Nations Unies

E/C.12/2020/SR.12

Conseil économique et social

Distr. générale

2 mars 2020

Original : français

Comité des droits économiques, sociaux et culturels

Soixante- septième session

Compte rendu analytique de la 12 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le lundi 24 février 2020, à 15 heures

Président(e): M. Zerbini Ribeiro Leão

Sommaire

Examen de rapports

a)Rapports soumis par les États parties en application des articles 16 et 17 du Pacte (suite)

Troisième rapport périodique du Bénin

La séance est ouverte à 15 h 5.

Examen de rapports

a)Rapports soumis par les États parties en application des articles 16 et 17du Pacte (suite)

Troisième rapport périodique d u Bénin ((E/C.12/BEN/3) ; document de base faisant partie des rapports des États parties (HRI/CORE/1/Add.85) ; liste de points concernant le troisième rapport périodique du Bénin (E/C.12/BEN/Q/3) ; réponses du Bénin à la liste de points concernant son troisième rapport périodique (E/C.12/BEN/RQ/3))

1.Sur l ’ invitation du Président, la délégation béninoise prend place à la table du Comité.

2.M. Yabit (Bénin) dit que le Bénin a fait de la lutte contre toutes les formes de discrimination l’une de ses priorités, et a pris de nouvelles mesures en faveur de l’exercice par tous des droits en général et des droits économiques, sociaux et culturels en particulier. En 2017, le pays a adopté la loi portant protection et promotion des droits des personnes handicapées en République du Bénin. Cette loi garantit la prévention du handicap au moyen d’une politique sanitaire appropriée, qui repose sur le dépistage précoce et la prise en charge (vaccination, nutrition, consultations, réadaptation et traitement). En outre, elle institue la carte d’égalité des chances, dont les titulaires bénéficient de droits et avantages (réduction ou gratuité) en matière d’accès aux soins de santé, à la réadaptation et aux aides financières et techniques (tricycle, canne blanche, canne anglaise et fauteuil roulant). Elle prévoit aussi une exonération d’impôt sur les équipements destinés aux personnes handicapées et les dons au profit d’associations de promotion des droits des personnes handicapées. La violation de ses dispositions est passible d’amendes et de peines d’emprisonnement.

3.Le troisième pilier du Programme d’actions du Gouvernement béninois pour la période 2016-2021 porte sur l’amélioration des conditions de vie des populations et comporte deux axes : le renforcement des services sociaux de base et de la protection sociale, et le développement équilibré et durable de l’espace national. Les politiques et réformes mises en place dans le cadre de ce programme ont eu des retombées sur les secteurs du travail, de la sécurité sociale, de l’approvisionnement en eau et en électricité, du logement, de la santé, de l’éducation, de la culture, etc.

4.Dans le domaine de la sécurité sociale, le Bénin a élaboré une politique destinée à renforcer les mesures prises en faveur des groupes les plus vulnérables, renforcer le système d’assurance sociale et améliorer les cadres législatif et réglementaire de la protection sociale. Concrètement, le Gouvernement s’emploie à mettre en œuvre le projet « Assurance pour le renforcement du capital humain » (ARCH). Ce dispositif s’adresse essentiellement aux travailleurs les plus démunis des secteurs de l’agriculture, du commerce, du transport, de l’artisanat, de l’art et de la culture, ainsi qu’aux personnes démunies sans emploi. Un projet de services décentralisés d’initiative locale est aussi mené à titre expérimental dans certaines communes. Il vise à renforcer la résilience des couches les plus démunies, les plus vulnérables ou chroniquement vulnérables de la population. Il bénéficie déjà à quelque 13 000 ménages répartis dans 12 communes du Bénin, mais sera étendu à terme à tout le territoire national. En 2019, la totalité des ressources du Fonds d’appui au développement des communes (FADeC) non affecté, soit près de 39 milliards de francs CFA (contre environ 27,3 milliards en 2018), a été mise effectivement à la disposition des collectivités locales.

5.Des progrès notables ont été enregistrés dans le domaine de l’éducation. La qualité de l’enseignement et de l’offre éducative, les conditions de travail des enseignants et les conditions d’accès et de maintien à l’école ont nettement progressé ces dernières années. La gratuité de l’enseignement primaire a été maintenue et des manuels scolaires ont même été mis à la disposition des élèves à titre gracieux. En 2019, 51 % des écoles maternelles et primaires ont été dotées de cantines scolaires. Désormais, plus de 800 000 enfants répartis dans plus de 4 000 écoles mangent au moins un repas chaud par jour. La dotation annuelle de ces cantines scolaires est passée d’un milliard de francs CFA en moyenne jusqu’en 2017 à 14 milliards en 2019. En outre, une base de données des aspirants au métier d’enseignant a été constituée et a permis de déployer quelque 16 000 enseignants supplémentaires dans le secondaire et environ 11 000 enseignants supplémentaires dans le primaire.

6.Dans l’enseignement secondaire de premier cycle, le gouvernement a poursuivi sa politique d’exonération des frais de scolarité pour les jeunes filles. En 2019, cette mesure a coûté environ 2,5 milliards de francs CFA et bénéficié à 230 107 collégiennes. De plus, six lycées de jeunes filles ont reçu une subvention. Au niveau de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, il convient de mentionner l’augmentation du nombre de bénéficiaires de bourses et secours universitaires (29 977 en 2018-2019 et 20 010 en 2019‑2020 contre 14 197 en 2017-2018), le recrutement de 200 assistants pédagogiques en 2018-2019, la poursuite de l’assainissement du secteur de l’enseignement supérieur privé, l’organisation des examens nationaux de licence et de master, et la mise en place du nouveau Conseil national de l’éducation, qui est doté de larges attributions.

7.En ce qui concerne le droit à la santé, plusieurs textes ont été adoptés pour améliorer les conditions de travail, définir des normes et réglementer la qualité des soins. Le Gouvernement a procédé au renforcement du plateau technique de nombreux centres de santé sur tout le territoire. Les travaux de construction de plusieurs hôpitaux de référence ont débuté et avancent à un rythme satisfaisant. Quant à l’amélioration du cadre de vie, les travaux de la première phase du projet « Asphaltage » sont en cours dans les grandes villes du pays et prendront fin en 2020. Ils contribueront à moderniser le cadre de vie et à améliorer la mobilité. En matière d’assainissement, un projet de salubrité et de gestion des déchets solides ménagers est mis en œuvre dans les villes du Grand Nokoué (Cotonou, Porto-Novo, Abomey-Calavi et Ouidah). Des mesures sont également prises pour promouvoir le logement des classes moyennes. Il est par exemple prévu de construire 20 000 logements sociaux, et le financement de la première phase de la construction de 12 049 de ces logements est déjà assuré.

8.En matière d’accès à l’eau potable et à l’électricité, des résultats encourageants ont été enregistrés, notamment l’amélioration de la capacité de stockage d’eau (plus de 143 000 m3 supplémentaires), la réalisation des travaux de construction de réseaux de distribution et d’adduction, et le raccordement de plus de 12 000 nouveaux foyers. Au total, 493 milliards de francs CFA ont été alloués à des projets d’approvisionnement en eau potable, dont plus de 300 milliards pour les seules régions rurales. S’agissant de la gestion des mines, le Bénin s’est doté d’un nouveau code pétrolier, plus strict sur le plan environnemental. Le Gouvernement a également entamé l’élaboration des textes législatifs et réglementaires qui régiront le secteur, et procédé à la sécurisation de divers sites. Récemment, les centrales thermiques de la Société béninoise d’énergie électrique (capacité de 30 MW) ont été réhabilitées et la centrale thermique de Maria Gléta (capacité de 127 MW) a été mise en service, de sorte que le pays dispose désormais d’une capacité de production d’environ 160 MW, soit la moitié des besoins aux heures de pointe.

9.L’État a financé au moyen des ressources intérieures les plans de développement des filières riz, maïs, manioc, anacarde, ananas, viande, lait et œufs de consommation, ainsi que des aménagements hydro-agricoles. L’écosystème aquatique est désormais débarrassé des engins prohibés et offre de meilleures conditions de navigation et de développement des stocks halieutiques. Ces mesures ont permis de maîtriser les prix des principaux produits alimentaires de grande consommation et d’améliorer la sécurité alimentaire de la population. Le taux de ménages en situation d’insécurité alimentaire est passé de 11 % en 2018 à 9 % en 2019.

10.En ce qui concerne la promotion de l’emploi et des petites et moyennes entreprises, le programme Emploi Jeunes a bénéficié à 17 000 jeunes dans les 77 communes du Bénin, dont au moins 50 % de femmes, et une étude a été menée en vue de la création d’un fonds de soutien aux microentreprises et aux petites et moyennes entreprises, ainsi qu’à l’entrepreneuriat féminin. Il convient également de souligner le lancement prochain du Programme spécial d’insertion dans l’emploi, qui vise à recruter chaque année 2 000 jeunes diplômés et à les placer dans des entreprises privées ou publiques pendant deux ans, avec l’espoir qu’ils seront recrutés à l’issue de cette période d’insertion ou se lanceront dans l’emploi indépendant. Un partenariat pour la promotion de l’entrepreneuriat féminin et la valorisation des matières premières a aussi été mis en place. Il a débouché sur la construction de 126 unités de transformation des matières premières, qui ont profité à plus de 25 000 personnes, dont au moins 8 000 femmes. Grâce aux mesures de facilitation du climat des affaires, le guichet unique de l’Agence de promotion des investissements et des exportations (APIEX) a enregistré la création de près de 22 000 entreprises au cours des trois premiers trimestres de l’année 2019. Quant au microcrédit, le Fonds national de la microfinance a déjà décaissé plus de 15 milliards de francs CFA au profit de milliers de bénéficiaires, qui sont en majorité des femmes.

11.Plusieurs initiatives publiques comme privées ont contribué à l’effectivité du droit des citoyens de participer à la vie culturelle. M. Yabit cite à cet égard l’adoption du décret no 2011-322 du 2 avril 2011 portant statut de l’artiste en République du Bénin et du décret no 2015-486 du 7 septembre 2015 portant création, attributions, organisation et fonctionnement du Fonds d’aide à la culture, les mesures prises en vue du rapatriement du patrimoine culturel confisqué sous la colonisation, la construction ou la modernisation en cours de plusieurs musées thématiques sur l’art, l’histoire et la culture du Bénin précolonial, l’organisation de plusieurs manifestations culturelles, l’appui à l’enseignement des langues vernaculaires dans les écoles, ainsi que la création et l’animation de clubs culturels dans les écoles, lycées et universités d’enseignement public.

12.M. Abdel- Moneim (Rapporteur pour le Bénin) souhaite la bienvenue à la délégation béninoise, qu’il remercie pour son exposé détaillé et la qualité du troisième rapport périodique de l’État partie.

Articles 1er à 5 du Pacte

13.M. De Schutter note qu’aucune dotation budgétaire n’a été accordée à la Commission béninoise des droits de l’homme (CBDH) en 2019 et demande si l’État partie entend procurer à cette institution les moyens nécessaires à son fonctionnement. Il demande si le Gouvernement envisage de modifier la loi no 2012-36 portant création de cette commission pour l’aligner sur les Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris), de façon à obtenir auprès de l’Alliance globale des institutions nationales des droits de l’homme le statut « A » de pleine conformité à ces principes, comme le Bénin s’y était engagé dans le cadre de l’Examen périodique universel en novembre 2017.

14.Des inquiétudes ont été exprimées quant à l’entrée en vigueur en 2019 du Code pénal, et notamment de son article 240, qui dispose que « toute provocation directe à un attroupement non armé soit par discours proféré publiquement, soit par écrits ou imprimés affichés ou distribués » est susceptible d’une peine d’emprisonnement. Beaucoup de défenseurs des droits de l’homme voient dans cet article une menace pour la liberté d’expression, la liberté de réunion pacifique et le droit de manifester. Il serait intéressant que la délégation s’exprime sur ce point et explique comment le pays compte veiller à ce que cette disposition ne dissuade pas certaines personnes d’exercer des libertés essentielles, y compris pour réclamer le respect des droits économiques, sociaux et culturels.

15.Soucieux de s’assurer que le Bénin agit au maximum de ses ressources disponibles pour réaliser les droits économiques, sociaux et culturels, le Comité a posé un certain nombre de questions sur les choix budgétaires et la législation fiscale du pays. Le Bénin a répondu qu’il avait un budget essentiellement fiscal et que les informations relatives à sa structure fiscale n’étaient pas disponibles (par. 12 et 13 des réponses à la liste de points). Le Comité ne saurait se satisfaire de ces réponses. D’après les renseignements disponibles, les entreprises industrielles sont imposées à 25 % de leurs bénéfices, les entreprises non industrielles à 30 % et les entreprises du secteur des hydrocarbures à 35 à 45 %. Le Comité croit savoir que des exemptions d’impôts peuvent être accordées toutefois pour des périodes allant de trente mois à cinq ans, voire jusqu’à dix ans pour les zones franches industrielles. L’impôt sur les personnes physiques est progressif (0 à 45 %) et la TVA est fixée à 18 %. Il serait utile que la délégation confirme ces chiffres, fournisse des informations sur l’évolution du système de fiscalité, précise à quelles entreprises les exemptions d’impôts s’adressent et indique s’il existe à cet égard un manque à gagner, qu’il serait possible éventuellement de combler pour financer des programmes sociaux en matière de santé, d’éducation ou de logement. Une estimation du montant des concessions fiscales accordées à des investisseurs désireux de s’implanter au Bénin serait la bienvenue.

16.M. De Schutter constate avec préoccupation que l’Autorité nationale de lutte contre la corruption a des moyens limités et aurait vu son budget diminuer au fil des ans. Il sollicite des commentaires de la délégation à ce sujet. Il demande si le décret portant Code de transparence dans la gestion des finances publiques en République du Bénin, en particulier l’article 9 de celui-ci, est l’équivalent d’une loi sur l’accès à l’information, qui permet aux ONG et aux médias d’assurer leur fonction de vigilance, et aimerait obtenir des renseignements sur la mise en œuvre de ce décret. Le Comité a pris connaissance du décret no 2013-122 du 6 mars 2013 portant conditions de protection spéciale des dénonciateurs, des témoins, des experts et victimes des actes de corruption, qui vise à protéger les lanceurs d’alerte. La délégation béninoise est invitée à fournir des informations sur l’application de ce décret et la fréquence à laquelle des lanceurs d’alerte s’en prévalent.

17.En ce qui concerne l’accès des femmes à la propriété foncière, l’article 619 du Code des personnes et de la famille garantit en principe l’égalité de traitement des hommes et des femmes dans les successions, mais les coutumes et les traditions ne sont pas toujours alignées parfaitement sur le droit formel. M. De Schutter souhaite savoir quels efforts sont faits pour informer les femmes du contexte juridique traditionnel et codifié et des recours dont elles disposent pour faire valoir leur droit d’accès à la propriété foncière, et quelles mesures sont prises pour inciter les élus locaux, les agents de l’administration et les autorités traditionnelles à prendre en considération les droits des femmes dans l’attribution et l’exploitation des terres, et pour indemniser les propriétaires en cas d’expropriation. Il souhaite connaître également les mesures prises pour amener les responsables politiques à faire respecter les textes dans lesquels des droits sont conférés aux femmes, et pour informer les femmes des droits dont elles peuvent se prévaloir en application non seulement du Code des personnes et de la famille, mais également du Code foncier.

La séance est suspendue à 15 h 40 ; elle est reprise à 15 h 50.

18.M. Todjihounde (Bénin) dit que la CBDH a été officiellement mise en place le 3 janvier 2019, date à laquelle il n’était plus possible de soumettre l’adoption de son budget au Parlement, et qu’elle n’a donc pas eu, en 2019, les moyens nécessaires à son fonctionnement. Elle a cependant bénéficié de diverses ressources nationales et, depuis septembre 2019, trois volontaires recrutés par le Gouvernement appuient ses travaux. Le montant de la ligne budgétaire qu’il est prévu d’affecter à la CBDH en 2020 s’élevant à 570 millions de francs CFA, et la Commission devant bénéficier d’activités dans le cadre du projet d’appui à l’amélioration de l’accès à la justice et la reddition des comptes au Bénin, que le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) cofinance, la Commission devrait disposer des moyens nécessaires à son fonctionnement en 2020. Par ailleurs, la CBDH devant constituer le mécanisme national de prévention de la torture, il est envisagé de revoir la loi no 2012-36 portant création de la Commission pour intégrer ces attributions et, à cette occasion, de modifier les dispositions de la loi qui seraient contraires aux Principes de Paris.

19.M. Yabit (Bénin) dit qu’au Bénin, nul n’est menacé ou placé en détention pour le simple fait de défendre les droits de l’homme. Les défenseurs des droits de l’homme ne sont en aucun cas visés par l’article 240 du Code pénal, qui ne punit que les personnes qui provoquent une manifestation sur la voie publique sans en avoir informé les autorités compétentes, l’objectif étant uniquement de préserver l’ordre public.

20.La part du budget national affectée aux dépenses sociales est en nette augmentation depuis 2015, et sera de 51,7 % en 2020 quand elle était de 21,7 % en 2015. Si la TVA s’élève à 18 % au Bénin, le Gouvernement a adopté des mesures d’incitation à la création d’entreprises et en faveur de l’investissement, ce qui permet de créer des richesses et des emplois. Il s’efforce en permanence de faire en sorte que les entreprises qui bénéficient d’avantages fiscaux apportent leur contribution au développement du pays. Il a, pour cela, réexaminé plusieurs accords d’investissement qui octroyaient à certaines entreprises des avantages excessifs.

21.La lutte contre la corruption est une préoccupation majeure du Gouvernement béninois. En application de la loi no 2018-013, il a créé la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme et mis en place, au sein de la police judiciaire, la brigade économique et financière (BEF). Ces deux organes ont une compétence nationale, et leur personnel est spécialement formé à la lutte contre la corruption. Depuis 2016, le Gouvernement met l’accent sur la rationalisation des dépenses publiques, raison pour laquelle il a réduit le budget de l’Autorité nationale de lutte contre la corruption, auparavant démesuré par rapport aux résultats obtenus. Il souhaite également mieux préciser le rôle de cette autorité afin que ses activités soient davantage axées sur la prévention de la corruption.

22.L’adoption du décret no 2013-122 portant conditions de protection spéciale des dénonciateurs s’explique par la volonté du Gouvernement de faciliter la dénonciation d’infractions économiques. Aucun cas de dénonciation donnant lieu à l’application de ce décret n’a encore été enregistré. Les rares dénonciations qui ont un rapport avec la corruption sont faites dans le cadre de procédures judiciaires déjà engagées.

23.Bien que la discrimination à l’égard des femmes soit interdite par la loi, la population considère, dans de nombreuses régions du pays, qu’une femme ne peut pas hériter, notamment de terres. Aussi le Gouvernement met-il tout en œuvre pour poursuivre les auteurs d’actes de discrimination à l’égard des femmes et pour dispenser aux magistrats des formations relatives aux droits des femmes. Son action à cet égard est appuyée par les travaux de nombreuses organisations de la société civile, telles que l’Association des femmes avocates du Bénin, qui mènent des activités de sensibilisation sur le terrain et défendent gratuitement les femmes victimes de discrimination, notamment en milieu rural. Par ailleurs, la Constitution a récemment été modifiée afin qu’une partie des sièges de l’Assemblée nationale soit réservée aux femmes.

Articles 6 à 9 du Pacte

24.M. De Schutter aimerait connaître la référence exacte du texte de loi portant modification constitutionnelle sur la représentation des femmes dans le système politique.S’agissant de l’article 6 du Pacte, M. De Schutter s’enquiert des effets de la loi no 2018-35 modifiant et complétant la loi no 2015-18 portant statut général de la fonction publique, qui semble faciliter le licenciement des agents de la fonction publique et limiter considérablement les indemnités dues en cas de licenciement abusif, ce qui constitue un recul du point de vue du droit à l’emploi et de la réalisation progressive du droit au travail. Il demande à la délégation de préciser ce qui a motivé cette modification du statut général de la fonction publique. La loi no 2017-05 fixant les conditions et la procédure d’embauche, de placement de la main-d’œuvre et de la résiliation du contrat de travail, prévoit, en son article 13, un renouvellement indéfini du contrat de travail à durée déterminée, ce qui constitue une violation des dispositions du Code du travail et entraîne une précarisation du travail. L’expert rappelle que si les États peuvent choisir le rythme auquel ils mettent en œuvre les obligations qui leur incombent en vertu du Pacte, ils doivent néanmoins justifier toute mesure délibérément régressive au regard de l’objectif poursuivi.

25.En ce qui concerne l’article 7 du Pacte, M. De Schutter observe que le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) a augmenté, et s’établit, depuis 2014, à 40 000 francs CFA (60 euros) par mois. Or ce montant est, aux dires mêmes du Gouvernement béninois, insuffisant pour permettre à un travailleur et à sa famille de vivre décemment. L’expert demande donc des éclaircissements sur les modalités de fixation du SMIG et la prise en compte éventuelle du coût de la vie dans son calcul, et demande si son montant résulte d’une négociation avec les partenaires sociaux, comme le prévoit l’observation générale no 23 (2016) du Comité sur le droit à des conditions de travail justes et favorables. Il souhaite également connaître les mesures prises pour garantir le respect du SMIG dans l’économie informelle, étant donné que les travailleurs doivent bénéficier, mutatis mutandis , de la même protection dans le secteur formel et le secteur informel, conformément à la recommandation no 204 de l’Organisation internationale du Travail (OIT) concernant la transition de l’économie informelle vers l’économie formelle. Il demande des précisions sur la façon dont l’Inspection du travail assure le respect de la législation du travail sur la santé et la sécurité au travail dans le secteur informel. Il s’enquiert du fonctionnement de la Caisse mutuelle de prévoyance sociale, qui semble constituer une bonne pratique en matière de prise en charge des travailleurs du secteur informel.

26.Concernant l’article 8 du Pacte, M. De Schutter note que des responsables syndicaux, au sein de plusieurs administrations publiques, ont fait l’objet de diverses formes de harcèlement ou de représailles, telles que licenciements, arrestations, condamnations pour corruption et placements en détention. Cette situation fait craindre un climat antisyndical peu propice à la représentation des travailleurs. La délégation pourrait faire part de sa position sur cette question.

27.L’État a mis en place des restrictions du droit de grève dans des secteurs sensibles, ce qui semble témoigner d’une volonté des pouvoirs publics de rassurer les investisseurs étrangers quant au risque de pertes économiques que pourrait entraîner l’exercice du droit de grève. À cet égard, la loi no 2018-34 apporte plusieurs changements majeurs, en interdisant le droit de grève à certaines catégories de fonctionnaires et les grèves de solidarité, en limitant la durée légale de la grève à dix jours par an, et en définissant en des termes très vagues le service minimum. Le Comité estime que ces restrictions vont au-delà de ce qu’autorise la Convention (no 87) de l’OIT sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, qui a inspiré le texte de l’article 8 du Pacte. Il déplore en particulier les restrictions du droit de grève appliquées à la fonction publique au-delà des forces armées et de la police, l’absence de précisions sur le service minimum, qui ne devrait concerner que les services essentiels à la préservation de la vie, de la santé et de la sécurité publique, et les limites de durée qui privent de son efficacité le droit de grève. La délégation voudra bien préciser les raisons pour lesquelles cette loi a été adoptée.

28.En ce qui concerne l’article 9, l’État partie a mis en place, pour les ménages qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, l’Assurance pour le renforcement du capital humain (ARCH). M. De Schutter demande comment les bénéficiaires de ce type de programme sont déterminés ; comment ils en ont connaissance ; s’ils ont accès à des mécanismes de contrôle indépendants pour faire valoir leurs droits ; et si le programme ARCH s’inspire d’une approche fondée sur les droits de l’homme.

29.M me Crăciunean -Tatu estime que l’adoption de la loi no 2017-05 a entraîné un déséquilibre entre l’employeur et l’employé, dont la sécurité et la stabilité dans l’emploi sont désormais menacées. L’excès de souplesse que cette loi introduit viole les principes des droits de l’homme consacrés entre autres à l’article 5 du Pacte, du point de vue notamment de la non-réversibilité des droits acquis. L’experte cite à titre d’exemple des mesures comme le renouvellement indéfini des contrats à durée déterminée, l’absence d’indemnités en cas de licenciement ou d’expiration du contrat de travail, et l’absence de système d’assurance santé publique et de réglementation sur la santé et la sécurité au travail. L’application de cette loi, qui viserait, notamment, à attirer les investisseurs étrangers, suscite un fort mécontentement parmi les organisations de la société civile, qui dénoncent une forme d’esclavage et une précarisation du travail. La loi étant en vigueur depuis près de trois ans, l’experte demande quand aura lieu sa première évaluation. Elle aimerait également que soient précisés les motifs du rejet du recours en inconstitutionnalité formé contre cette loi, et les modalités envisagées pour en évaluer les effets sur la sécurité et la stabilité de l’emploi.

30.Aux paragraphes 17 et 34 de son troisième rapport périodique, l’État partie explique que les taux d’emploi salarié sont plus élevés en milieu urbain qu’en milieu rural, que le chômage en milieu rural est trois fois plus élevé, et qu’en milieu urbain, 24,3 % des hommes travaillent dans le secteur formel, contre seulement 8,7 % des femmes. Dans ses observations finales sur le quatrième rapport périodique du Bénin, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes s’est dit préoccupé par le faible nombre de femmes employées dans le secteur formel, par la concentration des femmes dans le secteur informel et le manque de mesures visant à faciliter leur insertion dans le secteur formel, et par la ségrégation professionnelle dans tous les secteurs, les femmes étant concentrées dans des emplois typiquement féminins. L’État ayant indiqué qu’il avait pris des mesures de caractère général pour assurer l’égalité d’accès à l’emploi de tous les citoyens sans distinction, l’experte précise que ce type de mesures ne vaut que si les groupes visés sont strictement identiques et se trouvent dans la même situation, ce qui n’est pas le cas. à cet égard, elle souhaiterait des précisions sur le calendrier envisagé pour l’étude mentionnée dans la réponse de l’État partie à la liste de points, et sur les paramètres et les moyens envisagés pour assurer l’égalité d’accès à l’emploi, d’une part entre les populations urbaines et rurales et, d’autre part, entre les hommes et les femmes. Elle s’enquiert également des mesures prévues pour contrôler et améliorer les conditions de travail dans les secteurs formels et informels, garantir l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes pour un travail de valeur égale et l’égalité des chances au travail, et réduire l’écart de rémunération entre les sexes. Enfin, elle aimerait des précisions sur les mesures prises pour permettre aux femmes et aux hommes de concilier vie professionnelle et vie familiale.

31.En ce qui concerne l’emploi des jeunes, Mme Crăciunean-Tatu rappelle des données figurant dans un rapport de 2014 de l’OIT : en 2012, 73,1 % des jeunes travailleurs occupaient un emploi vulnérable et 89,7 % étaient employés dans le secteur informel. Le chômage des jeunes était généralement de longue durée, dépassant une durée d’un an dans près de 42,7 % des cas, et touchait davantage les femmes. Elle aimerait en savoir davantage sur les résultats obtenus par les programmes de lutte contre la précarité des jeunes sur le marché du travail.

32.Mme Crăciunean-Tatu prend note de la volonté du Bénin de ne faire aucune distinction entre ses ressortissants et les ressortissants étrangers présents sur son sol. Néanmoins, les travailleurs migrants se heurtent à des obstacles supplémentaires en raison de leur statut et devraient dès lors bénéficier de mesures adaptées et ciblées leur assurant une protection effective. Un certain nombre de dispositions étant préconisées par l’OIT à cet égard, comme la création d’un plan national de protection des droits des travailleurs migrants et de leur famille, la révision du cadre législatif national, la sensibilisation des migrants et de leurs employeurs aux droits et obligations de chacun, la promotion de l’accès au logement des travailleurs migrants en situation régulière ou non, et l’égalité d’accès à l’éducation des enfants de migrants, l’experte demande si l’État envisage d’adopter prochainement certaines de ces mesures.

La séance est suspendue à 16 h 55 ; elle est reprise à 17 h 25.

33.M. Yabit (Bénin) indique que les dispositions concernant la représentation des femmes au Parlement figurent dans le nouvel article 26 de la Constitution, intégré dans le texte constitutionnel par la loi no 2019-40 du 7 novembre 2019. Les principes énoncés dans cet article ont été transposés dans le nouveau Code électoral adopté en 2019. Si la loi de 2018 portant statut général de la fonction publique semble faciliter le licenciement au point de mettre en péril le droit à l’emploi, elle vise en réalité à promouvoir la compétence au sein de l’administration publique. Au moment de son adoption, le recrutement dans l’administration reposait moins sur les compétences et l’intégrité que sur des affinités régionales, religieuses ou politiques. Un grand nombre de concours d’entrée dans la fonction publique organisés entre 2006 et 2016 ont été qualifiés de frauduleux. Cette loi vise donc avant tout à mettre fin à ces abus et n’avait nullement pour finalité d’entraîner des licenciements massifs. Plus de deux ans après son entrée en vigueur, il n’apparaît pas que les licenciements aient fortement augmenté dans la fonction publique. En outre, si ce texte a allégé la procédure de licenciement, cela ne signifie pas que les agents de l’État ne bénéficient plus des garanties liées à leur statut. Le licenciement reste une sanction de dernier recours au terme d’une procédure disciplinaire pendant laquelle les agents ont la possibilité d’exercer leurs droits.

34.La loi de 2017 fixant les conditions et la procédure d’embauche, de placement de la main-d’œuvre et de résiliation du contrat de travail a été adoptée à un moment où le marché de l’emploi était sclérosé. Les investissements étaient à la baisse et l’attractivité économique du pays avait chuté. Comme le potentiel humain est la principale richesse du Bénin, il fallait prendre des mesures résolues dans ce domaine pour attirer à nouveau les investisseurs. Le Gouvernement a veillé à ce que les dispositions de cette loi ne soient pas contraires aux obligations que lui impose le Pacte, notamment en prévoyant que les salariés bénéficient d’indemnités en cas de licenciement. Ces indemnités ont été plafonnées pour éviter que les procès pour licenciement abusif ne donnent lieu à des arrangements illicites entre magistrats et travailleurs sur la fixation de dommages-intérêts. Le Gouvernement a décidé de limiter les pouvoirs du juge en matière d’arbitrage du montant des dommages‑intérêts pour que ceux-ci correspondent au préjudice subi par le salarié mais tiennent également compte des contraintes des entreprises. Par ailleurs, les dispositions relatives aux contrats à durée déterminée n’ont pas donné lieu à une augmentation exponentielle du nombre de licenciements car l’objectif était avant tout de valoriser les compétences et de faire en sorte que les travailleurs soient plus performants. Le but était de relancer l’économie, d’attirer un plus grand nombre d’investisseurs et de favoriser le recrutement en introduisant une plus grande souplesse dans le droit social. Ces mesures devraient permettre à un plus grand nombre de citoyens d’accéder à l’emploi.

35.M. De Schutterest profondément préoccupé par les informations relatives aux cas d’infanticide touchant les enfants dits « sorciers » et par le fait que les autorités ne s’engageraient pas suffisamment dans la prévention et la protection de ces enfants. Il demande quels progrès ont été faits pour lutter contre ce phénomène et quelles mesures de sensibilisation ont été prises à cet égard auprès des groupes ethniques concernés. Il demande également si des mesures ont été prises pour faciliter l’accès des femmes enceintes à des consultations prénatales, pour former les sages-femmes et les autres agents de santé sur la confidentialité des informations relatives aux conditions de naissance des enfants, et pour favoriser la réintégration des « enfants sorciers » au sein de la famille et de la collectivité.

36.La délégation pourrait indiquer ce qui a été fait pour aider les plus pauvres à faire valoir leur droit de bénéficier des programmes de microcrédit ou de transfert monétaire et simplifier les démarches à accomplir pour prouver l’insuffisance des ressources, qui peuvent exclure de ces programmes des personnes qui en ont particulièrement besoin. Si l’État partie ne dispose pas de données sur les taux de malnutrition et de sous-alimentation au Bénin, le problème reste important dans le pays, et les taux de malnutrition chronique y sont élevés. M. De Schutter souhaite savoir si le Gouvernement envisage des mesures pour promouvoir l’allaitement maternel dans l’heure qui suit la naissance et l’allaitement exclusif au cours des six premiers mois, pour éduquer la population aux bonnes pratiques dans ce domaine et pour accroître le pouvoir de décision des femmes au sein du ménage à l’appui du bien-être de l’enfant.

37.M. De Schutter se félicite des mesures prises par l’État partie pour garantir l’accès à l’eau potable. Il souhaiterait connaître l’avis de la délégation au sujet d’allégations selon lesquelles certains agents de la Société nationale des eaux du Bénin et des services d’adduction d’eau villageoise pour l’irrigation seraient corrompus et solliciteraient des paiements indus pour des services comme le raccordement au réseau ou le rétablissement du service d’eau après suspension. Au sujet de l’utilisation des pesticides, qui sont utilisés en grande quantité dans la culture du coton et les cultures vivrières, M. De Schutter demande si des mesures ont été prises pour éviter la contamination des plantes destinées à l’alimentation par les pesticides. Enfin, il souhaiterait un commentaire de la délégation au sujet d’informations selon lesquelles la collecte des déchets ménagers serait confiée à des opérateurs privés selon des contrats dont les termes ne sont pas divulgués au public, ce qui crée des soupçons de corruption.

La séance est levée à 18 heures.