

La séance est levée à 18 heures.