Nations Unies

E/C.12/JAM/CO/3-4

Conseil économique et social

Distr. générale

10 juin 2013

Français

Original: anglais

Comité des droits économiques, sociaux et culturels

Observations finales concernant les troisième et quatrième rapports périodiques de la Jamaïque présentés en un seul document, adoptées par le Comité à sa cinquantième session (29 avril-17 mai 2013)

Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a examiné les troisième et quatrième rapports périodiques de la Jamaïque sur la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (E/C.12/JAM/3-4 et Corr.1), présentés en un seul document, à ses 7e et 8e séances (E/C.12/2013/SR.7-8), tenues le 2 mai 2013, et a adopté, à sa 28e séance, tenue le 17 mai 2013, les observations finales ci-après.

A.Introduction

Le Comité accueille avec satisfaction les troisième et quatrième rapports périodiques de la Jamaïque, présentés en un seul document (E/C.12/JAM/3-4 et Corr.1), qui sont conformes aux directives du Comité concernant l’établissement de rapports et témoignent de la volonté de l’État partie de rendre compte des mesures prises pour mettre en œuvre les dispositions du Pacte et donner suite aux recommandations formulées par le Comité dans ses précédentes observations finales (E/C.12/1/Add.75). Le Comité prend également acte avec satisfaction des réponses écrites détaillées apportées à la liste des points à traiter (E/C.12/JAM/Q/3-4/Add.1), ainsi que du dialogue franc et constructif qu’il a eu avec la délégation de l’État partie.

B.Aspects positifs

Le Comité prend note avec satisfaction des efforts faits par l’État partie pour promouvoir la mise en œuvre des droits économiques, sociaux et culturels, notamment de l’adoption de Vision 2030 Jamaïque, premier plan national de développement à long terme adopté par l’État partie, reposant sur des principes relatifs aux droits de l’homme et à la viabilité environnementale.

Le Comité salue également la ratification par l’État partie des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme ci-après:

a)Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, en 2002;

b)La Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, en 2008;

c)Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, en 2011.

Le Comité salue en outre la ratification des instruments internationaux ci-après:

a)La Convention no 138 (1973) de l’Organisation internationale du Travail (OIT) concernant l’âge minimum d’admission à l’emploi, en 2003;

b)La Convention no 182 (1999) de l’OIT concernant l’interdiction des pires formes de travail des enfants et l’action immédiate en vue de leur élimination, en 2003;

c)La Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée et ses Protocoles additionnels: le Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (Protocole de Palerme), le Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer et le Protocole contre la fabrication et le trafic illicites d’armes à feu, de leurs pièces, éléments et munitions, en 2003;

d)La Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac, en 2005;

e)La Convention contre la discrimination dans l’éducation, en 2006;

f)La Convention sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi de certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination (avec les Protocoles I, II et III), en 2008;

g)La Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie, en 2013.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Le Comité note que certains des droits garantis par le Pacte sont consacrés par la Constitution et d’autres textes législatifs de l’État partie, mais regrette que les dispositions du Pacte n’aient pas encore été pleinement incorporées dans l’ordre juridique interne. Il regrette également que les dispositions du Pacte n’aient pas encore été invoquées devant les tribunaux (art. 2).

Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre toutes les mesures qui s ’ imposent, conformément au paragraphe  1 de l ’ article 2 du Pacte, pour donner plein effet à toutes les dispositions du Pacte dans l ’ ordre juridique interne et pour que c elles -ci puissent être invoquées devant les tribunaux. À cet égard, il renvoie l ’ État partie à son Observation générale n o 3 (1990) sur la nature des obligations des États parties et à son Observation générale n o 9 (1998) sur l ’ application du Pacte au niveau national. Le Comité prie l ’ État partie de faire figurer dans son prochain rapport périodique des informations détaillées sur les mesures adoptées, notamment sur la mise en œuvre des droits énoncés dans le Pacte par l ’ appareil judiciaire, sur les mesures prises pour faire mieux connaître aux juges, aux avocats, aux procureurs et au grand public les droits garantis par le Pacte et leur justiciabilité, et sur les décisions de justice dans lesquelles le Pacte a été invoqué.

Le Comité salue la création d’organismes nationaux chargés de renforcer la promotion et la protection des droits de l’homme, tels que le Bureau du Défenseur public et la Commission d’enquête indépendante, mais regrette que l’État partie n’ait toujours pas mis en place d’institution nationale des droits de l’homme dotée d’un mandat englobant les droits économiques, sociaux et culturels (art. 2).

Le Comité note avec satisfaction que l ’ État partie a exprimé l ’ intention de créer une institution nationale des droits de l ’ homme et l ’ engage à prendre des mesures concrètes à cette fin, conformément aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l ’ homme (Principes de Paris), en tenant compte de l ’ Observation générale n o 10 (1998) du Comité sur le rôle des institutions nationales des droits de l ’ homme dans la protection des droits économiques, sociaux et culturels .

Le Comité prend note de l’adoption de la Charte des droits et libertés fondamentaux, en avril 2011, mais constate avec préoccupation que les motifs de discrimination interdits sont définis de manière étroite et se limitent aux critères suivants: «i) le fait d’être homme ou femme, ii) la race, le lieu d’origine, la classe sociale, la couleur, la religion ou les opinions politiques», ce qui signifie que la discrimination fondée sur d’autres motifs tels que l’orientation sexuelle, le handicap et la santé n’est pas interdite.

Le Comité invite l ’ État partie à modifier ses lois en vue d ’ adopter une loi-cadre complète contre la discrimination, conformément au paragraphe 2 de l ’ article 2 du Pacte, en tenant compte de l ’ Observation générale n o 20 (2009) du Comité sur la  non ‑ discrimination dans l ’ exercice des droits économiques, sociaux et culturels.

Le Comité note avec préoccupation que les relations homosexuelles entre adultes consentants restent des infractions pénales en vertu de la loi relative aux infractions contre les personnes, ce qui perpétue les discriminations à l’égard des homosexuels, des bisexuels et des transsexuels dans tous les domaines, y compris en ce qui concerne la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels (art. 2).

Le Comité recommande à l ’ État partie:

a) De dépénaliser les relations homosexuelles entre adultes consentants en adoptant les modifications législatives nécessaires;

b) De prendre des mesures concrètes, volontaristes et ciblées pour éliminer la discrimination fondée sur l ’ orientation sexuelle;

c) De faire publiquement et clairement savoir que toute forme de discrimination, de harcèlement ou de violence visant des personnes en raison de leur orientation sexuelle ne saurait être tolérée, d ’ enquêter efficacement et dans les meilleurs délais sur de tels actes et de poursuivre et punir leurs auteurs.

Le Comité salue l’adoption, en 2009, de la politique nationale relative aux réfugiés, qui vise à renforcer le cadre régissant l’octroi du statut de réfugié, mais regrette qu’aucune loi protégeant les droits des demandeurs d’asile et des réfugiés n’ait encore été adoptée. Il note également avec préoccupation que les réfugiés ne reçoivent pas d’autre document d’identité que le titre de voyage délivré conformément à la Convention, qui est peu connu dans l’État partie et fait obstacle à la jouissance de nombreux droits économiques et sociaux. Le Comité constate aussi que, si les réfugiés n’ont pas besoin d’un permis de travail pour être embauchés, les employeurs l’ignorent souvent (art. 2).

Le Comité recommande à l ’ État partie:

a) D ’ adopter une législation nationale protégeant les droits économiques, sociaux et culturels des demandeurs d ’ asile et des réfugiés;

b) De fournir aux demandeurs d ’ asile et aux réfugiés des cartes d ’ identité reconnues qui leur permettent de jouir des droits économiques, sociaux et culturels dans l ’ État partie;

c) De prendre des mesures effectives pour que les employeurs sachent que les réfugiés n ’ ont pas besoin d ’ un permis de travail pour être employés dans l ’ État partie.

Le Comité prend note de la ratification de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, en 2007, et des différentes initiatives prises par le Conseil jamaïcain pour les personnes handicapées, mais constate avec préoccupation que les personnes handicapées continuent de souffrir de discrimination dans l’emploi et de se voir refuser l’accès à l’école, en particulier dans le primaire, et que le projet de loi sur le handicap, qui est à l’examen depuis 2003, n’a pas encore été adopté (art. 2, 6 et 13).

Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ adopter sans plus attendre le projet de loi sur le handicap et de prendre des mesures efficaces pour lutter contre la discrimination à l ’ égard des personnes handicapées, en particulier en ce qui concerne leur droit au travail et à l ’ éducation, en tenant compte de l ’ Observation générale n o  5 (1994) du Comité sur les personnes handicapées.

Le Comité prend note des différents programmes et politiques adoptés pour assurer l’égalité des chances entre hommes et femmes dans la vie sociale, politique et économique, notamment de l’adoption de la politique nationale pour l’égalité des sexes, en mars 2011, et de l’objectif de 30 % de femmes au Sénat. Il regrette toutefois que le Conseil consultatif pour les questions de genre, qui doit surveiller l’application de la politique nationale pour l’égalité des sexes, n’ait pas encore été mis en place. En outre, malgré l’augmentation du nombre de femmes occupant des postes de direction en vue, le Comité note avec préoccupation que les femmes restent sous-représentées parmi les personnes qui exercent de telles fonctions (art. 3).

Le Comité invite l ’ État partie à redoubler d ’ efforts pour promouvoir l ’ égalité des sexes dans tous les domaines, en tenant compte de l ’ Observation générale n o  16 (2005) sur le droit égal de l ’ homme et de la femme au bénéfice de tous les droits économiques, sociaux et culturels. En particulier, le Comité recommande à l ’ État partie de mettre sur pied des mécanismes efficaces de suivi et de mise en œuvre pour garantir l ’ efficacité et la viabilité des programmes et politiques visant à promouvoir l ’ égalité des sexes.

Bien que l’État partie bénéficie de prêts du Fonds monétaire international depuis 1984 et soit classé dans la catégorie des pays à revenu intermédiaire (tranche supérieure) par la Banque mondiale, le Comité est vivement préoccupé par le fait que son ratio dette/produit intérieur brut est élevé (134 %) et par la persistance de taux élevés de pauvreté, de disparité des revenus et de chômage. Il note également avec préoccupation que le chômage des jeunes est trois fois plus élevé que celui des adultes en raison des insuffisances de l’enseignement et de la formation, en particulier dans les zones rurales, ce qui a entraîné une arrivée massive de jeunes dans les zones urbaines et une augmentation des crimes violents et de la violence liée aux gangs. Le Comité note en outre avec préoccupation que, malgré l’amélioration du niveau d’instruction des femmes, le taux de chômage de ces dernières reste plus de deux fois supérieur à celui des hommes (art. 6).

Le Comité recommande à l ’ État partie:

a) D ’ adopter des politiques et des stratégies à long terme prévoyant la création de mécanismes efficaces de suivi et d ’ évaluation pour traiter les causes profondes du chômage des jeunes, tout en continuant de proposer des formations, y compris des formations professionnelles, aux jeunes;

b) D ’ adopter des stratégies et des politiques relatives à l ’ emploi qui visent expressément les femmes, comme l ’ a recommandé le Comit é dans ses précédentes observations finales ;

c) De veiller à ce que ses obligations au titre du Pacte, en particulier en ce qui concerne le droit au travail, soient pleinement respectées dans le cadre des négociations multilatérales et de l ’ aide publique au développement, comme précisé dans l ’ Observation générale n o 18 (2005) du Comité sur le droit au travail, notamment. En outre, le Comité souligne que les stratégies, les programmes et les politiques adoptés par les États parties dans le cadre des programmes d ’ ajustement structurel ne devraient pas compromettre la réalisation de leurs obligations fondamentales concernant les droits économiques, sociaux et culturels.

Le Comité est préoccupé par l’écart de salaire entre hommes et femmes pour un travail égal ou un travail de valeur égale. De plus, il note avec préoccupation que l’article 2 de la loi sur l’emploi (égalité de rémunération entre hommes et femmes) se limite à garantir l’égalité de salaire pour un travail «similaire» ou «essentiellement similaire», plutôt qu’une rémunération égale pour un travail de valeur égale, ce qui englobe aussi tout travail de nature entièrement différente et néanmoins de valeur égale (art. 7 a) i)).

Le Comité recommande à l ’ État partie de revoir l ’ article 2 de la loi sur l ’ emploi (égalité de rémunération entre hommes et femmes) pour assurer la prise en compte du principe de l ’ égalité de rémunération des hommes et d es femmes pour un travail de valeur égale et garantir l ’ application effective de ce principe dans la pratique.

Le Comité est préoccupé par les taux élevés de décès dus au travail et d’accidents du travail et par le fait que les employeurs, notamment les petites et moyennes entreprises, ne respectent pas les lois relatives aux congés, au congé de maternité et à la sécurité et à l’hygiène du travail (art. 7 b) et d)).

Le Comité invite l ’ État partie à redoubler d ’ efforts pour garantir des conditions de travail sûres, justes et saines pour tous, notamment en adoptant sans plus de retard le projet de loi sur la sécurité et la santé au travail et en donnant au Ministère du travail et de la sécurité sociale plus de pouvoirs pour entreprendre des inspections et faire respecter la loi.

Le Comité est préoccupé par les informations indiquant que les femmes sont victimes de discrimination et de harcèlement sur leur lieu de travail et par le fait qu’il n’existe pas de loi détaillée interdisant clairement la discrimination sexiste et le harcèlement sexuel dans l’emploi. Il note aussi avec préoccupation que l’État partie n’a pas adopté le projet de politique relative au harcèlement sexuel (art. 7 b)).

Le Comité invite instamment l ’ État partie à:

a) Adopter et faire respecter une loi détaillée interdisant clairement la discrimination sexiste et le harcèlement sexuel sur le lieu de travail et prévoyant des voies de recours effectives pour les victimes;

b) Adopter sans plus de retard le projet de politique relative au harcèlement sexuel;

c) Lancer des campagnes de sensibilisation pour lutter contre les stéréotypes sexistes qui perpétuent la discrimination fondée sur le sexe et le harcèlement sexuel sur le lieu de travail.

Le Comité note avec préoccupation qu’un pourcentage élevé des suffrages des salariés est nécessaire pour pouvoir exercer le droit à la négociation collective, qu’il n’y a pas de syndicat dans les zones franches industrielles et que, selon les informations disponibles, les entreprises travaillant dans ces zones menaceraient les salariés et créeraient des conseils favorables aux employeurs pour s’immiscer dans le traitement des plaintes. Il est également préoccupé par les informations indiquant que les employeurs du secteur privé licencient fréquemment les salariés syndiqués pour les réembaucher en tant qu’indépendants, ce qui les empêche de s’organiser et de négocier collectivement. Le Comité note en outre avec préoccupation que le Ministre du travail et de la sécurité sociale dispose de pouvoirs étendus pour soumettre les conflits du travail, y compris les conflits qui ne concernent pas des services publics essentiels, à l’arbitrage, au titre des articles 9, 10 et 1 A) de la loi sur les relations salariales et les conflits du travail (art. 8).

Le Comité recommande à l’État partie:

a) De modifier la loi sur les relations professionnelles et les conflits sociaux pour revoir à la baisse les dispositions actuelles, qui exigent que l’on obtienne au moins 40 % des suffrages des salariés dans une unité de travail ou 50 % du total des voix pour pouvoir exercer le droit à la négociation collective, conformément à la Convention n o 98 (1949) de l’OIT concernant l’application des principes du droit d’organisation et de négociation collective et aux observations de la Commission d’experts de l’OIT pour l’application des conventions et recommandations;

b) De prendre des mesures effectives contre les entreprises qui font obstacle au droit de tous les travailleurs de former des syndicats et d’y adhérer, en vue de la promotion et de la protection de leurs droits économiques et sociaux, en particulier dans les zones franches industrielles;

c) De modifier les articles 9, 10 et 11 A) de la loi sur les relations professionnelles et les conflits sociaux , conformément aux observations de la Commission d’experts de l’OIT pour l’application des conventions et recommandations.

Le Comité constate de nouveau avec préoccupation que le régime de sécurité sociale de l’État partie ne prévoit pas de couverture universelle. Il note que l’État partie s’efforce d’assurer la viabilité et la durabilité à long terme de son programme de sécurité sociale, notamment en mettant en œuvre Vision 2030 Jamaïque, mais il reste préoccupé par le fait qu’aucune échéance n’a été fixée pour la mise en place d’un système universel de sécurité sociale et qu’une part considérable des groupes vulnérables et marginalisés de la société en reste dépourvue, dont les personnes âgées, les parents célibataires et les personnes handicapées (art. 9).

Le Comité recommande à nouveau à l’État partie de s’efforcer d’assurer la couverture universelle du système de sécurité sociale dans le pays, en accordant la priorité aux groupes défavorisés et marginalisés de la société, et le renvoie à son Observation générale n o  19 (2007) sur le droit à la sécurité sociale.

Le Comité se dit profondément préoccupé par le fait que, malgré les mesures prises par les autorités pour lutter contre la violence dont les femmes et les filles sont les victimes, notamment l’extension du Centre d’enquête sur les infractions sexuelles et la maltraitance d’enfant, les taux de violence intrafamiliale et sexuelle sont élevés, et il n’existe pas de stratégie globale pour venir à bout de ce phénomène (art. 10).

Le Comité demande instamment à l’État partie de renforcer sa lutte contre les taux élevés de violence dont les femmes et les filles sont victimes en Jamaïque, notamment en adoptant et en mettant en œuvre le Plan stratégique national d’élimination de la violence fondée sur le sexe. Il souligne aussi qu’il est important d’organiser des campagnes d’information et des formations ciblant les hommes, afin de combattre les attitudes et les comportements qui perpétuent la violence à l’égard des femmes sous toutes ses formes.

Le Comité prend note de la création de divers organismes publics chargés de la protection de l’enfance, dont l’Agence pour le développement de l’enfant, le Bureau du Défenseur des droits des enfants et le Bureau du registre des enfants, ainsi que de l’adoption de la loi relative à la protection de l’enfance, mais il reste vivement préoccupé par le taux élevé de violence, le recours aux châtiments corporels à la maison et à l’école, la maltraitance, la négligence et l’exploitation sexuelle des enfants, ainsi que par le fait que les enfants victimes n’ont guère accès à un appui psychosocial. Il est également profondément préoccupé par les informations faisant état de maltraitance sexuelle, physique et psychologique d’enfants par des membres du personnel des foyers pour enfants gérés par l’État ou des refuges placés sous la supervision de l’Agence pour le développement de l’enfant (art. 10).

Le Comité exhorte l’État partie à éliminer toutes les formes de violence contre les enfants, notamment en faisant appel à l’assistance des organismes concernés des Nations Unies présents dans le pays, tels que le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), et à adopter des mesures concrètes pour:

a) Recenser et protéger les enfants qui sont les plus exposés à la maltraitance, à la négligence et à l’exploitation sexuelle;

b) Interdire toute forme de châtiment corporel dans tous les contextes, y compris dans la famille;

c) Garantir la protection des enfants dans les établissements d’accueil , notamment par l’ adoption de réformes permettant de surveiller, de recenser et de poursuivre efficacement les personnes qui ont maltraité des enfants.

Le Comité constate avec préoccupation que l’âge minimum du mariage, fixé à 16 ans par la loi relative au mariage, est bas (art. 10).

Le Comité invite l’État partie à modifier sa législation pour porter l’âge minimum du mariage à 18 ans afin de protéger les enfants contre le mariage précoce et forcé.

Le Comité accueille avec satisfaction l’adoption, en 2004, de la loi sur la protection de l’enfance, qui a notamment porté l’âge minimum d’admission au travail de 12 à 15 ans, et interdit l’emploi d’enfants de moins de 13 ans dans tout type de travail. Néanmoins, il reste préoccupé par le fait que les enfants continuent de travailler dans l’agriculture, la pêche et le secteur informel, malgré l’adoption de programmes tels que le Projet de lutte contre le travail des enfants par l’éducation. Il regrette aussi la lenteur des travaux d’adoption du projet de loi sur la santé et la sécurité au travail, qui comporte une liste d’emplois ou de travaux dangereux interdits aux moins de 18 ans. Le Comité est également préoccupé par les ressources et les capacités restreintes dont dispose le service du Ministère du travail et de la sécurité sociale chargé de lutter contre le travail des enfants pour faire respecter dans les faits la loi sur la protection de l’enfance, par le faible nombre d’arrestations et de poursuites pour des infractions liées au travail des enfants, ainsi que par le fait qu’aucune disposition légale n’oblige l’employeur à tenir un registre du personnel (art. 10).

Le Comité invite instamment l’État partie à redoubler d’efforts pour lutter véritablement contre le travail des enfants, notamment en recourant à l’assistance de l’Organisation internationale du Travail. Il recommande en particulier à l’État partie:

a) D’adopter sans plus tarder le projet de loi sur la santé et la sécurité au travail, qui énumère les types d’emploi ou de travail dangereux interdits au moins de 18 ans;

b) De veiller à ce que le service du Ministère du travail et de la sécurité sociale chargé de lutter contre le travail des enfants dispose des ressources humaines et financières voulues pour être en mesure de faire respecter effectivement la loi sur la protection de l’enfance;

c) De poursuivre et sanctionner effectivement les personnes qui emploient des enfants;

d) D’adopter des dispositions légales obligeant l’employeur à tenir un registre du personnel.

Le Comité salue les efforts accomplis par l’État partie pour lutter contre la traite des êtres humains, notamment l’adoption de la loi sur la traite des êtres humains (prévention, élimination et répression) en 2007 et, en 2005, la création, au sein du Ministère de la sécurité nationale, du Groupe d’action national contre la traite des êtres humains, mais il se dit préoccupé par l’ampleur du phénomène de la traite à des fins d’exploitation sexuelle et de travail forcé. Il juge également préoccupant le faible nombre de cas qui donnent lieu à des enquêtes, des poursuites et des sanctions, ainsi que l’absence de mécanismes de prévention et de protection des victimes, y compris de programmes de réadaptation (art. 10).

Le Comité invite instamment l’État partie à redoubler d’efforts pour lutter contre la traite des êtres humains, notamment:

a) En recueillant systématiquement des renseignements sur les flux de traite sur son territoire;

b) En veillant à ce que les auteurs d’actes de traite fassent l’objet d’une enquête, et soient poursuivis et punis comme il convient;

c) En veillant à ce qu’une protection et une réparation adéquates soient offertes aux victimes, et en mettant en place des programmes de prévention et de réadaptation à leur intention;

d) En assurant la formation des fonctionnaires de police, des juges et des autres catégories de personnel compétent dans ce domaine afin de les sensibiliser au phénomène et de leur faire connaître les droits des victimes.

Le Comité salue l’action menée par l’État partie pour assurer l’accès universel à l’eau potable, comme le prévoit le document intitulé Stratégies et plans d’action pour le secteur de l’eau en Jamaïque. Néanmoins, il reste préoccupé par le fait que, selon ce qu’a indiqué l’État partie, près de la moitié de la population rurale n’a toujours pas accès à l’eau potable. Le Comité est également préoccupé par le manque d’accès à des installations sanitaires adéquates, en particulier dans les établissements urbains spontanés (art. 11).

Le Comité invite l’État partie à redoubler d’efforts pour garantir l’accès universel à l’eau potable, en particulier dans les zones rurales, ainsi que l’accès à des installations sanitaires adéquates, en particulier dans les zones urbaines, et le renvoie à son Observation générale n o  15 (2002) relative au droit à l’eau.

Le Comité relève avec préoccupation les graves problèmes de logement qui se posent dans l’État partie, notamment le fait que près du quart de la population vit illégalement sur des terrains dont elle n’est ni propriétaire ni locataire, ainsi que la croissance rapide, dans les régions urbaines, d’établissements spontanés, où l’habitat est surpeuplé, peu sûr et délabré. Le Comité regrette en outre l’absence de données sur le nombre des sans-abri dans l’État partie et le fait qu’il n’y ait pas de véritable programme ou politique de lutte contre ce problème (art. 11).

Le Comité recommande à l’État partie d’adopter une stratégie de logement nationale globale afin de garantir à tous l’accès à un logement convenable et abordable et la sécurité juridique d’occupation. Il rappelle qu’une telle stratégie devrait être fondée sur une évaluation systématique des besoins ainsi que sur la consultation et la participation des personnes concernées, qu’elle devrait comprendre des objectifs précis, assortis d’un calendrier d’exécution et d’un mécanisme de suivi et de retour d’information efficace et, enfin, qu’un financement suffisant devrait être prévu pour en assurer la mise en œuvre effective. Le Comité renvoie l’État partie à son Observation générale n o  4 (1991) relative au droit à un logement suffisant et lui demande de lui fournir des renseignements sur les mesures adoptées à cet égard dans son prochain rapport périodique, notamment sur l’ampleur du phénomène des sans ‑ abri et sur les mesures prises pour y remédier .

Le Comité prend note des difficultés auxquelles l’État partie fait face pour garantir le droit à une alimentation suffisante au moyen de la production locale, en raison de la fréquence des catastrophes naturelles, des lacunes des pratiques agricoles, du manque de terres arables et de l’augmentation des prix des produits de base. Il note que, pour satisfaire les besoins de la population, un volume important de produits alimentaires sont importés, mais est préoccupé par les informations données par l’État partie, selon lesquelles les importations de produits meilleur marché, fondées sur de nouveaux accords commerciaux, ont conduit au déplacement d’agriculteurs locaux (art. 11).

Le Comité recommande à l’État partie d’adopter des stratégies efficaces à long terme qui visent à améliorer durable ment la productivité nationale et à renforcer l es capacités des agriculteurs locaux, et le renvoie à son Observation générale n o  12 (1999) sur le droit à une alimentation suffisante. Il rappelle aussi à l’État partie la nécessité d’ évaluer l’influence négative de tout accord commercial sur l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels de la population, et lui demande de donner des informations détaillées dans son prochain rapport périodique sur les accords commerciaux conclus et leurs effets sur l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels, particulièrement pour les agriculteurs locaux.

Tout en saluant la suppression de la facturation des soins aux usagers dans tous les établissements de santé publics, à l’exception d’un hôpital, le Comité reste préoccupé par le manque chronique de professionnels de la santé qualifiés, en particulier dans les zones rurales. Il est également préoccupé par les informations selon lesquelles un seul hôpital − où les conditions sont déplorables − répond aux besoins des personnes présentant des problèmes de santé mentale (art. 12).

Le Comité invite l’État partie à prendre de nouvelles mesures, notamment avec l’assistance des organismes concernés des Nations Unies présents sur son territoire, tels que l’Organisation mondiale de la Santé et l’Organisation panaméricaine de la santé, pour:

a ) Améliorer la disponibilité de services de soins de santé assurés par du personnel qualifié, en particulier dans les zone s rurale s, notamment par l’adoption de mesures supplémentaires visant à créer un environnement propre à attirer et à retenir des professionnels de la santé qualifiés;

b) Améliorer la disponibilité, l’accessibilité et la qualité des services de soins de santé, notamment de ceux destinés aux personnes atteintes de maladie mentale.

Le Comité se réjouit de la diminution du nombre de décès liés au VIH et de cas de transmission du VIH de la mère à l’enfant, et salue les efforts déployés par l’État partie pour lutter contre le VIH/sida et la stigmatisation qui y est liée, mais constate avec regret et préoccupation que:

a)Le VIH continue d’être une des principales causes de décès chez les adultes dans l’État partie;

b)Les taux de VIH restent élevés parmi les jeunes, les homosexuels de sexe masculin, les travailleurs du sexe, les sans-abri et les toxicomanes, dont les comportements sont criminalisés ou considérés comme immoraux;

c)Presque deux tiers des personnes infectées par le VIH n’en sont pas conscientes;

d)La stigmatisation et la discrimination dont les personnes vivant avec le VIH/sida, en particulier les homosexuels de sexe masculin et les personnes transgenres, sont toujours les victimes, notamment sur le lieu de travail, non seulement les privent de médicaments et de traitements essentiels et les empêchent d’exercer leurs autres droits économiques, sociaux et culturels, mais risquent aussi de ruiner les efforts menés pour éliminer le VIH (art. 12).

Le Comité invite l’État partie à consacrer les ressources humaines et financières voulues pour mettre en œuvre efficacement le Programme national de lutte contre le VIH et les maladies sexuellement transmissibles et ainsi éviter que les progrès réalisés à ce jour soient annulés. Il prie également l’État partie de veiller à ce que la discrimination contre les personnes vivant avec le VIH/sida soit interdite par la loi et d’abroger ou de modifier les lois qui stigmatisent les personnes les plus à risque et accroissent leur vulnérabilité.

Le Comité prend note de l’adoption, en 2007, d’une politique nationale prévoyant la fourniture de services contraceptifs aux adolescents de moins de 16 ans mais fait part à nouveau de sa préoccupation concernant le nombre élevé de grossesses précoces et le fait que l’avortement reste illégal dans l’État partie, en vertu de l’article 13 12) c) de la Charte des droits fondamentaux et des libertés, ce qui oblige les femmes enceintes à se tourner vers des services d’avortement clandestins et dangereux, dispensés dans des conditions insalubres par du personnel non formé (art. 12).

Prenant note du projet de loi sur l’interruption de grossesse, le Comité invite instamment l’État partie à faire en sorte que sa législation aide les femmes à éviter les grossesses non désirées et leur facilite l’accès à des services professionnels afin d’éliminer la pratique des avortements dangereux, qui mettent en danger la vie des femmes et des filles. Il renouvelle également sa recommandation tendant à ce que l’État partie veille à l a mise en place d’une éducation à la santé sexuelle et procréative et facilite l’accès de l’ensemble des femmes et des filles aux services de santé procréative et aux contraceptifs.

Le Comité salue l’action menée par l’État partie pour améliorer l’accès à l’éducation, notamment la gratuité de l’enseignement primaire et la suppression des frais de scolarité dans l’enseignement secondaire en 2007. Néanmoins, le Comité est préoccupé par:

a)Les mauvais résultats et le taux d’abandon élevé des garçons dans l’enseignement primaire et secondaire;

b)L’impossibilité, pour les enfants handicapés, d’accéder à l’enseignement de type scolaire;

c)La qualité de l’enseignement à tous les niveaux, particulièrement dans les zones rurales et dans des disciplines telles que les mathématiques, les sciences, l’informatique et les technologies (art. 13 et 14).

Le Comité engage l’État partie à continuer de prendre des mesures, notamment grâce à l’aide internationale, pour édifier un système éducatif qui «développe la pensée critique et l’éducation permanente, forme des individus productifs et performants et contribue efficacement à améliorer la qualité de la vie au niveau personnel, national et mondial», comme le prévoit le Plan sectoriel relatif à l’éducation figurant dans Vision 2030 Jamaïque . Le Comité invite l’État partie à s’attacher particulièrement à améliorer l’accès à l ’éducation des groupes défavorisés et marginalisés, tels que les garçons des quartiers déshérités ou vivant en milieu rural et les enfants handicapés.

Le Comité regrette l’absence d’un système de collecte systématique de données sur la composition ethnique de la population et sur les obstacles auxquels se heurtent certaines communautés telles que les Marrons dans l’exercice de leurs droits économiques, sociaux et culturels. À cet égard, le Comité est préoccupé par les informations indiquant que les besoins des Marrons en infrastructures ont été négligés par l’État partie, qu’il n’existe pas d’enseignement de type scolaire dans leur communauté au-delà de l’enseignement de base, que les taux de chômage y sont élevés et que la diffusion de la culture populaire générale de l’île menace leur culture (art. 2, 6, 13 et 15).

Le Comité recommande à l’État partie de prendre des mesures efficaces pour garantir pleinement les droits économiques, sociaux et culturels de la communauté marron, en particulier en ce qui concerne l’accès à l’enseignement de type scolaire, à l’emploi, aux services de base et aux infrastructures, et de prendre des mesures efficaces pour protéger sa tradition et sa culture. Il prie également l’État partie de faire figurer dans son prochain rapport périodique des informations détaillées sur la composition ethnique de la population et sur les obstacles auxquels se heurtent certains groupes, notamment les Marrons, dans l’exercice de leurs droits économiques, sociaux et culturels.

Le Comité salue l’adoption, en 2003, de la Politique culturelle nationale, qui vise à promouvoir et à protéger la diversité culturelle de la Jamaïque et son riche patrimoine historique, y compris celui des communautés autochtones telles que les Marrons et les Rastafaris. Il note cependant qu’il n’existe aucune loi portant spécifiquement sur la protection des connaissances traditionnelles des peuples ou des communautés autochtones dans leur ensemble.

Le Comité engage l’État partie à prendre des mesures efficaces pour protéger les connaissances traditionnelles et les expressions culturelles, en tenant compte de son Observation générale n o  21 (2009) sur le droit de chacun de participer à la vie culturelle.

Le Comité demande à l’État partie de diffuser largement les présentes observations finales à tous les niveaux de la société, en particulier auprès des agents de l’État, des membres de l’appareil judiciaire et des organisations de la société civile, de leur donner la plus large publicité possible et de l’informer, dans son prochain rapport périodique, des mesures prises pour les mettre en œuvre. Il l’invite aussi à associer tous les acteurs concernés, notamment les organisations non gouvernementales et d’autres membres de la société civile, au processus de discussion à l’échelon national préalable à la soumission de son prochain rapport périodique.

Le Comité engage l’État partie à envisager de signer et de ratifier le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

Le Comité invite l’État partie à mettre à jour son document de base (HRI/CORE/1/Add.82) en se conformant aux prescriptions relatives au document de base commun énoncées dans les directives harmonisées concernant l’établissement des rapports (HRI/GEN/2/Rev.6).

Le Comité prie l’État partie de soumettre son cinquième rapport périodique, établi conformément aux directives générales révisées concernant l’ établissement de rapports que le Comité a adoptées en 2008 (E/C.12/2008/2), avant le 31 mai 2018.