NATIONS

UNIES

E

Conseil Économique

et Social

Distr.

GÉNÉRALE

E/CN.4/2001/66/Add.1

14 novembre 2000

FRANÇAIS

Original : ANGLAIS

COMMISSION DES DROITS DE L'HOMMECinquante‑septième sessionPoint 11 a) de l'ordre du jour provisoire

DROITS CIVILS ET POLITIQUES ET, NOTAMMENT : TORTURE ET DÉTENTION

Rapport soumis par le Rapporteur spécial, Sir Nigel Rodley,en application de la résolution 2000/43 de la Commission des droits de l'homme

Visite en Azerbaïdjan

TABLE DES MATIÈRES

ParagraphesPage

Introduction1 - 53

I.LA PRATIQUE DE LA TORTURE : AMPLEUR ET CONTEXTE6 - 694

A.Aspects généraux6 - 104B.Information concernant les postes de police et les installationsde détention temporaire11 - 396C.Informations concernant les centres de détention provisoirepour prévenus40 - 5012D.Informations concernant les prisons51 - 6315E.Recours excessif à la force par la police64 - 6918

TABLE DES MATIÈRES (suite)

ParagraphesPage

II.PROTECTION DES DETENUS CONTRE LA TORTURE 70 - 10420

A.Interdiction de la torture70 - 7720B.Arrestation et détention78 - 9222C.Procédures de recours 93 - 10426

III.CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS105 - 12029

A.Conclusions105 - 11929B.Recommandations12032

Notes34

Introduction

1.Comme suite à la demande qu'il avait formulée en novembre 1999, le Rapporteur spécial a été invité par le Gouvernement de la République azerbaïdjanaise à effectuer, dans le cadre de son mandat, une mission d'enquête dans le pays. Cette visite, qui s'est déroulée du 7 au 15 mai 2000, avait pour objet de permettre au Rapporteur spécial de recueillir des informations de première main auprès d'un large éventail d'interlocuteurs pour se faire une meilleure idée de la situation en ce qui concerne la torture et les mauvais traitements en Azerbaïdjan. Le Rapporteur spécial pourrait être ainsi en mesure de recommander au Gouvernement azerbaïdjanais un certain nombre de mesures qu'il devrait adopter pour mettre fin aux actes de torture et autres mauvais traitements.

2.Au cours de cette visite, le Rapporteur spécial s'est entretenu avec les autorités suivantes : le Président de la République azerbaïdjanaise, M. Heydar Aliyev; le Ministre de l'intérieur, le général de corps d'armée Ramil Usubov; le Ministre de la sécurité nationale, M. Namig Abbasov, et le Chef du Département des enquêtes, M. Mansurov; le Ministre de la justice, M. Fikret Mammedov, et le Vice‑Ministre de la justice et Chef du Département chargé de l'application des décisions des tribunaux, le général Aydin Gasimov; le Président de la Cour suprême, Mme Sudaba Gasanova, et le Président de la cour d'appel, Mme Gulzar Rzayeva; le Procureur général, M. Zakir Garalov, et le Procureur général adjoint, M. N. Allakhverdiyev; le Vice‑Ministre des affaires étrangères, M. Khalaf Khalafov; le Vice‑Ministre de la défense, le colonel Mamed Beidullayev; le Chef du Département des organes chargés de l'application des lois relevant du Bureau exécutif du Président, M. Fuad Alesgerov; des membres de la Commission des droits de l'homme du Parlement azerbaïdjanais (Milli Majilis), y compris son Président, M. Kerim Kerimov; le Chef du Département de la police de la ville de Bakou, M. Aliyev Magerram; le premier chef adjoint du Département de la police de la ville de Bakou, M. Yashar Aliyev; le Chef du Service de la sécurité publique du Département de la police de la ville de Bakou, M. Javanshir Mamedov; et le Chef du Département de la lutte contre la criminalité organisée, M. Sevindik Safarov. Le Rapporteur spécial s'est également entretenu avec des membres de l'Institut des droits de l'homme de l'Académie des sciences, y compris son Directeur, M. Rovshan Mustafayev.

3.Lors de son séjour à Bakou, le Rapporteur spécial s'est rendu dans les centres de détention ci‑après : la prison de Gobustan; trois centres de détention provisoire pour prévenus : le centre No 1, également connu sous le nom de SIzo de Bailov, le centre No 3, également appelé SIzo de Shuvelan et les locaux de détention du Ministère de la sécurité nationale; les quatre unités de détention temporaire de Bakou situés au Département de la lutte contre la criminalité organisée au Département de la police de la ville de Bakou, également appelé "Gorotdel", au Département de la police de Narimanov et au Ministère de la sécurité nationale; enfin, le Rapporteur spécial a visité les commissariats et postes de police locaux et régionaux ci‑après : le commissariat de police du district de Nizami à Bakou et son unité No 25, le commissariat de police du district de Sabunçu à Bakou et son unité No 12, l'unité de police No 9 de Bakou et le poste central de transit de la police de Bakou à Binagadi.

4.Le Rapporteur spécial a rencontré des personnes qui ont déclaré qu'elles‑mêmes ou des membres de leur famille avaient été victimes de tortures ou d'autres mauvais traitements et il a recueilli des informations, oralement et par écrit, auprès d'organisations non gouvernementales, ONG parmi lesquelles : le Centre azerbaïdjanais des droits de l'homme, le syndicat des journalistes azerbaïdjanais, le Comité national de l'Assemblée des citoyens d'Helsinski et le Département des droits de l'homme de l'Institut pour la paix et la démocratie. Enfin, il s'est entretenu avec des avocats du cabinet Viza.

5.Le Rapporteur spécial tient à remercier le Gouvernement de la République azerbaïdjanaise de l'avoir invité et de lui avoir accordé toute sa coopération au cours de sa mission, lui facilitant ainsi grandement la tâche. Il tient également à exprimer sa gratitude au Coordonnateur par intérim du Programme des Nations Unies pour le développement et à ses collaborateurs pour l'appui qu'ils lui ont apporté, y compris sur le plan logistique.

I. LA PRATIQUE DE LA TORTURE : AMPLEUR ET CONTEXTE

A. Aspects généraux

6.Ces dernières années, le Rapporteur spécial avait reçu des informations selon lesquelles les membres des forces de l'ordre avaient pour pratique de torturer les personnes placées en garde à vue afin de les punir, d'obtenir des aveux ou d'extorquer de l'argent, à elles ou à leurs familles. Toute personne accusée de trahison ou d'un autre délit politique serait systématiquement torturée. Les brutalités se produiraient immédiatement après l'arrestation mais pourraient aussi continuer pendant des mois, la détention avant jugement pouvant être très longue. Les personnes arrêtées seraient fréquemment incarcérées dans des lieux de détention provisoire sans avoir été inculpées et, de prolongation en prolongation, y resteraient bien au-delà de la période prévue par la loi. D'autre part, la police ferait pression sur les intéressés soit pour qu'ils ne demandent pas à être assistés d'un conseil soit pour qu'ils acceptent de se faire représenter par des avocats commis d'office, qui ne travaillent pas toujours au mieux des intérêts de leurs clients. Les expertises médico-légales seraient rares et difficiles à obtenir même lorsqu'elles sont demandées par un avocat. D'après les informations reçues, le bureau du Procureur utiliserait les aveux obtenus sous la contrainte comme preuves pour faire condamner des inculpés. Ce bureau procèderait rarement à des enquêtes sur des allégations de torture et engagerait encore plus rarement des poursuites contre les policiers soupçonnés d'avoir commis de tels actes. Enfin, le Rapporteur spécial avait également communiqué au Gouvernement des renseignements selon lesquels les conditions de détention provisoire équivaudraient à un traitement cruel et inhumain (voir E/CN.4/2000/9, par. 37 et suiv.).

7.La demande de visite du Rapporteur spécial faisait également écho aux préoccupations exprimées par le Comité contre la torture en novembre 1999 après examen du rapport initial soumis par l'Azerbaïdjan (CAT/C/37/Add.3) concernant les mesures prises pour appliquer la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le Comité contre la torture s'inquiétait notamment des allégations nombreuses et persistantes faisant état de torture et d'autres peines et traitements cruels, inhumains et dégradants dont les auteurs étaient des responsables de l'application des lois et du fait que les nombreuses allégations de torture qui avaient été portées à la connaissance du Comité n'avaient apparemment pas fait l'objet d'enquêtes rapides, impartiales et approfondies et que les responsables présumés n'avaient pas été poursuivis, le cas échéant (A/55/44, par. 68 b) et c)). C'est pourquoi un groupe de travail présidé par le Chef de cabinet du Président a été créé par décret présidentiel en date du 10 mars 2000. Il a élaboré une note d'information intitulée "Suite donnée aux recommandations du Comité contre la torture et aux observations formulées dans le rapport d'Amnesty International sur l'Azerbaïdjan" (ci-après appelée note d'information) qui a été présentée au Rapporteur spécial au début de sa mission. Les informations figurant dans cette note seront reprises dans le présent rapport, le cas échéant.

8.Par ailleurs, la République azerbaïdjanaise a publié une brochure intitulée "Compilation des documents relatifs aux recommandations du Comité des Nations Unies contre la torture et d'Amnesty International concernant le rapport de la République azerbaïdjanaise sur l'application des dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants", qui comprend non seulement les recommandations susmentionnées mais aussi plusieurs décisions prises par le Président, le bureau du Procureur et la Cour suprême en formation plénière. Le Ministre de la justice a indiqué que cette brochure serait largement diffusée parmi les responsables de l'application des lois. Il a aussi souligné qu'il importait d'éduquer et d'informer le public sur tout ce qui a trait à la torture. D'après le Ministre, il fallait faire comprendre aux gens ordinaires que la torture était une pratique illégale et inacceptable.

9.Lors de son entretien avec le Rapporteur spécial, le Président de la République a reconnu qu'il existait encore des problèmes mais il a réaffirmé sa détermination à prendre les mesures nécessaires pour les régler. À cet égard, il s'est félicité que le Rapporteur spécial soit venu l'aider à déterminer si les décisions prises par les pouvoirs publics étaient appliquées sur le terrain. Nombre de hauts responsables avec lesquels le Rapporteur spécial s'est entretenu ont également fait référence aux observations du Comité contre la torture et d'organisations non gouvernementales internationales et ont souligné qu'ils étaient résolus à s'attaquer au problème, le cas échéant. Des organismes non gouvernementaux ont reconnu l'engagement pris récemment par le Gouvernement de mettre un terme à la torture même s'ils ont accueilli avec prudence les mesures prises à cet effet. Par exemple, une vaste réforme visant à aligner la législation nationale sur les normes internationales était en cours lors de la visite du Rapporteur spécial. Certains de ses interlocuteurs officiels ont fait observer que des experts internationaux, en particulier du Conseil de l'Europe, étaient étroitement liés au processus de réforme. Le Vice-Ministre des affaires étrangères et le Ministre de la justice ont toutefois reconnu que les réformes juridiques devaient être accompagnées de changements structurels dans la fonction publique. Il fallait également changer la mentalité et la façon de faire des responsables de l'application des lois. À cet égard, le Rapporteur spécial a noté avec préoccupation que les organisations non gouvernementales semblaient ne pas avoir été invitées à participer au processus de réforme qui, d'après certaines sources, ne se déroulait pas dans la plus grande transparence. Le lourd héritage de la période soviétique du point de vue des structures et des habitudes a également souvent été présenté par des responsables gouvernementaux comme un obstacle à surmonter.

10.L'un des principaux problèmes portés à l'attention du Rapporteur spécial était la forte criminalité contre laquelle avaient dû lutter les autorités après l'indépendance en 1991. Le Ministre de l'intérieur a déclaré que l'on avait saisi environ 18 000 armes à feu auprès de la population entre 1994 et 1996. Il a souligné que l'Azerbaïdjan comptait désormais parmi les pays de la Communauté d'États indépendants où le taux de criminalité était le plus faible, ce qui s'expliquait en partie selon lui par le fait qu'au cours des dernières années 90 % des affaires pénales avaient été réglées.

B. Information concernant les postes de police et les installations de détention temporaire

1. Généralités

11.En vertu de la législation en vigueur au moment de la mission, une personne pouvait être arrêtée et détenue dans un poste de police pendant trois heures au maximum à des fins d'identification. Elle devait être ensuite transférée vers l'une des unités de garde à vue, également appelées installations de détention temporaire et anciennement connues sous le sigle IVS, où elle pouvait être détenue aux fins d'enquête pendant trois jours au maximum. Ces lieux de détention relèvent du Ministère de l'intérieur. D'après le Procureur général, l'article 129 du Code pénal dispose que pour les crimes les plus graves, un procureur peut porter à 10 jours au maximum cette période de détention préliminaire aux fins de l'enquête. Il a ajouté que pour neuf types de délits, un procureur pouvait légalement la prolonger jusqu'à 18 mois au plus. Le Procureur général a reconnu que les procureurs favorisaient parfois certains agissements illégaux de la police par exemple en prolongeant la période de détention préliminaire. D'après lui, cette situation était due à la mentalité héritée du précédent régime.

12.À l'issue de cette période de détention allant de 3 à 10 jours, la personne devait être soit libérée soit inculpée et transférée vers un centre de détention pour prévenus relevant du Ministère de la justice. Les détenus que le Rapporteur spécial a rencontrés au cours de ses visites dans ces établissements pour prévenus ont expliqué qu'ils avaient passé 3 à 15 jours dans des unités de détention temporaire. La plupart y étaient restés plus longtemps que les trois jours réglementaires. La plupart des allégations de torture reçues par le Rapporteur spécial concernaient cette période préliminaire de détention dans ces unités. Comme on l'a indiqué plus haut, il n'en existe que quatre de ce type à Bakou, au Département de la police de la ville de Bakou ("Gorotdel"), au Ministère de la sécurité nationale, au Département de la lutte contre la criminalité organisée et au Département de la police de Narimanov. Le Rapporteur spécial les a tous visités au cours de sa mission.

13.Le Ministre de l'intérieur a remis au Rapporteur spécial les divers arrêtés qu'il avait pris en mars 2000 concernant la protection des droits de l'homme par les organismes chargés de faire respecter la loi. Ces arrêtés énoncent clairement les normes et garanties internationales relatives au traitement des personnes en état d'arrestation. Il a également demandé que soient améliorées les conditions de détention dans les postes de police et les installations de détention temporaire relevant de son ministère.

14.Le Procureur général a indiqué que son bureau était chargé de surveiller la situation tant dans les postes de police que dans les unités de détention temporaire. Il a fait mention d'un grand nombre de cas de détention arbitraire et a évoqué un cas précis de torture (une personne battue à mort) à la suite duquel l'enquêteur du bureau du Procureur avait été démis de ses fonctions pour ne pas avoir empêché les actes en question. Il a dit que des poursuites judiciaires avaient été engagées contre les policiers responsables.

a)Commissariats et postes de police

15.Le 9 mai, le Rapporteur spécial a visité le commissariat de police du district de Nizami à Bakou. Personne n'y était en garde à vue à ce moment-là et 26 personnes seulement y étaient passées au cours des quatre mois précédents. D'après le registre, il était manifeste que la majorité y étaient restées plus longtemps que les trois heures réglementaires prévues pour l'identification. On a expliqué au Rapporteur spécial que ces mises en garde à vue avaient été demandées par les enquêteurs et approuvées par le bureau du Procureur. Toutefois, il n'était pas fait mention de ces autorisations dans le registre. D'après le responsable du commissariat, ces autorisations se trouvaient dans les dossiers des enquêteurs concernant les suspects. On a également fait valoir que la plupart de ces personnes n'avaient pas été officiellement détenues, c'est-à-dire enfermées dans des cellules, mais simplement interrogées dans les bureaux des enquêteurs.

16.Le Rapporteur spécial s'est ensuite rendu dans l'unité de police No 25 qui relève du commissariat de police du district susmentionné. On lui a indiqué que les personnes arrêtées étaient conduites derrière la réception dans une salle au confort rudimentaire, mais ventilée et éclairée. Le Rapporteur spécial a toutefois constaté qu'il y avait derrière cette première pièce deux cellules non éclairées qui, d'après le responsable du commissariat, n'avaient pas été utilisées depuis l'indépendance. Le Rapporteur spécial a néanmoins pu voir des graffiti sur les murs de ces cellules, notamment des noms et des dates récentes, comme le 4 juillet 1999 et le 24 janvier 2000. Il y avait également trouvé un mégot de cigarette et des restes de repas, notamment des os, preuves manifestes que ces cellules avaient été utilisées récemment. Interrogés, les agents de police ont expliqué que certains de leurs collègues avaient pu utiliser ces cellules et faire ces graffiti. Par la suite, le Rapporteur spécial a trouvé dans le registre, à la date du 24 janvier 2000, le même nom que celui inscrit sur le mur. On lui a expliqué que c'était un nom très répandu en Azerbaïdjan et notamment celui du chauffeur du responsable, qui était peut‑être l'auteur du graffiti. Cette explication n'était pas convaincante. Le Rapporteur spécial n'a pas pu consulter plusieurs dossiers d'enquêteurs dont les bureaux, fermés lors de sa visite, ne pouvaient être ouverts car les agents qui avaient gardé les clefs étaient absents. Dans l'un des bureaux situés derrière la réception, le Rapporteur spécial a trouvé des barres en métal et en bois. On lui a expliqué qu'il s'agissait du reste de matériaux utilisés pour la rénovation du bâtiment.

17.Le même jour, le Rapporteur spécial a visité le commissariat de police du district de Sabunçu, où il n'y avait aucun détenu à ce moment‑là. Dans l'un des bureaux des enquêteurs, le Rapporteur spécial a trouvé un pied‑de‑biche et un couteau. On lui a expliqué qu'ils avaient servi à réparer une chaise. Le Rapporteur spécial a noté qu'il manquait un certain nombre d'informations dans le registre concernant la date et l'heure de remise en liberté ou de transfert des personnes amenées au commissariat. D'après les policiers présents, aucune indication de ce type ne pouvait être portée au registre tant que les formalités administratives n'étaient pas achevées. Le responsable du commissariat a reconnu qu'il aurait fallu mentionner que les personnes avaient été renvoyées chez elles et a indiqué que les policiers responsables seraient réprimandés pour cette omission. Le Rapporteur spécial a relevé d'autres petites erreurs, par exemple il était indiqué que deux individus avaient été amenés à 8 heures à la suite d'une plainte déposée le même jour à 10 heures. À l'exception des cas pour lesquels il n'était pas indiqué quand les personnes avaient été transférées ou remises en liberté, 41 personnes avaient été gardées à vue dans ce commissariat, et ce pendant trois heures au plus, d'après le registre.

18.Le Rapporteur spécial a également visité l'unité No 12 du commissariat de police du district de Sabunçu où il a constaté qu'il y avait trois cellules non éclairées. D'après les responsables de cette unité, aucune lumière n'était nécessaire car personne ne pouvait y être détenu plus de trois heures. Le Rapporteur spécial n'avait pas été rassuré par cette explication.

19.On a montré au Rapporteur spécial des vidéocassettes utilisées pour enregistrer les dépositions qui étaient ensuite présentées au tribunal lors du procès. Des responsables du Département de la lutte contre la criminalité organisée lui ont expliqué qu'ils se servaient également de ces vidéocassettes dans le cadre de leurs enquêtes. D'après les informations reçues, les interrogatoires pendant l'instruction étaient parfois enregistrés. Ces enregistrements se faisaient à la discrétion de l'enquêteur.

20.Le Rapporteur spécial a pris note de la remarque faite en toute franchise par le responsable de l'unité de police No 9 de la ville de Bakou, qui a dit que les policiers avaient essayé d'être plus respectueux des règles au cours des derniers mois. Le Rapporteur spécial est convaincu que des changements positifs se sont en effet produits ces derniers temps.

b)Installations de détention temporaire

21.Le 8 mai, le Rapporteur spécial a visité le Département de la lutte contre la criminalité organisée à l'invitation des autorités. Créé en 1994 par décret présidentiel, ce département avait pour mission de lutter contre la criminalité organisée et de démanteler les groupes armés qui auraient été particulièrement actifs à l'époque. Ses 250 agents, dont une centaine sont basés à Bakou, s'occupent maintenant principalement des affaires de trafic de stupéfiants, de corruption et de contrefaçon. D'après le registre, 134 personnes étaient passées par le Département depuis le début de l'année. Lors de la visite du Rapporteur spécial, trois détenus occupaient des cellules propres où il y avait des lits avec des matelas et des couvertures. Ils n'ont fait part d'aucune plainte particulière au Rapporteur spécial.

22.Le 8 mai, à l'invitation du Chef du Département de police de la ville de Bakou, le Rapporteur spécial a visité l'unité de détention provisoire de ce département communément appelée "Gorotdel". Quatorze personnes y étaient alors détenues, la plupart pour des affaires de drogue ou de contrefaçon, dans des cellules propres, mais où il faisait très chaud, contenant des lits avec des matelas et des couvertures. Il convient de noter que les détenus n'étaient pas séparés selon qu'il s'agissait de délinquants primaires ou de récidivistes. Tous les détenus interrogés par le Rapporteur spécial ont indiqué qu'ils avaient craint au moment de leur arrestation ou de leur premier interrogatoire d'être soumis à de mauvais traitements s'ils ne se conformaient pas aux requêtes des enquêteurs. Certains ont confié qu'ils avaient été effectivement battus là où ils avaient d'abord été détenus, tandis que d'autres ont expliqué qu'ils avaient été menacés de l'être s'ils ne signaient pas les aveux préparés par les policiers. Par exemple, un détenu a dit qu'il avait été battu, frappé au visage, menacé de coups de matraque en caoutchouc et contraint de signer des aveux dans l'un des postes de police du district de Bakou. Toutefois, par crainte d'être de nouveau maltraités, tous les détenus ont demandé au Rapporteur spécial de garder secrets leur identité et leur témoignage. Le Rapporteur spécial note avec préoccupation que leurs craintes, justifiées ou non, les ont empêchés de dénoncer les mauvais traitements qu'ils avaient subis.

23.Le 14 mai, le Rapporteur spécial est retourné au "Gorotdel", où 14 personnes étaient détenues. Contrairement à ce qu'il avait vu lors de sa première visite, des détenus dormaient sur des planches en bois sans matelas ni couverture. D'après le registre, toutes les périodes de détention de plus de deux jours avaient été autorisées par un procureur. Toutefois, d'après les informations reçues, une personne avait été inscrite au registre un jour après sa mise en détention effective. Le Rapporteur spécial a entendu les mêmes craintes de la part des détenus qu'au cours de sa première visite : ils ont refusé de révéler leur identité ou de raconter au Rapporteur spécial les traitements qu'ils avaient subis depuis leur arrestation. Certains ont fait des témoignages très convaincants selon lesquels ils avaient été battus et frappés au visage, en particulier par des responsables du "Gorotdel". Des détenus ont également indiqué qu'on leur avait demandé de l'argent.

24.Lors de sa visite au SIzo de Bailov, le Rapporteur spécial a rencontré deux détenus qui avaient séjourné au "Gorotdel" pendant un mois et deux jours et deux mois, respectivement, pour trahison de la mère patrie et meurtre. Tous deux ont refusé de raconter au Rapporteur spécial les traitements qu'ils avaient subis lors de leur interrogatoire au "Gorotdel", par crainte de représailles.

25.Le 14 mai, le Rapporteur spécial s'est rendu dans l'unité de détention temporaire du Département de la police de Narimanov où 15 personnes étaient incarcérées dans 13 cellules. Le responsable de l'unité a dit au Rapporteur spécial que tous les détenus étaient toujours transférés dans un centre de détention provisoire pour prévenus au bout de trois jours. Les enquêteurs ne demandaient donc pas aux procureurs de prolonger la période initiale de détention dans l'unité de détention temporaire placée sous son autorité, ce qui a été confirmé, semble‑t‑il, par les divers registres présentés au Rapporteur spécial.

26.Dans l'unité de détention temporaire de Narimanov, le Rapporteur spécial s'est entretenu avec un détenu qui s'était vu proposer les services d'un avocat lors de son premier interrogatoire. L'avocat avait assisté à tous les interrogatoires suivants. Toutefois, il était manifeste que ce détenu, comme plusieurs autres rencontrés durant la mission dans les différents lieux de détention, ne comprenait pas le rôle et les fonctions d'un avocat. Le responsable de l'unité a reconnu en le déplorant que les avocats commis d'office n'étaient pas très actifs. Il n'était donc pas surpris que les détenus ne comprennent pas bien leur rôle.

27.Enfin, le 12 mai, le Rapporteur spécial s'est rendu au poste central de transit de la police de Bakou à Binagadi. Ce poste accueille pendant 30 jours au maximum les personnes dont l'identité n'a pu être déterminée par la police lors de la période de garde à vue de trois heures, aux fins d'identification. Au bout des 30 jours, si aucun mandat d'arrêt n'a été délivré, la personne doit être remise en liberté. Trente et une personnes, la plupart sans domicile fixe, étaient retenues dans ce poste lors de la visite du Rapporteur spécial. D'après le responsable, ces personnes n'étaient pas officiellement détenues. Le bureau du Procureur avait néanmoins été informé de leur présence.

28.Les cellules que le Rapporteur spécial a visitées étaient rudimentaires et sales et il y régnait une odeur nauséabonde. Il n'y avait pas de lumière naturelle ni de système de ventilation approprié. La seule source d'aération était un petit trou dans la porte. Le responsable a expliqué qu'un système de ventilation très efficace fonctionnait l'été. Les détenus couchaient sur des planches en bois; certains avaient une couverture.

29.La plupart, sinon la totalité des détenus interrogés par le Rapporteur spécial dans les centres de détention provisoire pour prévenus avaient de toute évidence peur de lui dire comment ils avaient été traités dans les postes de police et les unités de détention temporaire. Nombre d'entre eux ont expliqué qu'ils avaient été menacés et mal informés de leurs droits. Des femmes en particulier ont dit qu'elles n'avaient retrouvé leur dignité qu'après avoir été transférées dans un centre de détention provisoire pour prévenus. Tous avaient beaucoup à dire mais, comme l'a reconnu l'un d'eux, aucun n'avait le courage de témoigner. La crainte d'être remis aux mains de la police a souvent été exprimée. Le Procureur général a reconnu que le recours à la menace par la police pourrait bien être un problème généralisé hérité du précédent régime.

2. Cas individuels

30.À propos des mauvais traitements infligés par la police, le Rapporteur spécial a reçu ses renseignements sur les cas individuels ci-après.

31.Elshad Goysseynov, docteur en économie, aurait été menacé et maltraité à plusieurs reprises pour avoir obtenu des renseignements confidentiels sur les services secrets étrangers dans le cadre de ses travaux universitaires. La dernière fois, le 5 avril 2000, il aurait été passé à tabac par sept inconnus près de son domicile. Il se serait rendu au commissariat de police du district de Sabunçu pour signaler l'incident. Là, les policiers auraient incité ses agresseurs, qui l'avaient suivi, à continuer à le frapper. Il a été finalement accompagné par un policier à l'hôpital où il a reçu des soins. Un certificat médical, qu'il n'aurait pas vu, aurait été conservé par le policier. D'après les renseignements reçus trois jours plus tard, il a été invité à se rendre au commissariat de police du district de Sabunçu pour identifier ses agresseurs. Il aurait alors été attaqué par cinq d'entre eux devant les policiers qui n'auraient pas réagi. Il aurait adressé une plainte écrite au bureau du Procureur régional, sans résultat.

32.Jafarov Intigain aurait été condamné à 10 ans d'emprisonnement pour vol en vertu de l'article 145 du Code pénal. Il aurait été arrêté le 17 mars 1996 à Bakihanov, dans la banlieue de Bakou, et conduit au commissariat de police du district de Sabunçu où il aurait passé une semaine. Durant sa détention, la police aurait tenté de l'accuser d'autres délits. On serait venu le chercher la nuit dans sa cellule pour le torturer afin qu'il avoue d'autres délits, y compris un meurtre. On lui aurait coincé la main entre la porte et le chambranle; on l'aurait pendu par ses menottes et battu avec un morceau de bois. À un moment, il aurait perdu connaissance pendant une heure et demie à deux heures. D'après les sources d'information, on lui avait donné des coups tous les jours à hauteur des poumons, dans la poitrine et dans le dos, semble‑t‑il pour déclencher la tuberculose. Le Rapporteur spécial a en effet constaté qu'il présentait les premiers symptômes de la tuberculose mais on lui a dit qu'il avait été soigné. M. Intigain n'a jamais eu d'avocat et cela dès sa mise en garde à vue. Il n'a pas demandé d'avocat parce qu'il ne pensait pas que cela l'aiderait et ne s'est jamais attendu à ce qu'on lui en attribue un. Au bout de sept jours, il aurait été transféré dans le Centre SIzo de Shuvalan où il est resté trois mois.

33.Leyla Tairbekov aurait été arrêtée le 16 février 2000. Elle aurait été conduite dans le bureau du procureur de Bélice où on lui aurait appris qu'elle était en état d'arrestation pour contrefaçon. Elle a ensuite été transférée au "Gorotdel", où elle a passé 11 jours, avant d'être transférée au Sizo de Bailov. On ne lui aurait pas proposé les services d'un avocat au cours de la première semaine de détention. Celle‑ci serait liée au fait que son mari était un communiste qui avait peu auparavant fait des déclarations à la presse à Moscou. Lors de son séjour au poste de police, elle était conduite tous les jours dans le bureau du procureur pour être interrogée. On lui aurait dit que si elle ne faisait pas ce que la police lui demandait, ses deux filles seraient tuées. Elle aurait aussi été menacée par un adjoint du procureur. Sous la menace et la pression, elle aurait fini par signer des aveux. Elle aurait montré à son avocat les traces de coups qu'elle portait sur les bras, mais les membres du bureau du procureur auraient soutenu qu'elle les avait déjà avant son arrestation. Son avocat n'a pas demandé d'examen médical car il pensait que le bureau du procureur refuserait de donner les instructions nécessaires pour qu'il soit procédé à cet examen.

34.Gurbanov Bakhtiyar aurait été arrêté à son domicile le 23 février et conduit à moitié nu au département de police de la région de Guba où il aurait passé 10 jours. Il a refusé les services  de l'avocat qui lui étaient proposés parce qu'il pensait être accusé d'un délit mineur et se débrouiller mieux sans avocat. La personne qui avait porté plainte contre lui aurait retiré sa plainte après le paiement par M. Bakhtiyar de la somme qu'il lui devait. Malgré cela, il a été contraint d'avouer d'autres délits qu'il n'avait pas commis. Il aurait reçu des coups, notamment de matraque, et aurait été insulté par des enquêteurs. Ceux‑ci lui avaient promis qu'il serait conduit au bureau du procureur et libéré s'il signait des déclarations en blanc. D'après son témoignage, il avait été transféré au Sizo de Shulevan le 3 mars. Il aurait été ramené au département de police de la région de Guba pour assister à son procès qui s'était déroulé du 3 au 13 mai. Il n'aurait pas été l'objet d'autres mauvais traitements ou menaces mais la peur l'avait conduit à signer d'autres documents. Il a expliqué qu'au cours de son procès il s'était plaint d'avoir été torturé. Lors de son entretien avec lui (le 15 mai), le Rapporteur spécial a noté qu'il avait semblait‑il un os cassé à la base du petit doigt de la main droite, blessure qui serait due aux coups reçus. Il n'aurait été soigné qu'après avoir été transféré au Sizo de Shulevan mais cela n'aurait pas été consigné.

35.Par lettre datée du 15 novembre 1999, le Rapporteur spécial a fait savoir au Gouvernement qu'il avait reçu des renseignements concernant Elchin Behudov (voir E/CN.4/2000/9, par. 43). Celui‑ci, soupçonné d'avoir dissimulé des renseignements au sujet du meurtre d'un de ses collègues du département spécial présidentiel, aurait été arrêté à Bakou le 21 octobre 1995. Au département de police de la ville de Bakou ("Gorotdel"), on l'aurait roué de coups afin de lui extorquer des aveux. Par lettre datée du 18 février 2000, le Gouvernement a répondu que la famille de cet homme avait reçu notification de son arrestation et qu'il avait été informé de son droit d'être représenté par un avocat, ce qu'il avait refusé par écrit. D'après le Gouvernement, bien que l'intéressé n'ait pas reconnu sa culpabilité à son procès, celle‑ci avait été prouvée par les déclarations qu'il avait faites lors de l'enquête préliminaire, les témoignages d'autres suspects et des examens médico‑légaux. Le 4 mars 1996, il avait été condamné à deux ans d'emprisonnement avec sursis par la Cour suprême de la République azerbaïdjanaise.

36.Le Rapporteur spécial s'est entretenu avec Elchin Behudov qui lui a fourni d'autres renseignements le concernant, y compris sur la façon dont il avait été traité au département de police de la ville de Bakou. Il a contesté en particulier les informations selon lesquelles son arrestation aurait été notifiée à sa famille et que les services d'un avocat lui auraient été proposés. M. Behudov a fait savoir au Rapporteur spécial qu'au septième jour de sa détention, des amis avaient simplement dit à sa femme d'envoyer de la nourriture au Département de police de la ville de Bakou et qu'il n'avait pu rencontrer son avocat que le 7 janvier 1996. D'après M. Behudov, lorsqu'il se trouvait en détention, un enquêteur du bureau du procureur l'avait informé qu'il n'était pas possible d'engager des poursuites contre les sept policiers accusés alors même que cet enquêteur pouvait voir les marques laissées par les coups. Enfin, tous les accusés dans cette affaire auraient été battus et se seraient plaints au juge lors du procès. Ce dernier aurait ignoré leurs plaintes qui n'auraient pas été enregistrées dans les minutes du procès.

37.Le Rapporteur spécial a également rencontré les deux personnes ci‑après dont les témoignages mettent en lumière des irrégularités dans la procédure légale d'arrestation et de détention.

38.Mamedova Suraija se serait rendue le 12 mai 2000 au commissariat de police de la région de Nazimi où on lui avait demandé de se présenter à propos d'une affaire de contrefaçon. Là, on lui a dit de signer une déclaration en blanc, ce qu'elle a fait par ignorance. Elle a ensuite été dirigée vers le poste de police No 22 où on lui a appris qu'elle était placée en état d'arrestation. Elle aurait été immédiatement conduite au "Gorotdel". Elle pensait que sa famille n'avait pas été informée. On ne lui avait pas proposé les services d'un avocat et elle ne savait pas qui avait autorisé sa détention.

39.Sultan Salimov aurait été arrêté le 10 mai 2000 pour possession illégale d'armes à feu et conduit au commissariat de police de la région de Nizami, d'où il a été transféré au poste No 24 puis au poste No 8 de la région de Sabai. Il aurait été interrogé et aurait vu un procureur. Il aurait été transféré au "Gorotdel" mais aurait été ramené tous les jours au commissariat de police de la région de Sabai pour d'autres interrogatoires.

C. Informations concernant les centres de détention provisoire pour prévenus

1. Généralités

40.En vertu d'un décret présidentiel d'octobre 1999, les centres de détention provisoire pour prévenus ne relèvent plus du Ministère de l'intérieur, mais du Ministère de la justice. Le Ministre de la justice a souligné, à juste titre, que ce transfert devrait réduire les risques de torture dans la mesure où les suspects sont, selon lui, rapidement soustraits à l'autorité des enquêteurs. Toutefois, le Ministre adjoint de la justice a fait observer que, bien qu'officiellement il relève de son Ministère, le personnel de ces centres continuait souvent à appliquer les règles établies par l'ancienne administration. Les mentalités n'avaient pas encore complètement changé, mais le Ministre adjoint a indiqué qu'il s'était engagé à les faire évoluer, ainsi qu'à améliorer les conditions de détention.

41.Le 12 mai, le Rapporteur spécial s'est rendu au Sizo de Bailov, où 1 048 personnes étaient détenues à l'époque de sa visite. Officiellement, ce centre pouvait accueillir jusqu'à 1 250 personnes. Aucune distinction n'était faite entre délinquants primaires et récidivistes. Selon le gouverneur du Sizo de Bailov, les délinquants impliqués dans des affaires de drogue et ceux ayant commis des infractions graves étaient séparés des autres détenus. Les femmes étaient détenues dans un quartier distinct, de même que 26 condamnés à perpétuité qui étaient incarcérés à l'époque. Il était question de transférer ces derniers à la prison de Gobustan dès que les aménagements devant permettre de les recevoir auraient été achevés. Bien qu'aucun problème de surpopulation n'ait été signalé lors de la visite du Rapporteur spécial, celui‑ci a constaté que dans une cellule, il y avait huit lits pour 10 personnes. Le dernier détenu transféré dans cette cellule était arrivé sept jours avant la visite du Rapporteur spécial, tandis que le plus ancien s'y trouvait depuis plus d'un an. Le Ministre adjoint de la justice a reconnu qu'il s'agissait là d'une erreur injustifiable de la part du gouverneur.

42.Les cellules de mise en quarantaine, où seraient incarcérés tous les nouveaux venus pendant une période initiale, étaient vides; le gouverneur a tout d'abord indiqué que personne n'avait été amené au centre ce jour‑là. D'après le registre, aucun nouveau détenu n'était arrivé depuis trois jours. Le Rapporteur spécial a noté que, pour tous les autres jours, les nouveaux venus avaient été inscrits sur le registre. Finalement, on lui a montré une liste de détenus qui étaient arrivés ce jour‑là, et les deux jours précédents. À l'issue d'une discussion, les autorités de la prison ont expliqué au Rapporteur spécial que les arrivées n'étaient pas consignées quotidiennement dans le registre. Le Ministre adjoint de la justice a reconnu qu'il s'agissait là d'une négligence, et que les nouveaux venus devraient être régulièrement enregistrés. On a également précisé que les nouveaux détenus pouvaient passer jusqu'à une journée dans les cellules de mise en quarantaine, mais que, la plupart du temps la procédure d'admission, c'est‑à‑dire l'enregistrement (en particulier le relevé des empreintes digitales) et l'examen médical, pouvait être réalisée en quelques heures. Ce qui expliquait que le Rapporteur spécial n'ait vu personne dans les cellules de mise en quarantaine.

43.Au cours d'entretiens avec des détenus, ceux‑ci n'ont émis aucune plainte concernant leur situation actuelle. Ils étaient nourris trois fois par jour, et étaient autorisés à sortir des cellules pour faire de l'exercice chaque jour pendant 45 minutes. Tous les détenus ont confirmé qu'ils avaient passé un examen médical lors de leur arrivée. S'agissant de la possibilité de consulter leur avocat, ils ont indiqué qu'ils n'étaient soumis à aucune restriction.

44.Le Rapporteur spécial a indiqué aux autorités de Bailov qu'il était préoccupé par le fait que l'avocat de Vagif Mustafa oglu Hajiev (voir ci‑dessous), qu'il avait rencontré au début de sa visite du centre, n'avait pas été autorisé à voir son client ce jour‑là. Selon des informations reçues plus tard ce même jour, Vagif Mustafa oglu Hajiev avait été informé que son avocat l'attendait; on l'avait alors fait sortir de sa cellule, puis on l'y avait ramené sans qu'il ait vu son avocat, en ne lui donnant aucune explication. Interrogé par le Rapporteur spécial, le gouverneur n'a pas apporté d'éclaircissement.

45.De nombreuses personnes avaient été détenues au Sizo de Bailov pendant plusieurs mois, voire plus d'une année.

46.Le 12 mai, à l'invitation des autorités, le Rapporteur spécial a visité le centre de détention provisoire pour prévenus au siège du Ministère de la sécurité nationale. Seules des infractions graves contre la sûreté de l'État, telles que le terrorisme, l'espionnage ou la trahison relèvent de ce Ministère. Le chef du Département des enquêtes a indiqué qu'il ne disposait que d'une douzaine d'enquêteurs. Le Ministre a précisé qu'en matière de détention, les règles applicables par son Ministère et par la police étaient identiques. De même, le nouveau Code de procédure pénale s'appliquait de la même manière aux détentions ordonnées par des fonctionnaires du Ministère de l'intérieur ou par des agents du Ministère de la sécurité nationale.

47.Les locaux du Ministère servent en fait pour la garde à vue et la détention temporaire, ainsi que pour la détention provisoire des prévenus jusqu'à ce qu'ils soient jugés et condamnés. Le Rapporteur spécial s'est donc déclaré préoccupé par le fait qu'une personne demeurait sous le contrôle des enquêteurs du Ministère de la sécurité nationale pendant toute la durée de l'instruction, jusqu'au prononcé de la sentence définitive par un tribunal et l'emprisonnement. Il convient également d'observer que le responsable du quartier des cellules a confirmé que son personnel ne suivait pas les interrogatoires qui se tenaient à huis clos. Le Ministre a indiqué que plusieurs interlocuteurs, en particulier des représentants du Conseil de l'Europe, avaient déjà exprimé les mêmes préoccupations. Il a ajouté que l'institution avait été héritée de l'époque soviétique, mais qu'il était probable que les locaux ne seraient plus utilisés pour la détention provisoire de prévenus dans l'avenir.

48.Le régime de détention était exemplaire. Le responsable du quartier des cellules a indiqué que 43 personnes étaient actuellement détenues. Il existe deux types de cellules : les unes, de 15 m2, prévues pour deux détenus, les autres, de 36 m2, prévues pour quatre détenus. La capacité officielle serait de 107 détenus. Toutes les cellules étaient bien entretenues et propres. Quelques détenus préparaient un repas au moment de la visite. Le Rapporteur spécial a remarqué qu'il n'y avait pas d'ampoule dans la cellule disciplinaire, qui, lui a‑t‑on dit, n'était que très rarement utilisée. On a expliqué au Rapporteur spécial que, du fait des difficultés financières, l'ampoule était sans doute utilisée dans une autre cellule. L'examen du registre disciplinaire a confirmé que la cellule était rarement utilisée : 27 personnes y avaient été détenues depuis 1994.

49.Le 15 mai, le Rapporteur spécial s'est rendu au SIzo de Shuvelan. Sa capacité officielle est de 1 050 détenus et on en comptait 857 au moment de sa visite. Personne n'était détenu dans les cellules de mise en quarantaine. On a expliqué au Rapporteur spécial que l'examen médical et les autres formalités initiales ne duraient que deux heures environ. En moins de 24 heures, un détenu était transféré dans une cellule normale. Personne n'était actuellement détenu dans les cellules disciplinaires qui, selon le registre correspondant, n'avaient été utilisées que trois fois depuis le début de l'année. Le Rapporteur spécial a toutefois noté que ces cellules étaient plutôt rudimentaires, et qu'une mauvaise odeur s'en dégageait. Le registre disciplinaire indiquait également qu'une dizaine de personnes avaient reçu un avertissement depuis le début de l'année pour avoir violé le règlement intérieur.

2. Cas individuel

50.Natig Efendyiev, l'ancien chef des services de police de Ganja, qui aurait démissionné de son poste pour protester contre le gouvernement actuel, aurait quitté le pays le 10 janvier 1998 en raison des menaces dont lui-même et sa famille auraient fait l'objet. Le 10 janvier 2000, il aurait été arrêté à Samsun (Turquie), par une unité spéciale des forces de l'ordre turques. On l'aurait informé que les services de renseignement militaire turcs souhaitaient s'entretenir avec lui. Le même jour, il aurait été transféré à Ankara, où il aurait critiqué l'actuel Gouvernement azerbaïdjanais. La tête recouverte d'une cagoule, il aurait été secrètement conduit à Bakou, en avion privé, où il aurait été immédiatement transféré au centre de détention du Ministère de la sécurité nationale. Au cours de la première séance d'interrogatoire, on lui aurait proposé un avocat, qu'il aurait été contraint de refuser. Pendant les dix premiers jours de détention, il aurait été interrogé chaque nuit par deux enquêteurs qui n'ont pas donné leur nom. À un moment donné, il aurait signé un document que lui auraient remis ses interrogateurs. Il aurait également refusé de faire une déclaration à la télévision. À la fin de cette période initiale d'interrogatoire, il a été autorisé à consulter l'avocat qu'il avait engagé à titre privé et aurait ensuite été interrogé par des enquêteurs du Ministère de la sécurité nationale. Sa famille aurait été informée de sa détention 15 jours après son arrestation, et sa femme a été autorisée à le voir aux environs du 20 avril. Il serait accusé de tentative de coup d'État et de détention illégale d'armes à feu.

D. Informations concernant les prisons

1. Généralités

51.Depuis 1993, les prisons relèvent du Ministère de la justice. Selon le Ministre de la justice, l'Azerbaïdjan a été le premier pays de la Communauté d'États indépendants à transférer l'administration du système pénitentiaire au Ministère de la justice.

52.Le Président de la Cour suprême et ancien Ministre de la justice a dit au Rapporteur spécial que le système pénitentiaire était désormais soumis à la surveillance du public. Le Ministre adjoint de la justice et chef du Département chargé de l'application des décisions de justice a confirmé que depuis trois ans le système pénitentiaire faisait l'objet d'une surveillance du public, notamment des médias et des ONG. Les ONG l'ont confirmé tout en soulignant qu'elles n'étaient pas autorisées à s'entretenir confidentiellement avec les détenus, ce qui nuisait à la crédibilité de l'opération.

53.Des efforts importants avaient également été faits pour améliorer les conditions de détention, par exemple en supprimant les stores en métal. Il était prévu de rénover tous les établissements pénitentiaires, a-t-on dit, au cours des 40 prochaines années. Le Ministre adjoint a souligné qu'une aide internationale était nécessaire pour mener à bien un programme destiné à mettre le système pénitentiaire azerbaïdjanais en conformité avec les normes internationales. Selon le ministre, le grand nombre de prisonniers souffrant de tuberculose constituait l'un des principaux problèmes auxquels son administration était actuellement confrontée; les détenus souffrant de tuberculose, dont le nombre était estimé à 2000, devaient être séparés des autres détenus afin d'empêcher la propagation de la maladie. Un établissement à régime mixte avait été récemment construit à côté d'un hôpital afin d'y rassembler les patients atteints de tuberculose. Les autorités ont déclaré qu'un programme du Comité international de la Croix‑Rouge (CICR) et de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) était actuellement mis en œuvre.

54.Un nouveau code pénitentiaire avait aussi été récemment présenté au Parlement, après avoir été soumis pour avis à des experts du Conseil de l'Europe. Un comité spécial a été créé au Ministère de la justice pour examiner les plaintes des prisonniers. Un guide des droits et devoirs des prisonniers a été publié et distribué à tous les détenus.

55.Le 10 mai, le Rapporteur spécial a visité la prison de Gobustan, située à 60 km de Bakou. Il n'a pas observé de problème de surpopulation; en effet, l'établissement, dont la capacité officielle était de 620 détenus, n'en comptait que 484. Le Rapporteur spécial a visité en particulier les quartiers des condamnés à perpétuité. Les conditions de détention de ces derniers semblaient conformes aux normes internationales, et ils n'avaient pas de plainte particulière à formuler. Les condamnés à perpétuité interrogés par le Rapporteur spécial n'étaient pas tous conscients du fait que la peine de mort à laquelle ils avaient été condamnés avait été commuée en emprisonnement à vie. En outre, même s'ils le savaient, aucun d'entre eux n'avait été informé que, comme indiqué par le Ministre adjoint de la justice, selon la nouvelle législation, la durée maximale de la détention était de 20 ans. Le Ministre adjoint a assuré le Rapporteur spécial qu'une note les informant des nouvelles règles serait distribuée à tous les condamnés à perpétuité. En ce qui concerne les conditions de détention de ces derniers, le Ministre adjoint de la justice a fait part au Rapporteur spécial de son intention de faire ajouter à toutes les cellules où ceux‑ci sont détenus une zone de promenade privée, ainsi qu'une salle de bain séparée et convenable. Toutefois, aucune activité récréative ou éducative n'était envisagée, car de telles activités, a‑t‑on dit, n'étaient pas prévues par le code pénitentiaire.

56.Dans l'une des cellules disciplinaires de la prison de Gobustan, le Rapporteur spécial a rencontré deux prisonniers qui, lui a-t-on dit, y avaient été récemment transférés, et qui étaient donc placés en quarantaine. Selon le règlement pénitentiaire, les détenus sont placés en quarantaine à leur arrivée et y sont maintenus jusqu'à ce que les résultats de l'examen médical initial soient connus. Les deux prisonniers étaient détenus dans une cellule très rudimentaire et extrêmement sale, depuis 12 et cinq jours, respectivement. Tous deux présentaient des signes de tuberculose a-t-il semblé au Rapporteur spécial et ils n'avaient visiblement reçu aucun soin. Par ailleurs, aucun traitement médical particulier ne leur aurait été administré, bien que le gouverneur de la prison ait dit qu'ils avaient été examinés par le médecin de l'établissement. S'agissant du premier détenu, aucun compte rendu d'examen médical effectué à son arrivée n'a été trouvé, ni dans le registre ni dans son dossier personnel. Dans le cas du deuxième détenu, un certificat médical indiquant qu'il souffrait de bronchite chronique et d'asthme, et vraisemblablement de tuberculose, ainsi que des instructions pour lui faire passer une radiographie et l'envoyer dans une unité médicale, figuraient dans son dossier. Toutefois, rien n'avait été fait. Le Ministre adjoint a assuré le Rapporteur spécial que les deux prisonniers recevraient sans délai les soins médicaux appropriés.

57.Selon des sources non gouvernementales, le problème de la tuberculose dans le système pénitentiaire est dû en partie au fait que le diagnostic est lent et inexact dans le cas des détenus présentant les symptômes de la maladie. Selon le gouverneur de la prison de Gobustan, et comme l'ont confirmé les dossiers médicaux des intéressés, neuf détenus étaient décédés depuis le début de l'année. Sept d'entre eux, dont six étaient des condamnés à perpétuité, seraient morts de la tuberculose. Il y a lieu de noter que le nombre total de détenus condamnés à perpétuité dans la prison de Gobustan était inférieur à 100. Selon le Ministre adjoint, ce taux assez élevé de décès dus à la tuberculose parmi les condamnés à perpétuité s'expliquait par le fait que la maladie était très répandue dans les centres de détention avant jugement où les détenus n'étaient pas séparés des autres. Le gouverneur a également expliqué que la tuberculose était devenue plus résistante au traitement, et qu'une forme aiguë de la maladie pouvait provoquer la mort en quelques jours, ne laissant pas le temps aux autorités de la prison de transférer les détenus malades dans une unité médicale appropriée. Selon les médecins que le Rapporteur spécial a consultés après la mission, un programme adapté de détection et de traitement pourrait certainement ramener à zéro le nombre de décès dus à la tuberculose. De tels résultats auraient été obtenus dans un autre pays de la région. On a également expliqué au Rapporteur spécial qu'il n'existait pas de forme aiguë de la tuberculose qui ne laisserait pas le temps aux autorités de la prison de transférer les détenus malades dans une unité médicale appropriée avant que leur vie ne soit en danger. Selon les informations reçues, le Ministère de la santé refusait d'appliquer les recommandations pertinentes de l'OMS. Le Ministre adjoint a affirmé que tous les détenus décédés en prison étaient examinés par un médecin légiste, et que le bureau du Procureur avait ordonné une enquête.

58.Le Rapporteur spécial a observé que, dans le registre disciplinaire, le motif de punition systématiquement invoqué était une "infraction au règlement", sans autre précision. La durée de la punition allait de cinq à 15 jours. On a expliqué au Rapporteur spécial qu'en règle générale elle était de trois jours, mais que le gouverneur de la prison avait la faculté de la porter à 15 jours, en fonction de la règle que le détenu avait enfreinte. Le Rapporteur spécial note avec préoccupation que les décisions concernant les punitions ne sont pas dûment consignées, de sorte qu'elles pourraient paraître arbitraires.

59.Le Rapporteur spécial a très rapidement visité le centre de rééducation par le travail No 1, où il a été frappé par les efforts faits pour faciliter les visites de courte durée et de longue durée. Il n'avait malheureusement pas eu assez de temps pour bien tout visiter.

60.Enfin, le Rapporteur spécial a reçu des informations, émanant de sources non gouvernementales, selon lesquelles le nombre d'allégations de torture dans le centre de détention administrative, connu sous le nom de "Ville noire", où sont incarcérées les personnes mises en détention en vertu d'un arrêté d'une autorité administrative, avait considérablement diminué depuis 1996. Une enquête "secrète" effectuée par le bureau du Procureur général, qui aurait conduit au limogeage de tous les hauts responsables travaillant dans l'établissement, serait à l'origine de ce changement. Tout en se félicitant de cette information et de l'initiative prise par le bureau du Procureur général, le Rapporteur spécial regrette que cette affaire n'ait semble-t-il fait l'objet d'aucune publicité. Il n'existe aucune information sur les actions en justice ultérieurement engagées contre les auteurs présumés de torture. Le Procureur général a indiqué que le régime de la détention administrative était sur le point d'être aboli.

2. Cas individuels

61.Avant sa mission, le Rapporteur spécial avait reçu des informations selon lesquelles 11 détenus et deux gardiens étaient morts au cours des incidents qui s'étaient produits à la prison de Gobustan, en janvier 1999, suite à une tentative d'évasion de deux prisonniers le 7 janvier 1999. Ces deux prisonniers auraient ouvert un grand nombre de cellules, encourageant d'autres détenus à se joindre à eux. Vingt‑huit gardiens, avec leurs armes et leurs munitions, avaient ensuite été pris en otage par les détenus, tandis que d'autres avaient été gravement blessés, et un au moins tué. Le 8 janvier, un minibus aurait été mis à la disposition des détenus. Plus tard dans la journée, des unités armées des Ministères de la justice et de l'intérieur auraient ouvert le feu sur le véhicule, au moment où il quittait la prison. Au cours de l'attaque, neuf détenus et un gardien auraient été tués, et plus de 20 personnes auraient été blessées. Le bureau du Procureur général aurait ordonné l'ouverture d'une enquête sur l'incident.

62.Le Rapporteur spécial a reçu des informations concordantes selon lesquelles les détenus suspectés d'avoir participé à cette tentative d'évasion auraient été torturés pendant l'enquête susmentionnée. Il dispose des noms de plusieurs d'entre eux. Les opposants politiques présumés auraient été principalement visés. Des enquêteurs masqués, en civil, les auraient violemment frappés avec des matraques en bois, en caoutchouc et en métal pour les obliger à signer des aveux, soit dans la prison de Gobustan, soit dans un lieu de détention inconnu où ils avaient été secrètement transférés pour y être interrogés. Ceux qui étaient restés à Gobustan, auraient été enfermés dans la cellule disciplinaire pendant 45 jours. Cette cellule, qui n'est plus utilisée actuellement, serait une espèce de tunnel de trois mètres sur trois, faiblement éclairé par une lumière indirecte. Vingt détenus qu'on laissait nus y auraient été incarcérés en même temps. Selon les informations reçues, on les emmenait régulièrement dans le bureau du Directeur adjoint, où ils étaient roués de coups. Plusieurs d'entre eux auraient ainsi été contraints de signer des aveux.

63.L'accès à des avocats leur aurait également été refusé. Un avocat commis d'office en aurait rencontré quelques-uns pour la première fois en novembre 1999. Les détenus n'ont pas reçu de soins médicaux; quelques-uns auraient été soignés par le médecin de la prison de Gobustan après leur retour du tribunal. Il semblerait que les examens médicaux n'ont pas été consignés. Plusieurs détenus se seraient plaints du traitement qui leur aurait été infligé, et auraient demandé une expertise médicale pendant leur jugement, qui a débuté le 25 janvier 2000. Les juges de la Cour suprême n'auraient pas tenu compte de leurs plaintes ni de leurs demandes, et auraient indiqué au début du procès que, en tout état de cause, ils seraient punis. Les détenus auraient été accusés, notamment, de crime contre l'État et d'attaque à main armée. Le 29 mars 2000, ils auraient été condamnés à plusieurs années supplémentaires d'emprisonnement.

E. Recours excessif à la force par la police

64.Avant et pendant sa mission, le Rapporteur spécial a reçu un certain nombre d'informations selon lesquelles les responsables de l'application des lois ont à plusieurs reprises fait un usage excessif de la force, en particulier au cours des manifestations organisées par les partis politiques d'opposition, notamment dans le contexte des élections.

65.Le Rapporteur spécial a reçu des informations selon lesquelles les responsables de l'application des lois avaient fait un usage excessif de la force pour disperser un rassemblement organisé par plusieurs partis politiques d'opposition à Bakou, le 29 avril 2000. Selon les interlocuteurs officiels du Rapporteur spécial, les autorités avaient dit aux manifestants que le rassemblement ne pouvait pas avoir lieu dans le centre de Bakou, comme prévu par les organisateurs, et un autre emplacement, en dehors du centre ville, leur avait été proposé. Les manifestants se sont néanmoins rassemblés dans le centre ville. Selon des ONG et les médias, plusieurs manifestants ont été roués de coups par la police.

66.Le Rapporteur spécial a reçu, en particulier, des informations concernant Vagif Mustafa oglu Hajiev, Président d'Arar, l'un des partis politiques qui avait organisé la manifestation. À l'issue de celle‑ci, vers 17 heures, l'intéressé et quelques amis se seraient réunis au Palais de la République, où il se serait entretenu avec le chef du Service de la sécurité publique du département de la police de Bakou, ainsi qu'avec de hauts responsables de la sécurité. On lui aurait demandé d'inviter les manifestants à se disperser dans le calme. Immédiatement après que l'ordre eut été donné, un policier aurait attaqué un journaliste, lequel aurait perdu connaissance. Le chef adjoint de la police de la région de Nazimi aurait ensuite donné l'ordre à des policiers de frapper Vagif Mustafa oglu Hajiev, qui aurait été attaqué par 10 policiers armés de matraques en caoutchouc et frappé dans le dos et sur la tête, alors qu'il n'offrait aucune résistance. Il aurait perdu conscience, et aurait été transporté dans une voiture. Il serait revenu à lui au poste de police No 22 de la région de Nazimi, où il aurait vomi. Malgré des demandes répétées, son médecin traitant n'a pas été autorisé à l'examiner. Enfin, un médecin qui serait proche de la police est venu et lui a fait des injections, mais a refusé d'établir un certificat officiel de soins médicaux. Vers 23 heures, un médecin indépendant l'aurait examiné, et aurait demandé aux policiers de le transférer à l'hôpital. La police a refusé. Le lendemain matin, il aurait été emmené au tribunal de Nazimi où un juge aurait demandé un rapport médical, compte tenu de son état visiblement grave. Le juge aurait demandé au Procureur adjoint de présenter un rapport médical. Vagif Mustafa oglu Hajiev aurait été renvoyé au poste de police No 22 de Nazimi, où il serait resté trois heures. Selon les informations reçues, il a ensuite été ramené au tribunal, où le juge a donné lecture d'un certificat médical indiquant qu'il avait été légèrement contusionné. Vagif Mustafa oglu Hajiev aurait tenté de contester cette déclaration, mais il en aurait été empêché par le juge, qui l'aurait condamné à 10 jours de détention administrative. Il aurait passé les deux jours suivants allongé sur un sofa, incapable de se tenir debout ou de supporter la lumière, et continuant de vomir. Il aurait pu alors se faire soigner par son médecin traitant. Il aurait ensuite été transféré à la "Ville noire", le centre où seraient détenues les personnes sous le coup d'une mesure d'internement administratif. Le 5 mai, on l'a informé que des poursuites pénales avaient été engagées contre lui au motif qu'il avait résisté à des policiers et légèrement blessé ceux‑ci, et il a été autorisé à s'entretenir avec son avocat pour la première fois depuis son arrestation. Ce même jour, il aurait été transféré au Sizo de Bailov, où il aurait été examiné à plusieurs reprises par un médecin et où il aurait reçu des soins médicaux. Entre le jour où il est arrivé à Bailov et celui où il s'est entretenu avec le Rapporteur spécial (le 12 mai), il n'aurait pas été interrogé. On pense qu'il avait peut‑être été arrêté pour avoir publiquement critiqué le Président.

67.Par ailleurs, le Rapporteur spécial a reçu des informations concernant Gurban Gurbanov, qui aurait été violemment frappé avec des matraques en caoutchouc lors de son arrestation, pendant la manifestation du 29 avril. Il aurait été arrêté par des policiers en civil, puis emmené au poste de police No 22 de Nizami. Le lendemain, on l'a conduit au tribunal de Nizami, où il a été immédiatement condamné à un jour de détention administrative. Selon M. Gurbanov, quelqu'un aurait ensuite ajouté le chiffre "1", transformant ainsi sa peine en 11 jours de détention. Ultérieurement, il a aussi été accusé d'avoir résisté à la police. Un policier de ses amis lui aurait avoué avoir été menacé de licenciement s'il ne portait pas plainte contre lui. M. Gurbanov aurait refusé un avocat commis d'office, et aurait été invité à signer des aveux. Le 4 mai, il aurait été transféré à Bailov, où il a rencontré le Rapporteur spécial le 12 mai. Deux jours plus tôt, il avait commencé une grève de la faim pour protester contre le fait que son affaire n'avait pas été instruite.

68.Le chef du Département des organes chargés de l'application des lois, relevant du Bureau exécutif du Président, a informé le Rapporteur spécial que 42 policiers avaient obtenu des certificats médicaux indiquant qu'ils avaient été blessés.

69.Les actes d'intimidation à l'égard des journalistes couvrant les manifestations seraient généralisés. Toutefois, ceux‑ci avaient eux‑mêmes reconnu que les arrestations de journalistes étaient récemment devenues moins fréquentes. Au cours de la manifestation du 29 avril, 17 journalistes au moins auraient été roués de coups par la police. Le Rapporteur spécial a reçu, en particulier des informations concernant Mustafa Hajiev, célèbre journaliste dont les deux frères sont les dirigeants de partis politiques d'opposition (voir ci‑dessus par. 66). Mustafa Hajiev aurait été violemment frappé avec des matraques, en particulier aux bras et à la tête, alors qu'il photographiait des manifestants qui étaient roués de coups. Il n'a pas tenté d'obtenir un certificat médical, estimant que la police ne donnerait pas les instructions nécessaires à cette fin. Il a été signalé qu'après cette manifestation, des journalistes avaient été empêchés de rencontrer des personnes qui avaient été arrêtées.

II.  PROTECTION DES DÉTENUS CONTRE LA TORTURE

A.  Interdiction de la torture

70.L'article 46 de la Constitution qui est entrée en vigueur le 27 novembre 1995 dispose que "nul ne sera torturé ou humilié. Nul ne sera soumis à des traitements ou peines dégradants."

71.Le Code pénal qui était en vigueur lors de la visite du Rapporteur spécial ne comportait aucune disposition relative à la torture. Toutefois, les interlocuteurs officiels et des avocats ont indiqué que trois dispositions se rapportaient au crime de torture :  les articles 167 sur l'abus d'autorité, 168 sur l'excès de pouvoir et 177 sur l'extorsion de témoignage. Ils ont en outre dit que la notion de torture était aussi visée dans un certain nombre d'autres dispositions du Code pénal comme les articles 102, 105 et 106 relatifs aux divers degrés de lésions corporelles délibérées et l'article 108 sur les coups et blessures et la violence systématique. Malgré ses demandes en ce sens, le Rapporteur spécial n'a malheureusement eu accès à aucune décision judiciaire qui lui aurait permis de comprendre comment ces dispositions avaient été appliquées pour que les actes relevant de son mandat donnent lieu à des poursuites pénales. Il relève que, d'après des sources non gouvernementales, très peu de procédures avaient été engagées en vertu de ces dispositions dans le passé. Seuls les cas les plus graves, notamment de décès consécutifs à des tortures, qui avaient suscité une vive émotion dans l'opinion publique, auraient donné lieu à des poursuites judiciaires.

72.L'article 133 intitulé "Torture", du nouveau Code pénal adopté le 30 décembre 1999, qui est entré en vigueur le 1er juin 2000, complète la disposition de la Constitution. Cet article est ainsi libellé :

"Article 133 ‑ Torture

133.1Le fait d'infliger intentionnellement à une personne une douleur physique ou des souffrances mentales aiguës au moyen de coups systématiques ou d'autres actes de violence, qui n'aurait pas entraîné les conséquences prévues à l'article 126.2 et à l'article 127.2 du présent Code, sera sanctionné par une peine d'emprisonnement de trois ans au plus.

(...)

133.3Les actes indiqués dans les articles 133.1 et 133.2, s'ils sont commis par des fonctionnaires qui abusent de leur autorité aux fins d'obtenir, en exerçant ou non des contraintes, des informations sur des actes commis par la victime ou d'autres personnes, de les punir pour un acte qu'elles ont commis ou sont soupçonnées d'avoir commis ou de leur faire commettre par l'intimidation ou la contrainte, un acte quelconque, seront sanctionnés par une peine privative de liberté de cinq ans au moins et de 10 ans au plus."

73.Bien qu'elle soit formulée dans des termes analogues à ceux de l'article premier de la Convention de 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la définition de la torture contenue dans le Code pénal azerbaïdjanais ne reflète pas totalement la définition internationalement admise. Premièrement, ne sont considérés comme des actes de torture que les "coups systématiques ou autres actes de violence", alors que, dans la terminologie de la Convention, il peut s'agir de "tout acte". De ce fait, cette définition exclut les actes provoquant "une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales", qui ont été infligés par d'autres moyens que ceux spécifiés. Deuxièmement, parmi les différentes fins mentionnées dans la définition de la Convention, celle qui est désignée par l'expression "ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu'elle soit" n'est pas reproduite dans la définition du Code pénal. Troisièmement, si la définition de la torture selon le Code pénal azerbaïdjanais associe au concept bien établi de "torture" au sens du droit international des actes de cruauté commis par des particuliers (art. 133, par. 1), il y a lieu de noter cependant, que, contrairement au texte de la Convention, elle n'englobe pas les souffrances infligées à l'"instigation" ou avec le "consentement" d'une "personne agissant à titre officiel". Conformément au droit international, cet élément de la définition rend l'État responsable des actes commis par des particuliers qu'il n'a pas empêchés ou, le cas échéant, contre lesquels il n'a pas fourni de moyens de réparation appropriés. Ainsi, la responsabilité pénale des agents de la fonction publique à l'instigation ou avec le consentement desquels ces actes ont été commis par des particuliers n'est pas prévue par le Code pénal azerbaïdjanais. Un tel comportement de la part d'un agent de la fonction publique constitue en soi une violation des droits de l'homme et un crime au regard du droit international.

74.Compte tenu du fait que le mandat du Rapporteur spécial se rapporte essentiellement au traitement auquel des personnes sont soumises au moment de leur arrestation, lorsqu'on risque de les torturer pour leur extorquer des aveux, il convient aussi de citer l'article 293 du Code pénal qui complète l'article 133 et qui se lit comme suit :

"Article 293 ‑ Extorsion de témoignage

293.1Le fait pour un interrogateur ou un enquêteur d'exercer des pressions sur une personne soupçonnée, inculpée ou victime d'une infraction, un témoin ou un expert pour lui extorquer une déposition ou une conclusion, en recourant aux menaces, au chantage ou à d'autres procédés illicites sera sanctionné par une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à trois ans.

293.2Si ce même acte s'accompagne de violences, d'humiliation ou de tortures, il sera puni d'une peine d'emprisonnement de cinq ans au moins et de sept ans au plus."

75.Par conséquent, le crime de torture est maintenant bien établi dans le droit pénal azerbaïdjanais. En raison de leur adoption récente, il n'existe pas encore de décision judiciaire permettant de comprendre comment ces dispositions seront interprétées par les tribunaux. Le Rapporteur spécial note en outre que, d'après les informations qu'il a reçues de sources non gouvernementales, y compris d'avocats, le Code pénal n'avait pas encore été publié au moment de sa visite alors qu'il était censé entrer en vigueur le 1er juin 2000.

76.D'après des informations communiquées par le Gouvernement, le projet de loi sur l'extradition contient des dispositions se rapportant à la question de l'extradition d'une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture, dispositions qui sont conformes aux normes internationales. Aucune préoccupation particulière n'a été formulée devant le Rapporteur spécial concernant cette question avant ou pendant sa mission.

77.Enfin, le Rapporteur spécial note avec satisfaction que l'Azerbaïdjan est devenu partie en janvier 1999 au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort. Il a toutefois formulé une réserve prévoyant que la peine de mort pouvait être appliquée pour des crimes graves commis en temps de guerre ou en cas de menace de guerre et le Code pénal a été modifié en ce sens en octobre. Le Rapporteur spécial estime que les mesures visant à l'abolition de la peine de mort constituent un progrès dans l'élimination des peines cruelles, inhumaines ou dégradantes.

B. Arrestation et détention

78.Il convient de noter que les dispositions du Code pénal et du Code de procédure pénale relatives à l'arrestation et la détention qui étaient en vigueur au moment de la visite du Rapporteur spécial sont diversement interprétées selon les institutions. N'ayant pas disposé de la version anglaise des dispositions pertinentes, le Rapporteur spécial consigne ci-après les différentes interprétations qui lui en ont été données par des fonctionnaires, notamment lors de ses visites dans des centres de détention. Il convient de noter que cette méconnaissance de la loi entraîne certainement des détentions prolongées et arbitraires qui favorisent la torture et d'autres formes de mauvais traitements. L'accent est mis dans la présente section sur les dispositions des nouveaux Codes pénal et de procédure pénale qui devaient entrer en vigueur le 1er juin et le 1er septembre 2000, respectivement.

79.Selon des fonctionnaires du Département de la lutte contre la criminalité organisée, l'article 430 du Code de procédure pénale alors en vigueur prévoyait qu'une personne pouvait être maintenue en garde à vue par un enquêteur pendant une durée pouvant aller jusqu'à 30 jours du fait que, comme ils l'ont expliqué, le mandat d'arrêt délivré par un procureur est valable deux mois. Cependant, ils ont bien indiqué qu'à la fin du premier mois, cette personne devait être transférée dans un centre de détention provisoire relevant du Ministère de la justice, même si elle n'avait pas été formellement inculpée. Selon des organisations non gouvernementales, "l'article 146 [du Code de procédure pénale] dispose que l'enquête préliminaire doit être achevée dans les deux mois mais prévoit cependant que ce délai peut être prolongé par des fonctionnaires supérieurs du bureau du procureur de plusieurs mois, voire pour une période indéfinie dans 'des cas exceptionnels', sur autorisation du Procureur général". Selon le Procureur général toutefois, le Code de procédure pénale prévoit que cette détention peut être prolongée d'une durée maximum de 10 jours, et ce uniquement dans le cas des crimes les plus graves mais, a‑t‑il ajouté, pour les neuf crimes les plus graves, elle peut durer jusqu'à 18 mois.

80.D'après le nouveau Code de procédure pénale, une personne peut être placée en garde à vue pendant 24 heures sur décision d'un procureur ou d'un enquêteur relevant du Ministère de l'intérieur (police) ou du Ministère de la sécurité nationale. Le paragraphe 4 de l'article 148 du Code de procédure pénale dispose que "si la décision d'engager des poursuites pénales n'est pas prise dans les 24 heures qui suivent l'arrestation d'un individu, ce dernier doit être immédiatement libéré", et que "même si cette décision est prise, la garde à vue ne peut pas durer plus de 48 heures". Tous les interlocuteurs officiels ont indiqué que la prolongation du délai de garde à vue de 24 heures devait être ordonnée par un procureur dans tous les cas. Le Procureur général a précisé au Rapporteur spécial qu'un enquêteur ne pouvait placer quelqu'un en garde à vue que si une plainte pénale à son sujet avait été transmise au procureur. Cela voulait dire que, contrairement au système précédent, un procureur devait être informé immédiatement de toute arrestation et pouvait, de ce fait, suivre toute la durée de la privation de liberté. Selon le Procureur général, ce système permettait en outre de prévenir un avocat à temps. Le Rapporteur spécial note toutefois que l'alinéa 3 du paragraphe 2 de l'article 153 dispose simplement que toute arrestation doit être signalée au "chef de l'organe d'enquête ou au procureur chargé de la procédure initiale (cette information est communiquée par écrit dans les 12 heures qui suivent l'arrestation)".

81.En ce qui concerne la surveillance exercée pendant la garde à vue, le Procureur général a publié, le 17 décembre 1999, une "ordonnance sur les mesures supplémentaires se rapportant aux observations formulées au titre de la Convention des Nations Unies contre la torture" qui souligne la nécessité d'améliorer l'efficacité de la surveillance assurée par les procureurs dans les locaux où se déroulent les enquêtes et les lieux de détention provisoire afin de prévenir les actes de torture et de poursuivre les personnes qui se rendraient coupables de tels actes.

82.Aux termes du paragraphe 4 de l'article 148 du Code de procédure pénale, pendant cette période de garde à vue de 48 heures, "la personne arrêtée doit être informée de son inculpation et traduite devant un tribunal dans les 48 heures qui suivent son arrestation, le tribunal doit statuer sur cette affaire sans délai sur sa mise en détention provisoire ou sa remise en liberté". De même, le paragraphe 3 de l'article 150 dispose que "la garde à vue d'une personne soupçonnée d'avoir commis une infraction ne peut durer plus de 48 heures, délai au‑delà duquel elle doit être formellement inculpée (...). Dans les 48 heures qui suivent son arrestation, elle doit être traduite devant un tribunal qui doit statuer sans délai sur sa mise en détention provisoire ou sa remise en liberté". L'intéressé doit alors être transféré dans les trois jours dans un centre de détention provisoire pour prévenus (relevant du Ministère de la justice). Ainsi, conformément au paragraphe 3 de l'article 157 du Code de procédure pénale "une personne arrêtée sur décision d'un tribunal ne peut pas être maintenue plus de trois jours en garde à vue et doit être transférée sans délai dans un centre de détention provisoire pour prévenus (...)".

83.Le chef du Département des organes chargés de l'application des lois relevant du bureau exécutif du président a expliqué que si l'avocat de la défense réclame des éléments de preuve supplémentaires, le juge peut décider de porter la période initiale de 48 heures à 72 heures. La personne arrêtée doit alors être reconduite dans une cellule du commissariat de police. Ainsi, un individu ne peut être détenu dans un commissariat de police plus de 72 heures. Le chef du Département des organes chargés de l'application des lois a aussi déclaré que parfois, et notamment lorsque le commissariat est éloigné, il faut un certain temps pour organiser le transport de la personne arrêtée dans l'un des centres de détention provisoire pour prévenus qui existent actuellement dans le pays. Le Rapporteur spécial a exprimé les craintes que lui inspirait ce système, estimant en particulier qu'un avocat pouvait se retrouver placé devant un dilemme en sachant que s'il réclamait de nouveaux éléments de preuve pour défendre son client, ce dernier pourrait être exposé à de nouvelles brutalités policières. Le chef du Département des organes chargés de l'application des lois a en outre expliqué que l'un des principaux problèmes tenait au fait qu'il n'y avait pas suffisamment de centres de détention provisoire pour prévenus pour garantir que les prisonniers ne restent pas trop longtemps entre les mains de la police. Il a exprimé l'espoir que de nouveaux centres seraient construits dans un proche avenir dans toutes les régions du pays. Le Rapporteur spécial a suggéré que dans les cas où le tribunal a accordé un délai supplémentaire de 24 heures à un avocat pour trouver de nouveaux éléments de preuve, l'inculpé soit détenu, dans les cellules du tribunal, si elles étaient appropriées.

84.Le nouveau Code de procédure pénale consacre aussi le droit à l'habeas corpus. Conformément au paragraphe 2 de l'article 447, tout recours formé contre une décision d'arrestation est examiné par un tribunal dans les 24 heures. Ce droit n'existait pas dans le Code précédent.

85.À propos du droit de consulter un avocat, le Procureur général a indiqué que dans le système actuel, seuls les mineurs délinquants et les auteurs de délits graves bénéficient d'une assistance juridique gratuite si nécessaire. Le nouveau Code de procédure pénale dispose que tous les prévenus sans ressources ont le droit d'être assistés d'un avocat commis d'office. L'alinéa 1 du paragraphe IV de l'article 19 du nouveau Code de procédure pénale intitulé "Garantie du droit à une aide judiciaire et du droit à la défense", dispose que "l'instance chargée d'appliquer la procédure pénale doit s'assurer du respect des droits ci‑après du suspect ou de l'inculpé : octroi d'une assistance juridique dès le moment de l'appréhension ou de l'arrestation ou, pour les suspects, avant le premier interrogatoire et pour les inculpés au moment de l'inculpation". En outre, l'alinéa 7 du paragraphe 2 de l'article 153 dispose que le personnel de l'autorité chargée d'appliquer la procédure pénale et responsable des lieux de détention temporaire est tenu "si la personne arrêtée n'a pas les moyens d'engager un avocat, d'organiser, aux frais de l'État, un entretien avec l'avocat de permanence dans la circonscription judiciaire dont relève l'établissement dans lequel elle est temporairement détenue". Alors que, selon certains responsables, un avocat doit être mis à la disposition de toute personne arrêtée immédiatement ou du moins pendant le premier interrogatoire, le Chef du Département des organes chargés de l'application des lois a affirmé qu'il ne devait l'être qu'au bout de 48 heures. Cela veut dire que la présence de l'avocat n'est obligatoire que lorsque le suspect est traduit devant un magistrat.

86.La personne arrêtée doit "rencontrer son avocat ou toute autre personne habilitée à la représenter en justice en tête-à-tête mais sous surveillance et avoir avec lui un entretien confidentiel" (art. 53, par. 2, al. 5). Le Procureur général a toutefois noté avec préoccupation qu'il n'y avait pas suffisamment d'avocats actuellement dans le pays. Mais il s'est aussi félicité d'un accord récemment conclu entre le Ministère de la justice et l'Association des avocats, aux termes duquel le Ministère prendrait à sa charge les honoraires des avocats commis d'office.

87.Selon des sources non gouvernementales, les enquêteurs refusent fréquemment aux avocats ainsi qu'aux membres de la famille et aux médecins privés l'autorisation de voir les détenus pendant la détention aux fins de l'enquête préliminaire. La plupart des détenus avec lesquels le Rapporteur spécial s'est entretenu dans les différents lieux de détention qu'il a visités ont déclaré que, même dans les rares cas où on leur a proposé les services d'un avocat, ils avaient refusé cette offre, considérant que cela ne servirait à rien. Il faut aussi relever que bon nombre de détenus ne comprennent pas ce qu'est l'assistance juridique. En outre, le Rapporteur spécial a reçu des informations et des témoignages directs selon lesquels des détenus avaient été contraints de signer un document par lequel ils renonçaient à leur droit d'être assistés par un avocat. La Présidente de la Cour suprême a affirmé n'avoir jamais eu connaissance de cas de ce genre. Le Procureur général a précisé qu'une déclaration de ce type doit être cosignée par l'avocat lui‑même; celui‑ci peut ainsi expliquer au suspect en quoi consiste son rôle. D'après les informations qu'il a pu recueillir au cours de sa mission auprès de détenus et d'avocats, le Rapporteur spécial ne pense pas que cela se passe ainsi dans la réalité. Enfin, le Procureur général et la Présidente de la Cour suprême ont indiqué que, conformément au nouveau Code de procédure pénale, les personnes appréhendées n'auront pas le droit de renoncer aux services d'un avocat et ne pourront pas refuser la présence d'un avocat pendant les interrogatoires. Toutefois, dans l'exemplaire du Code de procédure pénale qui a été remis au Rapporteur spécial, on trouve la disposition suivante : "si la personne arrêtée refuse d'être assistée par un avocat, elle doit remplir une déclaration écrite à cet effet (si elle refuse de le faire, l'avocat ou le responsable des locaux de détention temporaire est tenu d'établir un protocole en bonne et due forme consignant ce refus)" (art. 153, par. 2, al. 8). Selon le chef du Département des organes chargés de l'application des lois, l'avocat doit, de toute façon, contresigner ce document, ce qui implique sa présence lorsque le suspect est invité à faire cette déclaration par écrit. Cela dit, il convient de noter que, conformément à l'interprétation donnée ci-dessus, il y a toujours un risque que la personne arrêtée soit contrainte par la torture ou d'autres formes de mauvais traitements à renoncer à son droit d'être assistée par un avocat pendant les premières 48 heures au cours desquelles un avocat n'est pas nécessairement présent.

88.Les articles 19 et 153 garantissent d'autres droits fondamentaux des personnes arrêtées. Toute personne arrêtée doit être immédiatement informée de ses droits (art. 19, par. 4, al. 2 et art. 153, par. 2, al. 1) ainsi que des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle (ibid.). Elle doit aussi être informée de son droit de n'incriminer ni elle‑même ni ses proches. La famille ou les proches parents d'une personne arrêtée doivent être informés sans délai de son arrestation par les autorités responsables du lieu de détention temporaire où elle est incarcérée (art. 153, par. 2, al. 4). Il est également précisé dans cette même disposition que le directeur de l'établissement de détention temporaire doit prendre l'initiative d'informer la famille ou les proches parents en cas d'arrestation d'une personne âgée, d'un adolescent ou d'un handicapé mental. Auparavant, les autorités responsables de la détention disposaient d'un délai de trois jours pour informer la famille d'une personne arrêtée, de sorte que pendant cette période, il pouvait y avoir une mise au secret non reconnue (voir art. 93 de l'ancien Code de procédure pénale). Les enquêteurs avaient, a‑t‑on dit, à cette époque toute latitude pour accorder ou refuser les contacts avec les membres de la famille. Enfin, l'alinéa 10 du paragraphe 2 de l'article 153 prévoit que le personnel des lieux de détention temporaire doit éviter "tout comportement portant atteinte à la dignité ou à l'intégrité de la personne arrêtée et prêter une attention spéciale aux femmes, aux personnes âgées, aux adolescents et aux personnes handicapées".

89.Le Procureur général a souligné que la mise en détention était une mesure à laquelle on ne devait avoir recours que dans le cas des crimes les plus graves et que la libération sous caution devait être la règle et la détention l'exception. Il a aussi fait observer que le nombre de délits "particulièrement graves et graves" n'était plus que de 12 dans le nouveau Code pénal contre 50 dans le précédent. Le chef du Département des organes chargés de l'application des lois a déclaré que, dans le cas des délits qui ne constituent pas une menace à l'ordre public et sont sanctionnés par une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à deux ans, le juge ne peut pas ordonner l'arrestation d'un suspect.

90.S'agissant de la durée maximale de la détention avant jugement , le chef du Département des organes chargés de l'application des lois a indiqué qu'elle peut aller jusqu'à cinq mois pour les infractions mineures (pour lesquelles la peine maximale est de cinq ans de privation de liberté), jusqu'à sept mois pour les infractions graves (pour lesquelles la peine maximale est de dix ans de privation de liberté) et jusqu'à neuf mois pour les infractions particulièrement graves. Ceci est clairement indiqué à l'article 158 du Code de procédure pénale. Il convient de noter que le temps passé en détention avant le jugement est déduit de la peine finale (par. 6 de l'article 158). Une personne soupçonnée d'avoir commis une infraction particulièrement grave ne peut pas être mise en liberté sous caution.

91.Lors de sa visite dans les diverses unités de détention temporaire, le Rapporteur spécial a noté que certaines personnes détenues avaient été retransférées de centres de détention provisoire pour prévenus dans des lieux de détention placés sous la supervision de la police, commissariats ou installations de détention temporaire, pour complément d'enquête et pour de nouveaux interrogatoires. Il a été signalé que ces personnes pouvaient rester quelques jours aux mains de la police et risquaient par conséquent d'être à nouveau maltraitées. Tous les fonctionnaires de police ont confirmé que les enquêteurs avaient le droit de demander au Procureur de leur renvoyer quelqu'un pour complément d'enquête. Le Procureur général a expliqué au Rapporteur spécial qu'un tel transfert devant être autorisé par un procureur, ce dernier était par conséquent en mesure de surveiller la situation. Il a aussi dit que la personne devait être ramenée le jour même dans l'unité de détention temporaire. Il a admis toutefois que la police avait tendance à exercer ce droit trop souvent.

92.Enfin, le Rapporteur spécial a fait part à plusieurs de ses interlocuteurs officiels de ses préoccupations quant au fait que les changements radicaux apportés à la législation étaient censés être appliqués à très bref délai après leur adoption. La Présidente de la Cour suprême a assuré le Rapporteur spécial qu'une formation avait été organisée pour préparer les magistrats à appliquer les nouveaux codes. Les juges de la Cour suprême avaient en outre suivi de près les débats au Parlement consacrés à la révision du Code pénal et du Code de procédure pénale. En outre, un centre de formation juridique relevant du Ministère de la justice avait été créé.

C. Procédures de recours

93.Selon les informations reçues sous couvert d'une note verbale datée du 16 octobre 2000 adressée à l'Office des Nations Unies à Genève par la Mission permanente de l'Azerbaïdjan, à laquelle est joint un document émanant de la commission de réformes des lois qui relève du Président de la République d'Azerbaïdjan, "les dispositions pertinentes du Code de procédure pénale garantissent le droit de recours contre les décisions et les actes des agents chargés de l'engagement des poursuites pénales en particulier s'agissant de l'arrestation, la détention, la torture et autres traitements cruels". Comme indiqué plus haut, aucune décision judiciaire relative à l'engagement de poursuites pour des actes relevant de son mandat n'a été portée à la connaissance du Rapporteur spécial.

94.Des ONG ont indiqué que les victimes avaient très souvent peur de faire connaître leurs plaintes avant le procès par crainte des conséquences qui pourraient en résulter. Comme indiqué plus haut, le Rapporteur spécial a pu constater à plusieurs reprises que les détenus hésitaient à formuler publiquement leurs allégations ou refusaient de le faire, même s'ils avaient déjà été condamnés, par crainte de représailles. Bon nombre de victimes présumées, de même que des avocats et des ONG, ont en outre déclarés qu'ils n'étaient pas certains que ceux qui étaient officiellement chargés d'enquêter sur les plaintes agissent avec célérité et impartialité en cas d'allégations de torture. Par ailleurs, ils pensaient que, de toute façon, aucune sanction effective ne serait prise à l'encontre des personnes dont la responsabilité aurait été établie.

95.En ce qui concerne l'aboutissement des plaintes, le Ministre de l'intérieur a déclaré qu'entre 1997 et 1999, 361 policiers avaient été lourdement sanctionnés pour les délits ci‑après (énumérés en fonction du nombre de cas) : mauvais traitements, détention illégale, ouverture injustifiée d'une procédure pénale et perquisition illégale. La plupart d'entre eux avaient été rétrogradés, 47 licenciés et 31 inculpés d'une infraction pénale. Selon le Ministre, les mesures disciplinaires prises par ses services avaient été jugées suffisantes par les victimes présumées car, a‑t‑il fait observer, en 1999 seules 25 plaintes avaient été déposées par l'intermédiaire d'ONG internationales concernant l'insuffisance des mesures disciplinaires. Il a fait observer que les cas présentés par Amnesty International avaient fait l'objet de plusieurs enquêtes, à la suite desquelles 16 autres fonctionnaires avaient fait l'objet de mesures disciplinaires. En 1999, 30 policiers ont été frappés par des mesures disciplinaires, six ont été licenciés et deux ont fait l'objet de poursuites pénales.

96.Le Ministre de l'intérieur a informé le Rapporteur spécial de la création d'un département des enquêtes internes au sein de son ministère. Ce département, qui est composé de 30 fonctionnaires, doit procéder immédiatement à une enquête lorsqu'un membre des forces de police est accusé par un particulier, la presse ou des ONG d'avoir porté atteinte aux droits des personnes placées sous leur garde. Le 4 mars 2000, il avait publié un arrêté sur les mesures supplémentaires nécessaires pour assurer le respect de la légalité par le personnel. Si l'on possède suffisamment d'éléments de preuve pour engager une procédure pénale, le dossier doit être adressé au bureau du procureur pour examen. Dans le cas contraire, des sanctions disciplinaires ou administratives doivent être prises telles que rétrogradation et réprimandes ordinaires. Il a aussi signalé la création récente au sein de son ministère d'un service responsable de la formation et d'autres activités d'éducation du personnel. Un certain nombre de fonctionnaires ont été ainsi détachés dans les différents sièges de la police de district pour former les policiers, en particulier dans le domaine des droits de l'homme. Cette discipline a aussi été ajoutée au programme d'études de l'école de police.

97.Le chef du Département de la lutte contre la criminalité organisée a informé le Rapporteur spécial qu'en 1999, trois de ses fonctionnaires avaient fait l'objet d'un blâme ou été rétrogradés pour avoir gardé un suspect en détention au delà du délai légal et pour avoir procédé à des perquisitions illégales. Aucun cas de mauvais traitement n'avait été signalé en 1999 et pendant le premier trimestre de 2000.

98.La Présidente de la Cour suprême a annoncé au Rapporteur spécial que la Cour suprême siégeant en formation plénière, avait récemment abordé des questions relevant de son mandat dans une décision qui avait été communiquée à tous les tribunaux. La Cour demandait en particulier à tous les juges de s'assurer de la légalité de la détention de toute personne qui comparaissait devant eux et de contrôler les conditions dans lesquelles elle était détenue, même si aucune plainte précise n'avait été formulée. Elle réaffirmait en outre le principe en vertu duquel les témoignages obtenus sous la contrainte ne doivent pas être invoqués comme éléments de preuve devant les tribunaux. La Présidente de la Cour suprême a toutefois relevé qu'à son avis la plupart des allégations de torture formulées devant les tribunaux émanaient d'inculpés qui voulaient revenir sur des aveux qu'ils avaient faits en toute liberté. Les juges devraient toujours se fonder sur d'autres éléments pour déterminer si les aveux ont été obtenus sous la contrainte.

99.Par ailleurs, le Ministre de la justice a dit qu'une plainte pour torture ne devait jamais être admise a priori comme moyen de défense, mais devait toujours donner lieu à une enquête approfondie. Il a précisé que les autorités judiciaires devaient prendre l'initiative dans ce domaine en vérifiant la situation, car il reconnaissait que les victimes pouvaient avoir peur de se plaindre même devant un magistrat. Il a aussi signalé que les juges avaient été invités à prêter une attention particulière, lorsqu'ils évaluaient les éléments de preuve, à la façon dont ceux‑ci avaient été obtenus. Les juges devaient notamment demander systématiquement si les inculpés avaient bénéficié de l'assistance d'un avocat. L'importance de l'indépendance du pouvoir judiciaire a aussi été soulignée. Le Ministre a en particulier mentionné la nouvelle procédure de sélection des juges, y compris ceux de la Cour suprême, qui consiste à leur faire passer un examen. Il a par ailleurs suggéré que les enquêteurs aient pour instruction de réclamer un examen médical courant à chaque fois qu'ils ont un doute sur l'état de santé des suspects ou des détenus.

100.Selon le Ministre, des mesures sévères avaient été prises à l'encontre d'agents de la force publique reconnus coupables d'actes de torture : ils avaient fait l'objet de sanctions administratives et, dans certains cas, de poursuites pénales. Le Procureur général a, lui aussi, assuré le Rapporteur spécial que ses services effectuaient toujours une enquête sur tous les cas de torture, de détention illégale et de déni du droit de consulter un avocat. Un service spécial a été créé au sein de son bureau pour examiner ces plaintes. En outre, le chef du Département des organes chargés de l'application des lois et le Ministre de la justice ont indiqué qu'à l'avenir les lois d'amnistie ne seraient plus applicables aux auteurs d'actes de torture. Le 10 mars 2000, la réunion spéciale de la Commission d'examen des recours en grâce du Cabinet du Président avait examiné les recommandations du Comité contre la torture et décidé que les mesures d'amnistie ou de grâce ne seraient pas applicables aux personnes reconnues coupables de torture et de traitements inhumains. De plus, les cinq lois d'amnistie adoptées pendant la période 1996‑1999 excluent la possibilité d'une amnistie pour les personnes inculpées ou reconnues coupables des infractions mentionnées au paragraphe 2 de l'article 168 ("excès de pouvoir") du précédent Code pénal.

101.Le Rapporteur spécial accueille avec satisfaction les informations selon lesquelles le Ministère des affaires étrangères examine actuellement la possibilité de faire les déclarations visées aux articles 21 et 22 de la Convention contre la torture.

102.Conformément au nouveau Code de procédure pénale, des rapports d'expertise médico-légale peuvent être obtenus directement auprès des médecins légistes relevant du Ministère de la santé ou de médecins privés. Lors de la visite du Rapporteur spécial, les rapports d'expertise ne pouvaient être obtenus que sur instructions de la police. Il a été signalé également que les personnes en détention provisoire n'avaient pas le droit de consulter leur propre médecin et que les détenus et leurs avocats, n'avaient pas le droit de faire procéder à une expertise médico‑légale ou à d'autres expertises. Le Rapporteur spécial n'a pas reçu les informations qu'il avait demandées aux autorités concernant les nouvelles dispositions législatives se rapportant à ce sujet.

103.Les juges auraient par ailleurs été invités par la Cour suprême en formation plénière à expliquer par tous les moyens appropriés aux personnes victimes de torture et d'autres actes illégaux qu'elles ont droit à réparation pour le tort moral et physique subi et à créer les conditions nécessaires pour qu'elles puissent effectivement bénéficier de ce droit.

104.Enfin, le Ministre de la justice a reconnu que la surveillance des lieux de détention devait être assurée par un organisme indépendant comme le CICR. À ce propos, le Rapporteur spécial se félicite de l'accord intervenu récemment entre le Gouvernement et le CICR autorisant ce dernier à visiter tous les centres de détention.

III. CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS

A.Conclusions

105.Le Rapporteur spécial exprime sa reconnaissance aux autorités pour toutes les facilités qu'elles lui ont accordées. Les modalités d'accomplissement de sa mission ont été scrupuleusement respectées. Il n'a en particulier jamais été empêché de visiter des centres de détention ou d'y retourner à l'improviste et a pu s'entretenir en toute liberté avec les personnes détenues, en présence des seuls membres de son équipe.

106.L'Azerbaïdjan, qui était autrefois une république soviétique, n'est devenu indépendant qu'en août 1991. Sa population de quelque 7 millions d'habitants est à peu près également répartie dans les zones rurales et urbaines. Les villes sont plus prospères que la campagne. Le pays possède d'importantes ressources naturelles, notamment du pétrole, et des installations d'extraction et de raffinage et le secteur agricole est suffisamment développé pour permettre, ou du moins, laisser espérer, l'autosuffisance.

107.Du point de vue historique et culturel, l'Azerbaïdjan se considère comme un pont entre l'Europe et l'Asie. Sur le plan politique, il aspire à faire partie du système géopolitique de l'Europe. Il est membre de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe et a demandé à faire partie du Conseil de l'Europe.

108.Bien que l'Azerbaïdjan soit officiellement à présent une démocratie multipartite, nombre d'Azerbaïdjanais se demandent si les majorités écrasantes obtenues aux élections présidentielles et parlementaires reflètent bien la réalité. D'autre part, la direction politique actuelle semble avoir apporté une certaine stabilité par rapport au début des années 90 où la cohérence de l'État était sérieusement menacée, même si le Gouvernement a été confronté à des conflits armés vers le milieu des années 90. Les réformes du système électoral actuellement en cours sont considérées comme une solution possible à la question de la légitimité des autorités politiques.

109.De l'avis général, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays, la corruption est un phénomène répandu et s'étend à l'administration de la justice. C'est apparemment l'une des raisons à l'origine de la réforme radicale du système judiciaire entreprise sous les auspices de la Banque mondiale.

110.En ce qui concerne certains points précis relatifs au traitement des détenus, des améliorations considérables ont été enregistrées. L'abolition de la peine de mort en février 1998 a été fréquemment évoquée avec une fierté compréhensible par les interlocuteurs officiels du Rapporteur spécial. Le fait que les établissements pénitentiaires et les centres de détention provisoire pour prévenus (SIzo) ne relèvent plus du Ministère de l'intérieur mais du Ministère de la justice aurait aussi grandement contribué à améliorer les conditions de détention. Il est certain que la forte diminution de population carcérale, favorisée notamment par les amnisties présidentielles successives conjuguée aux améliorations considérables apportées par le Ministère de la justice aux conditions matérielles et au régime des détenus (ainsi que les autres mesures prévues) ont entraîné une diminution spectaculaire des plaintes de détenus concernant les conditions de détention. Le Vice‑Ministre responsable du système pénitentiaire a été particulièrement heureux de montrer au Rapporteur spécial les installations aux rencontres privées de longue durée entre les détenus et leur famille dans le centre No 1.

111.Il reste encore beaucoup à faire ainsi que le Vice‑Ministre en a lui‑même convenu, pour améliorer les centres de détention provisoire pour prévenus, qui ne relèvent du Ministère de la justice que depuis 1999. Il existe cinq établissements de ce genre, et le Rapporteur spécial en a visité trois à Bakou (ceux de Bailov et de Shuvelan et celui qui se trouve au Ministère de la sécurité nationale). Les deux autres sont situés, l'un dans la ville de Ganja et l'autre dans la région de Naxçivan. Faute de ressources, l'alimentation des détenus est minimale à Bailov et probablement aussi dans d'autres établissements. De toute évidence, la culture du personnel, qui était encore, il y a peu, composé de fonctionnaires du Ministère de l'intérieur, laissait encore à désirer.

112.À Gobustan, deux prisonniers étaient en quarantaine, à la suite d'un examen médical qui n'avait eu lieu que cinq jours après leur admission. L'un d'eux était apparemment atteint de tuberculose.

113.Toutefois, durant la mission, le Rapporteur spécial a axé son attention sur le traitement des personnes qui étaient aux mains des agents des forces de l'ordre, lesquels sont pour la plupart des fonctionnaires du Ministère de l'intérieur. Les principaux lieux de détention dont ces derniers ont le contrôle sont les locaux prévus à cet effet dans les bureaux de police régionaux et les unités de police locales qui en relèvent (commissariats), où des personnes peuvent être gardées à vue pendant trois heures au plus, et les installations de détention temporaire où la détention peut durer jusqu'à trois jours, mais dans certaines circonstances jusqu'à 10, voire 30 jours.

114.Le Rapporteur spécial est d'avis, sur la base des nombreux témoignages qu'il a reçus et en particulier ceux émanant de détenus, qui, manifestement poussés par la peur, ont demandé qu'on taise leur identité et qui n'avaient, donc, personnellement rien à gagner à formuler de telles allégations, que la torture ou de mauvais traitements similaires sont une pratique répandue. En fait, si nombreux sont ceux qui la croient systématique qu'il suffit que les policiers qui les interrogent évoquent les conséquences fâcheuses qui pourraient s'ensuivre s'ils ne se plient pas à leurs exigences (par exemple signer des aveux) pour qu'ils soient persuadés qu'ils vont être torturés. Pour certains, le simple fait d'être arrêté signifie la même chose.

115.Il aurait fallu que le Rapporteur spécial reste beaucoup plus longtemps dans le pays pour pouvoir vérifier si ces craintes sont fondées mais il est clair que les détenus et les autorités responsables des enquêtes n'ont souvent rien fait pour les dissiper. Le Rapporteur spécial fait observer que la crainte d'être torturé physiquement peut constituer en soi une torture mentale.

116.Le Rapporteur spécial a aussi noté avec préoccupation qu'une personne transférée dans un centre de détention provisoire pour prévenus pouvait être remise à nouveau entre les mains de la police sur ordre d'un Procureur, car cela augmentait le risque qu'elle soit soumise à des mauvais traitements et plus concrètement, réveillait sa crainte de l'être. Cela pouvait naturellement amener les détenus à penser qu'ils seraient soumis à des pressions même lorsque les interrogatoires menés dans le cadre d'une instruction en cours avaient lieu en fait dans un centre de détention pour prévenus relevant du Ministère de la justice.

117.En fait, le Rapporteur spécial a l'impression que le nombre de cas de torture physique a diminué depuis deux ans environ, en particulier en ce qui concerne les personnes détenues en raison d'activités criminelles qu'elles auraient commises pour des motifs politiques. Il a été toutefois convaincu par les nombreux témoignages reçus qu'il a recueillis à Gobustan et ailleurs que des tortures systématiques et prolongées avaient été infligées à tous les détenus soupçonnés d'avoir pris part à la tentative d'évasion de cette prison en janvier 1999.

118.Dans de telles circonstances, la peur perceptible qu'il avait sentie chez les personnes détenues au siège du Ministère de la sécurité nationale paraissait bien compréhensible, d'autant plus que les locaux en question servent à la fois de commissariat de police, d'installation de détention temporaire et de centre de détention provisoire où des prévenus peuvent être incarcérés jusqu'à ce qu'ils soient reconnus coupables et condamnés. En outre, le fonctionnaire responsable des cellules a bien précisé que ni lui ni son personnel ne suivait ce qui se passait entre les enquêteurs et les détenus durant les interrogatoires mais que les détenus n'étaient soumis à aucun mauvais traitement dans les locaux de détention dont il avait la responsabilité. En effet, le Rapporteur spécial a pu constater que les conditions y étaient exemplaires.

119.Le Rapporteur spécial est conscient des importantes répercussions que des réformes juridiques considérables pourraient avoir sur la situation. Les mauvais traitements ont été de toute évidence facilités par le pouvoir qu'ont les procureurs de prolonger la durée de la garde à vue dans les installations de détention temporaire (relevant du Ministère de l'intérieur) jusqu'à 30 jours. Si les détenus ont rarement accès aux services d'un avocat, soit parce qu'ils ne savent pas quel est le rôle d'un avocat, soit parce qu'ils ne peuvent avoir recours qu'aux avocats commis d'office, qui sont souvent mal payés et peu motivés, et qu'ils préfèrent par conséquent renoncer à leurs droits (la peur peut aussi les amener à le faire), c'est que les dispositions législatives se rapportant à l'exercice de ce droit ne garantissent pas suffisamment la sécurité des détenus.

B.  Recommandations

120.En conséquence, le Rapporteur spécial fait les recommandations suivantes :

a)Le Gouvernement devrait veiller à ce que toutes les allégations de torture et de mauvais traitements similaires fassent rapidement l'objet d'enquêtes indépendantes et approfondies réalisées par un organe en mesure de poursuivre les coupables;

b)Les procureurs devraient régulièrement procéder à des inspections, y compris des visites à l'improviste, dans tous les lieux de détention. De même les Ministères de l'intérieur et de la sécurité nationale devraient mettre en place des procédures efficaces de discipline et de contrôle interne du comportement de leurs agents, en particulier dans le but d'éliminer les pratiques de torture et de mauvais traitements; le recours à ces procédures ne devrait pas être subordonné à l'existence d'une plainte formelle. En outre, les organisations non gouvernementales et d'autres membres de la société civile devraient être autorisés à visiter les lieux de détention et à s'entretenir en privé avec tous les détenus;

c)Les magistrats et les juges, comme les membres du parquet, devraient toujours demander aux personnes qui ont été en garde à vue comment elles ont été traitées et être particulièrement attentifs à leur état de santé;

d)Lorsqu'il existe des éléments de preuve fiables, selon lesquels une personne a été soumise à des actes de torture ou à des mauvais traitements similaires, une indemnité adéquate doit être versée rapidement; un système devrait être mis en place à cette fin;

e)Les aveux faits par une personne en garde à vue, en dehors de la présence d'un avocat, ne devraient pas pouvoir être retenus comme preuve à charge;

f)Étant donné les nombreux renseignements faisant état du caractère inadéquat de l'aide fournie par les avocats commis d'office, des mesures devraient être prises pour améliorer les services d'aide judiciaire;

g)L'enregistrement vidéo et audio de la procédure suivie dans les locaux d'interrogatoire de la police devrait être envisagé;

h)En raison de la fréquence des cas dans lesquels des personnes privées de leur liberté ne sont pas informées de leurs droits, il faudrait envisager des campagnes de sensibilisation du public sur les droits de l'homme essentiels, et en particulier sur les pouvoirs de la police;

i)Le Gouvernement devrait envisager de toute urgence de cesser d'utiliser le centre de détention du Ministère de la sécurité nationale, de préférence dans tous les cas, ou du moins d'en faire une simple unité de détention temporaire;

j)Le Rapporteur spécial apprécie que le Haut‑Commissariat aux droits de l'homme continue à fournir des services consultatifs; il note que la publication parue dans la série sur la formation professionnelle et intitulée Droits de l'homme et application des lois : manuel de formation à l'intention des services de police a été traduite en azeri; en conséquence le Gouvernement est invité à envisager de mettre l'accent, dans le programme de coopération technique, sur les activités de formation de la police et, éventuellement, des fonctionnaires du Ministère de la sécurité nationale chargés des enquêtes, dès que la recommandation i) aura été appliquée;

k)Le Gouvernement devrait aussi envisager de faire appel aux services consultatifs du Haut‑Commissariat aux droits de l'homme pour les activités de formation des fonctionnaires du bureau du Procureur général;

l)Le Gouvernement est invité à envisager favorablement de faire la déclaration prévue à l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, en vertu duquel le Comité contre la torture peut recevoir des plaintes individuelles émanant de particuliers qui prétendent être victimes d'une violation des dispositions de la Convention. Il est également invité à envisager de ratifier le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de sorte que le Comité des droits de l'homme puisse recevoir des plaintes individuelles.

Notes