Nations Unies

E/C.12/66/D/51/2018

Conseil économique et social

Distr. générale

27 novembre 2019

Français

Original : espagnol

Comité des droits économiques, sociaux et culturels

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, concernant la communication no51/2018 *

Communication présentée par :

S. S. R. (représentée par un conseil)

Au nom de :

S. S. R.

État partie :

Espagne

Date de la communication :

1er août 2018 (date de la lettre initiale)

Date de la décision :

11 octobre 2019

Objet :

Expulsion du domicile

Question(s) de procédure :

Recevabilité ratione materiae ; fondement des griefs

Question(s) de fond :

Droit à un logement convenable

Article(s) du Pacte :

11 (par. 1)

Article(s) du Protocole f acultatif :

3 (par. 2 e)) et 5

1.1L’auteure de la communication est S. S. R., de nationalité espagnole, née le 16 juin 1995. Elle soutient qu’elle est victime d’une violation, par l’État partie, du paragraphe 1 de l’article 11 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 5 mai 2013. L’auteure est représentée par un conseil.

1.2Le 5 septembre 2018, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son groupe de travail, a enregistré la communication et, en vertu de l’article 5 du Protocole facultatif, a demandé à l’État partie de suspendre l’expulsion de l’auteure jusqu’à ce que la communication ait été examinée ou, à défaut, de fournir à l’intéressée un logement convenable après l’avoir dûment consultée, l’objectif étant qu’elle ne se voit pas infliger un préjudice irréparable.

1.3Le Comité commencera par récapituler les renseignements fournis et les arguments présentés par les parties, puis il examinera les questions de recevabilité et de fond soulevées dans la communication, après quoi il formulera ses conclusions.

A.Résumé des renseignements fournis et des arguments avancés par les parties

Rappel des faits présentés par l’auteure

Faits antérieurs à l’enregistrement de la communication

2.1L’auteure est handicapée à 66 % par la périartérite noueuse, une maladie rare et difficile à soigner. Elle perçoit une pension d’invalidité non contributive qui lui est versée en 14 mensualités de 380,10 euros.

2.2À une date non précisée de 2014, l’auteure, qui n’avait pas les moyens de vivre dans un logement du marché privé, a commencé à occuper sans droit ni titre un logement appartenant à une banque et dont elle soutient qu’il était alors abandonné.

2.3Le 1er février 2017, l’auteure s’est vu signifier que le propriétaire du logement avait engagé une procédure d’expulsion et l’appelait à comparaître devant le tribunal de première instance no 1 de Guadalajara. Elle a demandé à bénéficier de l’aide juridictionnelle, ce qui lui a été accordé le 2 mars 2017. Toutefois, elle soutient qu’elle a été mal représentée parce qu’elle n’a pas été informée de la date de l’audience ni des voies de recours qui s’offraient à elle et son conseil n’a pas demandé au tribunal de prendre en considération la gravité de son état de santé et de sa situation socioéconomique.

2.4Dans sa décision, rendue le 25 mai 2017, le tribunal de première instance no 1 de Guadalajara a accueilli la requête du propriétaire dans son intégralité et ordonné l’expulsion de l’auteure et de toutes les personnes non identifiées occupant le logement. Le conseil commis à la défense de l’auteure a interjeté appel de cette décision, alléguant que le tribunal n’avait pas correctement apprécié les éléments de preuve car il avait conclu que sa cliente occupait le logement sans contrepartie aucune, ce qui ne tenait pas compte du fait qu’elle avait exprimé la volonté de signer un contrat de bail avec le propriétaire. Le 11 décembre 2017, le tribunal provincial de Guadalajara a rejeté l’appel, estimant qu’aucune erreur n’avait été commise étant donné que, pour qu’il y ait contrepartie, il aurait fallu non seulement que l’auteure s’acquitte d’un loyer, mais aussi que le propriétaire accepte de lui donner le logement à bail.

2.5Le 15 mars 2018, l’auteure a demandé au bureau du programme d’assistance, de conseil et de médiation hypothécaires d’intervenir auprès de l’institution financière propriétaire du logement afin de régulariser sa situation de locataire. Elle a également demandé à se voir attribuer un logement social.

2.6Le 8 mai 2018, par ordonnance portant exécution de la décision du 25 mai 2017, le tribunal de première instance no 1 de Guadalajara a ordonné à l’auteure de quitter le logement dans un délai d’un mois, faute de quoi la commission judiciaire lancerait à son égard une procédure d’expulsion. L’auteure soutient qu’elle a par la suite sollicité différents services sociaux et qu’aucun n’a apporté de solution efficace à son problème urgent de logement. Elle s’est alors tournée vers une association d’aide aux personnes grevées par une hypothèque, Plataforma de afectados por la hipoteca de Guadalajara, qui lui a fourni une assistance juridique.

2.7Le nouveau conseil de l’auteure a demandé que l’expulsion soit suspendue jusqu’à ce que sa cliente ait un autre logement et que soit appliquées les dispositions de l’accord de collaboration conclu entre le Conseil général de la magistrature et la communauté de communes de Castille-La Manche concernant la détection des situations de vulnérabilité aux fins de l’octroi de mesures d’aide sociale et de logements aux ménages et le partage de données concernant les procédures d’expulsion et de recouvrement des hypothèques. Le conseil de l’auteure a également demandé au tribunal d’informer le bureau du programme d’assistance, de conseil et de médiation hypothécaires de la situation de sa cliente, conformément à l’accord susmentionné, afin qu’il évalue la situation de l’intéressée et détermine les mesures à prendre.

2.8Le 14 juin 2018, le tribunal de première instance no 1 de Guadalajara a communiqué les informations voulues au bureau du programme d’assistance, de conseil et de médiation hypothécaires et a reporté l’expulsion au 11 septembre 2018.

2.9Le 15 août 2018, l’auteure a écrit au bureau du programme d’assistance, de conseil et de médiation hypothécaires pour lui signaler qu’elle s’était adressée à lui à plusieurs reprises sans jamais obtenir de réponse et lui demander de l’informer des mesures prises à son égard compte tenu des informations fournies par le tribunal de première instance. Selon elle, à la date de l’enregistrement de la communication, le bureau n’avait rien fait pour l’aider à faire face à l’expulsion dont elle était menacée.

Faits antérieurs à l’enregistrement de la communication

2.10Le 5 septembre 2018, le conseil d’action sociale de Castille-La Manche a informé le tribunal de première instance no 1 de Guadalajara qu’il avait entrepris les démarches nécessaires en faveur de l’auteure, mais aucun autre logement n’était disponible pour elle à ce moment-là.

2.11Le 6 septembre 2018, le tribunal a de nouveau reporté l’expulsion de l’auteure, cette fois au 22 octobre 2018.

2.12Le 22 octobre 2018, l’auteure a été expulsée de chez elle.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure rappelle que le droit à un logement convenable est protégé par le paragraphe 1 de l’article 11 du Pacte et est étroitement lié au droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants et au droit au respect de la vie privée et familiale, respectivement protégés par les articles 3 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. En outre, elle souligne que, selon la jurisprudence du Comité, l’expulsion d’une personne qui n’a pas de logement de remplacement peut constituer une violation du Pacte et les États parties doivent accorder une attention particulière aux situations dans lesquelles l’expulsion vise une personne handicapée, comme c’est le cas en l’espèce.

3.2L’auteure rappelle également que, selon la jurisprudence pertinente de la Cour européenne des droits de l’homme, même en cas d’occupation sans droit ni titre, seules peuvent être expulsées les personnes qui peuvent être relogées dans des conditions qui ne sont pas dégradantes et qui ne risquent pas de se retrouver dans une situation de sans‑abrisme ou une autre situation d’exclusion sociale. De surcroît, la Cour a conclu que l’expulsion n’était admissible qu’en dernier recours, aux fins de la réalisation d’un but légitime dans une société démocratique, et pour autant qu’elle soit assortie des mesures nécessaires pour protéger les droits des personnes contre toute atteinte.

3.3L’auteure soutient que l’administration n’a pas respecté les recommandations que le Comité avait formulées dans de précédentes constatations en ce qu’elle ne l’a pas véritablement et effectivement consultée et n’a pas pris toutes les mesures nécessaires ni agi au maximum des ressources disponibles pour la reloger, et avance que cette inaction est constitutive d’une violation du paragraphe 1 de l’article 11 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 5 avril 2019, l’État partie a présenté des observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication.

4.2L’État partie soutient que, le 1er octobre 2018, l’auteure a été informée des différentes prestations auxquelles elle pourrait avoir droit si elle remplissait les conditions requises, mais qu’elle n’a pas répondu à la communication. Il soutient également que l’auteure a manqué les deux rendez-vous que les services sociaux de Guadalajara lui avaient fixés à sa demande, puis s’est présentée le 5 septembre, à l’improviste, et n’a finalement réclamé aucune des aides proposées.

4.3L’État partie signale que l’auteure a présenté une nouvelle demande de sursis à expulsion, qui a été rejetée par une décision du 17 octobre 2018 au motif que toutes les voies prévues par le droit interne en matière d’aide sociale avaient été épuisées. Dans cette décision, il était rappelé que l’expulsion avait déjà été reportée à deux reprises, que la situation de l’auteure avait été portée à l’attention du Conseil d’action sociale de la communauté de communes de Castille-La Manche, de ses antennes de Guadalajara et de Toledo et du bureau de médiation hypothécaire, et que le conseil d’action sociale faisait le nécessaire pour l’intéressée, mais aucun logement de remplacement n’était disponible. Le 22 octobre 2018, l’auteure a été expulsée, le département de la protection sociale et les services sociaux municipaux ayant constaté qu’elle avait refusé les logements qui lui avaient été proposés.

4.4L’État partie soutient que la situation de l’auteure ne relève pas de l’article 11 du Pacte et que, par conséquent, la restitution du logement à son propriétaire ne constitue pas une expulsion forcée au regard de l’article 11 du Pacte et de la doctrine du Comité. Ainsi qu’il ressort du paragraphe 3 de l’observation générale no 7 (1997), sur les expulsions forcées, l’interdiction frappant les expulsions forcées ne s’applique pas à celles qui sont opérées par la force dans le respect de la loi et conformément aux dispositions des Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme. En outre, selon le Rapporteur spécial sur le logement convenable, les principes de base et directives sur les expulsions forcées et les déplacements liés au développement « s’appliquent aux actes ou omissions qui ont pour effet le déplacement contraint ou involontaire de personnes, de groupes ou de communautés des logements, des terres ou des ressources foncières collectives qu’ils occupaient ou dont ils étaient tributaires, éliminant ou limitant ainsi leur aptitude à vivre ou à travailler dans un logement, une résidence ou un lieu donné, sans leur fournir une forme appropriée de protection juridique ou autre ni leur permettre d’avoir accès à une telle protection ». Dans le même ordre d’idées, selon la fiche d’information no 25 publiée par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, intitulée « L’éviction forcée et les droits de l’homme », l’expulsion forcée est « l’expulsion de tout individu, famille ou communauté chassés de leur foyer, de leur terre ou de leur environnement, contre leur volonté et d’une façon directement ou indirectement attribuable à l’État. [...] Les causes de l’éviction forcée sont très diverses : projets de développement ou d’infrastructure (notamment construction de barrages ou autres installations productrices d’énergie), acquisition ou expropriation de terres, restauration de logements ou amendement des sols, grandes manifestations internationales (Jeux olympiques, foires mondiales, etc.), spéculation immobilière incontrôlée, rénovation immobilière, développement urbain, travaux d’esthétique urbaine, programmes massifs de réinstallation, etc. ». De surcroît, au paragraphe 8 de son observation générale no 4 (1991), sur le droit à un logement suffisant, le Comité mentionne comme seules formes légales d’occupation la location (par le secteur public ou privé), la copropriété, le bail, la propriété, l’hébergement d’urgence et l’occupation précaire, qu’il s’agisse de terres ou de locaux. Enfin, dans son observation générale no 7, le Comité part du principe que l’occupation est légale lorsqu’il déclare, au paragraphe 11, que si certaines expulsions peuvent être légitimes, par exemple en cas de non-paiement persistant du loyer ou de dommages causés sans motif raisonnable à un bien loué, il incombe cependant aux autorités compétentes de veiller à ce qu’elles soient effectuées selon les modalités définies par une loi compatible avec le Pacte et à ce que toutes les voies de recours prévues par la loi soient accessibles aux personnes visées. L’État partie estime que l’occupation illégale est l’une des circonstances dans lesquelles l’expulsion peut être légitime et souligne qu’aucun des textes suscités ne concerne ce type d’occupation. Il avance que nul n’a le droit d’occuper de force le logement d’autrui et rappelle que le droit à la propriété est un droit de l’homme fondamental protégé par l’article 17 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Ce droit permet aux titulaires de droits de satisfaire leurs propres besoins fondamentaux lorsqu’ils sont dans une situation difficile et doit donc être protégé contre la privation arbitraire. En outre, le droit à la propriété privée est consacré à l’article 33 de la Constitution espagnole de 1978. On ne saurait donc invoquer les droits reconnus au paragraphe 1 de l’article 11 du Pacte pour justifier l’occupation de la propriété d’autrui.

4.5Bien qu’il estime que l’auteure n’a pas été soumise à une expulsion forcée, l’État partie examinera par souci de précaution la question de savoir si l’intéressée a bénéficié des garanties relatives à l’expulsion énoncées dans l’observation générale no 7. Les trois premières garanties énoncées au paragraphe 15 de cette observation sont les suivantes : « a) possibilité de consulter véritablement les intéressés ; b) délai de préavis suffisant et raisonnable à toutes les personnes concernées ; c) informations sur l’expulsion envisagée et, le cas échéant, sur la réaffectation du terrain ou du logement, fournies dans un délai raisonnable à toutes les personnes concernées ». Quoique ces garanties ne soient pas applicables en cas d’occupation illégale, la décision d’expulsion, prise en 2017, n’a pas été mise à exécution avant le 22 octobre 2018 ; dans l’intervalle, l’auteure a eu la possibilité de plaider sa cause en justice, notamment de former un recours contre la décision d’expulsion, et de prendre contact avec les services sociaux. En ce qui concerne les quatrième et cinquième garanties, « d) présence, en particulier lorsque des groupes de personnes sont visés, des agents ou des représentants du gouvernement, lors de l’expulsion ; e) identification de toutes les personnes exécutant l’arrêté d’expulsion », l’État partie soutient que l’expulsion a eu lieu en la présence de fonctionnaires de justice et de policiers, ainsi que des représentants des parties qui souhaitaient y assister. En ce qui concerne la sixième garantie, « f) pas d’expulsion par temps particulièrement mauvais ou de nuit, à moins que les intéressés n’y consentent », comme le procès-verbal d’expulsion l’indique, l’auteure a été expulsée à 11 heures. En ce qui concerne la septième garantie, « g) accès aux recours prévus par la loi », l’État partie rappelle que l’auteure a interjeté appel de la décision la visant. Enfin, en ce qui concerne la huitième garantie, « h) [l]’octroi d’une aide judiciaire, le cas échéant, aux personnes qui en ont besoin pour introduire un recours devant les tribunaux », ainsi qu’il ressort de la décision, l’auteure était assistée d’un avocat. ».

4.6L’État partie soutient que le paragraphe 1 de l’article 11 du Pacte consacre le droit à un logement convenable, et non le droit absolu à occuper tel ou tel logement appartenant à un tiers ou à se voir attribuer un logement par les autorités si celles-ci ne disposent pas de ressources suffisantes. Pour l’État partie, à l’évidence, le Pacte ne reconnaît pas un droit subjectif exécutoire ; il oblige simplement les États à adopter des politiques facilitant l’accès de toute personne à un logement digne. De fait, au paragraphe 16 de son observation générale no 7, le Comité a déclaré qu’il ne faudrait pas que, suite à une expulsion, une personne se retrouve sans toit, et que les États devaient, par tous les moyens appropriés et au maximum de leurs ressources disponibles, veiller à ce que d’autres possibilités de logement soient offertes à la personne visée. Dans le même ordre d’idées, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne reconnaît le droit à une aide sociale et à une aide au logement destinées à assurer une existence digne à tous ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes. La Cour de justice de l’Union européenne a établi que le droit garanti par la Charte n’était pas le droit au logement, mais le droit à une aide sociale et à une aide au logement fournies dans le cadre des politiques sociales. L’État partie a reconnu ce droit dans sa constitution et dans divers statuts d’autonomie. De fait, et ainsi qu’il ressort de la jurisprudence du Tribunal constitutionnel, la Constitution établit des lignes directrices destinées à guider toutes les autorités publiques dans l’exercice de leurs compétences, et l’administration est tenue de créer les conditions nécessaires et d’adopter les dispositions voulues pour rendre effectif le droit des Espagnols à un logement décent et convenable, et notamment de réglementer l’utilisation du sol dans l’intérêt général afin d’empêcher la spéculation. Comme le fait le Pacte au paragraphe 1 de son article 11, la Constitution consacre un droit dont les autorités doivent assurer la réalisation progressive. Du point de vue du droit international, l’Espagne s’acquitte donc pleinement des obligations mises à sa charge.

4.7Compte tenu de ce qui précède, l’État partie doit tenir compte de trois éléments pour s’acquitter de ses obligations : le niveau de ressources en deçà duquel on estime que la personne ne peut pas accéder au marché du logement ; le nombre de personnes qui vivent en deçà de ce niveau ; les fonds publics disponibles. Par conséquent, pour qu’une communication présentée par un particulier sur le fondement du paragraphe 1 de l’article 11 soit recevable, il doit être établi que l’auteur est dans le besoin en ce que ses ressources ne lui permettent pas d’avoir accès au logement. Par « ressources », on entend les revenus monétaires et les revenus en nature d’origine publique et privée, ainsi que les services d’éducation et de santé, qui sont des services publics universels et gratuits. Le revenu minimum dont on estime qu’une famille espagnole a besoin pour pouvoir subvenir à ses besoins vitaux est donc calculé sur la base du salaire minimum interprofessionnel, qui est actuellement de 900 euros payés en 14 mensualités. Les personnes dans le besoin bénéficient de surcroît de l’aide juridictionnelle. L’État partie estime que les communications émanant de particuliers sont irrecevables dès lors que les autorités compétentes de l’État se sont employées au maximum des ressources disponibles à répondre aux besoins de logement des ménages en véritable situation d’exclusion sociale et que, lorsque les ressources n’étaient pas suffisantes, elles les ont utilisées de manière rationnelle et objective pour régler en priorité les situations les plus graves. En outre, pour qu’une communication soit recevable, l’auteur doit ne pas avoir délibérément et en toute connaissance de cause commis un acte ou une omission l’excluant du bénéfice des prestations existantes ; en d’autres termes, il ne soit pas être seul responsable du fait qu’il n’a pas de logement convenable. En conclusion, il est porté atteinte au paragraphe 1 de l’article 11 du Pacte uniquement lorsque l’auteur risque l’exclusion sociale, ne bénéficie pas d’un hébergement d’urgence et ne se voit pas attribuer de logement public dans le cadre d’une procédure objective.

4.8Face à la crise, les autorités espagnoles ont pris des mesures destinées à faciliter l’accès au marché du logement, parmi lesquelles des allégements fiscaux et des aides à la location. De surcroît, pour éviter la baisse du marché, elles ont déclaré un moratoire sur les expulsions pour non-paiement d’hypothèque et adopté un code de bonnes pratiques qui a permis de suspendre plus de 24 000 expulsions, de restructurer 38 500 dettes, d’effectuer 7 000 dations en paiement et d’attribuer 9 020 logements par l’intermédiaire du fonds de logement social. Enfin, le décret-loi royal no 7/2019 du 1er mars a établi des protocoles applicables aux situations d’urgence dans lesquelles les personnes tombant sous le coup d’une expulsion légitime n’ont pas encore de logement de remplacement. Ce décret prévoit que le tribunal qui ordonne l’expulsion d’un ménage vulnérable doit informer les services sociaux municipaux de sa décision et peut reporter l’exécution de celle-ci pour une période allant de un à trois mois si lesdits services estiment que le degré de vulnérabilité des intéressés le justifie. Par ailleurs, des mesures ont été prises en vue d’élargir le parc de logements publics : le code de l’urbanisme prévoit la cession gracieuse de terrains et des fonds ont été alloués à la construction de logements sociaux.

4.9En l’espèce, l’auteure a fait l’objet d’une expulsion ordonnée par la justice au motif qu’elle occupait un logement sans droit ni titre, et non d’une expulsion forcée. Elle a néanmoins quand même bénéficié des garanties procédurales applicables en cas d’expulsion forcée. De surcroît, l’intéressée a refusé d’envisager les solutions de logement de rechange qui lui ont été proposées.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 13 juillet 2019, l’auteure a repris les arguments qu’elle avait formulés le 24 octobre 2019 au sujet de la demande de l’État partie tendant à ce que le Comité retire sa demande de mesures provisoires.

5.2L’auteure soutient que, le 4 septembre 2018, le conseil d’action sociale lui a fait savoir qu’il n’avait à ce moment-là aucun logement de rechange à lui proposer. Le 27 septembre 2018, suivant la recommandation des services sociaux, elle a donc demandé à bénéficier d’un logement social. Le 19 octobre 2018, elle a été informée que, malgré la demande de mesures provisoires formulée par le Comité, le juge d’instruction avait ordonné qu’il soit procédé à l’expulsion. Le jour même, elle a interjeté appel de cette décision. Le 22 octobre 2018, elle a été expulsée.

5.3L’auteure avance qu’en l’expulsant, l’État partie a foulé aux pieds la demande de mesures provisoires formulée par le Comité. Elle ajoute que l’expulsion a été effectuée par des dizaines de policiers anti‑émeute et que ceux-ci ont tenté d’intimider les personnes qui s’étaient rassemblées devant chez elle pour empêcher l’éviction, en traînant même certaines à terre. Bien que ces personnes et le représentant de l’auteure aient mis en avant le fait que le Comité avait demandé des mesures provisoires, aucun dialogue n’a été possible, et la police a fini par utiliser un marteau pour entrer dans l’appartement. L’auteure soutient qu’elle a dû être transportée à l’hôpital à cause de l’anxiété que l’expulsion lui a causée et que la section espagnole d’Amnesty International a publiquement dénoncé ce qui lui était arrivé.

5.4Selon l’auteure, les autorités ont affirmé à maintes reprises que les recommandations du Comité concernant l’octroi de mesures provisoires n’étaient pas contraignantes. Interviewé à la radio le jour de l’expulsion, le responsable des services du logement de Guadalajara a dit que le Comité estimait que des solutions de rechange satisfaisantes avaient été proposées. En outre, le directeur des services de protection sociale a déclaré que ses services avaient proposé un logement de remplacement à l’auteure aussitôt qu’ils avaient eu connaissance de la situation dans laquelle elle se trouvait, et ce, alors que l’intéressée a été informée par écrit le 4 septembre 2018 qu’aucun logement n’était disponible.

5.5L’auteure a examiné les trois options d’aide au logement qui lui ont été présentées le 3 octobre 2018. La première (l’aide d’urgence sociale) n’est pas compatible avec la pension d’invalidité que l’auteure touche. La deuxième (l’hébergement temporaire des personnes en situation d’urgence sociale) consiste, dans la région où vit l’auteure, en un hébergement dans un foyer pour indigents ; comme son nom l’indique, elle est temporaire, et donc inadaptée à l’état de santé de l’intéressée. La troisième (l’allocation complémentaire accordée aux bénéficiaires d’une pension non contributive résidant dans un logement de location) est une prestation à laquelle l’auteure n’a pas droit car elle est réservée aux titulaires d’un contrat de bail et l’auteure ne peut pas obtenir ce type de contrat sur le marché actuel.

5.6L’auteure souligne que l’État partie ne fournit aucun élément venant étayer l’allégation selon laquelle elle a manqué deux rendez-vous avec les services sociaux. Elle soutient qu’elle s’est rendue à de nombreuses reprises dans les bureaux des services sociaux, à qui elle a demandé de l’aide en vain, et que, après des démarches administratives interminables, elle ne s’est rien vu proposer d’autre que les options susmentionnées, qui ne s’apparentent pas à des propositions de logement de remplacement convenable.

5.7L’auteure conclut que l’État partie a fait fi de la demande de mesures provisoires formulée par le Comité et ne lui a pas proposé de logement de remplacement et qu’elle est actuellement prise en charge par sa famille et ses amis et est privée de logement stable et décent.

B.Délibérations du Comité sur la recevabilité et sur le fond

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 9 de son règlement intérieur provisoire relatif au Protocole facultatif, déterminer si la communication est recevable

6.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication ne concerne ni un logement protégé par l’article 11 du Pacte ni une expulsion forcée au sens de cet article et de la doctrine du Comité, en conséquence de quoi la communication ne relève pas de sa compétence (voir supra, par. 4.4). Le Comité rappelle que, ainsi qu’il ressort du paragraphe 11 de son observation générale no 7, qui contient une interprétation du Pacte faisant autorité, si certaines expulsions peuvent être légitimes, par exemple en cas de non-paiement persistant du loyer ou de dommages causés sans motif raisonnable à un bien loué, il incombe cependant aux autorités compétentes de veiller à ce qu’elles soient effectuées selon les modalités définies par une loi compatible avec le Pacte et à ce que toutes les voies de recours prévues par la loi soient accessibles aux personnes visées. Cette considération s’applique également en cas d’occupation d’un bien sans droit ni titre en ce que ce type d’occupation peut être pour certaines personnes le moyen d’avoir une vie privée et familiale et doit donc bénéficier de la protection garantie au droit au logement. Partant, si l’absence de titre peut justifier une expulsion, les procédures qui conduisent à la décision d’expulsion et à son exécution doivent être compatibles avec le Pacte et les personnes visées doivent se voir garantir l’accès des recours juridiques appropriés. Le Comité note que l’État partie fait valoir que, selon le paragraphe 3 de l’observation générale no 7, l’interdiction frappant les expulsions forcées ne s’applique pas à celles qui sont opérées par la force dans le respect de la loi et conformément aux dispositions des Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme. Il note également que l’auteure soutient non que son expulsion a entraîné une violation du droit interne, mais qu’elle n’a pas été effectuée dans le respect des dispositions du Pacte, contrairement à la prescription formulée dans la deuxième partie du passage de l’observation générale no 7 cité plus haut. Le Comité juge donc remplie la condition énoncée à l’article 2 du Protocole facultatif selon laquelle les communications doivent concerner la violation alléguée d’un droit consacré par le Pacte.

6.3Le paragraphe 2 e) de l’article 3 du Protocole facultatif dispose que le Comité déclare irrecevable toute communication qui est manifestement mal fondée ou insuffisamment étayée ou qui repose exclusivement sur des informations diffusées par les médias. Le Comité note que l’auteure a commencé à occuper en 2014 un logement sans droit ni titre dont elle a été expulsée le 22 octobre 2018 après avoir bénéficié de plusieurs sursis. Si l’auteure a soumis une demande de logement social le 27 septembre 2018, rien dans les documents fournis n’indique qu’elle ait déjà présenté une demande en ce sens avant d’occuper le logement dont elle a été expulsée ou avant de se voir signifier la décision d’expulsion. Le Comité note que l’État partie soutient qu’après l’enregistrement de la communication, l’auteure a été informée des différentes prestations existantes, ce que l’intéressée ne conteste pas. L’auteure avance que ces prestations ne lui étaient pas applicables ou pas adaptées, mais n’a pas fait valoir cet argument auprès de l’administration. Le Comité note également que l’auteure avance que, depuis son expulsion, elle est prise en charge par sa famille et ses amis et n’a pas de logement stable et digne. Cela étant, l’intéressée ne donne aucun détail sur sa situation, notamment sur les conditions dans lesquelles elle est logée depuis son expulsion.

6.4L’auteure n’a fourni aucun document venant étayer l’argument selon lequel l’expulsion l’a privée de son droit à un logement convenable en la plaçant en situation de sans-abrisme ou, à tout le moins, en la contraignant à vivre dans un logement qui ne répond pas aux conditions minimales pour être un logement convenable et adapté à ses besoins. Elle affirme qu’elle est prise en charge par sa famille et ses amis, mais ne fournit aucune preuve à l’appui de cette allégation ni aucun détail sur ses conditions de vie. Le Comité, qui note que l’auteure est une personne particulièrement vulnérable en raison de son handicap et de son manque de revenus, fait observer que les communications peuvent être présentées par des particuliers qui ne sont pas représentés par un avocat ou un juriste spécialiste du droit international des droits de l’homme. Il estime que, suivant le principe pro victima, il doit donc s’abstenir d’imposer des formalités compliquant inutilement la soumission des communications. Cela étant, pour qu’il puisse examiner une communication quant au fond, les faits allégués et les griefs formulés doivent permettre de penser, du moins à première vue, que l’auteur a réellement ou potentiellement été victime d’une violation d’un droit consacré par le Pacte. En l’espèce, le Comité constate que si l’auteure a été représentée par un conseil, tant au cours des procédures internes que devant lui, elle n’a fourni aucune explication ni justification à l’appui de la thèse selon laquelle l’expulsion a porté atteinte à son droit à un logement convenable et, une fois la communication enregistrée, n’a manifesté aucun intérêt pour la négociation proposée par l’État partie. Partant, et étant donné qu’il ne dispose pas d’éléments suffisants pour déterminer si, en l’espèce, le droit de l’auteure à un logement convenable a été bafoué ou est réellement menacé, le Comité estime que la communication n’est pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité et est donc irrecevable au regard du paragraphe 2 e) de l’article 3 du Protocole facultatif en ce qui concerne le grief de violation de l’article 11 du Pacte.

Mesures provisoires et expulsion de l’auteure

7.1Le Comité fait observer que, le 5 septembre 2018, il a demandé à l’État partie de suspendre l’expulsion de l’auteure jusqu’à ce que la communication ait été examinée ou, à défaut, de fournir à l’intéressée un logement convenable après l’avoir dûment consultée, l’objectif étant d’éviter qu’elle subisse un préjudice irréparable. Par une note verbale du 19 octobre 2018, l’État partie a demandé au Comité de retirer sa demande de mesures provisoires, alléguant principalement que l’auteure n’avait fait aucun effort pour dialoguer avec l’administration. Le Comité note que l’auteure a été expulsée le 22 octobre 2018, avant que le délai de présentation de ses observations concernant la demande de l’État partie ait expiré et avant que lui-même ait pu se prononcer sur cette demande.

7.2Le Comité peut demander l’adoption de mesures provisoires lorsque l’État partie a pris ou est sur le point de prendre une décision susceptible de causer un préjudice irréparable à l’auteur ou à la victime si son exécution n’est pas annulée ou suspendue jusqu’à que ce que l’examen de la communication ait été achevé.

7.3Aux termes du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, après réception d’une communication et avant de prendre une décision sur le fond, le Comité peut à tout moment soumettre à l’urgente attention de l’État partie intéressé une demande tendant à ce que l’État partie prenne les mesures provisoires qui peuvent être nécessaires dans des circonstances exceptionnelles pour éviter qu’un éventuel préjudice irréparable ne soit causé à la victime ou aux victimes de la violation présumée. Dans le droit fil de la pratique d’autres organismes internationaux chargés des droits de l’homme, le Comité estime que l’expression « circonstances exceptionnelles » fait référence aux graves conséquences qu’une action ou une omission de l’État partie peut avoir sur un droit protégé ou sur l’efficacité de sa future décision concernant la communication dont il est saisi. L’expression « préjudice irréparable » fait référence au risque ou à la menace que soit commise une violation de droits qui, de par sa nature, serait irréparable, soit que la victime ne pourrait pas être dûment indemnisée, soit que les droits violés ne pourraient pas être restaurés. Pour que la demande de mesures provisoires soit justifiée, il faut que le risque ou la menace soit imminent et que tous les recours effectifs disponibles pouvant permettre d’éviter le préjudice irréparable aient été épuisés. Si la demande n’est pas accueillie parce qu’il n’existe pas de risque réel au moment où elle a initialement été présentée, l’auteur ou auteure peut solliciter le Comité pour qu’il la reformule ultérieurement, si le risque se concrétise. De surcroît, étant donné que les mesures provisoires ne relèvent pas d’un mécanisme différent de celui des communications, le Comité peut uniquement demander l’adoption d’une mesure provisoire lorsque la communication est à première vue recevable, et donc lorsqu’il est possible que des violations du Pacte ont été commises. En principe, il faut aussi qu’aucun recours interne efficace ne soit disponible.

7.4Si le risque de préjudice irréparable doit être réel, le Comité estime néanmoins que la probabilité qu’il se concrétise n’a pas besoin d’être prouvée au-delà de tout doute raisonnable. Imposer pareille exigence serait contraire à l’objectif des mesures provisoires, qui est d’éviter tout préjudice irréparable, fut il incertain. L’auteur ou auteure est uniquement tenu de fournir au Comité suffisamment d’informations sur les faits et les violations alléguées pour lui permettre de déterminer qu’il existe à première vue un risque réel de préjudice irréparable et que la communication est recevable, y compris, chaque fois que c’est possible, des éléments de preuve documentaires, par exemple des copies de décisions des autorités nationales ou de rapports sur la situation de tel ou tel pays qui confirment l’existence d’un éventuel risque. Lorsque les informations fournies sont insuffisantes, mais le risque de préjudice irréparable ne peut pas être exclu, le Comité peut prendre des mesures provisoires temporaires, donnant ainsi à l’auteur ou auteure un délai court mais néanmoins raisonnable pour lui communiquer les renseignements manquants. Si ces renseignements ne sont pas communiqués, alors la demande de mesures provisoires est automatiquement retirée.

7.5Dans les cas d’expulsion, toute allégation de préjudice irréparable doit être examinée, indépendamment de la question de savoir si une violation du Pacte a été commise. De manière générale, l’expulsion est considérée comme créant un risque de préjudice irréparable justifiant l’adoption de mesures provisoires uniquement lorsque les personnes expulsées n’ont pas accès à un logement de remplacement convenable. La situation de la famille entre aussi en ligne de compte. Ainsi, les familles à faible revenu et celles qui comprennent des enfants en bas âge ou des personnes handicapées ayant des besoins particuliers sont jugées particulièrement vulnérables en ce que le fait de pas avoir de logement de remplacement convenable après une expulsion, même pour une courte durée, peut avoir pour elles des conséquences irréversibles.

7.6Le Comité estime que la faculté de demander l’adoption de mesures provisoires qui lui est donnée à l’article 5 du Protocole facultatif est essentielle aux fins de l’accomplissement du mandat qu’il tire de cet instrument. Les mesures provisoires visent notamment à préserver l’intégrité de la procédure afin que les droits énoncés dans le Pacte puissent être effectivement protégés lorsqu’il existe un risque de préjudice irréparable.

7.7Le Comité fait observer que tout État partie qui a accepté les obligations imposées par le Protocole facultatif reconnaît la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications soumises par des particuliers qui affirment être victimes d’une violation des dispositions du Pacte. En acceptant ces obligations, l’État partie s’engage implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité et à lui donner les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises et de lui faire part de ses constatations, ainsi qu’à l’auteur. L’État partie qui ignore une demande de mesures provisoires fait donc fi de l’obligation d’agir de bonne foi et dans le respect de la procédure d’examen des communications individuelles établie dans le Protocole facultatif. En outre, il prive le Comité de la possibilité d’offrir un recours utile aux personnes qui se disent victimes d’une violation du Pacte. Conformément au paragraphe 3 de l’article 7 du règlement intérieur provisoire relatif au Protocole facultatif, les États parties peuvent avancer des arguments expliquant les raisons pour lesquelles telle ou telle demande de mesures provisoires devrait être retirée ou n’est plus justifiée et, conformément au paragraphe 4 du même article, le Comité peut décider de retirer la demande sur la base des informations reçues par les deux parties. Par conséquent, lorsqu’un État partie prie le Comité de retirer une demande de mesures provisoires, le principe de la coopération de bonne foi lui interdit d’agir de manière contraire aux recommandations du Comité avant que celui-ci ait pu prendre une décision.

7.8En l’espèce, l’État partie a expulsé l’auteure sans lui fournir de logement de remplacement convenable avant que le Comité ait pu se prononcer sur l’opportunité de retirer la demande de mesures provisoires. En ignorant cette demande, l’État partie a manqué aux obligations mises à sa charge par l’article 5 du Protocole facultatif et empêché que la future décision ou les futures constatations du Comité offrent à l’auteure toute la protection voulue, privant ainsi le mécanisme de présentation de communications par des particuliers de sa raison d’être. Faute d’explication quant aux raisons pour lesquelles les autorités espagnoles n’ont pas pu donner suite à la demande de mesures provisoires, le Comité estime que les faits rapportés révèlent une violation par l’État partie de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.9Le Comité rappelle qu’aux termes du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, le fait de demander l’adoption de mesures provisoires ne préjuge pas de sa décision sur la recevabilité ou le fond de la communication. Ainsi, le Comité peut conclure qu’une communication initiale est suffisamment étayée aux fins de l’enregistrement et concerne une situation requérant l’adoption de mesures provisoires pour éviter un préjudice irréparable, mais rien ne l’empêche de décider, après avoir examiné de nouvelles informations fournies par l’État partie, que les mesures demandées n’étaient pas justifiées ou ne sont plus nécessaires. Dans le même ordre d’idées, les informations fournies par les parties sur la recevabilité et sur le fond de la communication peuvent amener le Comité à conclure, comme il l’a fait en l’espèce, qu’une communication à première vue recevable ne l’est pas car elle est insuffisamment étayée. Le fait de demander des mesures provisoires n’exclut donc pas la possibilité que la communication soit déclarée irrecevable. C’est précisément pour cette raison que l’article 7 du règlement intérieur provisoire relatif au Protocole facultatif permet à l’État partie de s’opposer à une demande de mesures provisoires et d’en demander le retrait, pour autant toutefois qu’il explique que la demande n’est pas justifiée et que le risque de préjudice irréparable est nul. L’État partie peut aussi arguer que la communication est irrecevable. En l’espèce, l’État partie aurait pu se montrer de bonne foi et attendre le retrait de la demande, au lieu de quoi, quelques jours seulement après avoir demandé ce retrait et alors qu’il avait été informé que le Comité prendrait une décision une fois les commentaires de l’auteure reçus, il a pris des mesures allant directement à l’encontre de ce qui lui avait été recommandé.

C.Conclusion et recommandation

8.Compte tenu de toutes les informations qui lui ont été communiquées, le Comité, agissant en vertu du Protocole facultatif, estime que la communication n’est pas recevable au regard du paragraphe 2 e) de l’article 3 de cet instrument.

9.Le Comité estime également que l’État partie a enfreint les dispositions de l’article 5 du Protocole facultatif.

10.À la lumière de la présente décision et étant donné qu’il estime que les droits de l’auteure n’ont pas été violés, le Comité se contentera de formuler une recommandation générale à l’intention de l’État partie en vue de prévenir de nouvelles violations de l’article 5 du Protocole facultatif. Il recommande à l’État partie d’établir un protocole aux fins de donner effet à ses demandes de mesures provisoires et d’informer toutes les autorités concernées que les mesures demandées doivent être appliquées si l’on veut garantir l’intégrité de la procédure.

11.Conformément au paragraphe 2 de l’article 9 du Protocole facultatif et au paragraphe 1 de l’article 18 du règlement intérieur provisoire y relatif, l’État partie soumettra au Comité, dans un délai de six mois, une réponse écrite contenant des informations sur toute action menée à la lumière de la présente décision et des recommandations qui y sont formulées. En outre, le Comité prie l’État partie de rendre publiques la présente décision et de les diffuser largement et sous une forme accessible auprès de tous les segments de la population.