NATIONS UNIES

E

Conseil économique et social

Distr.GÉNÉRALE

E/C.12/2008/SR.1719 mai 2008

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS

Quarantième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 17e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,le vendredi 9 mai 2008, à 10 heures

Président: M. TEXIER

SOMMAIRE

QUESTIONS DE FOND CONCERNANT LA MISE EN ŒUVRE DU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS

Journée de débat général consacrée au paragraphe 1 a) de l’article 15 du Pacte relatif au droit de participer à la vie culturelle

La séance est ouverte à 10 h 5 .

QUESTIONS DE FOND CONCERNANT LA MISE EN ŒUVRE DU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS (point 3 de l’ordre du jour)

Journée de débat général consacrée au paragraphe 1 a) de l’article 15 du Pacte relatif au droit de participer à la vie culturelle

1.M. MARCHÁN ROMERO dit que le Comité, dans son projet d’observation générale sur le droit de chacun de participer à la vie culturelle (par. 1 a) de l’article 15 du Pacte), se livrera notamment à une analyse des termes «vie culturelle», «chacun» et «participer». Le terme «vie culturelle» fait explicitement référence au caractère vital de la culture en tant que processus dynamique englobant toutes les expressions de l’existence humaine et s’appliquant à divers contextes géographiques et historiques. Le Comité, s’il ne devrait pas céder à la tentation de proposer sa propre définition de la culture, prendra en compte d’autres définitions de celle-ci. Au demeurant, il importe davantage, aux fins de l’application du Pacte, de définir clairement le contenu normatif des droits visés que de définir la notion de culture car l’aspect juridique de ces droits réside non pas dans la culture elle-même mais dans le fait qu’ils permettent à chacun de prendre part à la vie culturelle. Pour ce qui est du terme «chacun», celui-ci désigne tant le sujet individuel que le sujet collectif de droit. Les droits culturels doivent en effet pouvoir s’exercer aussi bien individuellement qu’en association avec d’autres ou collectivement. La dimension collective de ces droits a aussi pour corollaire l’obligation des États parties de reconnaître, de protéger et de respecter la culture des minorités. Compte tenu du fait que le terme «participer» a un sens passif − «faire partie de» − et un sens actif − «prendre part à» −, le droit de participer à la vie culturelle comporte au moins trois éléments distincts bien qu’intimement liés, à savoir «prendre part», «accéder» et «contribuer». Les termes «prendre part» ou «participer» seraient dénués de sens s’ils n’impliquaient pas le droit d’accéder à la culture, lequel doit être garanti pour tous, y compris dans les zones rurales et urbaines défavorisées. L’accès de tous à la culture ne suppose pas que l’on privilégie une culture de masse au détriment d’un minimum de qualité, car la notion de droits culturels renvoie davantage à la notion de développement de la personnalité humaine qu’à celle de commerce et de consommation à grande échelle de biens et de produits culturels. Le droit de chacun de participer à la vie culturelle comprend également le droit de choisir sa culture, de l’exprimer et de contribuer à son développement.

2.Le paragraphe 1 a) de l’article 15 du Pacte énonce les obligations fondamentales qui incombent aux États. Les États sont tenus non seulement de reconnaître les droits culturels, mais aussi de prendre des mesures législatives, administratives, financières et autres pour protéger et promouvoir la vie culturelle de tous, sur un pied d’égalité. Le Comité devra donc, dans son observation, consacrer un chapitre aux manquements aux obligations relatives au droit de participer à la vie culturelle et aux conséquences qu’entraînent ces manquements tant pour les États parties que pour les acteurs autres que les États parties. Il devra par ailleurs se pencher sur la question des indicateurs, qui sont indispensables pour suivre la mise en œuvre progressive des droits et pour déceler les éventuelles atteintes à ceux-ci. Il est probable, enfin, que le plan de l’observation générale qu’élaborera le Comité soit similaire au plan d’autres observations générales, à savoir: introduction; cadre conceptuel; contenu normatif; obligations des États parties; obligations des acteurs autres que les États parties; mise en œuvre aux échelons national et international; manquements aux obligations; diffusion.

Première partie: Définition de la vie culturelle dans le contexte des droits de l’homme

3.MmeDONDERS (Centre de droit international de l’Université d’Amsterdam) dit qu’il est difficile de définir le contenu et la portée des droits culturels car la notion de culture est vague et extrêmement vaste. Elle explique que la portée du droit de participer à la vie culturelle a été élargie au fil du temps. Lors de la rédaction du Pacte, ce droit avait pour objet de rendre la culture accessible à l’ensemble de la population. Le terme de culture renvoyait alors principalement à la culture nationale et était considéré dans son sens étroit; il désignait des œuvres culturelles. Le Comité, cependant, a accepté d’élargir la notion de «vie culturelle», laquelle désigne maintenant, conformément à une conception plus anthropologique de celle-ci, le mode de vie des personnes et des communautés et englobe notamment la langue, le vêtement, les coutumes et les traditions. Le droit de participer à la vie culturelle touche donc, dans cette optique, à toute une série de questions dont certaines sont étroitement liées à d’autres droits de l’homme tels que le droit à l’éducation et les libertés de pensée, de religion, d’expression et de réunion. Il a trait aux droits des créateurs et des personnes qui transmettent la culture et à des droits liés à la promotion et à la protection de la vie culturelle qui portent notamment sur l’éducation, la langue et la religion. Il touche également à la protection du patrimoine culturel et à la mise en place et au renforcement d’institutions culturelles telles qu’écoles, musées, bibliothèques et archives.

4.Compte tenu de la portée très large de la notion de «vie culturelle», il sera très difficile de donner une définition des composantes fondamentales du droit de participer à la vie culturelle allant au-delà du principe de non-discrimination. Il en ira de même des obligations des États en la matière, tant les obligations liées aux termes «participer» et «vie culturelle» pris au sens large peuvent être nombreuses. Il importe par ailleurs de se pencher sur le lien entre la question du droit de participer à la vie culturelle et celle des pratiques qui portent atteinte aux droits de l’homme. Il convient, à cet égard, de souligner que les États ont accordé une attention croissante à la protection des cultures des minorités et des peuples autochtones et que le Comité, dans ses observations finales, a exprimé, à maintes reprises, sa préoccupation face à certaines coutumes, traditions et pratiques culturelles qui entraînent une forte discrimination à l’égard des femmes et des fillettes. Le droit de prendre part à la vie culturelle a pour fondement la nécessité de protéger une composante importante de la dignité humaine. Or nombreuses sont les personnes qui ont besoin d’une telle protection et en faveur desquelles il importe de prendre des mesures visant à leur permettre de participer à la vie culturelle. Le droit de participer à la vie culturelle devrait constituer le fondement juridique sur lequel reposent les efforts visant à mettre un terme aux politiques d’assimilation forcée et de discrimination à l’encontre de personnes et de communautés.

5.M. SOW (Centre interdisciplinaire sur les droits culturels de l’Université de Nouakchott) dit que s’il est louable d’élaborer des dispositions relatives au droit de participer à la vie culturelle, il importe davantage de donner aux populations la capacité de jouir de leurs droits en la matière. Cette jouissance suppose un espace social et démocratique qui permette l’expression de la pluralité culturelle. Or, parfois, des personnes sont empêchées de respecter leurs traditions car on estime que celles-ci ne répondent pas aux exigences de la modernité. Le fait d’exclure des personnes de la vie culturelle porte atteinte à leur fierté et entraîne le repli identitaire. S’agissant de l’instrumentalisation de la diversité et de la participation à la vie culturelle, M. Sow dénonce le fait que dans la plupart des pays africains, celle-ci se limite à inviter des membres de tous les groupes qui composent la population nationale, munis de leurs instruments de musique respectifs, à accueillir les cortèges présidentiels, chacun rentrant chez soi par la suite, et à faire figurer des artistes représentant les divers groupes culturels dans les manifestations organisées par les présidences. Enfin, il conviendrait, si l’on veut instaurer la paix et la justice dans le monde, d’élaborer un article visant à lutter contre le mépris culturel car celui‑ci entraîne le repli identitaire, lequel est le terreau dont se nourrissent les discours appelant à la haine, à la barbarie et à la négation de l’autre.

6.M. SADI, s’agissant de la question du multiculturalisme, souhaiterait que les intervenants s’expriment sur la question de la manière dont les pays peuvent concilier leur obligation de respecter les droits et la culture des diverses communautés qui composent leur population avec leur obligation de protéger et de promouvoir la culture nationale principale.

7.MmeBONOAN-DANDAN dit qu’elle vient d’un pays dans lequel il y a 110 groupes ethnolinguistiques et qu’en présence d’une telle diversité il est très difficile de déterminer quelle est la culture nationale principale. Il convient, à cet égard, de se demander si le fait même d’utiliser un terme tel que «principale» ne tend pas à exclure les groupes minoritaires et à les marginaliser. Il s’agit d’une question importante à laquelle le Comité devra réfléchir, notamment à la lumière de ce qu’a dit M. Sow concernant les conséquences de l’exclusion.

8.M. PILLAY note que le Comité a adopté au fil de ses travaux une conception large de la culture, et il est gêné par l’idée de définir un contenu essentiel du droit de participer à la vie culturelle qui serait le principe de non-discrimination, car ce principe n’est pas spécifique et peut s’appliquer à n’importe lequel des droits énoncés par le Pacte.

9.M. courtis (Commission internationale de juristes) dit qu’il souscrit pour l’essentiel à la déclaration de Mme Donders mais serait plus favorable à l’idée de définir un contenu allant au‑delà du principe de non-discrimination, compte tenu de l’interprétation plus large que le Comité a donnée, dans ses Observations générales précédentes, de certains droits consacrés par le Pacte, parlant par exemple de droits à une alimentation ou à un logement suffisants. Il devrait, dans le même esprit, se référer à une conception large de la culture dans le cas du droit de participer à la vie culturelle.

10.M. RIEDEL relève que, si le projet de protocole facultatif se rapportant au Pacte, qui permettrait au Comité d’entendre des communications émanant d’individus ou de groupes d’individus, est adopté, il est probable que l’article 15 jouera un bien plus grand rôle qu’auparavant. M. Riedel est réservé sur la notion de la culture principale évoquée par M. Sadi car celle-ci serait difficile à définir et n’a pas la même signification selon qu’on est, par exemple, un historien, un anthropologue ou un membre d’une minorité. La protection prévue par le Pacte porte sur trois dimensions − non seulement les individus et les groupes d’individus, mais aussi la collectivité. En cas de conflit entre un ou plusieurs individus et la collectivité, le principe de non‑discrimination et l’objet du paragraphe 1 a) de l’article 15 ne doivent pas être perdus de vue. Il appartient au Comité de trouver un équilibre satisfaisant entre ces trois dimensions.

11.Mmebras gomes dit qu’il est difficile de définir une culture principale. La plupart des pays du monde sont aujourd’hui influencés par d’autres cultures. Le manque de compréhension pour l’attachement des individus à leur culture d’origine est souvent source de conflit dans les sociétés modernes. Cet attachement est d’autant plus important aujourd’hui que la mondialisation atténue les différences. Dans son Observation générale sur le droit de participer à la vie culturelle, le Comité doit se garder d’un point de vue statique et adopter une perspective dynamique.

12.M. OELZ (Organisation internationale du Travail) souligne la pertinence des normes de l’Organisation internationale du Travail (OIT) pour les travaux du Comité. L’OIT se réfère à une conception large de la culture qui correspond au caractère multiculturel des sociétés actuelles. Les rédacteurs du Pacte ont reconnu le droit des travailleurs migrants de participer à la vie culturelle, ainsi que de maintenir des liens avec leur héritage culturel et de développer cet héritage. Dans le même esprit, la Convention no 143 de l’OIT sur les travailleurs migrants (dispositions complémentaires) prévoit le droit à l’éducation dans la langue maternelle. La Convention no 11 sur le droit d’association (agriculture) présente aussi une coïncidence normative importante avec le Pacte en reconnaissant le fait que, pour de nombreuses minorités autochtones, les métiers traditionnels font partie intégrante de la vie culturelle.

13.M. KERDOUN dit que le débat a peu évoqué jusqu’à présent le fait que le droit de participer à la vie culturelle est opposable essentiellement aux États. Or, il arrive que ce droit soit confisqué par les États qui imposent une culture officielle, ou la culture du groupe qui gouverne, et il est bien difficile alors à certains groupes sociaux d’affirmer leur existence ou d’exercer leur droit de participer à la vie culturelle. Par ailleurs, comme la culture passe également par la langue et la civilisation, il est normal pour un État de vouloir maintenir cette cohérence culturelle et d’hésiter à ouvrir trop grand la porte. L’importance centrale des États ne doit pas être perdue de vue par le Comité.

14.M. MEYER-BISCH (Université de Fribourg) dit que ce n’est pas l’individu qui fait partie d’une culture; ce sont les personnes qui choisissent la multiplicité des références qui constituent leur culture. Le droit culturel est le droit pour chacun de choisir la diversité des références qui lui sont nécessaires pour mener à bien tout au long de sa vie son processus d’identification. M. Meyer-Bisch ne pense pas que la distinction habituelle entre les trois niveaux soit pertinente car il n’existe pas de symétrique à la personne humaine: face à l’individu, il n’y a pas une collectivité ou communauté, mais une multiplicité de communautés culturelles auxquelles celui‑ci peut se référer. Il se demande s’il ne faudrait pas réhabiliter aujourd’hui la notion de collectivité ou de communauté, non pas pour se référer à la communauté nationale dont l’interprétation peut prêter à équivoque, mais au maillage systématique de communautés professionnelles, linguistiques, religieuses, ou autres, qui existe aujourd’hui.

15.M. ABDEL-MONEIM dit que le problème vient de ce que vie culturelle et culture sont des notions vastes. Si, du point de vue des membres du Comité ou d’un militant des droits de l’homme, une conception large est préférable, les États parties, selon la période ou les circonstances, interpréteront les droits de façon plus ou moins large ou étroite. Il sied aux spécialistes d’avoir vue globale et dynamique des droits visés par le Pacte afin de rendre compte de leur évolution au fil du temps. Mais le problème se pose de savoir dans quelle mesure l’évolution de l’interprétation des contenus des droits est contraignante en droit international, dans la mesure où un État partie peut estimer être contraint seulement par l’instrument qu’il a ratifié.

16.MmeDOMMEN (3D) estime qu’essayer de définir la culture pourrait être préjudiciable à une définition du droit à la culture, et propose d’envisager, plutôt qu’une définition, une liste exhaustive de ce qui pourrait constituer la culture. Elle souligne l’importance du lieu de vie et des ressources du milieu naturel dans beaucoup de cultures, notamment dans les cultures autochtones, et la nécessité de protéger les systèmes de savoir traditionnels. Le monopole croissant exercé par des sociétés multinationales sur la production culturelle est un problème actuel sérieux qui doit être pris en compte. La préservation du contrôle de ressources génétiques comme les semences, dans la mesure où l’échange des semences est pratiqué depuis toujours par les agriculteurs, constitue aussi une dimension du droit de participer à la vie culturelle.

17.Mmebarahona riera estime que le contenu du droit de participer à la vie culturelle doit aller au-delà du principe de non-discrimination. Il doit être reconnu que certaines pratiques culturelles qui s’exercent à l’égard des femmes, notamment, constituent des violations des droits de l’homme. En tant qu’instance internationale, le Comité doit adopter un point de vue large qui tienne compte des préoccupations internationales. Enfin, la dimension collective des droits doit aussi être prise en compte pour reconnaître le fait que les groupes humains ont une identité qu’ils souhaitent pouvoir exprimer.

18.MmeDONDERS (Centre de droit international de l’Université d’Amsterdam) précise que son propos n’était pas de dire qu’un contenu minimum ne peut pas être défini au-delà du principe de non-discrimination, mais simplement qu’une telle définition serait très difficile à élaborer. S’il est préférable de ne pas parler de culture principale ou nationale, la réconciliation des cultures multiples existant au sein d’un même pays, et même au-delà des frontières, est une question importante. La force de la culture est son caractère fluide et changeant; elle n’est pas quelque chose de fixe, c’est pourquoi il vaut peut-être mieux ne pas essayer de la définir. Le Comité doit en revanche déterminer quelle optique, plutôt large ou plutôt étroite, il souhaite adopter, pour donner un cadre de référence clair aux États. Le droit de participer à la vie culturelle est évidemment lié à d’autres droits fondamentaux, qui se trouvent être généralement des droits dont le contenu est une liberté − liberté d’expression, d’assemblée ou de religion, par exemple. En l’espèce, on pourrait parler d’une liberté individuelle aussi bien d’adhérer à une culture que de changer d’affiliation culturelle. Pour réconcilier ces notions changeantes, le point de départ a été d’imposer des obligations négatives aux États, qui doivent reconnaître des droits culturels et respecter le fait qu’une personne est libre d’adhérer à une culture ou non. Il importe de reconnaître les liens d’interdépendance entre les différents droits, ce que fait depuis longtemps le Comité, qui a abordé la dimension culturelle des droits faisant l’objet de plusieurs de ses Observations générales. Un autre aspect important souligné par un membre du Comité est la nécessité de mettre l’accent, non pas sur les droits collectifs en tant que notion juridique, mais sur le fait que le droit de participer à la vie culturelle présente intrinsèquement une dimension collective.

19.M. SOW (Centre interdisciplinaire sur les droits culturels de l’Université de Nouakchott) déclare qu’il n’existe pas, dans sa culture, de «culture principale» ou de «culture nationale», mais que l’on parle de «culture d’accueil». Il souhaite donc clore ce débat en ce qui le concerne, car il ne connaît pas les notions de «culture principale» ou «nationale».

20.Au sujet de l’affirmation selon laquelle certaines pratiques culturelles violent les droits de l’homme et la dignité humaine, M. Sow déclare qu’il n’appelle pas ces pratiques des «pratiques culturelles» mais des «pratiques de la honte».

Deuxième partie: Droit d’avoir accès et de participer à la vie culturelle

Pauvreté et accès à la culture

21.Mme OESCHGER (Conférence des organisations internationales non gouvernementales − OING − du Conseil de l’Europe) déclare que les droits culturels ont fait l’objet ces dernières années d’un approfondissement remarquable mais qu’il demeure des problèmes en ce qui concerne le rapport entre la pauvreté et l’accès à la culture. Les besoins culturels des personnes défavorisées sont trop souvent méconnus. Ils ne sont pas ou peu pris en compte parce qu’ils ne se voient pas et semblent secondaires. Or, une personne peut avoir des besoins culturels même si elle n’a pas de quoi manger ou si elle n’a pas de toit. Cela peut même être la seule façon qui lui reste de garder un espoir. Cela soulève la question de savoir si l’on peut définir à la place d’autrui ses besoins élémentaires. Pour ce faire, on propose aujourd’hui de sortir de la hiérarchie des besoins définis par la Pyramide de Maslow et de remplacer cette pyramide par un cercle, qui respecte la totalité de la personne et qui comprend donc les besoins culturels et spirituels au même niveau que les besoins matériels.

22.Des droits minimum ou élémentaires visent à assurer la survie quotidienne de l’être humain et sont souvent proposés comme «solution en attendant» pour parer au pire. La clef du problème de la pauvreté persistante se situe précisément dans cette vision réduite de l’être humain vivant dans l’extrême pauvreté: on ne lui accorde pas de dimension culturelle. Or sans cette dimension culturelle, l’individu ne peut pas sortir de la misère et la société ne peut pas résoudre le problème de la pauvreté.

23.Les représentants des OING parlent régulièrement du mépris avec lequel sont traitées les personnes en situation de vulnérabilité. Il apparaît au grand jour que des parties entières de la population se désolidarisent des communautés défavorisées. Nous sommes donc obligés de constater que, dans nos sociétés, il n’est pas acquis que nous sommes tous issus de la même famille humaine.

24.Des principes directeurs établis dans le cadre d’un projet appelé «Extrême pauvreté et droits de l’homme: les droits des pauvres» insistent sur le «droit de participer pleinement à la vie de la communauté». Ces principes prévoient que les États doivent prendre des mesures pour fournir aux pauvres une protection en ce qui concerne leur dignité, leur vie privée, leur intégrité, et ils insistent sur le droit à l’éducation et à la culture. Il serait utile que le Comité prenne en considération ces principes directeurs et travaille en coopération avec ce projet.

25.S’agissant des acquis résultant des travaux du Conseil de l’Europe dans ce domaine, l’article 30 de la Charte sociale européenne révisée donne droit à la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale et engage les Parties à la Charte à prendre des mesures pour promouvoir l’accès effectif à l’emploi, au logement, à la formation, à l’enseignement et, précisément, à la culture. Le Comité devrait mettre en avant cet acquis et le faire valoir.

26.En conclusion, Mme Oeschger estime qu’il convient aujourd’hui de parler de crise culturelle, parce qu’au moment où la crise alimentaire est exacerbée par le drame du Myanmar, le risque est énorme que les droits culturels soient encore relégués au dernier plan. Il faut donc souligner que la vraie crise n’est pas alimentaire mais culturelle.

27.Mme AULA (Bureau international catholique de l’enfance − BICE) déclare que l’accès à la culture des personnes vivant dans une situation d’extrême pauvreté nous interpelle tous profondément. Les propos de Mme Oeschger permettent d’engager une réflexion plus ample et de se demander s’il y a des pratiques culturelles communes aux personnes vivant dans une situation d’extrême pauvreté dans les différentes parties du monde. La transmission des pratiques culturelles, bonnes ou mauvaises, est intéressante car elle génère une situation de mise en relation sociale. Elle contribue à effacer toute différence en termes de statut en vue de la réalisation pleine du principe d’égalité. Dans cet esprit, l’accès aux droits culturels trouve son sens.

28.La proposition de sortir de la hiérarchie des besoins définis par la Pyramide de Maslow a le mérite de réitérer qu’il n’existe pas de hiérarchie entre les droits et les libertés fondamentaux. Il ne faut toutefois pas confondre nécessité et suffisance. Dans le cas des personnes vivant dans une situation d’extrême pauvreté, comme pour d’autres groupes vulnérables ou en situation d’urgence, il faut mettre en avant la préexistence d’un droit avant l’autre, un droit préalable dans le temps par nécessité, même s’il n’est pas hiérarchiquement supérieur. Il n’en est pas moins vrai que l’objectif est d’éviter que le besoin de survie occupe la place de la volonté de créer du sens. La catastrophe survenue récemment au Myanmar illustre bien ce propos et invite à ne pas se tromper d’urgence. Il faut insérer de la culture dans l’urgence, mais ne jamais substituer l’une à l’autre.

29.En ce qui concerne les travaux du Conseil de l’Europe, le Bureau international catholique de l’enfance partage avec celui-ci les idées suivantes: il faut prendre en compte le caractère entier et total de l’être humain, et la culture est pour cela incontournable; la culture est un rempart contre la déshumanisation; et l’accès à la culture devrait être étendu au plus grand nombre sans discrimination. Toutefois, il convient de rappeler que certaines cultures nient les autres cultures et le caractère de la dignité humaine; il s’agit alors plutôt de «mauvaise culture» qui abaisse l’homme.

30.L’accès aux droits culturels pour tous, et notamment pour les pauvres et les plus démunis, et parmi eux les enfants, reste une préoccupation constante des travaux du Bureau international catholique de l’enfance.

31.M. PILLAY déclare qu’il ne comprend pas très bien ce que Mme Oeschger a dit en ce qui concerne les liens entre crise alimentaire et crise culturelle. Il souhaite avoir des explications à ce sujet.

32.Mme STAMATOPOULOU (Instance permanente sur les questions autochtones, Département des affaires économiques et sociales de l’Organisation des Nations Unies) demande aux intervenants s’ils ont pris en considération l’idée que les cultures des populations pauvres représentent une expression culturelle très puissante, à laquelle la culture nationale porte souvent atteinte. C’est le cas, par exemple, de la culture produite par les favelas au Brésil. Il faudrait renforcer les moyens de protéger ces cultures ainsi que les expressions artistiques et créatives des communautés autochtones.

33.M. MARCHÁNROMERO déclare que les pauvres, même dans l’extrême pauvreté, ont une richesse culturelle intrinsèque à apporter à la société. Ce qu’ils n’ont pas, c’est le moyen et la capacité réelle de participer à la vie culturelle sur un pied d’égalité.

34.Mme DAROOKA (Programme on Women’s Economic, Social and Cultural Rights − PWESCR) souhaite attirer l’attention du Comité sur le fait que la culture est habituellement utilisée comme un obstacle aux droits des femmes. C’est-à-dire qu’au nom de la culture, on refuse aux femmes certains droits. Ce discours a pour effet que, finalement, la culture est un droit mais que les droits des femmes ne sont pas respectés.

35.Mme OESCHGER (Conférence des OING du Conseil de l’Europe) estime que tout être humain a en effet une richesse culturelle en lui et que les produits culturels des personnes vivant dans la pauvreté ou l’extrême pauvreté ont une très grande valeur et doivent être protégés.

36.Le lien entre la crise alimentaire et la «crise culturelle» est double. Premièrement, il existe une crise alimentaire parce que les personnes qui se trouvent dans l’extrême pauvreté ne sont pas associées à la réflexion sur les moyens d’éliminer la pauvreté; deuxièmement, les crises alimentaires masquent la crise culturelle. Cela étant, il faudra encore attendre des dizaines d’années pour vaincre la faim, mais il faut dès aujourd’hui apporter également une aide culturelle aux pauvres pour permettre à chacun de réaliser pleinement son potentiel humain.

37.Mme AULA (Bureau international catholique de l’enfance − BICE) déclare qu’il convient d’associer les personnes vivant en situation d’extrême pauvreté aux actions visant à favoriser leur accès à la culture. Il faut transmettre et comprendre, aller vers l’autre, et être tous sur un pied d’égalité dans cette démarche. L’association et la participation des personnes vulnérables, y compris des enfants, sont des éléments clefs de cette action.

38.Le PRÉSIDENT rappelle que le Comité a toujours mis l’accent sur l’importance de l’approche participative, en particulier pour ce qui concerne la lutte contre la pauvreté.

Accès à l’héritage culturel; arts et culture dans le contexte de la mondialisation

39.MmeDOFL-BONEKÄMPER (Groupe de Fribourg) déclare que le patrimoine est toujours une combinaison d’éléments et une construction sociale. Il n’est pas seulement tangible, mais il est aussi chargé d’une signification. Son statut matériel et formel peut être défini selon différents critères: local, légal, social, sémantique et temporel.

40.Les différents éléments du patrimoine, qui peuvent être étudiés selon cette grille d’analyse, sont les objets de musées, les bâtiments et les monuments, les patrimoines dits «immatériels», les acteurs de la construction patrimoniale, et les communautés patrimoniales.

41.Si l’on applique les différents critères d’analyse aux objets de musées, le critère local porte sur la localisation et la provenance desdits objets, le critère légal sur le mode d’acquisition ou d’appropriation et sur le droit de propriété, le critère sémantique sur ceux qui définissent le sens de ces objets.

42.Les communautés patrimoniales sont des communautés de personnes qui développent un sens d’appartenance à un patrimoine et forment une communauté autour de celui‑ci. Ces communautés sont définies par la récente Convention de Faro adoptée par le Conseil de l’Europe. Les membres d’une communauté patrimoniale ont une responsabilité partagée par rapport à la préservation de ce patrimoine.

43.En conclusion, le droit au patrimoine culturel est complexe, multiple et comporte de nombreuses contradictions. C’est une construction sociale qui implique des choix de société.

44.M. SMIERS (École des Beaux‑Arts d’Utrecht) dit que le système des droits d’auteur constitue le principal obstacle à l’exercice du droit de participer à la vie culturelle. En effet, dans nos sociétés occidentales, les individus sont contraints à être des consommateurs passifs et nul n’a le droit d’intervenir dans la production, la distribution et la promotion d’une œuvre. Les droits d’auteur empêchent chacun d’entre nous d’être des consommateurs actifs. En revanche, un petit nombre de conglomérats culturels extrêmement puissants disposent de droits exclusifs sur des centaines d’œuvres et en contrôlent la production.

45.Selon M. Smiers, il faudrait prendre d’urgence les mesures suivantes: supprimer les droits d’auteur, démanteler les conglomérats culturels et promouvoir une liberté active dans le domaine culturel. La suppression des droits d’auteur permettra à des milliers de petits artistes, actuellement écartés par l’industrie de la culture, de s’exprimer librement et de partager les millions d’investissements consacrés à la culture populaire de masse. La normalisation du marché de la culture contribuera à établir des règles égales pour tous. On verra ainsi l’apparition d’un domaine public d’expression gratuit pour tous. Enfin, en l’absence de droit d’auteur, chacun retrouvera le droit d’être un citoyen actif, de s’insurger contre une œuvre et de prendre ainsi part à la vie culturelle.

46.M. MARCHÁN ROMERO demande à Mme Dolf-Bonekämper si elle considère la beauté naturelle d’un paysage comme un bien culturel méritant protection. Par ailleurs, il pense que le discours critique de M. Smiers vise le régime de propriété intellectuelle et non les droits d’auteur, ces derniers étant étroitement liés à l’article 15 1) c) du Pacte relatif au droit de chacun de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production dont il est l’auteur.

47.M. COURTIS (Commission internationale de juristes) dit que les biens culturels peuvent avoir une dimension et une valeur collectives, ce qui signifie que les États ont l’obligation spéciale de les respecter, de les protéger et de les promouvoir. À son avis, il existe donc un droit collectif de participer à la vie culturelle.

48.M. MEYER-BISCH (Université de Fribourg) définit la culture comme un ensemble de valeurs et de pratiques qui sont choisies par une personne comme référence. À la notion de droit collectif ou de propriété collective, il préfère celle de propriété commune. Ce sont les personnes qui font leurs communautés et leurs œuvres. Chacun s’inscrit dans un tissu social. Les œuvres sont des ressources nécessaires pour les personnes en tant que manifestation de ce qu’elles sont vraiment.

49.M. NIMNI (Queen’s University de Belfast) demande à Mme Dolf-Bonekämper ce qu’elle pense des sociétés dites civilisées qui ont bâti une partie de leur culture en dénigrant les cultures autochtones, voire en prônant leur destruction.

50.Mme DOLF-BONEKÄMPER (Groupe de Fribourg), répondant à M. Marchán Romero, dit que le paysage naturel est créé dans l’œil de celui qui le regarde. C’est une création précieuse qui s’apparente de toute évidence à une œuvre. S’il n’y a pas de production en tant que telle, le paysage est néanmoins une œuvre à protéger. En ce qui concerne la notion de droit collectif, elle reconnaît que la dimension collective du patrimoine doit être prise en compte par tout État mais, à son avis, l’individu doit être au cœur du droit au patrimoine, sachant que l’appartenance au patrimoine est illimitée. Répondant à M. Nimni, elle note que si les colons ont parfois construit leur patrimoine artistique en détruisant celui des populations locales, il n’en reste pas moins que leur patrimoine a une valeur. En Afrique, par exemple, on pourrait dire que le patrimoine culturel est antagoniste car fondé sur des conceptions très différentes.

51.Le PRÉSIDENT, s’exprimant en sa qualité de membre du Comité, note que les propos de M. Smiers sont très intéressants, quoique provocateurs. À son avis, il faudrait revoir le régime des droits d’auteur et non le supprimer car il deviendrait alors impossible de protéger l’œuvre individuelle.

52.M. SHABALALA (Center for International Environmental Law) dit que lors de l’élaboration de son Observation générale sur le droit de participer à la vie culturelle, le Comité ne devrait pas faire l’amalgame entre l’exercice du droit de participer à la vie culturelle et le régime de la propriété intellectuelle. Il souligne en outre que cette Observation générale aura beaucoup d’importance car elle influera sur la façon dont d’autres organisations, telles que l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), interprètent le droit de participer à la vie culturelle.

53.Mme DOMMEN (3D) partage le point de vue de M. Smiers concernant la suppression des droits d’auteur car ceux-ci sont souvent utilisés à mauvais escient par leurs propriétaires. En Afrique, il est souvent impossible de publier certains ouvrages dans telle ou telle langue locale du fait des droits d’auteur et de l’absence d’intérêt commercial flagrant pour les maisons d’édition. Les droits d’auteur limitent donc le droit de chacun de participer à la vie culturelle.

54.M. SOW (Centre interdisciplinaire sur les droits culturels de l’Université de Nouakchott) dit qu’à son avis, la suppression des droits d’auteur favoriserait le pillage des œuvres artistiques africaines et la prolifération des copies, sans aucune reconnaissance du génie artistique des communautés africaines locales.

55.M. SMIERS (École des Beaux‑Arts d’Utrecht) dit que la multiplication de copies ne déprécie pas forcément la valeur de l’œuvre initiale. Il estime qu’il existe un véritable tabou sur la question des droits d’auteur et il s’inscrit en faux contre l’idée selon laquelle le régime des droits d’auteur constitue une protection pour les artistes. La crise financière et économique montre qu’il est peut-être temps de réglementer autrement le marché. Chaque artiste doit avoir accès au marché et chacun doit participer à la vie culturelle, ce qui n’est pas le cas actuellement avec le système des droits d’auteur. Les œuvres doivent retomber dans le domaine public et les citoyens doivent redevenir des membres actifs de la vie culturelle. À son avis, en l’absence de droit d’auteur, le marché opérerait plus efficacement et aucune entreprise dominante ne pourrait imposer ses choix artistiques. Les œuvres se vendraient mieux et seraient toutes sur un pied d’égalité.

La séance est levée à 13 h 10.

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