Nations Unies

E/C.12/2020/2

Conseil économique et social

Distr. générale

15 décembre 2020

Français

Original : anglais

Comité des droits économiques, sociaux et culturels

Déclaration sur l’accès universel et équitable aux vaccins contre la maladie à coronavirus (COVID-19)

Déclaration du Comité des droits économiques, sociaux et culturels *

1.Un vaccin sûr et efficace devrait réduire les risques que la maladie à coronavirus (COVID-19) fait peser sur la santé et la vie, tout en permettant la levée progressive de certaines des mesures restrictives qui ont dû être prises pour contrer la propagation du virus. Il contribuera aussi à remédier aux effets néfastes considérables que ces mesures ont eus sur l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels, en particulier par les populations les plus défavorisées et marginalisées. C’est pourquoi la possibilité que plusieurs vaccins contre la COVID-19 soient prochainement approuvés par les autorités sanitaires, qui auront suivi pour ce faire les notes d’orientation technique de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) concernant les vaccins et autres produits biologiques relatifs à la COVID-19 afin de garantir leur sûreté et leur efficacité, est une nouvelle importante et encourageante pour le monde entier. Dans ce contexte, afin d’éviter que l’accès aux vaccins contre la COVID-19 soit source de discriminations et d’inégalités injustifiées, le Comité estime nécessaire de rappeler aux États parties l’obligation que le Pacte met à leur charge dans ce domaine.

2.Toute personne a le droit de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable d’atteindre, et ce droit inclut l’accès aux programmes de vaccination contre les principales maladies infectieuses. Toute personne a également le droit de bénéficier du progrès scientifique et, partant, d’avoir accès à toutes les meilleures applications disponibles du progrès scientifique qui sont nécessaires pour atteindre le meilleur état de santé possible. Il découle donc de ces deux droits que toute personne a le droit d’avoir accès à un vaccin contre la COVID-19 qui soit sûr, efficace et fondé sur les meilleures connaissances scientifiques disponibles.

3.Les États sont tenus de prendre toutes les mesures nécessaires, et d’y consacrer le maximum de leurs ressources disponibles, en vue de garantir à chacun, sans discrimination, l’accès aux vaccins contre la COVID-19. Le devoir des États de vacciner leur population contre les principales maladies infectieuses et de prévenir et maîtriser les épidémies est une obligation prioritaire au regard du droit à la santé. Étant donné la situation actuelle, les États sont tenus d’accorder la plus haute priorité à l’universalité de l’accès aux vaccins contre la COVID-19.

4.Il découle du droit à la santé que les États doivent veiller à ce que les installations, biens et services de santé, y compris les vaccins, soient disponibles, accessibles, acceptables et de qualité. Il ne suffit pas de produire des vaccins contre la COVID-19 et de les mettre à disposition, il faut aussi les rendre accessibles à tous. Afin de garantir l’accès à ces vaccins, les États doivent, tout d’abord, éliminer toute discrimination fondée sur la religion, la nationalité, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, la race, l’identité ethnique, l’âge, le handicap, le statut migratoire, l’origine sociale, la pauvreté ou toute autre situation. Ils doivent ensuite veiller à l’accessibilité physique des vaccins, en particulier pour les groupes marginalisés et les personnes qui vivent dans des zones reculées, en utilisant des voies publiques et des voies privées et en renforçant la capacité des systèmes de santé de fournir les vaccins. Ils doivent également veiller à ce que ces vaccins soient d’un coût abordable pour tous, voire à ce qu’ils soient gratuits, au moins pour les personnes à faibles revenus et les personnes pauvres. Ils doivent enfin garantir l’accès aux informations sur les vaccins, en particulier en diffusant des données scientifiques précises sur la sûreté et l’efficacité des différents vaccins et en menant des campagnes publiques qui visent à protéger les populations contre les informations fausses, trompeuses ou pseudo-scientifiques sur le sujet, qui se diffusent rapidement sur Internet et les médias sociaux.

5.Il est impossible de garantir que tout le monde aura immédiatement accès à un vaccin contre la COVID-19, même si plusieurs vaccins sont approuvés prochainement. La production et la distribution de masse d’un vaccin supposent non seulement des dépenses considérables, mais aussi l’adoption de procédures sanitaires et administratives complexes. Il sera indispensable d’accorder la priorité à certains groupes de personnes, au moins pendant les premières étapes de la vaccination, non seulement à l’échelle nationale, mais aussi au niveau international. En application de l’interdiction générale de la discrimination, cette hiérarchisation doit se fonder sur les besoins médicaux et sur des considérations de santé publique. Conformément à ces critères, la priorité pourrait donc être accordée, par exemple, au personnel de santé et aux soignants, ou aux personnes qui, si elles sont infectées par le SARS-COV-2, courent un risque accru de développer une forme plus grave de la maladie en raison de leur âge ou d’une maladie préexistante, ou encore aux personnes qui, du fait des déterminants sociaux de la santé, sont les plus exposées et les plus vulnérables au virus, par exemple les personnes qui vivent dans des établissements informels ou des logements densément peuplés, les personnes sans domicile fixe, les personnes pauvres, les autochtones et les membres de minorités raciales, les migrants, les réfugiés, les déplacés, les détenus et les autres personnes marginalisées et défavorisées. En tout état de cause, il faut que les critères de hiérarchisation soient transparents, définis dans le cadre de consultations publiques appropriées et soumis à l’examen du public. Il faut aussi qu’ils fassent l’objet d’un contrôle juridictionnel en cas de litige, afin d’éviter toute discrimination.

6.Bon nombre des vaccins qui pourraient être approuvés ont été développés par des entreprises privées et peuvent être soumis au régime de la propriété intellectuelle. Ces entreprises espèrent réaliser un profit et il est juste qu’elles reçoivent une compensation raisonnable pour les investissements et les recherches qu’elles ont réalisés. Le Comité rappelle toutefois aux États parties que la propriété intellectuelle n’est pas un droit de l’homme, mais un produit social ayant une fonction sociale. Les États parties ont donc le devoir d’empêcher que les régimes juridiques de la propriété intellectuelle et des brevets compromettent l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels, par exemple en faisant en sorte que les biens publics essentiels, tels que les vaccins et les médicaments, ne soient pas inaccessibles aux pays en développement et aux communautés défavorisées en raison de leur coût prohibitif. C’est pourquoi, comme l’indique la Déclaration de Doha sur l’Accord sur les aspects des droits de la propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Accord sur les ADPIC) et la santé publique, les dispositions du régime de la propriété intellectuelle devraient être interprétées et mises en œuvre d’une manière qui appuie le devoir des États de « protéger la santé publique ». Les États parties devraient recourir, lorsque c’est nécessaire, à toutes les marges de manœuvre prévues dans l’Accord sur les ADPIC, notamment les licences obligatoires, afin de garantir l’accès de tous à un vaccin contre la COVID-19. Il est toutefois fort probable que ces marges de manœuvre ne suffisent pas pour lutter efficacement contre la pandémie, en particulier dans les pays en développement. Des États ont donc proposé, à titre de mesure supplémentaire, que l’Organisation mondiale du commerce renonce à l’application de certaines des dispositions de l’Accord sur les ADPIC dans le contexte de la crise sanitaire mondiale. Appuyée par plusieurs titulaires de mandat au titre des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme, cette proposition, qui vise à rendre les vaccins abordables dans le monde entier, devrait être examinée et appliquée afin de faciliter la prévention, l’endiguement et le traitement de la COVID-19.

7.Conformément aux normes internationales, les entreprises, y compris les sociétés pharmaceutiques, sont tenues, à tout le moins, de respecter les droits énoncés dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Ces entreprises devraient donc s’abstenir d’invoquer les droits de la propriété intellectuelle si cela va à l’encontre du droit de toute personne d’avoir accès à un vaccin sûr et efficace contre la COVID-19 et de l’obligation des États de garantir, aussi rapidement que possible, l’accès universel et équitable à un tel vaccin.

8.En application du Pacte, les États parties peuvent être tenus directement responsables de l’action ou de l’inaction des entreprises dans certaines circonstances. Ils ont en outre l’obligation extraterritoriale de prendre les mesures nécessaires pour protéger les droits économiques, sociaux et culturels, notamment de veiller à ce que les entreprises domiciliées sur leur territoire ou relevant de leur juridiction n’enfreignent pas ces droits à l’étranger. Les États devraient donc prendre toutes les mesures nécessaires pour que les entreprises n’invoquent pas le droit de la propriété intellectuelle, que ce soit sur leur territoire ou à l’étranger, si cela va à l’encontre du droit de toute personne d’avoir accès à un vaccin sûr et efficace contre la COVID-19.

9.En application du Pacte, les États sont tenus de coopérer et de fournir une assistance à l’échelle internationale afin de garantir l’accès universel et équitable aux vaccins, partout où ils sont nécessaires. Le fait que la crise actuelle est une pandémie vient renforcer cette obligation. Les États doivent donc intensifier la coopération internationale pour garantir, le plus rapidement possible et partout dans le monde, l’accès universel et équitable aux vaccins contre la COVID-19, y compris pour les pays les moins avancés, qui peuvent ne pas avoir les ressources financières nécessaires pour assurer la vaccination de leurs populations respectives.

10.Il est compréhensible que les États accordent une certaine priorité à leurs propres citoyens. Cette priorité ne devrait cependant pas donner lieu à une forme d’isolationnisme sanitaire ou à une course au vaccin dans le cadre de laquelle des États, en particulier des États développés, rivaliseraient entre eux pour conclure des accords coûteux et opaques avec des entreprises privées afin d’obtenir en premier des doses de vaccin pour toute leur population ou presque. Cette concurrence entre États pourrait conduire à une augmentation du prix des vaccins contre la COVID-19, voire à une situation dans laquelle quelques pays développés détiendraient temporairement le monopole de l’accès aux premiers vaccins produits, ce qui compromettrait, au moins pour un temps, la possibilité que d’autres pays, en particulier des pays en développement, aient accès à ces vaccins. Cette concurrence est aussi contre‑productive sur le plan de la santé mondiale, étant donné qu’elle rend la pandémie encore plus longue et difficile à contrôler. Tant qu’une part importante de la population mondiale ne bénéficiera ni des mesures visant à contrôler, à prévenir et à traiter la COVID‑19, ni des vaccins connexes, le risque de recrudescence de la pandémie subsistera. De surcroît, la concurrence pour un vaccin va à l’encontre de l’obligation extraterritoriale qui incombe aux États d’éviter de prendre des décisions qui limitent la faculté d’autres États de réaliser le droit à la santé. Elle entrave en outre l’accès aux vaccins par ceux qui en ont le plus besoin dans les pays les moins avancés. Qui plus est, le secret qui entoure certains accords est contraire au devoir qu’ont les États d’établir des mécanismes transparents qui permettent au public de demander des comptes, d’examiner les décisions prises concernant l’allocation des ressources et l’application des technologies en vue de la réalisation du droit à la santé, et de participer à la prise de ces décisions.

11.Au lieu de pratiquer l’isolationnisme sanitaire et de prendre part à la course aux vaccins, les États devraient s’acquitter de leur obligation de contribuer à l’exercice de tous les droits de l’homme, y compris le droit à la santé, partout dans le monde. La distribution de vaccins et la hiérarchisation dans l’accès à ceux-ci devraient être organisées et sous‑tendues par la coopération et l’assistance internationales, qui comprennent le partage des bénéfices du progrès scientifique et de ses applications. Les États parties devraient donc élaborer des stratégies et des mécanismes visant à assurer une répartition équitable des coûts financiers associés aux activités de recherche, de production et de distribution liées aux vaccins contre la COVID-19, notamment grâce à la réduction de la charge de la dette pour les pays qui en ont besoin. Ils devraient aussi adopter des mécanismes transparents et inclusifs qui permettront que la hiérarchisation de la distribution mondiale, et nationale, de vaccins soit fondée sur les besoins médicaux et des considérations de santé publique. Pour s’organiser, les États peuvent avoir recours au dispositif COVAX, qui est codirigé par l’OMS.

12.Enfin, si la présente déclaration est principalement axée sur l’accès universel et équitable aux vaccins contre la COVID-19, le Comité estime que les principales considérations soulevées sont applicables, mutatis mutandis, à l’obligation qui incombe aux États de garantir un accès universel et équitable aux traitements contre la COVID-19. En outre, il rappelle aux États parties que toutes les mesures prises en raison de la pandémie, qui limitent les droits économiques, sociaux et culturels, doivent être conformes aux conditions énoncées à l’article 4 du Pacte. À cet égard, le Comité rappelle sa déclaration du 6 avril 2020 sur la pandémie et les droits économiques, sociaux et culturels (E/C.12/2020/1).