NATIONS UNIES

E

Conseil économique et social

Distr.GÉNÉRALE

E/C.12/2007/121 septembre 2007

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES,SOCIAUX ET CULTURELSTrente-huitième session30 avril-18 mai 2007

APPRÉCIATION DE L’OBLIGATION D’AGIR «AU MAXIMUM DE SES RESSOURCES DISPONIBLES» DANS LE CONTEXTE D’UN PROTOCOLE FACULTATIF AU PACTE

DÉCLARATION

1.Le Comité se félicite de la décision du Conseil des droits de l’homme d’élaborer un protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. En habilitant le Comité à examiner des communications individuelles et collectives, un tel protocole lui permettra de surveiller l’application du Pacte, complétant ainsi l’examen des rapports périodiques et renforçant l’interprétation du Pacte par le Comité.

2.Le Comité sait que les États parties souhaitent obtenir des éclaircissements sur la manière dont il appliquerait l’obligation d’«agir … au maximum [des] ressources disponibles» en vue d’assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le Pacte qui leur incombe en vertu du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte. Particulièrement importante à cet égard est la question de savoir comment procéderait le Comité pour examiner les communications relatives à cette obligation, tout en respectant pleinement le pouvoir conféré aux organes compétents de l’État d’adopter ce qu’ils considèrent être les politiques les plus appropriées et d’allouer des ressources en conséquence. Conformément à sa pratique dans le cadre du processus de présentation de rapports périodiques, le Comité cherche par la présente déclaration à clarifier la façon dont il doit examiner les obligations incombant aux États parties au titre du paragraphe 1 de l’article 2 dans le cadre de la procédure d’examen des communications individuelles.

3.Ayant déjà examiné les dispositions du paragraphe 1 de l’article 2 dans son Observation générale no3, le Comité réaffirme ici qu’afin d’assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le Pacte, les États parties doivent prendre des mesures délibérées, concrètes et axées sur des objectifs précis dans un délai raisonnable après l’entrée en vigueur du Pacte en ce qui les concerne. Ces mesures doivent inclure «tous les moyens appropriés, y compris en particulier l’adoption de mesures législatives». Le Comité interprète l’expression «moyens appropriés» comme englobant, en plus des mesures législatives, le fait d’assurer des recours judiciaires ou autres, selon qu’il convient, ainsi que «les mesures administratives, financières, éducatives et sociales» (Observation générale no 3, par. 7; Observation générale no 9, par. 3 à 5 et 7).

4.Bien qu’elle conditionne dans une large mesure l’obligation d’agir, la «disponibilité de ressources» ne modifie en rien le caractère immédiat de l’obligation, et un manque de ressources ne peut à lui seul justifier l’inaction. Même s’il peut être démontré que les ressources disponibles sont insuffisantes, l’obligation demeure, pour un État partie, de s’efforcer d’assurer la jouissance la plus large possible des droits économiques, sociaux et culturels, dans les circonstances qui lui sont propres. Le Comité a déjà souligné par le passé que même en temps de grave pénurie de ressources les États parties étaient tenus de protéger les membres ou groupes les plus défavorisés et marginalisés de la société en mettant en œuvre des programmes ciblés relativement peu coûteux.

5.L’engagement d’un État partie d’agir «au maximum» de ses ressources disponibles en vue d’assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le Pacte fait qu’il peut prétendre à recevoir des ressources de la communauté internationale. À cet égard, l’expression «au maximum de ses ressources disponibles» renvoie à la fois aux ressources existant dans le pays et à celles pouvant être obtenues auprès de la communauté internationale par le biais de la coopération et de l’assistance.

6.En ce qui concerne les obligations de fond qui incombent aux États parties au regard de chaque droit reconnu dans le Pacte, il est noté dans l’Observation générale no 3 que, pour qu’un État partie puisse invoquer le manque de ressources lorsqu’il ne s’acquitte même pas de ses obligations fondamentales minimum, il doit démontrer qu’aucun effort n’a été épargné pour utiliser toutes les ressources qui sont à sa disposition en vue de remplir, à titre prioritaire, ces obligations minimum.

7.Outre qu’ils sont tenus d’agir (art. 2, par. 1), les États parties ont une obligation immédiate de «garantir que les droits [énoncés dans le Pacte] seront exercés sans discrimination aucune» (art. 2, par. 2). Cette obligation nécessite souvent davantage l’adoption et l’application de lois appropriées que l’allocation de ressources importantes. De même, l’obligation de respecter exige de l’État qu’il s’abstienne d’entraver directement ou indirectement l’exercice des droits reconnus dans le Pacte et ne nécessite pas en tant que telle un apport substantiel de ressources de la part de l’État. Par exemple, le droit des femmes à l’égalité de rémunération pour un travail d’égale valeur doit être mis en œuvre immédiatement. L’obligation de protéger et, de manière plus générale, celle de mettre en œuvre, requièrent souvent, quant à elles, des mesures budgétaires positives en vue d’empêcher des tiers de faire obstacle à l’exercice des droits reconnus dans le Pacte (obligation de protéger) ou de faciliter, de prévoir et de promouvoir l’exercice de ces droits (obligation de mettre en œuvre).

8.En examinant une communication portant sur la non‑adoption présumée par un État partie de mesures au maximum de ses ressources disponibles, le Comité se penchera sur les mesures effectivement prises par l’État partie dans le domaine législatif ou autre. Pour déterminer si ces mesures sont «suffisantes» ou «raisonnables», le Comité se demandera notamment:

a)Dans quelle mesure les dispositions prises étaient délibérées, concrètes et axées sur la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels;

b)Si l’État partie a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière non discriminatoire et non arbitraire;

c)Si la décision de l’État partie d’allouer (de ne pas allouer) les ressources disponibles est conforme aux normes internationales relatives aux droits de l’homme;

d)Lorsque plusieurs possibilités existent, si l’État partie a choisi celle qui est la moins restrictive pour les droits reconnus dans le Pacte;

e)Dans quel délai les mesures ont été prises;

f)Si les mesures qui ont été prises ont tenu compte de la situation précaire des personnes ou groupes défavorisés et marginalisés, si ces mesures étaient non discriminatoires et si elles ont accordé la priorité à des situations graves ou comportant des risques.

9.Le Comité note qu’en cas de non‑adoption de mesures ou d’adoption de mesures qui constituent une régression, la charge de la preuve incombe à l’État partie, qui doit démontrer que sa façon d’agir est mûrement réfléchie et peut être justifiée au regard de l’ensemble des droits consacrés par le Pacte et par le fait que les ressources disponibles ont été pleinement utilisées.

10.Au cas où un État invoquerait une «pénurie de ressources» pour expliquer toutes mesures régressives prises, le Comité examinerait l’information fournie dans le contexte du pays concerné, à la lumière de critères objectifs tels que:

a)Le niveau de développement du pays;

b)La gravité du manquement présumé, en particulier la question de savoir si la situation a trait à l’exercice du minimum indispensable des droits reconnus dans le Pacte;

c)La situation économique actuelle du pays, en particulier la question de savoir s’il est en proie à une récession économique;

d)L’existence d’autres facteurs majeurs expliquant le manque de ressources de l’État partie, par exemple une catastrophe naturelle récente;

e)La question de savoir si l’État partie s’est efforcé de trouver des solutions de substitution peu onéreuses;

f)La question de savoir si l’État partie a demandé la coopération et l’assistance de la communauté internationale ou refusé, sans raison suffisante, les ressources offertes par celle‑ci afin de mettre en œuvre les dispositions du Pacte.

11.Lorsqu’il doit déterminer si un État partie a pris des mesures raisonnables, au maximum de ses ressources disponibles, en vue de mettre en œuvre progressivement les dispositions du Pacte, le Comité accorde une grande importance à l’existence d’un processus transparent et participatif de prise de décisions au niveau national. Il garde constamment à l’esprit son propre rôle en tant qu’organe conventionnel et le rôle de l’État partie dans la formulation, l’adoption, le financement et l’application des lois et des politiques relatives aux droits économiques, sociaux et culturels. À cet effet, et conformément à la pratique d’autres organes conventionnels judiciaires et quasi judiciaires, il respecte systématiquement la marge d’appréciation qu’ont les États pour ce qui est d’adopter les mesures les plus adaptées à leurs propres circonstances.

12.Lorsque le Comité considère qu’un État partie n’a pas pris des mesures raisonnables ou suffisantes, il lui adresse des recommandations. Conformément à la pratique d’autres organes conventionnels, il respectera la marge d’appréciation dont jouit l’État partie pour ce qui est de déterminer l’utilisation optimale de ses ressources et d’établir sa politique nationale et de classer les différents besoins de ressources par ordre de priorité.

13.Dans le contexte d’un protocole facultatif, le Comité pourrait faire des recommandations qui s’articuleraient notamment autour de quatre principaux axes:

a)Recommandation de mesures de réparation telles que l’indemnisation de la victime, selon qu’il convient;

b)Exhortation de l’État partie à remédier aux circonstances à l’origine de la violation. Ce faisant, le Comité pourrait suggérer des objectifs et des paramètres pour aider l’État partie à formuler les mesures appropriées. Ces paramètres pourraient inclure: la proposition de priorités globales pour faire en sorte que l’allocation de ressources soit conforme aux obligations qui incombent à l’État partie en vertu du Pacte, la prise en compte de la situation des personnes et groupes défavorisés et marginalisés, la protection contre des menaces graves à l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels et le respect du principe de non‑discrimination dans l’adoption et l’application des mesures;

c)Proposition, au cas par cas, d’une série de mesures pour aider l’État partie à appliquer les recommandations, en mettant l’accent en particulier sur l’adoption de mesures dont la réalisation ne sera pas onéreuse. L’État partie garderait néanmoins la possibilité d’adopter ses propres mesures;

d)Recommandation d’un mécanisme de suivi pour faire en sorte que l’État partie reste obligé de rendre compte, par exemple en demandant que, dans son prochain rapport périodique, l’État partie explique les mesures prises pour réparer une violation.

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