Nations Unies

E/C.12/68/D/79/2018

Conseil économique et social

Distr. générale

13 novembre 2020

Français

Original : espagnol

Comité des droits économiques, sociaux et culturels

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels concernant la communication no 79/2018 *

Communication présentée par :

M. B. B. (représentée par Beatriz Pérez García)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteure et ses enfants

État partie :

Espagne

Date de la communication :

13 novembre 2018 (date de la lettre initiale)

Date de la décision :

15 octobre 2020

Objet :

Expulsion de l’auteure de son domicile

Question(s) de procédure :

épuisement des recours internes ; allégations insuffisamment étayées

Question(s) de fond :

Droit à un logement convenable

Article(s) du Pacte :

11 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5

1.1L’auteure de la communication est M. B. B., de nationalité espagnole, née en 1991. L’auteur agit en son nom et au nom de ses enfants, J. I. M. B. et M. M. B., nés respectivement en 2010 et 2012. Elle affirme qu’elle et ses enfants sont victimes d’une violation par l’État partie des droits qu’ils tiennent du paragraphe 1 de l’article 11 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 5 mai 2013. L’auteure est représentée par un conseil.

1.2Le 14 novembre 2018, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Groupe de travail des communications, a enregistré la communication et, prenant note de l’imminence de l’expulsion et des allégations selon lesquelles aucune solution de relogement n’était proposée et le risque de préjudice irréparable était bien réel, a demandé à l’État partie de surseoir à l’expulsion de l’auteure et de ses enfants tant que ladite communication était en cours d’examen ou, à défaut, de leur attribuer un logement convenable, après avoir dûment consulté l’auteure, l’objectif étant d’éviter de leur infliger un préjudice irréparable. Le 16 novembre 2018, l’expulsion de l’auteure a été suspendue. Le 15 novembre 2019, l’auteure a été expulsée et est allée vivre avec sa famille au domicile de sa belle-famille.

1.3Dans la présente décision, le Comité fait d’abord la synthèse des renseignements fournis et des arguments avancés par les parties, sans exprimer ses vues ; il examine ensuite les questions de recevabilité que la communication soulève ; et il expose enfin ses conclusions.

A.Résumé des renseignements fournis et des arguments avancés par les parties

Rappel des faits présentés par l’auteure

Faits antérieurs à l’enregistrement de la communication

2.1Le 12 janvier 2015, l’auteur et son partenaire ont déposé une demande de logement auprès de la Communauté de Madrid au titre de la procédure d’attribution pour cause de grande nécessité.

2.2En avril 2016, l’auteure et son partenaire ont décidé d’occuper avec leurs enfants − sans titre légal − un appartement inoccupé appartenant à une institution financière.

2.3À une date non précisée, la banque a porté plainte pour spoliation dans le but de faire expulser la famille du logement. À cette occasion, les services sociaux de la mairie de Madrid ont proposé à l’institution financière de conclure un contrat de logement social avec l’auteure. La banque a rejeté la proposition.

2.4Le 10 janvier 2018, le tribunal d’instruction no 14 de Madrid a condamné l’auteure et son partenaire à une amende de deux euros par jour pendant trois mois et au paiement des frais de procédure pour délit de spoliation. Il a également ordonné leur expulsion du logement. L’auteure dit ne pas avoir fait appel de la condamnation car l’institution financière lui a assuré qu’elle pourrait rester quelques mois de plus jusqu’à ce qu’elle obtienne un logement social. Le 13 septembre 2018, l’auteure a été informée que la date de son expulsion avait été fixée au 3 octobre 2018.

2.5Le 26 septembre 2018, l’auteure a demandé au tribunal d’instruction no 14 de Madrid un sursis d’expulsion au motif qu’elle n’avait pas d’autre logement. Le 28 septembre 2018, l’auteure a réitéré sa demande de logement à la Communauté autonome de Madrid, en signalant qu’il était urgent de lui attribuer un logement en raison de l’imminence de son expulsion. L’auteure a également pris rendez-vous avec les services sociaux.

2.6Le 3 octobre 2018, l’expulsion n’a pas eu lieu et une nouvelle date a été fixée au 16 novembre 2018. Le 8 novembre 2018, l’auteure a de nouveau demandé un sursis d’expulsion, en indiquant qu’elle avait déposé une demande de logement social.

Faits postérieurs à l’enregistrement de la communication

2.7Le 14 novembre 2018, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Groupe de travail des communications, a enregistré la communication et a demandé à l’État partie de surseoir à l’expulsion de l’auteure et de ses enfants tant que ladite communication était en cours d’examen ou, à défaut, de leur attribuer un logement convenable, après avoir dûment consulté l’auteure, l’objectif étant d’éviter de leur infliger un préjudice irréparable. L’expulsion a été à nouveau reportée.

2.8Le 5 septembre 2019, un nouvel ordre d’expulsion a été émis, cette fois pour le 11 octobre 2019. L’expulsion n’a pas eu lieu le 11 octobre 2019 et une nouvelle date a été fixée au 15 novembre 2019, date à laquelle la famille a été expulsée.

Teneur de la plainte

3.1Dans sa lettre initiale, l’auteure soutient que son expulsion, qui a été ordonnée et suspendue par le tribunal no 14 de Madrid, constituerait une violation du paragraphe 1 de l’article 11 du Pacte puisqu’elle n’a pas de solution de relogement convenable. Elle affirme que sa famille ne touche qu’un revenu minimum d’insertion de 662,89 euros par mois, ce qui n’est pas suffisant pour louer un logement sur le marché privé et qu’elle ne sait pas où habiter. Sans invoquer d’article précis du Pacte, l’auteure affirme également qu’une expulsion immédiate porterait atteinte au droit à l’éducation de ses enfants, car ils sont scolarisés dans un établissement du quartier. L’auteure joint un rapport des services sociaux daté du 7 novembre 2018 indiquant que la famille est menacée d’exclusion sociale du fait de son expulsion imminente et de l’absence de solution de relogement.

3.2L’auteure fait également valoir que le droit au logement est protégé par la Constitution de l’État partie et par la Déclaration universelle des droits de l’homme. Elle ajoute que, bien que le droit à un logement convenable soit inscrit dans la Constitution de l’État partie sous le chapitre intitulé « Des principes directeurs de la politique sociale et économique » et qu’il ne puisse pas être invoqué dans le système juridique interne de manière autonome, une lecture systématique de la Constitution oblige à interpréter le droit au logement de la manière la plus protectrice possible avec ces autres droits connexes. À cet égard, l’auteure souligne que, selon l’opinion individuelle des juges Valdés Dal-Ré et Asua Batarrita dans l’arrêt de la Cour constitutionnelle no 3769/2012, un modèle de protection qui n’encourage pas une interprétation protectrice et solidaire des droits entraînerait une « régression incompréhensible de leur protection classique ». La Cour européenne des droits de l’homme a également qualifié les expulsions d’atteintes les plus graves au droit à la protection du domicile, condamnant l’absence de conditions minimales d’habitabilité et affirmant l’obligation de fournir un relogement convenable sur la base de ces droits. En outre, l’auteure rappelle que la Cour a adopté des mesures provisoires pour demander l’arrêt de plusieurs expulsions. Par conséquent, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme garantit un contenu minimum en ce qui concerne les droits fondamentaux à partir duquel les garanties liées à tel ou tel droit sont définies dans l’ordre juridique interne, ce contenu minimum garanti ne pouvant en aucun cas être réduit. Par conséquent, en ordonnant l’expulsion de l’auteure sans proposition de relogement convenable, la justice ignore ouvertement cette jurisprudence, violant ainsi les garanties minimales que l’État partie doit fournir face à la violation de droits fondamentaux.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 17 mai 2019, l’État partie a présenté ses arguments sur la recevabilité et le fond de la communication et, par la même occasion, a demandé au Comité de mettre fin à l’examen de la communication.

4.2L’État partie rappelle que l’auteure a été condamnée pour spoliation dans un jugement qui n’a pas fait l’objet d’un appel et qui est donc devenu définitif. Il fait également valoir que l’auteure n’a pas fait preuve de diligence en ce qui concerne ses demandes de logement puisqu’elle n’a pas fourni les documents exigés par la Communauté autonome de Madrid. À cet égard, d’après le dossier que l’auteure a déposé auprès de l’organisme de logement de la Communauté de Madrid, elle a présenté une première demande le 12 janvier 2015, qui a été classée sans suite, les documents exigés n’ayant pas été fournis. Le 28 septembre 2018, l’auteure a présenté une nouvelle demande de logement d’urgence, en raison de l’imminence de son expulsion, et le 11 octobre 2018, il lui a été demandé de présenter la décision d’expulsion du tribunal et le contrat de location de son logement. Ces documents n’ayant pas tous été fournis, l’auteure a été informée le 23 novembre 2018 que la procédure d’attribution d’un logement ne serait pas engagée. La mairie de Madrid indique que la demande de logement social qui lui a été adressée par l’auteure est à jour et qu’il faut attendre une nouvelle campagne d’attribution de logements.

4.3L’État partie rend également compte des mesures prises par les services sociaux. La famille est enregistrée auprès des services sociaux de la municipalité depuis 2002 et a fait l’objet d’une prise en charge régulière et continue. Entre autres démarches, les services sociaux ont proposé à l’entité financière propriétaire du logement de suspendre l’expulsion et de négocier un loyer modéré. L’entité a rejeté cette proposition. Selon le rapport des services sociaux, la famille s’est vu proposer la seule solution d’urgence qui était disponible pour se reloger, le Samur Social, c’est-à-dire le partage d’un logement avec une autre famille. Cette solution a été rejetée par la famille parce qu’elle pouvait être hébergée par des proches. Les services sociaux estiment que la famille ne partage pas la stratégie qu’ils ont proposée pour lui permettre de résoudre ses problèmes sociaux et ses difficultés de logement et qu’elle semble peu désireuse de répondre aux besoins de formation et d’alphabétisation des adultes afin d’obtenir un emploi stable et d’obtenir un logement sûr. En outre, ils soutiennent que l’auteure considère le logement social comme la seule option possible et que le moyen le plus rapide d’obtenir un logement social est de continuer à occuper l’appartement. Pour les services sociaux, la meilleure solution au problème de logement de la famille serait de partager un logement avec une autre famille, mais cette option n’est pas partagée par l’auteure.

4.4L’État partie affirme qu’en l’espèce, l’occupation du logement n’est pas protégée par l’article 11 du Pacte, si bien que la restitution du bien immobilier à son propriétaire ne constitue pas un cas d’expulsion forcée au sens de l’article 11 du Pacte et de la doctrine du Comité. Selon le paragraphe 3 de l’observation générale no 7 (1997) sur le droit à un logement suffisant : expulsions forcées, l’interdiction frappant les expulsions forcées ne s’applique toutefois pas à celles qui sont opérées par la force dans le respect de la loi et conformément aux dispositions des Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme. En outre, le droit à la propriété est protégé par l’article 17 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et par l’article 33 de la Constitution.

4.5L’État partie fait valoir que le droit au logement n’est pas un droit absolu à occuper tel ou tel logement appartenant à un tiers ou à se voir attribuer un logement par les autorités si celles-ci ne disposent pas de ressources suffisantes. L’État partie considère que le paragraphe 1 de l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et le paragraphe 1 de l’article 11 du Pacte ne reconnaissent pas un droit subjectif exécutoire, mais obligent les États parties à adopter des politiques publiques visant à faciliter l’accès de tous les citoyens à un logement décent. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, le paragraphe 3 de l’article 34 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui reconnaît le droit à l’aide au logement, ne garantit pas le droit au logement mais le droit à l’aide au logement dans le cadre des politiques sociales fondées sur l’article 153 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Cette obligation faite aux États a été expressément reconnue par l’article 47 de la Constitution espagnole et divers statuts d’autonomie. Selon cet article et la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, le droit au logement constitue « une directive ou un mandat constitutionnel » qui doit avoir un contenu essentiellement social, mais ne peut être considéré en soi comme un titre de compétence autonome en faveur de l’État. Les pouvoirs publics sont donc tenus de créer les conditions nécessaires et d’établir les règles pertinentes pour donner effet au droit des Espagnols à un logement décent et convenable, notamment en réglementant l’utilisation des sols conformément à l’intérêt général afin d’empêcher la spéculation. Par conséquent, en tant que droit dont la réalisation doit être assurée de façon progressive, l’État partie respecte pleinement ses obligations internationales en la matière.

4.6L’État partie fait également valoir que, pour analyser le degré d’accomplissement des obligations de l’État en ce qui concerne ce droit, il convient de tenir compte : a) du niveau minimum de ressources suffisantes pour accéder au marché libre du logement ; b) du nombre de personnes se trouvant en dessous de ce niveau minimum ; et c) des ressources budgétaires publiques disponibles pour répondre à ces besoins. L’État doit donc fournir toutes les ressources raisonnablement disponibles pour son financement. Lorsque ces ressources ne couvrent pas tous les besoins, il est nécessaire de répartir ces demandes sur la base de critères objectifs et dans le respect du principe d’égalité. À cet égard, selon l’observation générale no 7, il ne faudrait pas que, suite à une expulsion légale, une personne se retrouve sans toit ou puisse être victime d’une violation d’autres droits de l’homme et l’État doit « par tous les moyens appropriés, au maximum de ses ressources disponibles, veiller à ce que d’autres possibilités de logement soient offertes » (par. 16).

4.7Par conséquent, selon l’État partie, en l’espèce, l’auteure devrait fournir au moins la preuve qu’elle se trouve dans un état de nécessité et qu’elle ne dispose pas des ressources minimales nécessaires pour accéder à un logement sur le marché libre ; que les autorités compétentes n’ont pas consacré toutes les ressources dont elles disposent ; que les ressources publiques disponibles n’ont pas été allouées sur la base de critères rationnels et objectifs, en tenant compte avant tout de la situation de ceux qui en ont le plus besoin ; et qu’elle n’a pas volontairement et consciemment accompli des actes ou des omissions qui l’ont empêchée de recevoir les aides publiques disponibles.

4.8L’État partie rend compte des décisions prises pour protéger le droit au logement. L’État partie a pris des mesures pour faciliter l’accès au régime de la propriété privée par des allégements fiscaux et au régime de la location privée par des aides publiques. Des politiques ont également été adoptées pour que les gens n’aient pas à sortir de la propriété privée, grâce au moratoire sur les expulsions pour non-paiement de prêts hypothécaires et à l’adoption du Code de bonne conduite, auquel plus de 93 institutions financières ont adhéré. En outre, pour remédier aux situations d’urgence en cas d’expulsions légales jusqu’à ce qu’un nouveau logement stable soit trouvé, le décret-loi royal no 7/2019 a établi un mécanisme permettant aux personnes vulnérables d’obtenir la suspension de leur expulsion pendant un mois lorsque le propriétaire est une personne physique ou trois mois lorsqu’il s’agit d’une personne morale. L’État partie assure également la promotion d’un parc suffisant de logements sociaux en incluant dans la législation espagnole en matière d’urbanisme l’obligation de céder gratuitement à des fins publiques une partie des terrains privés à bâtir et en finançant la construction de logements sociaux sur ces terrains. Enfin, l’État partie établit des critères objectifs pour évaluer les besoins des demandeurs de logements sociaux.

4.9L’État partie conclut qu’en l’espèce, s’agissant d’une personne qui a occupé illégalement le logement d’un tiers et qui a rejeté la solution d’urgence qu’on lui proposait parce qu’il lui convenait mieux de rester dans ledit logement, les autorités n’ont pas violé le paragraphe 1 de l’article 11, dans la mesure où elles ont repoussé de plusieurs mois la date prévue de l’expulsion, ont procédé à une évaluation de l’état de nécessité et ont proposé un relogement d’urgence. Dans le cas présent, la situation est donc causée par les actions de l’auteure, qui occupe de force la propriété d’un tiers mais n’accepte pas l’offre de relogement d’urgence.

4.10L’État partie demande que la communication soit déclarée irrecevable et qu’il soit mis fin à son examen en raison d’un abus du droit de présenter une communication, étant donné que l’auteure a occupé illégalement un bien appartenant à autrui, qu’elle a rejeté l’offre de relogement d’urgence et que ses allégations n’ont pas été suffisamment étayées.

Commentaires de l’auteure concernant les observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

5.1Le 8 octobre et le 8 novembre 2019, l’auteur a écrit pour faire connaître la nouvelle date de son expulsion et fournir ses commentaires sur la recevabilité et le fond de la communication. Elle a demandé qu’une nouvelle demande de mesures provisoires soit adressée à l’État partie car un nouvel ordre d’expulsion avait été émis le 5 septembre 2019 pour le 11 octobre 2019. Elle affirme que cet ordre d’expulsion lui a été signifié personnellement et non à son représentant légal. L’auteure affirme qu’en raison de sa situation d’exclusion sociale et de son faible niveau d’instruction, elle n’a pas immédiatement informé son représentant légal du nouvel ordre d’expulsion mais a tenté sans succès de contacter l’entité propriétaire du logement.

5.2L’auteure réaffirme qu’elle n’a pas fait appel de sa condamnation pour spoliation parce qu’il existait un accord oral avec le plaignant pour négocier un contrat de location de type logement social. Elle indique également que les documents fournis témoignent de la précarité socioéconomique dans laquelle se trouve sa famille et que tous les renseignements demandés par les organismes de logement social de la mairie et de la Communauté de Madrid ont été donnés. Elle nie également avoir reçu et rejeté une offre de relogement.

5.3L’auteure réaffirme que la Constitution et divers traités relatifs aux droits de l’homme ratifiés par l’État partie protègent le droit à un logement convenable, ainsi que d’autres droits connexes tels que l’intégrité physique, le respect de la vie privée et l’inviolabilité du domicile ou de la vie privée et familiale. Elle ajoute que, bien que le droit à un logement convenable soit inscrit dans la Constitution (chapitre intitulé « Des principes directeurs de la politique sociale et économique ») et qu’il ne puisse pas être invoqué dans le système juridique interne de manière autonome, cela n’empêche pas que ce droit soit reconnu comme fondamental et qu’il puisse être invoqué en relation avec d’autres droits considérés comme fondamentaux. L’auteure rappelle la jurisprudence récente du Tribunal de première instance no 39 de Madrid, selon laquelle l’inscription de ce droit dans la norme la plus importante de l’ordre juridique interne est bien le signe qu’il s’agit d’un droit fondamental. En outre, selon la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, les droits énoncés dans la Constitution doivent être interprétés à la lumière des accords internationaux ratifiés par l’Espagne, et donc conformément au Pacte et à l’observation générale no 7.

5.4Selon l’auteure, la Cour européenne des droits de l’homme a confirmé que l’État est le premier responsable et le garant de la protection du droit au logement et doit fournir une solution de relogement en cas d’expulsion forcée, en particulier lorsqu’un groupe vulnérable est concerné, comme des enfants, conformément à la Convention relative aux droits de l’enfant. L’auteure affirme donc que, avant son expulsion, les autorités publiques compétentes avaient l’obligation d’intervenir pour lui fournir un logement de remplacement convenable.

5.5Enfin, l’auteure souligne que la banque qui a déposé la plainte aux fins de la procédure d’expulsion n’est plus propriétaire du logement, fait qui, selon elle, aurait dû être signalé au Tribunal de première instance no 14 de Madrid afin de procéder à une subrogation. L’auteure affirme avoir porté les faits à l’attention du Tribunal.

Observations complémentaires de l’État partie sur la recevabilité et le fond

6.Le 25 juin 2020, l’État partie a fourni des renseignements complémentaires au sujet des événements qui ont suivi l’expulsion. Il joint un rapport des services sociaux daté du 5 juin 2020, qui indique que l’auteure et sa famille ont élu domicile chez sa belle-famille, à proximité de leur ancien logement. Les services sociaux ont aidé la famille à se faire enregistrer à la nouvelle adresse. La famille a demandé que les enfants puissent s’inscrire dans une école plus proche du nouveau domicile et qu’une aide lui soit fournie pour subvenir à ses besoins alimentaires de base.

B.Examen de la recevabilité

7.Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 9 de son règlement intérieur provisoire, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

Non-épuisement des recours internes

8.1Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 1 de l’article 3 du Protocole facultatif, il ne peut examiner une communication sans s’être assuré que son auteur a épuisé tous les recours internes disponibles. En principe, conformément à la pratique des organes conventionnels et des juridictions internationales des droits de l’homme, il appartient à l’État partie de demander l’irrecevabilité pour non-épuisement des recours internes et d’indiquer expressément quels sont les recours judiciaires qui n’ont pas été épuisés, puisqu’il appartient à l’État partie de savoir précisément quels sont ces recours. En l’espèce, bien que l’État partie n’ait pas expressément demandé l’irrecevabilité de la communication pour ce motif, le Comité constate que l’État a demandé l’irrecevabilité pour abus de droit et a indiqué que l’auteure a été condamnée pour spoliation dans un jugement qui n’a pas fait l’objet d’un appel et est donc devenu définitif. Le Comité considère donc que l’État partie affirme que la communication est irrecevable au motif qu’il s’agit d’un abus de droit puisque l’auteure aurait présenté la communication sans avoir fait appel de sa condamnation et qu’elle n’a donc pas épuisé les recours internes.

8.2Le Comité note que le jugement en question a été rendu à l’issue d’une procédure pénale. En règle générale, une telle procédure n’est pas la voie appropriée s’agissant, pour un individu, de faire valoir son droit à un logement convenable. Le Comité note cependant qu’en l’espèce, il a été ordonné à l’auteure de quitter les lieux dans le jugement même, par suite directe du délit de spoliation dont elle a été reconnue coupable. Dès lors, elle aurait disposé d’un recours contre l’ordre d’expulsion si elle avait fait appel du jugement. Si la juridiction de deuxième instance avait estimé que l’auteure n’encourait pas de responsabilité pénale, du fait, par exemple, que son état de nécessité l’exonérait de cette responsabilité, la condamnation et l’ordre d’expulsion auraient pu être annulés. Le recours en appel, qui était ouvert à l’auteure, constituait donc un recours effectif afin d’éviter l’expulsion.

8.3La conclusion du paragraphe précédent fait écho au raisonnement suivi dans une communication antérieure à l’égard du même État partie. Dans celle-ci, le Comité a estimé qu’une condamnation pour spoliation peut être un motif légitime d’expulsion, mais qu’avant de procéder à l’expulsion forcée, les autorités doivent examiner la proportionnalité entre le but légitime poursuivi par la mesure d’expulsion et ses conséquences pour les personnes visées. Le Comité a constaté que l’État partie n’avait pas adopté clairement de mécanisme permettant un tel examen, et lui a donc recommandé de mettre en place un cadre normatif prescrivant aux juges de mener un examen de proportionnalité, afin de protéger le droit au logement. S’il peut paraître contradictoire que le Comité considère en l’espèce que le recours en appel est un recours effectif, après avoir constaté par le passé l’absence de mécanisme permettant aux juges de mener l’examen de proportionnalité, le fait est qu’en l’espèce, l’appel, qui offrait le moyen à l’auteure, potentiellement, d’obtenir l’annulation de l’ordre d’expulsion dont elle était l’objet, constituait un recours effectif.

8.4L’auteure affirme qu’elle n’a pas fait appel de sa condamnation pour spoliation parce qu’il existait un accord oral avec le plaignant pour négocier un contrat de location de type logement social. Cependant, rien ne laisse penser qu’une telle négociation l’ait empêchée de faire appel du jugement par lequel elle avait été condamnée pour spoliation. Le Comité note également que l’auteure était représentée par une avocate dans la procédure pénale susmentionnée pour spoliation et que rien dans le dossier n’indique qu’elle n’a pas eu accès à un tel recours, ou qu’un appel contre une condamnation en première instance pour spoliation n’était pas un recours utile dans les circonstances de l’espèce. En l’absence d’informations indiquant que le recours aurait été indisponible ou inefficace, le Comité considère que, selon les informations figurant au dossier, l’auteure n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles. Le Comité considère donc que la communication est irrecevable au regard du paragraphe 1 de l’article  3 du Protocole facultatif.

Défaut de fondement des griefs

9.1Le Comité note en outre l’affirmation de l’État partie selon laquelle l’auteure n’a pas fourni les renseignements demandés par les organismes de logement social et a refusé l’offre de relogement d’urgence et, le fait qu’après son expulsion, elle s’est installée au domicile de sa belle-famille. L’auteure déclare que tous les renseignements demandés par les organismes de logement social ont été fournis et affirme n’avoir reçu aucune offre de relogement. Le Comité constate que l’auteure n’a pas fourni tous les renseignements demandés par l’organisme de la Communauté de Madrid, car on lui a demandé un contrat de location ou un titre légal qu’elle n’avait pas et qu’elle ne pouvait donc présenter. Le Comité note que l’auteure affirme n’avoir reçu aucune offre de relogement d’urgence. Il constate cependant que l’État partie soumet deux rapports des services sociaux dans lesquels il est affirmé que l’on a proposé une solution de relogement d’urgence, le Samur Social, dans un appartement partagé, qui a été rejetée par la famille parce qu’elle pouvait être hébergée par des proches. Le Comité note que l’auteure n’a pas réfuté l’information selon laquelle sa famille habite, depuis l’expulsion, au domicile de sa belle-famille.

9.2Conformément au paragraphe 2 e) de l’article 3 du Protocole facultatif, le Comité déclare irrecevable toute communication qui est manifestement mal fondée ou insuffisamment étayée ou qui repose exclusivement sur des informations diffusées par les médias. Le Comité note que l’auteure a commencé à occuper en 2016 un logement sans titre légal dont elle a été expulsée le 15 novembre 2019 après avoir bénéficié de plusieurs sursis. Il constate que l’auteure n’a pas eu recours à la solution du relogement d’urgence et que, depuis l’expulsion, elle réside au domicile de sa belle-famille. L’auteur ne donne pas plus de détails sur les conditions de logement.

9.3L’auteure n’a donc pas signalé que l’expulsion l’a privée de son droit à un logement convenable en la plaçant en situation de sans-abrisme ou, à tout le moins, en la contraignant à vivre dans un logement qui ne répond pas aux conditions minimales pour être un logement convenable et adapté aux besoins de sa famille. Le Comité relève que l’auteure se trouve dans une situation d’exclusion sociale et affirme avoir un faible niveau d’instruction. Le Comité est conscient que les communications peuvent être présentées par des personnes qui ne sont pas toujours représentées, et que même quand c’est le cas, elles ne le sont pas toujours par des avocats ou des juristes formés au droit international des droits de l’homme. Il doit donc s’abstenir d’imposer des formalités compliquant inutilement la soumission des communications. Toutefois, pour que le Comité examine le bien-fondé d’une communication, il est nécessaire que les faits et les griefs présentés laissent supposer que les auteurs pourraient être des victimes réelles ou potentielles de la violation d’un droit consacré par le Pacte, ou du moins en fournissent un commencement de preuve, afin qu’il puisse y avoir un examen de la communication. En l’espèce, le Comité constate que l’auteure a été représentée par un conseil, tant au cours des procédures internes que devant le Comité, mais n’a fourni aucune explication ni justification à l’appui de la thèse selon laquelle l’expulsion a porté atteinte à son droit à logement convenable et à celui de ses enfants. En particulier, les informations disponibles dans le dossier permettent de conclure que l’auteure et sa famille n’ont pas été laissées sans abri à la suite de l’expulsion, puisqu’elles résidaient au domicile de sa belle-famille. En conséquence, et étant donné qu’il ne dispose pas d’éléments suffisants pour déterminer si, en l’espèce, le droit de l’auteure et de ses enfants à un logement convenable a été bafoué ou est réellement menacé, le Comité estime que la communication n’est pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité et est donc irrecevable au regard du paragraphe 2 e) de l’article 3 du Protocole facultatif en ce qui concerne le grief de violation de l’article 11 du Pacte.

9.4Le Comité note également que l’auteure évoque, sans faire référence à un article précis du Pacte, un éventuel effet de l’expulsion sur le droit à l’éducation de ses enfants. Il constate que l’auteure ne précise pas en quoi l’expulsion pourrait porter atteinte à ce droit et que, selon le rapport des services sociaux, les enfants ont demandé un transfert dans une école plus proche de leur nouveau lieu de résidence sans qu’il ne ressorte des allégations de l’auteure ou du dossier qu’un tel changement pourrait affecter le droit à l’éducation des enfants. Le Comité considère donc que le grief de violation du droit à l’éducation des enfants de l’auteure n’est pas suffisamment étayé aux fins de la recevabilité et le déclare irrecevable au regard du paragraphe 2 e) de l’article 3 du Protocole facultatif.

9.5.L’État partie considère également que la communication constitue un abus du droit de présenter une communication pour les raisons déjà mentionnées plus haut, à savoir que l’auteure a occupé illégalement le logement d’un tiers, et a rejeté la solution d’urgence qu’on lui proposait, et de surcroît, n’a pas étayé suffisamment ses allégations. Le Comité estime cependant, au vu des faits et circonstances exposés dans la communication, que l’auteure n’a pas abusé du droit de présenter une communication qu’elle tient de l’alinéa f) du paragraphe 2 de l’article 3 du Protocole facultatif, ce qui aurait pu être le cas si, notamment, on avait constaté que l’auteure avait présenté sa communication de mauvaise foi.

C.Conclusion

10.Compte tenu de toutes les informations qui lui ont été communiquées, le Comité, agissant en vertu du Protocole facultatif, décide que la communication n’est pas recevable au regard des paragraphes 1 et 2 e) de l’article 3 de cet instrument.

11.En conséquence, le Comité décide qu’en vertu du paragraphe 1 de l’article 9 du Protocole facultatif, les présentes constatations seront communiquées à l’auteure de la communication et à l’État partie.