NATIONS UNIES

E

Conseil économique et social

Distr.

GÉNÉRALE

E/C.12/2003/10

6 octobre 2003

FRANÇAIS

Original: RUSSE

COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES,SOCIAUX ET CULTURELS

Trente et unième session

Genève, 10‑28 novembre 2003

Point 3 de l’ordre du jour provisoire

QUESTIONS DE FOND CONCERNANT LA MISE EN ŒUVRE DU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS ÉCONOMIQUES,SOCIAUX ET CULTURELS

Journée de débat général sur l’article 6 du Pacte: droit au travailLundi, 24 novembre 2003

LE DROIT AU TRAVAIL: PROJET D’OBSERVATION GÉNÉRALE CONCERNANT L’ARTICLE 6 DU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS *

Document d’information soumis par le professeur Akmal Saidov (Ouzbékistan) **

INTRODUCTION

Présentation générale du droit au travail

1.Le travail est l’un des droits fondamentaux de l’homme. Le travail se définit comme toute activité humaine spécifiquement destinée à préserver, modifier et aménager l’habitat, à générer des valeurs matérielles et spirituelles et à produire des biens et des services appelés à satisfaire les besoins de l’individu et de la société. Chacun a droit au travail, le travail étant une condition indispensable à la vie dans le respect de la dignité humaine. L’exercice du droit au travail peut être garanti par un ensemble d’approches mutuellement complémentaires, telles que l’accès à un travail décent, l’élaboration d’une politique de promotion de l’emploi et de protection contre le chômage, la mise en œuvre de programmes de promotion de la sécurité et de l’hygiène du travail, la préservation de la liberté syndicale et la reconnaissance active du droit de négocier des conventions collectives, l’abolition de toute forme de travail forcé ou obligatoire, l’interdiction du travail des enfants, l’interdiction de toute forme de discrimination en matière d’emploi, les programmes d’enseignement et de formation technique et professionnelle élaborés par l’Organisation internationale du Travail (OIT) ou l’adoption d’instruments juridiques spécifiques. De plus, le droit au travail comprend un ensemble d’éléments dont la mise en œuvre est garantie par la loi (le code du travail), par exemple le principe de non-discrimination sur le lieu de travail à l’embauche, en matière de promotion et de licenciement.

2.Le Comité a pu accumuler une grande quantité d’informations concernant le droit au travail. À la fin de sa trentième session, le Comité et le groupe de session d’experts gouvernementaux qui l’avait précédé avaient examiné 153 rapports initiaux et 71 deuxièmes rapports périodiques consacrés aux droits couverts par les articles 6 à 9, 10 à 12 et 13 à 15 du Pacte, ainsi que 110 rapports généraux présentés par les États parties. Un nombre important (actuellement 147) d’États parties au Pacte ont présenté des rapports. Ils représentent toutes les régions du monde et incarnent une diversité de modèles socioéconomiques, culturels, politiques et juridiques. Les rapports qu’ils ont présentés à ce jour mettent en évidence les nombreux problèmes rencontrés dans la mise en œuvre du Pacte; ils dressent un tableau exhaustif de la situation générale concernant la mise en œuvre des droits économiques, sociaux et culturels et, en particulier, du droit au travail. Par ailleurs, en 1989, le Comité a organisé une journée de débat général consacrée au droit au travail. Il coopère étroitement avec les principaux organes de suivi des traités de l’ONU en ce qui concerne la mise en œuvre des droits économiques, sociaux et culturels. Ainsi, notamment, il a chargé, à sa sixième session, un de ses membres de suivre les travaux du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes. Il s’est joint au Comité des droits de l’enfant pour souligner l’obligation incombant aux États de mettre en œuvre, fût‑ce dans une mesure minimale, les droits économiques, sociaux et culturels des enfants, y compris ceux des enfants handicapés et des enfants pris en charge par les institutions d’État.

3.Le droit au travail fait partie intégrante du droit international des droits de l’homme. Il est inscrit dans de nombreux traités internationaux. Ainsi, à l’article 55 de la Charte des Nations Unies de 1945, la recherche du plein emploi est décrite comme l’un des principaux objectifs de l’Organisation. Pour la première fois dans l’histoire du droit international des droits de l’homme, la Déclaration universelle des droits de l’homme énumère, en son article 23, les principaux droits inaliénables et imprescriptibles de l’homme en matière d’emploi: droit au travail, au libre choix de son travail et à la protection contre le chômage; droit à des conditions de travail équitables et satisfaisantes; droit, sans aucune discrimination, à un salaire égal pour un travail égal; droit à une rémunération juste et satisfaisante lui assurant, ainsi qu’à sa famille, une existence conforme à la dignité humaine; droit de fonder des syndicats et de s’affilier à des syndicats.

4.Les dispositions les plus complètes en matière de droit au travail que contienne l’ensemble du droit international relatif aux droits de l’homme sont celles qui figurent dans les articles 6 à 8 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Le Pacte consacre le droit au travail (art. 6); le droit à des conditions de travail équitables et satisfaisantes, y compris le droit de recevoir un salaire équitable sans aucune discrimination; le droit des travailleurs et de leur famille de bénéficier de conditions d’existence satisfaisantes; le droit à l’hygiène et à la sécurité sur le lieu de travail; des possibilités de promotion identiques pour tous et exclusivement dictées par la durée de service et les aptitudes; le droit au repos; une protection particulière du travail et de la santé des mères, des enfants et des adolescents (art. 7). Le Pacte renferme des dispositions visant à interdire le travail forcé et à garantir le libre exercice du droit de fonder des syndicats, y compris le droit de grève (art. 8).

5.De plus, le droit au travail est inscrit, en particulier, dans l’article 5 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale de 1965, dans l’article 10 de la Déclaration sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes de 1967, dans l’article 11 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes de 1979, dans le principe 9 de la Déclaration des droits de l’enfant de 1959, dans les articles 32, 34 et 36 de la Convention relative aux droits de l’enfant, de 1989, dans l’article 11 de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et les membres de leur famille de 1990. Le droit au travail est également inscrit dans un grand nombre d’instruments régionaux relatifs aux droits de l’homme, tels que la Convention européenne pour la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950 (art. 4), la Charte sociale européenne de 1961, révisée en 1996 (art. 1), la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne de 2000 (art. 15), la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 (art. 16), la Convention américaine des droits de l’homme de 1969 (art. 6) et le Protocole additionnel à cette Convention traitant des droits économiques, sociaux et culturels, de 1988, la Déclaration islamique des droits de l’homme de 1981 (par. VIII).

6.Les dispositions réglementaires les plus nombreuses se rapportant au droit au travail figurent dans la Constitution, les conventions et les recommandations de l’OIT, organisation spécialement créée pour résoudre les problèmes liés au travail, qui est au cœur du processus d’élaboration des normes internationales relatives au travail, à la législation du travail et au partenariat social. Ainsi, depuis 1919, année de sa création, l’OIT a élaboré 184 conventions et 192 recommandations, qui ont acquis le statut de code international du travail. Ses textes normatifs renferment des dispositions‑cadres qui définissent les grandes orientations en matière de création de normes relatives au travail. Il convient d’appuyer sans réserve l’idée de l’OIT de créer un code international du travail. De nombreux accords (traités) bilatéraux, voire trilatéraux, concernant la migration de travailleurs sont consacrés au droit du travail.

7.Le droit au travail est un des droits naturels fondamentaux de l’homme qui est à la base non seulement de l’ensemble des droits et libertés socioéconomiques, mais aussi de tout le système des droits et libertés de l’homme. Pourtant, la reconnaissance, la consécration et surtout l’interprétation et la mise en œuvre du droit au travail constituent un des domaines les plus délicats de l’action en faveur des droits et libertés de l’homme.

8.Le droit au travail revêt une importance capitale pour la mise en œuvre des autres droits de l’homme qui ont directement trait à l’existence et au mode de vie de l’individu, tels que les droits à la vie, à la nourriture et au logement, à la dignité, à la non-discrimination, à l’égalité, à la vie privée, à l’accès à l’information et à l’éducation, ou encore la liberté d’association, de réunion et de circulation. Les droits et libertés de l’homme qui sont reconnus par le droit international relatif aux droits de l’homme sont vides de sens pour les personnes privées de leur droit au travail et, donc, d’un revenu suffisant et de conditions de vie décentes.

9.Le travail est à la base de l’existence et du développement de la société humaine. Il est pour l’individu le moyen d’assurer sa subsistance et de satisfaire ses besoins les plus fondamentaux. Mais tout travail ne répond pas, loin s’en faut, aux besoins de l’individu, à ses aspirations et au rôle élevé qui est le sien. C’est non seulement le travail qui est nécessaire, un travail qui occupe la personne, mais aussi un travail décent. Un travail décent, c’est un travail très productif et de grande qualité, effectué dans de bonnes conditions, donnant à chaque travailleur la possibilité d’en retirer une grande satisfaction et de manifester toute la mesure de ses capacités et de son talent, un travail pour lequel les droits des travailleurs sont protégés, qui rapporte un revenu suffisant et qui obéit aux règles d’éthique économique.

10.Le Comité relève que la question de la dignité du travail se règle directement au sein des entreprises et des organisations. Ces dernières sont des éléments moteurs du développement et de l’emploi. Leur action revêt une importance considérable pour la qualité du travail, l’évolution des rapports sociaux, la formation professionnelle et l’emploi.

11.L’OIT élabore activement un programme approfondi concernant le travail décent. Elle a une possibilité unique de promouvoir le travail décent, car elle réunit des représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs qui peuvent se concerter pour résoudre tous les problèmes, y compris ceux qui touchent à la dignité du travail. Elle peut s’appuyer sur le potentiel des entreprises et des milieux économiques, car ils sont directement représentés en son sein. Pour promouvoir le travail décent, l’OIT dispose en tout premier lieu de la Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail et son suivi, de 1998.

12.Le Comité estime que cet effort doit porter sur quatre grands axes. Premièrement, l’accès à un travail décent ou, en d’autres termes, la possibilité de trouver un travail décent. Cela exige des dépenses conséquentes. Pour évaluer les dépenses effectives qu’occasionne le travail décent et ses avantages, les États doivent impérativement analyser et montrer par le menu le lien qui existe entre la dimension sociale du travail et son efficacité. Deuxièmement, l’OIT, ses mécanismes tripartites et autres doivent entreprendre un travail spécifique de longue haleine pour élucider les spécificités du travail décent. Troisièmement, les États doivent élaborer le programme politique qui découle logiquement de cette analyse. Le programme relatif au travail décent doit être de portée générale. Ses objectifs doivent être tant économiques que sociaux et politiques. Il ne saurait être adopté sans la volonté politique des États. Quatrièmement, il faut déterminer si l’objectif du travail décent est atteignable concrètement dans le contexte d’une économie mondialisée. Les disparités croissantes entre les États et à l’intérieur des pays eux-mêmes dans le domaine de l’emploi et des revenus menacent la légitimité même de l’économie mondiale. Les efforts visant à introduire la dimension sociale dans le processus de mondialisation demeurent particulièrement limités.

13.En dépit du fait que la communauté internationale a, à maintes reprises, réaffirmé la nécessité de garantir un respect total du droit au travail, l’écart entre les normes instituées dans l’article 6 du Pacte et la situation qui règne dans bien des régions du monde demeure considérable et, à ce titre, particulièrement préoccupant. Ces problèmes sont souvent aigus dans bon nombre de pays aux prises avec des facteurs défavorables liés, notamment, au manque de ressources. Selon les données de l’OIT, du fait de la mondialisation de l’économie et du problème des réfugiés, on compte dans le monde plus d’un milliard de personnes au chômage ou ne travaillant qu’à temps partiel. De plus, des milliers et des milliers de personnes sont employées en toute illégalité à des travaux dangereux. Selon les données officielles, pour 100 personnes travaillant dans le monde, on compte six personnes sans aucun emploi et 16 personnes employées partiellement ou à temps complet et percevant un salaire inférieur au salaire minimum, soit un dollar des États-Unis par jour. Rien ne laisse espérer une diminution de ces chiffres. Il est évident qu’en matière de droit au travail, tous les États parties sont confrontés à des problèmes importants de différents ordres. Le Comité est conscient que, pour des millions de personnes dans le monde, la pleine réalisation du droit au travail demeure une perspective à long terme. Pis encore, il est fréquent, notamment pour les personnes qui sont au chômage ou qui vivent dans la misère, que cette perspective s’éloigne un peu plus chaque jour. Le problème de la pauvreté est indissociable de celui du chômage, même s’ils sont loin de se recouper systématiquement. En effet, nombre de pauvres sont en même temps des travailleurs; ils sont chefs de famille nombreuse, handicapés, âgés, etc. Le Comité reconnaît l’existence d’importants obstacles structurels et autres, qui échappent au contrôle des États et de la communauté internationale, et d’autres facteurs qui compliquent sérieusement la mise en œuvre de l’article 6 du Pacte dans de nombreux États parties.

14.L’OIT relève, «en substance, une détérioration des possibilités en matière d’emploi dans les pays industrialisés et dans les pays en développement», et se déclare convaincue que «la pauvreté, le chômage et l’inégalité des chances sont inacceptables humainement et du point de vue de la justice sociale et peuvent conduire à des tensions sociales, elles-mêmes susceptibles de créer des conditions défavorables pour la paix et de faire obstacle à la réalisation du droit au travail, qui comprend le libre choix d’un travail, des conditions de travail justes et satisfaisantes et la protection contre le chômage». La notion de «plein emploi» ne signifie pas l’abolition complète du chômage, mais uniquement son maintien à un niveau suffisamment bas pour assurer le fonctionnement normal de l’économie de marché. Dans divers documents, l’OIT parle d’un niveau «acceptable» du chômage, c’est-à-dire d’un niveau compatible avec le plein emploi.

15.Dans certains cas, les États parties ont reconnu et décrit, dans les rapports examinés par le Comité, les difficultés qu’ils rencontraient pour garantir le droit au travail. Mais les informations communiquées étaient, le plus souvent, insuffisantes pour lui permettre de se faire une idée suffisamment précise de la réalité du pays considéré. Ainsi, les différentes Observations générales visent à mettre en évidence certaines des grandes questions que le Comité juge fondamentales en la matière. Pour aider les États parties à mettre en œuvre le Pacte et à respecter leurs obligations en matière de présentation des rapports, on examine dans la présente Observation générale le contenu normatif de l’article 6 (chap. I), les obligations des États parties (chap. II), les manquements à ces obligations (chap. III) et la réalisation du droit au travail dans l’ordre interne (chap. IV). Quant aux obligations des entités autres que les États parties, elles sont examinées au chapitre V.

I. LE CONTENU NORMATIF DE L’ARTICLE 6

16.Le paragraphe 1 de l’article 6 définit le droit au travail, et le paragraphe 2 donne une liste exhaustive des obligations faites aux États parties.

17.L’article 6 du Pacte définit le droit au travail comme comprenant le droit qu’a toute personne d’obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail librement choisi ou accepté. Il insiste sur la liberté du travail et du choix d’un travail, et oblige les États non seulement à reconnaître le droit au travail, mais aussi à prendre toutes les mesures qui conviennent pour garantir l’exercice de ce droit. Le libre choix du travail s’inscrit dans les principes fondamentaux qui déterminent l’existence même de l’individu. Pour quantité de personnes travaillant aussi bien dans le secteur formel que dans le secteur informel, le travail constitue la principale source de revenu. De lui dépendent leur existence, leur subsistance et leur vie.

18.Les principaux éléments du droit au travail sont les suivants:

a)Droit de chacun d’obtenir la possibilité de gagner sa vie par son travail;

b)Droit de chacun de choisir ou d’accepter librement son travail;

c)Obligation faite aux États de prendre toutes les mesures juridiques (législatives, administratives et judiciaires), économiques et psychologiques qui s’imposent pour assurer le plein exercice du droit au travail;

d)Obligation faite aux États de donner à chacun la possibilité de gagner sa vie par son travail;

e)Obligation faite aux États de donner à chacun la possibilité de choisir ou d’accepter librement son travail;

f)Obligation faite aux États d’assurer, aux fins de l’exercice du droit au travail, la mise en œuvre de programmes de formation technique et professionnelle, de développement économique et social et d’emploi pleinement productif;

g)Obligation faite aux États de créer les conditions garantissant les libertés politiques et économiques fondamentales.

19.L’exercice du droit au travail, c’est-à-dire la garantie juridique de la réalisation du plein emploi, prend une importance considérable. C’est pourquoi le Comité considère l’action en faveur d’un emploi à part entière, productif et librement choisi comme un moyen concret d’exercer le droit au travail. Cette action doit donc constituer un des objectifs prioritaires et un élément à part entière de la politique économique et sociale des États. Aux termes de la Charte des Nations Unies, les États se sont engagés à favoriser le relèvement des niveaux de vie et «le plein emploi». Ils doivent encourager le développement du marché du travail, notamment dans le secteur public, «non marchand». L’augmentation du chômage constatée dans le monde entier risque de provoquer une nouvelle aggravation des tensions sociales. Le Comité note que l’augmentation du chômage des jeunes constitue un grand sujet de préoccupation. Le droit au travail prendra une importance de plus en plus grande à mesure que tous les gouvernements du monde se déchargeront progressivement de leur fonction de fourniture des services essentiels au public sur des structures marchandes et non gouvernementales.

20.Le Comité estime que le droit au travail ne doit pas être interprété dans un sens étroit ou restrictif qui le présenterait, par exemple, comme le simple fait de fournir un travail quelconque à un individu. Ce droit doit, au contraire, être considéré comme le droit à un travail décent permettant à chacun, autant que possible, de gagner sa vie par ce travail, qu’il aura librement choisi ou accepté. Cette observation est fondée au moins pour deux raisons. Premièrement, le droit au travail est intimement lié aux autres droits de l’homme et aux principes fondateurs sur lesquels repose le Pacte. Ainsi, «la possibilité de gagner sa vie par un travail», de laquelle découle, comme on l’a dit, le droit au travail inscrit dans le Pacte, exige que le terme «travail» soit interprété en tenant compte de diverses autres considérations. Deuxièmement, la référence contenue dans l’article 6 du Pacte doit être interprétée comme concernant non seulement le travail en tant que tel, mais aussi le travail décent et libre.

21.Chacun doit avoir la possibilité de choisir librement son travail. Toutefois, la liberté de choisir et les possibilités de choix ne sont ni absolues ni illimitées. L’individu vit dans un environnement naturel, dans une société et dans un État où règnent des conditions naturelles et sociales spécifiques et où existent des normes de comportement précises, dont il ne peut pas ne pas tenir compte. Le Comité estime que les États parties doivent s’attacher à répartir rationnellement et réguler le potentiel de travail, se soucier de l’emploi, prendre des mesures propres à assurer à chaque actif la possibilité de «gagner sa vie par un travail librement choisi ou accepté», et utiliser les leviers juridiques et économiques pour inciter les employeurs, quelle que soit la forme de propriété de l’entreprise, à créer des emplois.

22.Le droit au travail comprend trois éléments interdépendants. Premièrement, le droit de chacun d’obtenir la possibilité de gagner sa vie par son travail; deuxièmement, le droit de chacun de choisir librement et sans discrimination sa branche professionnelle; troisièmement, le droit de conserver son emploi et d’être protégé des licenciements arbitraires ou abusifs. C’est donc seulement lorsque l’individu a obtenu, puis conservé son emploi, qu’on peut considérer qu’il a exercé son droit au travail. Pour cela, il est nécessaire d’assurer l’exercice du droit au travail par des garanties juridiques, sociales et économiques effectives. Par ailleurs, le pendant du droit de chacun au travail est l’obligation faite à l’État de garantir l’exercice de ce droit.

23.La liberté du travail signifie que seul l’intéressé jouit du droit exclusif d’utiliser ses capacités pour un travail productif et créatif. Dans l’exercice de son droit au travail, chacun peut choisir tel ou tel type d’activité ou d’emploi, ses conditions de travail et la durée de son travail. En l’espèce, le rôle de l’État consiste à ne pas restreindre l’exercice du droit de chacun au travail. Il convient ce faisant de protéger le droit de chacun de décider lui-même de son activité professionnelle salariée, de choisir librement son employeur et d’accepter ou non les conditions proposées.

24.La liberté du travail et le droit de chacun de disposer librement de ses capacités de travail signifient aussi le droit de ne pas travailler du tout. Tout dépend de la volonté et du souhait de l’intéressé lui-même. Comme le montre l’expérience des pays à économie de marché, il existe un grand nombre de facteurs subjectifs et objectifs qui influent sur les possibilités et les souhaits de l’individu eu égard à l’exercice de son droit à la liberté du travail. L’expression «travail librement choisi» renvoie, là encore, aux principes fondateurs qui conditionnent l’existence même de l’individu. Chacun doit avoir le droit de choisir ou d’accepter librement un type d’emploi conforme à ses vœux, sur la base de ses capacités physiques et intellectuelles, de ses besoins matériels et spirituels et de son cadre naturel et social. La liberté du travail s’entend également de l’absence de tout travail forcé, quelles qu’en soient les formes et les manifestations. Dans les instruments internationaux, le travail forcé s’entend de tout travail que le citoyen ne choisit pas lui-même.

25.Le droit au travail et la liberté du travail ne peuvent être mis en œuvre de façon effective et substantielle que si chacun jouit du droit de bénéficier de conditions de travail justes et favorables. La réalisation du droit au travail est possible moyennant certaines garanties juridiques spéciales destinées à encourager et à protéger le travail de l’individu. L’existence d’un travail et la garantie d’un emploi doivent être assorties de conditions de travail justes et favorables. De fait, les articles 6 et 7 du Pacte sont indissociables et le droit au travail est nécessairement complété par la garantie de conditions de travail justes et favorables. Toutefois, la présente Observation générale porte uniquement sur l’article 6, et les questions relevant des dispositions de l’article 7 du Pacte n’y sont pas abordées.

26.Le terme «travail des enfants» ne couvre pas tout travail réalisé par des personnes de moins de 18 ans. Des millions de jeunes effectuent en toute légalité, de façon rémunérée ou non, un travail qui correspond à leur âge et à leur niveau de maturité.

27.Les pires formes de travail des enfants existent pratiquement dans tous les pays du monde, mais les États ne prennent pas encore toutes les mesures nécessaires à leur éradication. Malgré la multiplication des efforts consentis par les gouvernements, les partenaires sociaux et la société civile pour résoudre le problème du travail des enfants, ce phénomène présente encore un caractère massif. Selon les dernières estimations de l’OIT, en 2000, sur les quelque 211 millions d’enfants âgés de 5 à 14 ans exerçant une forme quelconque d’activité économique, 186 millions effectuaient un type de travail qui devra leur être interdit, notamment parce qu’entrant dans les pires formes de travail des enfants. Sur les quelque 141 millions âgés de 15 à 17 ans exerçant une activité économique, 59 millions effectuaient un travail dangereux. Plus de huit millions d’enfants dans le monde effectuaient des travaux entrant incontestablement dans les pires formes de travail des enfants. Le Comité estime que ces enfants sont privés de la possibilité de recevoir une éducation, que leur santé est menacée et qu’ils sont privés de leurs libertés fondamentales. La plupart d’entre eux sont contraints aux pires formes de travail, qui leur causent des préjudices physiques et psychologiques irréversibles, lorsqu’elles ne menacent pas leur vie. Le Comité estime que l’organe compétent du pays devrait recenser les lieux où la main-d’œuvre enfantine est utilisée et créer les mécanismes de contrôle nécessaires pour mettre en œuvre la Convention sur les pires formes de travail des enfants, voire instituer et prononcer des sanctions pénales ou autres, en fonction des circonstances. Il estime en outre que la résolution des problèmes posés par le travail des enfants dépend dans une très large mesure du développement économique et de la réduction de la pauvreté, qui seuls permettront d’améliorer le bien-être des familles, d’élargir l’accès à l’éducation et d’éradiquer le travail des enfants.

28.L’interdiction du travail des enfants et la réglementation très stricte du travail des adolescents occupent une place importante dans les activités de l’OIT. C’est ainsi que cette organisation a adopté un ensemble de conventions et de recommandations destinées à éliminer le travail des enfants et à réglementer le travail des adolescents sur les points suivants:

a)Âge minimum d’admission à l’emploi;

b)Travail de nuit des adolescents et des jeunes;

c)Contrôle médical des enfants et des adolescents;

d)Formation et orientation professionnelles des adolescents;

e)Conditions régissant l’emploi des adolescents et des jeunes.

La lutte contre le travail des enfants a connu une impulsion vigoureuse avec l’adoption de la Déclaration sur les principes et droits fondamentaux au travail et son suivi, de 1998, qui, parmi les quatre droits fondamentaux, fait figurer l’interdiction effective du travail des enfants. La Convention no 138 sur l’âge minimum d’admission à l’emploi, de 1973, et la Convention no 182 sur les pires formes de travail des enfants, de 1999, figurent au nombre des conventions fondamentales. Le Comité estime qu’il est nécessaire d’inclure de nouveaux aspects à l’interdiction et à l’élimination des pires formes de travail des enfants et de faire de cette question la priorité absolue de l’action nationale et internationale. L’élimination effective des pires formes de travail des enfants requiert de la part des États une action prompte et universelle.

29.Le Comité estime que l’élimination du travail forcé est l’un des problèmes les plus compliqués qui se posent en matière de protection des droits de l’homme. Le travail forcé ou obligatoire s’entend de tout travail ou service exigé de la part d’une personne sous la menace d’une sanction et pour lequel cette personne n’a pas proposé volontairement ses services. L’article premier de la Convention no 29 proclame l’obligation des Parties «d’éliminer, dans les délais les plus brefs possibles, le recours au travail forcé ou obligatoire sous toutes ses formes». Le Comité note que les organes compétents de l’État ne doivent ni ordonner ni permettre à quiconque d’ordonner un travail forcé ou obligatoire au profit d’une personne, d’une entreprise ou d’une société privées. Le fait de recruter quelqu’un illégalement pour effectuer un travail forcé doit être passible de poursuites pénales et chaque État partie est tenu de veiller à l’application pleine et entière des sanctions prévues par la loi.

30.Le Comité note qu’à l’heure actuelle, les principales formes de travail forcé suivantes existent encore:

a)Esclavage et enlèvements;

b)Participation obligatoire à des travaux d’intérêt général;

c)Système de recrutement forcé dans l’agriculture;

d)Emploi de domestiques réduits à la servitude;

e)Servitude pour dettes;

f)Travail accompli sur ordre des autorités militaires;

g)Travail forcé lié à la traite d’êtres humains;

h)Certains aspects du travail des détenus.

Les catégories de personnes les plus exposées au travail forcé sont les enfants, les femmes, les catégories les plus pauvres de la population et les migrants. Le problème est exacerbé en cas de conflit armé.

31.Le Comité estime qu’en dépit des condamnations vigoureuses dont il fait l’objet, le travail forcé n’est encore considéré comme une priorité ni par l’OIT ni par les autres organisations internationales. À l’heure actuelle, de nombreuses organisations internationales s’occupent de la question du travail forcé, parfois en coopération avec l’OIT, dont, parmi les organisations du système des Nations Unies, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Fonds de développement des Nations Unies pour la femme (UNIFEM). Le problème du travail forcé appelle l’intervention de l’ensemble de la communauté mondiale et de toutes les instances tripartites de l’OIT dans les différents pays.

II. LES OBLIGATIONS DES ÉTATS PARTIES

Obligations juridiques générales

32.Bien que le Pacte prévoie que sa mise en œuvre devra être assurée progressivement et reconnaisse les contraintes découlant du caractère limité des ressources disponibles, il impose aussi aux États parties un certain nombre d’obligations ayant un effet immédiat. Ces derniers sont tenus d’appliquer immédiatement les dispositions relatives au droit au travail, par exemple de garantir que ce droit sera exercé sans discrimination (art. 2, par. 2) ainsi que de prendre des mesures (art. 2, par. 1) en vue d’assurer la pleine application de l’article 6. Ces mesures doivent avoir un caractère délibéré, concret, et viser aussi clairement que possible à la mise en œuvre des obligations relatives à la réalisation du droit au travail. Les États parties doivent y appliquer tous les moyens appropriés, y compris en particulier l’adoption de mesures législatives. Le Comité reconnaît qu’une législation du travail conforme aux normes internationales est une condition essentielle au plein exercice du droit au travail. Cela étant, l’adoption de mesures législatives n’épuise nullement les obligations des États parties prévues à l’article 6 du Pacte. Dans les cas où le droit au travail est reconnu par la constitution, ou lorsque les dispositions de l’article 6 du Pacte ont été directement incorporées dans la loi nationale, le Comité souhaitera qu’on lui dise dans quelle mesure ce droit est considéré comme justiciable (c’est‑à‑dire s’il est possible de l’invoquer devant les tribunaux).

33.Il est en principe impossible de parvenir en un court laps de temps au plein exercice du droit au travail. La principale obligation de résultat consiste à prendre des mesures en vue d’assurer progressivement la mise en œuvre intégrale de l’article 6 du Pacte. Le Comité considère qu’une mise en œuvre progressive du droit au travail sur telle ou telle période ne doit pas être interprétée comme privant les obligations des États parties de tout contenu effectif. Cela signifie plutôt que les États parties ont l’obligation concrète et continue d’œuvrer aussi rapidement et aussi efficacement que possible pour atteindre la pleine application de l’article 6.

34.Le Comité est d’avis que chaque État partie a l’obligation fondamentale minimum d’assurer, au moins, la satisfaction de l’essentiel du droit au travail, et d’agir au maximum de ses ressources disponibles à cette fin. Le manque de ressources ne dispense nullement de l’obligation de contrôler le degré de réalisation − et surtout de non‑réalisation − du droit au travail, ainsi que d’élaborer des stratégies et des programmes pour sa réalisation. Le Comité a déjà abordé ces questions dans ses Observations générales no 1 (1989) et no 3 (1990).

35.Le Comité considère que la pleine mise en œuvre de l’article 6 du Pacte exige des États parties qu’ils prennent les mesures concrètes suivantes:

a)Augmentation des emplois grâce à une croissance économique équilibrée et à long terme dans le cadre d’une politique économique et sociale raisonnable;

b)Diminution de la pauvreté par la fourniture d’emplois rémunérés et productifs et d’un accès aux biens et aux services de base;

c)Égalité des droits en matière d’emploi grâce à l’amélioration du fonctionnement du marché du travail et à l’instauration d’un meilleur équilibre entre l’offre et la demande de main‑d’œuvre;

d)Amélioration de la productivité du travail et de la qualité de l’emploi dans les secteurs formel et informel de l’économie;

e)Protection des groupes de travailleurs les plus vulnérables et élimination de la discrimination à l’égard de certains groupes, comme les femmes, les jeunes, les handicapés, les travailleurs âgés et les migrants;

f)Grande vigilance en ce qui concerne le problème des migrations, qui pose de très graves problèmes de placement et d’intégration des travailleurs tant dans les pays de séjour que dans les pays d’origine.

36.Comme dans le cas de tous les autres droits garantis par le Pacte, il convient de partir du principe qu’aucune mesure rétrograde en matière de droit au travail n’est autorisée, notamment pour ce qui concerne les licenciements. S’il prend délibérément une mesure rétrograde dans ce domaine, l’État partie est tenu d’apporter la preuve qu’il l’a fait après avoir mûrement pesé toutes les autres solutions possibles et qu’elle est pleinement justifiée eu égard à l’ensemble des droits visés dans le Pacte, compte tenu de toutes les ressources disponibles.

37.À l’instar de tous les autres droits de l’homme, le droit au travail impose aux États parties trois catégories ou niveaux d’obligations: les obligations de respecter, de protéger ce droit et celle de lui donner effet. Cette dernière englobe à son tour les obligations d’en faciliter l’exercice, de l’assurer et de le promouvoir. L’obligation de respecter implique que les États s’abstiennent de porter atteinte au droit au travail, directement ou indirectement. L’obligation de protéger implique que les États prennent toutes les mesures de nature à empêcher que des tiers ne portent atteinte aux garanties prévues à l’article 6. Enfin, l’obligation de donner effet implique que les États prennent toutes mesures législatives, administratives, budgétaires, judiciaires, d’incitation et autres pour assurer le plein exercice du droit au travail.

Obligations juridiques spécifiques

38.Comme tout autre droit de l’homme, le droit au travail impose aux États parties l’obligation de le respecter, l’obligation de le protéger et l’obligation de lui donner effet.

Obligation de respecter

39.En vertu de l’obligation de respecter, les États parties s’abstiennent de porter atteinte directement ou indirectement à l’exercice du droit au travail. Cette obligation comprend, entre autres, celle de s’abstenir de toute pratique ou de toute participation à toute activité tendant à supprimer ou restreindre l’égalité d’accès à un travail décent; celle de s’abstenir de toute mesure tendant à empêcher ou limiter l’égalité d’accès au travail de tous, y compris les membres de minorités, les demandeurs d’asile, les détenus (sur une base volontaire), les immigrants en situation irrégulière, etc., ainsi que celle de réduire les inégalités entre ces personnes et les autres travailleurs; celle de s’abstenir de toute pratique discriminatoire dans le domaine de la politique de l’État ainsi que de toute attitude discriminatoire à l’égard du travail des femmes et de leurs besoins professionnels.

40.Le Comité note que lors de conflits armés, de situations d’urgence ou de catastrophes, le droit au travail comporte les obligations qui incombent aux États parties en vertu du droit international humanitaire.

Obligation de protéger

41.L’obligation de protéger implique que les États parties prennent des mesures visant à empêcher toute atteinte à l’exercice du droit au travail par des tiers. Les tiers s’entendent des personnes physiques, morales et autres sujets de droit ainsi que des agents placés sous leurs ordres. Cette obligation comprend entre autres la mise en œuvre de toutes mesures nécessaires et utiles d’ordre législatif ou autre de nature à empêcher, par exemple, toute entreprise de tiers visant à dénier l’égalité d’accès à un travail décent. Elle implique notamment que les États parties adoptent une législation nationale du travail conforme aux normes internationales en matière de droit au travail ainsi que des mesures complémentaires visant à garantir l’égalité d’octroi du droit au travail; soient attentifs à ce que les privatisations ne conduisent pas à des compressions de personnel; élaborent des plans de formation et de recyclage favorisant l’obtention d’un emploi et assurent une politique de lutte contre le chômage.

Obligation de donner effet

42.L’obligation de donner effet au droit au travail comprend celles d’en faciliter l’exercice, de le promouvoir et de l’assurer. L’obligation de faciliter l’exercice implique que l’État prenne des mesures positives de nature à aider les personnes, individuellement ou collectivement, à exercer ce droit. De par l’obligation de promouvoir, l’État partie est tenu de prendre des mesures pour assurer la diffusion des informations nécessaires à l’exercice du droit au travail. En outre, les États parties sont tenus de mettre en œuvre (de garantir) le droit au travail dans les cas où une personne ou un groupe de personnes n’est pas en mesure, pour des raisons indépendantes de sa volonté, d’exercer ce droit par ses propres moyens.

43.L’obligation de donner effet implique que l’État partie prenne toutes les mesures qui s’imposent pour assurer le plein exercice du droit au travail. Cette obligation implique entre autres une reconnaissance appropriée dudit droit dans le cadre des systèmes politique et juridique nationaux, de préférence par son inscription dans la loi; l’élaboration d’une stratégie nationale de l’emploi et l’adoption de plans d’action à cet effet; la mise en place de conditions telles qu’au plan économique, le droit au travail soit accessible à chacun; enfin, des facilités d’accès plus importantes et plus stables à un travail décent, notamment dans les régions rurales et dans les régions urbaines défavorisées.

Obligations internationales

44.Au paragraphe 13 de l’Observation générale no 3 (1990), le Comité fait observer que chacun des États parties s’engage à «agir, tant par son effort propre que par l’assistance et la coopération internationales, notamment sur les plans économique et technique» en vue d’assurer l’exercice des droits reconnus dans le Pacte, et avant tout le droit au travail. Conformément aux Articles 55 et 56 de la Charte des Nations Unies, et aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 2 et des articles 6, 22 et 23 du Pacte, les États parties doivent reconnaître l’importance vitale de la coopération et de l’assistance internationales et agir, tant conjointement que séparément, en vue de garantir le plein exercice du droit au travail. Au paragraphe 3 de l’Observation générale no 1 (1989), il fait observer que l’État partie pourra indiquer dans son rapport au Comité la «nature» et l’importance de l’assistance internationale qui lui serait nécessaire.

45.Pour honorer leurs obligations internationales relatives au droit au travail, les États parties doivent respecter la façon dont ce droit est mis en œuvre dans d’autres pays. Dans le cadre de la coopération internationale, il est exigé des États parties qu’ils s’abstiennent de toute action de nature à porter directement ou indirectement atteinte à l’exercice du droit au travail dans d’autres pays. Aucune mesure prise sous la juridiction d’un État partie ne peut priver un autre pays de la possibilité de réaliser le droit au travail dans l’intérêt des personnes qui se trouvent sous sa juridiction.

46.Les États parties s’abstiennent de tout comportement de nature directement ou indirectement restrictive à l’encontre d’un autre pays ainsi que de toute mesure de cet ordre visant à faire obstacle à la libre circulation des ressources humaines, nécessaire à l’exercice du droit au travail. En aucun cas le travail ne saurait être utilisé comme moyen de pression politique et économique. À cet égard, le Comité rappelle sa position exposée dans l’Observation générale no 8 (1997), sur le rapport entre les sanctions économiques et le respect des droits économiques, sociaux et culturels.

47.Les États parties doivent prendre des mesures visant à empêcher que leurs propres ressortissants et entreprises ne violent le droit au travail des individus dans des pays tiers. Si les États parties sont en mesure d’exercer une influence sur des tiers dans le but de réaliser ce droit par des moyens juridiques ou politiques, ils doivent le faire conformément à la Charte des Nations Unies et au droit international applicable.

48.Selon les ressources dont ils disposent, les États doivent permettre la réalisation du droit au travail dans d’autres pays, par exemple grâce à une aide financière et technique ou toute autre aide appropriée en cas de nécessité. Dans le cas d’une aide destinée à faire face aux conséquences d’une catastrophe ou d’une situation d’urgence, notamment s’il s’agit de venir en aide à des réfugiés et personnes déplacées, il convient d’être particulièrement attentif aux droits reconnus dans le Pacte, notamment celui d’avoir accès à un travail décent. L’aide internationale doit être apportée d’une manière conforme aux dispositions du Pacte ou aux autres normes relatives aux droits en matière d’emploi, et ce, de façon stable et en tenant compte des particularités culturelles. Les États parties développés ont une obligation particulière d’apporter leur aide aux pays pauvres en développement et tout intérêt à le faire.

49.Les États parties doivent faire en sorte que dans la réalisation du droit au travail, il soit dûment tenu compte des accords internationaux; à cet égard, il convient d’élaborer des actes réglementaires complémentaires. Lorsqu’ils concluent et mettent en œuvre de nouveaux accords internationaux et régionaux, les États parties doivent prendre des mesures pour garantir que ces accords n’aient pas de conséquences néfastes sur le droit au travail. Les accords de libéralisation du commerce ne sauraient limiter ou altérer la possibilité pour tout pays de réaliser pleinement le droit au travail.

50.Les États parties sont tenus de garantir que dans leur activité de membre des organisations internationales, il soit dûment tenu compte du droit au travail. En conséquence, les États parties membres d’institutions financières internationales, telles que le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et les banques régionales de développement, doivent prendre des mesures pour garantir que le droit au travail soit pris en considération dans le cadre des politiques de crédit, accords de prêt et autres mesures internationales appliquées par ces institutions.

Obligations fondamentales

51.Dans l’Observation générale no 3 (1990), le Comité réaffirme que chaque État partie a l’obligation fondamentale minimum d’assurer, au moins, la satisfaction de l’essentiel de chacun des droits prévus dans le Pacte. Le Comité est d’avis qu’on peut dresser la liste minimale ci‑après des obligations fondamentales en ce qui concerne le droit au travail, qu’exige sa réalisation immédiate:

a)Garantir l’accès à un emploi permettant au minimum d’assurer des conditions normales de subsistance;

b)Interdire la discrimination en matière de travail et d’emploi et garantir le droit d’accès sans discrimination à un travail décent, surtout aux couches de la population aux ressources modestes ou déshéritées;

c)Assurer la sécurité et l’hygiène du travail et du milieu industriel (pollution de l’air, bruits, vibrations), prendre des mesures prophylactiques pour protéger les travailleurs de certaines maladies professionnelles;

d)Contribuer à créer des conditions répondant autant que possible aux capacités physiques et intellectuelles de chacun et assurant la sécurité et l’hygiène sur le lieu de travail, notamment par l’application des principes économiques à la conception des instruments de travail et de l’organisation du travail et par la prévention des situations de surcharge intolérable et de surmenage;

e)Garantir l’absence de tout danger pour la sécurité personnelle lors de l’accès physique à un emploi décent;

f)Créer des bureaux de placement (bourses du travail) gratuits, mettre en place des mesures organisationnelles permettant de réduire le chômage;

g)Garantir l’égalité d’accès à l’emploi et l’égalité de traitement sur le marché du travail, favoriser l’emploi des couches sociales les plus vulnérables;

h)Soutenir et développer les forces de production;

i)Mettre en pratique des formes d’emploi plus souples et originales permettant d’augmenter les besoins globaux en main‑d’œuvre;

j)Condamner et abolir le recours au travail forcé ou obligatoire dans les plus brefs délais;

k)Interdire le travail des enfants et réglementer sévèrement le travail des adolescents, protéger les enfants et les adolescents des conditions de travail néfastes;

l)Adopter et mettre en œuvre une stratégie nationale et des plans d’action visant à garantir l’emploi et touchant l’ensemble de la population; les stratégies et plans d’action doivent être élaborés et réexaminés périodiquement en tenant compte des principes de participation et de transparence; dans le processus d’élaboration de la stratégie et du plan d’action, mais également dans le contenu de ces documents, on portera une attention toute particulière aux couches de la population aux ressources modestes et déshéritées;

m)S’informer régulièrement du degré de réalisation ou de non‑réalisation du droit au travail;

n)Mettre en place des services d’aide aux travailleurs migrants compétents et gratuits;

o)Garantir l’égalité d’accès de tous à la formation professionnelle et à un emploi rémunéré sans discrimination d’aucune sorte;

p)Mettre en œuvre une politique nationale et des programmes de formation professionnelle en collaboration avec les organisations d’employeurs et de travailleurs;

q)Prévoir des moyens de protection juridique ou toutes autres mesures efficaces relatives à la réalisation du droit au travail.

52.Afin d’ôter tout doute, le Comité tient à souligner que les États parties et autres entités pouvant apporter une aide ont la responsabilité particulière d’apporter une aide internationale et de développer la coopération, en particulier sur les plans économique et technique, permettant aux pays en développement de remplir leurs obligations fondamentales énumérées au paragraphe 51.

III. MANQUEMENTS AUX OBLIGATIONS

53.Quand le contenu normatif du droit au travail (cf. chap. I) est appliqué aux obligations des États parties (chap. II), un processus est mis en route qui permet de mettre en évidence les atteintes au droit au travail. On en trouvera ci-après des exemples.

54.Pour déterminer quelles actions ou omissions constituent une atteinte au droit au travail, il importe d’établir, chez l’État partie qui ne s’acquitte pas des obligations assumées au titre de l’article 6, une distinction entre incapacité et manque de volonté. Ceci découle du paragraphe 1 de l’article 6, où il est question de la reconnaissance du droit au travail par les États parties, ainsi que du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, qui fait obligation à chaque État partie de prendre les mesures appropriées au maximum de ses ressources disponibles. Un État non désireux d’utiliser les ressources à sa disposition pour donner effet au droit au travail manque par conséquent aux obligations lui incombant en vertu de l’article 6. Si c’est la pénurie de ressources qui met un État dans l’impossibilité de se conformer aux obligations découlant du Pacte, cet État a alors la charge de démontrer qu’il n’a négligé aucun effort pour exploiter toutes les ressources à sa disposition en vue de s’acquitter à titre prioritaire des obligations indiquées plus haut. Il convient toutefois de souligner que, quelles que soient les circonstances, l’État partie ne saurait justifier l’inexécution des obligations fondamentales énoncées au paragraphe 49 ci-dessous, auxquelles il est impossible de déroger.

55.Les atteintes au droit au travail peuvent être le fait d’une action directe soit de l’État, soit d’autres entités dont l’activité n’est pas suffisamment réglementée par les pouvoirs publics. L’adoption de toute mesure rétrograde incompatible avec les obligations fondamentales relevant du droit au travail qui sont indiquées au paragraphe 51 ci-dessus constitue une atteinte au droit au travail. Les manquements par action englobent dès lors l’abrogation ou la suspension officielle des lois nécessaires pour maintenir la possibilité d’exercer le droit au travail, ou l’adoption de lois ou de politiques manifestement incompatibles avec des obligations juridiques préexistantes à caractère interne ou international ayant trait au droit au travail.

56.L’État peut également porter atteinte au droit au travail par inaction, en omettant de prendre des mesures indispensables découlant d’obligations juridiques. Parmi ces atteintes par omission figurent le fait pour un État de ne pas prendre les mesures voulues pour assurer la pleine réalisation du droit au travail, le fait de ne pas adopter de politique nationale concernant la promotion de l’emploi et d’un travail décent, ainsi que de ne pas créer des conditions de sécurité et d’hygiène du travail et, enfin, le fait de ne pas assurer l’application des lois pertinentes.

Manquements à l’obligation de respecter

57.L’État peut se soustraire à l’obligation de respecter par des actions, des politiques ou des lois contraires aux dispositions de l’article 6 du Pacte et susceptibles de se révéler discriminatoires dans le domaine du travail et de l’emploi, de compromettre les conditions de sécurité et d’hygiène du travail, ou d’entraîner le recours au travail forcé ou obligatoire et au travail des enfants. On peut citer à titre d’exemple le déni d’accès à un travail décent dont sont victimes certains individus ou groupes sous l’effet d’une discrimination de fait ou de droit; la rétention ou la déformation délibérée d’informations qui sont cruciales pour la réalisation du droit au travail; la suspension de la législation en vigueur ou l’adoption de lois ou de politiques qui font obstacle à l’exercice de l’une ou l’autre des composantes du droit au travail, et le fait pour l’État de ne pas tenir compte des obligations juridiques qui lui incombent en matière de droit au travail lors de la conclusion d’accords bilatéraux ou multilatéraux avec d’autres États, avec des organisations internationales ou avec d’autres entités telles que des sociétés transnationales.

Manquements à l’obligation de protéger

58.L’État peut enfreindre l’obligation de protéger quand il s’abstient de prendre toutes les mesures voulues pour protéger les personnes qui relèvent de sa juridiction des atteintes au droit au travail imputables à des tiers. Dans cette catégorie de manquements entrent certaines omissions, comme le fait de ne pas réglementer l’activité de particuliers, de groupes ou de sociétés aux fins de les empêcher de porter atteinte au droit au travail d’autrui; le fait de ne pas protéger les travailleurs contre des pratiques discriminatoires dans le domaine du travail et de l’emploi, par exemple de la part des employeurs; le fait de ne pas prendre de mesures destinées à lutter contre le travail forcé ou obligatoire, et contre le travail des enfants; le fait de ne pas protéger les femmes des violences dirigées contre elles ou de ne pas en poursuivre les auteurs; et le fait de ne pas adopter de lois ou de ne pas assurer l’application de lois destinées à empêcher la discrimination de la part des employeurs dans le domaine du travail et de l’emploi.

Manquements à l’obligation de donner effet

59.L’État partie manque à l’obligation de donner effet au droit au travail quand il s’abstient de prendre toutes les mesures voulues pour garantir la réalisation de ce droit. On citera à titre d’exemple le fait de ne pas adopter ou de ne pas mettre en œuvre de politique nationale de promotion de l’emploi destinée à garantir à chacun la réalisation de ce droit; le fait d’y consacrer un budget insuffisant ou de répartir à mauvais escient les deniers publics, si bien qu’il sera impossible à certains individus ou certains groupes, et tout particulièrement les groupes vulnérables et marginalisés, d’exercer leur droit au travail; le fait de ne pas contrôler la réalisation du droit au travail à l’échelle nationale, comme l’État pourrait le faire, par exemple, en définissant des indicateurs et des critères permettant de vérifier si le droit est exercé; le fait de s’abstenir de mettre en œuvre les moyens destinés à garantir le droit au travail, notamment une approche qui tienne compte des distinctions de sexe; et le fait de ne pas prendre les mesures voulues pour interdire le recours au travail forcé ou obligatoire ainsi qu’au travail des enfants.

IV. LA RÉALISATION DU DROIT AU TRAVAIL DANS L’ORDRE INTERNE

Une législation ‑cadre

60.Les mesures les mieux adaptées qu’il soit possible de prendre pour donner effet au droit au travail vont être très variables d’un pays à l’autre: chaque État dispose d’une marge d’appréciation discrétionnaire quand il décide quelles mesures sont les mieux adaptées à ses besoins particuliers. Cela étant, le Pacte impose clairement à chaque État le devoir de prendre toutes dispositions nécessaires pour faire en sorte que chaque individu ait accès à un travail décent. D’où la nécessité d’adopter à l’échelle nationale une stratégie visant à assurer à tous l’exercice du droit au travail, les objectifs de ladite stratégie étant définis à partir des principes relatifs aux droits de l’homme, et de définir en outre les politiques, indicateurs et critères connexes. Cette stratégie nationale de promotion de l’emploi impose également de déterminer les ressources dont l’État est doté pour atteindre les objectifs fixés et les moyens les plus rentables de les mettre en œuvre.

61.L’élaboration et la mise en œuvre d’une stratégie et d’un plan d’action national pour la promotion de l’emploi doivent tout particulièrement respecter les principes de non‑discrimination et de participation. Il faut notamment que le droit des individus et des groupes à participer à la prise de décisions susceptibles d’orienter leur développement fasse partie intégrante de toute politique, de tout programme ou de toute stratégie ayant pour objet de donner effet aux obligations incombant à l’État au titre de l’article 6. Promouvoir le droit au travail passe nécessairement par l’association effective des collectivités locales à la définition des priorités, à la prise des décisions, à la planification, à la mise en œuvre et à l’évaluation de la stratégie de promotion de l’emploi. Il n’est possible de garantir le droit au travail que si l’État s’assure à cette fin de la participation de la population.

62.La stratégie nationale de promotion de l’emploi et le plan d’action devraient en outre reposer sur les principes de redditionalité, transparence et indépendance de la magistrature, dans la mesure où une bonne gouvernance est indispensable à l’exercice effectif de l’ensemble des droits de l’homme, dont le droit au travail. Pour instaurer un climat favorable à l’exercice de ce droit, il faut que les États parties adoptent les mesures voulues pour faire en sorte que le secteur privé et les institutions de la société civile prennent conscience de l’importance que revêt le droit au travail et en tiennent compte dans leurs activités.

63.Les États devraient envisager d’adopter une loi-cadre pour assurer concrètement la mise en œuvre de leur stratégie nationale relative au droit au travail. Cette loi-cadre devrait instituer des mécanismes nationaux de contrôle de la mise en œuvre de la stratégie nationale pour la promotion de l’emploi et des plans d’action. Elle devrait contenir des dispositions sur les objectifs à atteindre et le calendrier d’exécution; sur les moyens permettant de respecter les critères fixés en matière de droit au travail; sur la collaboration à instaurer avec la société civile, notamment les experts des questions de travail, le secteur privé et les organisations internationales; sur les institutions chargées de la mise en œuvre de la stratégie nationale de promotion de l’emploi et des plans d’action, ainsi que sur les procédures de recours disponibles. En évaluant les progrès accomplis sur la voie de la réalisation du droit au travail, les États parties devraient aussi déterminer les facteurs et difficultés qui les gênent dans l’exécution de leurs obligations.

Indicateurs et critères concernant le droit au travail

64.Toute stratégie nationale de promotion de l’emploi doit définir des indicateurs et des critères relatifs à l’exercice du droit au travail. Les indicateurs doivent être conçus pour permettre de suivre aux plans national et international la façon dont l’État partie tient les obligations qui lui incombent au titre de l’article 6. Les États peuvent savoir quels sont les indicateurs les mieux adaptés pour la réalisation du droit au travail, qui devront concerner différents aspects de ce droit, en sollicitant les recommandations de l’OIT, qui continue d’exercer une activité dans ce domaine. Pour définir ces indicateurs, des données ventilées par motif de discrimination proscrit sont nécessaires.

65.Afin de définir des indicateurs pertinents, les États parties sont invités à recenser des critères nationaux appropriés pour chaque indicateur. Pendant l’examen du rapport périodique, le Comité procédera à une étude supposant un examen conjoint avec l’État partie intéressé des indicateurs et critères nationaux permettant de fixer les objectifs à atteindre au cours de la période qui fera l’objet du rapport suivant. Pendant les cinq années suivantes, l’État partie se servira de ces critères nationaux pour jauger la façon dont il applique l’article 6. Lors de l’examen du rapport suivant, l’État partie et le Comité verront si les critères fixés ont été ou non remplis et pour quelles raisons des difficultés ont peut-être surgi.

Recours et obligation de rendre compte

66.Tout individu ou groupe d’individus victime d’une atteinte au droit au travail doit avoir accès à des recours judiciaires effectifs ou d’autre formes de protection juridique appropriées, au plan national comme au plan international. Toutes les victimes d’atteintes à ce droit sont nécessairement fondées à recevoir une réparation adéquate, sous forme de restitution, d’indemnisation, de satisfaction ou de garantie de non-répétition. Sur le plan national, ce sont les médiateurs et commissions des droits de l’homme, les syndicats, les commissions de règlement des litiges professionnels, les institutions de la société civile et autres organes de cette nature qu’il faut saisir des infractions au droit au travail.

67.L’intégration dans l’ordre juridique interne d’instruments internationaux consacrant le droit au travail peut élargir sensiblement la portée et renforcer l’efficacité des moyens de protection juridique et doit donc être constamment encouragée. Elle permet aux tribunaux de lutter contre les atteintes au droit au travail, ou tout au moins à son contenu fondamental, en invoquant directement les obligations découlant du Pacte.

68.Les États parties devraient encourager les magistrats et autres hommes de loi à s’intéresser davantage, dans l’exercice de leurs fonctions, aux atteintes au droit au travail. Il importe de créer sous l’égide des organes de l’État un mécanisme de médiation, de conciliation et d’arbitrage permettant le règlement à l’amiable des litiges professionnels.

69.Les États parties devraient respecter, protéger, promouvoir et soutenir l’activité des défenseurs des droits de l’homme et autres représentants des institutions de la société civile afin d’aider les groupes vulnérables ou marginalisés à réaliser leur droit au travail. Au paragraphe 5 de son Observation générale no 1 (1989), le Comité encourage l’évaluation, par l’opinion publique, des politiques nationales en matière de droits économiques, sociaux et culturels, ainsi que la participation des divers secteurs économiques, sociaux et culturels de la société civile à la formulation de ces politiques, à leur mise en œuvre et à leur réexamen, par la prise des mesures appropriées.

V. LES OBLIGATIONS D’ENTITÉS AUTRES QUE LES ÉTATS PARTIES

70.Le rôle imparti aux organismes et aux programmes des Nations Unies − notamment à l’OIT qui s’est vu attribuer une fonction déterminante dans la réalisation du droit au travail à l’échelle internationale, régionale et nationale − revêt une importance particulière. Quand ils élaborent et mettent en œuvre leur stratégie nationale de promotion de l’emploi, les États parties devraient tirer parti de l’assistance technique et de la coopération de l’OIT. En outre, quand ils établissent leurs rapports, les États parties devraient exploiter les informations exhaustives et les services consultatifs disponibles auprès de l’OIT aux fins de la collecte et de la ventilation des données ainsi que de la définition d’indicateurs et de critères concernant le droit au travail.

71.Par ailleurs, il y a lieu de continuer à mener une action coordonnée aux fins de la réalisation du droit au travail pour renforcer l’interaction entre toutes les parties intéressées, y compris les diverses composantes de la société civile. Conformément aux articles 22 et 23 du Pacte, il faut que l’Organisation internationale du Travail, l’Organisation mondiale de la santé, le Programme des Nations Unies pour le développement, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance, le Fonds des Nations Unies pour la population, la Banque mondiale, les banques régionales de développement, le Fonds monétaire international, l’Organisation mondiale du commerce ainsi que les autres organes compétents du système des Nations Unies coopèrent efficacement avec les États parties en mettant à profit leurs compétences respectives pour faciliter la mise en œuvre du droit au travail à l’échelle nationale, compte dûment tenu de leurs mandats propres. En particulier, les institutions de financement internationales, notamment la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, devraient s’attacher davantage à protéger le droit au travail dans le cadre de leur politique de crédit, de leurs accords de prêt et de leurs programmes d’ajustement structurel. En examinant les rapports périodiques des États parties et en vérifiant s’ils sont en mesure de satisfaire aux obligations imposées par l’article 6, le Comité examinera les effets de l’assistance technique apportée par tous les autres acteurs. L’adoption par les institutions spécialisées, les programmes et les organismes des Nations Unies d’une approche fondée sur la prise en compte des droits de l’homme facilitera considérablement la mise en œuvre du droit au travail. Dans ce processus, le Comité étudiera également le rôle que jouent les syndicats et les autres organisations non gouvernementales pour aider les États à s’acquitter des obligations visées à l’article 6.

72.Le rôle de l’OIT, du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et du Comité international de la Croix‑Rouge/du Croissant‑Rouge, ainsi que des organisations non gouvernementales et des syndicats nationaux revêt une importance capitale quand il s’agit de fournir des secours en cas de catastrophe et d’apporter une assistance humanitaire dans les situations d’urgence, y compris une assistance aux réfugiés et aux personnes déplacées. Au paragraphe 6 de l’Observation générale no 2 (1990), le Comité fait observer que «les organismes internationaux doivent éviter soigneusement d’appuyer des projets qui supposent, par exemple, le recours au travail forcé, en violation des normes internationales, encouragent ou renforcent la discrimination à l’encontre d’individus ou de groupes, en violation des dispositions du Pacte, ou entraînent des expulsions ou déplacements massifs, sans mesures appropriées de protection et d’indemnisation. Dans un sens positif, [ce principe] signifie que les organismes doivent, dans toute la mesure possible, appuyer les projets et les méthodes qui contribuent non seulement à la croissance économique ou à la réalisation d’objectifs plus larges, mais également au plein exercice de la totalité des droits de l’homme».

73.En matière de réalisation du droit au travail, le secteur privé est appelé à jouer un rôle important. Les entreprises publiques et privées ainsi que les sociétés transnationales, lorsqu’elles ne sont pas liées par le Pacte, ont un rôle particulier à jouer en matière de création d’emplois, de politique d’embauche et de licenciements, d’accès non discriminatoire à un travail décent, etc. Dans tout État, le secteur privé est un facteur dynamisant pour l’économie et joue un rôle de premier plan pour ce qui est non seulement d’assurer une distribution rationnelle des ressources, mais également de stimuler l’initiative individuelle, de renforcer la compétence des organes de gestion et d’améliorer la formation professionnelle, ainsi que de participer activement à l’élaboration de la politique économique et sociale nationale. De plus, le dialogue social ne peut se nouer que lorsque les États parties ménagent une importante liberté d’action aux entreprises et aux travailleurs et renoncent à le corseter au préalable sous tous ses aspects. Le principe d’une représentation tripartite − des gouvernements, des travailleurs et des employeurs − (le tripartisme) à l’OIT traduit l’application des principes de la démocratie politique: liberté, pluralisme, participation des parties intéressées à la résolution des problèmes socioprofessionnels.

74.Les syndicats sont l’un des piliers de la représentation tripartite et font contrepoids aux organisations d’employeurs. Afin de pouvoir jouer un rôle positif et constructif et pour que leur participation soit utile et effective, les syndicats doivent agir librement et répondre de leurs actes. Ils doivent se comporter comme des partenaires indépendants dans un contexte socioéconomique difficile et conduire les négociations avec les organisations d’employeurs et les pouvoirs publics en ayant en vue la protection des intérêts et le principe de participation des travailleurs. Le développement de la concertation et de la coopération tripartites est essentiel au renforcement de la société civile.

75.La conception, la nécessité, la nature, l’importance et les moyens de réalisation du travail décent ont été définis par l’OIT. La notion de travail décent avait déjà été suffisamment fondée dans la Déclaration de Philadelphie, adoptée à la vingt‑sixième session de la Conférence internationale du Travail, le 10 mai 1944. Voir à ce sujet «Réduire le déficit de travail décent: un défi mondial», rapport du Directeur général du BIT (Genève, 2001, p. 6). Le but fondamental de l’OIT aujourd’hui est que chaque femme et chaque homme puissent accéder à un travail décent et productif dans des conditions de liberté, d’équité, de sécurité et de dignité («Un travail décent», rapport du Directeur général du BIT, Genève, 1999). L’idée d’un travail décent jouit déjà d’un soutien considérable. Lors de la session extraordinaire que l’Assemblée générale des Nations Unies a tenue en 2000 comme suite au Sommet mondial pour le développement social, un soutien direct a été exprimé au programme de l’OIT en faveur du travail décent en tant qu’élément essentiel des initiatives à prendre pour l’avenir. Voir «Nous, les peuples: le rôle des Nations Unies au XXIe siècle», rapport du Secrétaire général de l’ONU, New York, 2000.

Notes