NATIONS UNIES

E

Conseil Économique

et Social

Distr.

GÉNÉRALE

E/C.12/2001/15

14 décembre 2001

FRANÇAIS

Original: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS

Vingt‑septième sessionGenève, 12‑30 novembre 2001Point 3 de l’ordre du jour

QUESTIONS DE FOND CONCERNANT LA MISE EN ŒUVRE DU PACTEINTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS ÉCONOMIQUES,SOCIAUX ET CULTURELS

Suivi de la journée de débat général sur l’article 15.1 c), lundi 26 novembre 2001

Droits de l’homme et propriété intellectuelle

Déclaration du Comité des droits économiques, sociaux et culturels

Introduction

1.Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels comprend toute l’importance de la création, de la détention et du contrôle de la propriété intellectuelle dans une économie fondée sur le savoir, ainsi que leurs incidences possibles sous l’angle de la promotion ou au contraire de la limitation, des droits de l’homme, notamment les droits consacrés dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. L’attribution des droits de propriété intellectuelle a sur le plan économique, social et culturel des répercussions considérables qui peuvent avoir une incidence sur la jouissance des droits de l’homme. L’importance actuelle de la propriété intellectuelle par rapport aux droits de l’homme peut être imputée à deux facteurs nouveaux. Le premier est la multiplication des domaines auxquels s’appliquent les régimes de propriété intellectuelle, qui incluent désormais, par exemple, la brevetabilité des organismes vivants, la protection du droit d’auteur sur les œuvres imprimées dans le domaine numérique et la revendication par des entités privées de droits de propriété intellectuelle sur le patrimoine culturel et les connaissances traditionnelles. Le second est l’émergence de règles universelles pour la protection de la propriété intellectuelle dans le cadre du système commercial multilatéral.

2.Le Comité a décidé de préparer et d’adopter dès que possible une observation générale sur la propriété intellectuelle et les droits de l’homme. Il a cependant adopté la présente déclaration en tant que contribution préliminaire au débat sur les questions de propriété intellectuelle, débat qui évolue rapidement et qui reste prioritaire dans l’ordre du jour de la communauté internationale. L’objet de cette déclaration est simplement de préciser un certain nombre de principes fondamentaux en matière de droits de l’homme qui découlent du Pacte et qui doivent être pris en considération dans l’élaboration, l’interprétation et la mise en œuvre des régimes de propriété intellectuelle contemporains. Ces principes fondamentaux seront affinés, développés et appliqués dans la future observation générale du Comité sur la propriété intellectuelle et les droits de l’homme.

3.Les principes énoncés dans la présente déclaration s’appliquent aussi bien à la législation nationale qu’aux règles et aux politiques internationales concernant la protection de la propriété intellectuelle. Le Comité appelle notamment l’attention sur les divers instruments relatifs à la propriété intellectuelle administrés par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) et sur l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Accord sur les ADPIC) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui fixent des normes minimales pour la protection et le respect des droits de propriété intellectuelle. On peut également mentionner les articles pertinents d’autres instruments, tels que la Convention de 1992 sur la diversité biologique. À cet égard, le Comité rappelle ses déclarations antérieures dans lesquelles il soulignait que les secteurs du commerce, des finances et de l’investissement n’échappaient en aucune façon aux principes en matière de droits de l’homme et que «les organisations internationales ayant des responsabilités précises dans ces secteurs devraient jouer un rôle bénéfique et constructif en ce qui concerne les droits de l’homme».

4.L’article 15.1 c) du Pacte, lu conjointement avec l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, impose la protection des intérêts moraux et matériels des auteurs sur leurs œuvres. Le Comité considère que ces droits de propriété intellectuelle doivent aller de pair avec le droit de participer à la vie culturelle et de bénéficier du progrès scientifique et de ses applications. En outre, en son article 15.2 le Pacte fait obligation aux États parties de prendre les mesures nécessaires en vue d’assurer le maintien, le développement et la diffusion de la science et de la culture. Pour être conformes à une approche fondée sur les droits de l’homme, les régimes de propriété intellectuelle doivent favoriser la réalisation de ces objectifs. Le Comité préconise, en conséquence, un développement des systèmes de propriété intellectuelle et une utilisation des droits de propriété intellectuelle d’une manière équilibrée, en vue d’assurer la protection des intérêts moraux et matériels des auteurs et de promouvoir, dans le même temps, le respect des droits fondamentaux en question et des autres droits de l’homme. En dernière analyse, la propriété intellectuelle est un bien social et elle a une fonction sociale. Sa protection doit tendre au bien‑être des individus, objectif qui trouve son expression juridique dans les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme.

Universalité, indivisibilité et interdépendance des droits de l’homme

5.Les droits de l’homme reflètent la dignité et la valeur inhérentes à chaque individu, sujet central et principal bénéficiaire de ces droits. Les garanties morales et juridiques des libertés, protections et droits fondamentaux procèdent du respect de soi et de la dignité de la personne et y contribuent. En conséquence, les systèmes de propriété intellectuelle doivent tenir compte de tout l’éventail des droits civils, culturels, économiques, politiques et sociaux, ainsi que du droit au développement. Pour être conformes à l’obligation de respecter les droits de l’homme inscrits dans les instruments internationaux, les régimes de propriété intellectuelle doivent donc être de nature à faciliter et à promouvoir les droits de l’homme dans leur intégralité, y compris tout l’éventail des droits consacrés dans le Pacte.

6. Le fait que l’individu est le sujet central et le principal bénéficiaire des droits de l’homme est ce qui distingue ces droits, notamment le droit des auteurs de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels sur leurs œuvres, des droits juridiques reconnus dans les régimes de propriété intellectuelle. Les droits de l’homme sont des prérogatives fondamentales, inaliénables et universelles qui appartiennent aux individus et, dans certaines situations, aux collectivités. Les droits de l’homme sont des droits fondamentaux dans la mesure où ils sont inhérents à la personne en tant que telle, alors que les droits découlant des régimes de propriété intellectuelle sont des droits instrumentaux, dont les États peuvent se servir pour promouvoir l’esprit d’innovation et de créativité, dans l’intérêt de la société. Contrairement aux droits de l’homme, les droits de propriété intellectuelle sont généralement provisoires, et ils peuvent être révoqués, concédés sous licence ou attribués à quelqu’un d’autre. Si les droits de propriété intellectuelle peuvent être cédés, avoir une durée et une portée limitées ou être négociés, modifiés, voire perdus, les droits de l’homme sont intemporels et sont l’expression des prérogatives fondamentales appartenant à la personne. Ils ont pour objet d’assurer un niveau satisfaisant de protection et de bien-être à l’être humain, alors que les régimes de propriété intellectuelle – bien que conçus à l’origine pour accorder une protection à des auteurs et à des créateurs en tant qu’individus – tendent de plus en plus à protéger les intérêts et les investissements des milieux d’affaires et des entreprises. En outre, l’étendue de la protection des intérêts moraux et matériels des auteurs prévue à l’article 15 du Pacte ne coïncide pas nécessairement avec celle des droits de propriété intellectuelle au sens de la législation nationale ou des accords internationaux.

Égalité et non ‑discrimination

7.Les droits de l’homme se fondent sur le principe de l’égalité de toutes les personnes, ainsi que de leur égalité de statut au regard de la loi. C’est pourquoi les instruments relatifs aux droits de l’homme accordent une grande importance à la protection contre la discrimination. Les articles 2.2 et 3 du Pacte font obligation aux États parties de s’engager à garantir que les droits énoncés dans le Pacte puissent être exercés sans discrimination aucune fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation, et à assurer le droit égal qu’ont l’homme et la femme au bénéfice de tous les droits énumérés dans le Pacte.

8.Toute approche fondée sur les droits de l’homme met particulièrement l’accent sur les besoins des personnes et des groupes les plus défavorisés et les plus vulnérables. Puisque les droits de l’homme sont universels, la façon dont ils sont appliqués peut être évaluée, notamment en examinant dans quelle mesure ils bénéficient à ceux qui étaient jusque‑là les plus défavorisés et les plus marginalisés et leur assurent le niveau de protection voulu. Lorsqu’ils se dotent d’un système de protection de la propriété intellectuelle, les États et autres parties prenantes devraient donc veiller à assurer la protection adéquate, aux niveaux national et international, des droits fondamentaux des individus et des groupes défavorisés et marginalisés, tels que les peuples autochtones.

Participation

9.Le droit international relatif aux droits de l’homme comprend le droit de chacun d’être consulté et de participer à l’adoption des décisions importantes qui le concernent. Le droit de participer est évoqué dans de nombreux instruments internationaux, y compris le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que dans la Déclaration sur le droit au développement. Le Comité appuie par conséquent l’idée d’une participation active et informée de tous ceux que concernent les régimes de protection de la propriété intellectuelle.

Obligation de rendre des comptes

10.Le Comité réaffirme la position qu’il avait prise dans sa déclaration sur la pauvreté, à savoir que «droits et obligations sont indissociables de l’obligation de rendre des comptes: s’ils ne sont pas étayés par un système qui responsabilise et oblige à rendre des comptes, ces droits et obligations risquent en effet de rester à jamais vides de sens». Si les États ont la responsabilité première de respecter, protéger et réaliser les droits de l’homme, d’autres acteurs, y compris les acteurs non étatiques et les organisations internationales, ont des obligations qui doivent être surveillées de près. Une protection adéquate des droits de l’homme suppose donc l’existence de mécanismes accessibles, transparents et efficaces visant à garantir que ces droits sont respectés et, en cas de violation, que les victimes obtiennent réparation. Toute approche de la protection de la propriété intellectuelle fondée sur les droits de l’homme implique que tous les acteurs aient à rendre des comptes par rapport à leurs obligations en vertu du droit international relatif aux droits de l’homme, notamment en ce qui concerne l’adoption, l’interprétation et la mise en œuvre des systèmes de propriété intellectuelle.

Obligations juridiques générales

11.Dans le contexte de la propriété intellectuelle, il convient de noter que si le Pacte prévoit une réalisation progressive des droits et reconnaît les obstacles que peuvent constituer des ressources limitées, il impose aussi aux États parties un certain nombre d’obligations avec effet immédiat, y compris des obligations fondamentales. Il ne faut pas considérer que l’idée de réalisation progressive sur une certaine durée vide de tout sens les obligations incombant aux États parties. L’idée de réalisation progressive signifie plutôt que les États parties ont l’obligation expresse et durable d’arriver aussi rapidement et efficacement que possible à l’entière réalisation de tous les droits consacrés dans le Pacte. Le Comité tient donc à souligner que les régimes nationaux et internationaux en matière de propriété intellectuelle doivent être compatibles avec l’obligation qui incombe aux États parties d’assurer la réalisation progressive du plein exercice de tous les droits reconnus dans le Pacte. En outre, toutes les Parties doivent veiller à ce que leur régime de propriété intellectuelle contribue, concrètement et véritablement, à la pleine réalisation de tous les droits reconnus dans le Pacte.

Obligations fondamentales

12.À cet égard, il convient de rappeler aussi que dans son observation générale no 3, adoptée en 1990, le Comité a confirmé que chaque État partie a «l’obligation fondamentale […] d’assurer au moins, la satisfaction de l’essentiel de chacun des droits» énoncés dans le Pacte. Comme le fait valoir le Comité, sans cette obligation fondamentale le Pacte «serait largement dépourvu de sa raison d’être». Plus récemment, le Comité a entrepris de définir en quoi consiste «l’essentiel des droits» à assurer en matière de santé, d’alimentation et d’éducation. Le Comité tient à souligner que tout régime de propriété intellectuelle qui empêche un État partie de s’acquitter de ses obligations fondamentales en matière de droits à la santé, à l’alimentation et à l’éducation, en particulier, ou de tout autre droit consacré dans le Pacte est incompatible avec les obligations juridiquement contraignantes dudit État partie.

Coopération et assistance internationales

13.Comme le Comité l’a confirmé dans son observation générale no 14 sur le droit à la santé, il incombe tout particulièrement à tous les intervenants en mesure d’apporter leur concours de fournir «l’assistance et la coopération internationales, notamment sur les plans économique et technique», nécessaires pour permettre aux pays en développement d’honorer leurs obligations fondamentales au regard du Pacte. Il incombe donc aux pays développés et aux autres intervenants en mesure d’apporter leur concours d’aider à mettre en place des régimes internationaux de propriété intellectuelle qui permettent aux pays en développement d’honorer l’essentiel des obligations fondamentales qui leur incombent par rapport aux individus et aux groupes qui relèvent de leur compétence. À cet égard, et pour éviter les redites, le Comité renvoie aux paragraphes 15 à 18 de sa déclaration sur la pauvreté.

14.En son article premier, la Charte des Nations Unies engage toutes les nations à œuvrer à la mise en place d’un ordre international équitable et juste susceptible de favoriser la paix, la solidarité, le progrès social et l’amélioration des niveaux de vie pour toutes les nations, petites ou grandes. L’article 28 de la Déclaration universelle des droits de l’homme dispose que toute personne a droit à ce que règne, sur le plan social et sur le plan international, un ordre tel que les droits et libertés énoncés dans la Déclaration puissent y trouver plein effet. Les articles 2.1 et 23 du Pacte font aussi obligation aux États parties de s’engager à agir par la coopération internationale en vue d’assurer progressivement l’exercice des droits reconnus dans le Pacte. L’article 15.4 du Pacte reconnaît en outre les bienfaits qui doivent résulter de l’encouragement et du développement de la coopération et des contacts internationaux dans le domaine de la science et de la culture.

15.Le Comité souligne que, le niveau de développement variant d’un pays à l’autre, les besoins technologiques sont eux aussi différents d’un pays à l’autre. Si certains pays peuvent se consacrer à la protection de la technologie, d’autres peuvent privilégier la nécessité de faciliter l’accèsàla technologie. Il est primordial que les régimes de protection de la propriété intellectuelle facilitent et promeuvent l’aide au développement, le transfert de technologies et la collaboration scientifique et culturelle. Les règles internationales applicables à la protection de la propriété intellectuelle ne doivent nécessairement être uniformes, puisque cela pourrait aboutir à des formes de protection de la propriété intellectuelle incompatibles avec les objectifs du développement. Le Comité préconise l’adoption et la mise en œuvre de mécanismes internationaux efficaces prévoyant un traitement spécial et différencié pour les pays en développement dans le domaine de la protection de la propriété intellectuelle.

Autodétermination

16.Aux termes de l’article 1.2 du Pacte, «[p]our atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, sans préjudice des obligations qui découlent de la coopération économique internationale». La souveraineté nationale sur les richesses et les ressources est une condition préalable importante à la promotion et à la protection effectives des droits de l’homme. Lorsqu’ils négocient des traités internationaux relatifs à la protection de la propriété intellectuelle, ou y adhèrent, les États devraient étudier avec attention en quoi cela aura une incidence sur leur souveraineté sur leurs richesses et leurs ressources et, en dernière analyse, sur leur capacité de protéger les droits consacrés dans le Pacte.

Équilibre

17.L’article 15 du Pacte met l’accent sur la nécessité d’équilibrer la protection des intérêts du public et celle des intérêts privés s’agissant du savoir. D’une part, l’article 15.1 a) reconnaît le droit de chacun de participer à la vie culturelle et de bénéficier du progrès scientifique et de ses applications. De l’autre, l’article 15.1 c) consacre le droit de chacun de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur. Lorsqu’ils adoptent et examinent des systèmes de propriété intellectuelle, les États devraient garder à l’esprit la nécessité de préserver un équilibre entre les diverses dispositions du Pacte. Dans le cadre des efforts déployés afin d’encourager la création et l’innovation, les intérêts privés ne devraient pas en effet être indûment avantagés et l’intérêt du public à avoir largement accès aux nouvelles connaissances devrait être dûment pris en considération. Le Comité fait observer que le souci de cet équilibre est manifeste, par exemple, dans la récente Déclaration sur l’Accord sur les ADPIC et la santé publique, où il est reconnu que la protection de la propriété intellectuelle est importante pour le développement de nouveaux médicaments, mais où les préoccupations concernant ses effets sur les prix sont reconnues aussi.

Conclusion

18.Le Comité estime que la prise en compte des normes internationales relatives aux droits de l’homme aux stades de la conception et de l’interprétation du droit de la propriété intellectuelle revêt une importance fondamentale. À cette fin, il est essentiel que les États parties veillent à la dimension sociale de la propriété intellectuelle, conformément aux engagements internationaux qu’ils ont eux‑mêmes pris en matière de droits de l’homme. Un engagement formel en ce sens et la mise en place d’un mécanisme visant à examiner les systèmes de propriété intellectuelle sous l’angle des droits de l’homme constitueraient des avancées importantes en vue de la réalisation de cet objectif.

19.Il est tout aussi nécessaire que les organisations intergouvernementales prennent en considération les obligations et principes internationaux en matière de droits de l’homme dans le cadre de leurs politiques, pratiques et activités. Conscient de la très grande importance et de la difficulté de prendre en compte des droits de l’homme dans la mise au point de régimes de propriété intellectuelle, le Comité confirme qu’il est prêt à examiner les questions abordées dans la présente déclaration avec les acteurs compétents et à mettre son aide à la disposition des États parties et des organisations intergouvernementales à cette fin.

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