Conseil Économiqueet Social |
Distr. GÉNÉRALE E/C.12/2003/SR.5 8 septembre 2003 Original: FRANÇAIS |
COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS
Trentième session
COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 5e SÉANCE
tenue au Palais des Nations, à Genève,le mercredi 7 mai 2003, à 10 heures
Président: Mme BONOAN‑DANDAN
SOMMAIRE
EXAMEN DES RAPPORTS
a)RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENTAUX ARTICLES 16 ET 17 DU PACTE
Troisième rapport périodique du Luxembourg
La séance est ouverte à 10 h 5.
EXAMEN DES RAPPORTS
a)RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT AUX ARTICLES 16 ET 17 DU PACTE (point 6 de l’ordre du jour)
Troisième rapport périodique du Luxembourg [(E/1994/104/Add.24); document de base (HRI/CORE/1/Add.10/Rev.1); liste des points à traiter (E/C.12/Q/LUX/2); réponses écrites à la liste des points à traiter (document sans cote distribué en séance)]
Sur l’invitation de la Présidente, la délégation luxembourgeoise prend place à la table du Comité.
La PRÉSIDENTE souhaite la bienvenue à la délégation luxembourgeoise et l’invite à faire sa déclaration liminaire.
M. BERNS (Luxembourg) dit que sa délégation se réjouit d’avoir avec le Comité un dialogue constructif sur la situation des droits économiques, sociaux et culturels dans son pays. Le Luxembourg est un pays économiquement fort qui possède une diversité culturelle importante, notamment au niveau de la population active, et il est normal de vérifier s’il n’y pas matière à discrimination liée aux origines des uns et des autres.
I.CADRE GÉNÉRAL DE L’APPLICATION DU PACTE
La PRÉSIDENTE invite la délégation à aborder la première partie de la liste des points à traiter (E/C.12/Q/LUX/2, questions 1 à 4).
M. BERNS (Luxembourg) confirme que la supériorité des traités internationaux sur le droit national est reconnue par la jurisprudence luxembourgeoise. Elle s’applique à toutes les sources de droit, y compris la Constitution. Certains arrêts retentissants de la Cour européenne des droits de l’homme, notamment sur des questions liées à l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels, ont eu un large écho dans les milieux juridiques luxembourgeois, donnant à ces derniers un moyen de défense supplémentaire devant les tribunaux luxembourgeois. Neuf conventions de l’Organisation internationale du Travail (OIT) ont été ratifiées en 2000. La Convention no 174 sur la prévention des accidents industriels majeurs est en cours de ratification. Le protocole facultatif se rapportant au Pacte, qui ouvrira la voie à des communications individuelles, est actuellement à l’étude au sein de divers groupes de travail. Enfin, en application des recommandations de la Conférence mondiale sur les droits de l’homme, trois commissions spéciales permanentes ont été créées, concernant respectivement, les frontaliers, les étrangers et la lutte contre la discrimination raciale. Une Commission consultative des droits de l’homme a été créée en mai 2000, avec pour mission de conseiller le gouvernement sur toutes les questions relatives aux droits de l’homme. Dans le même ordre d’idées, le Gouvernement issu des élections de 1999 s’est engagé à doter le pays d’un médiateur avant la fin de la législature, en 2004. Un projet de loi dans ce sens a déjà été soumis et devrait être examiné prochainement.
M. PILLAY, appuyé par M. Riedel, s’étonne du retard avec lequel les réponses écrites, en français seulement, ont été soumises au Comité, d’autant plus que le Luxembourg connaît la procédure pour l’avoir appliquée précédemment. Le Comité aurait souhaité recevoir les documents suffisamment à temps afin de pouvoir engager un dialogue constructif avec la délégation.
M. BERNS (Luxembourg) explique que son gouvernement a dû assurer une coordination interministérielle importante et que la transposition récente, en droit luxembourgeois, de certaines dispositions juridiques dans les domaines qui intéressent le rapport a nécessité des vérifications supplémentaires. Son gouvernement s’efforcera de remédier à cette situation à l’avenir.
M. MALINVERNI souhaite recevoir plus d’informations sur l’arrêt mentionné au troisième alinéa des réponses écrites et savoir si, dans la pratique judiciaire, les tribunaux appliquent véritablement les dispositions du Pacte de manière régulière. D’autre part, le Gouvernement luxembourgeois se heurte-t-il à des obstacles dans la ratification des Conventions de l’OIT no 118 sur l’égalité de traitement (sécurité sociale) et no 160 sur les statistiques du travail?
M. GRISSA souhaite connaître la composition des 38 % d’étrangers recensés par le Luxembourg.
M. SADI demande si les tribunaux luxembourgeois ont déjà eu à connaître d’une affaire relative à la primauté du droit international sur la Constitution ou concernant l’applicabilité du Pacte.
M. RIEDEL demande des précisions sur les activités menées par la nouvelle Commission consultative des droits de l’homme. Il souhaite notamment savoir si, dans ses travaux, la Commission a été amenée à traiter, de sa propre initiative ou à la demande du gouvernement, d’affaires relatives aux droits économiques, sociaux et culturels. Il voudrait aussi des renseignements sur le statut exact et sur l’indépendance de la Commission, notamment au regard des Principes de Paris concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (1991). Enfin, le futur médiateur fera-t-il rapport au Parlement ou au gouvernement?
M. TEXIER aimerait en savoir plus sur le statut des demandeurs d’asile, l’octroi du statut de réfugié et l’accès des réfugiés et des membres de leur famille au travail, à l’éducation et à la santé, aspects importants des droits économiques, sociaux et culturels.
M. MARCHAN ROMERO demande à la délégation de décrire la politique suivie par le Gouvernement luxembourgeois dans le domaine des droits de l’homme étant donné le sursaut sécuritaire qui touche l’Europe depuis les événements du 11 septembre 2001 et qui donne lieu, dans plusieurs pays, à de nombreux abus et restrictions dans l’exercice des droits de l’homme.
M. PILLAY souhaite être informé du montant de l’aide au développement actuellement fournie par le Luxembourg, notamment en pourcentage du PIB. Par ailleurs, il demande si les droits économiques, sociaux et culturels, ou du moins les principes de base du Pacte, sont justiciables.
M. KERDOUN demande par quels moyens est garantie l’impartialité de la Commission consultative des droits de l’homme, dont il souhaite connaître la composition.
M. BERNS (Luxembourg) dit que son pays consacre 0,84 % du produit intérieur brut (PIB) à l’aide publique au développement (APD), soit plus que l’objectif de 0,7 % fixé par l’ONU. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, le Gouvernement luxembourgeois ne cesse d’insister sur le fait que l’APD est une contribution importante à la sécurité internationale, car un environnement économique viable constitue le meilleur rempart contre les menaces qui pèsent sur la sécurité du monde. Aussi le Gouvernement envisage‑t‑il de porter à 1 % la part de son PIB consacrée à l’APD, et ce dès 2005.
M. Berns précise que l’arrêt mentionné au troisième alinéa de la réponse à la première question de la liste des points à traiter (E/C.12/LUX/Q/2) renvoie à une décision adoptée en décembre 2001 par la Cour constitutionnelle, dont la création récente faite suite aux observations d’organes internationaux jugeant anormale l’absence d’une juridiction offrant la possibilité de contester la constitutionnalité d’une loi. Les dispositions du Pacte n’ont pas encore été invoquées devant cette juridiction, mais peut‑être est‑ce dû au fait que le Luxembourg enregistre une croissance économique régulière et connaît un taux de chômage relativement bas, situation propice à l’exercice par tous de leurs droits économiques, sociaux et culturels.
M. Berns dit que les étrangers résidant au Luxembourg constituent 38 % de la population. Ceux d’entre eux qui sont ressortissants d’un pays membre de l’Union européenne jouissent des mêmes droits politiques, économiques, sociaux et culturels que les Luxembourgeois et peuvent participer aux élections locales. En outre, un tiers de la population active est constituée de frontaliers, c’est‑à‑dire essentiellement des Belges, des Français et des Allemands qui traversent la frontière chaque matin pour exercer leur activité professionnelle au Luxembourg. S’agissant des réfugiés, le Luxembourg a enregistré un afflux important de demandeurs d’asile, venant surtout de l’ex‑Yougoslavie. À cet égard, le Gouvernement a compris la nécessité de se doter d’une politique qui soit cohérente avec celle des pays voisins, notamment en instituant un programme de renvoi des demandeurs d’asile déboutés. Une politique trop laxiste aurait à coup sûr donné lieu à une nouvelle vague de réfugiés en provenance notamment des Balkans, pour des raisons avant tout liées à la prospérité du Luxembourg et aux difficultés économiques des pays d’origine. Or, la législation luxembourgeoise ne prévoit pas de critère économique pour l’obtention du statut de réfugié. Bien entendu, les demandeurs d’asile déboutés peuvent former un recours auprès des tribunaux et tant que ceux‑ci ne se sont pas prononcés, aucune mesure d’expulsion ne peut être prise à leur encontre. Le Gouvernement a entrepris d’accélérer la procédure, dont la longueur a été critiquée notamment par la Commission consultative des droits de l’homme. En attendant d’être fixés sur leur sort, les demandeurs d’asile peuvent compter sur l’aide des pouvoirs publics pour subvenir à leurs besoins, mais ils n’ont que très rarement accès au marché du travail.
En ce qui concerne la Commission consultative des droits de l’homme, M. Berns tient à souligner que cet organe, dont l’indépendance est totale, n’est absolument pas une émanation du Gouvernement. Elle compte parmi ses membres des représentants d’ONG, qui sont actives dans les domaines de l’accueil des étrangers, de l’accès à l’éducation et, d’une manière générale, de la promotion des droits de l’homme. Elle peut adresser au Parlement des rapports sur toutes les questions relatives aux droits de l’homme. Cependant, elle n’a pas encore eu à examiner de cas concernant les dispositions du Pacte. En ce qui concerne les conséquences pour le respect des droits de l’homme des mesures de sécurité prises au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, le Ministre luxembourgeois des affaires étrangères, s’exprimant devant la Commission des droits de l’homme, a souligné que les préoccupations légitimes en matière de sécurité ne devraient en aucun cas déboucher sur une quelconque violation des droits de l’homme.
Mme KRIES (Luxembourg) n’est pas en mesure de donner les raisons exactes de la non‑ratification par son pays de la Convention no 118 de l’OIT concernant l’égalité de traitement (sécurité sociale). Elle déclare cependant que le Gouvernement va analyser cet instrument afin de déterminer l’opportunité de le ratifier. À première vue, aucun obstacle ne s’oppose à une telle ratification, vu que la Convention consacre des principes qui figurent déjà dans la législation nationale.
M. SADI souhaite des précisions sur le mode de financement de la Commission consultative des droits de l’homme. Celle‑ci dispose‑t‑elle d’une unité chargée d’examiner les plaintes en attendant la mise en place des services du Médiateur?
M. MALINVERNI juge peu satisfaisante la réponse donnée à la première question de la liste des points à traiter (E/C.12/LUX/Q/2). Certes, la Cour constitutionnelle est de création récente, mais qu’en est‑il de la pratique des tribunaux ordinaires? Dans ses réponses écrites, l’État partie déclare qu’il est généralement «admis que le Pacte confère à ses dispositions le caractère de normes de droit international conventionnel d’effet direct qui prévalent sur la norme de droit interne, peu importe sa nature législative et constitutionnelle…». D’où cette affirmation est‑elle tirée? Abordant la question des réfugiés, M. Malinverni souhaite savoir dans quelle mesure les demandeurs d’asile peuvent exercer les droits consacrés dans le Pacte en attendant l’aboutissement de la procédure les concernant.
M. BERNS (Luxembourg) dit que les demandeurs d’asile bénéficient de l’ensemble des droits consacrés dans le Pacte, exception faite du droit au travail. Étant donné que certains de ces droits sont liés à l’exercice d’une profession, le Gouvernement a créé un régime d’assurance spécial permettant aux demandeurs d’asile de bénéficier des mêmes prestations, notamment en matière de santé, que les travailleurs. Les demandeurs d’asile bénéficient d’un accès total au système éducatif et d’un abonnement gratuit aux services de transport. En ce qui concerne le financement de la Commission consultative des droits de l’homme, M. Berns promet de donner au Comité toutes les informations voulues, à la prochaine séance, après consultation des autorités à Luxembourg. L’arrêt évoqué dans les réponses écrites revêt une importance particulière, car il codifie, sous forme de jurisprudence, une pratique bien établie. Certes, cet arrêt ne porte pas sur le Pacte, mais on peut, par analogie, conclure que du moment qu’une norme internationale est reconnue comme étant supérieure au droit interne, le Pacte devrait bénéficier du même traitement privilégié.
M. PILLAY demande si les droits économiques, sociaux et culturels sont sur un pied d’égalité avec les droits civils et politiques et, en particulier, s’ils sont justiciables. Il constate que les droits civils et politiques sont expressément mentionnés dans la Constitution, ce qui n’est pas le cas des droits économiques, sociaux et culturels.
M. BERNS (Luxembourg) dit que toute réponse à cette question n’aurait qu’un caractère purement spéculatif. En effet, tant que les dispositions du Pacte n’ont pas été invoquées devant un tribunal, on ne peut se prononcer avec certitude sur la justiciabilité des droits consacrés dans cet instrument.
II.POINTS RELATIFS AUX DISPOSITIONS GÉNÉRALES DU PACTE
Articles 1er à 5
La PRÉSIDENTE invite la délégation à répondre aux questions 5 à 11 de la liste des points à traiter (E/C.12/LUX/Q/2.
M. BERNS (Luxembourg) dit qu’au cours des 30 dernières années toutes les mesures discriminatoires à l’égard des femmes ont été progressivement éliminées de l’arsenal juridique. C’est ainsi que plusieurs lois et règlements ont été adoptés, dans le but de consacrer l’égalité de traitement entre hommes et femmes dans le domaine de l’emploi, de définir la notion de discrimination indirecte et de modifier des dispositions relatives à la charge de la preuve qui, désormais, incombe à la partie accusée de discrimination. La discrimination fondée sur le sexe, l’origine, la couleur de la peau, l’orientation sexuelle, etc., est susceptible d’être réprimée pénalement depuis qu’une loi du 19 juillet 1997 a modifié et complété en ce sens le Code pénal. Parallèlement à cet arsenal juridique, le Gouvernement a lancé une campagne d’éducation visant à sensibiliser l’opinion à l’importance de l’égalité entre les sexes et de la lutte contre la discrimination sous toutes ses formes.
Mme KRIES (Luxembourg) annonce le dépôt à la Chambre des députés du projet de loi no 4827 ayant pour objet la création d’un revenu de remplacement pour les personnes handicapées qui ne sont pas en mesure de gagner leur vie et la mise en place d’un système de rémunération dans les ateliers protégés. De cette manière, le législateur favorisera l’intégration sociale des travailleurs handicapés et de toute autre personne souffrant d’un grave handicap. En matière de sécurité sociale, les personnes handicapées bénéficient de diverses prestations en nature et en espèces ainsi que de mesures d’adaptation de leur logement.
M. THOMA (Luxembourg) dit que la distinction opérée entre les enfants légitimes et les enfants naturels n’entraîne aucune inégalité de droits. Entre autres textes, l’article 334‑1 du Code civil dispose que l’enfant naturel a les mêmes droits et les mêmes devoirs que l’enfant légitime.
M. BERNS (Luxembourg) constate que seuls 26 États à travers le monde, dont très peu de pays appartenant à l’Union européenne, ont ratifié la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie ou y ont adhéré. Sur un sujet aussi important et sensible, le Luxembourg se doit d’adopter une approche commune avec les autres États de l’Union européenne. Aussi attend‑il de voir l’évolution au niveau européen et mondial des adhésions éventuelles à cet instrument. S’agissant du droit au regroupement familial des demandeurs d’asile, M. Berns rappelle qu’il n’existe pas de texte international obligeant les États à faire bénéficier les demandeurs d’asile de ce droit. Autoriser le regroupement familial avant la fin de la procédure d’examen de la demande d’asile reviendrait à soumettre les membres de la famille à la même situation précaire que celle dans laquelle se trouve le demandeur d’asile.
M. THOMA (Luxembourg) dit que la Commission des institutions et de la révision constitutionnelle de la Chambre des députés propose de modifier comme suit le paragraphe 2 de la Constitution: «Les femmes et les hommes sont égaux en droits et en devoirs». L’État peut adopter des mesures spécifiques en vue d’assurer l’égalité de fait dans l’exercice des droits et devoirs». L’adoption de ce texte est prévue avant l’expiration de la période législative actuelle, en 2004.
M. BERNS (Luxembourg) dit qu’en ce qui concerne la persistance des inégalités entre les sexes, les membres du Comité sont invités à se reporter aux réponses aux questions 5 et 14 de la liste de points à traiter (E/C.12/LUX/Q/2).
Mme IYER se demande pourquoi le Luxembourg n’a pas adopté un texte couvrant toutes les formes de discrimination prévues à l’article 2 du Pacte plutôt que des lois séparées visant l’un ou l’autre des facteurs de discrimination. Se félicitant de la révision prochaine, par les autorités compétentes, du statut de demandeur d’asile, elle espère que dans ce cadre, la plus haute importance sera accordée à la question des droits fondamentaux des personnes concernées.
M. GRISSA voudrait savoir si les travailleurs étrangers et les ressortissants luxembourgeois sont traités sur un pied d’égalité ou s’il existe des discriminations en matière salariale. Au sujet de la question du droit au regroupement familial et de l’argument avancé par la délégation selon lequel il n’est pas souhaitable d’appliquer ce droit tant que le demandeur d’asile se trouve dans une situation précaire au Luxembourg – à savoir tant que les autorités compétentes ne se sont pas prononcées sur son sort –, M. Grissa fait observer que dans bien des cas, la famille proche du demandeur, privée de son principal soutien, se trouve dans une situation encore plus précaire dans son pays d’origine ou d’accueil, et que de ce fait, la question est d’ordre humanitaire.
Mme BARAHONA‑RIERA voudrait savoir pourquoi le processus de réforme constitutionnelle qui doit consacrer le principe de l’égalité entre les hommes et les femmes traîne autant en longueur. Elle demande en outre en quoi les mesures d’action positive prévues pour traduire dans les faits ce principe d’égalité seront à même d’influer sur le rôle que jouent les femmes dans la vie politique du pays. Elle fait ensuite observer que s’il n’existait aucune discrimination, comme le prétend la délégation, entre les enfants «légitimes» et les enfants «naturels», il n’y aurait pas lieu de conserver cette distinction dans le Code civil. Existerait‑il une justification culturelle ou politique à cette situation?
M. BERNS (Luxembourg) dit que le législateur a estimé préférable d’adopter toute une série de mesures législatives distinctes pour consacrer l’égalité entre les hommes et les femmes plutôt que d’élaborer une loi générale qui risquerait de manquer de précision et, partant, de ne pas avoir l’effet escompté. S’agissant de la possibilité que les étrangers fassent l’objet de discrimination en matière de salaire, il rappelle que les relations de travail au Luxembourg sont dans les deux tiers des cas régies par une convention collective qui s’applique à tous les travailleurs sans distinction aucune entre les étrangers et les ressortissants luxembourgeois.
M. Berns dit que le Gouvernement luxembourgeois est tout à fait conscient de la dimension humaine que revêt la question du regroupement familial. Il précise que, dans la plupart des cas, les demandes dont sont saisies les autorités luxembourgeoises concernent des proches du demandeur d’asile restés dans leur pays d’origine et non des personnes qui ont dû fuir vers un pays tiers, ce en quoi leur situation est peut‑être moins désespérée. Enfin, M. Berns assure les membres du Comité que le délai observé dans la procédure de réforme constitutionnelle visant à consacrer l’égalité entre les hommes et les femmes n’est pas l’expression d’une volonté politique: le manque de diligence tient en effet à la complexité même de la procédure de révision de la Constitution, qui a été conçue de sorte à éviter que ce texte fondamental ne subisse des modifications trop fréquentes, qui lui ôteraient précisément son caractère fondamental.
M. THOMA (Luxembourg) dit qu’en vertu de la loi luxembourgeoise, la filiation est établie automatiquement lorsqu’il s’agit d’enfants «légitimes» (en vertu du principe de la présomption de paternité), tandis que dans le cas des enfants «naturels», le père doit faire un acte positif en reconnaissance de paternité. Le législateur ne souhaite pas supprimer cette distinction car cela reviendrait à supprimer la notion de présomption de paternité dans le cas des enfants nés de parents mariés et obligerait lesdits parents à entreprendre des démarches administratives pour reconnaître leur enfant. C’est en cela, et en cela uniquement, que le traitement de ces deux catégories d’enfants diffère: pour toutes les autres questions, les enfants «légitimes» ou «naturels» sont doués des mêmes droits, en matière successorale notamment.
M. CEAUSU, appuyé par Mme BARAHONA‑RIERA et M. GRISSA, fait observer que les membres du Comité ont bien conscience que les enfants dits «légitimes» et «naturels» jouissent des même droits, y compris en matière successorale. Il appelle toutefois l’attention de la délégation sur le fait que la terminologie quelque peu péjorative utilisée dans le Code civil luxembourgeois pourrait être modifiée à l’occasion de la révision prévue du Code et être alignée sur la terminologie utilisée à l’ONU, soit «enfants nés dans le mariage» et «enfants nés hors mariage».
III.POINTS SE RAPPORTANT À DES DROITS SPÉCIFIQUES RECONJUS DANS LE PACTE
Articles 6 à 9
La PRESIDENTE invite la délégation à répondre aux questions 12 à 20 de la liste des points à traiter (E/C.12/2003/LUX/Q/2).
M. FABER (Luxembourg) décrit les compétences et les pouvoirs respectifs des divers organes chargés de l’emploi dans l’État partie. Il dit que l’Administration de l’emploi a pour vocation de promouvoir l’utilisation optimale de la main‑d’œuvre dans le respect de la politique économique et sociale du pays. La Commission nationale de l’emploi est chargée de conseiller le Gouvernement en vue de la définition et de la mise en œuvre de la politique de l’emploi, en formulant notamment des avis sur l’orientation et l’application de cette politique. Le Comité de coordination tripartite est l’organe suprême en matière d’emploi; le Gouvernement est tenu de le convoquer s’il constate, sur la base d’une série d’indicateurs économiques de référence, que la situation économique et sociale du pays s’aggrave. Enfin, le Comité permanent de l’emploi est chargé d’examiner, sur une base semestrielle, la situation de l’emploi et du chômage dans le cadre du suivi des décisions du Comité de coordination tripartite.
S’agissant de la législation et de la jurisprudence qui assurent aux salariés une protection rigoureuse contre tout licenciement arbitraire, M. Faber dit que la loi n’impose pas à l’employeur d’énoncer les motifs du licenciement avec préavis dans la lettre portant notification du licenciement. Le salarié peut toutefois demander les motifs de son licenciement en adressant une lettre recommandée à l’employeur. Ce dernier est alors tenu d’exposer, par lettre recommandée également, le ou les motifs du licenciement, qui doivent être liés aux compétences ou au comportement du travailleur ou encore fondés sur des raisons économiques se rapportant au fonctionnement de l’entreprise. Ces motifs doivent être objectifs et réels, ce qui exclut le licenciement pour activité syndicale, par exemple. Il convient de noter que l’employeur n’est pas fondé à invoquer, en cas de procédure judiciaire, des motifs autres que ceux qu’il a exposés dans la lettre de licenciement. Le principe de la communication des motifs du licenciement ne saurait tolérer aucune exception et s’applique indifféremment à tous les employeurs, y compris à ceux qui pourraient invoquer le secret bancaire.
Concernant la mise en œuvre du Plan d’action national en faveur de l’emploi, dont les mesures ont été arrêtées en accord avec les partenaires sociaux, une grande attention est accordée à l’amélioration de la compétitivité des entreprises, notamment par la poursuite d’une politique consensuelle de modération salariale. Si la flexibilité et l’aménagement du temps de travail permettent aux entreprises de s’adapter aux contraintes économiques tout en ayant des effets positifs sur le maintien ou la création d’emplois, les partenaires sociaux peuvent en discuter les modalités dans le cadre des conventions collectives. Pour compléter la politique «passive» qui consiste à verser un revenu de remplacement aux personnes temporairement privées d’emploi ou à favoriser les préretraites, une politique de plus en plus «active» est mise en place afin d’éviter que les groupes à risque ne s’enlisent soit dans le chômage, soit dans l’engrenage du chômage de longue durée et de l’exclusion sociale. Elle vise à garantir les emplois existants, à proposer des emplois à ceux qui en recherchent et à offrir une formation à ceux qui sont exclus du marché du travail. Elle s’adresse tant aux jeunes qu’aux adultes et aux chômeurs âgés et vise tout particulièrement les femmes, dont le taux d’activité est parmi les plus bas en Europe. S’agissant des mesures prises pour lutter contre les disparités de traitement entre les sexes, le Ministère de la promotion féminine a lancé, le 4 février 2002, un projet intitulé «Égalité de salaire – défi du développement démocratique et économique», qui vise à réunir les décideurs politiques, femmes et hommes, les partenaires sociaux et les organismes œuvrant en faveur de l’égalité entre les sexes afin de susciter une prise de conscience accrue de l’inégalité de salaires et de contribuer à un changement des pratiques et des politiques en la matière.
Répondant à la question relative à la réglementation du congé annuel payé, M. Faber dit que le règlement grand‑ducal du 22 août 1985, qui fixe le régime des congés des fonctionnaires et employés de l’État, prévoit que l’agent a droit chaque année à un congé de récréation d’une durée de 28 jours ouvrables. Ce congé est de 30 jours ouvrables pour les fonctionnaires âgés de plus de 50 ans et de 32 jours ouvrables pour ceux de plus de 55 ans. S’agissant de l’application de la loi du 3 août 1977, interdisant le travail clandestin, M. Faber fait observer que ce texte ne vise pas seulement les prestations de travail irrégulières accomplies à titre indépendant et à titre de salarié, mais qu’il s’applique aussi au maître d’œuvre ou au client du prestataire clandestin (qui, auparavant, n’était visé par aucun texte). La loi considère comme travail clandestin l’exercice à titre indépendant des activités professionnelles régies par la loi réglementant l’accès aux professions d’artisan, de commerçant, d’industriel, ainsi qu’à certaines professions libérales, sans être en possession de l’autorisation requise à cet effet, ou la prestation d’un travail salarié, lorsque le travailleur sait que l’employeur ne possède pas l’autorisation requise par la loi ou lorsqu’il sait que sa situation en qualité de salarié n’est pas régulière au regard de la loi régissant les retenues sur salaires et traitements ou de la législation relative à la sécurité sociale. La loi interdit en outre d’avoir recours aux services d’une personne ou d’un groupe de personnes pour l’exécution d’un travail clandestin. Enfin, s’agissant du critère qui permet d’établir qu’un syndicat est indépendant, M. Faber précise qu’une sentence arbitrale datant de 1979 dispose que, pour être considéré comme indépendant, un syndicat doit avoir étendu ses activités au‑delà du cadre restreint d’une seule entreprise ou d’un seul secteur économique.
Mme KRIES (Luxembourg), répondant à la question relative à l’assurance vieillesse, précise que la réforme de celle‑ci avait pour double objectif de réduire le coût financier des régimes de retraite du secteur public et d’atteindre une plus grande convergence avec le régime du secteur privé. Concernant l’objectif de stabiliser à moyenne échéance le coût des régimes publics de pension, le Luxembourg a mis en œuvre l’approche préconisée notamment par l’Union européenne, qui a mis l’accent sur les dangers que fait planer le vieillissement de la population sur les régimes de retraite et, par conséquent, sur l’équilibre financier des dépenses publiques et le respect des critères de stabilité fixés dans le cadre de l’union monétaire. Concernant l’objectif politique d’une convergence entre le régime de pension contributif du secteur privé et les régimes statutaires de la fonction publique, il est à relever que le législateur a estimé que l’effort contributif devrait être l’élément prépondérant pour le calcul des prestations. La loi du 3 août 1998 a en effet conduit, dans certains cas, à une diminution du montant des prestations qui seront versées dans le futur. Toutefois, en vue d’atténuer ce phénomène, des mesures transitoires d’accompagnement ou de compensation ont été prévues. Par ailleurs, une diminution du montant de la pension peut être compensée par une durée d’activité plus longue.
Répondant à la question relative à la possibilité de souscrire une assurance‑pension facultative, Mme Kries précise que cette nouvelle forme d’assurance a été introduite par la loi du 3 août 1998. Jusqu’alors, une assurance volontaire pour les pensions n’était possible que pour les anciens affiliés qui demandaient à continuer l’affiliation sur une base volontaire. Désormais, la possibilité de souscrire une assurance volontaire s’offre également aux personnes qui n’étaient pas affiliées auparavant. Il convient toutefois de noter que les conditions de souscription de cette assurance facultative demeurent strictes.
M. TEXIER demande si le Luxembourg envisage de modifier la loi en vertu de laquelle l’employeur n’est pas tenu d’énoncer les motifs du licenciement, sauf à la demande de l’employé et en cas de faute grave. Il souhaite obtenir des informations récentes sur la situation de l’emploi et sur les mesures prises en faveur des jeunes, dont on sait qu’ils sont les premiers touchés par l’augmentation du chômage en Europe. Par ailleurs, il demande des précisions sur le système de travail obligatoire pour les détenus et rappelle à cet égard que la Convention no 29 de l’OIT sur le travail forcé dispose que le travail des prisonniers doit être volontaire.
Parmi les autres points qui appellent un complément d’information de la délégation luxembourgeoise, M. Texier cite le travail des enfants et le nombre de mineurs concernés, le montant du salaire minimum – sachant qu’il doit être suffisamment élevé pour permettre aux travailleurs et à leur famille de vivre dans des conditions décentes en vertu de l’article 7 du Pacte –et les conditions à remplir pour obtenir l’indemnisation chômage. Par ailleurs, M. Texier demande si des femmes ont formé des recours devant les tribunaux concernant des inégalités de salaire et le déroulement de carrière. En ce qui concerne l’article 8, il demande pourquoi les travailleurs étrangers non ressortissants de l’Union européenne ne sont pas autorisés à participer aux comités mixtes d’entreprise et n’ont pas les mêmes droits syndicaux que les autres travailleurs.
M. CEAUSU recommande à l’État partie de fournir davantage de données statistiques dans son prochain rapport périodique afin que les membres du Comité puissent se faire une meilleure idée de la situation économique et sociale du pays. Il demande des informations sur les effectifs de l’inspection du travail et la législation en matière d’inspection.
Mme BRAS GOMES se félicite que le Luxembourg ait adopté un Plan d’action national en faveur de l’emploi et un Plan d’action en faveur de l’insertion professionnelle des jeunes et demande comment ces deux plans s’articulent et se renforcent mutuellement.
Mme BARAHONA RIERA souhaite des précisions sur le chômage des jeunes.
M. FABER (Luxembourg) dit que la législation luxembourgeoise en matière de licenciement est à peu près identique à celle de la France. Il précise que dans les entreprises de plus de 150 employés, un entretien préalable au licenciement doit avoir lieu avec chaque employé concerné. Pour ce qui est de la situation de l’emploi, le taux de chômage est d’environ 3,8 % mais le nombre de demandeurs d’emploi a sensiblement augmenté ces derniers mois. Le Plan d’action en faveur de l’insertion professionnelle des jeunes prévoit notamment un contrat d’auxiliaire temporaire qui permet aux jeunes chômeurs d’obtenir un contrat de 3 à 12 mois afin d’acquérir une première expérience en entreprise. Ils perçoivent alors le salaire minimum, qui leur est versé par le Fonds pour l’emploi.
La séance est levée à 13 heures
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