NATIONS UNIES

E

Conseil économique et social

Distr.GÉNÉRALE

E/C.12/2003/816 septembre 2003

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES,SOCIAUX ET CULTURELSTrente et unième sessionGenève, 10-28 novembre 2003Point 3 de l’ordre du jour provisoire

QUESTIONS DE FOND CONCERNANT LA MISE EN ŒUVRE DU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS

Journée de débat général sur l’article 6 du Pacte (le droit au travail)

Lundi 24 novembre 2003

VERS UNE OBSERVATION GÉNÉRALE CONCERNANT LE DROIT AU TRAVAIL: ÉLÉMENTS ESSENTIELS *

Document de travail soumis par M. Richard L. Siegel (États ‑Unis d’Amérique) **

1.Le présent document fait suite à la demande que les membres du Comité des droits économiques, sociaux et culturels (ci‑après dénommé le Comité) ont adressé à l’auteur afin qu’il formule ses observations sur les éléments essentiels du droit au travail. Il met l’accent sur les points qui n’ont pas été approfondis dans le chapitre intitulé «The right to Work: Core Minimum Obligations» qui constitue la contribution de l’auteur à l’ouvrage publié sous la direction d’Audrey Chapman et de Sage Russell Core Obligations: Building a Framework for Economic, Social and Cultural Rights. Ce chapitre traitait des éléments essentiels du droit au travail, des liens entre les droits fondamentaux des travailleurs et le droit au travail, des incidences de la mondialisation sur ce droit, des obligations fondamentales minimales incombant aux États de respecter, protéger et mettre en œuvre les droits liés au travail ainsi que des violations et voies de recours concernant les divers aspects de ces droits mises en avant par les organes internationaux de surveillance. Il traitait également des obligations, violations et voies de recours en ce qui concerne le plein emploi, l’égalité de traitement et la non‑discrimination, et le travail qui n’est pas librement choisi (c’est‑à‑dire l’esclavage, le travail forcé et l’exploitation des enfants). L’auteur y examinait les contributions apportées à la définition des obligations, violations et voies de recours par les divers pactes, conventions, recommandations et organes de surveillance à l’échelon international, en particulier par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (ci‑après dénommé le Pacte) et le Comité.

2.L’un des objectifs du présent document est de mettre en lumière certaines des recommandations et conclusions les plus pertinentes issues de mes précédents travaux, même s’il porte essentiellement sur les questions et les thèmes suggérés par les membres du Comité. Les réponses que j’offre aux questions de suivi posées par le Comité m’amèneront à rappeler certains points abordés dans l’ouvrage Chapman‑Russell. Le document s’articule autour des thèmes suivants:

1.La notion de travail: définition.

2.La notion de «travail décent»: définition.

3.Les obstacles structurels à l’exercice du droit au travail.

4.Quels sont les éléments essentiels du droit au travail et les principales violations de ces éléments?

5.Quels sont les liens entre l’article 6 et l’article 7 du Pacte?

6.Quelles sont les obligations des États parties membres d’organisations internationales, en particulier d’institutions financières internationales, concernant le droit au travail?

D’autres questions intéressant le Comité seront traitées dans le cadre de l’étude des six thèmes susmentionnés.

La notion de travail: définition

3.Il convient tout d’abord de s’interroger sur le sens ou la définition du mot «travail». Même si les débats prolongés de la Commission des droits de l’homme sur le droit au travail n’ont pas été centrés sur la définition du travail lui-même, le sens de ce mot est contesté. Sa définition varie selon les disciplines, notamment la sociologie, le droit, l’administration sociale, le travail social, l’anthropologie et les relations travailleurs-employeurs. La notion de travail a évolué de manière novatrice dans le cadre des études culturelles contemporaines et selon les époques, les subcultures et les zones géographiques. Comme le note Keith Thomas dans son ouvrage de référence The Oxford Book of Work, «les différents sens attribués à ce mot reflètent les différentes phases de l’histoire et les différents points de vue politiques». Bien que Thomas ne parvienne pas à donner une définition «unique et universellement acceptable» du mot travail, il en offre une définition qui fait autorité, à savoir «les activités physiques ou mentales soutenues qui supposent une certaine forme de nécessité ou de contrainte». Bien que cette nécessité ou contrainte puisse être choisie et que le travail puisse être à la fois volontaire et agréable, le mot est en général associé en anglais aux notions de labeur, de travail pénible et d’emploi.

4.L’article 6 du Pacte témoigne bien du caractère politique de la définition du travail, en ce sens qu’il met l’accent sur le fait que le travail doit être librement choisi et effectué «dans des conditions qui sauvegardent aux individus la jouissance des libertés politiques et économiques fondamentales» (art. 6, par. 2). A priori, un travail qui ne répond pas à ces conditions, notamment le travail forcé, obligatoire, ou effectué dans des conditions d’exploitation, dangereuses ou inhumaines, reste quand même du travail mais ne satisfait pas aux critères nationaux ou internationaux qui définissent le travail décent ou légal. Cette distinction étant faite, il convient maintenant de définir la notion de «travail décent».

La notion de «travail décent»: définition

5.Si le Comité a demandé que la notion de «travail décent» soit examinée, c’est probablement parce qu’il considère que le droit au travail n’a pas pour objet de garantir ou de promouvoir toutes les formes de travail, et a fortiori l’exploitation, le travail forcé ou le travail trop dangereux. Parler de «travail décent», c’est associer le droit au travail à une activité rémunérée exempte de ces caractéristiques négatives et synonymes au contraire de protection sociale, de possibilités d’épanouissement personnel (grâce à des loisirs sinon au travail lui‑même), de développement économique global, de lutte contre la pauvreté et de politiques visant spécifiquement à améliorer le marché du travail aux niveaux local, national et international. Dans leur conception de l’économie et de la politique du travail, les tenants de la sociale‑démocratie, de l’économie de marché sociale et du libéralisme néoclassique peuvent en général adhérer à l’objectif d’un travail décent pour tous même s’ils sont en désaccord sur les rôles respectifs de l’État et du marché dans la réalisation de cet objectif.

6.Un travail légal n’est pas obligatoirement décent. Le travail illégal peut se montrer au grand jour ou être caché, être formel ou informel; s’il relève de «l’économie clandestine», c’est en raison de sa nature objectivement illégale ou, le plus souvent, par volonté de se soustraire à la fiscalité et à la réglementation. En outre, un travail considéré comme formel ou légal dans un État donné peut fort bien ne pas être décent et enfreindre les normes internationales du travail. Celles‑ci n’interdisent d’ailleurs pas complètement le travail non décent. Après tout, ces normes sont elles‑mêmes le produit de compromis politiques et de l’application de critères subjectifs. En anglais, on emploie communément le mot «decent» pour décrire ce qui satisfait à des normes minimales acceptables, qu’il s’agisse de conditions ou de valeur d’échange. La terminologie utilisée dans les principaux instruments internationaux et régionaux consacrés au travail fait référence de manière implicite ou explicite à des normes minimales de décence applicables aux conditions de travail et à la rémunération, mais les efforts visant à rendre illégal le travail non décent sont encore très loin d’aboutir.

7.Deux possibilités s’offrent au Comité pour définir le «travail décent». La première consiste à mettre l’accent sur «l’exploitation» en tant que principale caractéristique du travail non décent. La notion d’exploitation, implicite dans nombre d’instruments internationaux qui définissent des normes du travail et d’instruments relatifs aux droits de l’homme qui traitent du travail, revêt un sens bien précis dans la Convention no 182 de l’OIT (et la recommandation dont elle est assortie) concernant l’interdiction des pires formes de travail des enfants et l’action immédiate en vue de leur élimination, 1999. De même, la Convention relative aux droits de l’enfant, adoptée en 1989, reconnaît «le droit de l’enfant d’être protégé contre l’exploitation économique et de n’être astreint à aucun travail comportant des risques ou susceptible de compromettre son éducation ou de nuire à sa santé ou à son développement physique, mental, spirituel, moral ou social». L’exploitation est aussi traitée expressément dans les instruments internationaux concernant les femmes, les migrants et d’autres groupes qui doivent bénéficier d’une protection spéciale. Cela étant, l’exploitation est un critère raisonnable permettant de définir ce qu’est «un travail qui n’est pas décent» pour tout travailleur. Malheureusement, il n’existe aucune définition allant de soi ou communément reconnue du mot «exploitation». La Convention no 182 de l’OIT met l’accent sur les questions de moralité, de drogue, d’exploitation sexuelle et de travail comportant des risques. En ce qui concerne les adultes, le Comité devrait condamner en particulier le travail forcé, la discrimination à tous les stades de la formation et de l’emploi, le travail qui compromet la santé et la sécurité ou qui n’est pas correctement rémunéré − tous éléments essentiels du droit au travail.

7.Mais le Comité devrait également étudier les diverses conventions relatives au travail et les traités relatifs aux droits de l’homme qui ne mettent pas explicitement l’accent sur le terme «exploitation». Si les expressions «travail décent» et «exploitation au travail» sont très souvent utilisées dans les conventions internationales relatives au travail et dans les lois nationales, elles le sont moins dans les instruments relatifs aux droits de l’homme. La Déclaration universelle des droits de l’homme évoque des «conditions équitables et satisfaisantes de travail» et une «rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu’à sa famille une existence conforme à la dignité humaine et complétée s’il y a lieu par tous autres moyens de protection sociale» (art. 23, par. 1 et 3). L’article 24 de la Déclaration énonce que «toute personne a droit au repos et aux loisirs et notamment à une limitation raisonnable de la durée du travail et à des congés payés périodiques» et l’article 25 que «toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien‑être et ceux de sa famille».

8.S’agissant de la «décence» du travail, le Pacte consacre les principes suivants:

Article 6:«Un travail librement choisi ou accepté»;

Article 7:«Des conditions de travail justes et favorables, qui assurent notamment:

La rémunération qui procure, au minimum, à tous les travailleurs:

Un salaire équitable et une rémunération égale pour un travail de valeur égale…

Une existence décente pour eux et leur famille…».

L’article 7 associe des conditions de travail justes et favorables:

À la sécurité et l’hygiène du travail;

À la même possibilité pour tous d’être promus;

Au repos, aux loisirs, à la limitation raisonnable de la durée du travail et aux congés payés périodiques, ainsi qu’à la rémunération des jours fériés…

L’article 8 consacre les principes de liberté syndicale et de négociation collective et l’article 9 «le droit de toute personne à la sécurité sociale, y compris les assurances sociales».

9.La Déclaration universelle des droits de l’homme et le Pacte se caractérisent par 1) l’absence de dispositions spécifiques concernant les conditions de travail minimales acceptables, et 2) la volonté des auteurs des deux documents de trouver un compromis entre la conception libérale du travail librement choisi et l’importance accordée par l’Europe et l’Église catholique romaine à la protection sociale dans des domaines comme la sécurité, la santé et la sécurité sociale ainsi qu’à la planification du plein emploi.

10.Les normes applicables au travail décent demeurent donc très subjectives, fluctuantes et étroitement liées au niveau de développement économique de l’État ou de la région concernés. Toutefois, ni l’histoire du Pacte ni les conventions et recommandations de l’OIT ne laissent penser que les États membres de l’OIT et les États parties au Pacte envisageaient l’adoption de normes relatives au travail décent qui reflèteraient le plus petit dénominateur commun ou les résultats d’un nivellement par le bas. Toutes les interprétations des droits socioéconomiques figurant dans les observations générales adoptées jusqu’à présent par le Comité ou d’autres organes conventionnels font apparaître des normes plus élevées.

11.Pour définir une norme élevée de travail décent, le Comité devrait s’inspirer de sources aussi diverses que les conventions pertinentes de l’OIT et les interprétations des organes de contrôle de cette organisation, les résolutions et recommandations de l’OCDE sur la politique de la main‑d’œuvre, les interprétations récentes du Conseil de l’Europe, de l’Union européenne et du dispositif interaméricain des droits de l’homme ainsi que le courant de pensée représenté après 1966 par les pactes, conventions et autres instruments internationaux élaborés sous l’égide de l’ONU concernant toutes les questions pertinentes pour le sujet et les droits des groupes protégés, comme les enfants, les femmes, les migrants, les handicapés et les personnes âgées. Tous ces documents et les opinions et jugements des organes conventionnels traitent à la fois du travail décent et des obligations fondamentales minimales qu’ont les États parties et autres États de respecter, protéger et mettre en œuvre le droit au travail.

12.Si le Comité entend adopter une approche globale du travail décent, qui corresponde pleinement aux conceptions contemporaines des normes fondamentales du travail, il devrait envisager de modifier et d’adapter les dispositions relatives au travail décent des articles 1 à 10 de la Charte sociale européenne du Conseil de l’Europe telle que révisée en 1996 afin de les rendre applicables à l’échelon mondial. En éliminant certaines dispositions, notamment le paragraphe 3 de l’article 2, qui préconise d’«assurer l’octroi d’un congé payé annuel de quatre semaines au minimum», et le paragraphe 1 de l’article 8, qui prescrit un congé de maternité d’une durée de 14 semaines, le Comité veillera à ne pas imposer des normes inconsidérées aux pays en développement. La majeure partie des dispositions des articles 1 à 10 définissent des normes que peuvent appliquer immédiatement ou progressivement la quasi-totalité des États parties au Pacte. La plupart d’entre elles sont d’ailleurs reprises et approfondies dans plusieurs conventions de l’OIT. Toutefois, la Charte sociale européenne présente ces normes de manière raisonnablement concise et complète, et constitue donc une excellente source pour définir les critères applicables au travail décent.

Les obstacles structurels à l’exercice du droit au travail

13.Dans son Observation générale no 1 (1989), le Comité invite les États parties à faire rapport sur «les facteurs et les difficultés» qui s’opposent à la réalisation progressive ou immédiate des droits économiques, sociaux et culturels. D’après le Comité, c’est en recensant et en reconnaissant ces difficultés que les États parties pourront créer le cadre dans lequel s’inscriront des politiques mieux adaptées. La nature des obligations des États parties face aux obstacles qu’ils rencontrent est la principale question traitée par le Comité dans son Observation générale no 3 (1990). Celle des obstacles structurels au droit au travail suppose à la fois de définir la nature de ces obstacles et de préciser les obligations des États parties face à ces obstacles.

Définition des obstacles structurels: Ces obstacles n’ont pas été définis de manière très précise ou approfondie dans les précédentes observations générales du Comité. Toutefois, la déclaration adoptée par le Comité en mai 1998 fournit un excellent point de départ pour la définition des obstacles structurels à intégrer dans le projet d’observation générale sur le travail. Dans celle-ci, le Comité devrait renvoyer les États parties à cette déclaration, dans laquelle il affirmait notamment que «faire une place excessive à la compétitivité au détriment des droits syndicaux énoncés dans le Pacte [menaçait] le respect du droit au travail et du droit à des conditions de travail justes et favorables». Le paragraphe 2 de cette déclaration contient sur 12 lignes une analyse critique de la mondialisation fort utile à l’examen des obstacles structurels. Toutefois, il importe de noter que les doctrines néoclassique et néolibérale considèrent la mondialisation et les programmes d’ajustement structurel comme des moyens nécessaires de supprimer les obstacles structurels aux niveaux mondial et national. Étant donné l’existence de points de vue contradictoires concernant la mondialisation et les obstacles structurels, je recommande de se reporter aux divers documents élaborés par la Banque mondiale, l’OIT, le PNUD, des commissions indépendantes et autres organisations qui mettent en évidence certaines contributions positives de la mondialisation tout en soulignant la nécessité de préserver et de renforcer les pouvoirs de l’État en matière d’imposition et de réglementation de l’activité des entreprises ainsi que de maintenir et de renforcer les mesures de lutte contre la pauvreté et autres mesures de protection sociale, surtout en faveur des groupes les plus vulnérables.

14.Le Comité doit reconnaître expressément que les principaux problèmes liés à la mondialisation ne se manifestent qu’en partie par des phénomènes éphémères comme les crises financières de 1997‑1998 ou les différentes récessions économiques mondiales. Sans prendre de position politique radicale, le Comité peut constater les lacunes des régimes mondiaux en matière de finances, d’investissement, de développement et de commerce, et reconnaître les inégalités frappantes, l’instabilité et les déséquilibres inhérents à la répartition du travail, des revenus, de la richesse et du pouvoir dans le monde, bien que, d’après certains indicateurs, les progrès économiques récemment enregistrés en Inde et en Chine aient contribué à réduire dans une certaine mesure les inégalités de revenu dans le monde.

15.Les obstacles structurels ne sont toutefois pas seulement dus à la mondialisation et à ses diverses manifestations. Ils sont également liés aux conditions nationales et régionales, notamment les maladies endémiques, les conflits civils et internationaux, les «États déliquescents», la corruption, la criminalité organisée et la violence généralisée. À ces réalités s’ajoutent les catastrophes naturelles, qui aggravent encore la situation. Il est indéniable que ces obstacles structurels nationaux et régionaux nuisent gravement au marché de l’emploi et aux droits des travailleurs.

16.De nombreux pays en développement et pays en transition, ainsi que divers pays développés, font état d’obstacles structurels dans leurs rapports. Ils tentent ainsi de justifier, au moins en partie, leur mauvaise conduite et leurs piètres résultats dans le domaine du travail et des politiques et droits économiques, sociaux et culturels. Ils mettent en avant des obstacles structurels pour bénéficier de plus de temps et d’indulgence dans la mise en œuvre progressive du droit au travail. Le Comité est souvent sensible à cet argument, même s’il s’efforce de définir un certain nombre d’obligations fondamentales minimales qui lieraient immédiatement les États parties nonobstant leurs obstacles structurels et/ou leur extrême pauvreté.

17.Les obligations qui s’appliquent immédiatement aux États parties en ce qui concerne le droit au travail comprennent notamment des obligations de moyens et de résultat s’agissant de promouvoir la non‑discrimination, d’assurer à tous la même protection et d’éviter l’adoption de mesures politiques et juridiques représenta un retour en arrière par rapport aux politiques et lois requises pour répondre aux obligations fondamentales minimales des États. Il incombe également aux États parties d’offrir une protection spéciale aux groupes les plus vulnérables de la population face aux obstacles structurels et aux politiques d’ajustement structurel. Toutefois, le droit au travail se distingue des autres droits socioéconomiques en ce qui concerne la responsabilité des États d’adopter et de faire respecter certaines lois civiles et pénales touchant le travail et la liberté, qui s’appliquent aussi bien aux pouvoirs publics qu’aux entités privées. Ni les principes de la réalisation progressive ni les obstacles structurels ne sauraient dispenser les États parties d’agir immédiatement et efficacement pour combattre toutes les formes de travail forcé, notamment l’esclavage, la servitude et l’exploitation des enfants. Les ateliers clandestins et le travail excessivement dangereux constituent aussi des violations qui doivent être sanctionnées au civil et au pénal et être prises en compte par le Comité s’agissant des obligations de moyens et de résultat.

18.L’application de ces obligations immédiates en matière de travail et de liberté aux États qui n’ont pas ratifié les conventions et pactes pertinents repose en partie sur le droit international coutumier, les statuts des cours pénales internationales et les mesures prises par l’OIT, d’autres organisations internationales et tribunaux. Ces composantes du droit international visent à faire en sorte que tous les États soient liés par certaines obligations. Ces obligations universelles sont notamment la nécessité de prendre des mesures immédiates pour prévenir et punir le travail forcé, les violations graves de la liberté d’association, l’exploitation des enfants au travail et les formes de ségrégation obligatoire sur le lieu de travail telles que celles appliquées dans les régimes d’apartheid racial.

Éléments essentiels du droit au travail et violations de ces éléments

19.Les éléments essentiels du Pacte en ce qui concerne le droit au travail sont traités de manière incomplète dans le chapitre que j’ai rédigé pour l’ouvrage publié sous la direction de Chapman et Russell, car j’avais décidé d’étudier uniquement l’article 6, les dispositions de l’article 7 concernant l’égalité de chance et les dispositions de l’article 10 concernant le travail des enfants. Par conséquent, les obligations fondamentales minimales qui y étaient définies et examinées étaient les obligations de respecter, de protéger et de mettre en œuvre le droit au travail, mais seulement en ce qui concerne le plein emploi, l’égalité de traitement et la non‑discrimination, et le travail non librement choisi, en particulier l’esclavage, le travail forcé et l’exploitation des enfants.

20.Les Directives de Maastricht relatives aux violations des droits économiques, sociaux et culturels de janvier 1997 offrent le cadre le plus complet pour l’analyse de la question des violations. Elles traitent des violations par omission et par action ainsi que des violations commises tant par l’État lui‑même que par des entités non étatiques. Dans ma contribution à l’ouvrage Chapman‑Russell, je définis les violations portant sur des obligations immédiates de moyens et de résultat, comme le fait de tolérer la discrimination dans les domaines de la formation et de l’emploi ou de faire reculer la législation et celles qui portent sur les obligations faisant l’objet d’une réalisation progressive.

21.À mon avis, les points les plus importants de ce chapitre sont les suivants: 1) les obligations des États parties en ce qui concerne le travail non librement choisi ne relèvent pas seulement du droit au travail mais sont aussi des obligations fondamentales liées aux droits civils et politiques, aux libertés civiles et au droit pénal; et 2) compte tenu du climat politique, économique et idéologique actuel, les obligations des États parties en matière de plein emploi doivent être renforcées. Certains aspects essentiels du droit au travail et des normes fondamentales du travail rejoignent le droit international et le droit pénal interne, les droits civils et politiques tels qu’ils sont consacrés par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et certaines violations graves des droits de l’homme telles que celles définies dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Non point que les violations du droit au travail telles que le fait de tolérer l’esclavage, l’apartheid en matière d’emploi, le travail forcé ou la violence à l’encontre de syndicalistes soient forcément plus importantes ou plus graves que les violations du droit à l’alimentation, à l’éducation ou à la santé. Cela s’explique plutôt par le fait que les violations du droit au travail ont bénéficié d’un statut spécial dans le cadre du mécanisme de présentation de rapports de l’OIT et dans la jurisprudence de la nouvelle Cour pénale internationale et que d’autres grandes conventions internationales sur la question obligent les États à agir immédiatement et efficacement pour prévenir et éliminer les violations en questions.

22.L’élaboration d’une observation générale sur le droit au travail offre au Comité une excellente occasion de souligner les obligations qui incombent aux États parties de rendre ces violations effectivement justiciables de leurs juridictions pénales et d’offrir des recours utiles aux victimes. Le Comité doit également promouvoir d’autres approches de la prévention telle que l’éducation et la mise en œuvre de programmes qui proposent des solutions économiques, sociales et culturelles autres que l’exploitation. Ces obligations exceptionnelles des États parties et des autres États à l’égard du travail et des travailleurs doivent être prescrites par le Comité quels que soient la vulnérabilité des États face aux menaces de délocalisation d’entreprises et d’usines vers d’autres États, les réclamations des gouvernements concernant les atteintes à leur souveraineté ou l’ingérence dans leurs juridictions internes, ou leurs arguments concernant l’immixtion dans les termes de l’échange et de l’investissement. Le Comité devrait également bien marquer dans son observation générale que les gouvernements où sont sises la plupart des entreprises multinationales ont un pouvoir étendu de réglementer ces entreprises et de les sanctionner si elles sont impliquées dans les violations les plus graves des éléments essentiels du droit au travail et des normes fondamentales du travail, sur leur territoire comme à l’étranger. La légitimité de telles mesures est apparue évidente lorsque, dans les années 80, les États‑Unis et de nombreux autres pays ont pris des sanctions contre le régime d’apartheid de l’Afrique du Sud.

23.Les obligations des États en matière de plein emploi et de travail forcé ont été les questions les plus controversées abordées lors des débats sur le droit au travail qui se sont tenus à l’occasion de l’élaboration et de l’adoption du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Entre 1948 et 1966, il était généralement admis que le droit au travail n’impliquait nullement la garantie de l’emploi. La majorité des intervenants au sein des organes de l’ONU étaient d’avis que chaque État partie (et tous les États dans la mesure où la Déclaration universelle des droits de l’homme allait être considérée comme faisant partie du droit international coutumier) devait s’acquitter d’obligations définies et consacrées par des instruments comme la Déclaration de Philadelphie de 1944, de l’OIT, et la Convention no 122 de l’OIT concernant la politique de l’emploi, 1964.

24.La nature précise des obligations des États parties en matière de plein emploi demeure forcément très floue. L’OIT a bien tenté de les mettre à jour en élaborant une nouvelle convention sur l’emploi en 1983‑1984, mais a dû se contenter d’adopter une recommandation.

25.En matière de plein emploi, les États parties ont pour obligation essentielle de suivre les meilleures pratiques internationales relatives au marché du travail ou aux politiques de l’emploi tout en mettant fortement l’accent sur la promotion et la sécurité de l’emploi dans toutes leurs politiques économiques et sociales intérieures et extérieures. Tous les États devraient être liés par l’obligation fondamentale minimale de ne pas adopter de mesures délibérément destinées à aggraver le chômage. Ils devraient également intégrer la planification du plein emploi dans leurs politiques macro et microéconomiques et tenir compte de cette priorité dans leurs programmes et politiques de formation et d’éducation ainsi que dans leurs politiques agricoles, industrielles, budgétaires, monétaires et commerciales. S’il n’existe aucun taux maximal acceptable de chômage fixe, tout État qui délaisse ses responsabilités devant des taux de chômage et de sous‑emploi particulièrement élevés et persistants par rapport aux États de sa région bénéficiant de conditions socioéconomiques comparables devrait être considéré comme violant les dispositions de l’article 6 du Pacte en matière d’obligation de moyens et de résultat.

26.Il est également évident que pour établir des tendances positives à long terme en matière de plein emploi, il est parfois nécessaire d’adopter des politiques monétaires, budgétaires et autres qui ont des effets négatifs sur l’emploi à court terme, ou même à moyen terme. Les États parties ont pour obligation fondamentale d’élaborer et de mettre en œuvre des programmes rationnels visant à parvenir au plein emploi à terme. Les programmes et politiques adoptés doivent être polyvalents et comprendre des versions actualisées des politiques actives relatives au marché de l’emploi définies par l’OIT, l’OCDE, l’Union européenne et d’autres entités. Ces programmes doivent être conçus en coopération avec les organisations de travailleurs et d’employeurs. Si ce type de planification doit contribuer à surmonter les obstacles structurels à la croissance économique et à la flexibilité du marché de l’emploi, il convient de ne pas accéder aux exigences d’austérité inconsidérées formulées par les élites au pouvoir, des organisations internationales ou de grandes puissances économiques.

27.Le fait que les États parties tolèrent ou soient complices de graves violations du droit au travail telles que le travail servile et l’exploitation des enfants et le fait qu’ils ne fassent rien pour prévenir les risques professionnels ne sont pas moins graves que les questions examinées plus haut. Toutefois, pour prévenir cette attitude de la part des États et y mettre un terme, le Comité doit avoir une meilleure connaissance des obstacles structurels et des autres obstacles auxquels ils se heurtent. Cela étant, l’exploitation des enfants et le travail dangereux sont des violations qui exigent des mesures immédiates et soutenues de la part des États parties dans de nombreux domaines politiques et juridiques, avec l’aide de la communauté internationale. Le Comité doit insister avec la plus grande énergie sur le fait que ces éléments du droit au travail et les normes fondamentales du travail doivent être appliqués de telle sorte que des résultats concluants soient obtenus dans les meilleurs délais.

28.Il importe également au plus haut point que le Comité reconnaisse que d’autres éléments essentiels, obligations fondamentales minimales et violations concernant le droit au travail sont explicitement ou implicitement évoqués dans les articles 8, 9 et 10 ainsi que dans les articles 6 et 7 du Pacte. Les obligations énoncées dans chacun de ces articles ont été reconnues comme des normes ou des droits fondamentaux du travail par l’OIT, l’ONU, l’OCDE, d’autres organisations internationales et d’éminents experts. Tel est le cas, assurément, de la liberté d’association (art. 8 du Pacte), de l’égalité de protection (art. 7) et de la protection des enfants contre l’exploitation au travail (art. 10), entre autres.

29.On pourrait raisonnablement y ajouter, en adoptant une perspective plus large du droit au travail, des éléments essentiels et des obligations fondamentales minimales relatives à la sécurité et aux conditions de travail (art. 7, al. b), à la protection spéciale des travailleuses (art. 10, par. 2) et au «droit de toute personne à la sécurité sociale, y compris les assurances sociales» (art. 9). Le Comité ne doit donc pas restreindre son étude du droit au travail aux obligations énoncées aux articles 6 et 7. Il doit également traiter des articles 8, 9 et 10. Le Comité pourrait également reconnaître dans son observation générale les liens entre l’article 11 (droit à une alimentation et à un niveau de vie suffisants), l’article 12 (santé), l’article 13 (éducation) et le droit au travail, bien que l’auteur du présent document ne recommande d’examiner aucune obligation fondamentale minimale découlant directement de ces articles aux fins de l’observation générale en projet. Le Comité devrait noter l’interaction entre le droit au travail et les droits à la santé, à l’éducation, à la sécurité sociale et à un niveau de vie décent. Certains autres liens entre les articles 6 et 7 et les trois articles suivants du Pacte sont examinés de manière plus approfondie dans la section suivante.

Quels sont les liens entre l’article 6 et l’article 7?

30.Comme il a été dit dans la section précédente, ce sont non seulement les articles 6 et 7, mais aussi les articles 8, 9 et 10 du Pacte qui sont étroitement liés et interdépendants à des degrés divers. L’article 6, le plus souvent associé au principe du droit au travail, énonce essentiellement le concept de plein emploi et de «travail librement choisi». À l’article 7, qui constitue lui aussi une source centrale du droit au travail, nous trouvons les notions de «conditions de travail justes et favorables», «salaire équitable», «rémunération égale pour un travail de valeur égale», «conditions de travail égales pour les femmes», «sécurité et hygiène du travail» et «repos, loisirs et limitation raisonnable de la durée du travail». L’article 7 est ainsi l’article du Pacte dont le texte revêt la plus grande importance en ce qui concerne la non‑discrimination et le droit à une protection et à des possibilités égales en matière d’emploi, et la garantie que les conditions de travail seront «décentes».

31.Le Comité devrait considérer l’ensemble des concepts essentiels évoqués dans le paragraphe ci‑dessus comme cruciaux, s’agissant de cerner tant la notion de travail décent que celle d’obligations fondamentales minimales des États. Il est en effet pratiquement certain que la nécessité d’assurer à tous une protection égale et celle d’améliorer sans cesse la «sécurité et l’hygiène du travail» recueillent aujourd’hui, dans leur principe, une plus large adhésion à l’échelle internationale que le concept de plein emploi qui est au cœur de l’article 6.

32.Le Comité devrait aussi considérer que les principes essentiels énoncés à l’article 7 et la notion de travail des enfants visée à l’article 10 sont clairement indissociables des obligations fondamentales minimales liées au droit au travail. Cette imbrication transparaît dans les conventions et autres travaux de l’Organisation internationale du Travail portant sur la santé et la sécurité au travail, la non‑discrimination et la nécessité d’assurer une protection spéciale aux femmes, aux enfants et à d’autres groupes expressément désignés tels que les travailleurs âgés, les migrants et les handicapés.

33.Il est difficile d’établir quel est exactement le niveau ou le degré de dangerosité ou d’insalubrité du travail qu’un pays donné ou la communauté internationale juge inacceptable. L’OIT a traité la question du travail des enfants en centrant son attention sur le concept d’exploitation au travail, ce qui explique les compromis politiques, moraux et économiques qu’a nécessité l’élaboration de la Convention de 1999. La communauté internationale considère la lutte contre l’insalubrité et la dangerosité du travail comme un domaine où il convient essentiellement d’agir progressivement et de faire évoluer les normes minimales internationales. Les États membres de l’Organisation mondiale du commerce sont peu désireux de faire respecter des normes fondamentales du travail, quelles qu’elles soient, par l’intermédiaire de cette organisation, préférant s’en remettre à l’OIT. Le Comité doit matérialiser le concept de l’hygiène et de la sécurité au travail par quelques obligations minimales essentielles, mais comment peut‑il le faire d’une manière qui soit concrète et efficace?

34.Le professeur de droit britannique Geraldine Van Beuren relève que le droit international ne définit pas le terme «dangereux» appliqué au travail. Cette spécialiste du travail des enfants estime que, lors de la définition des obligations des États et des autres acteurs, il incombe aux États parties de déterminer, après des consultations avec les organisations d’employeurs et de travailleurs, les types de travail que recouvre cette définition. Elle dit encore que, ce faisant, les États devraient prendre pleinement en considération tous les instruments pertinents auxquels ils sont parties, y compris ceux qui concernent les substances dangereuses, la manipulation de lourdes charges et les travaux souterrains, et ajoute que les États et la communauté internationale devraient revoir périodiquement leurs définitions du travail dangereux pour tenir compte du progrès des connaissances et de la recherche épidémiologique.

35.Suivant les recommandations de Van Beuren, les obligations fondamentales minimales relatives à l’hygiène et à la sécurité au travail devraient apparemment reposer sur les moyens et la bonne foi des États parties. Je ne suis pas totalement convaincu qu’il faille insister autant sur ce point, dans la mesure où l’on minimise ainsi l’importance des critères de fond. La consultation et la bonne foi ne suffisent pas; il faut en outre qu’il existe des normes fondamentales minimales effectives, dont des autorités internationales contrôlent le respect, empêchant tout au moins que les États parties manquent gravement à l’obligation qui leur incombe de respecter, protéger et appliquer lesdites normes. Ces obligations minimales doivent reposer sur des données scientifiques internationales et être mises à jour périodiquement. Elles doivent s’appliquer à tous les travailleurs mais il faut aussi qu’elles offrent un surcroît de protection aux mineurs, aux femmes enceintes et aux autres groupes particulièrement vulnérables. Elles doivent être publiées dans des textes législatifs et réglementaires, et il convient d’en garantir le respect en imposant des obligations de résultat, et notamment en prévoyant des sanctions pénales et civiles en cas de violation flagrante.

36.Jan Hodges, du Bureau international du Travail, a présenté en 1998 un résumé des éléments essentiels du Pacte relatifs à la sécurité et à la santé dans le milieu de travail. Elle y relevait que les risques professionnels avaient été étudiés de manière approfondie dans l’édition 1977 de l’Encyclopédie de sécurité et de santé au travail de l’OIT et y évoquait en bref les prescriptions suivantes:

En ce qui concerne la sécurité et la santé dans le milieu de travail, il devrait exister une politique nationale cohérente visant tous les travailleurs, destinée à prévenir les accidents et les lésions corporelles, et à réduire au minimum les causes de dangers inhérents au milieu de travail. Un élément crucial est l’adoption de textes législatifs ou le recours à d’autres méthodes, par exemple la formation, en vue d’organiser un système d’inspection des lieux de travail. Les employeurs sont tenus de fournir aux travailleurs des vêtements et des équipements de protection. Un travailleur ne peut être licencié pour s’être retiré d’une situation dangereuse. L’utilisation de certaines substances dangereuses (benzène, céruse et sulfates de plomb, par exemple) est interdite, tout comme l’exposition à l’amiante et aux produits chimiques. Il ne sera demandé à aucun travailleur d’utiliser une machine à moteur sans dispositif de protection. Aucun travailleur ne sera tenu de transporter annuellement une charge d’un poids tel qu’elle risque de compromettre sa santé et sa sécurité. Les charges pesant plus d’une tonne doivent porter une mention indiquant leur poids en vue de leur transport par les voies navigables intérieures. Les lieux et équipements de travail doivent être convenablement entretenus et tenus propres, et être dotés de toutes les commodités voulues (système d’aération, d’éclairage (de préférence lumière naturelle), réglage de la température, contrôle du bruit, douches‑lavabos et autres équipements sanitaires, matériel de premiers secours, etc.). Des modalités particulières sont applicables au travail dans les mines et dans la construction.

37.L’article 3 de la Charte sociale européenne telle que révisée en 1996 résume les obligations fondamentales concernant le droit à la sécurité et à l’hygiène au travail; il porte essentiellement sur les moyens en n’évoquant qu’en termes généraux les éléments de fond. Ses dispositions sont les suivantes:

«Droit à la sécurité et à l’hygiène dans le travail

En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la sécurité et à l’hygiène dans le travail, les Parties s’engagent, en consultation avec les organisations d’employeurs et de travailleurs:

À définir, mettre en œuvre et réexaminer périodiquement une politique nationale cohérente en matière de sécurité, de santé des travailleurs et de milieu de travail. Cette politique aura pour objectif primordial d’améliorer la sécurité et l’hygiène professionnelles et de prévenir les accidents et les atteintes à la santé qui résultent du travail, sont liées au travail ou surviennent au cours du travail, notamment en réduisant au minimum les causes des risques inhérents au milieu de travail;

À édicter des règlements de sécurité et d’hygiène;

À édicter des mesures de contrôle de l’application de ces règlements;

À promouvoir l’institution progressive des services de santé au travail pour tous les travailleurs, avec des fonctions essentiellement préventives et de conseil.».

Obligations des États parties membres des institutions financières internationales et d’autres organisations internationales concernant le droit au travail

38.J’aborderai maintenant la question de savoir si le Comité doit envisager différemment les obligations des institutions financières internationales et d’autres organisations internationales, de même que celles des États qui en sont membres, concernant le droit au travail. Le Comité souhaitera sans doute étudier les obligations des États parties au Pacte dans le cadre d’un grand nombre d’organisations régionales et internationales. L’OIT est la principale organisation spécialisée dans ce domaine des droits et de la politique, encore que d’autres organisations intergouvernementales telles que l’Union européenne (UE), le Conseil de l’Europe, l’OCDE, la CNUCED, le PNUD, le FMI et la Banque mondiale se soient également intéressées aux travailleurs et au travail. D’une manière générale, le FMI, l’OMC et la Banque mondiale ont voulu prendre du champ par rapport aux obligations considérées comme sans rapport avec l’économique ou découlant d’instruments particuliers relatifs aux droits de l’homme. Il ne fait cependant aucun doute que les droits des travailleurs sont par nature tout autant économiques que sociaux.

39.Des organisations comme l’UE, le Conseil de l’Europe et l’OCDE ont fait beaucoup pour la mise en œuvre d’aspects du droit au travail tels que la planification nationale de l’emploi ou l’analyse des questions liées à la garantie d’une protection égale. Le dispositif interaméricain des droits de l’homme leur a lui aussi accordé quelque attention et l’OIT a amplement contribué, depuis sa création, il y a près de 85 ans, à la réalisation de progrès sur tous les aspects essentiels du droit au travail. L’Organisation des Nations Unies elle‑même a joué un rôle particulièrement important dans des domaines tels que la lutte contre le travail forcé, l’esclavage et l’apartheid, l’égalité de traitement accordée aux femmes et aux migrants, et les obligations des sociétés multinationales, et plusieurs atteintes aux droits dans ces divers domaines sont citées parmi les crimes contre l’humanité dans le Statut de Rome portant création de la Cour pénale internationale. Il n’y a peut‑être pas lieu d’appeler ces organisations à aller beaucoup plus loin en matière de prescriptions concernant le droit au travail, mais il convient d’inviter chacune d’elles à continuer d’améliorer le suivi et la mise en œuvre de ses instruments relatifs aux droits de l’homme et de politique dans le domaine du travail et de continuer d’aider les pays en développement et les pays en transition à mettre au point des programmes efficaces aux niveaux national et local, ainsi qu’à faire respecter les règles et politiques ayant trait à des questions telles que la protection égale, le travail des enfants, le travail forcé et l’esclavage. Pour l’heure, le manque de ressources et une timide volonté politique limitent grandement l’action de toutes les organisations susmentionnées concernant ces questions. Il est indispensable que le Comité incite toutes les organisations s’occupant des travailleurs et du travail à s’attacher à faire respecter le plus efficacement possible les règles et normes auxquelles leurs États membres accordent un statut particulier. Il pourrait être utile également d’inviter l’OMC et ses États membres à promouvoir explicitement les normes fondamentales du travail et le droit au travail au lieu de se contenter de renvoyer ces questions à l’OIT. Bien que les États membres de l’OMC s’accordent dans l’ensemble à penser qu’en invoquant les normes fondamentales du travail dans le cadre des arrangements commerciaux, on renforce le protectionnisme, on peut espérer que l’OMC elle‑même s’attachera bientôt à promouvoir des politiques et des normes propres à dissuader les États de tolérer ou d’encourager des atteintes flagrantes aux normes fondamentales du travail et au droit au travail.

40.Au cours des années 80 et 90, toutes les organisations intergouvernementales ont eu à faire face à la montée en puissance des thèses néolibérales en matière de droits et de politique. Ces doctrines, très influencées par les changements intervenus dans la politique intérieure des principaux États membres, ont introduit dans des organisations telles que l’UE des priorités axées sur l’économie de marché, concurrentes, qui parfois prennent le dessus, et qui ont même infléchi la philosophie plutôt social‑démocrate de l’OIT. Une conséquence majeure en a été la complaisance croissante de la plupart des organisations intergouvernementales qui avaient longtemps défendu les aspects essentiels du droit au travail à l’égard d’une évolution du droit et de la pratique ayant pour effet concret de compromettre la réalisation du plein emploi. Elles ont de plus en plus toléré, voire encouragé, au nom de la restructuration, des formes d’emploi moins stables et bénéficiant d’une moindre protection. Elles n’ont pas tant supprimé que relégué au second plan les prescriptions qu’elles avaient énoncées antérieurement concernant la politique et les droits dans le domaine du travail. Cette évolution s’est accentuée après l’effondrement des régimes marxiste‑léninistes qui militaient, du moins officiellement, pour le plein emploi sur le plan intérieur comme à l’étranger.

41.Dans son observation générale no 2, le Comité a évoqué la nécessité pour «les États parties au Pacte ainsi que [pour] les institutions compétentes des Nations Unies» ayant des activités dans les domaines des politiques d’ajustement, de la dette extérieure, de l’assistance technique et de la coopération au développement en général de veiller à protéger «les droits économiques, sociaux et culturels les plus élémentaires», qu’il est impératif de défendre dans un contexte d’austérité (par. 9). Le Comité s’est spécialement intéressé au rôle des États parties au Pacte qui sont membres des principales institutions financières internationales. Ce rôle a pris de l’importance au cours des dernières décennies, la conditionnalité étant devenue, par le biais des programmes et accords d’ajustement structurel, une caractéristique normale des opérations de prêt de ces institutions. Ces arrangements ont eu une influence négative sur des aspects du droit au travail tels que les possibilités d’emploi, les conditions de travail et la sécurité de l’emploi dans les secteurs public et privé. Les politiques d’austérité qui en ont résulté ont eu des effets très variables selon les secteurs de la société, touchant en général le plus durement les groupes pauvres et marginalisés. La déréglementation a déstabilisé les marchés de l’emploi des pays développés comme des pays en développement, même si de substantiels apports nets d’investissements étrangers directs et d’investissements de portefeuille ont créé de nouveaux emplois à court ou à long terme dans plusieurs États qui en ont été les bénéficiaires.

42.D’importantes questions relatives aux droits de l’homme ont aussi été soulevées concernant des prêts accordés par la Banque mondiale pour des projets et la ligne de conduite adoptée par cette organisation et par le FMI pour l’octroi de prêts à des pays qui commettent des atteintes graves et chroniques aux droits de l’homme. Ces institutions internationales font souvent valoir que, si elles accordent ces prêts controversés, c’est en partie pour favoriser l’emploi et contribuer à la lutte contre la pauvreté. Cependant, même s’il peut arriver que leur intervention ait un effet positif sur l’emploi dans un cas particulier, elles risquent par ailleurs de renforcer un régime coupable de graves violations des droits de l’homme, notamment du droit au travail et des normes fondamentales du travail.

43.Bien que les bureaux des conseillers juridiques et d’autres responsables du FMI et de la Banque mondiale refusent généralement d’admettre que leurs organisations respectives sont juridiquement tenues de respecter des instruments particuliers relatifs aux droits de l’homme, certains responsables de la Banque ont parfois cédé du terrain à cet égard. Leur système de défense reposait sur des arguments assez peu solides concernant la nécessité pour leur organisation de fonder sa politique sur des considérations économiques. La Banque admet que les facteurs politiques doivent nécessairement être pris en considération et définit ce qui, selon elle, constitue une vision limitée des considérations politiques destinée à légitimer ses interventions visant à lutter contre la corruption politique, favoriser la participation citoyenne, la stabilité des pouvoirs publics et la prévisibilité de leur action, et à faire en sorte que les gouvernements disposent de moyens suffisants pour élaborer des politiques et les mettre en œuvre. En réalité, lors des débats internes de la Banque mondiale portant sur la nécessité pour celle-ci de prendre en considération l’état de droit et le droit au développement dans le cadre de ses relations avec les États membres bénéficiaires, il n’est fait pratiquement aucune distinction entre la liste des considérations politiques acceptables établie par la Banque et les conceptions plus larges des droits de l’homme. Si la Banque et le FMI prétendent avoir eu pour politique de ne tenir aucun compte de considérations liées aux droits de l’homme telles que les antécédents des bénéficiaires potentiels en matière de droits civils et politiques, ces organisations ont à l’évidence enfreint leurs propres règles en prenant des mesures fondées sur le poids prépondérant des votes des États occidentaux, ceux‑ci s’appuyant dans de nombreux cas sur des critères bien définis fondés sur les droits de l’homme.

44.Le Comité n’a pas acquis la conviction que les institutions spécialisées ou d’autres organisations internationales étaient exonérées des responsabilités découlant des pactes. En 1998, il a abordé la question de la prise en compte des droits économiques, sociaux et culturels dans le processus relatif au Plan-cadre des Nations Unies pour l’aide au développement et il a également affirmé, dans sa déclaration de mai 1998 sur la mondialisation et ses incidences sur l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels, qu’il incombait «aux organisations internationales, ainsi qu’aux gouvernements qui les [avaient] créées et qui les [géraient]» d’aider les États membres et de «chercher à élaborer des politiques et programmes qui encouragent la réalisation de ces droits». Le Comité a appelé plus particulièrement l’attention sur les domaines du commerce, des finances et de l’investissement, observant qu’ils «n’échapp[aient] en aucune façon à ces principes généraux» et que les organisations intergouvernementales ayant des responsabilités dans ces secteurs «devraient jouer un rôle bénéfique et constructif en ce qui concerne les droits de l’homme».

45.Au-delà de ces déclarations montrant que les organisations internationales ne peuvent être indifférentes aux droits de l’homme, les statuts des institutions financières internationales révèlent l’existence de liens importants entre ces institutions et le droit au travail de même que les normes fondamentales du travail. La Banque mondiale a l’obligation expresse, en vertu de ses statuts, de contribuer à «relever la situation des travailleurs» [art. 1er, al. iii)] tandis qu’il incombe au FMI, aux termes de ses statuts, de contribuer au «maintien de niveaux élevés d’emploi et de revenu» [art. 1er, al. ii)]. Ces dispositions ont été adoptées à une époque où la promotion du plein emploi figurait en bonne place parmi les priorités des États‑Unis, du Royaume‑Uni et de la communauté internationale en général. Les statuts susmentionnés étayent donc l’argument selon lequel les considérations liées au droit au travail devraient prévaloir sur celles qui concernent de nombreux autres droits fondamentaux, tant économiques et sociaux que civils et politiques, s’agissant des éléments dont le FMI et la Banque mondiale doivent tenir compte et des obligations qui sont les leurs.

46.S’il est primordial de définir clairement les obligations de certaines organisations intergouvernementales en matière de droits de l’homme, c’est parce que l’on fait ainsi ressortir les responsabilités de leurs États membres. Les obligations des États parties à cet égard ne sont cependant pas fonction au premier chef de celles des organisations intergouvernementales dont ils sont membres. Elles découlent plutôt des engagements conventionnels pris par les États eux‑mêmes, ainsi que des sources coutumières et autres du droit international. Il importe toutefois de préciser dans l’observation générale envisagée que les institutions financières internationales ont des responsabilités à assumer en ce qui concerne les conditions de travail et les niveaux d’emploi, parmi d’autres éléments essentiels du droit au travail.

47.Les obligations des États parties en matière de droit au travail procèdent de sources particulières telle que la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Charte des Nations Unies et divers instruments mondiaux et régionaux relatifs aux droits de l’homme (notamment ceux qui concernent les droits des femmes et des enfants, les droits civils et politiques, et les droits économiques, sociaux et culturels). Parmi ces sources figurent aussi le Statut de Rome et les conventions de l’OIT et de l’ONU relatives à l’esclavage, à l’apartheid, à la traite des femmes et des enfants, au travail des enfants et à d’autres questions relevant des normes fondamentales du travail et du droit au travail.

48.Le Comité a résumé sa position sur les obligations des États parties membres d’organisations intergouvernementales aux paragraphes 13 et 14 de son observation générale no 3 (1990), où il a noté que ces obligations incombaient à tous les États mais qu’elles «incomb[aient] tout particulièrement aux États [étaient] en mesure d’aider les autres États à cet égard» (par. 14). Il a renvoyé tous les États aux obligations énoncées dans les articles 11, 15, 22 et 23 du Pacte. Toutefois, il est intéressant de noter que les «mesures d’ordre international» visées à l’article 23 n’ont que peu de rapport avec le respect de leurs obligations. En vertu de cet article, les États parties doivent prendre part à l’élaboration d’instruments internationaux, à la fourniture d’une assistance technique et à l’organisation des réunions nécessaires. Mais la question centrale est celle de savoir comment ils usent de leur plus ou moins grande influence et résistent aux pressions des responsables et des principaux États membres, s’agissant de mettre en place et d’appliquer des politiques qui empiètent fortement sur les prérogatives d’États en situation de dépendance et vont tout à fait à l’encontre de leurs préférences. Si les politiques des organisations peuvent constituer un moyen constructif de «couvrir» des décisions difficiles que les dirigeants des États bénéficiaires estiment devoir prendre, le risque existe par ailleurs d’aboutir à des accords forcés qui annihilent des éléments essentiels du droit au travail et des autres droits économiques, sociaux et culturels.

49.Le non‑respect de certaines obligations des États parties liées au droit au travail est plus susceptible de donner lieu à un recours devant les tribunaux nationaux et internationaux ou à des sanctions économiques internationales que des infractions à la plupart des autres droits essentiels consacrés par le Pacte. Cela devrait inciter les États membres de diverses organisations intergouvernementales à écarter fermement les pratiques contraires au droit pénal international. À une époque marquée par la mondialisation, les ajustements structurels, les crises financières et la conditionnalité de l’aide, les États parties devraient avoir à répondre strictement de leur action s’agissant de la réalisation du plein emploi, de l’amélioration des conditions de travail et de la lutte contre la pauvreté, en tant que membres d’organisations intergouvernementales, acteurs bilatéraux et bénéficiaires de l’aide internationale. Ils devraient également être tenus responsables des effets du rôle qu’ils assument, dans le cadre des organisations intergouvernementales, en ce qui concerne la sécurité et les possibilités d’emploi, la discrimination, les conséquences de telle ou telle mesure sur des groupes vulnérables particuliers, et les normes en matière de santé et de sécurité.

50.Les obligations des États parties sont tout aussi fondamentales dans le contexte des organisations régionales que dans celui des organisations mondiales, et au niveau tant des activités de l’Organisation mondiale du commerce que de celles du FMI et de la Banque mondiale. Les termes de l’échange et l’intégration économique influent tout autant sur l’emploi que les conditions et règles imposées par les institutions financières internationales. Rappelons que c’est en partie du fait des problèmes d’emploi que les États se sont accordés, peu après la fin de la Première Guerre mondiale, sur la nécessité de créer l’OIT, l’une des premières organisations internationales véritablement mondiales. Le moins que l’on puisse dire est que le bilan des activités internationales menées pendant un siècle dans divers domaines liés à l’emploi et à la lutte contre la pauvreté n’est pas totalement probant. Dès lors, le Comité ne peut plus se contenter, en ce qui concerne les responsabilités des États et des organisations, d’accepter des modes idéologiques, l’inertie bureaucratique et les arguments peu convaincants selon lesquels l’économie de marché, la mondialisation ou les politiques actuelles des États et de la communauté internationale et l’attention limitée qu’ils accordent aujourd’hui au problème finiront bien par déboucher sur des conditions de travail décentes. Le PNUD, le Comité et le Bureau international du Travail reconnaissent la nécessité d’adopter une position plus affirmée quant aux responsabilités des États, comme le font de plus en plus d’universitaires et de praticiens qui portent un regard critique sur l’évolution actuelle de la mondialisation. Le Comité devrait s’attacher à promouvoir des approches de la conditionnalité, de l’ajustement structurel et de la transition au sortir d’un régime autoritaire qui traitent l’emploi de telle sorte que le droit au travail apparaisse véritablement comme un élément essentiel des droits de l’homme.

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