NATIONS UNIES

E

Conseil économique et social

Distr.GÉNÉRALE

E/C.12/2008/SR.57 mai 2008

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS

Quarantième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 5e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,le mercredi 30 avril 2008, à 10 heures

Président: M. PILLAY

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS

a)RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT AUX ARTICLES 16 ET 17 DU PACTE (suite)

Troisième rapport périodique de la France (suite)

La séance est ouverte à 10 h 5.

EXAMEN DES RAPPORTS

a)RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT AUX ARTICLES 16 ET 17 DU PACTE (point 6 de l’ordre du jour) (suite)

Troisième rapport périodique de la France ((E/C.12/FRA/3); document de base (HRI/CORE/1/Add.17/Rev.1); observations finales du Comité sur le deuxième rapport périodique de la France (E/C.12/1/Add.72); liste des points à traiter (E/C.12/FRA/Q/3); réponses écrites du Gouvernement français à la liste des points à traiter (E/C.12/FRA/Q/3/Add.1)) (suite)

1. Sur l ’ invitation du Président, la délégation française reprend place à la table du Comité.

Articles 10 à 15 du Pacte (suite)

2.Le PRÉSIDENT invite la délégation française à répondre aux questions posées à la séance précédente.

3.M. noblet (France) dit que la loi de 1998 relative à la lutte contre l’exclusion a affirmé certains droits comme la couverture médicale universelle adoptée en 1999, qui permet aux personnes démunies de bénéficier de la prise en charge des soins de santé. Ce dispositif, qui garantit en outre la prise en charge complémentaire des soins, s’applique actuellement à 500 000 personnes. La loi en question a énoncé des droits qui deviennent progressivement effectifs. Elle a aussi une dimension participative. Depuis quelques années, des forums locaux sont organisés afin de réunir des professionnels de l’action sociale ou de la formation et des personnes en situation de précarité pour tenter de définir des points de convergence sur un problème donné. Au cours de ces journées se distinguent souvent un certain nombre de personnalités qui sont ensuite invitées à participer à des réunions régionales ou nationales.

4.Un certain nombre d’ONG ont critiqué le revenu de solidarité active (RSA), estimant que ce dispositif favorise les personnes les moins en difficulté par rapport à celles qui sont dans l’extrême pauvreté. Le RSA, qui a pour vocation première de clarifier et de mettre en cohérence les dispositions éparses s’appliquant à différentes catégories, commence à englober le revenu minimum d’insertion (RMI), sans le supprimer pour les personnes qui n’ont aucun travail. L’hypothèse d’un relèvement du revenu minimum n’est pas d’actualité en raison de contraintes budgétaires, et ne serait pas tout à fait dans la logique du RSA, qui vise à encourager les personnes qui reprennent une activité. D’autres instruments existent pour aider les personnes pauvres, par exemple des aides à l’accès aux biens de première nécessité, et des tarifs sociaux pour l’électricité, le gaz, l’eau, le téléphone ou les transports. Au total, toutes ces prestations cumulées peuvent faire qu’une personne bénéficiant des aides sociales ait une meilleure situation qu’une personne qui travaille, et la réforme actuelle cherche aussi à remédier à ce type d’injustice.

5.Répondant à une question posée à ce sujet, M. Noblet précise qu’on distingue nettement, en France, la population rom de personnes françaises souvent présentes dans le pays depuis très longtemps qu’on appelle les «gens du voyage». La politique menée de longue date dans ce domaine consiste par exemple à créer des aires d’accueil suffisamment équipées qui permettent à ces personnes de conserver leur mode de vie spécifique. Il s’agit également de favoriser une forme d’habitat adapté, car même si elles voyagent, ces personnes sont souvent installées au même endroit pendant au moins quelques mois dans l’année. Cette politique se heurte à quelques résistances de la part des communes, et la mise en place de ces terrains adaptés est lente et progressive.

6.MmeROUSSEL (France) précise qu’à la suite d’une loi adoptée en 2000 il a été procédé à une évaluation des places d’habitation existant dans tous les départements, qui a permis de déterminer que 50 % des besoins étaient financés. Comme ces populations, en se sédentarisant, revendiquent de plus en plus leurs droits à l’éducation et à la santé, des moyens financiers ont également été prévus afin de construire des logements, et non plus des terrains, adaptés.

7.M. NOBLET (France) dit que la population rom est constituée de minorités venant de pays de l’Est qui ont intégré ou non l’Union européenne (UE). Un problème se pose quant au statut des personnes originaires de pays qui ne font pas partie de l’UE, et parfois aussi dans le cas des ressortissants de pays de l’UE, car il existe en France une obligation de ressources minimum. Un certain nombre d’aspects sociaux sont toutefois pris en compte et ces personnes ne sont pas laissées à l’abandon. Il existe bien en Île‑de‑France, en Rhône‑Alpes ou dans le Nord des sites ressemblant à des bidonvilles que les autorités finissent par fermer pour des raisons de santé publique. Parmi ces groupes précis de population, seul un petit nombre de personnes souhaitent s’intégrer en France, les autres n’étant présentes que temporairement. L’aide qui leur est fournie s’apparente à une aide humanitaire; ainsi, des organisations comme Médecins du monde vont souvent à leur contact. Les recours possibles en cas d’expulsion sont notamment un dispositif d’hébergement d’urgence. Mais souvent, ces personnes disparaissent dans la nature lorsqu’une prise en charge leur est proposée.

8.Le seuil de pauvreté était auparavant établi en France à 50 % du revenu médian. Il est désormais aligné sur le seuil défini au niveau européen, soit 60 % du revenu médian. De toute évidence, le seuil de pauvreté ne peut pas, dans ce domaine complexe, être le seul indicateur. Il convient aussi de tenir compte d’aspects qualitatifs. Qui plus est, le caractère relatif de l’indicateur peut induire une situation paradoxale où l’indicateur continue d’augmenter tandis que la situation générale de la population s’améliore, dans le cas où la population pauvre ne voit pas sa situation s’améliorer de façon nettement supérieure à celle du reste de la population. Dans la perspective de l’objectif que s’est fixé l’État français de réduire d’un tiers la pauvreté d’ici à 2012, il est envisagé d’abandonner ce caractère relatif du seuil de pauvreté.

9.Le phénomène des sans‑abri perdure en France, ce qui justifie les critiques de la politique menée pour y faire face, qui mobilise des moyens importants. D’après une enquête réalisée en 2001, il y aurait 100 000 sans‑abri, qui sont pour la plupart des personnes ne vivant pas dans la rue, mais dans des centres d’hébergement de diverses natures. Ces centres offrent au total environ 100 000 places d’hébergement, dont un tiers est alloué au dispositif de prise en charge des demandeurs d’asile. Environ 35 000 places sont consacrées à l’insertion et accueillent par exemple les familles monoparentales − c’est‑à‑dire, souvent, des femmes seules avec enfant − qui parviennent en général au bout d’un certain temps (dix‑sept mois en moyenne) à obtenir un logement. Les centres d’hébergement d’urgence représentent entre 25 000 et 30 000 places, souvent des chambres réservées dans des hôtels de basse catégorie. Ces centres ont été très critiqués, notamment lors du mouvement des sans‑abri survenu pendant l’hiver 2006‑2007, car ils n’accueillaient les personnes que pour une durée très limitée. Mais elles étaient obligées d’y revenir tôt ou tard, et ce va‑et‑vient était très déstabilisant pour elles. Une véritable politique publique est en train de se construire dans ce domaine. Par exemple, il est prévu de supprimer les dortoirs qui existent encore dans certains centres d’hébergement afin que les personnes aient toujours accès à un hébergement individuel. À Paris et dans d’autres villes grandes ou moyennes, des équipes de travailleurs sociaux (le «SAMU social») se rendent chaque nuit au contact des sans‑abri. Un numéro d’urgence a été créé pour les sans‑abri.

10.Mmeroussel (France) dit que parallèlement à la mise en œuvre de la loi sur le droit au logement opposable, entrée en vigueur le 1er janvier 2008, les pouvoirs publics associent très étroitement la société civile à leur action. Un comité se réunit périodiquement pour recueillir des propositions visant à améliorer l’application de la loi qui peuvent émaner aussi bien des associations de sans‑abri que des organisations non gouvernementales (ONG), des milieux professionnels et des collectivités locales. Fin février 2008, le Premier Ministre a lancé le volet logement du plan de cohésion sociale. Il a été demandé aux représentants de l’État dans tous les départements d’animer des commissions de prévention des expulsions. Y participent des associations de locataires, des associations de sans‑abri, des organismes payeurs d’aides à la personne, et tous les opérateurs publics ou privés susceptibles de proposer des logements pour éviter les expulsions.

11.En ce qui concerne le parc de logements privé, la politique existante, dont les résultats étaient décevants, a été renforcée en vue d’éliminer les logements indignes et insalubres. Il est ainsi prévu que l’État puisse éventuellement se substituer aux propriétaires défaillants et aux communes afin d’ordonner des travaux d’office pour rendre les logements décents et acceptables. Il a été fixé un objectif de 15 000 logements rénovés d’ici à la fin de 2008, et un autre objectif très ambitieux de 100 000 logements en quatre ans. Il s’agit, avec cette politique, de tenter de réduire très rapidement le nombre de logements insalubres en France.

12.Cette politique nécessite l’appui des collectivités locales, qui détiennent 60 % du budget du logement social et qui peuvent offrir des terrains pour la construction de logements sociaux ou proposer d’acquérir des logements pouvant être transformés pour l’accueil de la population défavorisée. Il existe aussi un programme intermédiaire de création de «maisons‑relais», établissements semblables à des pensions de famille qui comportent de 20 à 30 logements, avec un couple présent pour accompagner socialement les personnes jusqu’à ce qu’elles puissent accéder à un logement autonome.

13.Mme MOURANCHE (France), abordant les questions liées au droit à la santé physique et mentale, dit que la France, avec une mortalité par suicide d’environ 10 000 décès par an, est l’un des pays industrialisés où la prévalence du phénomène est la plus élevée. Après s’être fixé l’objectif très ambitieux d’une baisse de 20 % du nombre de suicides en cinq ans, le Gouvernement a établi au début de 2008 un nouveau plan de prévention assorti d’objectifs plus pragmatiques. Les observations recueillies, notamment auprès du milieu associatif, très actif dans la lutte contre le suicide, révèlent l’existence de groupes de population particulièrement vulnérables, notamment les personnes souffrant de troubles addictifs. C’est pourquoi la formation des personnels de santé met désormais l’accent sur le repérage et la prise en charge de la crise suicidaire. La collaboration instituée avec l’Éducation nationale permet des actions ciblées auprès des adolescents.

14.Face à un phénomène préoccupant apparu récemment, celui des suicides sur le lieu de travail, le Ministre de la santé a commandé un rapport à des experts psychiatres en vue de mieux connaître les liens pouvant exister entre conditions de travail, stress au travail et prévalence du suicide. Parmi les actions prévues figurent le renforcement des enquêtes, l’établissement d’indicateurs et l’organisation de campagnes de sensibilisation dans les entreprises. Le suicide sur le lieu de travail est d’ores et déjà reconnu comme accident du travail, ce qui permet notamment de conscientiser davantage les partenaires sociaux.

15.Le harcèlement moral, qui a fait l’objet d’une loi, est désormais passible d’actions devant les tribunaux du travail. Le stress en entreprise devra faire l’objet de discussions au sein des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, dans lesquels les partenaires sociaux sont représentés et qui doivent se réunir au moins deux fois par an.

16.En ce qui concerne la santé mentale dans les prisons, le Gouvernement français est tout à fait conscient qu’il importe d’améliorer la condition des détenus, ce qui passe par un accès effectif à des soins de qualité. Une étude épidémiologique réalisée en 2003 confirmait déjà que les affections les plus fréquentes en détention étaient d’ordre psychiatrique et qu’il y avait une insuffisance de l’offre de soins dans ce domaine. Depuis 1994, ces soins sont intégrés aux services de santé publique hospitaliers et ne relèvent donc plus de l’administration pénitentiaire. Des réflexions sont aujourd’hui menées en vue de la création, au sein des hôpitaux publics régionaux, d’unités spéciales aménagées qui pourront hospitaliser les détenus en cas de crise psychiatrique. La loi pénitentiaire en préparation abordera de manière spécifique la situation et le traitement des détenus dangereux, qui doivent être distingués de ceux qui souffrent de troubles mentaux. Toutefois, le plus gros problème à résoudre a trait à la démographie médicale: on manque de psychiatres en France, de façon générale, et il n’est pas toujours facile de mobiliser des effectifs qui sont déjà surchargés dans le cadre des réseaux psychiatriques existants.

17.M. JUY‑BIRMANN (France), après avoir rappelé la distinction entre les départements d’outre‑mer, qui disposent d’un système sanitaire et d’une protection sociale équivalant au système métropolitain, et les collectivités d’outre‑mer, régies par des statuts particuliers qui leur confèrent une autonomie plus ou moins importante, notamment en matière de santé, dit que dans le cas des collectivités, la République apporte bien entendu un soutien financier, par exemple en Polynésie française, où les obstacles qui entravent l’accès aux soins sont essentiellement d’ordre géographique, et à Mayotte, où ils sont plutôt d’ordre économique. Ces territoires connaissent des problèmes spécifiques de santé liés notamment aux conditions climatiques, avec la présence de paludisme et d’autres maladies vectorielles, et de maladies qui n’existent plus en Europe, comme le béribéri dû à la malnutrition, ou qui sont propres aux régions tropicales, comme le chikungunya qui a touché récemment plus de 270 000 personnes à la Réunion, pourtant dotée d’un système de protection sanitaire équivalant à celui de la France métropolitaine. Le Ministère de l’outre‑mer veille à ce que les dispensaires locaux assurent une meilleure protection contre ces maladies, renforcée par la présence de médecins itinérants.

18.Le Gouvernement français s’efforce par ailleurs de remédier à d’autres problèmes propres à l’outre‑mer tels que le déficit en matière d’implantations hospitalières, dû au vieillissement accéléré des installations, lui‑même lié aux conditions climatiques, ainsi qu’aux problèmes de recrutement. Il s’emploie en outre à combler un déficit dans le secteur de la psychiatrie qui n’existait pas il y a quelques années encore, lorsque les familles prenaient elles‑mêmes en charge les déficients mentaux, ce qui devient de plus en plus rare en raison d’un changement des mentalités.

19.M. LEFEUVRE (France), abordant les questions relatives à l’asile et au traitement des réfugiés, réaffirme l’attachement de la France au droit d’asile et à la protection des personnes. Le taux d’admission au statut de réfugié s’élevait en 2007 à 11,6 % des demandes en première instance et le taux global d’admission − qui inclut la procédure devant la Cour nationale du droit d’asile − à près de 30 %. La réforme de la procédure d’asile de 2003 a mis l’accent sur les délais d’instruction des demandes, la recherche d’une plus grande efficacité dans l’application du Règlement de Dublin (destiné à déterminer l’État européen responsable de l’instruction d’une demande d’asile) et les facteurs conjoncturels liés au contexte international, autant d’éléments qui contribuent à la diminution du nombre de demandes constatée depuis trois ans. Il faut toutefois s’attendre à un tassement de cette tendance à la baisse, en raison, notamment, d’une nette hausse des demandes d’asile aux frontières et d’une reprise des demandes émanant de ressortissants des principaux pays d’origine (Fédération de Russie, Arménie, Bangladesh et République démocratique du Congo).

20.En ce qui concerne les centres d’accueil, l’ensemble des réformes entreprises a permis d’accroître le nombre de places disponibles dans le cadre du plan de cohésion sociale de 2005, et l’objectif qui était de disposer de 20 000 places à la fin de 2007 a été atteint et même dépassé. Les efforts actuels visent à accroître la fluidité du dispositif d’hébergement et à accélérer l’examen des demandes d’asile.

21.Les procédures d’éloignement du territoire s’effectuent dans le respect du droit et sont soumises à un contrôle juridictionnel. La durée de la période de rétention, qui est de trente‑deux jours, est la plus faible de l’Union européenne. Un des nouveaux aspects de la politique nationale en la matière a trait à la signature, avec les pays d’origine, d’accords bilatéraux de gestion concertée des flux migratoires, comportant trois volets: organisation de la migration légale; lutte contre la migration irrégulière; développement solidaire et coopération. Ces instruments visent notamment à favoriser la mobilité internationale, avec la création de nouveaux titres de séjour portant la mention «Compétences et talents», «Jeune professionnel», «Salarié en mission», «Travailleur saisonnier» ou «Métier en tension», selon les critères établis à l’issue de la Conférence eurafricaine sur les migrations, tenue à Rabat en juillet 2006.

22.Le Ministre de l’immigration a demandé aux préfets de l’ensemble du territoire national d’examiner avec la plus grande attention les situations individuelles des étrangers concernés. Dans l’immense majorité des cas, aucune dimension − sanitaire, sociale, familiale, économique − n’est négligée. Le Ministère s’efforce de résoudre tout dysfonctionnement porté à sa connaissance et, par exemple, a exigé qu’il n’y ait plus d’interpellations à la sortie des écoles.

23.Trois initiatives tendent à améliorer la situation des femmes immigrées: un accord‑cadre avec l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité, qui prévoit différentes mesures dont la création d’ateliers sociolinguistiques, l’instauration du contrat d’accueil, qui permet notamment un suivi du parcours scolaire des enfants, et l’aide à la création de microentreprises.

24.MmeDEMIGUEL (France) explique que dans le cadre de la procédure de regroupement familial qui s’applique à la plupart des étrangers, la demande peut intervenir après un séjour d’au moins dix‑huit mois et la décision doit être prise dans un délai de six mois, ce qui correspond aux critères énoncés dans la directive européenne sur le regroupement familial de 1993. Bien entendu, les familles de réfugiés ne sont pas soumises à cette procédure, et une fois le statut de réfugié accordé, le conjoint et les enfants de l’intéressé ont le droit de le rejoindre sans qu’aucune condition (ni de ressources ni de logement) ne soit imposée. Il est vrai que les délais sont parfois trop longs, mais tout est mis en œuvre pour les réduire au minimum.

25.M. MATTEI (France), abordant la question du caractère discriminatoire à l’égard des femmes que peuvent avoir certaines conventions de coopération entre la France et, par exemple, des pays du Maghreb, dit que la différenciation entre hommes et femmes dans ces instruments n’est acceptée que dans le souci d’assurer une continuité juridique dans la situation de femmes qui circulent d’un pays à l’autre et qui ont un statut particulier dans leur pays d’origine. Bien entendu, le juge français s’efforce d’éviter certains effets inégalitaires du droit étranger qui seraient préjudiciables pour les femmes et contraires à l’ordre public français, lequel écarte, par exemple, la polygamie.

26.M. GORGET (France), évoquant le problème du décrochage scolaire, souligne tout d’abord que depuis trente ans, les sorties du système éducatif sans qualification sont en très nette diminution (de l’ordre de 75 %), de même que la proportion, au sein d’une génération, d’élèves déscolarisés de manière précoce (passée de 25 % à 6 %). Malgré ces progrès, il subsiste un «noyau dur» d’élèves en difficulté. Cela se traduit notamment par une diminution des compétences en matière de lecture: selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), il y avait en 2007, parmi les jeunes de 15 ans, environ 6 % de très mauvais lecteurs et 11 % de mauvais lecteurs, soit 17 % en tout contre 11 % en 2000. Il convient toutefois de signaler que dans l’Union européenne, le taux de mauvais lecteurs approche les 20 %.

27.Face à ces élèves en difficulté, une des principales mesures en vigueur, dont l’adoption remonte à 1981, est celle de l’«éducation prioritaire», qui consiste à accorder davantage d’attention à ceux qui en ont le plus besoin. Les zones d’éducation prioritaire (ZEP) correspondent aux zones où se concentrent les populations les plus défavorisées (elles comptent environ 64 % d’ouvriers ou d’inactifs, chiffre deux fois supérieur à la moyenne nationale). Ce dispositif s’est progressivement élargi jusqu’à s’appliquer à un élève sur cinq, soit à près d’un demi‑million d’enfants, en 2004). Néanmoins, il n’a pas permis de corriger significativement les écarts, mais seulement d’éviter qu’ils ne se creusent davantage, ce qui est sans doute beaucoup compte tenu de la détérioration de la situation économique et de la situation de l’emploi des populations concernées.

28.Le résultat mitigé qui a été obtenu, l’empilement progressif des dispositifs et l’élargissement continu des publics touchés ont conduit le Gouvernement à remodeler le dispositif d’éducation prioritaire dès 2006, en concentrant de nouveau les moyens sur les 249 collèges où les problèmes sont les plus criants et en mettant en place des actions exemplaires afin que l’exigence scolaire reste autant que possible au même niveau que dans les établissements ordinaires. À titre d’exemple, des bourses de stages ont été créées pour que les jeunes sans réseau social aient accès aux stages en entreprise et des dispositifs de tutorat et d’accès aux classes préparatoires des grandes écoles ont été institués.

29.Pour continuer à traiter ces problèmes persistants et graves, de nombreuses mesures seront mises en œuvre dès la rentrée 2008: accompagnement éducatif (aide aux devoirs), mixité sociale dans les écoles, destruction des collèges dégradés, sites d’excellence, développement d’internats, et renforcement du soutien scolaire dès le primaire. En outre, les bourses ont été étendues (24 % des collégiens et lycéens et un tiers des étudiants en bénéficient) et grâce à une politique très dynamique d’intégration des élèves handicapés, le nombre de ces élèves a augmenté de 80 % entre 2000 et 2007.

30.M. MATTEI (France) précise, à propos des minorités, que la non‑reconnaissance de droits collectifs ne signifie pas que les personnes ont moins de droits. Les droits des individus appartenant à ces groupes sont reconnus d’une façon conforme à la tradition constitutionnelle française. La France fait en sorte qu’un citoyen ne soit pas obligé de se définir par rapport à son appartenance à une minorité et s’efforce d’éviter l’écueil du communautarisme, dont on voit bien les difficultés auxquelles celui‑ci peut conduire, y compris dans l’histoire récente de l’Europe.

31.M. GORGET (France) dit que l’enseignement des langues régionales est encouragé en France depuis la loi Dexonne de 1951. Plus de 20 langues régionales sont enseignées dans le système éducatif et peuvent être présentées aux examens. Le nombre d’apprenants est en augmentation très rapide (+ 60 % en quatre ans soit plus de 400 000 étudiants en 2006). Il existe trois dispositifs d’enseignement: l’enseignement public bilingue à parité horaire, dans lequel sont scolarisés près de 35 000 élèves, l’enseignement des langues et cultures d’origine en partenariat avec certains pays qui fournissent et paient les enseignants, sous le contrôle du Ministère de l’éducation, qui concerne 78 000 élèves, et les associations qui accueillent plus de 8 000 élèves. Il est possible de créer librement des établissements scolaires en France, sur simple déclaration auprès des autorités compétentes. Ces établissements ne préparent pas à des diplômes mais délivrent des certificats de scolarité. Ils peuvent être sous contrat avec l’État ou hors contrat.

32.Pour ce qui est des langues des communautés étrangères présentes en France, le Ministère de l’éducation mène une politique de multilinguisme très diversifiée puisqu’on peut étudier 8 langues étrangères à l’école primaire, 15 au collège et 17 au lycée, et présenter 25 langues étrangères au baccalauréat. Ce dispositif a été récemment renforcé et le Ministre de l’éducation a présenté en février 2008 un plan de rénovation de l’enseignement des langues vivantes étrangères prévoyant notamment de généraliser cet enseignement dès le primaire et d’augmenter les moyens pédagogiques pour en accroître l’efficacité. En outre, plus de 180 000 élèves sont scolarisés dans quelque 4 000 sections européennes et de langues orientales qui couvrent largement les langues pratiquées par les communautés étrangères présentes en France.

33.MmeBRAS GOMES (Rapporteuse pour la France) demande si les écoles associatives à caractère privé peuvent bénéficier de fonds publics. Elle souhaite également avoir une réponse à la question relative à la pénalisation du vagabondage et de la mendicité.

34.MmeBARAHONA RIERA demande, à propos des conventions spéciales signées entre la France et le Maroc et l’Algérie, dans quelle mesure le divorce a des incidences particulières sur les femmes. Elle souhaite également savoir pourquoi la France n’a pas érigé en infraction pénale la violence dans la famille. En ce qui concerne les tests d’ADN effectués pour l’obtention d’un visa ou à des fins de regroupement familial, qui sont censés être volontaires, elle souhaite avoir des précisions sur les problèmes que risquent de soulever ces tests au regard de la filiation des enfants, car cette procédure est susceptible de porter atteinte aux droits des personnes.

35.M. MATTEI (France) dit que la France étant un État de droit, il n’y a évidemment pas de criminalisation de certains groupes mais que des comportements sont pénalisés en cas d’infraction. Les maires ont des pouvoirs de police qu’ils peuvent exercer en cas de troubles à l’ordre public, sous le contrôle du juge administratif et dans le respect de certains principes.

36.M. GORGET (France) dit que tous les établissements privés d’enseignement peuvent obtenir des financements publics dans les conditions prévues par la loi. Le dispositif le plus favorable est le contrat d’association: l’État paie les enseignants et l’établissement doit suivre les programmes définis par l’État, sous son contrôle pédagogique. Les établissements hors contrat ne bénéficient pas des mêmes subventions. Ceux qui enseignent les langues régionales doivent dispenser une partie de l’enseignement en langue française.

37.M. JUY‑BIRMANN (France) dit que le Code pénal contient des articles généraux réprimant les violences, dont la violence familiale n’est qu’une forme particulière. Une liste de circonstances précise les cas de violence, dont plusieurs − fait que la victime soit un enfant, acte commis par un des conjoints − sont des circonstances aggravantes.

38.M. MATTEI (France) dit que les conventions entre la France et le Maroc et l’Algérie visent à conjuguer le respect des droits des femmes et une certaine sécurité juridique pour les personnes qui passent d’un pays à l’autre. La monogamie est une exigence d’ordre publique. Pour ce qui est des divorces, on procède normalement par exequatur pour la reconnaissance des jugements. Si dans certains cas, cela peut conduire à reconnaître des séparations sous forme de répudiation, le juge français vérifie que les conséquences et les conditions de cette répudiation ont des effets limités sur la personne concernée, notamment que les droits de la défense ont été respectés, qu’une compensation financière est attribuée et qu’il n’y a pas eu de fraude.

39.MmeBRAS GOMES (Rapporteuse pour la France) précise que sa question ne portait pas sur la criminalisation d’un groupe de personnes mais sur l’approche générale adoptée en matière de délinquance et de vagabondage.

40.M. KERDOUN souhaite savoir si la France entend modifier sa Constitution pour que ses langues régionales deviennent nationales, si ce n’est officielles.

41.M. MATTEI (France) répond que la France ne prévoit pas de modifier sa Constitution et que la langue de la République est la langue française, principe qui n’est pas incompatible avec la diversité des expressions linguistiques.

42.M. NOBLET (France) dit que la France a étoffé son corpus législatif en pénalisant les comportements troublant l’ordre public ou générateurs d’insécurité. Sont ainsi visés la mendicité agressive, le racolage, l’occupation illicite du terrain d’autrui, l’entrave à l’accès ou à la circulation dans les espaces communs, notamment les entrées d’immeubles collectifs. Ces qualifications respectent les principes de nécessité et de proportionnalité et sont conformes à la Constitution et aux engagements internationaux de la France. Pour ce qui est de la mendicité agressive, est puni le fait de solliciter des fonds sur la voie publique en réunion et de manière agressive. En définitive, 18 condamnations, dont six à l’emprisonnement ferme, ont été prononcées sur le fondement de cette disposition. Cela étant, le fait de mendier et de vagabonder n’est plus une infraction pénale en France depuis 1992.

43.MmeDEMIGUEL (France) précise que les tests d’ADN sont simplement un outil supplémentaire pour prouver une filiation dans les pays où l’état civil est défaillant. Ils sont sans objet pour les enfants adoptés. Pour l’instant, ce dispositif est expérimental et le Parlement décidera après évaluation de poursuivre ou non son application, qui est très encadrée notamment par le juge.

44.M. MATTEI (France) se dit très impressionné par le travail des membres du Comité et par la précision des questions posées. Il est convaincu que l’Examen périodique universel engagé au Conseil des droits de l’homme ne constitue en aucune façon une alternative au travail des organes conventionnels, car les États ne peuvent à l’évidence pas faire le travail d’experts qui apportent toute leur expérience dans ces domaines. La France communiquera très rapidement tous les documents complémentaires, notamment statistiques, dont le Comité pourrait souhaiter disposer.

45.Le PRÉSIDENT remercie la délégation française et annonce que l’examen du troisième rapport périodique de la France est achevé.

46.La délégation française se retire.

La première partie (publique) de la séance prend fin à 11 h 55.

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