NATIONS UNIES

E

Conseil économique et social

Distr.GÉNÉRALE

E/C.12/2007/SR.21er juin 2007

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS

Trente‑huitième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 2e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,le lundi 30 avril 2007, à 15 heures

Président: M. TEXIER

SOMMAIRE

RELATIONS AVEC LES ORGANISMES DES NATIONS UNIES ET LES AUTRES ORGANES CONVENTIONNELS (suite)

QUESTIONS DE FOND CONCERNANT LA MISE EN ŒUVRE DU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS:

Documents soumis par des organisations non gouvernementales

La séance est ouverte à 15 h 5.

RELATIONS AVEC LES ORGANISMES DES NATIONS UNIESET LES AUTRES ORGANES CONVENTIONNELS(point 6 de l’ordre du jour) (suite)

1.M. MAGAZZENI (Coordonnateur du Groupe des institutions nationales, Haut‑Commissariat aux droits de l’homme) déclare que les institutions nationales des droits de l’homme ont un rôle fondamental à jouer dans les travaux des organes conventionnels. En mars 2007, lors de la douzième Conférence du Comité international de coordination des institutions nationales de promotion et de protection des droits de l’homme, la Haut‑Commissaire aux droits de l’homme s’est du reste dite convaincue du fait que ces institutions étaient au niveau national le meilleur mécanisme de relais pour l’application des normes internationales relatives aux droits de l’homme. Il est donc extrêmement important que les organes conventionnels soulignent au cours de leur dialogue avec les États parties l’intérêt de disposer d’institutions nationales pleinement respectueuses des Principes de Paris, et en particulier indépendantes. Ces institutions peuvent être déterminantes pour le renforcement des institutions judiciaires et la réforme de l’ensemble des règles de droit, notamment en suivant l’application des normes relatives à la bonne gouvernance. M. Magazzeni invite donc le Comité à envisager d’attirer l’attention des États sur l’importance d’associer les institutions nationales à ce type de processus national. Ces institutions sont aussi des partenaires privilégiés pour les organes conventionnels, notamment dans les pays qui se relèvent d’un conflit, où elles peuvent faciliter la mise en place de mécanismes efficaces de justice de transition et de réconciliation nationale.

2.Le Haut‑Commissariat aux droits de l’homme, à qui un rôle de chef de file à l’intérieur du système des Nations Unies a été confié en 2006 sur la question des institutions nationales des droits de l’homme, entend continuer à favoriser la création et le renforcement d’institutions nationales pleinement conformes aux Principes de Paris, en soutenant les efforts déployés dans ce sens par les gouvernements ainsi qu’en surveillant étroitement le respect des Principes de Paris, de manière à accroître la capacité de ces institutions de travailler efficacement, y compris à la défense des droits économiques, sociaux et culturels.

3.Le Haut‑Commissariat a tenu divers ateliers régionaux et internationaux sur les droits relevant du mandat du Comité, tels que: l’Atelier sur les institutions nationales des droits de l’homme et le droit à l’éducation, tenu au Honduras en septembre 2005, qui a conduit à la définition d’un plan d’action tendant à permettre aux institutions nationales de mieux promouvoir et protéger le droit à l’éducation dans les pays d’Amérique latine; la cinquième Conférence des institutions nationales des droits de l’homme des pays africains, qui a eu lieu au Nigéria en novembre 2005 et a principalement porté sur le rôle des institutions nationales dans la promotion et la protection des droits économiques, sociaux et culturels; la Table ronde des institutions nationales sur la mise en œuvre des droits économiques, sociaux et culturels, tenue en Inde du 29 novembre au 1er décembre 2005; ou encore la réunion du Comité international de coordination des institutions nationales, organisée en 2006, qui a mis l’accent sur les migrations et les droits économiques, sociaux et culturels des migrants. Une réunion des institutions nationales aura lieu au Nicaragua en mai 2007 sur le thème du droit à l’éducation.

4.Le Manuel destiné aux institutions nationales des droits de l’homme: Droits économiques, sociaux et culturels est disponible en anglais, en espagnol et en français. Le Haut‑Commissariat s’efforce en outre de développer les synergies entre le système des Nations Unies et les institutions nationales, dont la légitimité est encore accrue par les Principes de Paris. À son sens, les institutions nationales devraient encourager les États à ratifier les instruments internationaux et contribuer au rapport qu’ils soumettent aux organes ou comités de l’ONU. Le Haut‑Commissariat ne peut donc que se féliciter de l’Observation générale no 10 du Comité, qui détaille le rôle des institutions nationales dans la protection des droits économiques, sociaux et culturels, reconnaissant ainsi le rôle crucial que ces institutions sont susceptibles de jouer pour promouvoir l’indivisibilité et l’interdépendance de tous les droits de l’homme.

5.M. Magazzeni invite les membres du Comité à prendre connaissance des conclusions de la Table ronde internationale tenue en novembre 2006 à Berlin sur le rôle des institutions nationales des droits de l’homme et des organes conventionnels (HRI/MC/2007/3, document en anglais seulement distribué en séance), qui a réuni à des représentants d’institutions nationales et des membres de différents organes conventionnels. Ce document donne des indications sur les possibilités de collaboration des institutions nationales avec les organes conventionnels et formule des recommandations à l’intention de ces organes, qui seront examinées de manière plus approfondie en juin 2007, à la Réunion des présidents des organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme. Pour conclure, M. Magazzeni encourage le Comité à accepter, chaque fois que possible, des rapports complémentaires établis par des institutions nationales ainsi qu’à donner à ces dernières la possibilité non seulement de soumettre des informations écrites, mais aussi de faire des exposés pendant ses sessions, avant l’examen des rapports des États parties.

6.Mme BARAHONA RIERA dit qu’elle a pu constater, lors d’une réunion de défenseurs du peuple des pays d’Amérique latine à laquelle elle avait assisté en Colombie, que certaines institutions nationales craignaient que le fait de participer à l’élaboration des rapports des États parties ne nuise à leur indépendance. Elle aimerait savoir si le Coordonnateur du Groupe des institutions nationales a un avis sur cette question et si celle‑ci a été débattue à la Table ronde de Berlin.

7.M. RIEDEL ajoute qu’il est arrivé que des États parties venus présenter leur rapport invitent des représentants d’institutions nationales dans leur délégation et que cela a effectivement donné lieu à des situations curieuses. À son sens, les institutions nationales, désormais plus fortes car mieux organisées, devraient se voir reconnaître un rôle propre, distinct à la fois du rôle du gouvernement et de celui des organisations non gouvernementales (ONG). Il serait bon que le Comité analyse la place qu’il convient de leur accorder à l’avenir, à la lumière des connaissances toutes particulières et extrêmement précieuses qu’elles ont des réalités du terrain et de la nécessité de préserver leur totale indépendance.

8.Mme BONOAN‑DANDAN fait observer que l’instauration de liens plus étroits avec les institutions nationales est depuis longtemps un objectif du Comité mais que la question se pose effectivement de savoir selon quelles modalités. Selon elle, le fait de leur demander d’intervenir au cours du dialogue avec la délégation de l’État partie serait contraire aux Principes de Paris. Des consultations préalables à la présentation du rapport seraient peut‑être plus adaptées. Il serait utile que le Coordonnateur du Groupe des institutions nationales donne des orientations à ce sujet.

9.Mme BRAS GOMES croit elle aussi comprendre que ces institutions seraient plus favorables à des consultations avec le Groupe de travail de présession qu’à une participation au dialogue mené avec les États parties, même si rien n’est dit à ce propos dans les conclusions de la Table ronde de Berlin.

10.M. ABDEL‑MONEIM s’étonne que ce document soit en distribution générale à ce stade alors qu’il doit encore être examiné à la Réunion des présidents des organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et doit à l’évidence être complété − la liste des institutions nationales participantes, par exemple, n’y figure même pas.

11.M. MAGAZZENI (Coordonnateur du Groupe des institutions nationales, Haut‑Commissariat aux droits de l’homme) confirme que le document en question est distribué pour information uniquement et sera examiné par la Réunion des présidents des organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme qui aura lieu en juin 2007. Il s’agit, à son avis, d’un document important, qui appelle à une harmonisation des méthodes de travail. Il pourrait, selon lui, marquer le début d’un dialogue plus structuré entre les organes conventionnels et les institutions nationales. Un premier pas pourrait être d’encourager les institutions nationales à demander leur accréditation auprès du Comité international de coordination des institutions nationales − gage de leur indépendance, condition sine qua non d’une participation au processus d’examen des rapports des États parties.

12.Résumant un échange de vues entre M. RIEDEL, Mme BARAHONA RIERA, M. KOLOSOV, Mme BONOAN‑DANDAN, M. ABDEL‑MONEIM et lui‑même, le PRÉSIDENT dit qu’à sa session de novembre 2007 le Comité étudiera de manière détaillée les conclusions de la Table ronde internationale sur le rôle des institutions nationales des droits de l’homme et des organes conventionnels, qui auront été examinées par la Réunion des présidents des organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme dans l’intervalle, et rédigera une lettre à l’attention de la prochaine Table ronde pour lui faire connaître ses positions sur les différentes propositions contenues dans ce document.

13.M. DASGUPTA déplore la formulation employée dans le document en question («should» plutôt que «are invited to»), qui manque de respect à l’égard des institutions nationales des droits de l’homme, et remet en particulier en question les points 3, 6 et 11 (p. 2 et 3). Soulignant que certaines propositions (point 11, p. 7) méritent l’appui du Comité, à condition de pouvoir en débattre plus avant, il souhaite obtenir des précisions quant à l’origine et au statut du document.

14.M. RZEPLINSKI, s’associant aux remarques de M. Kolosov, rappelle que les institutions nationales des droits de l’homme n’ont aucune obligation à l’égard du Comité et doivent être utilisées simplement comme une source d’information complémentaire et indépendante. Par ailleurs, il déplore que le Comité soit ainsi tenu de débattre d’un texte qui vient seulement de lui être distribué, en cours de séance.

15.M. MAGAZZENI (Coordonnateur du Groupe des institutions nationales, Haut‑Commissariat aux droits de l’homme) indique que les informations et les documents voulus seront transmis au Comité. Il rappelle que, si les rapports des États parties au Comité sont la responsabilité de l’État partie et de son gouvernement, il doit être possible pour l’État partie comme pour le Comité de se fonder sur différentes sources d’information. Quant au financement des institutions nationales, il est souvent imputé au budget de l’État, précisément pour protéger l’indépendance de ces institutions. Enfin, M. Magazzeni précise que le document, distribué au Comité pour information, fera l’objet de nouveaux débats, notamment lors de la Réunion des présidents des organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme qui se tiendra du 18 au 22 juin 2007, et ajoute que toute contribution du Comité, par la voie de son président, sera alors bienvenue.

16.Mme BREINES (Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture − UNESCO), ayant dit combien il importe que l’ONU coopère étroitement avec ses institutions spécialisées, les institutions de Bretton Woods et les autorités nationales dans le contexte de sa nouvelle réforme, rappelle l’existence de commissions nationales pour l’UNESCO implantées dans les pays. Elle évoque ensuite la réunion qui doit se tenir les 7 et 8 juin 2007, à Amsterdam, sur la question du droit de bénéficier du progrès scientifique et de ses applications (art. 15, par. 1, al. b du Pacte) et, invitant les membres du Comité à y prendre part, envisage d’organiser, en marge de la session de novembre 2007 du Comité ou de la session de novembre 2007 du Conseil des droits de l’homme, une manifestation parallèle au cours de laquelle elle présenterait trois grandes conventions de l’UNESCO, à savoir la Convention concernant la protection du patrimoine mondial culturel et naturel (1972), la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel (2003) et la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (2005).

17.Abordant ensuite le droit à l’éducation, Mme Breines porte à l’attention du Comité: l’étude intitulée «L’éducation prise pour cible», que l’UNESCOa menée sur la violence politique et militaire visant le personnel éducatif, les étudiants, les enseignants, les membres de syndicats d’enseignants et de gouvernements et les institutions éducatives; l’atelier organisé les 14 et 15 décembre 2006, au Brésil, sur les enjeux et les perspectives du droit et de l’éducation, qui a révélé la nécessité d’instituer un cadre réglementaire face à la rapide propagation des universités privées au Brésil; la Réunion intergouvernementale tenue en mars 2007, à Buenos Aires, sur l’état d’avancement du Projet régional d’éducation pour l’Amérique latine et les Caraïbes, où les participants ont jugé impératif de préserver l’éducation en tant que bien public et d’intensifier l’action menée en vue d’éradiquer la pauvreté, et à l’issue de laquelle a été établie la Déclaration de Buenos Aires. La représentante de l’UNESCO signale également la tenue de la vingt‑deuxième session de la Conférence permanente des ministres européens de l’éducation, les 4 et 5 mai 2007, à Istanbul (Turquie), et l’édition d’un CD-ROM consacré au cadre normatif du droit à l’éducation, transmis au secrétariat du Comité.

18.Mme Breines signale qu’au cours de la cent soixante‑seizième session du Conseil exécutif de l’UNESCO, le Comité sur les conventions et recommandations a débattu de directives pour la surveillance de la mise en œuvre des conventions de l’UNESCO et s’est penché sur le Rapport du Directeur général sur la neuvième session du Comité conjoint OIT‑UNESCO d’experts sur l’application des recommandations concernant le personnel enseignant (CEART). Par ailleurs, l’UNESCO transmet régulièrement au Comité les rapports de ses États membres sur l’application de la Convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement (1960) et suggère de les prendre en compte dans le contexte du projet d’observation générale no 19 sur le principe de non-discrimination. Enfin, le Colloque national sur le secteur de l’éducation organisé en février 2007 au Bénin, avec l’aide de l’UNESCO, a dynamisé les efforts du Gouvernement béninois en vue de parvenir à l’éducation primaire pour tous en tant que droit fondamental.

19.M. KERDOUN demande à Mme Breines de préciser le mode de fonctionnement des commissions nationales pour l’UNESCO, et lui signale que la commission nationale en place en Algérie semble procéder à une confiscation de l’information. Rappelant l’existence, dans ce pays, de deux Ministères de l’éducation nationale − l’un consacré à l’enseignement primaire et secondaire, l’autre à l’enseignement supérieur −, il souhaite savoir si la Commission nationale algérienne mène bien son action auprès de ce dernier.

20.M. RIEDEL dit que, le Comité s’étant attelé au droit de participer à la vie culturelle (art. 15, par. 1, al. a du Pacte), tâche qui lui prendra un certain temps, il serait prématuré de se consacrer au droit de bénéficier du progrès scientifique et de ses applications (al. b).

21.Mme BRAS GOMES souhaite avoir communication du texte de la Déclaration de Buenos Aires qui, face à la privatisation galopante de l’éducation, permettra au Comité de rappeler aux ministres de l’éducation qu’ils ont reconnu l’éducation comme étant un bien public.

22.M. ABDEL-MONEIM souligne que les consultations menées par l’UNESCO sur la mise en œuvre de la Convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement intéressent non seulement le projet d’observation générale no 19 mais aussi les Observations générales nos 11 et 13, qui méritent d’être réexaminées à la lumière des nouvelles formes de discrimination surgies dans le domaine de l’éducation. Il souhaite avoir communication des résultats de ces consultations ainsi que d’un état des ratifications à la Convention et des réserves s’y rapportant.

23.Mme BREINES (UNESCO) précise à M. Kerdoun que les commissions nationales, émanation de la Commission internationale de coopération intellectuelle, qui a précédé l’UNESCO, sont établies par les autorités nationales. Si l’UNESCO leur fournit toute l’information voulue et leur fait bénéficier de ses compétences et de sa formation, ce sont les gouvernements des pays qui décident de leur ministère de tutelle et de leur degré d’indépendance. Mme Breines déplore que la Commission nationale algérienne ne diffuse pas correctement l’information, et évoque comme raison possible un manque de ressources. Elle dit ensuite à M. Riedel qu’elle transmettra au siège de l’UNESCO son message concernant la réunion consacrée au droit de bénéficier du progrès scientifique et de ses applications, et confirme à Mme Bras Gomes que le texte de la Déclaration de Buenos Aires a bien été transmis au secrétariat du Comité. Enfin, elle prend note de l’intérêt de M. Abdel-Moneim pour les consultations menées actuellement et communiquera au Comité un état des ratifications de la Convention, malheureusement insuffisamment satisfaisant.

Questions de fond concernant la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (point 4 de l’ordre du jour)

Documents soumis par des organisations non gouvernementales

24.Mme WOLF (FIAN International et Droits et Démocratie) fait part au Comité des premiers résultats de l’étude menée par les deux organisations qu’elle représente sur la situation du droit à l’alimentation au Népal (document en anglais seulement, distribué en séance), et indique que le manque d’accès à la terre est l’un des facteurs majeurs responsables du manque de sécurité alimentaire dans le pays. Elle souligne que la discrimination, essentiellement dirigée contre les groupes autochtones (57 % de la population), la caste des intouchables (Dalits) et les femmes, est un autre obstacle important à la réalisation du droit à l’alimentation. Elle recommande au Comité de suivre de très près l’évolution de ce droit dans le nouveau contexte constitutionnel du pays, de demander à l’État népalais de diffuser largement les Directives volontaires de la FAO à l’appui de la concrétisation progressive du droit à une alimentation adéquate dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale, et de le presser de prendre un certain nombre de mesures − réforme agraire, politique agricole participative réglant les problèmes d’accès et de distribution, distribution alimentaire parvenant aux plus vulnérables, programmes de lutte contre la discrimination à l’égard des castes, enquête sur les cas de discrimination à l’égard des Doms et sur les menaces dont sont victimes les populations de Musahar et des Terai.

25.M. GAUTAM (Rural Reconstruction Nepal), ayant rappelé que le Népal traverse actuellement une période de transition entre un régime autocratique et un régime démocratique, dit que le grand pas franchi sur le plan politique ne donne pas encore tous les résultats escomptés (taux de croissance économique de seulement 3,4 % en 2005/06, au lieu des 4,5 % prévus): la plus grande pauvreté règne encore dans le pays, les minorités ethniques continuent d’être exclues et le non-respect des droits de l’homme, en particulier les droits économiques, sociaux et culturels, n’a cessé d’aggraver les conditions de vie de la population.

26.Depuis des siècles, la société népalaise est le théâtre de discriminations fondées notamment sur l’appartenance à la caste des «intouchables», le sexe, ou encore l’origine ethnique ou géographique. Les femmes, les Dalits et les Janajatis appartiennent aux groupes les plus défavorisés sur le plan de la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels, le Gouvernement n’ayant pas créé les conditions qui permettraient de satisfaire leurs besoins fondamentaux en matière d’alimentation, de logement, d’habillement, d’éducation, de sécurité ou de santé.

27.L’égalité entre les hommes et les femmes fait débat mais est loin d’être une réalité au Népal. Les femmes, qui sont majoritaires du point de vue démographique, sont très peu représentées sur le plan socioéconomique et politique et rares sont les initiatives juridiques et politiques prises pour traduire cette égalité dans les faits. Le chômage des handicapés reste élevé et les discriminations exercées à leur endroit sont nombreuses, les femmes handicapées étant victimes d’une double discrimination.

28.Le travail des enfants est interdit par la loi mais dans les faits, les enfants occupent des emplois dangereux dans les usines, les mines et les métiers du bâtiment ainsi que dans les transports, l’agriculture, les plantations ou encore la restauration. Pire encore, certains sont employés comme enfants soldats, par le Parti communiste du Népal (maoïste) notamment.

29.L’insurrection armée a eu des effets dévastateurs sur l’éducation. Près de 350 étudiants ont perdu la vie et les nombreux étudiants qui ont été déplacés n’ont pu se réinsérer dans le système éducatif de leur région d’accueil pour des raisons socioéconomiques et culturelles. La pauvreté est un autre facteur de déscolarisation, du fait que les parents qui inscrivent leur enfant à l’école se privent d’une source de revenu supplémentaire.

30.Le conflit qui dure depuis une décennie plonge ses racines dans les inégalités socioéconomiques et culturelles dues à l’incapacité qu’a eu le Gouvernement de réaliser les droits visés par le Pacte, y compris le droit au développement. Les salaires bas, l’accès limité aux emplois rémunérateurs et la mainmise de certains groupes sur les ressources productives ont gravement entravé le développement humain et empêché les plus défavorisés d’accéder au marché de l’emploi, ce qui a notamment poussé les jeunes à fuir les campagnes.

31.Même si elles sont mises en œuvre, les initiatives prévues par le gouvernement de transition ne seront pas à même de répondre aux besoins fondamentaux des personnes mises à l’écart depuis des siècles et profondément touchées par le conflit armé. Aussi la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels semble‑t‑elle demeurer un vœu pieux.

32.Contrairement à ses engagements, le Népal a été incapable d’enregistrer le moindre progrès dans le domaine de la protection et la promotion des droits de l’homme consacrés par le droit international, notamment les droits visés par le Pacte. Il n’a pas alloué les crédits budgétaires nécessaires à la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels ni été en mesure de répondre aux besoins fondamentaux de sa population en la matière.

33.Mme BONOAN‑DANDAN regrette que le rapport de FIAN International et de Droits et Démocratie ne soit parvenu aux membres du Comité que la veille de l’examen du deuxième rapport périodique de l’État partie, ce qui ne leur permettra pas d’exploiter les précieuses informations qui y sont présentées.

34.M. SADI, ayant constaté par lui‑même l’ampleur de la pauvreté au Népal, concentrée dans les zones urbaines, ainsi que les problèmes en matière d’alimentation et d’accès à l’eau et aux services de santé, demande si l’instauration d’une démocratie plus solide aurait des chances de contribuer à améliorer la situation.

35.M. KOLOSOV se demande dans quelle mesure la proposition faite au Comité, dans le rapport de FIAN International et de Droits et Démocratie, d’inviter, dans ses observations finales, l’État partie à mettre en œuvre une véritable réforme agraire ne sort pas du champ de compétence du Comité, rappelant qu’en vertu de l’article premier du Pacte «tous les peuples ont le droit de disposer d’eux‑mêmes […], déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel».

36.Mme BRAS GOMES demande si dans le cadre de sa mission d’enquête, FIAN International a abordé dans son séminaire consacré au droit à l’alimentation la question des directives volontaires de la FAO.

37.Mme Bras Gomes souhaiterait savoir si un changement de volonté politique est perceptible au Népal, et notamment si l’on peut espérer que le Gouvernement élabore et mette en œuvre des politiques en faveur des femmes et des Dalits.

38.Mme WOLF (FIAN International et Droits et Démocratie) explique que la mission d’enquête au Népal s’est achevée deux semaines auparavant et qu’il aurait été difficile de présenter le rapport plus tôt. Elle ajoute que la pauvreté est loin d’être concentrée dans les zones urbaines, puisque d’après les statistiques dont elle dispose, 95 % des personnes souffrant de malnutrition et de faim vivent dans les campagnes, ce qui n’est pas pour autant une raison pour ne pas poursuivre l’action menée dans les zones urbaines.

39.Mme Wolf n’est pas sûre qu’en invitant l’État partie à lancer une réforme agraire le Comité aille à l’encontre du principe du droit des peuples à disposer d’eux‑mêmes. Elle ne pense pas non plus que la redistribution des terres serait contraire à la Constitution népalaise.

40.M. GAUTAM (Rural Reconstruction Nepal) dit que le régime autocratique en place depuis des siècles a toujours été favorable aux propriétaires terriens. L’avènement de la démocratie aurait dû permettre aux personnes défavorisées et privées de terres d’avoir accès aux ressources disponibles mais force est de constater que, depuis avril 2006, le Gouvernement a avant tout ciblé son action sur les zones urbaines. C’est ce qui explique le sentiment de frustration bien perceptible dans les couches de population dont les droits économiques, sociaux et culturels ne sont toujours pas garantis.

41.M. Gautam estime qu’il est impératif pour le Gouvernement de mettre en place une politique en faveur des pauvres qui repose notamment sur la redistribution des terres au peuple: c’est, selon lui, le seul moyen de combler le fossé économique qui sépare les différents groupes sociaux au Népal. En outre, il est, à son avis, d’usage qu’un organe des Nations Unies invite l’État partie à entreprendre de vastes réformes de fond.

42.M. ZHAN, rappelant le lien étroit entre paix, développement et respect des droits de l’homme, dit que si le Gouvernement népalais veut attirer des investissements étrangers nécessaires au développement économique, il devra commencer par rétablir la paix dans son pays. Il ajoute qu’il serait préférable, selon lui, de ne pas utiliser le terme «maoïste» dans la dénomination du Parti communiste du Népal.

43.M. GAUTAM (Rural Reconstruction Nepal) souscrit entièrement à l’opinion exprimée par M. Zhan selon laquelle paix, développement et respect des droits de l’homme vont de pair. Il précise par ailleurs que le «Parti communiste du Népal (maoïste)» est le terme officiel utilisé pour désigner le parti communiste tant dans la Constitution que dans les documents officiels, ce qui explique qu’il soit repris dans le rapport parallèle présenté au Comité.

44.Mme DOMMEN (3D) dit que l’association 3D (Trade/Human Rights/Equitable Economy) milite pour que les règles qui régissent le commerce soient conçues et appliquées de manière à promouvoir une économie équitable. L’association est convaincue que le Comité a un rôle majeur à jouer en s’assurant que les négociations, dispositions et accords qui touchent au commerce contribuent à promouvoir plutôt qu’à freiner la réalisation des droits de l’homme. Force est de constater que de nombreuses politiques commerciales ont des effets préjudiciables sur les groupes vulnérables, que les nouvelles règles relatives à la propriété intellectuelle rendent de plus en plus difficile l’échange de semences entre petits agriculteurs et que l’accès aux médicaments est entravé par les accords commerciaux entre les grandes compagnies des pays industriels. Étant donné que les pays ne s’intéressent guère aux effets de leur politique commerciale, il serait utile que le Comité aborde systématiquement cette question en séance lors de l’examen des rapports présentés par les États parties. Aussi Mme Dommen propose‑t‑elle au Comité de poser trois grandes questions aux délégations: quelles sont les mesures prises par votre pays pour s’assurer que les responsables des politiques commerciales sont informés des obligations qui leur incombent en vertu du Pacte? Quelles sont les mesures prises pour évaluer les effets des accords commerciaux en cours de négociation, en particulier sur les groupes vulnérables? Votre pays a‑t‑il sollicité l’assistance technique du Haut‑Commissariat aux droits de l’homme pour renforcer sa capacité de participer aux négociations commerciales ou d’appliquer les accords commerciaux de façon compatible avec les droits de l’homme?

45.M. SADI prend note avec intérêt des observations faites par Mme Dommen mais souligne que le Comité traite souvent de ces questions avec les États parties. D’ailleurs, les pays sont souvent conscients des effets négatifs de leur politique commerciale mais ne font rien pour y remédier.

46.M. KOLOSOV fait observer que les États parties membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) doivent honorer de nombreux engagements en vertu des accords commerciaux qu’ils ont souscrits et n’ont pas la capacité technique d’aligner leur législation sur ces accords commerciaux ni sur les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme. En outre, il est difficile d’évaluer les incidences des accords de l’OMC à l’échelon national.

47.Mme BARAHONA RIERA partage les préoccupations exprimées par l’association 3D, en ce qui concerne en particulier les effets des politiques commerciales sur les groupes vulnérables. Cela étant, les choses sont plus compliquées qu’elles n’y paraissent et la situation diffère sensiblement d’un pays à l’autre.

48.M. ABDEL‑MONEIM dit qu’il faudrait étudier vraiment qui sont les gagnants et les perdants du libre‑échange. À son avis, ce sont les plus pauvres qui bénéficient le moins de la libéralisation du commerce. Par ailleurs, il faudrait que les normes internationales relatives aux droits de l’homme priment sur le droit commercial international.

49.Mme BONOAN‑DANDAN fait observer que le Comité est l’un des organes conventionnels qui a le plus fait pour sensibiliser les pays aux effets du commerce sur les droits de l’homme. À titre d’exemple, le Groupe de travail de présession a organisé un séminaire sur le commerce et les droits de l’homme en novembre 2006.

50.Mme DOMMEN (3D) est consciente que les pays ne peuvent pas revenir sur les engagements qu’ils ont déjà souscrits dans le cadre d’accords commerciaux mais ils devraient veiller à limiter les effets préjudiciables des prochains accords commerciaux et à ce que les droits de l’homme soient davantage pris en compte dans les négociations commerciales en cours.

51.M. McCARTHY (Organisation mondiale contre la torture − OMCT) dit que l’OMCT rassemble plus de 280 organisations nationales de lutte contre la torture dans quelque 90 pays. Convaincue qu’il faut lutter contre la pauvreté et les inégalités socioéconomiques pour mettre un terme à la torture, aux exécutions sommaires, aux disparitions forcées et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, l’OMCT a mis en place un nouveau programme axé sur le respect et la promotion des droits économiques, sociaux et culturels dont les principaux objectifs sont les suivants: mettre en évidence les violations des droits économiques par certains acteurs économiques, fournir aux organes conventionnels de l’ONU des rapports sur la situation des droits économiques, sociaux et culturels, et faire ressortir les liens directs entre l’exercice des droits économiques et la violence sous toutes ses formes (non seulement la torture mais aussi la violence familiale).

52.M. CAHN (Centre on housing rights and evictions) salue les efforts inlassables déployés par le Comité pour promouvoir la justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels à l’échelon international et l’exhorte à demander systématiquement aux États parties, lors de l’examen de leurs rapports, quelle est leur position sur l’adoption d’un protocole facultatif au Pacte.

53.M. RIEDEL rend hommage aux ONG, nationales et internationales, qui militent depuis des années pour l’adoption d’un protocole facultatif au Pacte qui permettrait aux particuliers de saisir le Comité pour dénoncer toute violation des dispositions du Pacte. Il rappelle que, par sa résolution 1/3, le Conseil des droits de l’homme a décidé de proroger de deux ans le mandat du Groupe de travail à composition non limitée chargé d’élaborer un protocole facultatif au Pacte.

54.M. SADI se félicite des activités entreprises par l’OMCT pour mettre en évidence les liens étroits entre la pauvreté, la torture et les autres formes de violence. Cela étant, il fait observer que la violence, notamment familiale, sévit partout, y compris dans les pays industriels, et que la pauvreté n’est pas le seul facteur déterminant.

55.Mme WILSON dit que la violence familiale et conjugale est étroitement liée au niveau d’instruction et invite l’OMCT à faire porter également ses travaux de recherche sur les liens entre l’accès à l’éducation et la violence.

56.M. ABDEL‑MONEIM note à l’intention du représentant de l’OMCT qu’il serait intéressant de faire ressortir les liens concrets entre la pauvreté, la violence, la torture et le non‑respect des différents articles du Pacte.

57.M. McCARTHY (OMCT) prend note avec intérêt de la suggestion faire par M. Abdel‑Moneim. L’OMCT est consciente que la pauvreté n’est pas le seul facteur qui explique la violence familiale mais est néanmoins convaincue qu’elle joue un rôle prépondérant. Ainsi, dans les pays industriels, comme en Suède, on a constaté que la réduction des aides publiques favorisait l’exclusion sociale et la violence familiale.

58.Le PRÉSIDENT remercie toutes les ONG et tous ceux qui ont participé au débat et ne doute pas que le Comité aura l’occasion de revenir sur certains points essentiels lors de sa trente‑huitième session.

La séance est levée à 18 heures.

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