NATIONS

UNIES

E

Conseil Économique

et Social

Distr.GÉNÉRALE

E/CN.4/2000/68/Add.28 février 2000

FRANÇAISOriginal : ANGLAIS

COMMISSION DES DROITS DE L'HOMMECinquante‑sixième sessionPoint 12 a) de l'ordre du jour provisoire

INTÉGRATION DES DROITS FONDAMENTAUX DES FEMMESET DE L'APPROCHE SEXOSPÉCIFIQUE

VIOLENCE CONTRE LES FEMMES

Rapport de la Rapporteuse spéciale chargée de la question de la violencecontre les femmes, y compris ses causes et ses conséquences,Mme Radhika Coomaraswamy, présenté en application de la résolution 1997/44 de la Commission des droits de l'homme

Additif

Rapport sur la mission à Cuba

TABLE DES MATIÈRES

ParagraphesPage

I.INTRODUCTION1 - 83

II.CONCLUSIONS GÉNÉRALES9 - 164

III.COLLECTE DE DONNÉES ET VIOLENCECONTRE LES FEMMES17 - 786

A.Violence dans la famille24 - 348

B.Viol et sévices sexuels35 - 3711

C.Harcèlement sexuel38 - 4412

TABLE DES MATIÈRES (suite)

ParagraphesPage

D.Traite et prostitution45 - 5813

E.Femmes détenues59 - 6517

F.Droits civils et politiques des femmes cubaines66 - 6718

G.Droits économiques et sociaux des femmes cubaines68 - 7819

IV.SOCIÉTÉ CIVILE ET ORGANISATIONS DE MASSE79 - 9221

V.RECOMMANDATIONS93 - 10424

A.Au niveau international93 - 9624

B.Au niveau national97 - 10425

I. INTRODUCTION

1.Comme suite à l'invitation du Gouvernement cubain adressée par une lettre datée du 17 août 1998, la Rapporteuse spéciale chargée de la question de la violence contre les femmes a effectué une visite à Cuba du 7 au 12 juin 1999 pour y étudier la situation en ce qui concerne la violence contre les femmes, y compris ses causes et ses conséquences.

2.La Rapporteuse spéciale exprime sa gratitude pour la coopération et l'aide qui lui ont été accordées par le Gouvernement cubain, et en particulier par Mme Vilma Espin Guillois, Présidente de la Fédération des femmes cubaines (Federacion de Mujeres Cubanas) et ses collaboratrices, qui lui ont permis de s'entretenir avec des responsables gouvernementaux au plus haut niveau, ainsi qu'avec des représentants des autorités des provinces de Villa Clara et de Pinar del Rio. Elle a également pu rencontrer des représentants de la société civile et se rendre dans une prison pour femmes de La Havane ainsi que dans un centre de réinsertion des anciennes professionnelles du sexe.

3.La Rapporteuse spéciale est particulièrement reconnaissante de la coopération et de l'appui efficaces dont elle a bénéficié de la part de M. Ariel Français, Coordonnateur résident de l'ONU et Représentant résident du PNUD à La Havane, ainsi que de la part de M. Jorge Chediek, Représentant résident adjoint, et de Mme Sara Almer, administrateur de programmes du PNUD à La Havane, en vue d'assurer le succès de sa visite tant sur le fond que sur le plan logistique.

4.La Rapporteuse spéciale a rencontré le Président Fidel Castro, le nouveau Ministre des affaires étrangères et le Vice‑Ministre des affaires étrangères, ainsi que le Ministre de la justice, le Ministre et le Vice‑Ministre de la santé, le Ministre de la science, de la technologie et de l'environnement et le Vice‑Ministre du travail et de la sécurité sociale. Elle s'est également entretenue avec le Procureur général, le Président du Tribunal suprême populaire, le Président de l'Assemblée nationale du pouvoir populaire et le Directeur adjoint de la police révolutionnaire cubaine. À Villa Clara et à Pinar del Rio, la Rapporteuse spéciale a rencontré des représentants de l'Administration provinciale, des membres du Conseil provincial populaire et des membres des sections provinciales de la Fédération des femmes cubaines. En outre, elle a rencontré au cours de sa visite des représentants syndicaux, des travailleurs sociaux et des travailleurs chargés de la prévention sociale, des membres de l'Union nationale des juristes, de l'Union nationale des écrivains et des artistes et de l'Union nationale des journalistes, ainsi que des universitaires et des chercheurs.

5.La Rapporteuse spéciale a pu obtenir des informations et des documents qui lui ont permis de rendre compte à la Commission des droits de l'homme des politiques et des stratégies mises en place par le Gouvernement pour faire face à la situation en matière de violence contre les femmes dans le pays. Elle a également reçu de sources extérieures des documents concernant la condition des femmes à Cuba.

6.La Rapporteuse spéciale est pleinement consciente de l'importance de sa visite à Cuba : c'était la première fois en effet que le Gouvernement cubain adressait une invitation à un représentant d'un organe de l'ONU s'occupant des droits de l'homme. Les représentants du Gouvernement se sont vivement félicités de la visite de la Rapporteuse spéciale; le Ministre des affaires étrangères et son Vice‑Ministre, en particulier, ont indiqué que cette visite avait valeur de test pour établir s'il convenait ou non d'inviter à se rendre à Cuba d'autres rapporteurs spéciaux qui en avaient fait la demande.

7.Aussi la Rapporteuse spéciale espère‑t‑elle que le présent rapport sera considéré dans ce contexte novateur comme un apport constructif et axé sur l'avenir, destiné à jeter les bases d'une coopération effective entre le Gouvernement cubain et les organismes compétents en matière de droits de l'homme. Il importe que la communauté internationale, y compris les gouvernements et les organisations non gouvernementales, s'emploient à favoriser une coopération plus fructueuse avec le Gouvernement et le peuple cubains dans le domaine des droits de l'homme afin d'assurer la promotion et la protection réelles des droits de l'homme pour l'ensemble de la population du pays.

8.C'est dans cet esprit que, dans le présent rapport, la Rapporteuse spéciale examine la situation de la violence contre les femmes à Cuba du point de vue des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, tout en reconnaissant qu'il conviendrait que d'autres organes compétents en matière de droits de l'homme procèdent à de nouvelles études plus approfondies sur la question. Le Gouvernement a souligné qu'il entendait poursuivre sa coopération avec les organes chargés de veiller à l'application des traités relatifs aux droits de l'homme et qu'il s'employait à déceler les lacunes existant dans la législation nationale en vue d'assurer une pleine harmonie entre les lois nationales de Cuba et les obligations qui lui sont imposées par le droit international. Le Vice‑Ministre des affaires étrangères a indiqué qu'il s'agissait d'une entreprise multidisciplinaire menée au sein du Gouvernement. La Rapporteuse spéciale espère que le Gouvernement cubain démontrera son attachement aux valeurs universelles des droits de l'homme et aux obligations qui lui incombent en vertu des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme en adressant dès que possible une invitation aux rapporteurs spéciaux qui ont demandé à se rendre dans le pays.

II. CONCLUSIONS GÉNÉRALES

9.L'Organisation des Nations Unies a exprimé fermement ses réserves à l'égard de la situation des droits de l'homme à Cuba. Dans sa résolution 1999/8, adoptée en avril 1999 par 21 voix contre 20, avec 12 abstentions, la Commission des droits de l'homme a exprimé sa préoccupation devant la persistance, à Cuba, de violations des droits de l'homme et des libertés fondamentales, telles que les libertés d'expression, d'association et de réunion et les droits associés à l'administration de la justice, en dépit des espoirs suscités par certaines mesures positives prises par le Gouvernement cubain ces toutes dernières années.

10.Pour ce qui est de la situation des femmes, les choses sont quelque peu différentes. Tous les interlocuteurs de la Rapporteuse spéciale ont été d'avis que la révolution de 1959 avait été un tournant décisif pour les femmes cubaines. On estime généralement que la participation pleine et entière des femmes au développement et à la société est peu à peu devenue une réalité au cours des 40 années qui ont suivi la révolution. La libération des femmes dans le domaine professionnel a progressé, tant en milieu urbain que dans les zones rurales. Selon les statistiques qui ont été fournies à la Rapporteuse spéciale, les femmes à Cuba représentent 58 % des détenteurs de diplômes universitaires et occupent 65,5 % des postes de techniciens et de spécialistes ainsi que 30,5 % des postes de gestion. Actuellement, 27,6 % des parlementaires sont des femmes. La Rapporteuse spéciale s'est félicitée de la "féminisation de l'appareil judiciaire" : à Cuba, 70 % de ses membres et 60,2 % des juges sont des femmes. Cuba est l'un des rares pays où les progrès de la situation des femmes ont conduit à envisager l'instauration de quotas pour les hommes dans certaines disciplines universitaires, telles que la médecine. La révolution cubaine a apporté aux femmes de multiples avantages, conclusion qui n'a guère été contestée par les divers parties, groupes ou particuliers avec lesquels la Rapporteuse spéciale s'est entretenue.

11.En ce qui concerne le problème particulier de la violence contre les femmes, la situation était plus ambiguë. Le sentiment général exprimé dans les milieux officiels était que la violence contre les femmes n'était pas un problème à Cuba. La Rapporteuse spéciale a été informée que, selon les statistiques, les cas de violence signalés étaient peu nombreux et que les femmes, étant économiquement indépendantes, ne toléraient pas la violence familiale. Les autorités ont fait valoir que les principes idéologiques du socialisme interdisaient le recours à la violence, contrairement à ce que l'on observait dans les pays capitalistes. Ces perceptions conditionnaient la manière dont Cuba abordait la question de la violence contre les femmes. En dépit de tous les efforts déployés par les organisations féminines, le corps législatif, en particulier, maintenait qu'aucune mesure ne s'imposait à l'égard de la violence contre les femmes et que toute nouvelle loi en la matière serait superflue. Les autorités judiciaires étaient elles aussi convaincues que la situation actuelle était tout à fait satisfaisante. Ce sentiment que tout allait bien et qu'aucune disposition n'était nécessaire était déconcertant. En effet, la violence familiale et le harcèlement sexuel constituent des délits "invisibles". Tant que les pouvoirs publics n'auront pas adopté une approche plus active, il sera impossible de remédier aux problèmes de la violence familiale, du viol et du harcèlement sexuel. La Rapporteuse spéciale engage vivement le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif à examiner de près les réformes législatives entreprises dans d'autres pays d'Amérique latine en ce qui concerne la violence familiale, le viol et le harcèlement sexuel et à évaluer ensuite la nécessité d'apporter tel ou tel amendement à la législation cubaine. Il conviendrait en outre que le Gouvernement lance des programmes de sensibilisation à l'intention du corps judiciaire, de la police, des procureurs et des diverses catégories de travailleurs sociaux.

12.Tandis que les pouvoirs publics se montraient sceptiques quant à la nécessité de prévoir des programmes concernant la violence contre les femmes, la Rapporteuse spéciale a vivement apprécié l'activité déployée par la Fédération des femmes cubaines (Federacion de Mujeres Cubanas (FMC)). La FMC, organisée en un vaste réseau qui couvre l'ensemble du pays, s'intéresse de près aux problèmes de la violence au niveau local et a lancé des programmes de recherche et d'intervention communautaire. Des représentantes de la FMC ont permis à la Rapporteuse spéciale de rencontrer des victimes qui étaient venues demander de l'aide dans l'un ou l'autre des nombreux centres que comprend la Fédération dans le pays. Les programmes de la FMC sont exposés en détail ci‑dessous.

13.Pour donner suite à la quatrième Conférence mondiale sur les femmes tenue à Beijing en 1995 et à laquelle Cuba a participé, un conseil d'État, comprenant des représentants d'organisations non gouvernementales, a été chargé de mettre en œuvre le Programme d'action de Beijing et le Plan d'action national cubain. La FMC sert de centre de coordination de ces activités. Durant sa visite à Cuba, la Rapporteuse spéciale a noté que la plupart des programmes visant à éliminer la violence contre les femmes avaient été établis à la suite de la Conférence de Beijing, c'est‑à‑dire à une date relativement récente. Elle se félicite de ces efforts mais espère en même temps que les programmes et activités proposés pour combattre la violence contre les femmes à Cuba, qui semblent avoir un caractère global et multidisciplinaire, seront effectivement mis en œuvre. Il est encore trop tôt pour qu'elle puisse évaluer l'efficacité de nombre de ces programmes mais elle espère poursuivre le dialogue engagé avec le Gouvernement cubain et la FMC afin de suivre les progrès accomplis dans ce domaine.

14.Les femmes dont les opinions politiques ne sont pas acceptables aux yeux du Gouvernement constituent un des groupes de femmes vulnérables à Cuba. La principale raison de cette vulnérabilité est le refus du Gouvernement d'admettre que des organisations politiques et civiles indépendantes puissent exercer une surveillance à son endroit. La Rapporteuse spéciale a reçu des allégations et des informations concernant de nombreux cas de femmes détenues arbitrairement pour cause de militantisme politique ou journalistique. Elle a engagé un dialogue avec le Procureur général au sujet de deux affaires précises, et a reçu l'assurance qu'elle pourrait rencontrer la femme détenue dans le cadre de l'une de ces deux affaires lorsqu'elle visiterait la prison. Toutefois, le moment venu, la Rapporteuse spéciale a été informée que la femme en question, souffrante, avait été hospitalisée. La détention arbitraire demeure l'une des plus graves violations des droits de l'homme à Cuba, même pour ce qui concerne les cas de violence à l'encontre des femmes.

15.La Rapporteuse spéciale s'est également inquiétée au sujet des femmes détenues dans des centres de rééducation aux fins d'une "modification du comportement" pour s'être livrées à la prostitution. Étant donné qu'à Cuba la prostitution n'est pas considérée comme une infraction pénale, le recours à des sanctions pénales telles que l'emprisonnement, le travail forcé dans l'agriculture et la limitation à quelques heures du temps de visite constitue une violation du droit de ces femmes à une procédure régulière.

16.Les recherches menées par la Rapporteuse spéciale l'ont conduite à reconnaître que les sanctions économiques contre Cuba imposées par les États‑Unis d'Amérique avaient des répercussions notables sur la situation sociale et économique des femmes cubaines. Le manque de médicaments et de produits pharmaceutiques dans les hôpitaux publics où s'est rendue la Rapporteuse spéciale était évident, même si les conditions régnant dans ces hôpitaux étaient exemplaires par comparaison avec ce que l'on pouvait observer dans les pays du tiers monde. De plus, s'agissant de la qualité de la vie des femmes, des groupes de femmes ont fourni à la Rapporteuse spéciale des indications sur les difficultés que connaissaient les femmes dans leur foyer du fait de l'embargo, en soulignant que l'embargo et les difficultés qui s'ensuivaient se traduisaient par des cas de violence familiale. On peut invoquer l'argument contraire selon lequel cette situation résulte non pas de l'embargo mais d'une mauvaise gestion économique de la part du Gouvernement central. Quoi qu'il en soit, la Rapporteuse spéciale est convaincue, d'après tout ce qu'elle a vu et entendu, que l'embargo imposé unilatéralement par les États‑Unis a des effets négatifs particulièrement graves sur la vie des femmes cubaines et qu'il conviendrait que d'autres organes des Nations Unies s'intéressant aux droits économiques et sociaux se penchent sur la question de savoir si l'embargo imposé par les États‑Unis revient effectivement à priver les femmes cubaines de leurs droits économiques et sociaux.

III. COLLECTE DE DONNÉES ET VIOLENCE CONTRE LES FEMMES

17.Il est difficile d'établir l'ampleur et la fréquence du phénomène de la violence contre les femmes à Cuba. Le manque de statistiques sur la violence contre les femmes reste un problème majeur, reconnu par la plupart des personnes que la Rapporteuse spéciale a rencontrées. Certains efforts sont faits actuellement pour remédier à cette situation. Le Procureur général a informé la Rapporteuse spéciale que l'Office des plaintes, qui relève de ses services, n'avait enregistré que peu de plaintes pour violence contre les femmes, en raison notamment du silence qui entoure ce problème. Le Gouvernement a laissé entendre que, dans le cadre de la mise en œuvre du Plan d'action national pour le suivi de la Conférence de Beijing, des statistiques sur les ménages allaient être rassemblées. En ce qui concerne le manque de données ventilées par sexe, le Président de la Cour suprême a informé la Rapporteuse spéciale que celle‑ci avait entrepris, sous la direction de son Vice‑Président, de mettre au point un système de rassemblement de statistiques destiné à permettre de combler cette lacune. Le Président du tribunal provincial de Santiago de Cuba a signalé à la Rapporteuse spéciale que celui‑ci s'employait depuis trois ans déjà à coordonner les travaux de recherche sur la violence contre les femmes afin de permettre aux juges de prendre conscience de l'étendue du problème. Ces recherches s'étaient avérées utiles puisqu'elles avaient sensibilisé les juges au problème de la violence contre les femmes. La Rapporteuse spéciale a également été informée que certaines institutions des Nations Unies fournissaient aux autorités gouvernementales une assistance en matière de collecte de données : l'UNICEF avait apporté un appui à la collecte de données en 1999 et le Fonds de développement des Nations Unies pour la femme (UNIFEM) contribuait actuellement à la production de données ventilées par sexe.

18.Les seules statistiques ayant trait directement à la violence contre les femmes qui ont été communiquées à la Rapporteuse spéciale sont les données suivantes, fournies par la police révolutionnaire cubaine :

1998

1999(premier semestre)

Coups et blessures

5 791

1 944

Viols

963

344

Violences sexuelles

22

11

Outrages sexuels

40

25

Incitation à la débauche

577

n.c.

19.En 1998, 3,6 % des victimes féminines de la violence étaient des mineures. Dans la majorité des cas, l'agresseur est connu de la victime (amant, conjoint ou ex‑conjoint).

20.La recherche et les études universitaires fournissent de nombreux renseignements et documents sur la situation des femmes à Cuba et des études récentes traitent expressément du problème de la violence contre les femmes. La plupart des travaux de recherche sur des questions intéressant les femmes sont menés dans le cadre des "catedras de la mujer" (chaires d'études féminines) qui sont rattachées aux établissements universitaires. Il existe à Cuba 15 "catedras", où les universitaires qui le souhaitent mènent ensemble des recherches sur divers sujets intéressant les femmes.

21.À l'Université de La Havane, la Rapporteuse spéciale a eu une discussion intéressante avec des femmes universitaires de la "chaire d'études féminines", qui ont souligné à quel point la révolution avait modifié le rôle des femmes dans la société cubaine, où elles occupaient désormais une place importante dans la plupart des domaines d'activité. Certes, la société cubaine demeurait patriarcale, mais le renforcement du rôle social des femmes s'accompagnait d'une évolution de la législation, favorisant elle‑même une certaine évolution des relations entre les sexes. Les participantes à la discussion ont estimé que, comme dans la plupart des pays d'Amérique latine, la culture "machiste" restait bel et bien présente dans la société cubaine mais que, depuis la révolution, bien des choses avaient changé dans ce domaine.

22.Les personnes travaillant dans le domaine des médias avec lesquelles la Rapporteuse spéciale s'est entretenue ont indiqué que, si les femmes y étaient bien représentées, les choses n'avaient guère changé en revanche pour ce qui était des stéréotypes et des préjugés sexistes. En même temps, la presse et les médias abordaient ouvertement la question de la violence contre les femmes. La rédactrice en chef d'une revue intitulée Sexologia y Sociedad a informé la Rapporteuse spéciale qu'elle recevait des plaintes de femmes victimes de violences et que celles‑ci n'acceptaient pas passivement la violence, mais connaissaient leurs droits et engageaient des poursuites contre leurs agresseurs. À preuve, le taux élevé de divorce dans le pays, lequel démontrait à son tour l'indépendance des femmes cubaines.

23.La Commission nationale de prévention et de protection sociales a été créée il y a 15 ans pour étudier, d'un point de vue multidisciplinaire, la planification des politiques et les questions institutionnelles touchant la violence en général. Elle est composée de représentants des Ministères de la justice, de la culture, de l'éducation, de l'enseignement supérieur et de la santé ainsi que d'organisations de masse. La Commission a lancé des programmes contre l'alcoolisme et les comportements suicidaires et, plus récemment, a mis au point un programme national contre la violence. Dans le cadre de ce programme national, un groupe de travail pour la prévention et la répression de la violence dans la famille, chargé notamment de combattre la violence envers les femmes, a été établi au début de 1999, et un plan de travail impressionnant a été présenté à la Rapporteuse spéciale. Parmi les multiples activités prévues par ce groupe de travail figurent notamment la production et la diffusion de brochures d'information sur la violence contre les femmes, l'incorporation de la question de la violence contre les femmes dans divers programmes de formation destinés aux représentants des pouvoirs publics, la collecte et l'analyse de statistiques sur la violence contre les femmes, l'organisation de séminaires de formation et de colloques à l'intention des agents de la force publique, des procureurs, des juges et du personnel des services de santé, la création d'un programme de télévision sur la violence contre les femmes et l'organisation de débats sur la question à l'intention des responsables et du grand public. La Rapporteuse spéciale attend avec intérêt des informations sur la mise en œuvre de ces activités ainsi que sur les mesures prises par le Gouvernement pour appliquer les recommandations auxquelles elles auront donné lieu, en vue d'assurer que la question de la violence dans la famille soit abordée sous tous ses aspects.

A.  Violence dans la famille

24.Dans ses articles 41 à 44, la Constitution cubaine garantit expressément les mêmes droits économiques, politiques, culturels, sociaux et familiaux aux hommes et aux femmes et proscrit la discrimination fondée sur la race, la couleur de la peau, le sexe, l'origine nationale ou les convictions religieuses, ou toute autre forme de discrimination portant atteinte à la dignité humaine. Ces droits sont confirmés par les dispositions de diverses lois, y compris le Code de la famille (loi No 1289 de 1975), qui garantit l'égalité de droits des femmes et des hommes en matière de mariage et de divorce ainsi qu'en matière parentale. L'article 295 du Code pénal (loi No 62 de 1979) consacre également le principe de l'égalité des sexes. Toutefois, le Code pénal n'évoque pas expressément la question de la violence dans la famille. Les interlocuteurs de la Rapporteuse spéciale ont estimé que les dispositions contre l'agression physique et sexuelle inscrites dans le Code pénal fournissaient suffisamment de garanties de sanction des auteurs d'actes de violence contre les femmes.

25.Bien qu'il n'existe pas de dispositions législatives portant spécifiquement sur la violence dans la famille, des études menées par le Centre de recherche sur les femmes de la FMC montrent que la majorité des cas de violence contre les femmes portés devant les tribunaux sont des cas de violence familiale. La forme la plus courante de violence familiale exercée contre les femmes est la violence psychologique. Ces études montrent aussi qu'il existe un lien évident entre la violence sociale et la violence dans la famille. Aussi la Rapporteuse spéciale et certains spécialistes jugent‑ils regrettable que la violence familiale ne soit pas définie comme un délit en soi, ni citée expressément dans le Code civil, le Code de la famille ou le Code pénal ou dans la Constitution. Du fait de cette lacune dans la législation, les femmes victimes elles‑mêmes, les auteurs d'actes de violence et l'appareil de justice criminelle n'attachent pas suffisamment d'importance à ce problème et ne perçoivent pas les actes de violence familiale comme des actes criminels. En dépit des études qui montrent que la violence intrafamiliale, dans toutes ses manifestations, s'exerce en dehors de toute considération culturelle, ethnique, financière ou raciale, les rares cas portés devant la justice révèlent une ignorance flagrante de la gravité du problème et de ses conséquences.

26.La Rapporteuse spéciale a été informée que la FMC examinait la possibilité de proposer des textes de loi portant expressément sur la violence dans la famille ainsi que d'établir des tribunaux familiaux, éventuellement dans le cadre de l'évaluation Beijing+5. Elle a vivement encouragé ces initiatives.

27.En ce qui concerne les peines prévues, la Rapporteuse spéciale a été informée qu'en l'absence de loi portant expressément sur la violence familiale, les peines étaient fixées en fonction du degré de violence physique et des conséquences de l'acte : les actes de violence physique sans conséquences sont passibles d'une peine de trois mois à deux ans de prison, les actes de violence physique avec des conséquences, d'une peine de deux à six ans; et les actes de violence physique avec des conséquences graves, d'une peine de cinq à 12 ans. Ces peines peuvent être assorties de peines complémentaires, telles que la confiscation de biens ou une mise en demeure.

28.Une étude réalisée en 1995 dans la province de Pinar del Rio montre que les auteurs d'actes de violence contre les femmes sont le plus souvent des membres de la famille. Le déséquilibre traditionnel entre la charge de travail assumée dans les foyers par les hommes et les femmes a été cité par de nombreux interlocuteurs comme étant la forme de violence le plus couramment exercée contre les femmes au sein de la famille. Il a en outre été souligné qu'à Cuba, compte tenu de la forte cohésion sociale et des réseaux d'étroite communication entre les familles et la communauté, les cas de violence contre les femmes ne pouvaient être dissimulés et, lorsque ces cas étaient connus, la communauté était encline à intervenir. Des experts de l'Institut de philosophie ont fait observer que la structure communautaire était si forte à Cuba que la vie quotidienne y était réglementée par la communauté, le district et le conseil populaire, ce qui supposait une très forte participation populaire à la vie de la communauté, y compris à la lutte contre la violence dans la famille. La représentante de l'UNICEF a ajouté que le système de pouvoir décentralisé et de participation populaire aux affaires publiques en vigueur à Cuba faisait que la population pouvait s'appuyer sur des services d'aide sociale et psychologique particulièrement efficaces. En dépit de graves lacunes dans le domaine du renforcement des infrastructures, certains secteurs tels que l'éducation et la santé continuent de bénéficier d'une attention prioritaire de la part du Gouvernement.

29.L'Institut pour le développement et l'étude de la législation, qui relève des services du Procureur général, étudie depuis 1993 le phénomène de la violence familiale du point de vue de la criminologie. Sa première enquête, qui portait sur la criminalité au sein de la famille dans la province de La Havane, n'a permis de déceler qu'un très petit nombre de cas. L'Institut prévoyait aussi d'organiser un stage, sanctionné par un diplôme, sur la criminologie transdisciplinaire, et la violence familiale en particulier. La Rapporteuse spéciale se félicite de ces activités de recherche qui peuvent contribuer à éclairer la question complexe de la violence dans la famille et déboucher sur des recommandations qui pourront permettre de remédier à ce problème au niveau national, notamment par une réforme de la législation et la sensibilisation de l'appareil de justice criminelle au phénomène de la violence familiale.

30.La Rapporteuse spéciale a été informée de diverses autres initiatives, en particulier dans le domaine de la formation et de la sensibilisation au problème de la violence familiale, dont le lancement coïncidait avec sa visite à Cuba. Lors de l'entretien qu'elle a eu avec le Président du Tribunal suprême, elle a appris que, conformément au Plan d'action national qui avait été élaboré comme suite à la Conférence de Beijing, la formation des juges dans le domaine de la violence contre les femmes était devenue une question prioritaire. La police révolutionnaire cubaine participe également à la mise en œuvre du Plan d'action cubain pour le suivi de la Conférence de Beijing, qui prévoit notamment l'analyse par sexe des données recueillies, le renforcement des mesures administratives et préventives destinées à enrayer le phénomène de la violence contre les femmes et la formation des membres des forces de police en ce qui concerne la violence familiale. La Rapporteuse spéciale a été informée que la formation de base des membres des forces de police, qui s'étendait sur trois ans, comprenait des stages de formation psychologique et juridique grâce auxquels les policiers étaient sensibilisés aux questions concernant les femmes et étaient à même de s'occuper des femmes victimes. Il n'existe pas de programme de formation des membres des forces de police portant précisément sur la violence contre les femmes, mais la police collaborerait actuellement avec la FMC à l'élaboration de ce type de programme. Le Centre national d'éducation sociale s'emploie à mettre au point des programmes de sensibilisation spécialement destinés à la police en vue d'intégrer les questions relatives à la violence contre les femmes dans la formation des policiers.

31.Un représentant du Ministère de la santé a dit à la Rapporteuse spéciale qu'à la suite de la Conférence de Beijing, le Ministère avait pris conscience de la nécessité de former le personnel des services de santé aux questions relatives à la violence contre les femmes afin que celui‑ci soit à même d'établir un diagnostic socio‑médical des victimes de la violence pour les diriger vers les centres d'assistance et de traitement appropriés. Le personnel des services de santé s'emploie en outre à identifier les familles et les personnes à risque afin de prendre les mesures préventives qui s'imposent.

32.Selon les responsables du Ministère de la santé, la violence contre les femmes ne constitue pas un problème sur le plan épidémiologique : certes, la violence contre les femmes existe, mais elle ne constitue pas un problème de santé. Néanmoins, le Ministère participe activement à des programmes communautaires intersectoriels sur l'étude de l'ensemble des causes et des conséquences de la violence, y compris l'alcoolisme, la prostitution et le problème des enfants privés de soutien parental. Au niveau local, les médecins de famille sont formés à collaborer avec les familles et d'autres partenaires communautaires tels que la police et l'appareil judiciaire afin de prévenir la violence et d'identifier les familles à risque de manière à pouvoir les aider à améliorer leur situation. Le fait que la violence contre les femmes puisse s'exercer non seulement sur le plan physique mais aussi sur le plan psychologique est de mieux en mieux compris tant par les spécialistes que par la population en général.

33.À l'hôpital Galixto‑Garcia de La Havane, la Rapporteuse spéciale a été informée que, durant le premier semestre de 1999, 82 personnes étaient décédées des suites de traumatismes, dont 20 femmes, l'une d'elles ayant été victime d'un crime passionnel (cet hôpital traite plus de 50 % des cas de traumatisme enregistrés dans le pays). Si l'on s'accordait à dire que les cas de violence contre les femmes diagnostiqués à l'hôpital étaient rares, on admettait en revanche que le personnel hospitalier en était encore au stade de l'apprentissage en matière de détection, de traitement et de suivi des cas de violence psychologique contre les femmes. Une étude de trois mois, portant sur 110 cas et destinée à l'évaluation des mesures appropriées, a permis de recenser 10 cas de violence physique contre des femmes, 34 cas de violence psychologique, 8 cas de violence sexuelle et 3 cas d'abandon. Les statistiques communiquées à la Rapporteuse spéciale ne révèlent donc pas un problème de grande ampleur, encore qu'il faille savoir que les cas de violence contre les femmes ne sont pas tous signalés. Lorsque les victimes ne souhaitent pas signaler le cas à la police (bien que chaque hôpital comprenne un poste de police), des travailleurs sociaux sont là pour leur proposer d'autres solutions.

34.À l'hôpital universitaire de Villa Clara, des statistiques ont été présentées à la Rapporteuse spéciale, concernant les personnes décédées en 1998, dont 57,2 % de femmes. L'analyse par sexe révélait que les accidents de la circulation représentaient la principale cause de mort violente chez les hommes, tandis que la plupart des femmes étaient victimes de chutes accidentelles entraînant des fractures (les femmes étant atteintes d'ostéoporose plus tôt que les hommes). Ces statistiques méritent peut‑être toutefois d'être examinées de plus près. La Rapporteuse spéciale a noté par ailleurs que le nombre de suicides (plus de 75 % de femmes) était nettement supérieur au nombre d'homicides, phénomène qui paraissait surprenant.

B. Viol et sévices sexuels

35.Selon les statistiques fournies par le Ministère de la justice, il y a eu 650 cas de viol en 1996, 747 en 1997 et 664 en 1998. Entre 70 et 80 % des auteurs de ces viols ont été condamnés. Dans la province de Pinar del Rio, la Rapporteuse spéciale a été informée qu'il y avait des cas de viol mais qu'ils n'étaient pas statistiquement significatifs. Il est évident qu'une collecte de données analytiques plus systématique est nécessaire.

36.Les peines prévues contre le viol et les sévices sexuels sont indiquées aux articles 298 et 300 du Code pénal (loi No 62 de 1979). La Rapporteuse spéciale a été informée que la loi ne faisait pas de différence entre le viol conjugal et les autres types de viol. La loi No 87 a apporté, le 5 février 1999, des modifications au Code pénal qui renforcent, selon les interlocuteurs de la Rapporteuse spéciale, la protection juridique des femmes et des filles et alourdissent sensiblement les peines prévues contre les personnes reconnues coupables d'"incitations à la débauche", y compris d'exploitation de la prostitution d'autrui. La Rapporteuse spéciale note toutefois avec préoccupation que l'article 298 (3) prévoit la peine de mort pour le viol; elle regrette vivement que le Gouvernement cubain ait étendu, en mars 1999, la peine capitale à deux autres infractions, le trafic de drogue international et la corruption de mineur (Gaceta Oficial, 15 mars 1999). Elle demande instamment au Gouvernement d'abolir la peine capitale et d'adhérer au Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi qu'aux Protocoles facultatifs s'y rapportant.

37.S'agissant des peines prévues par la loi, le Président de la Cour suprême était d'avis que celles qui frappaient les auteurs de crimes de violence à l'égard des femmes, y compris le viol, étaient d'une manière générale "suffisamment sévères". La peine prévue en cas de viol sans sévices corporels est de quatre à dix ans d'emprisonnement; pour les cas de viol qualifié, y compris de viol de mineur, de viol commis par un agent de l'État, de récidive, de viol dont l'auteur est une personne entretenant une relation professionnelle avec la victime ou de viol lié au crime organisé, la peine peut atteindre 30 ans d'emprisonnement. La violence physique est punie de trois mois à deux ans d'emprisonnement lorsqu'elle n'a pas de conséquences graves et de cinq à douze ans lorsqu'elle entraîne de telles conséquences (destruction de l'appareil de reproduction de la femme par exemple); quant à l'agression caractérisée, elle est punie d'une peine de dix ans d'emprisonnement. L'éventail des peines pouvant être requises est fixé par la loi, mais c'est au juge qu'il appartient de choisir celle qui s'applique à chaque cas d'espèce.

C. Harcèlement sexuel

38.L'article 301 du Code pénal (loi No 62) punit les auteurs d'actes de harcèlement sexuel ‑ lorsqu'il y a des circonstances aggravantes telles que l'abus de situation professionnelle ou d'une relation familiale - d'une peine allant de deux à cinq ans d'emprisonnement.

39.La Rapporteuse spéciale a toutefois été surprise d'apprendre que l'opinion qui prévalait était qu'il n'a avait pas de harcèlement sexuel à Cuba, y compris sur les lieux de travail et dans les établissements éducatifs. Il lui a été expliqué que chaque centre d'activité professionnelle était doté d'une commission qui tenait compte de toutes les caractéristiques de chaque poste lors de l'examen des candidatures pour un emploi, ce qui permettait d'éviter certaines situations difficiles. En cas de conflit du travail, quelle qu'en soit la nature, le travailleur a le droit de s'adresser aux autorités judiciaires de première instance (bureau du travail) et de seconde instance (tribunaux nationaux). Il a été noté que les femmes constituaient 46 % des membres des commissions du travail.

40.Au cours de ses rencontres avec des syndicalistes, la Rapporteuse spéciale a été informée par des dirigeants des syndicats du commerce, de la culture et des communications, qu'aucun cas de harcèlement sexuel au travail ne leur avait été soumis. La Central de Trabajadores de Cuba (Organisation des travailleurs cubains) n'a pas non plus reçu la moindre plainte de harcèlement sexuel sur les lieux de travail.

41.Lors de leurs entretiens avec la Rapporteuse spéciale, les représentants des conseils populaires et municipaux de Villa Clara ont également estimé que le harcèlement sexuel ne constituait pas un problème pour les femmes cubaines. Selon ces représentants, le dispositif requis était en place et il n'était pas nécessaire d'adopter des lois spécifiques contre le harcèlement sexuel. Cela dit, des efforts de prévention, d'éducation et de formation aux questions relatives au harcèlement sexuel au travail et dans les établissements éducatifs pourraient s'avérer utiles.

42.Lors de ses entretiens avec des travailleurs sociaux, des chefs communautaires ainsi que des membres du Parlement provincial et des autorités locales à Pinar del Rio, la Rapporteuse spéciale a reçu l'assurance que, d'une manière générale, il n'y avait pas de harcèlement sexuel sur les lieux de travail. La place importante qu'occupait la FMC dans toutes les structures communautaires excluait de telles pratiques et la Comisión del Empleo Feminino (Commission de l'emploi des femmes) se saisirait immédiatement du moindre cas.

43.Tout en espérant que les mesures susmentionnées sont de nature à protéger les femmes contre le harcèlement sexuel eu égard au fait que ce phénomène est considéré comme presque inexistant dans la société cubaine, la Rapporteuse spéciale note l'observation d'un expert selon laquelle cette pratique est moins bien définie et moins connue que la violence sexuelle et le viol. Le même expert ajoute qu'il n'est presque jamais fait état d'acte de harcèlement sexuel dès lors qu'il est difficile d'en apporter la preuve en l'absence d'une définition ou parce que les victimes ne sont pas crues, qu'elles ont honte ou qu'elles se sentent coupables. En conséquence, le harcèlement sexuel est pratiquement inconnu, non reconnu et difficile à déterminer. En outre, dans les témoignages de certaines femmes recueillis par la Rapporteuse spéciale, il est question d'un triste phénomène à Cuba, où les hommes occupant des postes de cadre (enseignants à l'université, directeurs d'usine, fonctionnaires de l'État, etc.) poursuivent de leurs assiduités et harcèlent de jeunes femmes occupant des postes subalternes, exigeant d'elles des faveurs sexuelles et leur offrant en échange des promotions, des vêtements et des produits alimentaires. Ces hommes sont appelés "Atitimaniacos" (à Cuba, les jeunes femmes sont appelées "Atitis" dans le langage populaire). D'autres témoignages décrivent les sévices et le harcèlement sexuels auxquels de nombreuses femmes sont exposées lorsqu'elles travaillent dans l'agriculture, en particulier dans les champs.

44.C'est pourquoi la Rapporteuse spéciale estime que des campagnes d'information systématiques sur le harcèlement sexuel et les recours dont disposent les victimes de cette pratique devraient être menées, en particulier dans les établissements éducatifs et sur les lieux de travail. En outre, il convient d'organiser des débats à la radio et à la télévision, et des articles de presse devraient être largement diffusés afin de mettre en lumière ce problème social qui n'a pas reçu jusqu'à présent l'attention qu'il mérite.

D.  Traite et prostitution

45.Lors des rencontres qui ont eu lieu à La Havane ainsi que dans les provinces, la plupart des interlocuteurs de la Rapporteuse spéciale ont affirmé que, par suite de la révolution, la société cubaine avait pratiquement réussi à éliminer la prostitution. Avant 1959, il était largement reconnu que des femmes se prostituaient par besoin; par la suite, grâce à l'amélioration de la situation économique et sociale, ce besoin a disparu. Cela dit, la Rapporteuse spéciale a été informée qu'avec le développement croissant du tourisme à Cuba, la prostitution n'avait cessé de gagner du terrain ces dernières années, en particulier dans les régions touristiques telles que celles de La Havane et de Varadero. Les femmes qui se livrent à la prostitution sont décrites comme étant issues de familles sans morale ou de familles en proie à des dysfonctions et il a été souligné que toute pratique de la prostitution à Cuba ne visait nullement à satisfaire des besoins économiques mais était plutôt la conséquence de l'effondrement des valeurs sociales et morales. En outre, comme l'a déclaré le Président Castro lui‑même, les femmes qui se livraient au commerce du sexe n'étaient pas des prostituées mais plutôt des "jineteras" car personne ne les obligeait à le faire.

46.Toutefois, la Rapporteuse spéciale note dans le même temps qu'avec l'essor du tourisme, les Cubains qui n'ont pas accès à l'économie fondée sur le dollar et qui n'ont pas d'emploi dans le secteur très recherché du tourisme sont inévitablement défavorisés sur le plan économique et se trouvent dans une situation qui est, naturellement, aggravée par le renforcement des sanctions économiques et qui contraste avec le mode de vie occidental introduit par les touristes. La Rapporteuse spéciale estime par conséquent qu'il est difficile de résister à la tentation d'obtenir des devises auprès des touristes.

47.Selon d'autres sources, la prostitution à Cuba est aujourd'hui le fait de femmes ayant bénéficié d'une éducation ou d'une formation professionnelle et qui touchent des salaires en monnaie locale ne leur permettant pas de satisfaire leurs besoins essentiels. Contrairement aux prostituées traditionnelles, qui sont considérées comme des parias, les "jineteras" se donnent surtout à des étrangers qui paient en devises, et sont perçues comme des soutiens de famille.

48.Selon la législation nationale (art. 302 du Code pénal, loi No 62), le fait de se prostituer n'est pas en lui‑même une infraction mais tous les actes connexes tels que l'exploitation de la prostitution d'autrui sont punis par la loi de peines privatives de liberté pour une période allant de quatre à dix ans. Le "proxénétisme", lorsqu'il s'accompagne de circonstances aggravantes (c'est le cas par exemple quand il est pratiqué par des agents de l'État), est puni d'une peine allant jusqu'à 20 ans d'emprisonnement. La traite des femmes est passible d'une peine pouvant atteindre 30 ans d'emprisonnement.

49.Selon le chef de la police révolutionnaire cubaine, la prostitution à Cuba diffère beaucoup de la prostitution dans de nombreux autres pays en ce sens qu'il ne s'agit pas d'une activité organisée. À Pinar del Rio, par exemple, il y a des "casas de cita" (maisons de rencontre) où les prostituées trouvent leurs clients, mais il n'existe apparemment pas d'établissements commerciaux opérant d'une façon permanente tels que les bordels. De même, la plupart des femmes et des filles qui se livrent à la prostitution ne le font pas à plein temps mais plutôt en marge d'autres activités ou occupations. Cela dit, la Rapporteuse spéciale a reçu, dans le même temps, des informations indiquant qu'il y a des individus qui agissent en tant que médiateurs entre les femmes locales et les étrangers; ce sont eux qui fixent le prix de la relation sexuelle et procurent le local. Ces intermédiaires prendraient jusqu'à 80 % du montant que le client paie à une femme. Cela tend à montrer qu'à Cuba la prostitution est très probablement plus organisée que ne le pensent les responsables gouvernementaux.

50.La Rapporteuse spéciale a reçu des informations indiquant qu'en plus des modifications apportées au Code pénal au début de 1999, les agents de la force publique ont effectué des rafles dans les rues de La Havane en vue de les débarrasser des prostituées. Selon une autre source, certaines femmes ont été frappées à la tête et ont dû être soignées à l'hôpital Calixto‑Garcia à La Havane. La Rapporteuse spéciale n'a toutefois pas été en mesure d'obtenir confirmation de cette information, les membres du personnel hospitalier qu'elle a rencontrés ayant déclaré qu'ils n'étaient pas au courant de ces incidents. Il semble que depuis l'intensification de la répression contre les travailleuses sexuelles, leur activité a en grande partie disparu des rues et les rencontres avec les clients sont à présent plus discrètes, ayant lieu dans des bars, des clubs de nuit et des maisons privées.

51.La Rapporteuse spéciale a également reçu des informations indiquant que lorsque des femmes sont surprises pendant qu'elles se livrent à la prostitution, elles sont ramenées dans leur province d'origine par la police avec interdiction de la quitter pendant une période déterminée. Conformément au décret 217 d'avril 1997, qui régit les migrations internes vers La Havane, des restrictions à la liberté de circulation sont autorisées pour des considérations ayant trait à la santé publique, à la protection sociale et au maintien de l'ordre. Ce décret suscite des préoccupations au sujet de la liberté de circulation à Cuba dès lors qu'il porte atteinte à des droits garantis dans la Déclaration universelle des droits de l'homme.

52.Les femmes, qui se livrent d'une manière récurrente à la prostitution ou qui retournent à La Havane en dépit des restrictions qui leur ont été imposées, sont placées par les autorités judiciaires dans des centres de rééducation. Le Procureur général a informé la Rapporteuse spéciale que, récemment, dans la province de Camaguey, 300 jeunes filles qui se livraient à la prostitution avaient été ramenées à l'école et que des officiers de police, des travailleurs sociaux et des volontaires de la FMC ayant reçu une formation spéciale collaboraient avec les familles des intéressées pour assurer leur complète réinsertion. Le Procureur général a également évoqué des centres ("campamientos") créés récemment où les femmes présentant certains indicateurs de risque pouvaient être placées à des fins de réinsertion. Les femmes concernées étaient traduites devant les tribunaux et pouvaient être condamnées à être placées pendant une période pouvant aller jusqu'à quatre ans dans ces centres où elles étaient tenues de travailler, la plupart du temps dans les secteurs agricole ou horticole. Chaque "campamiento" a une capacité de 80 à 100 places, et il est envisagé d'en créer un dans chaque province.

53.Comme indiqué plus haut, selon le Code pénal, la prostitution n'est pas en elle‑même une infraction. Elle est cependant assimilée à une situation dangereuse ("el estado peligroso") qui fait qu'une personne est amenée à commettre des crimes, ce qui va à l'encontre des normes de la morale socialiste (art. 72 à 74, loi No 62). Certains comportements antisociaux et troublant l'ordre communautaire sont considérés comme des manifestations de cette situation dangereuse. Si une personne est considérée comme dangereuse en application de la disposition susmentionnée, le Code pénal autorise l'adoption à son encontre de mesures de prévention de la criminalité, y compris des mesures de rééducation pendant une période pouvant aller jusqu'à quatre ans. La personne concernée peut être internée par les autorités jusqu'à ce que le danger qu'elle représente soit écarté. La Rapporteuse spéciale a du mal à accepter l'idée d'une condamnation judiciaire pour une activité qui n'est pas une infraction au regard de la législation nationale. En outre, l'arbitraire qui caractérise la décision consistant à maintenir une peine jusqu'à ce qu'il soit considéré que la personne concernée ne constitue plus une menace sociale ouvre la voie aux abus et à la subjectivité, ce qui est incompatible avec une procédure judiciaire équitable.

54.La Rapporteuse spéciale a pu visiter, sur sa propre demande, un des centres de rééducation situé dans la province occidentale de Pinar del Rio. Au moment de sa visite, 90 jeunes femmes, inscrites sur la liste des personnes s'étant livrées à la prostitution, recevaient l'assistance des travailleurs sociaux et communautaires des services provinciaux de la FMC en vue de leur réintégration dans la population active. La Rapporteuse spéciale a été informée par un agent des services de prévention de la FMC des procédures qui étaient suivies lorsqu'une femme était identifiée en tant que prostituée ou soupçonnée de l'être. Après un entretien initial avec l'intéressée destiné à établir les causes possibles du comportement antisocial, des discussions ont lieu avec sa famille et les membres de sa communauté afin d'établir ses antécédents personnels et familiaux et de cerner ainsi les facteurs de risque qui ont mis la femme dans la situation où elle se trouve. La Rapporteuse spéciale a reçu l'assurance que cette procédure était menée avec discrétion; il est toutefois fort probable que la communauté soit informée du cas de la femme.

55.Le centre de rééducation de Pinar del Rio a été créé en mai 1999 dans les locaux d'un ancien pénitencier (la pancarte de l'ancien "Centro Penitentiario" était encore accrochée au mur extérieur de la bâtisse lorsque la Rapporteuse spéciale l'a visité). Au moment de la visite, 35 femmes originaires pour la plupart de Pinar del Rio mais aussi de La Havane étaient détenues dans le centre. Le centre était clôturé et administré par des membres en uniforme du personnel pénitentiaire du Ministère de l'intérieur. Le personnel des centres reçoit une formation axée sur la psychologie et la pédagogie et se compose exclusivement de femmes. Les personnes placées dans les centres dorment dans de vastes dortoirs sur des lits superposés.

56.Comme indiqué plus haut, les femmes arrêtées pour prostitution sont condamnées par un juge à passer jusqu'à quatre ans dans un centre de rééducation où elles sont tenues de travailler six à huit heures par jour, la plupart du temps dans le secteur agricole. La durée de leur séjour dans ces centres dépend du risque qu'elles sont censées faire peser sur la société. Elles sont autorisées à recevoir, tous les 15 jours, pendant deux heures, la visite de leur famille et de leurs amis, mais il leur est interdit de sortir. L'administration du centre a informé la Rapporteuse spéciale qu'elle s'apprêtait, en coopération avec le Ministère de l'éducation, à dispenser des cours aux femmes se trouvant dans le centre, mais que, l'établissement n'ayant été créé que récemment, cette activité n'avait pas encore commencé. Les femmes placées dans un centre participent à des activités artistiques et sportives ou à des excursions à l'extérieur. Pour ce qui est de la procédure de plainte, la Rapporteuse spéciale a été informée que depuis que le centre a été placé directement sous l'autorité du bureau du Procureur général, les détenues pouvaient, si nécessaire, s'adresser directement aux mécanismes destinés au reste de la population.

57.La Rapporteuse spéciale s'est entretenue avec plusieurs femmes détenues au centre, mais regrette que, malgré sa requête, elle n'ait pas été autorisée à leur parler en privé. La plupart des femmes auxquelles la Rapporteuse spéciale s'est adressée semblaient avoir souffert dans le passé de sévices et/ou de violences au sein de leur famille et avoir eu une vie professionnelle instable, ce qui les avait amenées à passer une partie de leur temps sur les plages, dans les bars et dans les restaurants pour rencontrer des hommes. Une des femmes avait été appréhendée par la police sur une plage alors qu'elle offrait ses services à un touriste. Il semblait toutefois que ces femmes ne s'étaient pas livrées à la prostitution pendant longtemps ou d'une manière systématique ou organisée.

58.Conformément aux engagements qu'elle a pris en vertu du Plan d'action pour le suivi des recommandations de la Conférence de Beijing, la FMC a engagé des discussions avec les autorités nationales compétentes, notamment avec le Ministère de la justice, le Ministère du tourisme, l'Institut cubain de la radio et de la télévision et le Ministère de la culture, en vue d'assurer que les femmes cubaines ne deviennent pas une attraction touristique. La FMC se rend compte en outre qu'il est important de collaborer avec les voyagistes en vue de vérifier que les liens avec les pays étrangers ne sont pas exploités à des fins de tourisme sexuel. Le Procureur général a souligné qu'il était nécessaire que les autorités cubaines réexaminent la publicité touristique qui mettait en scène des femmes cubaines saines et belles dont l'apparence constituait une invitation pour les personnes mal intentionnées. Le Gouvernement a informé la Rapporteuse spéciale que tous les voyagistes qui se livraient à des activités suspectes étaient immédiatement suspendus. Au cours de la visite de la Rapporteuse spéciale à Cuba, il a été signalé que le Gouvernement avait entrepris une "vigoureuse opération de nettoyage" au sein de l'industrie du tourisme. En fait, les directeurs de toutes les sociétés touristiques associées à un certain voyagiste étranger appelé "Cubamor" ont été démis de leurs fonctions lorsqu'il s'est avéré que ledit voyagiste organisait le voyage à Cuba d'hommes célibataires qui étaient logés dans un hôtel de catégorie moyenne situé à l'extérieur de La Havane où le contrôle des autorités sur les contacts avec la jeunesse locale était minimal ou inexistant.

E.  Femmes détenues

59.La Rapporteuse spéciale a visité la Prision de Mujeres del Occidente (prison pour femmes de la région ouest), connue sous le nom de "Manto Negro" ("manteau noir") à La Havane, où se trouvaient au moment de sa visite 807 détenues âgées de 16 ans et plus, originaires des provinces de La Havane et de Pinar del Rio (la prison peut accueillir au total 1 507 détenues). Le personnel, dont 90 agents pénitentiaires, était entièrement féminin, à l'exception d'un médecin et d'un psychologue. La Rapporteuse spéciale a inspecté le service médical. Ce service, auquel sont affectées deux infirmières de garde 24 heures sur 24 et qui comprend des installations de dentisterie et de radiologie, dispense des soins complets et fait appel également aux services extérieurs d'un psychiatre, d'un dermatologue, d'un gynécologue et d'un pédiatre. La Rapporteuse spéciale a été informée qu'une attention quotidienne était accordée aux plaintes d'ordre médical et que les détenues pouvaient consulter sans délai un membre de la profession médicale. Les détenues doivent travailler 8 heures par jour, essentiellement dans l'horticulture ou la confection de vêtements, et reçoivent un plein salaire pour leur travail.

60.Les détenues peuvent également préparer leur propre repas et ont le droit de recevoir de la nourriture de la part de visiteurs extérieurs. Les cellules sont généralement prévues pour deux à quatre personnes et, compte tenu du fait que la prison n'était occupée qu'à la moitié de sa capacité maximum, les installations visitées par la Rapporteuse spéciale ont paru appropriées et bien gérées.

61.La Rapporteuse spéciale a regretté toutefois de n'avoir pas pu s'entretenir avec des détenues en privé et qu'au moment de sa visite, la détenue avec laquelle elle avait demandé spécialement une entrevue, Marta Beatriz Roque Cabello, avait été apparemment transférée à l'extérieur pour recevoir des soins médicaux. Elle avait demandé à rencontrer Mme Roque Cabello en raison des allégations selon lesquelles l'absence de soins médicaux à la prison de Manto Negro portaient gravement atteinte à la santé de la détenue. La Rapporteuse spéciale regrette de n'avoir pas eu la possibilité de vérifier ces allégations.

62.Étant donné qu'elle n'a visité qu'une seule prison et qu'elle n'a pas pu s'entretenir en privé avec des détenues, la Rapporteuse spéciale n'a pu ni confirmer ni infirmer les allégations contenues dans un rapport sur Cuba établi récemment par l'organisation Human Rights Watch, selon lesquelles les autorités cubaines maintiendraient l'importante population carcérale dans des conditions médiocres et malsaines et les détenus seraient victimes d'agressions physiques et sexuelles, en violation de nombreuses dispositions de l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus. Dans son rapport, Human Rights Watch affirme que la majorité des détenus des 24 prisons de haute sécurité et autres centres de détention sont insuffisamment nourris, souffrent du surpeuplement et du manque de soins médicaux et sont contraints de suivre des "programmes de rééducation" à orientation politique; en outre, les prisonniers politiques seraient souvent soumis à des châtiments excessifs proches de la torture ou de traitements inhumains ou dégradants.

63.Au cours de sa visite à la prison pour femmes de La Havane, la Rapporteuse spéciale a rencontré deux jeunes détenues originaires du Royaume-Uni, Michele et Rachel, qui l'on informée qu'elles étaient détenues sans jugement depuis sept mois pour avoir été trouvées en possession de drogue (de la drogue aurait été découverte dans leurs bagages). Les jeunes filles ont dit à la Rapporteuse spéciale qu'elles n'avaient pas les moyens d'engager un avocat, mais qu'elles n'avaient pas encore bénéficié de l'aide juridictionnelle.

64.La Rapporteuse spéciale, au cours de sa visite, a exprimé sa préoccupation concernant la situation de ces deux détenues britanniques à des représentants du Ministère des affaires étrangères et a demandé des informations plus détaillées sur leur cas. Au moment de l'établissement du présent rapport, aucune information à ce sujet n'était parvenue.

65.La Rapporteuse spéciale s'inquiète également du fait que Michele et Rachel semblaient être mineures. Elle souhaite rappeler que le maintien de mineurs et d'adultes dans les mêmes locaux de détention est contraire à la réglementation internationale sur les prisons (Règle 8 de l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus), l'objectif essentiel étant de protéger les mineurs contre les sévices qui pourraient être commis par des détenus adultes. C'est pourquoi la Rapporteuse spéciale se félicite de l'adoption par le Gouvernement cubain en 1999 de la loi No 87 portant modification du Code pénal, dont l'article premier prévoit que les mineurs de moins de 20 ans doivent être détenus dans des établissements séparés de ceux réservés aux détenus plus âgés ou, du moins, dans des quartiers séparés du même établissement. La Rapporteuse spéciale prie instamment le Gouvernement de mettre rapidement en œuvre cette réforme législative.

F.  Droits civils et politiques des femmes cubaines

66.Tout en constatant avec plaisir l'intérêt porté par le Gouvernement cubain aux droits économiques et sociaux des femmes, la Rapporteuse spéciale, comme un grand nombre d'autres rapporteurs, reste préoccupée par l'exercice des libertés civiles et politiques à Cuba. Certains aspects des droits de l'homme sont considérés comme l'héritage de la démocratie libérale bourgeoise. Le Gouvernement cubain considère que les individus ne peuvent exercer pleinement leurs droits civils et politiques que dans un contexte socialiste. Les membres et les partisans du Gouvernement sont favorisés, mais il n'existe pas de véritable opposition en dehors de ce contexte. La liberté d'association est restreinte et la liberté de parole est limitée à certains domaines politiques. Dans ce sens, les droits politiques et civils généraux des femmes ne sont pas respectés. Bien qu'il existe un vif débat au sein des organisations civiles officielles, l'absence d'organisations financièrement et idéologiquement indépendantes du Gouvernement enlève toute possibilité d'existence d'une société civile vigilante et créatrice. Si les femmes doivent participer pleinement à la société civile et au Gouvernement, il importe d'insister sur la nécessité de leur reconnaître les droits civils et politiques.

67.La Rapporteuse spéciale constate également avec préoccupation que la Constitution de la République de Cuba établit une relation directe d'autorité et de suprématie de l'Assemblée nationale et du Conseil d'État, ce qui peut avoir de graves incidences sur l'indépendance et l'impartialité des tribunaux et, éventuellement, porter atteinte au droit à un procès équitable. En outre, elle a reçu des informations faisant état d'arrestations arbitraires, de détention prolongée avant jugement et de restrictions du droit à une défense appropriée. De même, elle s'inquiète du fait que la Constitution prévoit que l'Assemblée nationale du peuple a le pouvoir de choisir et de destituer les membres de la Cour suprême du peuple, le Procureur général et les procureurs généraux adjoints (art. 75, 126 et 129). Conformément à l'article 128 de la Constitution, le cabinet du Procureur général est soumis à l'autorité de l'Assemblée nationale et du Conseil d'État et l'article 130 stipule que le Procureur général rend compte de ses activités à l'Assemblée nationale. Toutes ces dispositions font encore obstacle à l'impartialité et à l'indépendance de l'appareil judiciaire cubain, restreignant ainsi l'exercice de tous les droits de l'homme et des libertés fondamentales par les femmes et les hommes à Cuba.

G. Droits économiques et sociaux des femmes cubaines

68.Le régime communiste à Cuba a permis aux femmes cubaines de bénéficier d'un ensemble de mesures de protection économique et sociale qui les a placées, du point de vue statistique, dans une meilleure position par rapport à la plupart des femmes des autres pays latino‑américains. Dans le domaine de l'éducation (les femmes sont alphabétisées à 95 %), de la participation à la main‑d'œuvre active (42,5 % de femmes) et de la formation professionnelle et technique, les femmes cubaines sont nettement mieux placées que les femmes de la plupart des autres pays. En outre, la Rapporteuse spéciale a été informée que 55,16 % des dirigeants syndicaux des centres de travailleurs étaient des femmes. Sur 19 syndicats, cinq sont dirigés par des femmes (syndicats des sciences, de l'administration publique, de la culture, du commerce et des communications). La non‑discrimination à l'encontre des femmes sur le lieu de travail est un droit constitutionnel.

69.Un grand nombre de Cubains ont estimé que l'Organisation des Nations Unies ne semblait s'intéresser qu'à la violence dirigée contre l'individu, s'entendant en termes de violence physique, sexuelle ou psychologique. Ils ont affirmé qu'à Cuba les femmes souffraient plutôt d'une autre forme de violence, à savoir la violence structurelle, résultant de l'exploitation économique et des pénuries provoquées par les sanctions économiques appliquées contre le pays. Ils ont sans cesse répété que les femmes assumaient une part disproportionnée des séquelles des sanctions économiques et de la charge de "joindre les deux bouts" pour faire vivre la famille.

70.Toutes les personnes avec lesquelles la Rapporteuse spéciale s'est entretenue ont affirmé que l'embargo économique avait des incidences particulières sur les femmes dans la société, celles‑ci étant chargées de la plus lourde responsabilité s'agissant de trouver des moyens novateurs de faire face à la pénurie de produits tels que les médicaments, l'huile de cuisine, le savon, les produits hygiéniques féminins, les couches, le papier, etc. Les femmes étaient le plus gravement touchées par l'embargo car elles étaient les principaux acteurs de la vie familiale. L'embargo a également eu des conséquences directes sur la santé des femmes en raison de la pénurie de fournitures médicales. Les femmes peuvent en particulier souffrir de troubles psychologiques et physiques en conséquence du manque de soins médicaux qui leur sont spécialement destinés, ainsi que de contraceptifs et de tests par frottis vaginal, par exemple. En outre, en raison de la pénurie alimentaire, les femmes sont souvent les dernières de la famille à manger ou ne mangent pas du tout. Parallèlement, les initiatives prises par les femmes au cours de la période de l'embargo ont créé une particularité sociale faisant qu'en raison des talents spéciaux manifestés par les femmes, l'impact réel de l'embargo n'est pas perçu comme aussi fort qu'il l'est en réalité.

71.En outre, selon des représentants du Ministère de la santé, l'embargo économique a des incidences sur le système de santé publique car Cuba n'est pas en mesure d'avoir accès à l'aide internationale pour bénéficier des progrès de la recherche médicale, pour importer des techniques dans ce domaine ou pour se procurer des médicaments en provenance des États-Unis. La Rapporteuse spéciale a également été informée qu'en raison du manque de médicaments importés, Cuba n'avait pas tous les moyens de traiter les malades du sida. Le Centre pour la promotion et l'éducation en matière de santé a organisé 40 ateliers de formation du personnel gouvernemental dans le domaine de la sexualité, des rapports sexuels protégés, de la transmission du VIH/sida et de l'utilisation de préservatifs. La Rapporteuse spéciale a fait observer que, compte tenu en particulier de l'embargo, il y avait lieu de se féliciter de ce que la santé ait été retenue comme priorité nationale. Elle a également noté que les institutions des Nations Unies présentes à Cuba offraient au pays un cadre solide de protection humanitaire et que la plupart des programmes des Nations Unies visaient à répondre aux besoins humanitaires créés en raison de l'embargo économique.

72.Pendant huit années de suite, l'Assemblée générale a adopté des résolutions condamnant l'embargo. La dernière de ces résolutions a été adoptée en octobre 1999.

73.Selon les données fournies par le Ministère de la santé, à Cuba, 65 % des médecins et 95 % du personnel infirmier sont des femmes. Le Gouvernement a indiqué à la Rapporteuse spéciale que le système de soins de santé était public, gratuit et accessible à tous les Cubains et qu'il offrait un soutien et des services aux femmes à toutes les étapes de leur vie (l'espérance de vie des femmes est de 76 ans).

74.Selon les statistiques fournies par le Ministère du travail, les femmes représentent 42,9 % de la main‑d'œuvre active, par rapport à 12 % en 1959. Les travailleuses ont perdu leurs emplois dans certains secteurs de production et les salaires ont diminué de 70 % en conséquence de l'embargo. En 1996, une relance du marché du travail a été entreprise avec, notamment, la création de commissions de femmes à tous les niveaux et la participation des centres de travailleurs, du Ministère du travail et de la FMC.

75.La Fédération nationale des syndicats a mis en place un programme pour traiter des questions intéressant les travailleuses et pour coopérer avec la FMC dans le traitement de ces questions. Les négociations collectives ont eu pour résultat de garantir l'égalité des droits des travailleuses en vertu de la loi sur la sécurité sociale et leur protection en vertu de la loi sur la maternité et de lois particulières concernant le travail des femmes. Selon la législation sur la maternité, les femmes ont droit à un congé de maternité de 18 semaines à plein salaire, période après laquelle elles peuvent choisir de prendre un congé supplémentaire de six mois à 60 % de leur salaire, et elle ont le droit de retourner au travail jusqu'à une année après la naissance. Il existe également des dispositions spéciales à l'intention des mères célibataires qui travaillent. La Rapporteuse spéciale a pris note avec satisfaction des services sociaux mis en place en faveur des femmes qui travaillent.

76.À l'Institut Pedro Kouri, la Rapporteuse spéciale a été informée du Programme national pour la prévention du VIH/sida, qui consiste en une stratégie intersectorielle et pluridisciplinaire de prévention contre l'infection par le VIH/sida. À l'heure actuelle, à Cuba, le taux de personnes atteintes du sida est très faible (0,02 %) et le taux de transmission est minime. Dans la première moitié de 1999, 2 763 personnes étaient diagnostiquées comme étant infectées par le VIH et 868 d'entre elles étaient atteintes du sida (un taux de 5,6 pour 1 million par rapport à 12,1 pour 1 million en 1998). La stratégie nationale est axée sur le suivi et le contrôle épidémiologique, l'éducation (y compris l'éducation sexuelle et la formation de médecins de famille et d'autres professionnels et dirigeants communautaires concernés), la recherche et les études en laboratoire. Le Groupe interdisciplinaire de prévention et de lutte contre le sida est présidé par le Ministre de la santé et est composé de représentants des Ministères de l'éducation, de la culture, des sciences, du tourisme, de la justice, du travail et du commerce, ainsi que de la FMC et d'autres organisations de masse.

77.La Rapporteuse spéciale a reçu des informations sur un programme global de lutte contre le VIH/sida, financé par le FNUAP et l'ONUSIDA et consistant notamment à identifier les zones à risque et à mettre en place une stratégie d'information et de sensibilisation à la propagation du VIH/sida. L'UNICEF dispense à des élèves des écoles préparatoires une formation visant à en faire des responsables de la diffusion de l'information au sein des communautés.

78.Selon la section municipale de la FMC à La Havane, il existe dans la région de la capitale certaines caractéristiques particulières ayant des incidences sur la situation des femmes qui y vivent. Il existe une grave pénurie de logements, en particulier dans les vieux quartiers de la capitale et à la périphérie. Le surpeuplement des habitations a entraîné une augmentation de la tension et des violences dans la famille car, souvent, jusqu'à trois générations doivent cohabiter dans des logements d'une ou deux pièces. Plus de 21 % de la population sont âgés de plus de 60 ans, ce qui rend les femmes âgées très exposées aux risques de sévices dans de telles conditions. La FMC a organisé, dans le quartier de la place de la Révolution du centre de La Havane, un atelier de sensibilisation aux questions concernant la violence à l'encontre des femmes âgées car cette question est apparue comme un problème de plus en plus grave.

IV. SOCIÉTÉ CIVILE ET ORGANISATIONS DE MASSE

79.La Rapporteuse spéciale a été informée par le Ministre de la justice que, conformément à la loi sur les associations, pour créer une association il était nécessaire d'adresser une demande au Ministère de la justice. Le projet de statut de l'association est alors examiné en vue de déterminer si ses objectifs sont conformes à la législation. À cet égard, la Rapporteuse spéciale note avec préoccupation que la loi cubaine sur les associations [Ley de Asociaciones No 54 (1985) y su Reglamento (1986)] exige de toutes les associations et organisations de coopérer avec les organismes publics compétents et de coordonner leurs activités avec eux; comme l'affirme Human Rights Watch, la législation empêche, en fait, la légalisation d'une organisation authentiquement indépendante, requiert des associations qu'elles acceptent une large ingérence de l'État dans leurs activités et l'autorise à les dissoudre d'une manière arbitraire.

80.Selon le Ministère de la justice, il y a actuellement à Cuba 2 200 organisations inscrites auprès du Ministère, dont 60 sont des associations exclusivement féminines et 1 034 s'occupent de questions concernant les femmes. Conformément à sa requête, la Rapporteuse spéciale a eu l'occasion de rencontrer pendant sa visite de nombreux représentants d'organisations non gouvernementales dotées du statut consultatif auprès du Conseil économique et social. Malheureusement, en raison du caractère formel des réunions, elle n'a pas été en mesure d'engager un dialogue approfondi avec eux. En outre, la Rapporteuse spéciale n'a rencontré aucun représentant d'organisation critiquant ouvertement les politiques et les pratiques du Gouvernement.

81.La Rapporteuse spéciale a été accompagnée tout au long de sa visite par des représentantes de la Fédération des femmes cubaines (Federación de Mujeres Cubanas, FMC), organisation de masse qui regroupe 80 % des femmes cubaines.

Federación de Mujeres Cubanas

82.La Federación de Mujeres Cubanas (FMC) est l'organisation nationale qui coiffe les différentes organisations féminines; elle œuvre pour la pleine intégration des femmes dans la vie économique, politique, sociale et culturelle, dans le respect de l'égalité des chances. La FMC collabore étroitement avec des organismes publics tels que les Ministères du travail, de l'éducation et de la santé. Elle est l'organe national de coordination des efforts en vue de l'application du Programme d'action de Beijing et du Plan national cubain pour la mise en œuvre de ce programme.

83.La FMC reçoit des plaintes de toutes sortes émanant de particuliers. En 1998, 25 239 plaintes sont parvenues à son siège national et provincial à La Havane; 133 de ces plaintes avaient trait à des cas de violence (dont 75 cas de violence perpétrée par des hommes contre des femmes, 6 cas de violence perpétrée par des femmes contre des hommes, 35 cas de violence perpétrée par des femmes contre des enfants, 14 cas de violence perpétrée par des hommes contre des enfants et 3 cas classés dans la catégorie divers). La Rapporteuse spéciale a été informée que les enquêteurs de la FMC recevaient la formation requise pour repérer les cas de violence contre les femmes et les symptômes de cette violence même lorsque les plaintes reçues ne portaient pas sur un acte de ce type.

84.La Rapporteuse spéciale a appris que le bureau de l'UNICEF à La Havane appuyait une série d'ateliers sur des questions intéressant les femmes, intitulés "Para la vida", organisés par la FMC au niveau provincial. Ces ateliers traitaient de la violence dans la famille et dans la société et du règlement des conflits selon une démarche intégrée axée sur le développement communautaire. Ils ont permis de porter les préoccupations des collectivités à l'attention de certaines instances de prise de décisions. En outre, l'UNICEF a contribué à la production de plus de 90 spots (ou courtes "telenovelas") destinés à la télévision qui traitent de la sexualité, de la violence et d'autres questions connexes. La Rapporteuse spéciale a été informée de la production, avec l'aide de l'UNICEF, de 200 pages publicitaires sur des thèmes similaires destinés à la radio. L'UNICEF appuie en outre la publication de brochures telles que celles qui sont intitulées "Les femmes au pouvoir" et "Les femmes en tant qu'objets et sujets de la violence", ainsi que des opuscules d'information sur la violence contre les fillettes destinés aux écoles.

85.Le Centro de Estudios de la Mujer (Centre des études féminines) de la FMC, qui a été créé en 1996, effectue à des travaux de recherche sur lesquels la FMC se fonde pour formuler des recommandations à l'intention des autorités compétentes. Parmi les études thématiques effectuées par le Centre, il convient de mentionner les suivantes : "Les femmes, le pouvoir et la prise de décisions", "Les femmes et la nutrition" (étude établie en collaboration avec le Programme alimentaire mondial) ainsi que des études sur les relations entre les sexes dans différents secteurs de la société.

86.Le Programme national relatif à la violence de la Commission nationale de prévention et de protection sociales a été lancé il y a trois ans par la FMC, qui tient lieu de coordonnateur. L'objectif du Programme, auquel coopèrent 76 000 organisations communautaires, est de promouvoir la famille et la femme et de renforcer l'égalité des chances pour les femmes. Dans le cadre de ce programme, la prévention de la violence à l'égard des femmes est abordée dans une optique multidisciplinaire et multisectorielle. Un des domaines d'action prioritaires est l'éducation et la sensibilisation du grand public en tant que moyen de prévention. En outre, une formation à la question de la violence contre les femmes dans la famille est dispensée au personnel des instances gouvernementales et administratives (Conseil national de la police, Ministère de la justice, Bureau du Procureur général, Ministère de la santé et Institut national de la radio et de la télévision). Les activités communautaires telles que les ateliers de réflexion traitent, sur la base de matériels conçus spécifiquement pour ce type d'activité, de thèmes tels que la violence à l'égard de la femme dans le couple et la violence contre les enfants au sein de la famille. En outre, des dépliants exposant la législation concernant la protection contre la violence au sein de la famille sont publiés.

87.Dans le cadre du Programme national susmentionné, un groupe de travail sur la violence procède à l'analyse des cas de violence portés devant les tribunaux et effectue des études comparatives des lois dans la région latino-américaine en vue de repérer les éventuelles lacunes dans la législation relative à la violence au sein de la famille en vigueur à Cuba. La Rapporteuse spéciale a été informée, par exemple, que le groupe de travail avait récemment présenté au Parlement un projet de loi tendant à faire en sorte que tout lien familial entre la victime et l'auteur soit considéré comme une circonstance aggravante lorsqu'il s'agit d'une affaire pénale; le projet de loi a été approuvé par le Parlement (loi No 87). Dans le même temps, un membre du groupe de travail a, cependant, fait observer que même si la législation cubaine assurait une large protection aux femmes, la mentalité de la population n'avait pas évolué au même rythme que les idées révolutionnaires. C'est pourquoi le groupe de travail coopère également avec les médias en vue d'éliminer le sexisme dans la société.

88.La FMC gère 175 "Casas de Orientación de Familia" à l'échelle nationale avec la participation de spécialistes de différents domaines, y compris des psychologues, des travailleurs sociaux et des professionnels de la santé. Le programme de travail de chaque "casa" est conçu par son personnel en vue de répondre à la situation particulière des femmes dans une communauté donnée. En plus des différents services d'assistance qu'elles fournissent, les "casas" diffusent des matériels d'information sous forme de documents écrits et radiophoniques. La Rapporteuse spéciale a visité la "Casa de Orientación a la Mujer y a la Familia" de la FMC à Santa Clara (province de Villa Clara) qui est la première à avoir été créée dans le pays en 1990, sur recommandation de la première titulaire de la chaire d'études féminines du pays (qui se trouve également à Santa Clara). Le Département des études féminines effectue à présent des travaux de recherche sur des monographies reçues de la "casa" en vue de formuler d'autres recommandations destinées à élargir le champ des questions féminines de façon à ce qu'il englobe les problèmes qui se posent à l'extérieur de la famille (prostitution, problèmes de travail et éducation sexuelle).

89.Les "casas" constituent un lien essentiel entre la FMC et la communauté et parviennent à toucher des femmes individuellement et des familles entières. Un spécialiste opérant à la "casa" de Villa Clara a déclaré qu'à Cuba la violence à l'égard des femmes existait sans être de la même ampleur que dans les autres pays latino-américains. Au cours de l'année passée, à Villa Clara, 57 cas de violence contre des femmes (9 cas de violence physique, un cas de violence sexuelle et 47 cas de violence mentale) ont été portés à l'attention de la "casa". Cinq cent cinquante-deux autres cas de violence à l'égard des femmes ont été observés durant la même période mais n'ont pas été dénoncés aux autorités. Selon les interlocuteurs de la Rapporteuse spéciale, les causes les plus fréquentes de violence contre les femmes sont les problèmes de communication entre partenaires, les mauvais traitements infligés aux enfants et l'humiliation du partenaire. Les "casas" dispensent en outre aux femmes une formation aux activités génératrices de revenus (telles que la coiffure et les services de massage) ainsi que des conseils psychologiques et notamment des cours de renforcement de l'estime de soi.

90.Dans la province de Pinar del Rio, la FMC a enregistré en 1998 38 cas de violence contre les femmes sur les 2 000 cas qui lui ont été soumis. Il s'agissait essentiellement de cas de violence à l'égard du conjoint ou dus à des litiges relatifs à la propriété. D'autre part, à Pinar del Rio, 90 prostituées suivaient un programme de rééducation.

91.La Rapporteuse spéciale a noté avec surprise qu'il n'y avait pas un seul refuge dans tout le pays. Les experts avec lesquels elle a évoqué la question ont fait observer que des refuges n'étaient pas nécessaires puisque les femmes étaient convenablement protégées par la loi et par la collectivité et dans les rares cas où le besoin s'en faisait sentir, elles pouvaient se réfugier chez leurs proches ou leurs voisins. Néanmoins, la Rapporteuse spéciale invite instamment la FMC à créer des refuges ayant la capacité d'accueillir au moins quelques femmes, dans toutes les provinces, afin d'encourager ces dernières à dénoncer la violence dont elles étaient victimes et d'assurer leur indépendance si elles décidaient d'aller vivre dans un endroit où elles seraient à l'abri de la violence.

92.Lors d'une réunion avec des membres de l'Union nationale des artistes et des écrivains, la Rapporteuse spéciale a été informée de certaines méthodes novatrices de lutte contre la violence à l'égard des femmes faisant appel aux arts. Dans une courte pièce radiophonique intitulée "Yo quiero ser un hombre" (Je veux être un homme) une femme et un homme changent de rôle afin de mieux se comprendre mutuellement (dans sa nouvelle identité, la femme va jusqu'à infliger des violences sexuelles à l'homme). Un autre programme radiophonique populaire intitulé "Nosotras" est une émission familiale où l'accent est mis sur les relations entre les deux sexes et où la violence à l'égard des femmes est parfois abordée par le biais de lettres et d'appels téléphoniques reçus d'auditeurs. Certains poètes et écrivains que la Rapporteuse spéciale a écoutés ont affirmé que la conscience de la situation des femmes était très présente dans la littérature, qui faisait aussi une large place au dialogue sur les femmes et la culture.

V. RECOMMANDATIONS

A. Au niveau international

93.La Rapporteuse spéciale exhorte le Gouvernement cubain à adhérer le plus vite possible aux instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme auxquels il n'est pas déjà partie, en particulier au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et aux deux Protocoles facultatifs s'y rapportant.

94.La Rapporteuse spéciale demande instamment au Gouvernement cubain d'adresser des invitations aux mécanismes par thème de la Commission des droits de l'homme qui ont exprimé le souhait de visiter Cuba, notamment au Rapporteur spécial sur la liberté d'opinion et d'expression, au Rapporteur spécial sur la torture et au Rapporteur spécial sur l'intolérance religieuse.

95.La Rapporteuse spéciale recommande au Gouvernement cubain de coopérer avec le Haut‑Commissariat aux droits de l'homme en vue de l'exécution de programmes de coopération technique destinés à accélérer les réformes dans le domaine des droits de l'homme et des libertés fondamentales ‑ notamment dans l'optique de la promotion de tous les droits de la femme ‑, et à en élargir la portée.

96.La Rapporteuse spéciale demande au Gouvernement des États-Unis de mettre fin à l'embargo économique imposé à Cuba. Elle estime que cet embargo a un effet néfaste sur la situation économique et sociale des femmes cubaines.

B. Au niveau national

97.La Rapporteuse spéciale invite instamment le Gouvernement cubain à prendre des mesures de vaste portée aux niveaux législatif et exécutif en vue de faire face à la question de la violence à l'égard des femmes. Les pouvoirs législatif et exécutif devraient être pleinement associés à l'élaboration des plans pour l'élimination de la violence contre les femmes dans la société cubaine. Ces plans devraient englober une étude sur les modifications apportées récemment à la législation et à la stratégie de planification adoptée par d'autres pays latino-américains après la Conférence de Beijing.

98.La Rapporteuse spéciale engage le Gouvernement cubain à allouer le maximum de ressources possible à la FMC qui accomplit un travail exemplaire en faveur des droits des femmes.

99.La Rapporteuse spéciale invite le Gouvernement cubain à adopter des lois spéciales sur la violence dans la famille ainsi que des lois sur le harcèlement sexuel, tant en droit civil qu'en droit pénal, afin de renforcer la protection juridique des femmes contre la violence. Elle tient à appeler l'attention du Gouvernement cubain sur la législation type sur la violence dans la famille exposée dans son rapport à la Commission des droits de l'homme publié sous la cote E/CN.4/1996/53/Add.2.

100.La Rapporteuse spéciale recommande au Gouvernement cubain de lancer, dans le cadre de la coopération technique avec l'Organisation des Nations Unies, un programme complet de sensibilisation des forces de police, de l'appareil judiciaire et des procureurs aux questions relatives à la violence contre les femmes.

101.La Rapporteuse spéciale recommande le démantèlement des centres de rééducation créés à l'intention des prostituées car leur existence constitue une violation du droit à une procédure équitable. D'autres mécanismes qui ne violeraient pas les droits des prostituées seraient plus indiqués.

102.Le Gouvernement cubain devrait permettre aux organisations internationales et nationales de visiter régulièrement et systématiquement les prisons et les centres de détention cubains et de surveiller les conditions carcérales.

103.La Rapporteuse spéciale invite instamment la FMC à créer dans toutes les provinces des refuges pour les femmes victimes de la violence.

104.La Rapporteuse spéciale engage le Gouvernement cubain à respecter les droits politiques et civils des femmes en autorisant la création d'organisations politiques et civiles indépendantes et en garantissant l'indépendance de l'appareil judiciaire. Elle l'exhorte en outre à mettre fin à la pratique des détentions arbitraires qui va à l'encontre des normes énoncées dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Notes

Annexe

LISTE SÉLECTIVE DE PERSONNES AVEC LESQUELLES LA RAPPORTEUSESPÉCIALE S'EST ENTRETENUEAU COURS DE SA MISSION

Président Fidel Castro

M. Felipe Perez RoqueMinistre des affaires étrangères, membre du Conseil d'État

Mme Maria de los Angeles FlorezVice‑Ministre des affaires étrangères

Mme Vilma EspinPrésidente de la Fédération de Mujeres Cubanas (FMC)

M. Membre du Conseil d'État

M. Roberto Diaz SotolongoMinistre de la Justice

M.Ministre de la santé publique

M. Raul Peres GonzalezVice‑Ministre de la santé publique

M. Conrado Valladarez AnilloVice‑Ministre du travail

Mme Rosa Elena SimeonMinistre des sciences, de la technologie et de l'environnement

M. Juan Escalona ReguerraProcureur général

M. Ruben Remigio FerroPrésident de la Cour suprême du peuple

M. Ricardo Alarcon de QuesadaPrésident de l'Assemblée nationale du pouvoir populaire

M. Jesus Becerra MorciegoChef adjoint de la police révolutionnaire cubaineInstituto Pedro Kouri

Mme Olga Fernandez RiosInstitut de philosophie

Mme Romelia PinoInstitut de philosophie

Mme Mayda Alvarez SuarezDirectrice du Centro de Estudios de la Mujer/FMC

Mme Clotilde ProveyerUniversité de La Havane

Mme Caridad Navarrete CalderonBureau du Procureur général

Mme Concepción Campa HuergoDirectrice de l'institut Carlos J. Finlay, membre du Bureau politique du parti communiste

M. Miguel SosaMinistère de la santé

M. Armando Guerra VilanovaDirecteur de l'hôpital Galixto-Garcia

Mme TeresaDirectrice de la Prisión de Mujeres del Occidente

Mme Maritza RoleonDirectrice du centre Felix Varela

Padre Carlos Manuel de CespedesVicaire général

M. Antonio Radilio Martin SanchezUnion nationale des juristes

M. Alexis Mergarejo FaleroPrésident de l'Assemblée provinciale, Villa Clara

Mme Arelys Santana BelloSecrétaire générale de la FMC, Villa Clara

M. Lazaro AlvaradoVice‑Président du Conseil administratif provincial

Mme Natividad BriSecrétaire générale de la FMC, Pinar del Rio

M. Cyrilio GonzalezSecrétaire de la Commission de prévention et de protection sociales contre la violence

M. Ariel FrancaisCoordonnateur résident de l'ONU et Représentant résident du PNUD

M. Jorge ChediekReprésentant résident adjoint du PNUD

Mme Sara AlmerAdministratrice de programmes du PNUD

M. Alfredo MissairReprésentant de l'UNICEF

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