NATIONS UNIES

E

Conseil économique et social

Distr.GÉNÉRALE

E/C.12/2008/120 mai 2008

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUXET CULTURELSQuarantième session28 avril‑16 mai 2008

La crise alimentaire mondiale

Déclaration

1.Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels est extrêmement préoccupé par la hausse rapide des prix des denrées alimentaires dans le monde et par l’envolée des prix de l’énergie qui ont contribué à créer une crise alimentaire mondiale et qui ont eu un effet préjudiciable sur l’exercice du droit à une nourriture suffisante et du droit d’être à l’abri de la faim ainsi que la jouissance des autres droits de l’homme de plus de 100 millions de personnes.

2.Pendant de trop nombreuses années, le monde a connu une situation de crise chronique dans laquelle 854 millions de personnes étaient en butte à l’insécurité alimentaire et 2 milliards de personnes à la malnutrition et à la sous‑alimentation.

3.Les prix des aliments de base (riz, maïs, blé, etc.) ont augmenté de plus de 60 % dans le monde. Les plus pauvres sont ceux qui sont les plus gravement touchés car ils consacrent 60 à 80 % de leurs revenus à leur alimentation, contre 20 % dans les pays développés.

4.La crise alimentaire met en lumière l’interdépendance de tous les droits de l’homme, l’exercice du droit à une nourriture suffisante et du droit d’être à l’abri de la faim revêtant une importance primordiale pour la jouissance de tous les autres droits, notamment du droit à la vie.

5.Le Comité invite tous les États à réfléchir aux obligations qu’ils ont contractées au titre de l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et de l’article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. En vertu du paragraphe 1 de l’article 11 du Pacte, les États parties reconnaissent «le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle‑même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu’à une amélioration constante de ses conditions d’existence».

6.Dans son Observation générale no 12 (1999) sur le droit à une nourriture suffisante, le Comité affirme que «le droit à une nourriture suffisante est indissociable de la dignité intrinsèque de la personne humaine et est indispensable à la réalisation des autres droits fondamentaux consacrés dans la Charte internationale des droits de l’homme.

7.Chaque État est tenu d’assurer à toute personne soumise à sa juridiction l’accès physique et économique à un minimum de nourriture indispensable, qui soit suffisante, adéquate sur le plan nutritionnel et salubre, afin de faire en sorte que cette personne soit à l’abri de la faim.

8.En vertu du paragraphe 2 de l’article 11 du Pacte, les États parties reconnaissent «le droit fondamental qu’a toute personne d’être à l’abri de la faim». Dans son Observation générale no 12, le Comité souligne le fait que «les États ont l’obligation fondamentale d’adopter les mesures nécessaires pour lutter contre la faim, comme le prévoit le paragraphe 2 de l’article 11, même en période de catastrophe naturelle ou autre», et que le contenu essentiel du droit à une nourriture suffisante comprend «la disponibilité de nourriture exempte de substances nocives et acceptable dans une culture déterminée, en quantité suffisante et d’une qualité propre à satisfaire les besoins alimentaires de l’individu, et l’accessibilité ou possibilité d’obtenir cette nourriture d’une manière durable et qui n’entrave pas la jouissance des autres droits de l’homme».

9.La crise alimentaire actuelle constitue un manquement aux obligations d’assurer une répartition équitable des ressources vivrières mondiales par rapport aux besoins. Elle traduit aussi l’échec des politiques nationales et internationales visant à garantir à tous l’accès physique et économique à la nourriture.

10.Le Comité demande à tous les États de remédier aux causes immédiates de la crise alimentaire, individuellement par des mesures nationales, ainsi qu’au niveau international par le biais d’une coopération et d’une aide internationale, afin d’assurer l’exercice du droit à une nourriture suffisante et du droit d’être à l’abri de la faim. Il note que de nombreuses mesures prises pour aider les États et les personnes touchés par la crise revêtent un caractère humanitaire et soutient leur mise en œuvre immédiate.

11.Le Comité exhorte donc les États à prendre des mesures sans plus attendre, notamment à:

Prendre des dispositions immédiates, individuellement et par le biais de l’aide internationale, en vue de garantir l’exercice du droit d’être à l’abri de la faim, notamment en fournissant et en distribuant une aide humanitaire d’urgence sans discrimination. L’aide humanitaire devrait être fournie sous forme de ressources monétaires lorsque cela est possible;

Veiller, lorsqu’une aide alimentaire est distribuée, à ce que les denrées soient achetées sur les marchés locaux si possible et à ce que la production locale ne soit pas découragée. Les pays donateurs devraient accorder leur aide en priorité aux États les plus touchés par la crise alimentaire;

Freiner la hausse rapide des prix alimentaires − notamment en encourageant la production de denrées de base locales pour la consommation locale au lieu d’affecter des terres arables de bonne qualité qui se prêtent à des cultures vivrières à la production d’agrocarburants − ainsi que l’utilisation des cultures vivrières pour la production de combustibles, et mettre en place des mesures visant à lutter contre la spéculation sur les produits alimentaires;

Instaurer un mécanisme international de coordination qui superviserait et coordonnerait les actions menées pour répondre à la crise alimentaire, et veillerait à ce que les ressources vivrières soient équitablement réparties en fonction des besoins et à ce que les mesures adoptées respectent et protègent le droit à une nourriture suffisante et le droit d’être à l’abri de la faim et leur donnent effet;

12.Le Comité demande aussi aux États de s’intéresser aux causes structurelles à plus long terme de la crise et d’accorder une attention particulière à la gravité des causes sous‑jacentes de l’insécurité alimentaire, de la malnutrition et de la sous‑alimentation qui perdurent depuis si longtemps.

13.Le Comité exhorte les États parties à remédier à ces causes structurelles aux niveaux national et international, notamment en:

Revoyant le régime commercial mondial dans le cadre de l’OMC, afin de s’assurer que les règles régissant le commerce agricole mondial favorisent et n’entravent pas l’exercice du droit à une nourriture suffisante et du droit d’être à l’abri de la faim, surtout dans les pays en développement et dans les pays importateurs nets de denrées alimentaires;

Mettant en œuvre des stratégies de lutte contre les changements climatiques mondiaux qui ne portent pas préjudice à l’exercice du droit à une nourriture suffisante et du droit d’être à l’abri de la faim, mais favorisent une agriculture durable, conformément à l’article 2 de la Convention‑cadre des Nations Unies sur les changements climatiques;

Investissant dans la petite agriculture, l’irrigation à petite échelle et d’autres techniques appropriées favorisant l’exercice du droit à une nourriture suffisante et du droit d’être à l’abri de la faim pour tous, notamment en mettant en œuvre les recommandations issues de l’Évaluation internationale des sciences et technologies agricoles pour le développement (IAASTD) de 2008;

Adoptant et appliquant les principes relatifs aux droits de l’homme, surtout ceux liés au droit à une nourriture suffisante et au droit d’être à l’abri de la faim, en procédant à des évaluations d’impact ex ante des politiques financières, commerciales et de développement aussi bien au niveau national qu’au niveau international, afin de veiller à ce que les engagements bilatéraux et multilatéraux pris dans ces domaines ne soient pas incompatibles avec les obligations internationales contractées en matière de droits de l’homme, en particulier en vertu du Pacte;

En appliquant et en renforçant les «Directives volontaires à l’appui de la concrétisation progressive du droit à une alimentation adéquate dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale» de la FAO, en tenant compte de la crise alimentaire actuelle.

14.En conclusion, le Comité souligne que la crise alimentaire mondiale entrave gravement le plein exercice du droit à une nourriture suffisante et du droit d’être à l’abri de la faim, et demande donc à tous les États membres de s’acquitter des obligations fondamentales contractées en matière de droits de l’homme en vertu du Pacte.

-----