NATIONS UNIES

E

Conseil Économique

et Social

Distr.

GÉNÉRALE

E/C.12/2001/10

9 mai 2001

FRANÇAIS

Original : ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES,

SOCIAUX ET CULTURELS

Vingt-cinquième session

Genève, 23 avril - 11 mai 2001

Point 5 de l'ordre du jour

QUESTIONS DE FOND CONCERNANT LA MISE EN ŒUVRE DU PACTE

INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX

ET CULTURELS : LA PAUVRETÉ ET LE PACTE INTERNATIONAL

RELATIF AUX DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS

Déclaration adoptée par le Comité des droits économiques, sociaux et

culturels, le 4 mai 2001

1.En 1948, la Déclaration universelle des droits de l'homme a stipulé que la pauvreté était une question relevant des droits de l'homme. Cette thèse a été réaffirmée à maintes reprises par divers organes des Nations Unies, notamment l'Assemblée générale et la Commission des droits de l'homme. Si le terme même de pauvreté n'est pas expressément utilisé dans le Pacte

international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la question de la pauvreté revient sans cesse dans cet instrument et a toujours été l'une des principales préoccupations du Comité. Les droits au travail, à un niveau de vie suffisant, au logement, à l'alimentation, à la santé et à l'éducation, qui sont au cœur du Pacte, ont un rapport direct et immédiat avec l'élimination de la pauvreté. Au demeurant, la question de la pauvreté est fréquemment soulevée lors du dialogue constructif entre le Comité et les États parties. Fort de l'expérience qu'il a acquise au fil des ans, notamment en examinant les rapports de nombreux États parties, le Comité est convaincu que la pauvreté constitue un déni des droits de l'homme.

2.C'est pourquoi le Comité note avec une grande satisfaction que divers États et organisations internationales ont réaffirmé leur volonté d'éliminer la pauvreté et d'atteindre d'autres objectifs connexes tels que l'élimination de l'exclusion sociale. Il regrette toutefois que la dimension droits de l'homme des politiques d'élimination de la pauvreté reçoive rarement l'attention qu'elle mérite. Cette négligence est d'autant plus regrettable qu'une approche de la pauvreté fondée sur les droits de l'homme peut renforcer les stratégies de lutte contre la pauvreté et les rendre plus efficaces.

3.La présente Déclaration vise à encourager l'intégration des droits de l'homme dans les politiques d'élimination de la pauvreté en indiquant comment les droits de l'homme en général, et le Pacte en particulier, peuvent contribuer à la démarginalisation des pauvres et au renforcement des stratégies de lutte contre la pauvreté. Elle n'a pas pour objet de formuler un programme ou un plan d'action détaillé, mais de déterminer avec concision en quoi les droits de l'homme internationalement reconnus contribuent à l'élimination de la pauvreté. L'élaboration de programmes opérationnels de lutte contre la pauvreté est une tâche particulière de première importance à laquelle tous les protagonistes devraient s'atteler d'urgence en tenant dûment compte des droits de l'homme internationalement reconnus.

L'ampleur et la nature du problème

4.Récemment, le Président de la Banque mondiale a écrit ce qui suit : "[L]a pauvreté demeure un problème mondial énorme. Sur les 6 milliards de personnes que compte la planète, 2,8 milliards vivent avec moins de 2 dollars par jour et 1,2 milliard avec moins de un dollar. Sur 100 nouveau‑nés, 6 meurent avant un an et 8 avant cinq ans. Parmi ceux qui atteignent l'âge scolaire, 9 garçons sur 100 et 14 filles sur 100 ne vont pas à l'école primaire". Si les statistiques ne permettent pas de comprendre complètement la pauvreté, ces chiffres choquants n'en témoignent pas moins d'une violation massive et systématique des dispositions de la Déclaration universelle des droits de l'homme, des deux pactes internationaux, de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, de la Convention relative aux droits de l'enfant et d'autres instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme.

5.La pauvreté ne touche pas que les pays en développement et les sociétés en transition. Il s'agit d'un phénomène mondial qui touche tous les États à des degrés divers. Elle touche des groupes se trouvant sur le territoire de nombreux États développés, notamment des minorités et des peuples autochtones. En outre, dans de nombreux pays riches, il existe des régions rurales et des régions urbaines où la population vit dans des conditions épouvantables ‑ poches de pauvreté au milieu de la richesse générale. Dans tous les États, les femmes et les jeunes filles sont de loin les plus touchées. Quant aux enfants élevés dans la pauvreté, ils demeurent souvent défavorisés à tout jamais. Le Comité estime que l'élimination de la pauvreté à l'échelle mondiale passe par un renforcement de l'autonomie des femmes.

6.Les personnes pauvres ont en commun de n'avoir aucune prise sur leur vécu. Or les droits de l'homme peuvent permettre à ces personnes et à des communautés de prendre leur destin en mains. Il s'agit de donner aux personnes sans pouvoir les moyens d'utiliser les possibilités d'émancipation qu'offrent les droits de l'homme. Certes, les droits de l'homme ne sont pas une panacée mais ils peuvent aider à assurer plus d'équité dans la répartition et l'exercice du pouvoir au sein des sociétés et entre les sociétés.

Définitions

7.Dans un passé récent, on définissait souvent la pauvreté comme le fait d'avoir des revenus insuffisants pour acheter un panier minimum de biens et de services. Aujourd'hui, on donne généralement de ce terme une définition plus large : ne pas avoir les moyens de base nécessaires pour vivre dans la dignité. Cette définition tient compte des caractéristiques plus générales de la pauvreté, notamment la faim, le degré d'instruction médiocre, la discrimination, la vulnérabilité et l'exclusion sociale. Le Comité note que cette définition de la pauvreté est conforme à de nombreuses dispositions du Pacte.

8.Dans la perspective de la Charte internationale des droits de l'homme, la pauvreté peut être définie comme étant la condition dans laquelle se trouve un être humain qui est privé de manière durable ou chronique des ressources, des moyens, des choix, de la sécurité et du pouvoir nécessaires pour jouir d'un niveau de vie suffisant et d'autres droits civils, culturels, économiques, politiques et sociaux. Tout en reconnaissant qu'il n'existe pas de définition universellement acceptée, le Comité fait sienne cette conception multidimensionnelle de la pauvreté, qui reflète l'indivisibilité et l'interdépendance de tous les droits de l'homme.

Le cadre normatif des droits de l'homme internationalement reconnus

9.Les droits de l'homme internationalement reconnus constituent un socle de normes ou de règles sur lequel peuvent être élaborées des politiques détaillées d'élimination de la pauvreté aux niveaux mondial, national et local. La pauvreté pose certes des problèmes multisectoriels complexes pour lesquels il n'existe pas de solution simple, mais le fait de les aborder en tenant compte du cadre normatif relatif aux droits de l'homme contribue à garantir que des éléments essentiels des stratégies de lutte contre la pauvreté, tels que la non‑discrimination, l'égalité, la participation et l'obligation de rendre des comptes reçoivent toute l'attention qu'ils méritent. À cet égard, le Comité tient à mettre en évidence trois caractéristiques du système normatif des droits de l'homme internationalement reconnus.

10.Premièrement, le cadre normatif englobe la totalité des droits civils, culturels, économiques, politiques et sociaux ainsi que le droit au développement. S'il est vrai que les droits énoncés dans le Pacte, notamment le droit à un niveau de vie suffisant, sont d'une importance capitale pour les pauvres, le Comité insiste sur le fait que tous les droits civils et politiques ainsi que le droit au développement, sont également indispensables aux personnes qui vivent dans la pauvreté. En raison de son mandat, de ses compétences et de son expérience, le Comité accorde une attention particulière à la place qu'occupent les droits économiques, sociaux et culturels dans les stratégies de lutte contre la pauvreté, mais voit dans tous les droits autant de moyens d'égale importance de faire en sorte que tous les êtres humains puissent vivre dans la liberté et la dignité.

11.Deuxièmement, la non‑discrimination et l'égalité font partie intégrante du cadre normatif des droits de l'homme internationalement reconnus, qui comprend notamment le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Il arrive que des personnes soient touchées par la pauvreté parce qu'elles n'ont pas accès aux ressources existantes à cause de ce qu'elles sont, de ce qu'elles croient ou de l'endroit où elles vivent. La discrimination peut être cause de pauvreté, de même que la pauvreté peut être cause de discrimination. L'inégalité peut être solidement établie dans les institutions et profondément ancrée dans les valeurs sociales qui façonnent les relations au sein des ménages et des communautés. En conséquence, les principes internationaux de non‑discrimination et d'égalité, en vertu desquels une attention particulière doit être accordée aux groupes vulnérables et aux membres de ces groupes, sont d'une très grande portée pour les stratégies de lutte contre la pauvreté.

12.Troisièmement, le cadre normatif des droits de l'homme internationalement reconnus inclut le droit des personnes touchées par des décisions clefs de participer aux processus décisionnels pertinents. Il est fait état du droit de participer dans de nombreux instruments internationaux, notamment le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et la Déclaration sur le droit au développement. Le Comité sait par expérience qu'une politique ou un programme qui est élaboré sans la participation active et éclairée des personnes concernées a fort peu de chances d'être efficace. Si des élections libres et équitables sont une composante essentielle du droit de participer, elles ne suffisent toutefois pas à garantir que les personnes qui vivent dans la pauvreté jouiront du droit d'être associées aux décisions clefs ayant une incidence sur leur vie.

13.En conclusion, les politiques de lutte contre la pauvreté qui reposent sur les droits de l'homme internationalement reconnus ont plus de chances d'être efficaces, durables, intégratrices et équitables et de présenter un intérêt pour les personnes qui vivent dans la pauvreté. C'est pourquoi les droits de l'homme doivent être systématiquement pris en considération dans tous les processus d'élaboration de politiques pertinents. Il faut donc disposer d'un personnel qui a reçu une formation appropriée et qui utilise de bonnes méthodes reposant sur des données fiables et ventilées.

Obligations et responsabilités

14.Le Pacte donne aux pauvres les moyens de se prendre en charge en leur conférant des droits et en imposant des obligations juridiques à d'autres, notamment aux États. Fondamentalement, droits et obligations sont indissociables de l'obligation de rendre des comptes : s'ils ne sont pas étayés par un système qui responsabilise et oblige à rendre des comptes, ces droits et obligations risquent en effet de rester à jamais vides de sens. C'est pourquoi l'approche de la pauvreté fondée sur les droits de l'homme met l'accent sur les obligations et exige de tous ceux qui ont des obligations, y compris les États et les organisations internationales, qu'ils rendent compte de leurs actes à la lumière du droit international relatif aux droits de l'homme. Dans son Observation générale No 9, le Comité évoque les mécanismes par lesquels les États parties rendent compte de leurs actes devant les tribunaux. Quant aux autres détenteurs d'obligations, ils doivent déterminer quels sont les mécanismes permettant de s'acquitter de l'obligation de rendre des comptes qui sont les mieux adaptés à leur cas particulier. Toutefois, quels qu'ils soient, ces mécanismes doivent être accessibles, transparents et efficaces.

Obligations fondamentales : responsabilités nationales et internationales

15.Le Pacte dispose que l'exercice des droits qu'il énonce dépend des ressources disponibles et peut être assuré progressivement. Toutefois, dans son Observation générale No 3, adoptée en 1990, le Comité confirme que les États parties ont "l'obligation fondamentale minimum d'assurer, au moins, la satisfaction de l'essentiel de chacun des droits" énoncés dans le Pacte. Le Comité fait observer que sans cette obligation fondamentale, le Pacte "serait largement dépourvu de sa raison d'être".

16.Plus récemment, le Comité a entrepris de définir en quoi consiste "l'essentiel" des droits que les États parties ont l'obligation d'assurer, en ce qui concerne le droit à l'alimentation, le droit à l'éducation et le droit à la santé, et a confirmé qu'il était impossible de déroger à ces obligations fondamentales. Dans son Observation générale No 14, le Comité souligne qu'il incombe tout particulièrement à tous ceux qui sont en mesure d'apporter leur concours de fournir "l'assistance et la coopération internationales, notamment sur les plans économique et technique", nécessaires pour permettre aux pays en développement d'honorer leurs obligations fondamentales. En bref, les obligations fondamentales engendrent des responsabilités nationales pour tous les États et des responsabilités internationales pour les États développés ainsi que pour les intervenants qui sont "en mesure d'apporter leur concours".

17.Les obligations fondamentales concernant les droits économiques, sociaux et culturels ont donc un rôle capital à jouer dans les politiques de développement nationales et internationales, y compris les stratégies de lutte contre la pauvreté. Lorsqu'elles sont regroupées, les obligations fondamentales constituent un seuil international minimum que toutes les politiques de développement devraient être conçues pour respecter. Conformément à l'Observation générale No 14, il incombe tout particulièrement à tous les intervenants qui sont en mesure d'apporter leur concours d'aider les pays en développement à respecter ce seuil international minimum. Toute stratégie nationale ou internationale de lutte contre la pauvreté qui n'indique pas ce seuil minimum est incompatible avec les obligations juridiquement contraignantes de l'État partie.

18.Pour éviter tout malentendu, le Comité tient à souligner trois points. Premièrement, comme il n'est pas possible de déroger aux obligations fondamentales, celles‑ci ne s'éteignent pas dans des situations de conflit ou d'urgence et en cas de catastrophe naturelle. Deuxièmement, comme la pauvreté est un phénomène mondial, les obligations fondamentales revêtent une grande importance pour certains particuliers et communautés vivant dans les États les plus riches. Troisièmement, lorsqu'un État partie s'est acquitté de ses obligations fondamentales concernant les droits économiques, sociaux et culturels, il reste tenu de s'efforcer aussi rapidement et aussi efficacement que possible d'assurer la pleine réalisation de tous les droits énoncés dans le Pacte.

Conclusion

19.Le Comité recommande vivement d'incorporer les normes internationales relatives aux droits de l'homme dans les plans nationaux participatifs et multisectoriels d'élimination ou de réduction de la pauvreté. De tels plans de lutte contre la pauvreté ont un rôle indispensable à jouer dans tous les États, quel que soit leur niveau de développement économique.

20.Les acteurs non étatiques, y compris les organisations internationales, les institutions nationales de défense des droits de l'homme, les organisations de la société civile et les entreprises privées, sont également tenus de participer activement à la lutte contre la pauvreté. Chacun de ces acteurs devrait déterminer avec précision en quoi il peut contribuer à l'élimination de la pauvreté, en gardant présents à l'esprit les rapports entre droits de l'homme et pauvreté, telles qu'ils ont été soulignés dans la présente Déclaration.

21.Le Comité est pleinement conscient qu'il existe des obstacles structurels à l'élimination de la pauvreté dans les pays en développement. Par le biais de ses diverses activités, notamment l'examen des rapports des États parties et l'adoption d'observations générales, le Comité s'efforce d'aider les pays en développement à déterminer quelles mesures ils peuvent et devraient prendre pour lever ces obstacles. Toutefois, étant donné l'ordre international existant, les États en développement n'ont pas de prise sur certains des obstacles structurels qui entravent leurs stratégies de lutte contre la pauvreté. De l'avis du Comité, il faut absolument prendre d'urgence des mesures pour lever ces obstacles structurels mondiaux, tels que la dette extérieure excessive, l'écart sans cesse croissant entre riches et pauvres et l'absence d'un système multilatéral équitable en matière de commerce, d'investissement et de finances, faute de quoi les stratégies nationales de lutte contre la pauvreté de certains États ont peu de chances de connaître un succès durable. À cet égard, le Comité appelle l'attention sur l'article 28 de la Déclaration universelle des droits de l'homme ainsi que sur la Déclaration sur le droit au développement, en particulier le paragraphe 3 de l'article 3.

22.Dans la mesure où ses ressources et ses autres tâches le lui permettront, le Comité continuera à élaborer d'autres observations générales précisant le contenu normatif des droits économiques, sociaux et culturels, y compris les obligations fondamentales qui y sont attachées. À cet égard, il invite toutes les parties à l'aider à s'acquitter de cette tâche importante et difficile.

23.Conscient de la très grande importance qu'elles revêtent, le Comité confirme qu'il est désireux d'examiner les questions abordées dans la présente Déclaration avec tous ceux qui ont à cœur d'éliminer la pauvreté.

Adoptée le 4 mai 2001

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