État partie

Date à laquelle le rapport était attendu

Rapports initiaux

Guyana

17 juin 1989

Guinée

8 novembre 1990

Somalie

22 février 1991

Seychelles

3 juin 1993

Cap‑Vert

3 juillet 1993

Burundi

19 mars 1994

Antigua‑et‑Barbuda

17 août 1994

Éthiopie

12 avril 1995

Tchad

7 juillet 1996

Tadjikistan

9 février 1996

Côte d’Ivoire

16 janvier 1997

Malawi

10 juillet 1997

Honduras

3 janvier 1998

Kenya

22 mars 1998

Bangladesh

3 novembre 1999

Niger

3 novembre 1999

Burkina Faso

2 février 2000

Mali

27 mars 2000

Turkménistan

25 juillet 2000

Japon

29 juillet 2000

Mozambique

14 octobre 2000

Ghana

6 octobre 2001

Botswana

7 octobre 2001

Gabon

7 octobre 2001

Liban

3 novembre 2001

Sierra Leone

24 mai 2002

Nigéria

27 juillet 2002

Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines

30 août 2002

Lesotho

11 décembre 2002

Mongolie

22 février 2003

Irlande

10 mai 2003

Saint-Siège

25 juillet 2003

Guinée équatoriale

6 novembre 2003

Timor‑Leste

15 mai 2004

Congo

18 août 2004

Deuxièmes rapports périodiques

Afghanistan

25 juin 1992

Belize

25 juin 1992

Philippines

25 juin 1992

Ouganda

25 juin 1992[25 juin 2008]

Togo

17 décembre 1992

Guyana

17 juin 1993

Brésil

27 octobre 1994

Guinée

8 novembre 1994

Somalie

22 février 1995

Roumanie

16 janvier 1996

Serbie‑et‑Monténégro

9 octobre 1996

Yémen

4 décembre 1996

Jordanie

12 décembre 1996

Bosnie‑Herzégovine

5 mars 1997

Lettonie

13 mai 1997[13 mai 2005] *

Seychelles

3 juin 1997

Cap‑Vert

3 juillet 1997

Cambodge

13 novembre 1997

Burundi

19 mars 1998

Slovaquie

27 mai 1998

Antigua-et-Barbuda

17 août 1998

Costa Rica

10 décembre 1998

Éthiopie

12 avril 1999

Albanie

9 juin 1999[9 juin 2007] *

ex‑République yougoslave de Macédoine

11 décembre 1999

Namibie

27 décembre 1999

Tadjikistan

9 février 2000

Cuba

15 juin 2000

Tchad

8 juillet 2000

République de Moldova

27 décembre 2000[27 décembre 2007] *

Côte d’Ivoire

16 janvier 2001

République démocratique du Congo

16 avril 2001

El Salvador

16 juillet 2001

Lituanie

1er mars 2001

Koweït

6 avril 2001

Malawi

10 juillet 2001

Slovénie

14 août 2001

Honduras

3 janvier 2002

Kenya

22 mars 2002

Kirghizistan

4 septembre 2002

Arabie saoudite

21 octobre 2002

Bahreïn

4 avril 2003[avril 2007] *

Kazakhstan

24 septembre 2003

Bangladesh

3 novembre 2003

Niger

3 novembre 2003

Zambie

5 novembre 2003

Indonésie

26 novembre 2003

Afrique du Sud

8 janvier 2003

Burkina Faso

2 février 2004

Mali

27 mars 2004

Bolivie

11 mai 2004

Turkménistan

24 juillet 2004

Belgique

25 juillet 2004

Japon

29 juillet 2004

Mozambique

13 octobre 2004

Qatar

9 février 2005

Troisièmes rapports périodiques

Afghanistan

25 juin 1996

Belize

25 juin 1996

Philippines

25 juin 1996

Sénégal

25 juin 1996

Ouganda

25 juin 1996

Uruguay

25 juin 1996

Togo

17 décembre 1996

Guyana

17 juin 1997

Turquie

31 août 1997[31 août 2005] *

Tunisie

22 octobre 1997[30 novembre 1999] *

Jamahiriya arabe libyenne

14 juin 1998

Algérie

11 octobre 1998

Brésil

27 octobre 1998

Guinée

8 novembre 1998

Somalie

22 février 1999

Malte

12 octobre 1999[30 novembre 2004] *

Liechtenstein

1er décembre 1999

Roumanie

16 janvier 2000

Népal

12 juin 2000

Serbie‑et‑Monténégro

9 octobre 2000

Yémen

4 décembre 2000

Jordanie

12 décembre 2000

Malte

31 décembre 2000

Bosnie‑Herzégovine

5 mars 2001

Bénin

10 avril 2001

Lettonie

13 mai 2001

Seychelles

3 juin 2001

Cap-Vert

3 juillet 2001

Cambodge

13 novembre 2001

Maurice

7 janvier 2002

Burundi

19 mars 2002

Slovaquie

27 mai 2002

Antigua‑et‑Barbuda

17 août 2002

Arménie

12 octobre 2002

Costa Rica

10 décembre 2002

Sri Lanka

1er février 2003

Éthiopie

12 avril 2003

Albanie

9 juin 2003

États-Unis d’Amérique

19 novembre 2003

ex‑République yougoslave de Macédoine

11 décembre 2003

Namibie

27 décembre 2003

République de Corée

7 février 2004

Tadjikistan

9 février 2004

Cuba

15 juin 2004

Tchad

7 juillet 2004

Ouzbékistan

27 octobre 2004

République de Moldova

27 décembre 2004

Côte d’Ivoire

16 janvier 2005

Lituanie

1er mars 2005

Quatrièmes rapports périodiques

Afghanistan

25 juin 2000

Bélarus

25 juin 2000

Belize

25 juin 2000

Bulgarie

25 juin 2000[25 juin 2008] *

Cameroun

25 juin 2000

France

25 juin 2000

Philippines

25 juin 2000

Sénégal

25 juin 2000

Ouganda

25 juin 2000

Uruguay

25 juin 2000

Autriche

27 août 2000

Panama

22 septembre 2000

Togo

17 décembre 2000

Colombie

6 janvier 2001

Équateur

28 avril 2001

Guyana

17 juin 2001

Turquie

31 août 2001

Tunisie

22 octobre 2001

Chili

29 octobre 2001[29 octobre 2005]

Chine

2 novembre 2001

Jamahiriya arabe libyenne

14 juin 2002

Algérie

11 octobre 2002

Brésil

27 octobre 2002

Guinée

8 novembre 2002

Somalie

22 février 2003

Paraguay

10 avril 2003

Malte

12 octobre 2003

Allemagne

20 octobre 2003

Liechtenstein

1er décembre 2003

Roumanie

16 janvier 2004

Népal

12 juin 2004

Cameroun

25 juin 2004

Chypre

16 août 2004

Venezuela

20 août 2004

Serbie‑et‑Monténégro

9 octobre 2004

Israël

1er novembre 2004

Estonie

19 novembre 2004

Yémen

4 décembre 2004

Jordanie

12 décembre 2004

Monaco

4 janvier 2005[4 janvier 2009] *

Colombie

6 janvier 2005

Cinquièmes rapports périodiques

Afghanistan

25 juin 2004

Bélarus

25 juin 2004

Belize

25 juin 2004

Égypte

25 juin 2004

France

25 juin 2004

Hongrie

25 juin 2004

Mexique

25 juin 2004

Philippines

25 juin 2004

Fédération de Russie

25 juin 2004

Sénégal

25 juin 2004

Suède

25 juin 2004

Suisse

25 juin 2004[25 juin 2008] *

Ouganda

25 juin 2004

Uruguay

25 juin 2004

Autriche

27 août 2004

Panama

22 septembre 2004

Espagne

19 novembre 2004

Togo

17 décembre 2004

Colombie

6 janvier 2005

17.À la demande du Comité, deux membres, M. Mariño et M. Rasmussen, ont continué à entretenir des contacts avec les États parties dont le rapport initial accusait un retard de cinq ans ou plus, afin de les encourager à le soumettre.

18.En raison de l’absence de la délégation togolaise, le Comité n’a pas été en mesure d’examiner le rapport initial du Togo, qui était programmé pour la trente‑quatrième session. L’État partie a attribué cette absence aux difficultés considérables que rencontrait le pays, qui n’avaient pas permis au Gouvernement de désigner une délégation et d’affecter les ressources nécessaires pour les frais de voyage.

19.Compte tenu de ces circonstances et considérant qu’il est utile d’examiner les rapports des États parties, en particulier les rapports initiaux, en la présence de leur délégation et afin d’instaurer un dialogue authentique et constructif avec l’État partie, le Comité a décidé de renvoyer l’examen du rapport initial du Togo à sa trente‑sixième session, en mai 2006.

20.D’autre part, le Comité est profondément préoccupé par les informations qu’il a reçues faisant état de violations des droits de l’homme sur une vaste échelle et de l’impunité de leurs auteurs présumés.

21.Le Comité souhaite rappeler à l’État partie son obligation de respecter l’interdiction absolue de la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants, d’enquêter immédiatement sur toute allégation de violation, d’entamer des poursuites contre les auteurs présumés, de mettre en place des mécanismes efficaces pour permettre aux victimes d’obtenir réparation.

22.Le Comité a exprimé l’espoir que la paix sociale serait pleinement rétablie au Togo et que la primauté du droit et le plein respect des droits fondamentaux seraient renforcés.

III.   EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION

23.À ses trente-troisième et trente‑quatrième sessions, le Comité a examiné les rapports soumis par 19 États parties, en vertu du paragraphe 1 de l’article 19 de la Convention. À sa trente‑troisième session, il était saisi des rapports ci‑après:

Argentine: quatrième rapport périodiqueCAT/C/55/Add. 7

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord:quatrième rapport périodiqueCAT/C/67/Add.2

Grèce: quatrième rapport périodiqueCAT/C/61/Add.1

24.À sa trente‑quatrième session, le Comité était saisi des rapports ci‑après:

Canada: quatrième et cinquième rapports périodiquesCAT/C/55/Add.8CAT/C/81/Add.3

Suisse: quatrième rapport périodiqueCAT/C/55/Add.9

Finlande: quatrième rapport périodiqueCAT/C/67/Add.1

Albanie: rapport initialCAT/C/28/Add.6

Ouganda: rapport initialCAT/C/5/Add.32

Bahreïn: rapport initialCAT/C/47/Add.4

25.Conformément à l’article 66 de son règlement intérieur, le Comité a invité des représentants de tous les États parties qui présentaient des rapports à assister aux séances au cours desquelles leurs rapports respectifs étaient examinés. Tous les États parties concernés ont envoyé des représentants, qui ont participé à l’examen de leurs rapports respectifs.

26.Un rapporteur et un rapporteur suppléant ont été désignés pour chacun des rapports examinés. On en trouvera la liste à l’annexe V du présent rapport.

27.Dans le cadre de l’examen des rapports, le Comité était également saisi des documents suivants:

a)Directives générales concernant la forme et le contenu des rapports initiaux que les États parties doivent présenter en application du paragraphe 1 de l’article 19 de la Convention (CAT/C/4/Rev.2);

b)Directives générales concernant la forme et le contenu des rapports périodiques que les États parties doivent présenter en application du paragraphe 1 de l’article 19 de la Convention (CAT/C/14/Rev.1).

28.On trouvera dans les sections qui suivent les conclusions et recommandations adoptées par le Comité à propos des rapports des États parties susmentionnés.

ARGENTINE

29.Le Comité a examiné le quatrième rapport périodique de l’Argentine (CAT/C/55/Add.7) à ses 622e et 625e séances, les 16 et 17 novembre 2004 (voir CAT/C/SR.622 et 625 et Add.1) et a adopté les conclusions et recommandations suivantes.

A.  Introduction

30.Le Comité accueille avec satisfaction la présentation du quatrième rapport périodique de l’Argentine mais observe que ledit rapport, qui aurait dû être soumis en juin 2000, a été reçu avec deux ans de retard. Le Comité se félicite du dialogue constructif engagé avec la délégation de haut niveau envoyée par l’État partie et la remercie des réponses franches et directes apportées aux questions qu’il a posées.

B.  Aspects positifs

31.Le Comité prend note avec satisfaction des efforts déployés par l’État partie pour lutter contre l’impunité en ce qui concerne les crimes contre l’humanité commis pendant la dictature militaire et, en particulier:

a)De la déclaration de nullité absolue des lois sur le devoir d’obéissance et sur le règlement final, en vertu de la loi no 25779 promulguée en septembre 2003;

b)De l’ouverture d’un nombre important de dossiers permettant d’enquêter sur lesdites infractions;

c)De l’abrogation, en 2003, du décret no 1581/01 du pouvoir exécutif, en vertu duquel les demandes d’extradition pour des faits de violations graves et flagrantes des droits de l’homme commises pendant la dictature militaire étaient automatiquement rejetées.

32.Le Comité prend note aussi avec satisfaction des aspects positifs suivants:

a)La récente ratification du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture, en novembre 2004;

b)La ratification du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, en février 2001;

c)La promulgation, en janvier 2004, de la nouvelle loi sur les migrations (no 25871), qui dispose notamment que la rétention de ressortissants étrangers relève uniquement de l’autorité judiciaire;

d)Le travail réalisé par la Commission nationale pour le droit à l’identité, chargée de rechercher les enfants disparus pendant la dictature militaire.

C.  Facteurs et difficultés entravant la mise en œuvre de la Convention

33.Le Comité prend note des difficultés rencontrées par l’État partie, notamment dans le domaine économique et social. Toutefois, il fait observer qu’aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, ne peut être invoquée pour justifier la torture.

D.  Sujets de préoccupation

34.Le Comité est préoccupé par les éléments suivants:

a)Les nombreuses allégations selon lesquelles des actes de torture et des mauvais traitements seraient commis de manière généralisée et habituelle par les services de sûreté de l’État et les forces de police, dans les provinces comme dans la capitale fédérale;

b)La disproportion entre le nombre important de plaintes pour actes de torture et mauvais traitements et le nombre minime de condamnations pour les faits en question ainsi que les retards injustifiables dans les enquêtes sur les cas de torture, ce qui contribue également à l’impunité qui règne dans ce domaine;

c)L’habitude des magistrats du parquet de procéder à une qualification erronée des faits, en assimilant le délit de torture à des chefs de moindre gravité (par exemple des contraintes illégales), passibles de peines moins lourdes, lorsque, en réalité, les faits en cause devraient être qualifiés d’actes de torture;

d)Le fait que la Convention n’est pas appliquée de manière uniforme dans les différentes provinces de l’État partie, et l’absence de mécanismes visant à inscrire dans le droit fédéral les dispositions de la Convention, bien que celle-ci ait valeur constitutionnelle en Argentine;

e)Comme le Comité l’a indiqué lors de l’examen des rapports précédents de l’État partie, les renseignements donnés par celui-ci sur l’observation des obligations découlant de la Convention ne sont toujours pas représentatifs de la situation dans l’ensemble du pays. De même, le Comité note avec préoccupation que le registre national devant regrouper les renseignements provenant de tous les tribunaux sur les cas de torture et de mauvais traitements observés dans le pays n’a pas encore été créé;

f)Les informations selon lesquelles des enfants n’ayant pas atteint l’âge de la responsabilité pénale, «enfants des rues» et mendiants pour la plupart, sont arrêtés et détenus dans des commissariats de police, dans les mêmes locaux que des adultes, et selon lesquelles ces enfants seraient victimes de torture et de mauvais traitements, ayant, dans certains cas, entraîné la mort;

g)Les allégations de torture et de mauvais traitements qu’auraient subis d’autres groupes vulnérables, tels que, par exemple, les membres des communautés autochtones, les minorités sexuelles et les femmes;

h)La surpopulation et les mauvaises conditions matérielles qui règnent dans les établissements pénitentiaires, notamment l’absence d’hygiène, d’alimentation suffisante et de soins médicaux appropriés, éléments susceptibles d’être constitutifs de traitements inhumains et dégradants;

i)Le nombre élevé de détenus en détention provisoire, dont la proportion atteint, selon l’État partie, presque 78 % dans le système pénitentiaire de la province de Buenos Aires;

j)La non‑application du principe de séparation des condamnés et des prévenus dans les centres de détention, ainsi que de ceux‑ci et des immigrants faisant l’objet d’un arrêté d’expulsion;

k)Les représailles, intimidations et menaces dont seraient victimes les personnes qui dénoncent des actes de torture et des mauvais traitements;

Les vexations et traitements dégradants auxquels donnent lieu les fouilles corporelles dans les centres de détention;

L’absence d’indépendance du personnel médical des établissements pénitentiaires, qui relève de l’administration pénitentiaire.

E.  Recommandations

35. Le Comité recommande à l’État partie d’adopter toutes les mesures nécessaires pour empêcher que des actes de torture et des mauvais traitements soient commis sur le territoire national, et notamment:

a) De prendre des mesures énergiques pour mettre un terme à l’impunité dont bénéficient les auteurs présumés d’actes de torture et de mauvais traitements; d’entreprendre sans délai des enquêtes approfondies et impartiales; de poursuivre les auteurs d’actes de torture et de mauvais traitements et, le cas échéant, de faire en sorte qu’ils soient condamnés à des peines appropriées et que les victimes soient indemnisées de manière adéquate;

b) De former les magistrats pour améliorer l’efficacité des enquêtes et pour mettre les décisions judiciaires en conformité avec les normes internationales applicables en la matière;

c) D’améliorer et d’approfondir la formation des membres des services de sûreté de l’État et des forces de police en matière de droits de l’homme, notamment en ce qui concerne les obligations découlant de la Convention;

d) De veiller à ce que les obligations découlant de la Convention soient respectées en permanence dans toutes les juridictions provinciales, afin d’assurer une application uniforme de la Convention sur tout le territoire national; il est rappelé à l’État partie que la responsabilité internationale de l’État incombe à l’État national, quand bien même les violations se produiraient dans les juridictions provinciales;

e) De mettre en place un registre national qui regroupe les renseignements provenant des tribunaux nationaux sur les cas de torture et de mauvais traitements observés dans le pays, comme la délégation de l’État partie a certifié qu’il serait possible de le faire;

f) D’adopter des mesures spécifiques pour protéger l’intégrité physique des membres de tous les groupes vulnérables;

g) De garantir, comme la délégation de l’État partie a donné l’assurance qu’il serait possible de le faire dans la province de Buenos Aires: l’interdiction immédiate de retenir des mineurs dans les locaux de la police; le transfert des mineurs qui se trouvent actuellement dans ces locaux vers des centres spécialisés; et l’interdiction pour les membres de la police de détenir des mineurs pour des «raisons de protection» sur tout le territoire national;

h) D’adopter des mesures efficaces pour améliorer les conditions matérielles dans les établissements pénitentiaires, réduire la surpopulation actuelle et garantir dûment le respect des besoins fondamentaux de toutes les personnes privées de liberté;

i) D’envisager de revoir ses pratiques et sa législation en matière de détention provisoire, afin que celle-ci ne soit appliquée qu’à titre exceptionnel, compte tenu des recommandations formulées en décembre 2003 par le Groupe de travail sur la détention arbitraire en ce qui concerne les mesures autres que la détention provisoire;

j) D’adopter les mesures nécessaires afin de garantir le respect du principe de séparation des condamnés et des prévenus, ainsi que de ceux ‑ci et des immigrants faisant l’objet d’un arrêté d’expulsion et qui se trouvent dans des centres de détention;

k) D’adopter des mesures efficaces pour que toutes les personnes qui dénoncent des actes de torture ou des mauvais traitements soient à l’abri de tout acte d’intimidation ou autre de nature à leur porter préjudice;

De prendre les mesures nécessaires pour garantir le respect de la dignité humaine et des droits de l’homme de toute personne dans le contexte des fouilles corporelles, conformément aux normes internationales;

D’adopter les mesures nécessaires afin de garantir la présence de personnel médical indépendant et qualifié pour procéder à un examen médical périodique des personnes détenues;

n) D’inclure, dans son prochain rapport périodique, des renseignements statistiques détaillés ventilés, notamment, par âge, ethnie et sexe des victimes ainsi que par type de délit et catégorie de délinquant, sur les plaintes pour actes relevant de la torture et d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants commis par des agents de l’État, ainsi que sur les enquêtes concernant ces plaintes, les poursuites engagées et les sanctions pénales ou disciplinaires prises contre les responsables, et les conséquences pour les victimes en termes de réparation et d’indemnisation;

o) De mettre en place un mécanisme national de prévention, lequel inspecterait périodiquement les centres de détention fédéraux et provinciaux afin de veiller à l’application intégrale du Protocole facultatif se rapportant à la Convention;

p) De mettre en place et de promouvoir, au sein du système pénitentiaire, un mécanisme efficace chargé de recevoir les plaintes relatives à des violences sexuelles, d’y donner suite et d’assurer protection et assistance psychologique et médicale aux victimes;

q) De diffuser largement par l’intermédiaire des sites Web officiels, des organes de communication et des organisations non gouvernementales les rapports présentés par l’État partie au Comité ainsi que les conclusions et recommandations adoptées par ce dernier;

r) D’informer le Comité dans un délai d’un an des mesures concrètes adoptées pour donner suite aux recommandations formulées aux alinéas  e , f , l et o du présent paragraphe;

s) De présenter ses cinquième et sixième rapports périodiques en un seul document au plus tard le 25 juin 2008, date prévue pour la remise du sixième rapport.

ROYAUME ‑UNI DE GRANDE ‑BRETAGNE ET D’IRLANDE DU NORD, TERRITOIRES DÉPENDANTS DE LA COURONNE ET TERRITOIRES D’OUTRE ‑MER

36.Le Comité a examiné le quatrième rapport périodique du Royaume‑Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord, des territoires dépendants de la Couronne et des territoires d’outre‑mer (CAT/C/67/Add.2) à ses 624e et 627e séances, tenues les 17 et 18 novembre 2004 (CAT/C/SR.624 et 627), et a adopté les conclusions et recommandations ci‑après.

A.  Introduction

37.Le quatrième rapport périodique du Royaume‑Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, attendu pour le 6 janvier 2002, a été reçu le 6 novembre 2003. À l’instar du précédent rapport, il était conforme aux directives du Comité relatives à l’établissement de ses rapports périodiques, notamment en ce qui concerne les réponses, faites point par point, aux recommandations précédentes du Comité. Le Comité accueille favorablement les renseignements détaillés communiqués par l’État partie et se félicite que les institutions et les organisations non gouvernementales concernées par la protection des droits de l’homme aient été invitées à participer à l’établissement de ce rapport. Le Comité donne acte des réponses exhaustives fournies par écrit à la liste des points à traiter ainsi que des réponses détaillées fournies par écrit et oralement aux questions posées par ses membres au cours de l’examen du rapport.

B.  Aspects positifs

38.Le Comité note:

a)Les réactions de l’État partie à certaines des recommandations précédentes du Comité, notamment la fermeture de certains établissements pénitentiaires où les conditions de détention avaient été jugées critiquables, la confirmation qu’aucune balle en plastique n’a été tirée par la police ni par l’armée en Irlande du Nord depuis septembre 2002, et la dissolution de la Royal Ulster Constabulary;

b)L’entrée en vigueur en 2000 de la loi sur les droits de l’homme de 1998;

c)L’entrée en vigueur de la loi de 2003 sur les mutilations sexuelles féminines réprimant les actes commis par des nationaux ou résidents du Royaume-Uni, que ce soit dans l’État partie ou à l’étranger; enfin, l’engagement pris par l’État partie d’empêcher les sociétés britanniques de fabriquer, de vendre ou d’acheter du matériel conçu essentiellement aux fins de torture ou autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants;

d)La décision en date du 24 mars 1999 du Comité judiciaire de la Chambre des Lords dans l’affaire R. v. Bartle and the Commissioner of Police for the Metropolis, ex parte Pinochet, selon laquelle, d’une part, les tribunaux de l’État partie sont compétents pour connaître des actes de torture commis à l’étranger et, d’autre part, un ancien chef d’État n’est pas couvert par l’immunité s’agissant de tels crimes;

e)La création d’une commission indépendante des plaintes contre la police pour l’Angleterre et le pays de Galles et, en Irlande du Nord, du Bureau du Médiateur de la police et de la Commission des droits de l’homme d’Irlande du Nord;

f)L’assurance de l’État partie selon laquelle les forces armées, les conseillers militaires et autres fonctionnaires britanniques déployés dans des opérations à l’étranger sont «en tout temps soumis au droit pénal anglais», notamment à l’interdiction de la torture et des mauvais traitements;

g)Les affirmations de l’État partie selon lesquelles «les éléments de preuve obtenus au moyen de tout acte de torture par des fonctionnaires britanniques, ou dont les autorités britanniques seraient complices, ne seraient pas recevables dans une procédure pénale ou civile au Royaume‑Uni» et le Ministre de l’intérieur n’a pas l’intention d’invoquer ni de présenter «d’éléments de preuve dont on sait ou dont on croit savoir qu’ils ont été obtenus par la torture»;

h)En ce qui concerne les îles Vierges britanniques, la création d’un comité de coordination des rapports relatifs aux droits de l’homme; en ce qui concerne Guernesey, l’adoption de la loi de 2000 sur les droits de l’homme du bailliage de Guernesey; en ce qui concerne l’île de Man, l’adoption de la loi de 2001 sur les droits de l’homme; et, en ce qui concerne les Bermudes, le mécanisme d’examen des plaintes mis en place par la loi de 1998 relative aux plaintes dirigées contre la police; et

i)La réaffirmation par l’État partie de sa condamnation sans réserve de la torture; la ratification rapide par l’État partie du Protocole facultatif se rapportant à la Convention; enfin, son soutien actif à la ratification universelle de la Convention et de son Protocole facultatif, par son action diplomatique, des projets concrets et le financement de la recherche.

C.  Sujets de préoccupation

39.Le Comité est préoccupé par:

a)Le fait qu’il subsiste des discordances entre les prescriptions de la Convention et les dispositions du droit interne de l’État partie qui, même après l’adoption de la loi relative aux droits de l’homme, présente toujours des lacunes, notamment:

i)Le fait qu’alors que l’article 15 de la Convention interdit à quiconque, où que ce soit, d’utiliser des éléments de preuve obtenus par la torture, la législation de l’État partie a été, en dépit des assurances de l’État partie mentionnées au paragraphe 38 g) plus haut, interprétée comme n’excluant les éléments de preuve obtenus par la torture que lorsque les agents de l’État partie en étaient complices;

ii)Le fait que bien que l’article 2 de la Convention stipule qu’aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, ne peut être invoquée pour justifier la torture, le paragraphe 4 de l’article 134 de la loi sur la justice pénale autorise l’auteur de l’acte de torture à se défendre d’une accusation d’infliction intentionnelle d’une douleur ou d’une souffrance aiguë en soutenant qu’il a agi sous couvert «d’une autorité, d’une justification ou d’une excuse légitime», défense qui n’est pas restreinte par la loi sur les droits de l’homme hors des frontières de l’État partie, où cette loi ne s’applique pas; en outre, le paragraphe 5 de l’article 134 de la loi sur la justice pénale prévoit une possibilité de défense pour un acte autorisé en droit étranger même si cet acte est illégal en vertu de la législation de l’État partie;

b)L’acceptation limitée par l’État partie de l’applicabilité de la Convention aux actions de ses forces à l’étranger, en particulier son explication selon laquelle «les parties de la Convention qui ne sont applicables qu’aux territoires placés sous la juridiction d’un État partie ne peuvent être applicables aux actions du Royaume-Uni en Afghanistan et en Iraq»; le Comité fait observer que les protections prévues par la Convention s’appliquent à tous les territoires placés sous la juridiction d’un État partie et considère que ce principe porte sur toutes les régions placées de fait sous le contrôle effectif des autorités de l’État partie;

c)Les arguments factuels et juridiques incomplets présentés au Comité pour justifier les dérogations aux obligations internationales relatives aux droits de l’homme qui incombent à l’État partie et les pouvoirs exceptionnels énoncés dans la quatrième partie de la loi de 2001 sur la lutte contre le terrorisme, la criminalité et la sécurité; de même, s’agissant de l’Irlande du Nord, l’absence de renseignements précis sur la nécessité du maintien des dispositions d’urgence concernant cette juridiction qui figurent dans la loi de 2000 sur le terrorisme;

d)Les assurances diplomatiques qu’aurait acceptées l’État partie en matière de refoulement dans des circonstances où ses normes minimales concernant de telles assurances, notamment les dispositions pour un contrôle après le retour, et les garanties d’une procédure équitable ne sont pas d’une parfaite limpidité et ne peuvent donc pas faire l’objet d’une évaluation quant à leur compatibilité avec l’article 3 de la Convention;

e)Le recours par l’État partie à la détention pour une durée virtuellement illimitée de nationaux étrangers suspectés de participation au terrorisme international en vertu de la loi de 2001 sur la lutte contre le terrorisme, la criminalité et la sécurité et le régime sévère appliqué dans la prison de Belmarsh;

f)Les enquêtes effectuées par l’État partie sur un certain nombre de décès causés par le recours à une force meurtrière, survenus entre l’entrée en vigueur de la Convention en 1988 et celle de la loi sur les droits de l’homme en 2000, qui n’ont pas été entièrement conformes à ses obligations internationales;

g)Les informations selon lesquelles des conditions insatisfaisantes régneraient dans les lieux de détention de l’État partie, notamment: nombre considérable de décès en détention avant jugement, violence entre prisonniers, surpeuplement, persistance de l’emploi de seaux hygiéniques; et les informations selon lesquelles les femmes seraient détenues dans des conditions inacceptables à la prison de Hydebank Wood où les installations, l’organisation, les méthodes de garde et les soins médicaux ne tiendraient aucun compte de leurs besoins propres, où les gardiens seraient à 80 % des hommes et où des menaces inappropriées et des incidents touchant les femmes détenues ont été signalés;

h)Les cas signalés de bizutage suivi de lésions auto‑infligées et de suicides dans les forces armées, et la nécessité de procéder à une enquête publique approfondie sur ces incidents et de prendre les mesures préventives qui s’imposent;

i)Enfin, les allégations et plaintes dirigées contre le personnel des services d’immigration, notamment des plaintes faisant état de recours à une force excessive dans l’expulsion de déboutés du droit d’asile.

D.  Recommandations

40. Le Comité recommande à l’État partie:

a) De prendre les mesures appropriées, compte tenu des vues du Comité, pour veiller − expressément si nécessaire − à ce que les moyens de défense opposables à une accusation faite en vertu du paragraphe 1 de l’article 134 de la loi sur la justice pénale soient conformes aux prescriptions de la Convention;

b) D’examiner, compte tenu de l’expérience qu’il a acquise depuis la ratification de la Convention et de la jurisprudence du Comité, ses lois et son droit coutumier pour faire en sorte qu’ils soient pleinement conformes aux obligations imposées par la Convention; par souci de précision et de commodité, l’État partie devrait publier un recueil des dispositions juridiques pertinentes;

c) De réévaluer son mécanisme d’extradition, dans la mesure où celui ‑ci prévoit que le Ministre de l’intérieur doit prendre des décisions sur des questions telles que celle de l’aptitude médicale à être jugé, qui sont normalement du ressort des tribunaux;

d) De refléter comme il convient, de façon formelle, par exemple en l’incorporant dans une loi ou dans un engagement pris devant le Parlement, l’intention du Gouvernement, telle qu’elle a été exprimée par la délégation, de ne pas invoquer ni présenter dans aucune procédure d’éléments de preuve dont on sait ou dont on croit savoir qu’ils ont été obtenus par la torture; l’État partie devrait également offrir aux particuliers un moyen de contester la légalité de tout élément de preuve, dans toute procédure, dont il y aurait de bonnes raisons de croire qu’il a été obtenu par la torture;

e) D’appliquer les articles 2 et/ou 3 de la Convention selon qu’il conviendra aux transferts de détenus placés sous la garde d’un État partie à la garde, de fait ou en droit, de tout autre État;

f) De rendre publics les résultats de toutes enquêtes sur le comportement qu’auraient eu ses forces en Iraq et en Afghanistan, en particulier celles qui révèlent des actions qui pourraient être contraires à la Convention, et de prendre des dispositions en vue d’un examen indépendant des conclusions de ces enquêtes, le cas échéant;

g) De réexaminer ses procédures d’examen, en vue de renforcer l’évaluation périodique indépendante de la justification continue des dispositions exceptionnelles tant de la loi de 2001 sur la lutte contre le terrorisme, la criminalité et la sécurité, que de la loi de 2000 sur le terrorisme, compte tenu de la durée écoulée depuis que les dispositions exceptionnelles pertinentes sont en vigueur, des réalités factuelles sur le terrain et des critères devant être remplis pour qu’un état d’urgence puisse être déclaré;

h) D’examiner d’urgence les solutions que l’on pourrait substituer à la détention illimitée en vertu de la loi de 2001 sur la lutte contre le terrorisme, la criminalité et la sécurité;

i) De préciser au Comité le nombre de cas d’extradition ou d’expulsion sous réserve d’assurances ou de garanties diplomatiques qui se sont produits depuis le 11 septembre 2001, la teneur minimale de ces assurances ou garanties exigée par l’État partie, et les mesures de surveillance ultérieure qu’il a prises dans de telles affaires;

j) De veiller à ce que le comportement des agents de l’État partie, notamment ceux qui procèdent à des interrogatoires dans tout lieu de détention situé outre ‑mer soit strictement conforme aux prescriptions de la Convention et que toute infraction à la Convention dont l’État partie aurait connaissance fasse l’objet d’une enquête rapide et impartiale, et, si nécessaire de poursuites pénales engagées par l’État devant une juridiction appropriée;

k) De prendre toutes mesures utiles pour examiner les enquêtes sur les décès causés par l’utilisation d’une force meurtrière en Irlande du Nord qui n’ont pas été élucidés, d’une manière qui, comme l’ont dit les représentants de l’État partie, «suscite la confiance du public»;

l) De mettre au point un plan d’action d’urgence prévoyant notamment un recours approprié à des sanctions pénales, pour donner suite aux sujets de préoccupation soulevés par le Comité au paragraphe 40 g), ainsi que de prendre des mesures appropriées pour tenir compte des problèmes propres aux femmes;

m) D’envisager de désigner la Commission des droits de l’homme d’Irlande du Nord comme l’un des organes de surveillance prévus par le Protocole facultatif se rapportant à la Convention;

n) D’envisager d’offrir de manière régulière des examens médicaux avant − et en cas d’échec après − toute expulsion forcée par la voie aérienne;

o) D’envisager de mettre au point un instrument de collecte centrale de statistiques sur les questions soulevées par la Convention dans les prisons et les autres lieux de détention de l’État partie;

p) Enfin, de faire la déclaration prévue à l’article 22 de la Convention.

41. Le Comité demande à l’État partie de lui fournir, dans le délai d’un an, des renseignements sur la suite donnée à ses recommandations figurant aux alinéas  d, e, f, g, h, i, j et  l du paragraphe 40 ci ‑dessus.

42. Le Comité demande à l’État partie de présenter son prochain rapport périodique, attendu pour le 6 janvier 2006, en 2008.

GRÈCE

43.Le Comité contre la torture a examiné le quatrième rapport périodique de la Grèce (CAT/C/61/Add.1) à ses 630e et 633e séances, tenues les 22 et 23 novembre 2004 (CAT/C/SR.630 et 633), et a adopté les conclusions et recommandations ci‑après.

A.  Introduction

44.Le Comité se félicite de la présentation du quatrième rapport périodique de la Grèce et d’avoir la possibilité de poursuivre le dialogue avec l’État partie. Il note cependant que le rapport n’est pas entièrement conforme aux directives du Comité pour l’établissement des rapports périodiques et ne contient pas de renseignements sur l’aspect pratique de l’application des dispositions de la Convention.

45.Notant que le rapport couvre la période allant de novembre 1999 à décembre 2001, le Comité sait gré à la délégation de la mise à jour qu’elle a fournie pendant l’examen et de ses réponses à la plupart des questions posées par le Comité. Le Comité souhaite que le prochain rapport périodique contienne davantage de données et de renseignements sur l’application proprement dite des dispositions de la Convention.

B.  Aspects positifs

46.Le Comité prend acte des changements positifs suivants:

a)Les efforts en cours de l’État partie pour réviser sa législation et adopter d’autres mesures nécessaires pour renforcer le respect des droits de l’homme en Grèce et donner effet à la Convention. Il prend acte en particulier avec satisfaction des textes suivants:

i)Le nouveau Code des prisons (loi no 2776/99), qui contient des dispositions destinées, entre autres, à améliorer les conditions de vie dans les lieux de détention et à empêcher un traitement inhumain des prisonniers;

ii)La législation visant à faciliter l’enregistrement des étrangers (loi no 3274/2004);

iii)La nouvelle loi sur l’aide juridique (loi no 3226/2004), qui stipule que des avocats doivent être désignés pour formuler et présenter les plaintes au nom des victimes de la torture et de la traite, et que le Procureur des prisons a le devoir de fournir des conseils juridiques aux détenus;

iv)La nouvelle loi sur la détention d’armes et l’utilisation des armes à feu (loi no3169/2003), qui réglemente la détention et l’utilisation d’armes à feu par les forces de police;

v)La loi sur la lutte contre le trafic des êtres humains (loi no 3064/2002), qui érige la traite en infraction et punit lourdement ceux qui la pratiquent;

vi)La nouvelle loi sur l’indemnisation (2001);

vii)La circulaire du chef de la police de juillet 2003 concernant la détention de migrants sans papiers et celle de novembre 2003 relative au traitement des victimes de la traite;

b)La création, au Bureau de l’Ombudsman, d’un département des droits de l’enfant (loi no 3094/2003) chargé, entre autres, de procéder à des enquêtes et d’effectuer des recherches sur des questions déterminées jugées particulièrement importantes;

c)La levée des quotas restrictifs (de 15 %) fixés pour le recrutement des femmes dans les forces de police;

d)La déclaration de la délégation selon laquelle l’État partie est disposé à examiner les modalités d’un renforcement de la coopération avec les organisations non gouvernementales, notamment en ce qui concerne les visites aux centres de détention;

e)La publication des rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) sur sa visite en Grèce et de la réponse du Gouvernement à ces rapports (CPT/Inf(2002)31 et CPT/Inf(2002)32) qui ne manquera pas de contribuer à un débat général entre toutes les parties intéressées;

f)Les contributions versées depuis 1983 au Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture;

g)La ratification par l’État partie, le 15 mai 2002, du Statut de Rome de la Cour pénale internationale.

C.  Sujets de préoccupation

47.Le Comité note qu’il n’a pas reçu de réponse appropriée à une bonne partie des préoccupations qu’il avait exprimées lors de l’examen du troisième rapport périodique de la Grèce (A/56/44, par. 87) et qu’il les réitérera dans les présentes observations finales. Le Comité est préoccupé par:

a)L’absence de données sur l’application pratique des nombreux nouveaux textes législatifs et par les mesures apparemment insuffisantes prises pour réduire le fossé entre la législation et la pratique;

b)Les procédures concernant l’expulsion des étrangers qui peuvent dans certains cas être contraires à la Convention. Le Comité est également préoccupé par la faible proportion (0,06 %) des personnes qui ont obtenu le statut de réfugié en 2003. Il reconnaît qu’en raison de sa situation géographique, la Grèce est devenue une voie de transit importante vers l’Europe pour les immigrants et demandeurs d’asile dont le nombre a énormément augmenté ces 10 dernières années. Par conséquent, une réponse appropriée n’en est que plus urgente;

c)La formation dispensée aux fonctionnaires de l’État qui n’est peut‑être pas suffisante pour leur permettre de faire face convenablement aux nombreux défis qu’ils rencontrent, notamment en ce qui concerne les migrants et les demandeurs d’asile sans papiers et les victimes de la traite, dont bon nombre sont des femmes et des enfants;

d)La lenteur des progrès vers l’adoption d’un code déontologique et d’autres mesures pour réglementer la conduite des interrogatoires de police de façon à compléter les dispositions du Code de procédure pénale, l’objectif étant de prévenir les cas de torture et de mauvais traitement conformément à l’article 11 de la Convention;

e)L’absence d’un système indépendant efficace pour enquêter sur les plaintes, et les informations selon lesquelles les allégations de torture et de mauvais traitements ne font pas l’objet d’enquêtes rapides et impartiales;

f)La réticence présumée des procureurs à engager des procédures pénales au titre de l’article 137A du Code pénal. En outre, le Comité est préoccupé par les carences dans la protection des victimes contre les mauvais traitements ou l’intimidation auxquels elles peuvent être exposées lorsqu’elles portent plainte ou font une déposition;

g)Le manque d’informations sur les moyens de réparation et d’indemnisation équitable et suffisante, ainsi que sur les moyens de réadaptation dont peuvent bénéficier les victimes de la torture ou les personnes qui sont à leur charge, conformément à l’article 14 de la Convention;

h)Les allégations persistantes de recours excessif à la force et aux armes à feu, y compris de cas d’assassinat, et les informations faisant étant de sévices sexuels infligés par la police et en particulier par les gardes frontière. Bon nombre de victimes seraient des citoyens albanais ou des membres d’autres groupes socialement défavorisés; le Comité regrette d’autre part le fait que l’État partie n’ait pas fourni de données statistiques ventilées sur ce sujet;

i)Le surpeuplement persistant des prisons et autres lieux de détention, les mauvaises conditions qui continuent d’y régner et le fait que les organes indépendants habilités à visiter les lieux de détention ont du mal à y accéder;

j)Les mauvais traitements infligés aux Roms par des agents de l’État lors d’opérations d’expulsion forcée ou de réinstallation. Le fait que ces mesures résultent d’ordonnances judiciaires ne saurait justifier les nombreux cas présumés de mauvais traitements signalés par des organismes aussi bien nationaux qu’internationaux;

k)Les cas présumés de violence à l’égard des femmes et des filles, notamment de violence au foyer, et la réticence des autorités à prendre, entre autres, des mesures législatives pour contrer ce phénomène;

l)Les mesures insuffisantes prises pour protéger les enfants placés par les forces de sécurité dans des foyers publics au cours de la période 1998‑2003. Le Comité note en particulier que sur les quelque 600 enfants placés dans le foyer pour enfants d’Aghia Varvara, 500 sont portés manquants et que les autorités judiciaires n’ont pas rapidement enquêté sur leur cas;

m)L’absence d’efforts appropriés pour prévenir et interdire la production, le commerce, l’exportation et l’utilisation de matériel spécialement conçu pour infliger des actes de torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, compte tenu en particulier des allégations faites quant à l’emploi d’électrochocs.

D.  Recommandations

48. Le Comité recommande à l’État partie:

a) D’intensifier les efforts en cours pour réduire le nombre de cas de mauvais traitements infligés par la police ou d’autres agents de l’État, notamment pour des motifs raciaux. Tout en assurant la protection de la vie privée des personnes, l’État partie devrait concevoir des modalités pour la collecte de données et le suivi de tels cas, de façon à s’attaquer plus efficacement au problème. Le Comité recommande à l’État partie de continuer de prendre des mesures pour prévenir les incidents xénophobes et les comportements discriminatoires;

b) De prendre toutes les mesures requises pour assurer l’application effective dans la pratique de la législation adoptée;

c) De faire en sorte que les autorités compétentes se conforment strictement à l’article 3 de la Convention et tiennent compte, ce faisant, de l’Observation générale n o  1 (1996) du Comité, dans laquelle ce dernier note qu’il «est d’avis qu’à l’article 3, l’expression “autre État” désigne l’État vers lequel la personne concernée va être expulsée, refoulée ou extradée aussi bien que tout État vers lequel l’auteur peut être expulsé, refoulé ou extradé ultérieurement» (par. 2);

d) De faire en sorte que tout le personnel qui participe à la garde, à l’interrogatoire et au traitement des détenus reçoive une formation concernant l’interdiction de la torture et des mauvais traitements. La formation dispensée devrait comporter le développement des compétences requises pour reconnaître les séquelles de la torture et une sensibilisation dans l’optique d’éventuels contacts avec des personnes particulièrement vulnérables dans des situations à risque;

e) D’accélérer le processus d’adoption du code de déontologie et continuer d’examiner les modalités d’une modification des règles et procédures d’interrogatoire, notamment par le recours à des enregistrements audio ou vidéo, en vue de prévenir la torture et les mauvais traitements;

f) De prendre les mesures nécessaires pour mettre en place un système efficace, fiable et indépendant de présentation de plaintes afin que puissent être menées rapidement des investigations impartiales, avec le concours immédiat d’un médecin légiste, sur les actes de torture et les mauvais traitements imputés à la police et à d’autres fonctionnaires de l’État, et de punir les auteurs. Le Comité souligne qu’il ne suffit pas que l’État partie reconnaisse l’indépendance de l’autorité judiciaire, il lui incombe aussi de faire en sorte qu’elle fonctionne efficacement;

g) De veiller à ce que toutes les personnes qui signalent des actes de torture ou des mauvais traitements bénéficient de la protection voulue et que les allégations formulées fassent rapidement l’objet d’une enquête. Des mesures disciplinaires, y compris la suspension, ne devraient pas être retardées dans l’attente de l’aboutissement de la procédure pénale;

h) D’informer le Comité des possibilités d’assurer une réparation et une indemnisation aux victimes de la torture et aux personnes qui sont à leur charge;

i) D’assurer la stricte application de la nouvelle législation sur l’utilisation et la détention d’armes à feu, en particulier par les gardes frontière;

j) De songer, tout en poursuivant ses efforts à long terme pour faire face au surpeuplement des prisons et des lieux de détention et aux mauvaises conditions qui y règnent, notamment en construisant de nouvelles prisons, à d’autres moyens de réduire la population carcérale en tant que mesures urgentes pour faire face à la situation dans les lieux de détention;

k) De faire en sorte que toutes les mesures prises par les agents de l’État, en particulier celles qui touchent les Roms (telles que les expulsions et les réinstallations) ou d’autres groupes marginalisés, soient appliquées de manière non discriminatoire et de rappeler à tous les fonctionnaires que les attitudes racistes ou discriminatoires ne seront ni autorisées ni tolérées;

l) D’adopter des textes de loi et d’autres mesures pour combattre la violence à l’égard des femmes dans le cadre de plans destinés à prévenir une telle violence, y compris au foyer, et d’enquêter sur toutes les allégations de mauvais traitement et de sévices;

m) De revoir les modalités de protection des enfants des rues afin d’assurer, en particulier, qu’elles préservent leurs droits. Toutes les décisions touchant les enfants devraient, dans la mesure du possible, être prises en tenant dûment compte de leurs vues et de leurs préoccupations, de façon à trouver une solution optimale et pratique. Le Comité demande instamment à l’État partie de prendre des mesures pour prévenir la récurrence de cas tels que celui du foyer pour enfants d’Aghia Varvara. Il devrait veiller également à ce qu’une enquête judiciaire soit menée et à fournir au Comité des renseignements sur ses résultats;

n) D’adopter des mesures en vue de prévenir et d’interdire la production et l’utilisation de matériel spécifiquement conçu pour infliger des actes de torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

49. Le Comité invite l’État partie à fournir dans son prochain rapport périodique des données statistiques détaillées, ventilées par type d’infraction, groupe ethnique et sexe, sur les plaintes relatives aux actes de torture et aux mauvais traitements imputés à des membres de la force publique et sur les enquêtes, poursuites et sanctions pénales et disciplinaires connexes. Il est demandé également à l’État partie de fournir des informations sur les mesures d’indemnisation et de réadaptation prises en faveur des victimes.

50. Le Comité encourage l’État partie à songer à ratifier le Protocole facultatif à la Convention contre la torture.

51. L’État partie est encouragé à diffuser largement les rapports présentés par la Grèce au Comité et les conclusions et recommandations de ce dernier, dans les langues appropriées, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

52. Le Comité invite l’État partie à fournir, dans un délai de 12 mois, des informations sur les mesures qu’il aura prises pour donner suite aux recommandations formulées aux alinéas  e , h , i , j , k et m du paragraphe 48 ci ‑dessus.

53. L’État partie est prié de présenter son prochain rapport périodique, qui contiendra ses cinquième et sixième rapports, avant le 4 novembre 2009, date à laquelle son sixième rapport périodique est attendu.

CANADA

54.Le Comité a examiné les quatrième et cinquième rapports périodiques du Canada (CAT/C/55/Add.8 et CAT/C/81/Add.3, respectivement) à ses 643e et 646e séances (CAT/C/SR.643 et 646 et Add.1) tenues les 4 et 6 mai 2005, et a adopté, à sa 658e séance (CAT/C/SR.658), les conclusions et recommandations ci‑après.

A. Introduction

55.Le quatrième rapport périodique du Canada était attendu le 23 juillet 2000 et a été soumis le 20 août 2002, tandis que le cinquième rapport périodique était attendu le 23 juillet 2004 et a été soumis le 11 octobre 2004, chacun de ces rapports étant établi conformément aux directives du Comité concernant la forme et le contenu des rapports. Le Comité se félicite du caractère ouvert et largement participatif du processus d’élaboration de ces rapports, qui a associé des institutions et des organisations non gouvernementales s’occupant de la protection des droits de l’homme, ainsi que de l’inclusion dans les rapports d’opinions divergentes exprimées par la société civile.

B. Aspects positifs

56.Le Comité note:

a)La définition de la torture inscrite dans le Code criminel du Canada, qui est conforme à celle donnée dans l’article premier de la Convention, et les dispositions de ce code écartant tout moyen de défense fondé sur l’obéissance aux ordres d’un supérieur ou des circonstances exceptionnelles, notamment un conflit armé, et posant le principe de l’irrecevabilité des preuves obtenues par la torture;

b)L’application directe des normes pénales visées à l’alinéa a ci‑dessus au personnel militaire de l’État partie, où qu’il soit basé, en vertu de la loi sur la défense nationale;

c)La reconnaissance générale, dans la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés de 2002, du risque de «torture au sens de l’article premier de la Convention», comme un motif propre pour établir qu’une personne a qualité de personne à protéger (art. 97, par. 1) et exclure son renvoi (art. 115, par. 1), s’il y a des motifs sérieux de croire qu’un tel risque existe;

d)L’examen rigoureux au regard de la constitutionnalité des pouvoirs institués par la loi antiterroriste de 2001;

e)La reconnaissance par la Cour suprême du Canada de la nécessité d’offrir des garanties de procédure renforcées, même dans des affaires touchant à la sécurité nationale, et la décision ultérieure de l’État partie d’étendre les garanties procédurales renforcées à tous les cas où des personnes contestent, en invoquant le risque de torture, des décisions ministérielles d’expulsion;

f)Les modifications apportées à la politique et à la pratique en matière correctionnelle pour donner effet aux recommandations formulées dans le rapport Arbour sur le traitement des femmes délinquantes dans le système pénitentiaire fédéral;

g)L’obligation de faire effectuer l’examen des cavités corporelles par un membre du corps médical plutôt que par un agent pénitentiaire en cas de situation non urgente et après que l’intéressé aura pu consulter un avocat et donné son consentement écrit;

h)Les efforts entrepris par l’État partie, face au problème de la surreprésentation des autochtones délinquants dans le système correctionnel signalé précédemment par le Comité, pour mettre au point des mécanismes alternatifs de justice pénale innovants et adaptés aux particularités culturelles, comme le placement dans des pavillons de ressourcement.

C. Sujets de préoccupation

57.Le Comité est préoccupé par:

a)Le fait que dans l’affaire Suresh c. Ministre de la citoyenneté et de l’immigration, la Cour suprême du Canada n’a pas reconnu en droit interne le caractère absolu de la protection conférée par l’article 3 de la Convention, qui n’est susceptible d’aucune exception quelle qu’elle soit;

b)Le rôle qu’auraient joué les autorités de l’État partie dans l’expulsion d’un citoyen canadien, M. Maher Arar, des États‑Unis d’Amérique vers la République arabe syrienne, pays où des cas de torture ont été signalés;

c)L’exclusion globale, en vertu de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés de 2002 (art. 97), du bénéfice du statut de réfugié ou de la qualité de personne à protéger, des personnes tombant sous le coup des exceptions liées à la sécurité énoncées dans la Convention relative au statut des réfugiés et ses protocoles; ces personnes n’ont de ce fait pas droit à une audience devant la Section de la protection des réfugiés ni devant la Section d’appel des réfugiés pour faire examiner leur demande au fond;

d)L’exclusion expresse de certaines catégories de personnes constituant un danger sous l’angle de la sécurité ou de la criminalité du bénéfice du principe du non‑refoulement établi par la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés de 2002 (art. 115, par. 2);

e)Le fait que l’État partie semble davantage enclin, eu égard au petit nombre de poursuites engagées pour des infractions en rapport avec le terrorisme et la torture, à recourir en premier lieu aux procédures relevant de l’immigration pour éloigner ou expulser certains individus de son territoire, ce qui suscite couramment des questions au regard de l’article 3 de la Convention, qu’à engager contre ces personnes une procédure pénale;

f)Le peu d’empressement de l’État partie à se conformer à toutes les demandes de mesures provisoires de protection, dans le contexte de communications présentées par des particuliers en vertu de l’article 22 de la Convention;

g)L’absence de mesures effectives d’indemnisation au civil des victimes de torture dans toutes les affaires;

h)Le nombre encore considérable d’«incidents de violence grave», définis par l’État partie comme se traduisant par des lésions corporelles graves, et/ou de prises d’otages, dans les établissements correctionnels fédéraux de l’État partie;

i)La persistance des allégations faisant état d’un usage abusif par les forces de l’ordre d’armes chimiques, irritantes, incapacitantes ou mécaniques dans le cadre d’opérations de contrôle de foule.

D. Recommandations

58. Le Comité recommande que:

a) L’État partie s’engage sans condition à respecter le caractère absolu de l’article 3 en toutes circonstances et intègre pleinement les dispositions de l’article 3 dans son droit interne;

b) L’État partie supprime de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés de 2002 les motifs d’exclusion visés aux alinéas  c et  d du paragraphe 57 ci ‑dessus pour que les personnes actuellement exclues puissent bénéficier du droit à la qualité de personnes à protéger et du principe du non ‑refoulement en raison de l’existence d’un risque de torture;

c) L’État partie prévoie de soumettre à un examen juridictionnel au fond, plutôt qu’à un simple examen de leur caractère raisonnable, les décisions de renvoi d’une personne lorsqu’il y a des motifs sérieux de croire que celle ‑ci risque d’être soumise à la torture;

d) L’État partie insiste pour obtenir un accès sans restriction de ses agents consulaires à ses nationaux en détention à l’étranger, avec si nécessaire la mise à disposition de parloirs non surveillés et des compétences médicales appropriées;

e) Vu le caractère absolu du principe du non ‑refoulement énoncé à l’article 3 de la Convention, l’État partie indique au Comité le nombre de cas d’extradition ou d’expulsion sous réserve de garanties ou d’«assurances diplomatiques» qui se sont produits depuis le 11 septembre 2001, les conditions minimales exigées au titre de ces assurances ou garanties par l’État partie, les mesures de surveillance ultérieures qu’il a prises dans de telles affaires et la valeur juridiquement contraignante des assurances ou garanties données;

f) L’État partie revoie sa position concernant l’article 14 de la Convention en vue d’assurer l’indemnisation par la juridiction civile de toutes les victimes de torture;

g) L’État partie prenne les mesures nécessaires pour parvenir à réduire progressivement la fréquence des «incidents de violence grave» dans ses établissements correctionnels fédéraux;

h) L’État partie procède à une étude publique et indépendante et à un réexamen de sa politique concernant les méthodes de contrôle de foule, visées plus haut au paragraphe 57 i);

i) L’État partie précise clairement, si nécessaire en faisant adopter une législation à cette fin, les compétences de la Commission des plaintes du public contre la GRC (Gendarmerie royale du Canada), s’agissant d’enquêter et de faire rapport sur toutes les activités de la GRC entrant dans le champ de son mandat relatif aux plaintes;

j) L’État partie envisage de devenir partie au Protocole facultatif à la Convention.

59. Le Comité demande à l’État partie de lui fournir, dans le délai d’un an, des renseignements sur la suite donnée à ses recommandations figurant aux alinéas d , e et g du paragraphe 58 ci ‑dessus.

60. Le Comité demande à l’État partie de présenter son sixième rapport périodique d’ici au 23 juillet 2008.

SUISSE

61.Le Comité contre la torture a examiné le quatrième rapport périodique de la Suisse (CAT/C/55/Add.9) à ses 645e et 648e séances, les 6 et 9 mai 2005 (CAT/C/SR.645 et 648) et a adopté à sa 661e séance (CAT/C/SR.661) les conclusions et recommandations ci‑après.

A. Introduction

62.Le Comité accueille avec satisfaction le quatrième rapport périodique de la Suisse, qui a été établi selon ses directives. Il note toutefois que le rapport lui a été soumis avec deux ans de retard. Le Comité apprécie le dialogue constructif instauré avec la délégation et remercie l’État partie des réponses écrites détaillées qu’il a données à la liste des points à traiter, et la délégation des réponses précises fournies à toutes les questions posées oralement.

B. Aspects positifs

63.Le Comité note avec satisfaction les éléments suivants:

a)L’interdiction qui est proposée dans le projet de loi fédérale sur l’usage de la contrainte par la police dans le cadre du droit des étrangers et pendant des transports de personnes ordonnés par une autorité fédérale de tout moyen de contention qui empêche de respirer librement ainsi que de l’utilisation de gaz irritants ou paralysants;

b)L’élaboration de «directives relatives aux rapatriements sous contrainte par voie aérienne», qui comprennent une disposition selon laquelle l’administration forcée de médicaments ne peut se faire que pour des raisons médicales. Il se félicite également que l’Académie suisse pour les sciences médicales ait été consultée lors de l’élaboration de ces directives;

c)Le nouveau projet de code de procédure pénale fédéral qui, dans ses dispositions relatives aux droits des personnes placées en garde à vue, interdit la mise au secret;

d)Les mesures énoncées dans la nouvelle loi sur l’asile ainsi que les mesures prises par l’Office fédéral des migrations pour traiter des cas de persécution à l’égard des femmes;

e)La publication des rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants à la suite de ses troisième et quatrième visites en Suisse et la réponse du Gouvernement à ceux-ci, ainsi que l’action menée à bien par les autorités de l’État partie pour donner effet aux recommandations qu’ils contiennent, notamment celles qui concernent les expulsions d’étrangers par voie aérienne et l’intégration dans le programme général de formation de la police d’informations relatives aux risques d’asphyxie posturale lors de ces expulsions;

f)La signature du Protocole facultatif à la Convention en juin 2004 et la procédure engagée en vue de sa ratification;

g)La ratification du Statut de Rome de la Cour pénale internationale le 12 octobre 2001.

C. Sujets de préoccupation

64.Le Comité se déclare préoccupé par les éléments ci‑après:

a)Bien que la torture soit prohibée dans la Constitution fédérale, il n’existe pas, dans la législation pénale, de définition spécifique de la torture qui couvre tous les éléments constitutifs figurant à l’article premier de la Convention;

b)Le projet de loi fédérale sur l’usage de la contrainte dans le cadre du droit des étrangers et des transports de personnes ordonnés par une autorité fédérale:

i)Autorise l’emploi d’instruments envoyant des décharges électriques, notamment d’engins neutralisants (tasers) qui peuvent parfois être utilisés comme instruments de torture;

ii)Ne comprend aucune disposition pour assurer la présence de surveillants indépendants pendant l’expulsion;

c)La loi fédérale sur la procédure administrative ne prévoit pas explicitement que les constatations de violation de l’article 3 de la Convention concernant une requête individuelle examinée par le Comité constituent en soi un motif de révision d’une affaire. Le Comité note toutefois que ses constatations serviront de base à une nouvelle appréciation si des faits ou des éléments de preuve nouveaux sont invoqués dans le cadre de la procédure;

d)Le Comité note que pour qu’un individu puisse invoquer l’article 3 de la Convention, les normes exigées par l’État partie concernant les preuves sont plus strictes que celles définies par la Convention. Il appelle l’attention de l’État partie sur le fait que, conformément à son Observation générale no 1 (1996), l’existence du risque de torture «doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. En tout état de cause, il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable.» (par. 6);

e)Il n’existe pas de données statistiques complètes ni ventilées pour l’ensemble des cantons helvétiques sur le nombre:

i)De plaintes reçues pour actes de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et pour mauvais traitements;

ii)De personnes à qui l’asile a été octroyé parce qu’elles ont été victimes de torture ou qu’elles risquent d’être soumises à la torture;

iii)De personnes (victimes ou leur famille) qui ont été indemnisées pour avoir subi des tortures ou des traitements cruels, inhumains ou dégradants;

f)Malgré l’augmentation du nombre de plaintes pour mauvais traitements déposées contre la police, souvent par des personnes d’origine étrangère, seule une minorité de ces plaintes aboutit à des poursuites ou à des inculpations et un plus petit nombre encore donne lieu à une indemnisation des victimes ou de leur famille;

g)La recommandation formulée par le Comité tendant à mettre en place un mécanisme pour recevoir les plaintes contre des membres de la police faisant état d’actes de torture ou de mauvais traitements au cours des arrestations, des interrogatoires et de la garde à vue n’a été appliquée que par un seul canton;

h)Les modifications introduites par la nouvelle loi sur l’asile restreignent l’accès des demandeurs d’asile à un conseil, allongent la durée de la détention en phase «préparatoire» ou aux fins d’expulsion et en aggravent les conditions. Le Comité est également préoccupé par le fait que, en cas de décision de non‑entrée en matière, les prestations sociales des demandeurs d’asile sont diminuées de façon notable;

i)Les demandeurs d’asile retenus dans les aéroports ne sont pas systématiquement informés de leur droit de faire régulièrement une promenade et de l’exercice à l’extérieur ainsi que du droit de demander une assistance médicale;

j)Les «directives relatives aux rapatriements sous contrainte par voie aérienne» n’interdisent pas expressément le port d’un masque ou d’une cagoule par les agents d’escorte.

D. Recommandations

65. Le Comité recommande à l’État partie:

a) D’inclure dans le Code pénal une définition explicite de la torture, reprenant tous les éléments qui figurent à l’article premier de la Convention;

b) D’œuvrer à faire aboutir les consultations en cours au sujet du projet de loi fédérale sur l’usage de la contrainte dans le cadre du droit des étrangers et des transports de personnes ordonnés par une autorité fédérale, afin que le texte inclue l’interdiction de l’utilisation d’instruments envoyant des décharges électriques. L’État partie devrait également faire en sorte que des observateurs des droits de l’homme ou des médecins indépendants soient présents pendant tous les éloignements forcés par avion. Il devrait offrir également de façon systématique un examen médical avant les éloignements forcés par avion et, si la tentative échoue, après;

c) De prendre des mesures pour garantir que les constatations du Comité contre la torture qui conclut à une violation de l’article 3 soient considérées comme un motif suffisant pour la révision d’une affaire;

d) De garantir le respect des prescriptions de l’article 3, notamment du critère de la preuve ou du risque de torture, quand il s’agit de déterminer s’il y a lieu d’expulser, de renvoyer ou d’extrader un individu vers un autre État;

e) De prendre des mesures pour rassembler au niveau national des données ventilées relatives aux plaintes pour torture ou maltraitance, en particulier dans le contexte de l’application de la loi sur l’asile et de la loi sur les étrangers, ainsi que des données sur l’issue de toutes enquêtes et poursuites qui peuvent avoir été engagées;

f) De veiller à ce que toutes les plaintes pour mauvais traitement fassent l’objet d’une enquête effective et approfondie et à ce que les responsables présumés soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, sanctionnés. Les victimes et leur famille devraient être informées de leur droit de demander réparation et des procédures plus transparentes devraient être mises en place. À ce sujet, l’État partie devrait fournir au Comité des renseignements écrits sur les mesures prises pour indemniser les familles des deux victimes dans les deux affaires récentes de décès pendant un éloignement forcé;

g) D’encourager tous les cantons à établir des mécanismes indépendants chargés de recevoir des plaintes contre des membres de la police faisant état de torture ou de mauvais traitement;

h) De veiller à ce que le droit à un procès équitable, à un recours utile et à l’exercice des droits sociaux et économiques soit pleinement respecté à l’égard des demandeurs d’asile dans toutes les procédures établies par la nouvelle loi sur l’asile;

i) De prendre des mesures pour informer dûment tous les demandeurs d’asile retenus à l’aéroport de tous leurs droits sans exception, et en particulier du droit de prendre l’air régulièrement et de voir un médecin;

j) D’indiquer au Comité s’il y a eu des plaintes dans l’État partie concernant l’utilisation des «assurances diplomatiques» comme moyen de contourner le caractère absolu de l’obligation de non ‑refoulement définie à l’article 3 de la Convention;

k) De continuer à contribuer au Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture, comme l’État partie le fait depuis 1984.

66. Le Comité recommande à l’État partie de diffuser largement les présentes conclusions et recommandations, dans toutes les langues voulues, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

67. Le Comité demande à l’État partie de lui fournir, dans un délai d’un an, des renseignements sur la suite donnée aux recommandations formulées aux alinéas  b, f, g et i du paragraphe 65 ci ‑dessus.

68. L’État partie est invité à soumettre son prochain rapport périodique, qui contiendra ses cinquième et sixième rapports, avant le 25 juin 2008, date à laquelle son sixième rapport est attendu.

FINLANDE

69.Le Comité a examiné le quatrième rapport périodique de la Finlande (CAT/C/67/Add.1) à ses 647e et 650e séances (CAT/C/SR.647 et 650), les 9 et 10 mai 2005, et a adopté à sa 661e séance (CAT/C/SR.661) les conclusions et recommandations ci‑après.

A.  Introduction

70.Le Comité accueille avec satisfaction le quatrième rapport périodique de la Finlande, qui a été établi selon les directives du Comité et a été soumis dans les délais. Le Comité apprécie le dialogue constructif noué avec la délégation et remercie l’État partie des réponses écrites complètes qu’il a données à la liste des points, et la délégation des réponses détaillées qu’elle a apportées aux questions posées oralement par les membres.

B.  Aspects positifs

71.Au nombre des nombreux faits nouveaux positifs, le Comité note en particulier:

a)L’introduction de l’interdiction expresse de la torture et des autres traitements portant atteinte à la dignité humaine à l’article 7 de la nouvelle Constitution de la Finlande;

b)Les assurances verbales données par les représentants de l’État partie selon lesquelles le Gouvernement envisagerait de faire figurer dans le Code pénal une définition de la torture reprenant celle de l’article premier de la Convention, compte tenu des préoccupations du Comité;

c)Les mesures prises par l’État partie pour appliquer les précédentes recommandations du Comité concernant:

i)La mise en place d’un contrôle judiciaire pour le placement à l’isolement pendant la détention avant jugement;

ii)L’interdiction des organisations qui favorisent la discrimination raciale et y incitent;

iii)L’interdiction de la propagation d’idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale;

d)La loi de 2001 sur l’intégration des immigrés et l’accueil des demandeurs d’asile qui vise à accroître l’intégration, l’égalité et la liberté de choix des immigrés et l’amendement à cette loi adoptée en 2002 qui vise à tenir compte des besoins particuliers des personnes vulnérables ainsi que des mineurs et des victimes de torture, de viol ou d’autres actes de violence physique ou sexuelle;

e)La réforme générale du système d’exécution des peines et de la détention, notamment les modifications apportées au régime de la libération conditionnelle;

f)La modification apportée à la loi sur la santé mentale, qui vise à renforcer les droits du patient et du personnel, compte tenu des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme auxquels la Finlande est partie;

g)L’assurance qu’il existe des dispositions législatives strictes pour régir l’emploi de la force, y compris l’administration de sédatifs et d’autres médicaments, dans le cadre de l’exécution d’arrêtés d’expulsion;

h)La création en 2001 d’un nouveau poste d’ombudsman pour les minorités, en remplacement de l’Ombudsman pour les étrangers, qui dispose de pouvoirs plus étendus en vertu de la loi sur l’Ombudsman pour les minorités et de la loi sur les étrangers, notamment la faculté d’intervenir en faveur des demandeurs d’asile et des personnes frappées d’un arrêté d’expulsion;

i)Le fait qu’aucun cas de torture n’ait été signalé en Finlande pendant la période couverte par le rapport;

j)La publication des rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants à la suite de sa visite en Finlande (CPT/Inf (2003) 38 et CPT/Inf (2004) 20) et la réponse du Gouvernement à ceux-ci, ainsi que l’action menée à bien par l’État partie pour donner effet aux recommandations formulées par le Comité européen;

k)La signature, en septembre 2003, du Protocole facultatif à la Convention et les mesures en cours en vue de sa ratification;

l)La ratification du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, le 29 décembre 2000.

C.  Sujets de préoccupation

72.Le Comité se déclare préoccupé par les éléments suivants:

a)En dépit des recommandations précédentes du Comité, bien que la nouvelle Constitution interdise la torture, la législation pénale ne contient aucune définition spécifique qui couvre tous les éléments constitutifs figurant à l’article premier de la Convention;

b)La «procédure accélérée» prévue par la loi sur les étrangers fixe un délai extrêmement bref pour permettre un examen approfondi des demandes d’asile et pour donner aux requérants la possibilité de se prévaloir de toutes les voies de recours en cas de rejet de leur demande;

c)Malgré les garanties existantes, l’Ombudsman parlementaire a signalé le cas récent d’un demandeur d’asile débouté qui avait été ultérieurement torturé dans son pays d’origine;

d)Malgré le programme de rénovation des établissements pénitentiaires en cours, la pratique du «vidage des tinettes», qui continue dans certains établissements pénitentiaires, ne disparaîtra pas définitivement avant 2010.

D.  Recommandations

73. Le Comité recommande à l’État partie:

a) De promulguer un texte de loi spécifique criminalisant la torture sous toutes ses formes, telle qu’elle est définie à l’article premier de la Convention;

b) De revoir les modalités d’application de la «procédure accélérée» d’examen des demandes d’asile, afin de garantir que les requérants d’asile aient assez de temps pour se prévaloir de toutes les procédures de recours disponibles avant qu’une mesure irréversible ne soit prise par les autorités;

c) De renforcer les garanties juridiques pour les demandeurs d’asile de sorte que toutes les procédures d’asile soient conformes à l’article 3 de la Convention et aux autres obligations internationales dans ce domaine;

d) D’achever la mise en œuvre des suggestions formulées par le groupe de travail créé pour étudier la situation des Roms dans les prisons finlandaises et de prendre toutes les autres mesures nécessaires pour améliorer la situation et la protection sociale des prisonniers roms;

e) D’étudier les moyens d’accélérer le programme de rénovation des établissements pénitentiaires et, afin d’améliorer les conditions d’hygiène, d’envisager des solutions provisoires pour remplacer la pratique du «vidage des tinettes»;

f) De continuer à contribuer au Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture, comme l’État partie le fait régulièrement depuis 1984.

74. Le Comité recommande à l’État partie de diffuser largement les présentes conclusions et recommandations, dans toutes les langues voulues, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

75. Le Comité demande à l’État partie de lui fournir, dans un délai d’un an, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations formulées aux alinéas  c , d et  e du paragraphe 73 ci ‑dessus.

76. L’État partie est invité à soumettre son prochain rapport périodique, qui contiendra ses cinquième et sixième rapports, avant le 28 septembre 2010, date à laquelle son sixième rapport est attendu.

ALBANIE

77.Le Comité a examiné le rapport initial de l’Albanie (CAT/C/28/Add.6) à ses 649e et 652e séances (CAT/C/SR.649 et 652), les 10 et 11 mai 2005, et a adopté, à sa 660e séance (CAT/C/SR.660), les conclusions et recommandations ci‑après.

A. Introduction

78.Le Comité accueille avec satisfaction le rapport initial de l’Albanie et se félicite d’avoir la possibilité d’engager le dialogue avec l’État partie mais regrette que ce rapport, qui était attendu en juin 1995, ait été soumis avec huit ans de retard.

79.Le Comité note que le rapport n’est pas entièrement conforme à ses directives pour l’établissement des rapports initiaux et ne contient pas de renseignements sur les aspects pratiques de l’application des dispositions de la Convention. Conscient des difficultés rencontrées par l’État partie durant sa transition politique et économique et des efforts qu’il fait à cet égard, le Comité exprime l’espoir que dans l’avenir il s’acquittera pleinement de ses obligations en vertu de l’article 19 de la Convention.

80.Le Comité accueille également avec satisfaction les renseignements supplémentaires fournis par écrit par l’État partie et par la délégation albanaise dans ses remarques liminaires et dans ses réponses aux questions posées, ce qui démontre la volonté de l’État partie d’engager un dialogue franc et fructueux avec le Comité.

B. Aspects positifs

81.Le Comité prend note avec satisfaction des efforts actuels de l’État partie pour renforcer les droits de l’homme en Albanie. Il se félicite en particulier:

a)De l’adoption en 1998 d’une Constitution démocratique qui améliore la protection des droits de l’homme, en interdisant notamment la torture, établit qu’une personne placée en détention doit être présentée dans un délai maximum de 48 heures à un juge et prévoit également l’applicabilité directe des accords internationaux ratifiés et leur primauté sur la législation interne;

b)De l’adoption:

i)En 1991, de la loi sur l’innocence, l’amnistie et la réhabilitation de personnes condamnées et persécutées pour des raisons politiques, modifiée en 1993;

ii)En 1995, de la loi sur les migrations;

iii)En 1995, du Code pénal militaire;

iv)En 1998, de la loi sur les droits et le traitement des détenus;

v)En 1999, de la loi pour le médiateur;

vi)En 1995, du Code pénal, modifié en 1996, 1997 et 2001;

vii)En 2002, de la loi sur l’organisation et le fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature;

c)De la ratification:

i)De la Convention européenne d’extradition et de son Protocole additionnel en 1998 et de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants et des Protocoles s’y rapportant no 1 et no 2 en 1996;

ii)Du Statut de Rome de la Cour pénale internationale en 2002 ainsi que de la plupart des conventions et protocoles de l’Organisation des Nations Unies concernant la protection des droits de l’homme;

iii)Du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture en 2003;

d)Des mesures spécifiques à l’intention du personnel des forces de l’ordre:

i)Adoption en 1998 du Code déontologique de la police;

ii)Organisation d’une formation pour la police dans le cadre d’un projet d’éducation dans le domaine de la prévention de la torture par le Ministère de l’ordre public en coopération avec des organisations non gouvernementales (ONG).

82.En outre, le Comité tient à saluer:

a)La suspension, depuis 1992, de la peine de mort;

b)La séparation des mineurs et des adultes dans tous les établissements de détention;

c)La publication des rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants sur ses quatre premières visites en Albanie (CPT/Inf (2003) 11) et des réponses connexes du Gouvernement (CPT/Inf (2003) 12) ainsi que l’assurance donnée par le Gouvernement qu’il autoriserait prochainement la publication du rapport sur la visite de 2003;

d)La participation d’ONG nationales à l’établissement du rapport initial de l’Albanie.

C. Sujets de préoccupation

83.Le Comité exprime sa préoccupation devant:

a)La non‑conformité de la définition de la torture qui est donnée dans le Code pénal avec la définition qui figure à l’article premier de la Convention puisqu’elle n’en reprend pas tous les éléments, notamment en ce qui concerne les personnes agissant à titre officiel;

b)Le fait que les actes de torture commis par des membres des forces de l’ordre sont qualifiés seulement d’«actes arbitraires» et considérés par conséquent comme des infractions pénales moins graves;

c)Le climat d’impunité de fait dont bénéficient les membres des forces de l’ordre qui commettent des actes de torture ou infligent des mauvais traitements, si l’on considère:

i)Les nombreuses allégations faisant état de tortures et de mauvais traitements par des membres des forces de l’ordre, en particulier au moment de l’arrestation et de l’interrogatoire;

ii)Le nombre limité de plaintes pour torture et mauvais traitements adressées en particulier à l’Avocat du peuple;

iii)L’absence d’enquête rapide et impartiale sur les allégations faisant état de tortures et de mauvais traitements par des membres des forces de l’ordre;

iv)L’absence de condamnations pour torture prononcées en vertu de l’article 86 du Code pénal et le nombre limité de condamnations pour torture ayant des conséquences graves prononcées en vertu de l’article 87 du Code pénal, ce qui indique aussi peut‑être que les victimes ne sont pas conscientes de leurs droits et n’ont pas confiance dans les autorités policières et judiciaires;

d)Les difficultés éprouvées par les victimes de torture et de mauvais traitements à déposer officiellement une plainte auprès des autorités publiques, à obtenir une expertise médicale à l’appui de leurs allégations et à présenter cet élément de preuve;

e)Les informations faisant état d’un manque d’indépendance des autorités judiciaires;

f)L’absence de compétence universelle des tribunaux albanais dans les affaires concernant la torture;

g)L’absence de disposition juridique interdisant clairement l’utilisation de toute déclaration obtenue par la torture, ainsi que de toute disposition juridique indiquant clairement que l’ordre d’un supérieur ne peut être invoqué pour justifier la torture;

h)Le fait qu’aucune indemnisation équitable et suffisante, notamment en matière de réadaptation, n’est accordée aux victimes de torture, quelles qu’elles soient, y compris les anciennes victimes de condamnations et persécutions politiques;

i)La non‑application des mesures juridiques fondamentales de protection des personnes détenues par la police, garantissant leur droit de prévenir un membre de leur famille, de consulter un avocat et un médecin de leur choix et d’être informées de leurs droits et, dans le cas des mineurs, leur droit à ce que leur représentant légal soit présent durant leur interrogatoire;

j)Les mauvaises conditions de détention et la durée excessive de la période de détention avant jugement (jusqu’à trois ans);

k)L’existence d’une période de détention administrative supplémentaire de 10 heures aux fins d’interrogatoire qui précède le délai maximum de 48 heures dans lequel une personne doit être présentée à un juge;

l)L’absence de visites régulières et inopinées des postes de police par des représentants du Bureau du Médiateur;

m)L’absence d’examen médical systématique des détenus dans les 24 heures suivant leur admission en prison, la médiocrité des soins médicaux dispensés dans les établissements pénitentiaires, l’absence de formation du personnel médical et du personnel médical des prisons ne relevant pas du Ministère de la santé publique;

n)La possibilité légale de refoulement de personnes sans les garanties de procédure requises dans les cas où l’ordre public ou la sécurité nationale sont menacés;

o)Le fait que la violence contre les femmes et les filles, y compris la violence sexuelle et au foyer, serait répandue et la réticence que manifestent les autorités à, notamment, prendre des mesures législatives ou autres pour lutter contre ce phénomène.

D. Recommandations

84. Le Comité recommande à l’État partie:

a) De modifier le Code pénal afin d’adopter une définition de la torture qui englobe tous les éléments énoncés à l’article premier de la Convention;

b) D’assurer la stricte application des dispositions interdisant la torture et les mauvais traitements en criminalisant les actes de torture et en en poursuivant et punissant les auteurs d’une manière proportionnée à la gravité des infractions commises;

c) D’enquêter sur toutes les allégations faisant état de mauvais traitements et de torture par des membres des forces de l’ordre en menant des enquêtes immédiates et impartiales pour traduire en justice les auteurs de ces actes et éliminer l’impunité de fait dont bénéficient les membres des forces de l’ordre qui en sont responsables;

d) D’améliorer les mécanismes existants pour faciliter le dépôt de plaintes par les victimes de mauvais traitements et de torture auprès des autorités publiques, notamment pour leur permettre d’obtenir une expertise médicale à l’appui de leurs allégations;

e) De prendre toutes les mesures requises pour renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire et de dispenser une formation appropriée concernant l’interdiction de la torture aux juges et aux procureurs;

f) De modifier la législation interne de façon que les actes de torture soient considérés comme des crimes universels;

g) D’adopter des dispositions juridiques interdisant clairement l’utilisation de toute déclaration extorquée par la torture et prévoyant que l’ordre d’un supérieur ne peut être invoqué pour justifier la torture;

h) De mettre en œuvre les mécanismes juridiques établis pour permettre aux victimes de la torture d’obtenir réparation et d’être indemnisées équitablement et de manière adéquate;

i) D’appliquer les mesures juridiques fondamentales de protection des personnes détenues par la police en garantissant leur droit de prévenir un membre de leur famille, de consulter un avocat et un médecin de leur choix et d’être informées de leurs droits et, dans le cas des mineurs, de leur droit à ce que leur représentant légal soit présent durant leur interrogatoire;

j) D’améliorer les conditions dans les lieux de détention, en veillant à ce qu’elles soient conformes aux normes internationales, d’adopter les mesures nécessaires pour réduire la durée de la détention avant jugement et de poursuivre leurs efforts pour remédier au problème du surpeuplement des lieux de détention;

k) De prendre les mesures voulues pour supprimer la période de détention administrative supplémentaire de 10 heures aux fins d’interrogatoire qui précède le délai maximum de 48 heures dans lequel un suspect doit être présenté à un juge;

l) De permettre des visites régulières et inopinées des postes de police par des représentants du Bureau du Médiateur;

m) De prévoir un examen médical systématique des détenus dans les 24 heures suivant leur admission en prison, d’améliorer les soins médicaux dispensés dans les établissements pénitentiaires, de prévoir une formation à l’intention du personnel médical et de placer tout le personnel médical des prisons sous l’autorité du Ministère de la santé publique;

n) De modifier la législation de façon à interdire le refoulement de personnes en l’absence de procédure légale et sans toutes les garanties requises;

o) D’adopter des mesures pour lutter contre la violence sexuelle et la violence contre les femmes, y compris au foyer, et d’enquêter immédiatement et impartialement sur toutes les allégations de torture ou de mauvais traitements en vue d’engager des poursuites contre les responsables;

p) De transférer la responsabilité de tous les prévenus au Ministère de la justice;

q) De prendre toutes les mesures voulues pour assurer l’application effective des dispositions de la Convention et de la législation adoptée, de faire connaître les textes législatifs pertinents aux détenus et aux membres des forces de l’ordre et de dispenser une formation appropriée à ces derniers;

r) De fournir dans son prochain rapport périodique des données statistiques détaillées, ventilées par âge, sexe et origine, sur les plaintes relatives à des actes de torture et d’autres types de mauvais traitements imputés à des membres de la force publique ainsi que sur les enquêtes, poursuites et sanctions pénales et disciplinaires connexes;

s) D’envisager de faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention.

85. Le Comité recommande également à l’État partie de diffuser largement ses conclusions et recommandations dans les langues appropriées, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

86. Le Comité invite l’État partie à fournir, dans un délai de 12 mois, des informations sur les mesures qu’il aura prises pour donner suite aux recommandations formulées aux alinéas  c, d, i et  l du paragraphe 84 ci ‑dessus.

87. L’État partie est prié de présenter son prochain rapport périodique, qui sera considéré comme le deuxième, avant le 9 juin 2007.

OUGANDA

88.Le Comité a examiné le rapport initial de l’Ouganda (CAT/C/5/Add.32) à ses 651e et 654e séances, les 11 et 12 mai 2005 (CAT/C/SR.651 et 654 et Add.1), et a adopté, à sa 661e séance (CAT/C/SR.661), les conclusions et recommandations ci‑après.

A. Introduction

89.Le Comité se félicite de la présentation du rapport initial de l’Ouganda, qui est conforme aux directives générales du Comité pour l’établissement des rapports, mais regrette qu’il ait été soumis avec 16 ans de retard. Il salue la franchise de ce rapport dans lequel l’État partie reconnaît des lacunes dans la mise en œuvre de la Convention. Il se félicite du dialogue constructif engagé avec la délégation de haut niveau envoyée par l’État partie et prend note avec satisfaction des réponses franches et complètes apportées aux questions posées au cours de ce dialogue.

B. Aspects positifs

90.Le Comité prend note avec satisfaction des faits positifs suivants:

a)La création, en 1996, en vertu des articles 51 à 59 de la Constitution et conformément aux Principes concernant le statut des institutions nationales (Principes de Paris), de la Commission ougandaise des droits de l’homme qui a pour fonctions de remédier aux violations des droits de l’homme, ainsi que de bureaux des droits de l’homme dans l’armée, les commissariats de police et les prisons;

b)L’abolition des châtiments corporels suite à l’arrêt no 16 rendu en appel en 1999 (Cour suprême) dans l’affaire Kyamanywa c. Ouganda;

c)L’autorisation accordée à de nombreuses organisations non gouvernementales d’exercer librement leurs activités dans le pays;

d)La générosité manifestée par le Gouvernement ougandais en acceptant d’accueillir plus de 200 000 réfugiés en Ouganda et en respectant pleinement le principe de non‑refoulement;

e)La ratification par l’État partie de la plupart des principales conventions internationales relatives aux droits de l’homme;

f)La ratification par l’État partie, le 14 juin 2002, du Statut de Rome de la Cour pénale internationale;

g)Les discussions en cours dans l’État partie concernant la ratification du Protocole facultatif se rapportant à la Convention.

C. Facteurs et difficultés entravant la mise en œuvre de la Convention

91.Le Comité est conscient de la situation difficile créée par le conflit armé interne qui se déroule dans le nord de l’Ouganda. Il fait observer toutefois qu’aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, ne peut être invoquée pour justifier la torture.

D. Sujets de préoccupation

92.Le Comité constate avec préoccupation que l’État partie n’a ni incorporé la Convention dans son droit interne ni adopté des dispositions législatives visant à mettre en oeuvre plusieurs articles de la Convention, et note en particulier:

a)Qu’il n’existe pas dans le droit interne de définition complète de la torture telle que celle qui figure à l’article premier de la Convention;

b)Que la torture ne fait pas l’objet d’une interdiction absolue comme le prévoit l’article 2 de la Convention;

c)Que le droit ougandais ne prévoit pas de compétence universelle pour les actes de torture;

d)Qu’il n’existe pas de dispositions donnant effet à d’autres articles de la Convention, notamment les articles 6 à 9.

93.Le Comité est en outre préoccupé par:

a)La durée de la détention provisoire, notamment le fait que la détention puisse dépasser 48 heures, contrairement à ce qui est prévu au paragraphe 4 de l’article 23 de la Constitution et qu’une personne soupçonnée de trahison et de terrorisme puisse être détenue pendant 360 jours avant d’être mise en liberté sous caution;

b)Les allégations selon lesquelles l’accès à l’habeas corpus et son efficacité sont limités;

c)Les allégations constantes de tortures et de mauvais traitements généralisés par les forces et services de sécurité de l’État ainsi que l’impunité apparente dont bénéficient les auteurs de ces actes;

d)Le grand nombre de forces et de services de sécurité en Ouganda dotés de pouvoirs d’arrestation, de mise en détention et d’enquête;

e)L’écart disproportionné existant entre le nombre élevé de plaintes pour torture et mauvais traitements et le faible nombre de condamnations pour les auteurs de telles infractions, ainsi que la lenteur injustifiable des enquêtes sur les cas de tortures, ce qui contribue à l’impunité qui règne dans ce domaine;

f)Le problème généralisé de la violence sexuelle, y compris dans les lieux de détention et dans les camps des personnes déplacées à l’intérieur du pays;

g)Les représailles, les actes d’intimidation et les menaces dont feraient l’objet les personnes dénonçant des actes de torture et des mauvais traitements;

h)L’ampleur de l’enlèvement d’enfants par l’Armée de résistance du Seigneur, en particulier dans le nord de l’Ouganda;

i)Les informations selon lesquelles la pratique de la torture est inscrite dans le droit coutumier dans la région de Karamuja.

94.Le Comité prend note des explications fournies par la délégation au sujet de l’interdiction des lieux de détention «secrets», illégaux ou clandestins où des personnes ont été soumises à la torture par des militaires. Il reste néanmoins préoccupé par la pratique répandue de la torture et des mauvais traitements à l’encontre des personnes détenues par des membres de l’armée et des forces de l’ordre.

95.Tout en reconnaissant le rôle important que joue la Commission ougandaise des droits de l’homme dans la promotion et la protection des droits de l’homme en Ouganda, le Comité note avec préoccupation que l’État partie n’a souvent pas donné suite aux décisions de la Commission concernant tant l’octroi d’une indemnisation aux victimes de torture que l’engagement de poursuites contre les auteurs de violations des droits de l’homme dans le petit nombre de cas où elle l’avait recommandé.

96.En outre, le Comité regrette que l’État partie n’ait pas pris suffisamment de mesures pour garantir la protection des personnes touchées par le conflit armé dans le nord de l’Ouganda, en particulier des personnes déplacées actuellement cantonnées dans des camps.

E. Recommandations

97. Le Comité recommande à l’État partie de prendre toutes les mesures législatives, administratives et judiciaires nécessaires pour prévenir la torture et les mauvais traitements sur son territoire, et en particulier:

a) D’adopter une définition de la torture qui englobe tous les éléments qui figurent à l’article premier de la Convention et de modifier son droit pénal interne en conséquence;

b) D’adopter une législation interne visant à donner effet au principe de non ‑refoulement énoncé à l’article 3 de la Convention;

c) De veiller à ce que les actes de torture constituent des infractions relevant de sa compétence au regard du droit ougandais conformément à l’article 5 de la Convention;

d) De garantir l’application de plusieurs articles de la Convention, notamment les articles 6 à 9, par exemple en créant une commission des lois;

e) De réduire la durée de la détention provisoire;

f) D’accroître l’accès à l’ habeas corpus et son efficacité;

g) De prendre des mesures énergiques pour que soit éliminée l’impunité des auteurs présumés d’actes de torture et de mauvais traitements, que des enquêtes promptes, impartiales et exhaustives soient menées à ce sujet, que les auteurs de ces actes soient jugés et, le cas échéant, reconnus coupables et condamnés à des peines appropriées et que les victimes soient convenablement indemnisées;

h) De limiter au maximum le nombre de forces et de services de sécurité dotés de pouvoirs d’arrestation, de détention et d’enquête et de veiller à ce que la police reste la principale institution responsable de l’application de la loi;

i) De ne plus avoir recours aux lieux de détention secrets, illégaux ou clandestins et de fournir immédiatement des informations sur tous les lieux de détention;

j) D’autoriser des observateurs indépendants des droits de l’homme, notamment la Commission ougandaise des droits de l’homme, à accéder librement à tous les lieux de détention, officiels et non officiels, sans préavis;

k) De renforcer la Commission ougandaise des droits de l’homme et de veiller à ce que ses décisions soient pleinement appliquées, en particulier en ce qui concerne l’octroi d’une indemnisation aux victimes d’actes de torture et l’engagement de poursuites contre les auteurs de tels actes;

l) De prendre des mesures efficaces pour veiller à ce que toutes les personnes dénonçant des tortures ou des mauvais traitements soient protégées contre tous actes d’intimidation et toutes conséquences défavorables que pourrait avoir pour elles cette dénonciation;

m) De mettre en place et de promouvoir au sein du système pénitentiaire un mécanisme efficace chargé de recevoir des plaintes pour violence sexuelle et d’enquêter sur ces plaintes, ainsi que de fournir une protection et une aide psychologique et médicale aux victimes;

n) D’agir promptement pour protéger la population civile dans les zones de conflit armé du nord de l’Ouganda contre les violations commises par l’Armée de résistance du Seigneur et les membres des forces de sécurité. L’État partie devrait en particulier protéger les personnes déplacées cantonnées dans des camps qui sont constamment exposées aux attaques de l’Armée de résistance du Seigneur;

o) D’intervenir, de toute urgence et sur tous les plans pour empêcher l’enlèvement d’enfants par l’Armée de résistance du Seigneur et faciliter la réintégration des anciens enfants soldats dans la société;

p) De prendre des mesures efficaces, y compris judiciaires, pour empêcher la justice populaire;

q) De prendre des mesures immédiates et efficaces pour mettre fin à la pratique coutumière de la torture dans la région de Karamuja.

98. Le Comité recommande en outre à l’État partie:

a) De mettre en place un système national d’aide juridictionnelle efficace;

b) D’accroître ses efforts pour achever le processus législatif et promulguer la nouvelle loi sur les réfugiés et d’adopter ultérieurement toutes les mesures nécessaires pour assurer sa mise en œuvre intégrale, conformément au droit international des réfugiés et des droits de l’homme;

c) De promulguer la loi sur les prisons de 2003 pour faire cesser la pratique répandue de la torture dans les prisons de l’administration locale;

d) De poursuivre les discussions concernant le Protocole facultatif se rapportant à la Convention et de songer à y adhérer dès que possible;

e) D’envisager de faire la déclaration prévue à l’article 22 de la Convention.

99. Le Comité demande à l’État partie de faire figurer dans son prochain rapport périodique des données statistiques détaillées, ventilées par infraction, origine ethnique et sexe, sur les plaintes pour actes de torture et mauvais traitements qui auraient été commis par des responsables de l’application de la loi, ainsi que sur les enquêtes, poursuites et sanctions pénales et disciplinaires correspondantes. Des renseignements sont également demandés sur les mesures d’indemnisation et les services de réadaptation offerts aux victimes.

100. L’État partie est encouragé à diffuser largement les rapports présentés par l’Ouganda au Comité ainsi que les conclusions et recommandations de celui ‑ci, dans les langues appropriées, par les sites Web officiels, les médias et les organisations non gouvernementales.

101. Le Comité demande à l’État partie de lui fournir, dans le délai d’un an, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations du Comité contenues dans les paragraphes 97 h), i), j), n) et o) ci ‑dessus.

102. L’État partie est invité à soumettre son prochain rapport périodique, qui sera considéré comme le deuxième, avant le 25 juin 2008.

BAHREÏN

103.Le Comité contre la torture a examiné le rapport initial de Bahreïn (CAT/C/47/Add.4) à ses 653e et 656e séances (CAT/C/SR.653 et 656), tenues les 12 et 13 mai 2005, et il a adopté à sa 663e séance (CAT/C/SR.663) les conclusions et recommandations ci‑après.

A. Introduction

104.Le Comité se félicite de la présentation du rapport initial de Bahreïn, tout en regrettant que ce rapport, qui aurait dû être soumis en avril 1999, l’ait été avec cinq ans de retard.

105.Le Comité note que le rapport n’est pas entièrement conforme à ses directives pour l’établissement des rapports initiaux et ne contient pas de renseignements sur les aspects pratiques de l’application des dispositions de la Convention.

106.Le Comité est heureux d’avoir eu l’occasion de discuter du rapport avec une délégation nombreuse et très versée dans les diverses questions traitées dans la Convention ainsi que d’avoir pu mener avec elle un dialogue approfondi et constructif.

B. Aspects positifs

107.Le Comité prend note des changements positifs suivants:

a)Les réformes politiques, juridiques et sociales de grande ampleur engagées par l’État partie, à savoir:

i)L’adoption en 2001 de la Charte nationale d’action, qui expose dans leurs grandes lignes les réformes destinées à renforcer la non‑discrimination, les garanties d’une procédure régulière et l’interdiction de la torture et des arrestations arbitraires et qui affirme, notamment, qu’aucune déposition obtenue sous la torture n’est recevable;

ii)La promulgation de la Constitution amendée;

iii)La création en 2002 de la Cour constitutionnelle;

iv)La mise en place d’un nouveau parlement bicaméral avec une chambre de députés élus;

v)Le décret no 19 de 2000 donnant effet à la nouvelle disposition de la Constitution portant création du Conseil supérieur de la magistrature, qui établit une ligne de démarcation très nette entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire et renforce ainsi la séparation des pouvoirs prévue dans la Constitution;

vi)Le décret no 4 de 2001 abolissant la Cour de sûreté de l’État, qui était compétente pour les atteintes à la sûreté intérieure et extérieure de l’État et les infractions à la législation d’exception, dont connaissent désormais les juridictions pénales ordinaires;

vii)Le décret no 11 de 2001 abrogeant la loi sur la sûreté de l’État;

b)L’adhésion de l’État partie à des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme, en l’occurrence la Convention contre la torture en 1998 et la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes en 2002, ainsi que les assurances de sa délégation selon lesquelles le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels «ont été approuvés et sont en cours de ratification»;

c)Le retrait de sa réserve à l’article 20 de la Convention;

d)La visite à Bahreïn en 2001 du Groupe de travail sur les détentions arbitraires, qui s’est vu accorder sans restriction l’accès de toutes les prisons et cellules de détention des commissariats de police et a pu s’entretenir librement et sans témoin avec les prisonniers qu’il avait choisis au hasard;

e)La publication du manuel du travailleur étranger;

f)Les informations indiquant que la torture n’est plus systématiquement pratiquée depuis les réformes de 2001.

C. Sujets de préoccupation

108.Le Comité est préoccupé par:

a)L’écart qui persiste entre le cadre législatif et son application dans la pratique, eu égard aux obligations découlant de la Convention;

b)L’absence en droit interne d’une définition exhaustive de la torture comme celle qu’énonce l’article premier de la Convention;

c)Le grand nombre d’allégations de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants commis avant 2001;

d)Les informations selon lesquelles des personnes détenues auraient été mises au secret à la suite de la ratification de la Convention et avant 2001, pour des périodes prolongées, en particulier durant l’instruction;

e)L’accès insuffisant aux services d’un conseil juridique durant la garde à vue à la police, à une assistance médicale et aux membres de la famille, ce qui réduit les garanties assurées aux détenus;

f)L’apparente incapacité à enquêter sans délai, de manière impartiale et approfondie sur les très nombreuses allégations de torture et de mauvais traitements et à en poursuivre les auteurs présumés, et en particulier l’impunité systématique pour la torture et autres mauvais traitements dont le personnel des forces de l’ordre s’est rendu coupable dans le passé;

g)L’amnistie générale accordée par le décret n° 56 de 2002 à tous les auteurs présumés d’actes de torture ou autres crimes et l’absence de voies de recours pour les victimes de la torture;

h)L’insuffisance en pratique des indemnités civiles et des possibilités de réadaptation dont pouvaient bénéficier les victimes de la torture jusqu’à 2001;

i)Certaines dispositions du projet de loi contre le terrorisme qui, si elles étaient adoptées, réduiraient les garanties contre la torture et pourraient rétablir les conditions qui caractérisaient les excès commis dans le passé sous l’empire de la loi sur la sûreté de l’État. Parmi ces dispositions figurent la définition générale et vague du terrorisme et des organisations terroristes et le transfert du juge au ministère public du pouvoir de décider l’arrestation et la détention, et en particulier de prolonger la détention provisoire;

j)La possibilité pour les observateurs indépendants d’avoir accès sans préavis à tous les lieux de détention pour visite et inspection, nonobstant l’assurance donnée par l’État partie qu’il autoriserait les organisations de la société civile à y avoir accès;

k)L’absence de données sur les plaintes pour torture et mauvais traitements et sur les résultats des enquêtes ou poursuites liées aux dispositions de la Convention;

l)Les renseignements reçus au sujet des restrictions imposées aux organisations non gouvernementales de défense des droits de l’homme dans la conduite de leur action, en particulier pour des activités en rapport avec la Convention, sur le territoire national et à l’étranger;

m)Les régimes différents applicables, en droit et en pratique, aux nationaux et aux étrangers en ce qui concerne leur droit reconnu par la loi d’être à l’abri de comportements contraires à la Convention. Le Comité rappelle à l’État partie que la Convention et les protections qu’elle prévoit sont applicables à tous les actes contraires à la Convention qui sont commis sur le territoire relevant de sa juridiction, d’où il découle que toutes les personnes peuvent se prévaloir, dans une égale mesure et sans discrimination, des droits qui y sont reconnus;

n)Le rejet en mars 2005 par la Chambre des députés de la proposition de créer une commission nationale des droits de l’homme indépendante;

o)Les pouvoirs discrétionnaires excessivement larges dont disposent les juges des tribunaux de la charia dans l’application du droit de l’état des personnes et du droit pénal et, en particulier, les cas où ils n’auraient pas tenu compte de faits prouvant clairement des violences, confirmées par des certificats médicaux, à la suite d’actes de violence contre des femmes;

p)Les informations indiquant qu’au cours de trois grèves, qui avaient eu lieu en 2003 à la prison de Jaw, des prisonniers avaient été battus et maltraités, à la suite de quoi il fut convenu de constituer une commission d’enquête, dont les conclusions n’ont cependant pas été rendues publiques.

D. Recommandations

109. Le Comité recommande à l’État partie:

a) D’adopter en droit interne une définition de la torture conçue en des termes qui cadrent avec l’article premier de la Convention, y compris les fins différentes qui y sont énoncées, et de faire en sorte que tous les actes de torture constituent des infractions au regard de son droit pénal et que soient instituées pour ces infractions des peines appropriées tenant compte de leur gravité;

b) De communiquer des renseignements complets et détaillés sur le nombre des détenus qui ont subi la torture ou de mauvais traitements, y compris les décès éventuels en garde à vue, les résultats des enquêtes menées à leur sujet et les cas où des agents de la force publique auraient été jugés responsables;

c) De respecter en toutes circonstances le caractère absolu de l’article 3 et de l’intégrer pleinement au droit interne;

d) D’envisager de prendre des dispositions pour modifier le décret n° 56 de 2002 de manière à garantir qu’il n’y ait pas d’impunité pour les fonctionnaires qui auront pratiqué la torture ou d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants ou y auront acquiescé;

e) De faire en sorte que son système juridique offre aux victimes d’actes de torture commis dans le passé le droit d’obtenir réparation et une indemnité équitable et adéquate;

f) De veiller à ce que toute mesure prise pour lutter contre le terrorisme, y compris le projet de loi, soit conforme aux résolutions du Conseil de sécurité qui, entre autres choses, exige que les mesures prises contre le terrorisme soient mises en œuvre en respectant clairement les règles applicables, notamment, du droit international relatif aux droits de l’homme, y compris la Convention;

g) D’établir un organe indépendant chargé de visiter et/ou contrôler sans préavis les lieux de détention et d’autoriser des organisations impartiales et non gouvernementales à se rendre dans les prisons et autres lieux où les autorités gardent des détenus;

h) De garantir pleinement l’indépendance du pouvoir judiciaire et d’intégrer des femmes dans le corps judiciaire;

i) D’envisager d’adopter un code de la famille, comprenant des mesures destinées à prévenir et punir la violence dirigée contre des femmes, et surtout la violence au foyer, en prévoyant notamment des règles équitables d’administration de la preuve;

j) De veiller à ce que toutes les personnes détenues aient immédiatement accès à un médecin et à un avocat, ainsi que la possibilité de prendre contact avec leur famille, et que celles qui sont détenues par la Direction des enquêtes criminelles se voient accorder sans délai l’accès à un juge;

k) De prendre des mesures efficaces pour prévenir et régler les graves problèmes auxquels se heurtent ordinairement les travailleurs étrangers, et en particulier les femmes employées de maison;

l) D’envisager la création d’une institution nationale des droits de l’homme, conformément aux Principes de Paris;

m) De supprimer les restrictions inconsidérées au travail des organisations non gouvernementales, surtout lorsqu’elles s’occupent de questions qui ont trait à la Convention;

n) De veiller à ce que les membres des forces de l’ordre, le personnel civil, militaire et médical, les agents de la fonction publique et les autres personnes qui peuvent avoir part à la garde, à l’interrogatoire ou au traitement de tout individu privé de sa liberté reçoivent une formation pour reconnaître les séquelles de la torture et respecter l’interdiction absolue de la torture;

o) De communiquer au Comité des renseignements sur le Comité pour la prévention du vice et la promotion de la vertu dont la création a été proposée, en indiquant s’il est doté de compétences précises qui sont pleinement conformes aux dispositions de la Convention et s’il est soumis au contrôle d’une autorité judiciaire ordinaire.

110. Le Comité recommande à l’État partie de suivre dans son prochain rapport périodique les directives qu’il a énoncées et d’y fournir:

a) Des données statistiques, ventilées par crime, âge, sexe et nationalité, sur les plaintes pour torture et mauvais traitements qui auraient été commis par des membres des forces de l’ordre, ainsi que sur les enquêtes, poursuites et condamnations pénales et disciplinaires y afférentes;

b) Des renseignements sur les indemnités et moyens de réadaptation qui auraient été fournis aux victimes;

c) Des renseignements détaillés sur la mise en œuvre concrète de la législation et des recommandations du Comité;

d) Un document de base contenant des renseignements à jour, en conformité avec les directives.

111. Le Comité encourage l’État partie à étudier la possibilité de faire les déclarations visées aux articles 21 et 22 de la Convention et à ratifier le Protocole facultatif à la Convention.

112. L’État partie est encouragé à diffuser largement les rapports présentés par lui au Comité et les conclusions et recommandations que ce dernier en a tirées, dans les langues appropriées et par l’intermédiaire des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

113. Le Comité prie l’État partie de fournir, dans un délai d’un an, des renseignements sur les mesures qu’il aura prises pour donner suite aux recommandations formulées plus haut aux alinéas  e , m et o du paragraphe 109.

114. L’État partie est invité à présenter son deuxième rapport périodique en avril 2007 au plus tard.

IV. SUIVI DES RECOMMANDATIONS ET OBSERVATIONS CONCERNANT LES RAPPORTS DES ÉTATS PARTIES

115.À sa trente et unième session, en mai 2003, le Comité a entamé une pratique consistant à mettre en évidence à la suite du dialogue avec l’État partie concernant son rapport périodique, à la fin de chaque série d’observations finales, un nombre restreint de recommandations importantes et justifiant une demande d’informations complémentaires. Le Comité met en évidence les conclusions et recommandations concernant les rapports des États parties qui selon lui sont importantes, peuvent être appliquées en l’espace d’une année et revêtent un caractère protecteur. Le Comité a demandé aux États parties dont il a examiné le rapport à partir de sa trentième session de fournir les renseignements demandés dans un délai d’une année.

116.Afin de faciliter sa tâche en la matière, le Comité a créé, au titre de l’article 19 de la Convention, le poste de rapporteur pour le suivi des observations finales, qu’il a confié à Mme Felice Gaer conformément au paragraphe 2 de l’article 68 de son règlement intérieur.

117.En faisant rapport au Comité sur les résultats de la procédure de suivi, Mme Gaer a noté sa conformité avec l’objectif énoncé dans le préambule de la Convention dans lequel est souligné le désir de l’Organisation des Nations Unies «d’accroître l’efficacité de la lutte contre la torture et autres peines, traitements cruels, inhumains ou dégradants dans le monde entier». Par le biais de cette procédure, le Comité cherche à promouvoir l’obligation énoncée dans la Convention selon laquelle «tout État partie prend des mesures législatives, administratives, judiciaires et autres pour empêcher que des actes de torture ne soient commis» (art. 2, par. 1) et l’engagement tendant «à interdire d’autres actes constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants» (art. 16). Mme Gaer a rappelé que, dans ses observations finales et ses recommandations, le Comité suggère des mesures concrètes destinées à renforcer la capacité de chaque État à appliquer rapidement et efficacement les mesures nécessaires pour prévenir les actes de torture et à aider les États parties à mettre leur droit et leur pratique en pleine conformité avec la Convention.

118.Le Rapporteur s’est félicité des informations fournies par six États parties au 20 mai 2005, date de la clôture de sa trente‑quatrième session, sur les mesures qu’ils avaient prises pour donner suite aux recommandations du Comité, mesures qui dénotent l’attachement des États parties à un processus de dialogue et de coopération continus visant à renforcer le respect des dispositions de la Convention. Les documents reçus seront dotés d’une cote et publiés. Le Rapporteur a examiné les réponses reçues notamment pour ce qui est de savoir si les points mis en évidence par le Comité aux fins de suivi (généralement entre trois et cinq) avaient reçu l’attention voulue, si les renseignements fournis répondaient aux attentes du Comité et si un complément d’information était nécessaire.

119.Quant aux États parties qui n’ont pas fourni les renseignements demandés, ils seront contactés par écrit par le Rapporteur pour qu’ils les communiquent. Le tableau ci‑après fait le point sur les réponses relatives au suivi des observations finales par le Comité depuis l’adoption de cette pratique le 20 mai 2005, date de clôture de la trente-quatrième session du Comité. À cette date, sept États n’avaient pas encore envoyé de réponse.

120.Comme le mécanisme de vérification de la suite donnée aux observations finales a été créé en mai 2003, le présent tableau contient les résultats de la procédure depuis son lancement jusqu’à la clôture de la trente‑quatrième session du Comité en mai 2005.

État partie

Date pour laquelle les renseignements étaient demandés

Date à laquelle les renseignements ont été reçus

Autres mesures prises/nécessaires

Azerbaïdjan

Mai 2004

7 juillet 2004

Demande de clarification

Cambodge

31 août 2003

République de Moldova

31 août 2003

Cameroun

Novembre 2004

Rappel adressé à l’État partie

Colombie

Novembre 2004

Rappel adressé à l’État partie

Lettonie

Novembre 2004

3 novembre 2004

Demande de clarification

Lituanie

Novembre 2004

7 novembre 2004

Demande de clarification

Maroc

Novembre 2004

22 novembre 2004

Demande de clarification

Yémen

Novembre 2004

22 octobre 2004

Demande de clarification

Bulgarie

Mai 2005

Rappel adressé à l’État partie

Chili

Mai 2005

Rappel adressé à l’État partie

Croatie

Mai 2005

Rappel adressé à l’État partie

République tchèque

Mai 2005

28 avril 2005

Allemagne

Mai 2005

L’État partie a demandé la prorogation du délai jusqu’au 30 juin 2005

Monaco

Mai 2005

Rappel adressé à l’État partie

Nouvelle ‑Zélande

Mai 2005

9 juin 2005

Argentine

Novembre 2005

Grèce

Novembre 2005

Royaume ‑Uni

Novembre 2005

V.  ACTIVITÉS MENÉES PAR LE COMITÉ EN APPLICATION DE L’ARTICLE 20 DE LA CONVENTION

121.En vertu du paragraphe 1 de l’article 20 de la Convention, s’il reçoit des renseignements crédibles qui lui semblent contenir des indications fondées attestant que la torture est pratiquée systématiquement sur le territoire d’un État partie, le Comité invite ledit État à coopérer à l’examen des renseignements et, à cette fin, à lui faire part de ses observations à ce sujet.

122.Conformément à l’article 69 du règlement intérieur du Comité, le Secrétaire général porte à l’attention du Comité les renseignements qui sont ou semblent être présentés pour examen par le Comité au titre du paragraphe 1 de l’article 20 de la Convention.

123.Le Comité ne reçoit aucun renseignement concernant un État partie qui, conformément au paragraphe 1 de l’article 28 de la Convention, a déclaré, au moment où il a ratifié la Convention ou y a adhéré, qu’il ne reconnaissait pas la compétence accordée au Comité aux termes de l’article 20, à moins que cet État n’ait ultérieurement levé sa réserve conformément au paragraphe 2 de l’article 28 de la Convention.

124.Le Comité a poursuivi ses travaux en application de l’article 20 de la Convention pendant la période couverte par le présent rapport. Conformément aux dispositions de l’article 20 de la Convention et des articles 72 et 73 du règlement intérieur, tous les documents et tous les travaux du Comité afférents aux fonctions qui lui sont confiées en vertu de l’article 20 de la Convention sont confidentiels et toutes les séances concernant ses travaux au titre de l’article 20 sont privées. Toutefois, conformément au paragraphe 5 de l’article 20 de la Convention, le Comité peut, après consultations avec l’État partie intéressé, décider de faire figurer dans son rapport annuel aux États parties et à l’Assemblée générale un compte rendu succinct des résultats desdits travaux.

125.Dans le cadre de ses activités de suivi, M. Rasmussen a poursuivi ses activités visant à encourager les États parties, au sujet desquels ont été menées des enquêtes dont les résultats ont été publiés, à prendre des mesures pour donner suite aux recommandations du Comité. M. Rasmussen a continué à entretenir des contacts avec les États concernés en vue d’obtenir des informations au sujet des mesures qu’ils ont prises jusqu’à présent.

VI. EXAMEN DE REQUÊTES REÇUES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 22 DE LA CONVENTION

126.Conformément à l’article 22 de la Convention, les particuliers qui se disent victimes d’une violation par un État partie de l’un quelconque des droits énoncés dans la Convention ont le droit d’adresser une requête au Comité contre la torture pour examen, sous réserve des conditions énoncées dans cet article. Cinquante-six des 151 États qui ont adhéré à la Convention ou l’ont ratifiée ont déclaré qu’ils reconnaissaient la compétence du Comité pour recevoir et examiner des requêtes en vertu de l’article 22 de la Convention. La liste de ces États figure à [l’annexe III]. Le Comité ne peut pas recevoir de requête concernant un État partie à la Convention qui n’a pas reconnu sa compétence en vertu de l’article 22.

127.Les requêtes soumises en vertu de l’article 22 de la Convention sont examinées en séance privée (art. 22, par. 6). Tous les documents relatifs aux travaux du Comité dans le cadre de l’article 22 (observations des parties et autres documents de travail) sont confidentiels.

128.Conformément à l’article 107 révisé du règlement intérieur, afin de se prononcer sur la recevabilité d’une requête, le Comité, son groupe de travail ou un rapporteur désigné conformément à l’article 98 ou au paragraphe 3 de l’article 106 s’assure que le requérant déclare être victime d’une violation par l’État partie intéressé des dispositions de la Convention, que la requête ne constitue pas un abus de la procédure devant le Comité et n’est pas manifestement dénuée de fondement, que la requête n’est pas incompatible avec les dispositions de la Convention, que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement ou n’a pas déjà été examinée, que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles et que le délai écoulé depuis l’épuisement des recours internes n’est pas excessivement long, au point que l’examen de la plainte par le Comité ou l’État partie en est rendu anormalement difficile.

129.Conformément à l’article 109 révisé du règlement intérieur, aussitôt que possible après son enregistrement, la requête est transmise à l’État partie qui est prié de soumettre une réponse écrite dans les six mois. À moins que le Comité, le groupe de travail ou le rapporteur n’ait décidé, du fait du caractère exceptionnel de l’affaire, de demander une réponse écrite qui porte exclusivement sur la question de la recevabilité, l’État partie soumet des explications ou des observations portant à la fois sur la recevabilité et sur le fond de la requête ainsi que sur toute mesure qui peut avoir été prise pour accorder réparation. L’État partie peut demander, dans un délai de deux mois, que la requête soit déclarée irrecevable. Le Comité, ou le rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires, peut accepter ou non d’examiner la question de la recevabilité séparément de celle du fond. Lorsqu’une décision a été rendue sur la seule question de la recevabilité, le Comité fixe la date limite de la réponse sur le fond au cas par cas. Le Comité, son groupe de travail ou le(s) rapporteur(s) peut demander à l’État partie ou au requérant de présenter par écrit des renseignements, éclaircissements ou observations supplémentaires et il fixe un délai. Dans le délai indiqué par le Comité, son groupe de travail ou le(s) rapporteur(s), l’État partie ou le requérant peut bénéficier de la possibilité de faire des commentaires sur toute réponse reçue de l’autre partie. Le fait de ne pas recevoir ces commentaires dans le délai fixé ne doit pas, en règle générale, retarder l’examen de la requête. Si l’État partie et/ou le requérant ne peut pas fournir les renseignements demandés dans les délais prescrits, il est invité à demander une prorogation. En l’absence d’une telle demande, le Comité ou son groupe de travail peut décider d’examiner la question de la recevabilité ou du fond à la lumière des renseignements contenus dans le dossier. À sa trentième session, le Comité a décidé d’insérer à cet effet dans toutes les notes verbales et lettres d’accompagnement envoyées aux États parties et aux requérants un paragraphe type fixant une date limite pour la formulation de commentaires sur les observations de l’autre partie. L’insertion de ce paragraphe remplace la pratique antérieure, qui consistait à envoyer des rappels et avait pour effet de retarder l’examen des requêtes.

130.Le Comité formule une décision à la lumière de tous les renseignements qui lui ont été fournis par le requérant et par l’État partie. Ses constatations sont communiquées aux parties (art. 22, par. 7, de la Convention, et art. 112 du règlement intérieur) et sont ensuite rendues publiques. Le texte des décisions du Comité déclarant des requêtes irrecevables en vertu de l’article 22 de la Convention est également rendu public; si l’État partie est identifié, l’identité du requérant en revanche n’est pas révélée.

131.Conformément au paragraphe 1 de l’article 115 de son règlement intérieur, le Comité peut décider d’inclure dans son rapport annuel un résumé des requêtes examinées. Il inclut aussi dans son rapport annuel le texte de ses décisions en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention.

A. Groupe de travail de présession

132.À la trente‑troisième session, le groupe de travail de présession du Comité s’est réuni pendant cinq jours avant la session plénière pour aider le Comité plénier à s’acquitter de sa tâche en vertu de l’article 22. Il était composé des membres suivants: M. El‑Masry, M. Prado‑Vallejo, M. Yakovlev et M. Yu Mengjia. À la trente-quatrième session, un groupe de travail composé de M. El‑Masry, M. Prado‑Vallejo et M. Yakovlev s’est réuni pendant quatre jours pour aider le Comité à s’acquitter de sa tâche en vertu de l’article 22.

B. Mesures provisoires de protection

133.Il est fréquent que les requérants demandent une protection à titre préventif, en particulier quand ils sont sous le coup d’une mesure d’expulsion ou d’extradition imminente et qu’ils invoquent une violation de l’article 3 de la Convention. En vertu du paragraphe 1 de l’article 108 du règlement intérieur, le Comité, son groupe de travail ou le rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires peut, à tout moment après avoir reçu une requête, adresser à l’État partie une demande tendant à ce qu’il prenne les mesures provisoires que le Comité juge nécessaires pour éviter qu’un préjudice irréparable ne soit causé à la victime ou aux victimes de la violation alléguée. L’État partie est informé que la demande de mesures provisoires ne préjuge pas la décision qui sera prise en définitive sur la recevabilité ou sur le fond de la requête. Le rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires vérifie régulièrement que les demandes de mesures provisoires adressées par le Comité sont respectées. L’État partie peut informer le Comité que les raisons justifiant l’adoption de mesures provisoires ont cessé d’exister ou peut présenter des arguments pour expliquer pourquoi il pense que les mesures provisoires devraient être levées. Le rapporteur, le Comité ou son groupe de travail peut retirer la demande de mesures provisoires.

134.Le rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires a élaboré les méthodes de travail concernant le retrait des demandes de mesures provisoires. Lorsque les circonstances donnent à penser qu’une demande de mesures provisoires peut être reconsidérée avant l’examen de la requête quant au fond, il convient d’ajouter à la demande une phrase type indiquant que la demande est adressée à l’État partie compte tenu d’éléments d’information communiqués par le requérant dans sa requête mais qu’elle peut être reconsidérée, à l’initiative de l’État partie, à la lumière des renseignements ou observations reçus de sa part ou, le cas échéant, d’observations complémentaires apportées par le requérant. Certains États ont adopté la pratique de demander systématiquement le retrait de la demande de mesures provisoires dans leurs observations concernant la recevabilité et le fond de la requête. La position du Rapporteur spécial est que pareille demande n’appelle une réponse que si des éléments nouveaux, dont le Rapporteur spécial n’avait pas connaissance quand il a pris la décision de demander l’application de mesures provisoires, sont avancés.

135.Au cours de la période visée par le présent rapport également, le Comité a arrêté les critères de fond et de forme devant être appliqués par le Rapporteur spécial chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires pour accepter ou ne pas accepter une demande de mesures provisoires de protection (voir CAT/NONE/2004/1/Rev.1). Outre la présentation en temps voulu de la demande de mesures provisoires par le requérant, en application du paragraphe 1 de l’article 108, les critères de recevabilité principaux énoncés aux paragraphes 1 à 5 de l’article 22 de la Convention doivent être remplis pour que le Rapporteur spécial donne suite à la demande. L’épuisement des recours internes n’est pas nécessaire si les seuls recours ouverts au requérant n’ont pas d’effet suspensif − c’est-à-dire dans le cas de recours dont le dépôt n’entraîne pas automatiquement le sursis à exécution d’un arrêté d’expulsion − ou si le requérant risque l’expulsion immédiate après le rejet définitif de sa demande d’asile. En pareil cas, le Rapporteur spécial peut demander à l’État partie de ne pas expulser le requérant tant que le Comité est saisi de sa plainte, même avant que les recours internes ne soient épuisés. Pour ce qui est des critères portant sur le fond, la plainte doit avoir de fortes chances d’être accueillie sur le fond pour que le Rapporteur spécial conclue qu’un préjudice irréparable risque d’être causé à la victime alléguée si elle est expulsée.

C. Travaux accomplis

136.Au moment de l’adoption du présent rapport, le Comité avait enregistré 269 requêtes concernant 24 pays. Sur ce nombre, 69 avaient été classées et 47 déclarées irrecevables. Le Comité avait adopté des constatations sur le fond dans le cas de 111 requêtes et avait établi que 32 d’entre elles faisaient apparaître des violations de la Convention. Il lui restait à examiner 42 requêtes au total.

137.À sa trente et unième session, le Comité a déclaré irrecevables les requêtes nos 163/2000 (S. V. c. Canada) et 218/2002 (R. C. c. Suède).

138.À la même session, le Comité a adopté des décisions quant au fond au sujet des requêtes nos 133/1999 (Falcon Ríos c. Canada), 207/2002 (Dimitrijevic c. Serbie ‑et ‑Monténégro) et 223/2002 (Sohab Uddin c. Suède). Le texte de ces décisions est reproduit dans l’annexe VIII, section A, du présent rapport.

139.Dans sa décision sur la requête no 223/2002 (S. U. A. c. Suède), le Comité a estimé que l’expulsion du requérant au Bangladesh ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention en l’absence d’un risque prévisible, réel et personnel de torture en cas de renvoi dans ce pays.

140.Dans la requête no133/1999 (Falcon Ríos c. Canada), le requérant a affirmé que son expulsion vers le Mexique l’exposerait à un risque de torture dans la mesure où son père et lui‑même y avaient été torturés et sa mère et sa sœur aînée violées par des soldats mexicains en raison des liens présumés de son oncle avec l’Ejército Zapatista de Liberación Nacional (EZLN). Le Comité a déclaré la requête irrecevable même si le requérant n’avait pas adressé au Tribunal fédéral une demande d’autorisation de faire appel de la décision du Ministre de ne pas surseoir à la décision d’expulsion pour des raisons humanitaires. Il a estimé que dans la mesure où une requête pour des motifs humanitaires ne constituait pas un moyen de droit devant être exercé aux fins de l’épuisement des recours internes car celle dépendait du pouvoir discrétionnaire d’un ministre, la question d’un recours contre cette décision ne se posait pas au titre du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention. Sur le fond, le Comité a estimé que le requérant avait fourni des preuves médicales suffisantes pour montrer que son expulsion vers le Mexique constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

141.Dans sa décision au sujet de la requête no 2007/2002 (Dragan Dimitrijevic c. Serbie ‑et ‑Monténégro) le Comité a estimé que n’ayant pas enquêté sur les actes de torture à motivation raciale que la police serbe aurait fait subir au requérant, et n’ayant pas garanti son droit de porter plainte et d’obtenir que le procureur public enquête rapidement et de manière impartiale sur ses allégations, le privant ainsi de la possibilité d’intenter au civil une action en dommages‑intérêts, l’État partie a violé le paragraphe 1 de l’article 2 de la Convention, lu conjointement avec l’article premier et les articles 12, 13 et 24.

142.À sa quarante-quatrième session, le Comité a déclaré irrecevable la requête no 211/2002 (P. A. C. c. Australie).

143.À la même session, le Comité a adopté des décisions quant au fond au sujet des requêtes nos 171/2000 (Jovica Dimitrov c. Serbie-et-Monténégro), 194/2001 (I. S. D. c. France), 195/2002 (Mafhoud Brada c. France), 212/2002 (Kepa Urra Guridi c. Espagne), 220/2002 (R. D. c. Suède), 221/2002 (M. M. K. c. Suède), 222/2002 (Z. E. c. Suisse), 226/2003 (Tharina Ali c. Suède) et 233/2003 (Ahmed Hussein Mustafa Kamil Agiza c. Suède). Le texte de ces décisions est reproduit dans l’annexe VIII, section A, du présent rapport.

144.Dans ses décisions au sujet des requêtes nos 194/2001 (I. S. D. c. France), 220/2002 (R. D. c. Suède), 221/2002 (M. M. K. c. Suède) et 222/2002 (Z. E. c. Suisse) le Comité a estimé que les requérants n’avaient pas démontré qu’ils couraient personnellement un risque prévisible et réel d’être torturés en cas de renvoi dans leur pays d’origine. Il a par conséquent conclu dans chaque cas que le renvoi du requérant dans son pays ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

145.Dans sa décision au sujet de la requête no 171/2000 (Jovica Dimitrov c. Serbie ‑et ‑Monténégro), le Comité a conclu que l’État partie avait violé le paragraphe 1 de l’article 2 de la Convention, lu conjointement avec l’article premier et les articles 12, 13 et 14, dans la mesure où le requérant, un citoyen serbe d’origine rom, avait été torturé en garde à vue et que l’État partie n’avait pas enquêté sur ses allégations ni assuré son droit de porter plainte et d’obtenir une réparation équitable et adéquate pour les tortures subies.

146.Dans la requête no 195/2000 (Mafhoud Brada c. France), le requérant, ancien pilote de l’armée de l’air algérienne, avait été expulsé en Algérie bien que le Comité ait demandé à l’État partie de surseoir à son renvoi en attendant que sa requête soit examinée et que l’affaire fût encore en instance devant la cour d’appel administrative de Bordeaux qui avait ultérieurement statué que l’expulsion du requêrant constituait une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Se fondant sur la conclusion de la cour, selon laquelle le requérant risquait d’être torturé en Algérie, le Comité a conclu à l’existence d’une violation de l’article 3 et, pour la première fois, de l’article 22 de la Convention, au motif qu’en passant outre sa demande de mesures provisoires l’État partie avait rendu vain le droit de présenter une requête garanti par l’article 22 de la Convention.

147.Dans sa décision concernant la requête no 212/2002 (Kepa Urra Guridi c. Espagne), le Comité a estimé qu’en graciant trois officiers de la garde civile qui avaient torturé le requérant et en commuant leur condamnation à un an d’emprisonnement en une suspension de leurs fonctions pendant un mois et un jour, l’État partie avait violé le paragraphe 1 de l’article 2 et le paragraphe 2 de l’article 4 de la Convention. Il a également constaté une violation du paragraphe 1 de l’article 14, faisant observer que l’obligation de réparer des actes de torture englobe, entre autres mesures, la restitution, l’indemnisation et la réadaptation de la victime, des mesures garantissant la non‑répétition des violations, ainsi que des sanctions judiciaires ou administratives contre les auteurs d’actes de torture.

148.Dans sa décision au sujet de la requête no 226/2003 (Tharina Ali c. Suède), le Comité a estimé que la requérante avait démontré que son expulsion vers le Bangladesh l’exposerait à un risque d’être torturée en violation de l’article 3 de la Convention au vu des preuves médicales étayant son allégation, non contestée, selon laquelle elle avait été torturée dans un passé récent en représailles contre ses activités politiques et celles de son mari, et sachant qu’elle était encore recherchée au Bangladesh.

149.Dans la requête no 233/2003 (Ahmed Hussein Mustafa Kamil Agiza c. Suède), le requérant avait été expulsé d’Égypte à la suite non pas d’une décision du pouvoir judiciaire mais du pouvoir exécutif, fondée sur des motifs de sécurité nationale. L’expulsion avait été effectuée avec l’aide d’un service de renseignements étrangers et après l’obtention d’assurances diplomatiques fournies par l’Égypte et la Suède. Des allégations de mauvais traitements avaient été formulées après le renvoi du requérant en Égypte. Le Comité a jugé que l’expulsion immédiate du requérant sans qu’il ait eu la possibilité de faire examiner son cas par un organe indépendant constitue une violation de l’article 3 de la Convention. Il a également estimé que le droit de l’auteur à un recours utile, garanti par l’article 22 de la Convention, avait également été violé dans la mesure où il avait été privé de la possibilité de saisir le Comité avant son expulsion et parce que l’État partie n’avait pas fourni certaines informations concernant ses allégations de mauvais traitements. Un membre du Comité a joint une opinion séparée à la décision du Comité.

D. Activités de suivi

150.À sa vingt‑huitième session, en mai 2002, le Comité contre la torture a modifié son règlement intérieur et institué la fonction de rapporteur chargé du suivi des décisions prises au sujet des requêtes présentées en vertu de l’article 22 de la Convention.

151.Le Rapporteur chargé du suivi a présenté un rapport oral au Comité à sa trente‑troisième session. Le rapport contenait des informations reçues, depuis la trente‑deuxième session, de requérants ou d’États parties concernant le suivi de plusieurs décisions dans lesquelles le Comité avait conclu à l’existence de violations de la Convention. Lors de l’examen de ce rapport oral, le Comité avait demandé au Rapporteur spécial de lui fournir des informations sur le suivi de toutes les décisions dans lesquelles le Comité avait conclu à l’existence d’une violation de la Convention y compris celles qui avaient été adoptées avant le début du mandat du Rapporteur.

152.À la trente‑quatrième session, le Rapporteur spécial a présenté un rapport sur le suivi de toutes les décisions du Comité, ainsi que de nouvelles informations reçues de requérants et d’États parties depuis la trente‑troisième session. Ce rapport est reproduit ci-après:

Suivi des requêtes adressées au Comité contre la torture par des particuliers a

153.Mandat du rapporteur spécial: À sa vingt‑huitième session, en mai 2002, le Comité contre la torture a révisé son règlement intérieur et institué la fonction de rapporteur spécial chargé du suivi des décisions prises au sujet des requêtes présentées en vertu de l’article 22. À sa 527e séance, le 16 mai 2002, le Comité a décidé que le rapporteur exercerait notamment les activités suivantes: surveiller l’application des décisions du Comité en adressant des notes verbales aux États parties pour s’informer des mesures prises comme suite aux décisions du Comité; recommander au Comité les mesures qu’il convient de prendre comme suite aux réponses reçues des États parties, à l’absence de réponse et à toutes lettres reçues ultérieurement des requérants à propos de la non‑application des décisions du Comité; rencontrer les représentants des missions permanentes des États parties pour encourager l’application des décisions du Comité et déterminer si la fourniture de services consultatifs ou d’une assistance technique par le Haut‑Commissariat aux droits de l’homme serait appropriée ou souhaitable; effectuer, avec l’approbation du Comité, des visites dans les États parties; établir périodiquement à l’intention du Comité des rapports sur ses activités.

154.Dorénavant, le paragraphe ci‑après sera ajouté à toute décision dans laquelle le Comité constate une violation de la Convention: «Le Comité engage l’État partie à … [réparation demandée] et, conformément au paragraphe 5 de l’article 112 de son règlement intérieur, à l’informer, dans un délai de 90 jours à compter de la date de transmission de la décision, des mesures prises en réponse à ses constatations.».

155.Données statistiques:À ce jour, 269b requêtes ont été enregistrées concernant les pays suivants: Allemagne (1 − pas de violation); Argentine (3 − toutes irrecevables); Australie (20 − 1: violation; 7: pas de violation; 10: classées; 1: en cours; 1: irrecevable); Autriche (3 − 1: violation; 1: pas de violation; 1: irrecevable); Azerbaïdjan (1 − en cours); Bulgarie (1 − en cours); Canada (42 − 2: violations; 7: pas de violation; 8: en cours; 12: classées; 10: irrecevables; 3: suspendues); Danemark (9 − 2: irrecevables; 2: classées; 5: pas de violation); Équateur (1 − classée); Espagne (8 − 2: violations; 1: pas de violation; 5: déclarées irrecevables); Fédération de Russie (1 − classée); Finlande (1 − pas de violation); France (30 − 2: violations; 1: en cours; 2: pas de violation; 20: classées; 5: irrecevables); Grèce (1 − pas de violation); Hongrie (1 − irrecevable); Norvège (4 − 2: irrecevables; 2: en cours); Pays‑Bas (14 − 1: violation; 11: pas de violation; 1: irrecevable; 1: classée); Sénégal (1 − en cours); Serbie‑et‑Monténégro (7 − 4: violations; 3: en cours); Suède (59 − 11: violations; 11: en cours; 9: irrecevables; 8: classées; 20: pas de violation); Suisse (52 − 3: violations; 12: en cours; 5: irrecevables; 22: pas de violation; 10: classées); Tunisie (7 − 4: violations; 1: irrecevable; 1: classée; 1: en cours); Turquie (1 − irrecevable); Venezuela (1 − violation). À l’issue de sa trente‑quatrième session, le Comité avait adopté des décisions finales quant au fond au sujet de 111 requêtes et avait établi que 32 d’entre elles faisaient apparaître des violations de la Convention (voir le tableau ci‑après). Il avait demandé des mesures provisoires de protection dans le cas de 21 requêtes, qui avaient été acceptées, pour 18 d’entre elles, par l’État partie; des renseignements complémentaires avaient été fournis par l’État partie dans le cas de 13 requêtes (y compris 1 requête pour laquelle le Comité n’avait pas constaté de violation de la Convention); 69 requêtes avaient été classées et 47 déclarées irrecevables. Il lui restait à examiner 56 requêtes au total.

Requêtes pour lesquelles le Comité a constaté des violations de la Convention (jusqu’à la trente ‑quatrième session)

Requête

Date d’adoption de la décision

Nationalité du requérant et pays de renvoi, le cas échéant

Violations constatées

Mesures provisoires de protection demandées par le Comité et réaction de l’État partie

Réparation demandée

Suivi

Autres mesures

N o 8/1991: Halimi ‑Nedibi Quani c. Autriche

18/11/93

Yougoslave

Article 12

Aucune

L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

Aucun renseignement fourni

Demande de renseignements

N o 13/1993: Mutombo c.  Suisse

27/04/94

Zaïroise vers le Zaïre

Article 3

Demandées par le Comité et acceptées par l’État partie

L’État partie est tenu de s’abstenir d’expulser M. Mutombo vers le Zaïre ou vers tout autre pays où il court un risque réel d’être expulsé ou renvoyé vers le Zaïre ou d’être soumis à la torture.

Aucun renseignement fourni

Demande de renseignements

N o 15/1994: Tahir Hussain Khan  c.  Canada

15/11/94

Pakistanaise vers le Pakistan

Article 3

Demandées par le Comité et acceptées par l’État partie

L’État partie est tenu de s’abstenir de renvoyer de force Tahir Hussain Khan au Pakistan.

Aucun renseignement fourni

Demande de renseignements

N o 21/1995: Alan  c.  Suisse

08/05/96

Turque vers la Turquie

Article 3

Demandées par le Comité et acceptées par l’État partie

L’État partie est tenu de s’abstenir de renvoyer de force Ismail Alan en Turquie.

Aucun renseignement fourni

Demande de renseignements

N o 34/1995: Aemei  c.  Suisse

29/05/97

Iranienne vers la République islamique d’Iran

Article 3

Demandées par le Comité et acceptées par l’État partie

L’État partie est tenu de s’abstenir de renvoyer le requérant et sa famille en République islamique d’Iran ou vers tout autre pays où ils courraient un risque réel d’être renvoyés ou expulsés vers la République islamique d’Iran.

Aucun renseignement fourni

Demande de renseignements

N o 34/1995: Aemei  c.  Suisse ( suite )

Le fait que le Comité constate une violation de l’article 3 de la Convention n’affecte en aucune manière la ou les décision(s) des autorités nationales compétentes sur l’octroi ou le refus d’asile. La constatation d’une violation de l’article 3 de la Convention a un caractère déclaratoire. L’État partie n’est pas, par conséquent, tenu de modifier sa ou ses décision(s) concernant l’octroi d’asile; il lui appartient par contre de rechercher des solutions qui lui permettront de prendre toutes mesures utiles pour se conformer aux dispositions de l’article 3 de la Convention. Ces solutions pourront être non seulement de nature juridique (par exemple, décision d’admettre provisoirement le requérant) mais également de nature politique (par exemple, recherche d’un État tiers prêt à accueillir le requérant sur son territoire et s’engageant à ne pas le refouler ou l’expulser à son tour).

N o 39/1996: Tapia Páez c. Suède

28/04/97

Péruvienne vers le Pérou

Article 3

Demandées par le Comité et acceptées par l’État partie

L’État partie est tenu de s’abstenir de renvoyer de force M. Gorki Ernesto Tapia Páez au Pérou.

Aucun renseignement fourni

Demande de renseignements

N o 41/1996:

Kisoki c. Suède

08/05/96

Zaïroise vers le Zaïre

Article 3

Demandées par le Comité et acceptées par l’État partie

L’État partie est tenu de s’abstenir de renvoyer de force Pauline Muzonzo Paku Kisoki au Zaïre.

Aucun renseignement fourni

Demande de renseignements

N o 43/1996: Tala c. Suède

15/11/96

Iranienne vers la République islamique d’Iran

Article 3

Demandées par le Comité et acceptées par l’État partie

L’État partie est tenu de s’abstenir de renvoyer de force M. Kaveh Yaragh Tala en République islamique d’Iran.

Aucun renseignement fourni

Demande de renseignements

N o  59/1996: Encarnación Blanco Abad c. Espagne

14/05/98

Espagnole

Articles 12 et 13

Aucune

Mesures appropriées

Aucun renseignement fourni

Demande de renseignements

N o  60/1996: M’Barek c. Tunisie

10/11/04

Tunisienne

Articles 12 et 13

Aucune

Le Comité a demandé à l’État partie de l’informer dans un délai de 90 jours des mesures prises en réponse à ses observations.

En cours. Voir le premier rapport sur les activités de suivi (CAT/C/32/FU/1). Le 15 avril 2002, l’État partie a contesté la décision du Comité. À sa trente ‑troisième session, le Comité a recommandé au Rapporteur spécial d’organiser une réunion avec un représentant de l’État partie.

Organiser une réunion avec l’État partie.

N o  63/1997: Arana c. France

05/06/2000

Espagnole vers l’Espagne

L’expulsion du requérant vers l’Espagne constitue une violation de l’article 3.

Demandées par le Comité mais non acceptées par l’État partie qui a affirmé avoir reçu la

Mesures à prendre

Le 8 janvier 2001, l’État partie a fourni des renseignements complémentaires: il a fait notamment valoir que si le tribunal administratif de Pau a conclu à l’illégalité de la décision informelle de remettre le requérant à la police

N o  63/1997: Arana c. France ( suite )

demande du Comité après l’expulsion du requérant c .

espagnole, l’arrêté d’expulsion est en revanche légal. L’État partie a ajouté que cette décision, qui fait l’objet d’un appel, n’est pas caractéristique de la jurisprudence en la matière.

Il a indiqué également que depuis le 30 juin 2000, une nouvelle procédure administrative est en vigueur, qui permet de suspendre une décision, y compris les arrêtés d’expulsion, par une requête en référé − suspension. Les conditions qui doivent être réunies pour obtenir la suspension d’une décision sont plus souples qu’auparavant et consistent à prouver que l’urgence de la situation justifie la suspension et qu’il existe un doute sérieux concernant la légalité de la décision. Il n’est donc plus nécessaire de prouver que la décision aurait des conséquences difficilement réparables.

N o  88/1997: Avedes Hamayak Korban c.  Suède

16/11/98

Iraquienne vers l’Iraq

Article 3

Demandées par le Comité et acceptée par l’État partie

L’État partie est tenu de s’abstenir de renvoyer de force le requérant en Iraq. Il est également tenu de s’abstenir de le renvoyer de force en Jordanie, étant donné qu’il risquerait d’y être expulsé vers l’Iraq.

Aucun renseignement fourni

Demande de renseignements

N o  89 /1997: Ali Falakaflaki c.  Suède

08/05/98

Iranienne vers la République islamique d’Iran

Article 3

Demandées par le Comité et acceptées par l’État partie

L’État partie est tenu de s’abstenir de renvoyer de force M. Ali Falakaflaki en Iran.

Aucun renseignement fourni

Demande de renseignements

N o 91/1997: A.  c.  Pays ‑Bas

13/11/98

Tunisienne vers la Tunisie

Article 3

Demandées par le Comité et acceptées par l’État partie

L’État partie est tenu de s’abstenir de renvoyer de force le requérant en Tunisie ou vers tout autre pays où il court un risque réel d’être renvoyé ou expulsé vers la Tunisie.

Aucun renseignement fourni

Demande de renseignements

N o 97/1997: Orhan Ayas  c.  Suède

20/11/98

Turque vers la Turquie

Article 3

Demandées par le Comité et acceptées par l’État partie

L’État partie est tenu de s’abstenir de renvoyer de force le requérant en Turquie ou vers tout autre pays où il court un risque réel d’être renvoyé ou expulsé vers la Turquie.

Aucun renseignement fourni

Demande de renseignements

N o  101/1997: Halil Haydin  c.  Suède

20/11/98

Turque vers la Turquie

Article 3

Demandées par le Comité et acceptées par l’État partie

L’État partie est tenu de s’abstenir de renvoyer de force le requérant en Turquie ou vers tout autre pays où il court un risque réel d’être renvoyé ou expulsé vers la Turquie.

Aucun renseignement fourni

Demande de renseignements

N o 110/1998: Chipana  c.  Venezuela

10/11/98

Turque vers la Turquie

L’extradition de la requérante vers le Pérou constitue une violation de l’article 3.

Demandées par le Comité mais non acceptées par l’État partie d .

Aucune

Le 13 juin 2001, l’État partie a rendu compte des conditions de détention de la requérante dans la prison de Chorillos à Lima. Le 23 novembre 2000, l’Ambassadeur du Venezuela au Pérou, ainsi que des représentants de l’administration péruvienne, ont rendu visite à la requérante, en prison. L’équipe, qui s’est

Nouvelle demande de renseignements

N o 110/1998: Chipana  c.  Venezuela ( suite )

entretenue avec la requérante pendant 50 mn, a appris que celle ‑ci n’avait été soumise à aucun mauvais traitement physique ou psychologique. L’équipe a constaté que la détenue semblait en bonne santé. Elle avait été transférée en septembre 2000 du  pavillon de haute sécurité au pavillon de «sécurité moyenne spéciale», où elle bénéficiait de privilèges supplémentaires tels qu’une heure hebdomadaire de visite, deux heures quotidiennes de promenade et la possibilité de travailler et de suivre des activités éducatives.

Par une note verbale datée du 18 octobre 2001, l’État partie a transmis un deuxième rapport sur les conditions de détention de la requérante, daté du 27 août 2001 et élaboré par le défenseur du peuple (ombudsman). Il rendait compte d’une visite effectuée auprès de la requérante en prison le 14 juin 2001 par un membre de l’ambassade du Venezuela au Pérou et par un responsable de l’administration pénitentiaire péruvienne. La requérante a indiqué que ses conditions de détention s’étaient améliorées et

N o 110/1998: Chipana  c.  Venezuela ( suite )

qu’elle pouvait voir sa famille plus souvent. Elle envisageait toutefois de faire appel de la sentence. D’après l’ombudsman, la requérante avait été transférée dans un pavillon où elle bénéficiait d’encore plus de privilèges. En outre, depuis le 4 décembre 2000, toutes les prisons de haute sécurité du pays appliquaient un nouveau régime: 1. Visites: Suppression des box. Les visites de la famille ou d’amis ne font l’objet d’aucune restriction. 2. Médias: L’accès à tous les médias ne fait plus l’objet d’aucune restriction. 3. Avocats: Ils peuvent visiter leurs clients quatre fois par semaine sans restriction. 4. Cour intérieure: Liberté de circulation jusqu’à 22 heures. L’ombudsman a conclu que la requérante bénéficiait de conditions de détention plus souples du fait de sa situation personnelle et du nouveau régime en vigueur. En outre, son état de santé était satisfaisant, même si elle souffrait d’une dépression. Elle n’avait été soumise à aucun mauvais traitement physique ou psychologique, recevait la visite de sa famille chaque semaine et

N o 110/1998: Chipana  c.  Venezuela ( suite )

participait à des activités éducatives ou professionnelles dans la prison.

N o 113/1998: Ristic c. Serbie ‑et ‑Monténégro

11/05/01

Yougoslave

Articles 12 et 13

Aucune

Le Comité exhorte l’État partie à procéder à une enquête dans les meilleurs délais et à fournir un recours approprié.

En cours.

Voir le premier rapport sur les activités de suivi (CAT/C/32/FU/1). À la trente ‑troisième session du Comité, le Rapporteur spécial a rendu compte de l’entretien qu’il avait eu le 22 novembre 2004 avec un représentant de l’État partie. À la suite d’une nouvelle autopsie du corps, le 11 novembre 2004, le tribunal de district de Sabaca avait transmis de nouveaux renseignements à l’Institut de médecine légale de Belgrade aux fins d’un examen complémentaire. L’État partie a indiqué son intention d’informer le Comité des résultats de cet examen.

Le 25 mars 2005, le Comité a été informé par le Centre du droit humanitaire de Belgrade que le premier tribunal municipal de Belgrade avait ordonné à l’État partie de verser aux parents du requérant une indemnité de 1 million de dinars pour ne pas avoir fait procéder immédiatement

Complément d’information demandé

N o 113/1998: Ristic c. Serbie ‑et ‑Monténégro ( suite )

à une enquête causes du décès du requérant, conformément à la décision du Comité contre la torture.

Le Rapporteur spécial a demandé à l’État partie de confirmer le versement des indemnités et de lui présenter copie des documents utiles, du jugement, etc.

N o 120/1998: Shek Elmi c. Australie

25/05/99

Somalienne vers la Somalie

Article 3

Demandées par le Comité et acceptées par l’État partie

L’État partie est tenu de s’abstenir de renvoyer de force le requérant en Somalie ou vers tout autre pays où il risque d’être renvoyé ou expulsé vers la Somalie.

Le 23 août 1999, l’État partie a répondu aux constatations du Comité. Il l’a informé que, le 12 août 1999, le Ministre de l’immigration et des affaires multiculturelles avait décidé qu’il était dans l’intérêt public d’exercer ses prérogatives au titre de l’article 48B de la loi sur les migrations n o 958 pour autoriser M. Elmi à déposer une nouvelle demande de visa de protection. L’avocat de M. Elmi a été informé de cette décision le 17 août 1999 et M. Elmi le 18 août 1999.

Le 1 er  mai 2001, l’État partie a informé le Comité que le requérant avait choisi de quitter l’Australie et avait donc «retiré» sa requête contre l’État partie. Celui ‑ci explique que le requérant avait déposé une seconde demande de

Compte tenu du départ du requérant, il est mis fin à la procédure de suivi.

N o 120/1998: Shek Elmi c. Australie ( suite )

visa de protection le 24 août 1999. Le 22 octobre 1999, M. Elmi et son conseil avaient eu un entretien avec un agent de l’immigration. Dans une décision datée du 2 mars 2000, le Ministre de l’immigration et des affaires culturelles s’était déclaré convaincu que l’Australie n’avait aucune obligation de protection envers le requérant au titre de la Convention relative au statut des réfugiés et avait refusé de lui accorder un visa de protection. Cette décision a été confirmée en appel par le principal tribunal. L’État partie informe le Comité que la nouvelle demande de visa avait été attentivement étudiée à la lumière des éléments apparus à la suite de l’examen du Comité. Le tribunal n’était pas convaincu de la crédibilité du requérant et n’a pas accepté ses dires selon lesquels son père était l’un des anciens du clan Shikal.

N o  133/1999 Falcón Río c. Canada

30/11/04

Mexicaine vers le Mexique

Article 3

Demandées par le Comité et acceptées par l’État partie

Mesures appropriées

Le 9 mars 2005, l’État partie a fourni des renseignements sur les mesures qu’il avait prises pour donner suite à la décision du Comité. Il a indiqué que le requérant avait déposé une demande d’évaluation du risque avant le renvoi au Mexique et que l’État partie informerait le Comité du résultat. Si le requérant pouvait justifier l’existence d’un des motifs de protection prévus dans la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, il aurait la possibilité de présenter une demande de résidence permanente au Canada. La décision du Comité serait prise en compte par le fonctionnaire qui examinerait la demande et au cas où le Ministre le jugerait nécessaire, le requérant serait entendu. Comme la demande d’asile avait été examinée avant l’entrée en vigueur de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, en juin 2002, le fonctionnaire des services de l’immigration ne serait pas tenu de se limiter aux faits survenus après le rejet de la demande initiale mais pourrait également

Complément d’information à demander

N o  133/1999 Falcón Río c. Canada ( suite )

examiner des faits et des informations, anciens et nouveaux, présentés par le requérant. Dans ce contexte, l’État partie a contesté la conclusion faite par le Comité au paragraphe 7.5 de sa décision, selon laquelle seules les nouvelles informations pourraient être prises en compte au cours de cet examen.

Enfin, l’État partie a contesté le point de vue du Comité selon lequel une requête présentée pour des motifs humanitaires ne constituait pas un recours utile, se référant à ce propos à des affaires antérieures dans lesquelles le Comité avait conclu qu’elle en constituait un e . Il a fait valoir que le risque de torture pouvait constituer un motif humanitaire et qu’il était possible de demander au tribunal d’accorder un effet suspensif en attendant que la décision soit prise. Selon l’État partie au moment de l’examen du rapport présenté au Comité, les autorités n’avaient pas encore fini d’évaluer le risque couru en cas de renvoi.

N o  149/1999 A. S. c. Suède

24/11/2000

Iranienne vers l’Iran

Article 3

Demandées par le Comité et acceptées par l’État partie

L’État partie a l’obligation de s’abstenir de renvoyer de force le requérant en Iran ou vers un autre pays où il risque d’être expulsé ou renvoyé en Iran.

Le 22 février 2001, l’État partie a informé le Comité que le 30 janvier 2001 la Commission de recours des étrangers avait examiné une nouvelle demande de permis de résidence présentée par le requérant. La Commission avait décidé d’accorder au requérant un permis de résidence permanente en Suède et d’annuler l’arrêté d’expulsion. La Commission avait également accordé au fils de l’auteur un permis de résidence permanente.

Il est mis fin à la procédure de suivi, l’État partie s’étant conformé à la décision du Comité.

N o 161/2000: Hajrizi Dzemajl et consorts c.  Yougoslavie

21/11/02

Yougoslave

Articles 16, paragraphe 1, 12 et 13 f

Aucune

Le Comité a exhorté l’État partie à procéder à une enquête en bonne et due forme sur les faits survenus le 15 avril 1995, poursuivre et sanctionner les personnes qui en seraient reconnues responsables et accorder une réparation appropriée aux requérants, sous la forme d’une indemnisation équitable et adéquate, et informer le Comité, dans un délai de 90 jours à compter de la date de transmission de la décision, des mesures prises en réponse à ses observations.

En cours.

Voir le premier rapport sur les activités de suivi (CAT/C/32/FU/1). À la suite de la trente ‑troisième session et tout en se félicitant que l’État partie ait versé une indemnisation aux requérants pour les violations constatées, le Comité a jugé utile de rappeler à l’État partie son obligation de procéder à une enquête en bonne et due forme sur les faits survenus.

Complément d’information à demander sur les mesures prises.

N o  171/2000 Dimitrov c. Serbie-et-Monténégro

03/05/05

Sans objet

Article 2, paragraphe 1 lu conjointement avec les articles 1 er , 12, 13 et 14

Sans objet

Le Comité a invité instamment l’État partie à procéder à sa propre enquête sur les faits allégués par le requérant et l’a prié, conformément au paragraphe 5 de l’article 112 de son règlement intérieur, de l’informer, dans un délai de 90 jours à compter de la date de la transmission de la présente décision, des mesures qu’il aurait prises pour donner suite à ses observations.

Le délai de 90 jours n’a pas expiré.

Aucune mesure n’est nécessaire

N o 185 /2001: Chedli Ben Ahmed Karoui c.  Suède

08/05/02

Tunisienne vers la Tunisie

Article 3

Demandées par le Comité et acceptées par l’État partie

Aucune

Il est mis fin à la procédure de suivi. Voir le premier rapport sur les activités de suivi (CAT/C/32/FU/1), dans lequel il est indiqué que, le 4 juin 2002, la Commission a annulé les décisions d’expulsion dont le requérant et sa famille faisaient l’objet. Des permis de résidence permanente leur ont aussi été accordés sur la base de cette décision.

Il est mis fin à la procédure de suivi, l’État partie s’étant conformé à la décision du Comité.

N o 187/2001: Thabti, Dhaou Belgacem c.  Tunisie

14/11/03

Tunisienne

Articles 12 et 13

Aucune

Le Comité a exhorté l’État partie à effectuer une enquête sur les allégations de torture et de mauvais traitements du requérant et à l’informer, dans un délai de 90 jours à compter de la date de transmission de la décision, des mesures prises comme suite à ses observations.

En cours.

Voir le premier rapport sur les activités de suivi (CAT/C/32/FU/1). Le 16 mars 2004, l’État partie a contesté la décision du Comité. À sa trente ‑troisième session, le Comité

Organiser une réunion avec l’État partie.

N o 187/2001: Thabti, Dhaou Belgacem c.  Tunisie ( suite )

a demandé au Rapporteur spécial d’organiser une réunion avec un représentant de l’État partie.

N o 188/2001: Abdelli, Imed c.  Tunisie

14/11/03

Tunisienne

Articles 12 et 13

Aucune

Le Comité a exhorté l’État partie à effectuer une enquête sur les allégations de torture et de mauvais traitements du requérant et à l’informer, dans un délai de 90 jours à compter de la date de transmission de la décision, des mesures prises comme suite à ses observations.

En cours.

Voir le premier rapport sur les activités de suivi (CAT/C/32/FU/1).

Le 16 mars 2004, l’État partie a contesté la décision du Comité. À sa trente ‑troisième session, le Comité a demandé au Rapporteur spécial d’organiser une réunion avec un représentant de l’État partie.

Organiser une réunion avec l’État partie.

N o 189/2001: Ltaief Bouabdallah c.  Tunisie

14/11/03

Tunisienne

Articles 12 et 13

Aucune

Le Comité a exhorté l’État partie à effectuer une enquête sur les allégations de torture et de mauvais traitements du requérant et à l’informer, dans un délai de 90 jours à compter de la date de transmission de la décision, des mesures prises comme suite à ses observations.

En cours. Voir le premier rapport sur les activités de suivi (CAT/C/32/FU/1). Le 16 mars 2004, l’État partie a contesté la décision du Comité. À sa trente ‑troisième session, le Comité a demandé au Rapporteur spécial d’organiser une réunion avec un représentant de l’État partie.

Organiser une réunion avec l’État partie.

N o  195/2002 Brada c. France

17/05/05

Algérienne vers l’Algérie

Articles 3 et 22

Demandées par le Comité mais pas

En application du paragraphe 5 de l’article 112 de son règlement intérieur, le Comité souhaite être

Le délai de 90 jours n’a pas expiré.

Aucune mesure n’est requise.

N o  195/2002 Brada c. France ( suite )

appliquées par l’État partie g

informé dans un délai de 90 jours des mesures qui auront été prises par l’État partie en réponse à ses observations, y compris en vue d’indemniser le requérant pour la violation de l’article 3 de la Convention et déterminer, en consultation avec le pays vers lequel le requérant a été renvoyé (qui est aussi un État partie à la Convention), où se trouve le requérant et dans quelles conditions.

N o 207/2002: Dimitrijevic, Dragan c. Serbie ‑et ‑Monténégro

24/11/04

Serbe

Article 2, paragraphe 1, lu conjointement avec l’article premier; articles 12, 13 et 14

Aucune

Le Comité exhorte l’État partie à procéder à une enquête en bonne et due forme sur les faits présentés par le requérant.

Le délai de 90 jours a expiré en février 2005 sans qu’aucun renseignement n’ait été fourni.

Rappel adressé à l’État partie.

N o  212/2002 Urra Guridi c. Espagne

17/05/05

Sans objet

Articles 2, 4 et 14

Aucune

En application du paragraphe 5 de l’article 112 de son règlement intérieur, le Comité invite instamment l’État partie à veiller à ce que, dans la pratique, les personnes responsables d’actes de torture soient dûment châtiées, à garantir une réparation intégrale au requérant et à l’informer, dans un délai de 90 jours à compter de la date de la transmission de la présente décision, de toutes les mesures qu’il aura prises conformément aux observations du Comité.

Le délai de 90 jours n’a pas expiré.

Aucune mesure n’est requise.

N o  226/2003 Tharina c. Suède

06/05/05

Bangladaise vers le Bangladesh

Article 3

Demandées par le Comité et acceptées par l’État partie

Compte tenu des circonstances particulières de la cause, l’expulsion du requérant et de sa fille constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. Le Comité souhaite être informé, dans un délai de 90 jours à compter de la date de la transmission de la présente décision, des mesures qui auront été prises pour donner suite à ses observations.

Le délai de 90 jours n’a pas expiré.

Aucune mesure n’est requise.

N o  233/2003 Agiza c. Suède

20/05/05

Égyptien vers l’Égypte

Article 3 x 2 (violation de fond et de procédure) et article 22 x 2 h

Aucune

Conformément au paragraphe 5 de l’article 112 de son règlement intérieur, le Comité demande à l’État partie de l’informer, dans les 90 jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises comme suite aux constatations énoncées plus haut. L’État partie est aussi tenu d’éviter que des violations similaires se produisent à l’avenir.

Le délai de 90 jours n’a pas expiré.

Aucune mesure n’est requise.

Requêtes pour lesquelles le Comité n’a constaté aucune violation de la Convention mais a demandé des renseignements complémentaires (jusqu’à la trente ‑quatrième session)

Requête

Date d’adoption de la décision

Nationalité du requérant et pays de renvoi, le cas échéant

Violations constatées

Mesures provisoires de protection demandées par le Comité et réaction de l’État partie

Réparation demandée

Suivi

Autres mesures

N o 214/2002: M.A.K. c. Allemagne

12/05/04

Turque vers la Turquie

Pas de violation

Demandées par le Comité et acceptées par l’État partie.

Demande de l’État partie de retirer la demande de mesures provisoires de protection rejetée par le Rapporteur spécial chargé des nouvelles requêtes.

Bien que le Comité n’ait constaté aucune violation de la Convention, il a noté avec satisfaction que l’État partie était prêt à surveiller la situation du requérant quand celui ‑ci serait de retour en Turquie et a demandé à l’État partie de l’en tenir informé.

Le 20 décembre 2004, l’État partie a informé le Comité que le requérant avait accepté de quitter de son plein gré le territoire allemand en juillet 2004 et que, dans une lettre datée du 28 juin 2004, son avocat indiquait qu’il partirait le 2 juillet 2004. Dans la même lettre, ainsi que lors d’une conversation téléphonique en date du 27 septembre 2004, son avocat a déclaré que le requérant ne souhaitait pas être surveillé par l’État partie en Turquie mais demanderait son assistance uniquement en cas d’arrestation. L’État partie ne juge donc pas nécessaire de déployer d’autres efforts pour surveiller la situation à ce stade.

Il est mis fin à la procédure de suivi.

Notes

aLe présent rapport rend compte de la situation jusqu’à la fin de la trente-quatrième session.

b Au total 270 requêtes sont consignées dans la base de données, la requête concernant la Serbie‑et‑Monténégro ayant été enregistrée deux fois par erreur.

c Le Comité n’a fait aucune observation.

d Délibérations du Comité: «Par ailleurs, le Comité se déclare profondément préoccupé par le fait que l’État partie n’a pas accédé à la demande qu’il lui a faite, en vertu du paragraphe 3 de l’article 108 de son règlement intérieur, de ne pas expulser ou extrader l’auteur tant que le Comité était saisi de sa communication, ce en quoi il n’a pas respecté l’esprit de la Convention. Le Comité considère que l’État partie, en ratifiant la Convention et en acceptant volontairement la compétence du Comité au titre de l’article 22, s’est engagé à coopérer de bonne foi avec le Comité dans l’application de la procédure d’examen de communications. En ce sens, le respect des mesures provisoires, demandées par le Comité dans les cas où il l’estime judicieux, est indispensable pour épargner à la personne que ces mesures concernent des préjudices irréparables qui, en outre, pourraient rendre nul le résultat final de la procédure engagée devant le Comité.».

e S. V. c. Canada, communication no 49/1996; L. O. c. Canada, communication no 95/1997; R. K. c. Canada, communication no 42/1996.

f En ce qui concerne l’article 14 de la Convention, le Comité a fait observer qu’il n’était pas mentionné au paragraphe 1 de l’article 16. Néanmoins, il ne peut être inféré de l’article 14 que l’État partie n’est pas obligé d’accorder une réparation et une indemnisation équitable et adéquate à la victime d’une violation de l’article 16 de la Convention. Parmi les obligations positives qui découlent de la première phrase de l’article 16 figure celle d’accorder une réparation et d’indemniser les victimes d’une violation de cette disposition. Le Comité est donc d’avis que l’État partie ne s’est pas conformé aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 16 de la Convention en ne donnant pas aux requérants la possibilité d’obtenir réparation et en ne leur accordant pas une indemnisation équitable et adéquate.

g «Le Comité souligne qu’en ratifiant la Convention et en reconnaissant de son plein gré la compétence du Comité en vertu de l’article 22, l’État partie s’est engagé à coopérer de bonne foi au déroulement de la procédure de plainte individuelle instituée par cet article et à lui donner plein effet. La décision de l’État partie d’expulser le requérant malgré la demande de mesures provisoires du Comité annule l’exercice effectif du droit de plainte conféré par l’article 22 de la Convention et rend la décision finale du Comité sur le fond vaine et vide de sens. Le Comité conclut donc qu’en expulsant le requérant de la manière dont il l’a fait, l’État partie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 22 de la Convention.»

h 1)Le Comité note en outre qu’en faisant la déclaration prévue à l’article 22 de la Convention, l’État partie s’est engagé d’assurer aux personnes relevant de sa juridiction le droit de se prévaloir de la compétence qu’a le Comité d’examiner des plaintes. Cette compétence habilitait le Comité à prendre, si nécessaire, des mesures provisoires permettant de surseoir à l’expulsion et de faire en sorte qu’il ne soit pas préjugé des questions en cause tant qu’une décision finale n’a pas été prise. Pour que l’exercice du droit de présenter des requêtes soit effectif et non illusoire, un individu doit toutefois disposer d’un délai raisonnable avant l’exécution de la décision finale pour déterminer, s’il y a lieu, de saisir le Comité au titre de l’article 22 de la Convention et, le cas échéant, de le faire. Or, le Comité note en l’espèce que le requérant a été arrêté et expulsé par l’État partie dès que le Gouvernement a décidé de l’expulser; en effet, la décision elle-même n’a été officiellement notifiée qu’au conseil du requérant le lendemain. En conséquence, il était impossible pour ce dernier d’envisager la possibilité d’invoquer l’article 22 de la Convention et encore moins de saisir le Comité. De ce fait, le Comité conclut que l’État partie a enfreint l’obligation de respecter le droit effectif qu’a toute personne de présenter une communication qui est garanti à l’article 22 de la Convention.

2)Ayant examiné la plainte quant au fond, le Comité doit se pencher sur l’absence de coopération pleine et entière de l’État partie dans le règlement de la plainte à l’examen. Le comité fait observer qu’en faisant la déclaration prévue à l’article 22, qui donne aux particuliers le droit de le saisir d’une plainte faisant état d’une violation à leur égard par un État partie des obligations qui lui incombent en vertu de la Convention, les États parties assument l’obligation de coopérer pleinement avec le Comité, au travers des procédures énoncées audit article et dans son règlement intérieur. En particulier, le paragraphe 4 de l’article 22 fait obligation à un État partie de communiquer au Comité toutes les informations pertinentes et nécessaires pour lui permettre de régler comme il convient la plainte qui lui est présentée. Le Comité fait observer que ses procédures sont suffisamment souples et ses pouvoirs suffisamment étendus pour prévenir un abus de procédure dans une affaire particulière. Il s’ensuit que l’État partie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 22 de la Convention en ne révélant pas au Comité les informations pertinentes et en s’abstenant de lui faire part de ses préoccupations pour qu’il prenne une décision de procédure appropriée.

VII.  SESSIONS FUTURES DU COMITÉ

156.Conformément à l’article 2 de son règlement intérieur, le Comité tient deux sessions ordinaires par an. En consultation avec le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, le Comité a arrêté les dates ci-après pour ses sessions ordinaires de l’exercice biennal 2006‑2007:

Trente-sixième session1er-19 mai 2006

Trente-septième session13-25 novembre 2006

Trente-huitième session7-26 mai 2007

Trente-neuvième session12-23 novembre 2007

157.Les dates des réunions des groupes de travail de présession pour le même exercice biennal seront les suivantes: 24-28 avril 2006, 6-10 novembre 2006, 30 avril-4 mai 2007 et 5‑9 novembre 2007.

158.Le Comité a demandé plus de temps de réunion (voir le paragraphe 14 du document A/59/44); les incidences sur le budget-programme sont indiquées à l’annexe IX du présent document.

VIII. ADOPTION DU RAPPORT ANNUEL DU COMITÉ SUR SES ACTIVITÉS

159.Conformément à l’article 24 de la Convention, le Comité présente aux États parties et à l’Assemblée générale un rapport annuel sur ses activités. Étant donné que le Comité tient chaque année sa seconde session ordinaire à la fin du mois de novembre, période qui coïncide avec les sessions ordinaires de l’Assemblée générale, il adopte son rapport annuel à la fin de sa session de printemps, de façon à pouvoir le transmettre à l’Assemblée générale pendant la même année civile. En conséquence, à sa 668e séance, tenue le 20 mai 2005, le Comité a examiné et a adopté à l’unanimité son rapport sur ses travaux à ses trente‑troisième et trente‑quatrième sessions.

Annexe I

LISTE DES ÉTATS AYANT SIGNÉ OU RATIFIÉ LA CONVENTION CONTRE LA TORTURE ET AUTRES PEINES OU TRAITEMENTS CRUELS, INHUMAINS OU DÉGRADANTS, OU Y AYANT ADHÉRÉ,

AU 20 MAI 2005

État

Date de la signature

Date de réception des instruments de ratification ou d’adhésion

Afghanistan

4 février 1985

1er avril 1987

Afrique du Sud

29 janvier 1993

10 décembre 1998

Albanie

11 mai 1984a

Algérie

26 novembre 1985

12 septembre 1989

Allemagne

13 octobre 1986

1er octobre 1990

Andorre

5 août 2002

Antigua-et-Barbuda

19 juillet 1993 a

Arabie saoudite

23 septembre 1997 a

Argentine

4 février 1985

24 septembre 1986

Arménie

13 septembre 1993 a

Australie

10 décembre 1985

8 août 1989

Autriche

14 mars 1985

29 juillet 1987

Azerbaïdjan

16 août 1996 a

Bahreïn

6 mars 1998 a

Bangladesh

5 octobre 1998 a

Bélarus

19 décembre 1985

13 mars 1987

Belgique

4 février 1985

25 juin 1999

Belize

17 mars 1986 a

Bénin

12 mars 1992 a

Bolivie

4 février 1985

12 avril 1999

Bosnie‑Herzégovine

6 mars 1992b

Botswana

8 septembre 2000

8 septembre 2000

Brésil

23 septembre 1985

28 septembre 1989

Bulgarie

10 juin 1986

16 décembre 1986

Burkina Faso

4 janvier 1999 a

Burundi

18 février 1993 a

Cambodge

15 octobre 1992 a

Cameroun

19 décembre 1986 a

Canada

23 août 1985

24 juin 1987

Cap‑Vert

4 juin 1992 a

Chili

23 septembre 1987

30 septembre 1988

Chine

12 décembre 1986

4 octobre 1988

Chypre

9 octobre 1985

18 juillet 1991

Colombie

10 avril 1985

8 décembre 1987

Comores

22 septembre 2000

Congo

30 juillet 2003 a

Costa Rica

4 février 1985

11 novembre 1993

Côte d’Ivoire

18 décembre 1995 a

Croatie

8 octobre 1991 b

Cuba

27 janvier 1986

17 mai 1995

Danemark

4 février 1985

27 mai 1987

Djibouti

5 novembre 2002 a

Égypte

25 juin 1986 a

El Salvador

17 juin 1996 a

Équateur

4 février 1985

30 mars 1988

Espagne

4 février 1985

21 octobre 1987

Estonie

21 octobre 1991 a

États‑Unis d’Amérique

18 avril 1988

21 octobre 1994

Éthiopie

14 mars 1994 a

ex‑République yougoslave de Macédoine

12 décembre 1994 b

Fédération de Russie

10 décembre 1985

3 mars 1987

Finlande

4 février 1985

30 août 1989

France

4 février 1985

18 février 1986

Gabon

21 janvier 1986

8 septembre 2000

Gambie

23 octobre 1985

Géorgie

26 octobre 1994 a

Ghana

7 septembre 2000

7 septembre 2000 a

Grèce

4 février 1985

6 octobre 1988

Guatemala

5 janvier 1990 a

Guinée

30 mai 1986

10 octobre 1989

Guinée‑Bissau

12 septembre 2000

Guinée équatoriale

8 octobre2002 a

Guyana

25 janvier 1988

19 mai 1988

Honduras

28 novembre 1986

5 décembre 1996 a

Hongrie

4 février 1985

15 avril 1987

Inde

14 octobre 1997

Inde

Indonésie

23 octobre 1985

28 octobre 1998

Irlande

28 septembre 1992

11 avril 2002

Islande 

23 octobre 1996

Israël

22 octobre 1986

3 octobre 1991

Italie

4 février 1985

12 janvier 1989

Jamahiriya arabe libyenne

27 juin 1985

16 mai 1989 a

Japon

29 juin 1999 a

Jordanie

13 novembre 1991 a

Kazakhstan

26 août 1998

Kenya

21 février 1997 a

Kirghizistan

5 septembre 1997 a

Koweït

8 mars 1996 a

Lesotho

12 novembre 2001 a

Lettonie

14 avril 1992 a

Liban

5 octobre 2000 a

Liberia

22 septembre 2004a

Liechtenstein

2 novembre 1990

Lituanie

1er février 1996 a

Luxembourg

22 février 1985

29 septembre 1987

Madagascar

1er octobre 2001

Malawi

11 juin 1996 a

Maldives

20 avril 2004 a

Mali

26 février 1999 a

Malte

13 septembre 1990 a

Maroc

8 janvier 1986

21 juin 1993

Maurice

18 mars 1985

9 décembre 1992a

Mauritanie

17 novembre 2004a

Mexique

23 janvier 1986

Monaco

6 décembre 1991 a

Mongolie

24 janvier 2002 a

Mozambique

14 septembre 1999 a

Namibie

28 novembre 1994 a

Nauru

12 novembre 2001

Népal

14 mai 1991 a

Nicaragua

15 avril 1985

Niger

5 octobre 1998 a

Nigéria

28 juillet 1988

28 juin 2001

Norvège

4 février 1985

9 juillet 1986

Nouvelle‑Zélande

14 janvier 1986

10 décembre 1989

Ouganda

3 novembre 1986 a

Ouzbékistan

28 septembre 1995 a

Panama

22 février 1985

24 août 1987

Paraguay

23 octobre 1989

12 mars 1990

Pays‑Bas

4 février 1985

21 décembre 1988

Pérou

29 mai 1985

7 juillet 1988

Philippines

18 juin 1986 a

Pologne

13 janvier 1986

26 juillet 1989

Portugal

4 février 1985

9 février 1989

Qatar

11 janvier 2000 a

République arabe syrienne

19 août 2004a

République de Corée

9 janvier 1995 a

République démocratique du Congo

18 mars 1996 a

République de Moldova

28 novembre 1995 a

République dominicaine

4 février 1985

République tchèque

1er janvier 1993 b

Roumanie

18 décembre 1990 a

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord

15 mars 1985

8 décembre 1988

Saint-Marin

18 septembre 2002

Saint‑Siège

26 juin2002 a

Saint-Vincent‑et‑les Grenadines

1er août 2001 a

Sao Tomé‑et‑Principe

6 septembre 2000

Sénégal

4 février 1985

21 août 1986

Serbie‑et‑Monténégro

12 mars 2001 b

Seychelles

18 mars 1985

5 mai 1992 a

Sierra Leone

25 avril 2001

Slovaquie

29 mai 1993 b

Slovénie

16 juillet 1993 a

Somalie

24 janvier 1990 a

Soudan

4 juin 1986

Sri Lanka

3 janvier 1994 a

Suède

4 février 1985

8 janvier 1986

Suisse

4 février 1985

2 décembre 1986

Swaziland

26 mars 2004 a

Tadjikistan

11 janvier 1995 a

Tchad

9 juin 1995 a

Timor-Leste

16 avril 2003

Togo

25 mars 1987

18 novembre 1987

Tunisie

26 août 1987

23 septembre 1988

Turkménistan

25 juin 1999 a

Turquie

25 janvier 1988

2 août 1988

Ukraine

27 février 1986

24 février 1987

Uruguay

4 février 1985

24 octobre 1986

Venezuela(République bolivarienne du)

15 février 1985

29 juillet 1991

Yémen

5 novembre 1991 a

Zambie

7 octobre 1998 a

Notes

Annexe II

ÉTATS PARTIES AYANT DÉCLARÉ, LORS DE LA RATIFICATION OU DE L’ADHÉSION, NE PAS RECONNAÎTRE LA COMPÉTENCE DU COMITÉ EN APPLICATION DE L’ARTICLE 20 DE LA CONVENTION AU 20 MAI 2005

AfghanistanArabie saouditeChineGuinée équatorialeIsraëlKoweïtMarocMauritaniePologneRépublique arabe syrienne

Annexe III

ÉTATS PARTIES AYANT FAIT LES DÉCLARATIONS PRÉVUES AUX ARTICLES 21 ET 22 DE LA CONVENTION, AU 20 MAI 2005

État partie Date d’entrée en vigueur

Afrique du Sud10 décembre 1998

Algérie12 octobre 1989

Allemagne19 octobre 2001

Argentine26 juin 1987

Australie29 janvier 1993

Autriche28 août 1987

Belgique25 juillet 1999

Bosnie-Herzégovine4 juin 2003

Bulgarie12 juin 1993

Cameroun11 novembre 2000

Canada24 juillet 1987

Chili15 mars 2004

Chypre8 avril 1993

Costa Rica27 février 2002

Croatie8 octobre 1991

Danemark26 juin 1987

Équateur29 avril 1988

Espagne20 novembre 1987

Fédération de Russie1er octobre 1991

Finlande29 septembre 1989

France26 juin 1987

Ghana7 octobre 2000

Grèce5 novembre 1988

Hongrie26 juin 1987

Irlande11 avril 2002

Islande22 novembre 1996

Italie11 février 1989

Liechtenstein2 décembre 1990

Luxembourg29 octobre 1987

Malte13 octobre 1990

Monaco6 janvier 1992

Norvège26 juin 1987

Nouvelle-Zélande9 janvier 1990

Paraguay29 mai 2002

Pays-Bas20 janvier 1989

État partie Date d’entrée en vigueur

Pérou7 juillet 1988

Pologne12 juin 1993

Portugal11 mars 1989

République tchèque3 septembre 1996

Sénégal16 octobre 1996

Serbie‑et‑Monténégro12 mars 2001

Slovaquie17 avril 1995

Slovénie16 juillet 1993

Suède26 juin 1987

Suisse26 juin 1987

Togo18 décembre 1987

Tunisie23 octobre 1988

Turquie1er septembre 1988

Ukraine12 septembre 2003

Uruguay26 juin 1987

Venezuela26 avril 1994

États parties ayant fait uniquement la déclaration prévue à l’article 21 de la Convention, au 20 mai 2005 a

États‑Unis d’Amérique21 octobre 1994

Japon29 juin 1999

Ouganda19 décembre 2001

Royaume-Uni de Grande-Bretagneet d’Irlande du Nord8 décembre 1988

États parties ayant fait uniquement la déclaration prévue à l’article 22 de la Convention, au 20 mai 2005

Azerbaïdjan4 février 2002

Burundi10 juin 2003

Guatemala25 septembre 2003

Mexique15 mars 2002

Seychelles6 août 2001

Notes

Annexe IV

COMPOSITION DU COMITÉ CONTRE LA TORTURE EN 2005

Membres

Pays de nationalité

Mandat expirant le 31 décembre

M. Guibril CAMARA

Sénégal

2007

M. Sayed Kassem EL‑MASRY

Égypte

2005

Mme Felice GAER

États-Unis d’Amérique

2007

M. Claudio GROSSMAN

Chili

2007

M. Fernando MARIÑO

Espagne

2005

M. Andreas MAVROMMATIS

Chypre

2007

M. Julio PRADO VALLEJO

Équateur

2007

M. Ole Vedel RASMUSSEN

Danemark

2005

M. Alexander M. YAKOVLEV

Fédération de Russie

2005

M. WANG Xuexian

Chine

2005

Annexe V

RAPPORTEURS ET CORAPPORTEURS POUR CHACUN DES RAPPORTS DES ÉTATS PARTIES EXAMINÉS PAR LE COMITÉ À SES TRENTE ‑TROISIÈME ET TRENTE ‑QUATRIÈME SESSIONS (PAR ORDRE D’EXAMEN)

A. Trente ‑troisième session

Rapport

Rapporteur

Corapporteur

Argentine:quatrième rapport périodique(CAT/C/55/Add.7)

M. Grossman

M. Prado Vallejo

Royaume‑Uni:quatrième rapport périodique(CAT/C/67/Add.2)

Mme Gaer

M. Mariño Menendez

Grèce:quatrième rapport périodique(CAT/C/61/Add.1)

M. Rasmussen

M. Mengjia

B. Trente ‑quatrième session

Canada:quatrième et cinquième rapports périodiques(CAT/C/55/Add.8)(CAT/C/81/Add.3)

M. Mavrommatis

Mme Gaer

Suisse:quatrième rapport périodique(CAT/C/55/Add.9)

M. Grossman

M. El‑Masry

Finlande:quatrième rapport périodique(CAT/C/67/Add.1)

M. El‑Masry

M. Yu Mengjia

Albanie:rapport initial(CAT/C/28/Add.6)

M. Yakovlev

M. Rasmussen

Ouganda:rapport initial(CAT/C/5/Add.32)

M. Mavrommatis

M. Camara

Bahreïn:rapport initial(CAT/C/47/Add.4)

Mme Gaer

M. Yakovlev

Annexe VI

DEMANDE D’AUGMENTATION DU TEMPS DE RÉUNION DU COMITÉ CONTRE LA TORTURE FORMULÉE AU PARAGRAPHE 14 DU DOCUMENT A/59/44

INCIDENCES SUR LE BUDGET ‑PROGRAMME CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 25 DU RÈGLEMENT INTÉRIEUR DU COMITÉ CONTRE LA TORTURE

1.Le Comité contre la torture demande à l’Assemblée générale de l’autoriser à se réunir pendant une semaine supplémentaire à compter de sa trente‑septième session (novembre 2006).

2.Les activités à mener concernent: le programme 24 (Droits de l’homme et affaires humanitaires) et le sous‑programme 2 (Services de conférence).

3.Des ressources ont été prévues dans le projet de budget‑programme pour l’exercice biennal 2004-2005 en vue de financer les frais de voyage et les indemnités de subsistance journalière de 10 membres du Comité participant aux deux sessions ordinaires annuelles d’une durée de 15 jours ouvrables pour la première et de 10 jours ouvrables pour la seconde que tient le Comité à Genève et qui sont toutes deux précédées par une réunion d’un groupe de travail de présession, ainsi que les services de conférence dont ont besoin le Comité et le groupe de travail de présession.

4.Au cas où l’Assemblée générale approuverait la demande du Comité, des ressources pour 10 séances supplémentaires (à compter de 2006) seraient nécessaires. Pour ces séances supplémentaires, le Comité aurait besoin de services d’interprétation dans les six langues officielles. Des comptes rendus analytiques seraient établis pour les 10 séances. La prolongation d’une semaine demandée nécessiterait 50 pages supplémentaires de documentation au cours de la session et 30 pages après la session dans les six langues.

5.Au cas où l’Assemblée générale accepterait la demande du Comité contre la torture, des ressources supplémentaires estimées à 25 000 dollars, destinés à financer les indemnités de subsistance journalière à verser aux membres du Comité pour la prolongation de la session de novembre à compter de 2006, seraient nécessaires au titre du chapitre 24 du budget‑programme pour l’exercice 2006-2007. En outre les coûts supplémentaires pour les services de conférence sont estimés à compter de 2006 à 697 486 dollars des États‑Unis au titre du chapitre 2 et à 2 520 dollars des États‑Unis au titre du chapitre 29.

6.Les ressources nécessaires pour la tenue de séances supplémentaires du Comité et du groupe de travail de présession sont détaillées dans le tableau ci‑après.

Ressources nécessaires pour financer les séances supplémentaires du Comité et du groupe de travail de présession

2006

(en dollars É.‑U.)

I.

Chapitre 24

Droits de l’homme: frais de voyage, indemnités de subsistance journalière et faux frais au départ et à l’arrivée

25 000

II.

Chapitre 2

Affaires de l’Assemblée générale et services de conférence: service des réunions, interprétation et documentation

697 486

III.

Chapitre 29E

Bureau des services centraux d’appui: services d’appui

2 520

Total

725 000

Annexe VII

DIRECTIVES GÉNÉRALES CONCERNANT LA FORME ET LE CONTENU DES RAPPORTS INITIAUX QUE LES ÉTATS PARTIES DOIVENT PRÉSENTER EN APPLICATION DE

L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION

1.Aux termes de l’article 19 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, chaque État partie est tenu de présenter au Comité des rapports sur les mesures qu’il a prises pour donner effet à ses engagements en vertu de la Convention. Le rapport initial doit être présenté dans un délai d’un an à compter de l’entrée en vigueur de la Convention à l’égard de l’État partie concerné, suivi d’un rapport périodique tous les quatre ans, sauf si le Comité demande d’autres rapports.

2.Afin d’aider les États parties à s’acquitter de leurs obligations en vertu de l’article 19, le Comité a adopté les directives générales ci‑après concernant la forme et la teneur des rapports. Les présentes directives remplacent les précédentes adoptées par le Comité à sa 82e séance (sixième session), tenue en avril 1991.

I. INFORMATIONS DE CARACTÈRE GÉNÉRAL

A. Introduction

3.Dans l’introduction du rapport devraient figurer des références croisées aux informations de caractère général figurant dans le document de base élargi, notamment à celles portant sur la structure politique générale, le cadre juridique général de la protection des droits de l’homme, etc. Il n’est pas nécessaire de répéter ces informations dans le rapport initial.

4.Des renseignements sur le processus d’élaboration du rapport devraient figurer dans cette section. Le Comité considère qu’il y a tout intérêt à rédiger le rapport après avoir procédé à de larges consultations. Il appréciera par conséquent les informations qui porteront sur les consultations qui auront éventuellement eu lieu dans le cadre des pouvoirs publics, avec les institutions nationales œuvrant pour la promotion et la protection des droits de l’homme, les organisations non gouvernementales et d’autres organisations.

B. Cadre juridique général de l’interdiction de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

5.Dans cette section, le Comité compte recevoir des renseignements précis sur la mise en œuvre de la Convention, dans la mesure où ils ne figurent pas dans le document de base, et en particulier les éléments suivants:

Une présentation succincte des dispositions constitutionnelles, pénales et administratives relatives à l’interdiction de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants;

Les instruments internationaux relatifs à la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants auxquels l’État concerné est partie;

Le statut de la Convention dans l’ordre juridique interne, à savoir par rapport à la Constitution et aux lois ordinaires;

La manière dont la législation interne garantit qu’il ne peut être dérogé à l’interdiction de toute peine ou tout traitement cruels, inhumains ou dégradants;

La question de l’invocabilité de la Convention devant les tribunaux et de son applicabilité directe par les tribunaux ou les autorités administratives ou nécessité de les traduire dans des lois ou règlements administratifs internes applicables par les autorités concernées. Dans les cas où une telle nécessité est prévue, le rapport devrait contenir des informations sur le texte de loi portant incorporation de la Convention dans l’ordre juridique interne;

Les autorités judiciaires administratives ou autres compétentes pour connaître des questions traitées dans la Convention, telles que la Cour constitutionnelle, la Cour suprême, les tribunaux ordinaires et militaires, les procureurs publics, les instances disciplinaires, les autorités administratives chargées de la police et des établissements pénitentiaires, les institutions nationales de promotion et de protection des droits de l’homme, etc. Donner un aperçu général de la mise en œuvre concrète de la Convention dans l’État partie aux niveaux fédéral, central, régional et local et indiquer tout facteur et toute difficulté entravant le respect des obligations de l’État concerné en vertu de la Convention. Des renseignements précis sur la mise en œuvre de la Convention, compte tenu des circonstances, devraient figurer dans le rapport. La documentation pertinente recueillie par les autorités ou d’autres institutions privées ou publiques serait utile.

II. INFORMATION SE RAPPORTANT À CHAQUE ARTICLE DE FOND DE LA CONVENTION

6.En règle générale, le rapport devrait offrir, à propos de chaque article, des renseignements concernant:

Les mesures législatives, judiciaires, administratives ou autres tendant à donner effet aux dispositions;

Des situations et des cas concrets dans lesquels des mesures tendant à donner effet aux dispositions de la Convention ont été appliquées, y compris toutes données statistiques pertinentes;

Des cas ou situations dans lesquels il y a eu des violations de la Convention, les causes de ces violations et les mesures prises pour y remédier. Il importe que le Comité puisse se faire une idée précise non seulement de la situation juridique mais aussi de la situation de fait.

Article premier

7.Cet article contient la définition de la torture établie aux fins de la Convention. Aux termes de cette disposition, le rapport devrait contenir:

Des informations sur la définition de la torture dans le droit interne, y compris des éléments indiquant si cette définition est pleinement conforme à celle de la Convention;

En l’absence d’une définition de la torture conforme à la Convention dans le droit interne, des informations sur les dispositions pénales ou législatives visant tous les cas de torture;

Des informations sur les instruments internationaux ou les textes législatifs nationaux contenant ou pouvant contenir des dispositions d’application plus large.

Paragraphe 1 de l’article 2

8.Aux termes de cette disposition, les États parties sont tenus de prendre des mesures en vue d’empêcher les actes de torture. Le rapport devrait contenir des informations pertinentes sur:

Les mesures concrètes prises pour empêcher tous les actes de torture, touchant entre autres: la durée de la garde à vue, la détention au secret; les règles concernant les droits d’une personne en état d’arrestation d’entrer en contact avec un avocat, d’être examinée par un médecin, d’entrer en contact avec sa famille, etc.; touchant la législation relative aux états d’exception ou à la lutte antiterroriste susceptible de restreindre les garanties dont bénéficient les détenus.

9.Le Comité serait heureux de recevoir une évaluation par l’État partie concerné de l’efficacité des mesures visant à empêcher la torture, notamment celles visant à faire en sorte que les responsables soient traduits en justice.

Paragraphe 2 de l’article 2

10.Le rapport devrait contenir des renseignements sur les mesures concrètes visant à ce qu’aucune circonstance exceptionnelle ne soit invoquée pour justifier la torture, notamment sur:

Le point de savoir s’il existe des mesures juridiques et administratives pour garantir que le droit de ne pas être soumis à la torture n’est pas susceptible de dérogation en période d’état de guerre, de menace de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception.

Paragraphe 3 de l’article 2

11.Le rapport devrait indiquer:

S’il existe une législation et une jurisprudence relatives à l’interdiction d’invoquer les ordres d’un supérieur, y compris d’autorités militaires, pour justifier la torture; dans l’affirmative, donner des informations sur leur application dans la pratique;

S’il existe des circonstances dans lesquelles un subordonné peut légalement refuser d’obéir à l’ordre de commettre des actes de torture et les procédures de recours dont il dispose en pareil cas, ainsi que les cas où cela a pu se produire;

Si la position des autorités publiques sur le concept de devoir d’obéissance en tant que moyen de défense en matière de justice pénale a une incidence sur l’application de cette interdiction dans la pratique.

Article 3

12.Cet article interdit l’expulsion, le refoulement ou l’extradition d’une personne vers un État où elle risque d’être torturée. Le rapport devrait contenir des renseignements sur:

La législation interne relative à cette interdiction;

Le point de savoir si la législation et les pratiques que l’État a éventuellement adoptées en matière de terrorisme, d’état d’exception, de sécurité nationale ou autre ont eu des incidences sur la mise en œuvre effective de cette interdiction;

Quelle autorité prononce l’extradition, l’expulsion, le renvoi ou le refoulement d’une personne, et sur la base de quels critères;

Le point de savoir si une décision en la matière peut faire l’objet d’un réexamen et, dans l’affirmative, devant quelle autorité, selon quelles procédures et si elles ont un effet suspensif;

Les décisions prises dans les affaires relevant de l’article 3 et les critères appliqués en pareils cas, les informations sur lesquelles se fondent ces décisions et la source de ces informations;

La formation dispensée aux fonctionnaires s’occupant de l’expulsion, du refoulement ou de l’extradition des étrangers.

Article 4

13.Les obligations imposées par cet article concernant les rapports comprennent implicitement, pour chaque État, celle d’ériger la torture en infraction à la loi pénale dans des termes compatibles avec la définition figurant à l’article premier. Le Comité a affirmé constamment que le crime de torture est qualitativement différent des diverses formes d’homicide et de violence et devrait par conséquent faire l’objet d’une définition pénale particulière. Le rapport devrait contenir des renseignements sur:

Les dispositions militaires et pénales relatives à ces infractions et les peines s’y rapportant;

L’existence de délais de prescription concernant ces infractions;

Le nombre et la nature des cas dans lesquels ces dispositions légales ont été appliquées et l’issue des procédures, notamment des renseignements sur les peines prononcées, en cas de condamnation, et sur les motifs d’acquittement;

Des exemples de jugements intéressant la mise en œuvre de l’article 4;

La législation en vigueur relative aux mesures disciplinaires prévues, pendant l’enquête sur un cas présumé de torture, à l’encontre des fonctionnaires des services de répression, qui sont responsables d’actes de torture (par exemple, suspension);

La manière dont les peines édictées prennent en compte la gravité des actes de torture.

Article 5

14.L’article 5 traite de l’obligation juridique incombant aux États parties d’établir leur compétence pour connaître des infractions visées à l’article 4. Le rapport devrait fournir des renseignements sur:

Les mesures qu’ils ont prises pour établir leur compétence dans les cas visés aux alinéas a, b, et c du paragraphe 1. Il conviendrait également de donner des exemples de cas dans lesquels les dispositions énoncées aux alinéas b et c ont été appliquées;

Les mesures qu’ils ont prises pour établir leur compétence dans des cas où l’auteur présumé d’une infraction se trouve sur le territoire de l’État partie présentant le rapport et que ce dernier ne l’extrade pas vers un État qui a établi sa compétence pour connaître de l’infraction en question. Des exemples de cas dans lesquels a) la demande d’extradition a été acceptée et b) la demande d’extradition a été rejetée devraient être fournis.

Article 6

15.L’article 6 traite de l’exercice de la juridiction des États parties, en particulier de l’enquête concernant une personne qui aurait commis toute infraction visée à l’article 4. Le rapport devrait fournir des renseignements sur:

Les dispositions juridiques internes concernant en particulier la détention provisoire de cette personne ou d’autres mesures visant à s’assurer de sa présence; le droit de l’intéressé de bénéficier de l’assistance de la représentation diplomatique dont il relève; l’obligation de l’État présentant le rapport de signaler la mise en détention aux autres États dont la juridiction pourrait être en jeu, de leur indiquer les circonstances de cette mesure et s’il compte exercer sa propre juridiction;

Les autorités chargées d’appliquer les différents aspects de l’article 6;

Des cas dans lesquels les dispositions internes susmentionnées ont été appliquées.

Article 7

16.Cet article établit que l’État partie a l’obligation d’engager des poursuites en cas d’actes de torture s’il a compétence pour le faire, sauf s’il décide d’extrader l’auteur présumé. Le rapport devrait fournir des renseignements sur:

Les mesures visant à s’assurer que l’auteur présumé d’une infraction bénéficie d’un traitement équitable à tous les stades de la procédure, notamment du droit à l’assistance d’un conseil, du droit d’être présumé innocent tant qu’il n’a pas été reconnu coupable, du droit à l’égalité devant les tribunaux, etc.;

Les mesures visant à s’assurer que les règles de la preuve en matière de poursuites et de condamnation s’appliquent également lorsque l’auteur présumé de l’infraction est un étranger qui aurait commis les tortures dans un autre pays;

Des exemples de l’application concrète des mesures susmentionnées.

Article 8

17.Aux termes de l’article 8 de la Convention, les États parties reconnaissent la torture comme une infraction constituant un cas d’extradition, aux fins de faciliter l’extradition de personnes soupçonnées d’avoir commis des actes de torture et/ou les crimes connexes de tentative, de complicité et de participation. Les rapports devraient fournir des renseignements sur:

Le point de savoir si l’État partie concerné considère la torture et les crimes connexes comme des infractions qui sont des cas d’extradition;

Le point de savoir si l’État concerné subordonne l’extradition à l’existence d’un traité;

Le point de savoir si l’État concerné considère la Convention comme la base juridique de l’extradition en ce qui concerne les infractions susmentionnées;

Les traités d’extradition entre l’État concerné et d’autres États parties à la Convention, dans lesquels la torture est une infraction considérée comme cas d’extradition;

Des cas dans lesquels l’État partie a accepté d’extrader les auteurs présumés de l’une quelconque des infractions susmentionnées.

Article 9

18.Aux termes de cet article, les États parties doivent s’accorder l’entraide judiciaire dans toute procédure pénale relative à l’infraction de torture et aux crimes connexes de tentative, complicité et participation. Les rapports devraient fournir des renseignements sur:

Les dispositions légales relatives à l’entraide judiciaire applicables aux infractions susmentionnées;

Des cas comportant l’infraction de torture, dans lesquels une demande d’entraide judiciaire a été présentée par l’État concerné ou lui a été présentée, ainsi que l’issue de la demande.

Article 10

19.Aux termes de cet article et de l’article connexe 16, les États parties sont tenus de dispenser, entre autres, au personnel médical et aux agents de la force publique, aux membres du corps judiciaire et autres personnes intervenant dans la garde, l’interrogatoire ou le traitement des personnes placées sous le contrôle de l’État une formation portant sur les questions liées à l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le rapport devrait fournir des renseignements sur:

Les programmes de formation portant sur la question susmentionnée, destinés aux personnes chargées des diverses fonctions mentionnées à l’article 10 de la Convention;

La formation au dépistage des traces physiques et psychologiques de torture dispensée au personnel médical s’occupant des détenus ou des demandeurs d’asile, et celle dispensée aux membres des professions judiciaires et autres agents;

La nature et la fréquence de l’instruction et de la formation;

Toute formation visant à faire en sorte que les femmes, les mineurs, et les groupes ethniques, religieux et autres reçoivent un traitement respectueux et adapté, en particulier eu égard aux formes de torture qui leur sont infligées de manière anormale;

L’efficacité des divers programmes.

Article 11

20.Aux termes de cet article et de l’article connexe 16, les États sont tenus d’exercer une surveillance systématique sur les règles, instructions, méthodes et pratiques et sur les dispositions concernant la garde et le traitement des personnes arrêtées, détenues ou emprisonnées de quelque façon que ce soit, en vue de prévenir la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le rapport devrait contenir des renseignements sur:

Les lois, règlements ou instructions concernant le traitement des personnes privées de liberté;

Les mesures prescrivant la notification sans délai des avocats, des médecins et de la famille et les contacts avec ces derniers et, dans le cas des étrangers, la notification des autorités consulaires;

L’intégration des règles et principes suivants dans le droit interne et la pratique de l’État: l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus; les Principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus; l’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement; les Principes d’éthique médicale applicables au rôle du personnel de santé, en particulier des médecins, dans la protection des prisonniers et des détenus contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants; le Code de conduite pour les responsables de l’application des lois;

Tout organe ou mécanisme indépendant institué pour inspecter les prisons et autres lieux de détention et pour surveiller toutes les formes de violence contre les hommes et les femmes, notamment toutes les formes de violence sexuelle visant les hommes comme les femmes et toutes les formes de violence entre détenus, ainsi que l’autorisation d’une surveillance internationale ou d’inspections par les ONG;

Les mesures destinées à faire en sorte que tous ces lieux soient officiellement reconnus et qu’aucune détention au secret ne soit autorisée;

Les mécanismes de surveillance de la conduite des agents des services de répression chargés de l’interrogatoire et de la garde des personnes détenues et emprisonnées et les résultats de cette surveillance, ainsi que les procédures éventuelles d’homologation ou de réhomologation;

Les éventuelles garanties prévues pour la protection des personnes particulièrement à risque.

Article 12

21.En application de cet article et de l’article connexe 16, l’État partie doit veiller à ce que ses autorités compétentes mènent une enquête prompte et impartiale lorsqu’il y a des raisons de penser qu’un acte de torture a été commis ou qu’un traitement ou peine cruel, inhumain ou dégradant a été infligé. Le rapport devrait indiquer:

Les autorités compétentes pour engager et mener l’enquête sur les plans tant pénal que disciplinaire;

Les procédures applicables, notamment s’il est possible de faire procéder immédiatement à un examen médical et à une expertise médico‑légale;

Si l’auteur présumé de l’infraction est relevé de ses fonctions pendant le déroulement de l’enquête et/ou se voit interdire tout contact avec la victime présumée;

L’issue des procédures de poursuites et les peines prononcées.

Article 13

22.Aux termes de cet article et de l’article connexe 16, les États doivent garantir le droit de tout individu qui prétend avoir été soumis à la torture ou à un traitement ou peine cruel, inhumain ou dégradant de porter plainte et d’obtenir que sa cause soit examinée rapidement et impartialement, ainsi que la protection du plaignant et des témoins contre tout mauvais traitement ou toute intimidation. Le rapport devrait fournir des renseignements sur:

Les recours ouverts aux individus qui prétendent avoir été victimes d’actes de torture ou autres traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants;

Les recours ouverts aux plaignants lorsque les autorités compétentes refusent d’enquêter sur leur cas;

Les mécanismes prévus pour assurer la protection des plaignants et des témoins contre tout acte d’intimidation ou tout mauvais traitement;

Des données statistiques, ventilées entre autres selon le sexe, l’âge, l’infraction et l’emplacement géographique, sur le nombre de plaintes pour torture ou autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants soumises aux autorités internes et les résultats des enquêtes. Il conviendrait en outre d’indiquer les services dont relèvent les personnes accusées d’avoir commis des actes de torture ou d’autres mauvais traitements;

Les possibilités pour le plaignant de faire recours devant une juridiction indépendante et impartiale, en indiquant notamment tout obstacle discriminatoire à l’égalité de tous devant la loi, ainsi que toutes règles ou pratiques destinées à prévenir le harcèlement ou la retraumatisation des victimes;

Tout service ou bureau existant dans le cadre de la police ou des organes chargés des poursuites ou d’autres services compétents, spécialement formés pour traiter les cas présumés d’actes de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants ou de violences à l’égard des femmes et des personnes appartenant à des minorités ethniques, religieuses ou autres;

L’efficacité des mesures en question.

Article 14

23.Cet article traite du droit des victimes à des mesures de réparation, d’indemnisation et de réadaptation. Le rapport devrait contenir des renseignements sur:

Les procédures prévues pour indemniser les victimes de torture et leur famille, et le point de savoir si ces procédures sont codifiées ou formalisées d’une manière quelconque;

Le point de savoir si l’État partie est légalement responsable de la conduite de l’auteur de l’infraction et, par conséquent, s’il est tenu d’indemniser la victime;

Des données statistiques ou, au moins, des exemples de décisions prononcées par les autorités compétentes comportant une mesure d’indemnisation et des indications concernant l’application effective de ces décisions, avec notamment des précisions éventuelles sur la nature des actes de torture, les qualités et identité de la victime et le montant de l’indemnité ou autre réparation accordée;

Les programmes de réadaptation des victimes de torture existant dans le pays;

Toute mesure autre qu’une indemnité visant à rétablir la victime dans sa dignité, dans son droit à la sécurité et à protéger sa santé, à empêcher que de tels actes se reproduisent et à aider à la réadaptation et à la réinsertion de la victime dans la société.

Article 15

24.En application de cette disposition, l’État partie doit veiller à ce que toute déclaration obtenue par la torture ne puisse être utilisée comme un élément de preuve dans toute procédure, si ce n’est contre la personne accusée de torture pour établir que la déclaration a été faite. Le rapport devrait contenir des renseignements sur:

Les dispositions légales concernant l’interdiction d’utiliser comme un élément de preuve une déclaration obtenue par la torture;

Des exemples de cas dans lesquels de telles dispositions ont été appliquées;

Le point de savoir si les preuves indirectes sont admissibles, lorsque cette notion existe dans l’ordre juridique de l’État partie.

Article 16

25.Aux termes de cet article, les États parties doivent interdire les actes constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le rapport devrait contenir des renseignements sur:

La mesure dans laquelle les actes constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ont été proscrits par l’État partie concerné; des informations indiquant si ces actes sont définis ou visés dans le droit interne;

Les mesures que l’État partie a éventuellement prises pour empêcher de tels actes;

Les conditions de vie dans les centres de détention de la police et les prisons, notamment celles des femmes et des mineurs, en précisant s’ils sont séparés des détenus adultes/hommes. Il convient en particulier de traiter les problèmes liés au surpeuplement, à la violence entre détenus, aux mesures disciplinaires contre les détenus, aux conditions médicales et sanitaires, aux maladies les plus fréquentes et à leur traitement en prison, à l’accès à la nourriture et aux conditions de détention des mineurs.

Annexe VIII

DÉCISIONS DU COMITÉ CONTRE LA TORTURE AU TITRE DE L’ARTICLE 22 DE LA CONVENTION

A.  Décisions sur le fond

Communication n o  133/1999

Présentée par:Enrique Falcón Ríos(représenté par un conseil, M. Istvanffy Stewart)

Au nom de:Le requérant

État partie:Canada

Date de la requête:6 mai 1999

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 23 novembre 2004,

Ayant achevé l’examen de la requête no 133/1999 présentée par M. Enrique Falcón Ríos en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1Le requérant est Enrique Falcón Ríos, de nationalité mexicaine, né en 1978. Lors de son arrivée au Canada le 2 avril 1997, il a demandé le statut de réfugié. Sa demande ayant été rejetée, il affirme que son renvoi forcé au Mexique constituerait une violation par le Canada de l’article 3 de la Convention, et que l’audience au cours de laquelle cette demande a été examinée s’est déroulée d’une manière constituant une violation de l’article 16 de la Convention. Il est représenté par un conseil.

1.2Conformément au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention, le Comité a porté la requête à l’attention de l’État partie le 18 mai 1999. Dans le même temps, le Comité, agissant en vertu de l’article 108 de son règlement intérieur, a demandé à l’État partie de ne pas expulser le requérant vers le Mexique tant que sa requête serait en cours d’examen.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant habitait et travaillait à la ferme de son oncle, frère utérin de son père, qui était militaire dans l’État du Chiapas et avait acquis cette ferme en février 1995. L’oncle avait déserté en décembre 1996 sans prévenir sa famille; il avait été accusé d’avoir des liens avec l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) et d’avoir trahi la patrie.

2.2Selon M. Falcón Ríos, le 29 décembre 1996, des militaires ont emmené le requérant et sa famille dans un camp militaire pour les questionner dans le but notamment de savoir où se trouvait l’oncle du requérant. Ils ont été libérés à 7 heures, mais il leur a cependant été donné l’ordre de ne pas quitter leur domicile. Le 15 février 1997, l’armée est revenue, les soldats ont brisé la porte et les fenêtres de la maison, et les ont emmenés à nouveau dans un camp militaire pour un nouvel interrogatoire. Cette fois-ci cependant, ils ont été brutalisés, la mère et la sœur du requérant ont été violées devant lui-même et son père. Ils ont ensuite torturé le père, le frappant à la tempe avec la crosse d’un pistolet jusqu’à ce qu’il perde connaissance. Quant au requérant, ils lui ont attaché les mains dans le dos, lui ont donné des coups dans le ventre et lui ont mis une cagoule pour provoquer une sensation d’asphyxie. Ils ont continué à l’interroger pour connaître le lieu où se cachait son oncle; comme il ne pouvait leur répondre, ils l’ont déshabillé et lui ont infligé des blessures avec une arme blanche près des organes génitaux, ils lui ont attaché les testicules avec une corde sur laquelle ils tiraient en l’interrogeant. Enfin, ils lui ont plongé la tête dans un baquet rempli d’excréments toujours pour lui extorquer les informations recherchées.

2.3Selon le requérant, dès leur retour, lui‑même et sa famille ont été placés sous surveillance militaire. Le 20 mars 1997, les militaires sont revenus et le requérant, son père, sa mère ainsi que sa sœur aînée ont été transférés dans différents camps militaires. Ses deux jeunes sœurs de 6 et 9 ans ont été laissées seules à la maison. C’est la dernière fois que le requérant a vu sa famille. Les militaires l’ont de nouveau torturé, lui ont recouvert la tête d’un sac et l’ont roué de coups, y compris à la tête, ce qui lui a causé des problèmes de vue. Ils lui ont infligé des brûlures aux bras pour le forcer à signer des documents prouvant ses liens avec l’EZLN. Le requérant a fini par signer ces documents lorsque les militaires ont commencé à lui brûler le visage. Ils l’ont ensuite photographié, ont relevé ses empreintes digitales et lui ont fabriqué une carte de membre de l’EZLN.

2.4Le requérant affirme avoir perdu connaissance après avoir bu un verre d’eau contenant une substance inconnue. À son réveil, il s’est retrouvé, libre, dans un endroit inconnu. Il affirme qu’il était dans une zone de conflit armé.

2.5À la suite de ces événements, le requérant a décidé de quitter son pays le 22 mars 1997. Il est arrivé au Canada le 2 avril 1997 et y a immédiatement demandé l’asile.

2.6Le 20 mars 1998, la Section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration relative au statut des réfugiés et du statut de réfugié a décidé que l’auteur n’était pas un réfugié au sens de la Convention relative au statut des réfugiés, tel que le terme est défini dans la loi sur l’immigration, car son récit n’était pas crédible. On lui reprochait notamment le caractère invraisemblable des circonstances entourant la désertion de son oncle, ainsi que la fabrication d’une fausse carte de l’EZLN, étant donné qu’il n’existait aucune preuve que ce groupe délivre des cartes à ses membres. Le 17 avril 1998, le requérant a déposé une demande de contrôle juridictionnel de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Le 30 avril 1999, la Cour fédérale du Canada (section de première instance) a rejeté cette demande au motif que le requérant n’était pas parvenu à démontrer l’existence d’une erreur justifiant l’intervention de la Cour.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant fait valoir que ses droits ont été gravement lésés au Mexique, et qu’en cas de retour dans ce pays, il serait à nouveau torturé, voire exécuté, par l’armée mexicaine.

3.2À l’appui de ses allégations de violation de l’article 3 de la Convention, le requérant soumet notamment un certificat médical qui conclut que «les marques physiques présentées par le patient sont compatibles avec les tortures qu’il déclare avoir subies» et un rapport psychologique indiquant que le requérant «a été meurtri et affaibli par les tortures subies et les séquelles des traumatismes qui en ont découlé» et «que sans le soutien efficace que représente l’obtention du statut de réfugié», il est à craindre qu’il «ne concrétise ses idées suicidaires».

3.3Quant à la situation actuelle au Mexique, le requérant fait observer que les militaires et les policiers qui commettent des délits contre la population jouissent d’une totale impunité. À l’appui de ses affirmations, il se réfère notamment à un rapport de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) datant de 1997, dans lequel la FIDH note que «les arrestations illégales, les enlèvements, les disparitions, les exécutions extrajudiciaires, les cas de torture, les procédures judiciaires conduites sans aucune garantie de respect des droits individuels, sont la conséquence, d’une part, de l’attribution à l’armée de pouvoirs de plus en plus étendus dans des domaines relevant de la sécurité publique, et du développement toléré, voire encouragé, des groupes paramilitaires et, d’autre part, de l’incapacité du pouvoir judiciaire à garantir et préserver les droits des victimes et des personnes accusées», et il ajoute que «le processus de militarisation est manifeste et entraîne des violations très graves des droits de l’homme».

3.4Dans ses observations datées du 5 mai 1999, le requérant affirme que la Cour fédérale n’a pas appliqué les critères d’un procès équitable. Il prétend que sa cause n’ayant pas été entendue par un tribunal impartial et indépendant, il n’a pas bénéficié d’une procédure équitable. La procédure irrégulière qui a été suivie dans son cas ne pouvait aboutir qu’au refus de lui accorder le statut de réfugié.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 15 janvier 2003, soit plus de trois années après que le Comité lui eut transmis la requête, l’État partie a communiqué ses observations sur la recevabilité et le fond de la requête.

4.2D’après l’État partie, le requérant n’a pas épuisé les recours internes. Il n’a pas présenté de demande d’autorisation de contrôle juridictionnel à la Cour fédérale du Canada concernant le refus de dispense ministérielle pour raisons humanitaires. Or, s’il avait estimé que la décision contenait une erreur de droit ou une erreur de fait, il aurait pu la faire réexaminer par la Cour fédérale, ce qu’il n’a pas fait. Il n’a pas démontré que le recours sous forme de demande de contrôle juridictionnel du refus de dispense ministérielle pouvait être considéré comme entrant dans le cadre des exceptions prévues par la Convention (si les procédures excèdent des délais raisonnables et s’il est peu probable qu’elles donnent satisfaction au requérant).

4.3Selon l’État partie, ce contrôle juridictionnel était susceptible de donner satisfaction au requérant. Si une demande de contrôle juridictionnel est acceptée, la Cour fédérale renvoie le dossier à l’instance qui a pris la décision initiale ou à une autre instance pour qu’elle procède à un réexamen de l’affaire et rende une nouvelle décision. Ce recours pouvait être engagé sans occasionner de retard injustifié. La Cour fédérale a également compétence pour ordonner la suspension d’une mesure de renvoi tant qu’une demande de contrôle juridictionnel est en cours d’examen. Le demandeur doit alors démontrer que sa demande porte sur une question de fond que la Cour doit trancher, qu’il subirait un préjudice irréparable si la suspension n’était pas accordée, et que tout bien pesé, cette solution serait préférable pour lui. En l’espèce, le requérant n’a pas exercé ce recours et n’a donc pas épuisé tous les recours utiles qui lui étaient ouverts.

4.4L’État partie soutient que la procédure prévue dans la Convention ne devrait pas permettre au requérant d’échapper aux conséquences de sa propre négligence et du non‑exercice des recours internes disponibles. Il souligne que, même dans des cas où le requérant risque d’être soumis à des traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays, il doit respecter les formes et les délais des procédures internes avant de s’adresser aux instances internationales.

4.5L’État partie ajoute que le requérant peut aussi présenter une demande d’examen des risques auxquels l’exposerait un renvoi dans son pays avant que cette mesure ne soit appliquée. Si cette demande est acceptée, il peut être autorisé à rester au Canada.

4.6L’État partie affirme que la communication ne satisfait pas aux conditions minimales prévues à l’article 22 de la Convention. Il n’existe de motifs sérieux de croire qu’une personne risque d’être soumise à la torture que s’il est établi qu’elle sera personnellement exposée à un tel risque dans l’État vers lequel elle serait renvoyée. La Convention fait obligation aux États parties de protéger les personnes qui sont exposées à un risque prévisible, réel et personnel d’être torturées. L’État partie invoque la décision du Comité dans l’affaire Aemi c. Suisse, dans laquelle celui-ci a établi que l’expulsion du requérant doit avoir comme conséquence prévisible de l’exposer à un risque réel et personnel de torture. L’État partie se réfère également à l’Observation générale no 1 du Comité sur l’application de l’article 3 de la Convention.

4.7Quant à la situation des droits de l’homme au Mexique, l’État partie relève qu’elle s’est considérablement améliorée depuis le départ du requérant et mentionne à ce sujet de nombreux rapports de 2001 (Groupe de travail sur la détention arbitraire, Rapporteur spécial sur la torture, Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires). L’État partie ajoute que le Mexique est partie à la Convention contre la torture, au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et au premier Protocole facultatif s’y rapportant ainsi qu’à la Convention américaine relative aux droits de l’homme, à la Convention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture et à la Convention interaméricaine sur les disparitions forcées de personnes.

4.8L’État partie se réfère à la décision de la Section du statut de réfugié, laquelle, après avoir entendu le requérant, a conclu que son témoignage présentait des lacunes importantes. L’État partie rappelle les imprécisions du requérant quant au grade de son oncle dans l’armée (ce qui aurait nui à sa crédibilité), l’invraisemblance des circonstances entourant la désertion de son oncle, la présentation d’une photographie prétendument prise après une agression et sur laquelle on ne voit aucune trace de blessure, et le récit invraisemblable de la fabrication et de la remise au requérant d’une fausse carte de l’EZLN, alors qu’il n’est nullement établi que ce groupe délivrait des cartes à ses membres. Selon l’État partie, si l’armée avait forcé le requérant à signer cette carte, elle l’aurait gardée à titre de preuve de son appartenance à l’EZLN. La Cour fédérale a examiné toutes les conclusions de la Section du statut de réfugié et n’a trouvé aucune raison d’intervenir.

4.9L’État partie rappelle que le requérant n’était pas un militant politique lorsqu’il vivait au Mexique. Il estime que la Section du statut de réfugié était mieux placée que le Comité pour aboutir à des conclusions quant à la crédibilité du requérant.

4.10D’après l’État partie, le requérant ne fournit aucun élément convaincant à l’appui de son allégation selon laquelle il court un risque personnel, réel et prévisible d’être soumis à la torture; la communication n’est donc pas recevable car incompatible avec l’article 22 de la Convention.

4.11Quant à la violation alléguée de l’article 16, l’État partie affirme que le requérant n’a aucunement démontré que l’audience devant la Section du statut de réfugié aurait constitué une telle violation. Il estime que les allégations de partialité des fonctionnaires de cette section, en raison des questions qu’ils avaient posées au requérant, ne sont pas fondées. L’État partie conclut que le Comité devrait par conséquent déclarer la communication irrecevable.

4.12L’État partie rappelle que la Cour fédérale a conclu que le requérant n’avait pas pu démontrer que la décision de la Section du statut de réfugié était fondée sur une erreur de fait ou sur une conclusion à laquelle elle était parvenue de façon arbitraire ou sans tenir compte des éléments à sa disposition. L’État partie note que la Cour fédérale a affirmé que le requérant n’avait pas apporté la preuve de la partialité des membres du tribunal. Il ajoute que pour évaluer les risques encourus par le requérant s’il était renvoyé dans son pays, les instances nationales avaient appliqué les dispositions de l’article 3 de la Convention et que le Comité ne devrait pas substituer ses propres conclusions à cette évaluation.

4.13L’État partie rappelle qu’il appartient aux instances nationales d’apprécier les faits et les éléments de preuve et que le Comité ne devrait pas réévaluer les conclusions de fait ou réexaminer la façon dont a été appliquée la législation nationale. Il invoque la jurisprudence du Comité des droits de l’homme selon laquelle il ne lui appartient pas de remettre en cause l’appréciation des éléments de preuve faite par les tribunaux nationaux sauf en cas de déni de justice, jurisprudence que devrait également accepter le Comité contre la torture.

4.14L’État partie conclut que la communication est dénuée de fondement, et que le requérant n’a pas démontré l’existence d’une violation des articles 3 et 16 de la Convention.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Dans ses observations du 9 novembre 2003, le requérant soutient qu’il a saisi la possibilité qui lui était offerte de présenter une demande de contrôle juridictionnel de la décision lui refusant le statut de réfugié et qu’il s’agissait là du dernier recours. Le principal recours qui lui était ouvert était le contrôle juridictionnel de la décision de refus de lui accorder le statut de réfugié, intervenu en mars 1998.

5.2Le requérant rappelle que son cas a été cité dans une étude réalisée par un groupe pluridisciplinaire sur les défauts du système canadien constatés lors des audiences publiques au cours desquelles les réfugiés sont entendus, publiée en octobre 2000. L’audience à laquelle le requérant avait comparu aurait été une véritable parodie et son cas aurait été considéré comme un exemple des abus commis à l’occasion de cette procédure.

5.3En réponse à l’argument de l’État partie concernant la possibilité qu’avait le requérant de demander un contrôle juridictionnel de la décision lui refusant le droit de bénéficier d’une assistance humanitaire, le requérant affirme qu’un tel recours serait fondé sur les mêmes faits que la demande d’admission au statut de réfugié. Il fait valoir l’inutilité d’un tel recours dans son cas dès lors que la Cour fédérale avait déjà statué sur le fond de l’affaire. Il est donc impossible d’imaginer qu’un tel recours lui aurait donné satisfaction. Or, la règle générale de l’épuisement des recours internes n’impose d’épuiser que les recours permettant effectivement d’obtenir satisfaction.

5.4Le requérant fait observer que la nouvelle procédure appelée «examen des risques avant l’expulsion» mise en place par le Gouvernement canadien n’existait pas avant la mi-juin 2002 et que par conséquent il n’a pas pu y avoir accès. Il prétend que cette procédure n’est pas conforme aux obligations du Canada en vertu du droit international ou de la Charte canadienne des droits et libertés étant donné que les décisions ne sont pas prises par un mécanisme indépendant et impartial.

5.5Le requérant insiste sur le fait qu’il a été torturé par des membres de l’armée mexicaine en 1996 et en 1997, peu de temps avant d’avoir présenté sa communication au Comité. Il a fourni à l’appui de sa requête des éléments de preuve de nature médicale et psychologique, ainsi que des photographies montrant qu’il avait été torturé. Il affirme qu’il n’y a pas d’incohérences dans son récit et que de multiples éléments permettent d’affirmer qu’un grand nombre de Mexicains ont été victimes d’actes analogues dans le sud-est du Mexique.

5.6Le requérant conteste l’argument de l’État partie selon lequel la situation des droits de l’homme au Mexique s’est améliorée depuis son départ. Il affirme qu’il n’existe que des déclarations générales d’intention de la part des autorités mexicaines, et que de légers progrès seulement ont été faits en ce qui concerne l’élimination de la torture ou de l’impunité des auteurs d’actes de torture.

5.7Le requérant soutient que ses allégations concernant la désertion ou la disparition de son oncle sont crédibles. Selon lui, les zapatistes et les groupes qui les appuient sont persécutés sur tout le territoire mexicain, contrairement à ce qu’affirme l’État partie. Il a été torturé à cause de sa sympathie présumée pour les zapatistes. Il en garde des cicatrices et s’il était renvoyé au Mexique, il serait exposé à un danger immédiat d’arrestation ou de torture. Il rappelle que le conflit au Chiapas n’est pas terminé. Il ajoute que l’auteur du rapport psychologique sur son état mental est membre du réseau d’intervention en faveur des victimes de la violence dont le siège est à Montréal et que c’est un spécialiste reconnu de ces questions.

5.8Le requérant affirme que la procédure suivie au Canada concernant les demandeurs d’asile a été vivement critiquée par l’ordre des avocats du Canada et par le Conseil canadien des réfugiés. Elle ne serait pas compatible avec le droit qu’a chacun de bénéficier des garanties prévues par la loi et donnerait lieu à des abus comparables à ceux qui ont été commis dans son propre cas.

5.9Le requérant conteste l’argument de l’État partie selon lequel son avocat n’aurait pas été obligé de se limiter à certaines questions durant l’interrogatoire. Des restrictions lui ont bien été imposées puisqu’il n’a pas été autorisé à poser des questions au sujet des actes de torture ou des circonstances dans lesquelles ces actes avaient eu lieu.

Délibérations du Comité sur la recevabilité de la communication

6.Avant d’examiner une plainte contenue dans une communication, le Comité contre la torture doit décider si elle est ou non recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Conformément aux alinéas a et b du paragraphe 5 de l’article 22 de la Convention, le Comité n’examine aucune communication sans s’être assuré que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles; cette règle ne s’applique pas s’il est établi que les procédures de recours ont excédé ou excéderaient des délais raisonnables ou s’il est peu probable qu’elles donneraient satisfaction à la victime.

7.1Le Comité prend note des allégations de l’auteur selon lesquelles lorsqu’elle a statué sur son affaire, la Cour fédérale n’a pas appliqué les principes d’un procès équitable et que la procédure interne s’est déroulée d’une manière constituant une violation de l’article 16 de la Convention. Toutefois, de l’avis du Comité, le requérant n’a pas démontré que les faits sur lesquels il fonde sa requête constituent des traitements cruels, inhumains ou dégradants au sens de l’article 16 de la Convention. En conséquence, le Comité déclare cette partie de la communication irrecevable dans la mesure où elle n’est pas suffisamment étayée.

7.2Quant à l’argument relatif à l’article 3 de la Convention, le Comité prend note des observations de l’État partie qui affirme que les recours internes n’ont pas été épuisés puisque le requérant n’a pas présenté à la Cour fédérale de demande d’autorisation de contrôle juridictionnel de la décision lui refusant le droit de bénéficier d’une assistance humanitaire.

7.3Le Comité fait observer que lors de sa vingt-cinquième session, dans ses observations finales sur le rapport de l’État partie, il a examiné la question de la demande de «dispense ministérielle pour raisons d’ordre humanitaire». Il s’était dit alors particulièrement préoccupé par le manque d’indépendance dont feraient preuve les fonctionnaires chargés d’examiner ce «recours», ainsi que par le fait qu’une personne puisse être expulsée alors que ledit recours est en cours d’examen. Il avait conclu que cela pouvait amoindrir l’efficacité de la protection des droits énoncés au paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention. Le Comité a noté que bien que le droit de bénéficier d’une assistance humanitaire puisse fonder un recours prévu par la loi, cette assistance est accordée par un ministre sur la base de critères purement humanitaires, et non sur une base légale, et constitue ainsi plutôt une faveur. Le Comité a également observé que lorsqu’une demande de contrôle juridictionnel est acceptée, la Cour fédérale renvoie le dossier à l’instance qui a pris la décision initiale ou à une autre instance compétente, de sorte qu’elle ne procède pas elle-même au réexamen de l’affaire et ne rend pas de décision. La décision relève plutôt du pouvoir discrétionnaire d’un ministre et donc du pouvoir exécutif. Le Comité ajoute que si le recours fondé sur des raisons humanitaires n’est pas de ceux qui doivent avoir été épuisés pour satisfaire à la règle de l’épuisement des recours internes, alors la question du recours contre une telle décision ne se pose pas. Le Comité en conclut que toutes les conditions requises ont été remplies et que le paragraphe 5 b) de l’article 22 ne l’empêche donc pas d’examiner la requête.

7.4En outre, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle, conformément au principe de l’épuisement des recours internes, le requérant est tenu d’engager des recours qui soient directement en rapport avec le risque d’être soumis à la torture dans le pays où il serait envoyé et non pas des recours qui pourraient lui permettre de rester dans le pays où il se trouve.

7.5Le Comité note également que l’État partie affirme que le requérant aurait pu aussi présenter une demande d’examen des risques auxquels son renvoi dans son pays l’exposerait avant son renvoi et que si sa demande avait été acceptée, il aurait pu recevoir l’autorisation de rester au Canada. À cet égard, et compte tenu des renseignements dont il dispose, le Comité constate que selon la procédure applicable en la matière, lorsqu’une personne présente une nouvelle demande d’asile, alors que celle-ci a déjà été examinée par la Section de la protection des réfugiés, comme dans le cas d’espèce, seuls les nouveaux éléments de preuve éventuels sont pris en considération et qu’autrement le recours est rejeté. Le Comité est donc d’avis que ce recours ne constituerait pas un recours utile pour le requérant et rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle seuls doivent être épuisés les recours qui sont utiles.

7.6Compte tenu de ce qui précède, le Comité estime que la communication est recevable en ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 3 et procède par conséquent à son examen au fond.

Délibérations du Comité sur le fond de la communication

8.1Le Comité doit déterminer, conformément au paragraphe 1 de l’article 3, s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait d’être soumis à la torture s’il était renvoyé au Mexique. Pour ce faire, il doit, conformément au paragraphe 2 de l’article 3, tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Il s’agit toutefois de déterminer si l’intéressé risquerait d’être personnellement soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. En conséquence, l’existence dans un pays d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure qu’une personne risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires de penser que l’intéressé serait personnellement en danger. Par ailleurs, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et constantes des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

8.2Le Comité rappelle son Observation générale no 1 sur l’application de l’article 3, qui se lit comme suit: «Étant donné que l’État partie et le Comité sont tenus de déterminer s’il y a des motifs sérieux de croire que l’auteur risque d’être soumis à la torture s’il est expulsé, refoulé ou extradé, l’existence d’un tel risque doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. En tout état de cause, il n’est pas nécessaire de montrer que le risque encouru est hautement probable» (par. 6).

8.3Le Comité renvoie au rapport établi à l’issue de la visite effectuée au Mexique du 23 août au 12 septembre 2001 (CAT/C/75), et relève que des rapports récents sur la situation des droits de l’homme au Mexique concluent que malgré les efforts déployés pour éliminer la torture, de nombreux cas de torture continuent d’être rapportés. Cependant, dans l’optique du raisonnement suivi ci‑dessus, quand bien même il serait possible d’affirmer qu’il existe encore au Mexique un ensemble de violations des droits de l’homme, cela ne constituerait pas en soi un motif suffisant pour établir que le requérant risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires de penser que l’intéressé serait personnellement en danger.

8.4Le Comité observe que l’État partie n’a, à aucun moment, réfuté l’authenticité des rapports médicaux et du rapport psychologique établis au sujet de l’auteur. Selon le Comité, ces rapports conduisent à accorder une importance considérable à l’allégation de l’auteur selon laquelle il a été torturé au cours des interrogatoires auxquels il a été soumis dans un camp militaire. Selon le rapport médical, M. Falcón Ríos présentait de nombreuses cicatrices et brûlures de cigarette sur diverses parties du corps, ainsi que des cicatrices de blessures causées avec une arme blanche sur les deux jambes. Le médecin auteur du rapport en conclut que «les traces physiques que présente le patient sont compatibles avec les tortures auxquelles il dit avoir été soumis».

8.5Le Comité observe que l’État partie indique que la Section du statut de réfugié a conclu que le témoignage de l’auteur présentait d’importantes lacunes. Il constate toutefois que le rapport psychologique précise que l’auteur présentait une «grande vulnérabilité psychologique» résultant des actes de torture auxquels il aurait été soumis. Le même rapport constate que M. Falcón Ríos était «extrêmement déstabilisé par sa situation actuelle caractérisée par de nombreuses souffrances», et qu’il avait été «particulièrement blessé, fragilisé par les tortures subies et les événements associés à ses traumatismes». Le Comité considère que les imprécisions dans le récit de l’auteur évoquées par l’État partie peuvent être dues à sa vulnérabilité psychologique; par ailleurs, de l’avis du Comité, ces imprécisions ne sont pas telles que l’on puisse en conclure que l’auteur n’est pas crédible. En analysant les éléments de fait susmentionnés et en formulant ses conclusions, le Comité n’a pas perdu de vue sa jurisprudence selon laquelle il ne lui appartient pas de remettre en question les conclusions des juridictions nationales concernant les faits et les éléments de preuve, à moins qu’elles ne puissent constituer un déni de justice.

8.6Le Comité prend note également des éléments d’appréciation et des arguments avancés par l’auteur, auxquels il accorde l’importance voulue, concernant le risque personnel qu’il court d’être soumis à la torture, à savoir: l’auteur a été arrêté et torturé par le passé parce qu’il était soupçonné d’avoir des liens avec l’EZLN; il a gardé des cicatrices à la suite des actes de torture qu’il a subis; le conflit entre le Gouvernement mexicain et le mouvement zapatiste n’est pas achevé, et certains des membres de la famille de l’auteur ont disparu. Sur la base des éléments mentionnés ci‑dessus, et après les avoir dûment pris en considération, le Comité considère qu’il existe un risque que l’auteur soit de nouveau arrêté et torturé après son retour au Mexique.

9.Compte tenu de ce qui précède, le Comité est d’avis que l’expulsion de l’auteur vers le Mexique constituerait une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention.

10.Conformément au paragraphe 5 de l’article 111 de son règlement intérieur, le Comité souhaite recevoir, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur toute mesure que l’État partie aura prise conformément à la présente décision.

Notes

Communication n o 171/2000

Présentée par:M. Jovica Dimitrov(représenté par le Centre de droit humanitaire et le Centre européen pour les droits des Roms)

Au nom de:Le requérant

État partie:Serbie-et-Monténégro

Date de la requête:29 août 2000 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 3 mai 2005,

Ayant achevé l’examen de la requête no 171/2000 présentée au Comité contre la torture par Jovica Dimitrov en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.Le requérant est Jovica Dimitrov, Serbe appartenant à la minorité rom, qui réside en Serbie-et-Monténégro. Il affirme être victime de violations par la Serbie-et-Monténégro du paragraphe 1 de l’article 2 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, lu conjointement avec l’article premier, ainsi que du paragraphe 1 de l’article 16, et des articles 12, 13 et 14 pris séparément ou lus conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 16. Il est représenté par deux organisations non gouvernementales: le Centre de droit humanitaire, sis à Belgrade et le Centre européen pour les droits des Roms, sis à Budapest.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le 5 février 1996 à l’aube, le requérant a été arrêté à son domicile, à Novi Sad, dans la province de la Voïvodine (Serbie), et conduit au poste de police de la rue Kraljevica Marka. Le policier qui l’a arrêté ne lui a pas présenté un mandat d’arrêt ni expliqué les motifs de son placement en garde à vue. Le requérant s’est laissé arrêter sans opposer de résistance. Au cours de l’interrogatoire qui a suivi, le policier qui avait procédé à l’arrestation l’a frappé à plusieurs reprises à l’aide d’une batte de base-ball et d’un câble en acier et l’a aussi roué de coups de poing et de pied sur tout le corps. Le requérant a perdu connaissance plusieurs fois. Hormis quelques brèves interruptions, ce traitement a duré de 6 h 30 à 19 h 30, causant de nombreuses lésions au requérant, sur les fesses et à l’épaule gauche. À 19 h 30, le requérant a été relâché, là encore sans qu’un mandat d’arrêt ou une ordonnance de remise en liberté soit produit; il n’a pas non plus été informé du motif de son arrestation et de sa détention. Le requérant estime que cela constitue une violation des articles 192 (par. 3), 195 et 196 (par. 3), du Code de procédure pénale, qui réglementent les pouvoirs de la police en matière d’arrestation et de détention.

2.2Une fois libre, le requérant est rentré chez lui et a passé les 10 jours suivants au lit, soigné par sa sœur. Le 9 février 1996, il est allé voir un médecin qui l’a examiné et lui a prescrit de rester alité. Ce médecin a établi un rapport décrivant les lésions comme suit: «Bras gauche: tache rouge-brun foncé de 10 x 8 cm avec des bords rouges légèrement protubérants; épaule et omoplate droites: taches rouge foncé en forme de stries de 3 x 11 cm et de 4 x 6 cm sur les épaules; fessiers: taches bleu foncé de la taille de la paume d’une main, sur chaque fesse; jambe gauche, à mi-cuisse, face externe: strie rouge distinctement visible de 3 x 5 cm; face interne du genou droit: tuméfaction bleu clair de 5 x 5 cm; région des chevilles et plantes de pied (droite et gauche): légère tuméfaction bleu clair.». Le médecin a conclu que le patient devait «consulter un neurologue et faire faire des analyses». Le requérant a également produit une déclaration de sa sœur, qui indique qu’il a été arrêté à 6 h 30 du matin le 5 février, qu’il est resté détenu jusqu’à 19 h 30, et qu’à son retour, il avait le visage tuméfié et des hématomes sur les épaules, le dos, les jambes et les reins. Il avait du sang séché sur les jambes, et les fesses entièrement bleu foncé. Il a dû rester au lit pendant 10 jours, avec des compresses sur ses blessures, en prenant des analgésiques. Il lui a dit qu’il avait été frappé avec un câble en acier et des battes de base-ball et qu’il s’était évanoui sous les coups.

2.3Craignant des représailles de la part de la police et insuffisamment informé de ses droits, le requérant a attendu le 7 novembre 1996 pour déposer une plainte au pénal auprès du bureau du procureur municipal de Novi Sad, dans laquelle il a indiqué qu’un policier non identifié lui avait arraché une déclaration par la force, en violation de l’article 65 du Code pénal serbe. Le requérant a déclaré qu’avant les faits, il avait déjà été arrêté plusieurs fois et interrogé à propos d’un certain nombre d’infractions pénales sans lien entre elles. Il pense que si on l’a maltraité, c’était pour l’obliger à avouer une ou plusieurs de ces infractions.

2.4La plainte a immédiatement été enregistrée par le bureau du procureur municipal. Ce n’est toutefois que le 17 septembre 1999 (soit 43 mois − plus de trois ans et demi − après les faits en cause et 34 mois après le dépôt de la plainte) que ce bureau a demandé au juge d’instruction du tribunal municipal de Novi Sad de prendre des «mesures préliminaires aux fins d’enquête». Il s’agit là d’une étape préalable qui peut déboucher ensuite sur l’ouverture d’une information judiciaire officielle, pour laquelle l’identité du suspect doit avoir été vérifiée. Le juge d’instruction du tribunal municipal de Novi Sad a accédé à la demande du procureur et ouvert un dossier. Depuis, le ministère public n’a pris aucune mesure concrète pour établir l’identité du policier en cause. Le requérant affirme que si le juge d’instruction avait vraiment eu l’intention d’identifier le policier, il aurait pu interroger les autres policiers qui étaient présents au poste de police lorsque les violences ont été commises, et en particulier le commandant de service, qui devait connaître le nom de tous les policiers de service à ce moment-là. Enfin, le requérant a indiqué dans sa plainte que pendant sa détention au poste de police, il avait été conduit à la section des homicides, ce qui constituait en soi un point de départ suffisant pour ouvrir une information officielle sur les faits en cause. Aucune enquête n’a été ouverte.

2.5D’après le requérant, conformément au paragraphe 1 de l’article 153 du Code de procédure pénale, si le procureur considère, au vu des éléments de preuve dont il dispose, qu’il y a de sérieux motifs de croire qu’une personne a commis une infraction pénale, il est tenu de demander au juge d’instruction d’ouvrir une information judiciaire officielle en application des articles 157 et 158 du Code. En revanche, s’il estime que l’ouverture d’une information judiciaire officielle n’est pas fondée en droit, le procureur doit en informer le requérant, qui a alors la capacité d’engager lui-même des poursuites en qualité de «poursuivant privé». Comme le procureur n’a pas rejeté officiellement sa plainte, le requérant conclut qu’il a été privé du droit d’engager personnellement des poursuites. Le Code de procédure pénale ne fixant pas de délai au procureur pour décider s’il y a lieu de demander l’ouverture d’une information judiciaire officielle, cette disposition peut ne pas être respectée.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme qu’il a épuisé tous les recours internes qui lui étaient ouverts au pénal, du fait qu’il a déposé une plainte auprès du bureau du procureur. D’après lui, les recours civils ou administratifs ne lui permettraient pas d’obtenir une réparation suffisante en l’espèce.

3.2Le requérant affirme que ses griefs de violations de la Convention doivent être examinés dans le contexte des brutalités policières systématiques que les Roms et d’autres personnes subissent dans l’État partie, ainsi qu’au vu de la situation, globalement mauvaise, des droits de l’homme dans le pays. Il fait valoir que les mauvais traitements qu’on lui a infligés en vue de lui arracher des aveux, ou pour l’intimider ou le punir, constituent une violation du paragraphe 1 de l’article 2 de la Convention, lu conjointement avec l’article premier, et du paragraphe 1 de l’article 16.

3.3Le requérant affirme être également victime d’une violation de l’article 12, lu séparément ou conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention, étant donné que plus de trois ans et demi après les faits en cause et près de 34 mois après qu’il eut déposé une plainte auprès du bureau du procureur, les autorités de l’État partie n’avaient toujours pas procédé à une enquête officielle, ce qui a motivé la présente requête. À l’heure actuelle, le policier incriminé n’a toujours pas été identifié et il est donc impossible d’ouvrir une information judiciaire officielle. Comme le bureau du procureur n’a pas rejeté officiellement sa plainte, le requérant ne peut pas engager lui-même des poursuites en qualité de «procureur privé». Il fait valoir en outre qu’en Serbie-et-Monténégro les procureurs n’engagent que rarement des poursuites pénales contre des policiers accusés de faute et tardent à rejeter les plaintes en laissant parfois s’écouler des années, empêchant ainsi la partie lésée d’engager personnellement des poursuites.

3.4Le requérant affirme être aussi victime d’une violation de l’article 13, lu séparément ou conjointement avec l’article 16 de la Convention, car 54 mois après les faits et près de 34 mois après le dépôt de sa plainte, il n’a reçu aucune réparation pour le préjudice subi, bien qu’il ait épuisé tous les recours internes qui lui étaient ouverts au pénal. À l’heure actuelle, les autorités de l’État partie n’ont même pas encore identifié le policier en cause.

3.5Le requérant invoque en outre une violation de l’article 14, du fait qu’il s’est vu refuser l’accès à un recours au pénal, ce qui l’a empêché d’obtenir une indemnisation adéquate et équitable par le biais d’une procédure civile. Il explique que le droit interne prévoit deux procédures différentes pour demander réparation en cas d’infraction pénale: une action pénale, conformément à l’article 103 du Code de procédure pénale et/ou une action civile en réparation en vertu des articles 154 et 200 du Code des obligations. La première voie de recours n’était pas ouverte au requérant puisque des poursuites pénales n’avaient pas été engagées; quant à la seconde, il n’a pas pu l’exercer du fait que les tribunaux de l’État partie ont pour pratique de suspendre les actions civiles en réparation concernant des infractions pénales tant que la procédure pénale correspondante est en cours. Même si le requérant avait essayé de se prévaloir de cette voie de recours, il en aurait été empêché par le fait qu’il aurait dû donner le nom du défendeur, conformément aux articles 186 et 106 du Code de procédure pénale. Étant donné que le requérant ne connaît toujours pas l’identité du policier qu’il accuse d’avoir violé ses droits, il lui serait impossible d’engager une action civile.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond et commentaires du requérant

4.1Par une réponse datée du 14 janvier 2003, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et le fond de la requête. Il dément les affirmations du requérant et affirme que les policiers du Secrétariat aux affaires intérieures à Novi Sad ont essayé à trois reprises de remettre au requérant un courrier dans lequel ils l’invitaient à un entretien pour examiner la teneur de sa plainte. Comme le requérant était toujours absent de son domicile quand les policiers apportaient les courriers, ceux‑ci ont été remis à sa femme. Le requérant n’a pas pris contact avec le Secrétariat aux affaires intérieures.

4.2L’État partie soutient que le bureau du procureur municipal de Novi Sad a reçu le 2 octobre 1997 un rapport du Secrétariat aux affaires intérieures, dans lequel ce dernier confirmait qu’après vérification dans les registres, il avait établi que le requérant n’avait pas été conduit ni détenu dans un de ses locaux. Le Secrétariat aux affaires intérieures a confirmé cette information le 4 février 1999 en réponse à une demande adressée par le bureau du procureur municipal le 23 décembre 1998.

4.3Enfin, l’État partie avance que le requérant et deux autres personnes avaient commis 38 infractions en République tchèque, qui leur avaient valu d’être condamnés à 10 ans d’emprisonnement. Le tribunal municipal de Novi Sad a demandé que le requérant soit placé sur la liste des personnes recherchées, en vue de l’obliger à exécuter la peine d’emprisonnement noI.K. 265/97 du 5 mai 1998. L’État partie soutient qu’à la date du 25 septembre 2002 le requérant se trouvait toujours en République tchèque.

5.1Par une lettre datée du 25 novembre 2003, le requérant a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie. Selon lui, il ressort de ces observations qu’en raison de la condamnation pénale dont il a fait l’objet il n’aurait pas le droit de porter plainte pour brutalités policières, et que les autorités d’instruction, dans les circonstances de l’espèce, auraient fait tout ce qui était en leur pouvoir pour enquêter sur les faits et réparer le préjudice subi. Le requérant rappelle que les autorités n’ont interrogé personne à propos des faits et n’ont pas non plus tenu compte du certificat médical attestant les lésions qu’il présentait. Elles n’ont pas interrogé la sœur du requérant, qui avait soigné ce dernier après les faits, ni le médecin qui l’a examiné, ni les policiers qui étaient de service le jour en question, ni l’avocat du requérant. Les autorités n’ont pas davantage demandé à leurs homologues tchèques d’interroger le requérant dans le cadre de l’entraide judiciaire.

5.2Le requérant affirme que l’État partie non seulement n’a pas enquêté sur les faits, mais en outre n’a pas donné au Comité d’arguments plausibles pour expliquer comment les lésions présentées par la victime auraient pu être causées autrement que par des policiers. Le requérant estime qu’en ne contestant pas les faits ou les arguments que lui-même a fait valoir, l’État partie a en fait reconnu tacitement les uns et les autres.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’avait pas été et n’était pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, le Comité a pris note des renseignements fournis par le requérant sur la plainte au pénal qu’il a déposée auprès du procureur. Le Comité estime que les obstacles procéduraux insurmontables rencontrés par le requérant par suite de l’inaction des autorités compétentes ont rendu fort improbable l’exercice d’un recours susceptible de lui apporter une réparation utile. En l’absence de renseignements utiles de la part de l’État partie, le Comité conclut qu’en tout état de cause, les procédures internes, si tant est qu’il y en ait eu, ont excédé des délais raisonnables. Au regard de l’article 22, paragraphe 4, de la Convention et de l’article 107 de son règlement intérieur, le Comité ne voit pas d’autre obstacle à la recevabilité de la requête. Par conséquent, il la déclare recevable et procède à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Le requérant soutient que l’État partie a violé le paragraphe 1 de l’article 2, lu conjointement avec l’article premier, et le paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention. Le Comité prend note de la description par le requérant des traitements qu’il a subis en détention, qui peuvent être caractérisés comme des douleurs et souffrances aiguës infligées intentionnellement par des fonctionnaires dans le cadre d’une enquête pénale, ainsi que de la déclaration de sa sœur et du rapport médical. Le Comité note aussi que l’État partie n’a pas suffisamment tenu compte de cette plainte ni répondu aux allégations du requérant. Dans ces conditions, le Comité conclut qu’il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations du requérant et que les faits, tels qu’ils sont exposés, constituent des actes de torture au sens de l’article premier de la Convention.

7.2En ce qui concerne le grief de violation des articles 12 et 13 de la Convention, le Comité note que le procureur n’a demandé au juge d’instruction d’ouvrir une enquête préliminaire que 34 mois après le dépôt de la plainte pénale, le 7 novembre 1996, et que l’État partie n’a pris aucune autre mesure pour enquêter sur les affirmations du requérant. L’État partie n’a pas contesté cette plainte. Le Comité relève également qu’en n’informant pas le requérant des conclusions d’une éventuelle enquête le concernant, l’État partie a effectivement privé le requérant de la possibilité de saisir lui-même un juge en qualité de «procureur privé». Dans ces circonstances, le Comité estime que l’État partie ne s’est pas acquitté de l’obligation que lui impose l’article 12 de la Convention de procéder immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis. L’État partie a manqué de même à l’obligation que lui impose l’article 13 d’assurer au requérant le droit de porter plainte devant les autorités compétentes, qui doivent procéder immédiatement et impartialement à l’examen de sa cause.

7.3En ce qui concerne le grief de violation de l’article 14 de la Convention, le Comité note l’argument du requérant qui affirme qu’en l’absence de poursuites pénales, il a été empêché d’engager une action civile en réparation. Étant donné que l’État partie n’a pas contesté cette allégation et vu le temps qui s’est écoulé depuis que le requérant a engagé une procédure au niveau national, le Comité conclut qu’en l’espèce, l’État partie a aussi manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 14 de la Convention.

8.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, est d’avis que les faits dont il a été saisi font apparaître une violation de l’article 2, paragraphe 1, lu conjointement avec l’article premier et les articles 12 et 13, et de l’article 14 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

9.Le Comité invite instamment l’État partie à procéder à une enquête en bonne et due forme sur les faits allégués par le requérant et le prie, conformément au paragraphe 5 de l’article 112 de son règlement intérieur, de l’informer, dans un délai de 90 jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises pour donner suite aux constatations ci‑dessus.

Notes

Communication n o 194/2001

Présentée par:I. S. D.(représentée par un conseil, M. Didier Rouget)

Au nom de:Le requérant

État partie:France

Date de la requête:8 août 2001

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 3 mai 2005,

Ayant achevé l’examen de la requête no 194/2001 présentée par Mme I. S. D. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par la requérante, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.La requérante est I. S. D., née le 6 novembre 1972, ressortissante basque de nationalité espagnole qui se trouve actuellement détenue à la prison d’Ávila II (Espagne). Elle est représentée par un conseil. La requérante s’est adressée au Comité le 8 août 2001 en se déclarant victime de violations par la France de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, du fait de son expulsion vers l’Espagne.

Rappel des faits présentés par la requérante

2.1La requérante déclare qu’en 1997, craignant d’être arrêtée et torturée par les forces de sécurité espagnoles, elle s’est réfugiée en France. En novembre 1997, elle a été arrêtée par la police française, qui l’a présentée au juge d’instruction de la section antiterroriste du parquet de Paris. Plus tard, elle a été inculpée pour détention de faux documents administratifs et participation à une association de malfaiteurs, et immédiatement emprisonnée.

2.2Le 12 février 1999, la requérante a été condamnée, pour les délits susvisés, à trois ans d’emprisonnement dont un an avec sursis. Elle a fait appel de cette condamnation devant la cour d’appel de Paris.

2.3Le 31 août 1999, le Ministre de l’intérieur a pris à son encontre un arrêté d’expulsion du territoire français en urgence absolue, qui ne lui a pas été immédiatement notifié.

2.4Le 12 octobre 1999, la cour d’appel de Paris a condamné définitivement la requérante pour les faits qui lui étaient reprochés à trois ans d’emprisonnement dont un avec sursis, et à cinq ans d’interdiction du territoire français.

2.5La libération de la requérante était prévue le 28 octobre 1999. Celle‑ci signale que, craignant de faire l’objet de tortures de la part des forces de sécurité espagnoles et afin de ne pas être expulsée vers l’Espagne, elle a entamé le 28 septembre 1999 une grève de la faim. Elle précise que, du fait de son très mauvais état de santé consécutif à sa longue grève de la faim, elle ne pesait plus que 39 kilogrammes et qu’en conséquence elle a été conduite à l’hôpital de la prison de Fresnes.

2.6Le 28 octobre 1999, jour de la libération de la requérante, les agents de la police française lui ont notifié à 6 heures du matin l’arrêté d’expulsion pris le 31 août 1999 par le Ministre de l’intérieur, ainsi qu’une deuxième décision prise le 27 octobre 1999 par le préfet du Val de Marne, fixant l’Espagne comme pays de destination. La requérante a été immédiatement conduite en ambulance, par la police française, de la prison de Fresnes au poste frontière franco‑espagnol de La Junquera, pour être expulsée vers l’Espagne où elle a été conduite à l’hôpital de Bellvitge à Barcelone.

2.7La requérante soutient qu’elle a été arrêtée par la Guardia Civil espagnole à son domicile à Hernani (Guipúzcoa) le 30 mars 2001, et que le lendemain, au cours de sa garde à vue, elle a été transférée d’urgence à l’hôpital San Carlos de Madrid, où elle est restée jusqu’à 19 heures, à cause des tortures qui lui avaient été infligées: des coups, la «bolsa», des attouchements et des électrodes placées sur le corps. Elle ajoute qu’elle a été soumise à 16 heures d’interrogatoire et à des violences continues, et maintenue en garde à vue sans contact avec son avocat et sa famille pendant plus de cinq jours avant d’être présentée à un juge.

2.8La requérante allègue que ce même jour, le 31 mars 2001, devant un magistrat instructeur et un avocat commis d’office, elle a dû faire une déclaration que les gardes civils l’ont obligée à apprendre par cœur sous peine de tortures supplémentaires.

2.9La requérante indique que, le 4 avril 2001, devant un juge de l’Audiencia Nacional, elle a refusé de faire sa déclaration et a dénoncé les tortures qu’elle aurait subies. L’ordre d’incarcération est arrivé ensuite et elle a été emmenée à la prison de Soto del Real. Après son incarcération, la requérante a été accusée d’avoir participé à plusieurs attentats.

2.10Concernant l’obligation d’épuiser les recours internes prévus dans le système juridique français, la requérante affirme qu’elle n’a pas pu former un recours utile devant les juridictions françaises contre l’arrêté d’expulsion du 31 août 1999 et la décision du 27 octobre 1999, car ceux-ci lui ont été notifiés le 28 octobre 1999, c’est‑à‑dire le jour de sa libération. Elle déclare que, privée de tout contact avec son conseil, elle a été immédiatement conduite jusqu’au poste frontière de La Junquera pour être expulsée vers l’Espagne, et n’a donc pas pu former un recours utile contre des mesures déjà exécutées. Toutefois, son conseil a introduit un recours a posteriori, qui a été déposé le 23 décembre 1999 et jugé recevable par le tribunal le 27 décembre 1999, et est actuellement pendant devant la juridiction administrative qui n’a pas encore statué sur l’affaire.

2.11La requérante déclare que la même question n’a pas été soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3.1Selon la requérante, la France n’a pas respecté ses obligations en vertu de la Convention, puisqu’elle l’a expulsée vers l’Espagne alors qu’il existait des motifs sérieux de croire qu’elle risquait d’être soumise à la torture dans ce pays. Elle déclare que, d’une part, elle s’était réfugiée en France en 1997 par crainte de torture en Espagne et, d’autre part, elle a été condamnée par les autorités françaises pour son militantisme présumé au sein de l’organisation indépendantiste ETA, mais que, malgré les graves accusations portées contre elle, les autorités espagnoles n’avaient présenté aucune demande d’extradition la concernant. Elle ajoute que, du fait de son expulsion vers l’Espagne, elle n’aurait pas pu bénéficier d’une protection judiciaire.

3.2La requérante affirme qu’il s’est agi d’une «extradition déguisée», car la France connaissait parfaitement les risques qu’elle encourait en territoire espagnol, et ce d’autant plus que ces risques avaient été signalés par certaines personnalités et certains organes internationaux, ainsi que par plusieurs organisations non gouvernementales (ONG).

3.3La requérante allègue que la France a violé les dispositions du paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, dans la mesure où la torture continue d’être pratiquée en Espagne, circonstance dont un État partie à la Convention doit tenir compte lorsqu’il décide d’une expulsion.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une réponse datée du 6 mars 2002, l’État partie conteste la recevabilité de la requête en raison du défaut d’épuisement des voies de recours internes. Il considère qu’en l’espèce le recours contre l’arrêté d’expulsion est toujours pendant devant le tribunal administratif de Paris, et que l’intéressée s’est abstenue de former un recours contre la décision fixant l’Espagne comme pays de destination. Or ce recours aurait permis à la juridiction administrative compétente de vérifier la conformité de cette décision avec les obligations internationales de la France, en particulier avec l’article 3 de la Convention.

4.2L’État partie précise que ce recours aurait pu être introduit dès la notification de la décision, dans laquelle des indications étaient données sur les voies et délais de recours. De surcroît, ce recours aurait pu être accompagné d’une demande de sursis à exécution et d’une demande de suspension provisoire de l’exécution de la décision, présentée conformément à l’article L.10 du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel alors en vigueur.

4.3L’État partie relève que, dans sa décision du 9 novembre 1999 concernant l’affaire Josu Arkauz Arana c. France, le Comité avait conclu que la requête était recevable au motif qu’«un éventuel recours contre l’arrêté d’expulsion pris à l’égard du requérant ... ne s’avérait ni efficace ni même possible étant donné qu’il n’aurait pas d’effet suspensif et que la mesure d’expulsion a été exécutée immédiatement après la notification sans que l’intéressé ait eu le temps d’introduire un recours … en conséquence, le Comité contre la torture a décidé … que la requête était recevable». L’État partie invite néanmoins le Comité à bien vouloir réexaminer sa position à la lumière des considérations ci‑après: la possibilité d’exécuter d’office des mesures d’expulsion prises pour un motif d’ordre public est prévue par l’article 26 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945. Cette ordonnance répond à la nécessité d’assurer effectivement et sans délai l’éloignement d’étrangers dont la présence sur le territoire national constitue une grave menace pour l’ordre public, dans la mesure où leur maintien en liberté sur ce même territoire ne pourrait que conduire au renouvellement de leurs activités dangereuses pour l’ordre public. La loi française ouvre cependant au juge administratif la faculté de prononcer le sursis à exécution des mesures d’éloignement ou d’ordonner la suspension provisoire de leur exécution.

4.4L’État partie précise que, par ailleurs, la loi du 30 juin 2000, entrée en vigueur le 1er janvier 2001, a accru les pouvoirs du juge des référés en prévoyant notamment la suspension des mesures portant atteinte à une liberté fondamentale, le juge statuant dans un délai de 48 heures à compter de l’introduction de la requête.

Commentaires de la requérante sur les observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires sur la réponse de l’État partie, la requérante rappelle qu’en ce qui concerne les voies de recours internes ce n’est que le 28 octobre 1999, à 6 heures du matin, que les autorités lui ont notifié le contenu de l’arrêté d’expulsion pris le 31 août 1999 par le Ministre de l’intérieur. Les autorités françaises l’auraient volontairement tenue dans l’ignorance de cet arrêté, qui avait été pris à son encontre deux mois auparavant. En même temps, les policiers lui ont notifié la décision du préfet du Val de Marne, fixant l’Espagne comme pays de destination.

5.2La requérante ajoute que, détenue à la prison de Fresnes, coupée de tout contact avec sa famille et avec son conseil, elle se trouvait dans l’impossibilité absolue de les prévenir de son expulsion imminente. Elle a donc été matériellement empêchée par les autorités françaises de former un recours contre l’arrêté d’expulsion et la décision du préfet. De même, il lui était matériellement impossible, à 6 heures du matin, de demander au juge administratif le sursis à exécution ou la suspension provisoire de ces deux décisions. De plus, à cet égard, le Gouvernement français fait référence à la loi du 30 juin 2000 qui, au moment des faits, n’était pas en vigueur.

5.3La requérante fait valoir que les recours devant les juridictions internes ne peuvent être considérés comme utiles, efficaces et disponibles, et qu’ils ne peuvent donner satisfaction au particulier qui est victime d’une violation de l’article 3 de la Convention puisqu’ils ne peuvent empêcher l’expulsion de l’intéressé vers le pays où il risque d’être soumis à la torture. La requérante relève qu’en vertu de l’article 22, paragraphe 5 b), de la Convention, la règle de l’épuisement des recours internes ne s’applique pas. Elle ajoute que les procédures de recours internes excèdent des délais raisonnables, alors que les décisions judiciaires sont exécutées immédiatement après leur notification à l’intéressé.

5.4La requérante fait observer à cet égard que sa requête présente de grandes similitudes avec l’affaire Arana, dans laquelle il a été noté que les recours pouvant être introduits devant les juridictions internes ne peuvent être considérés comme disponibles, utiles et efficaces dans la mesure où il ne s’agit pas de recours susceptibles de donner satisfaction au particulier qui est victime d’une violation de l’article 3 de la Convention, puisqu’ils ne peuvent empêcher l’expulsion de l’intéressé vers le pays où il risque d’être torturé. Ainsi, elle n’a pas pu former un recours utile devant les juridictions françaises contre des mesures qui avaient déjà été exécutées, ou demander au juge administratif de surseoir à leur exécution ou de les suspendre.

5.5Enfin, la requérante soutient que, dans son cas, la règle de l’épuisement des recours internes ne s’applique pas car les procédures de recours internes excèdent des délais raisonnables alors que les décisions judiciaires sont exécutées immédiatement après leur notification à l’intéressé.

Décision du Comité concernant la recevabilité

6.1À sa vingt-neuvième session, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la requête. Il s’est assuré que la même question n’avait pas été et n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, le Comité a noté qu’il était impossible pour la requérante de disposer d’un recours utile et efficace contre l’arrêté d’expulsion et la décision fixant l’Espagne comme pays de destination, étant donné l’absence de délai pour agir entre la notification des arrêtés et l’exécution de la mesure d’expulsion. Le Comité a estimé que le critère suivi dans l’affaire Arkauz Arana s’appliquait dans le cas d’espèce puisqu’un éventuel recours contre l’arrêté ministériel d’expulsion pris contre la requérante le 31 août 1999 mais notifié le jour même de son expulsion, en même temps d’ailleurs que celui indiquant le pays de destination, ne s’avérait ni efficace ni même possible, étant donné que la mesure d’expulsion a été exécutée immédiatement après la notification, sans que l’intéressée ait eu le temps d’introduire un recours. Le Comité a donc considéré que le paragraphe 5 b) de l’article 22 n’empêchait pas de déclarer la requête recevable.

6.2En conséquence, le Comité contre la torture a décidé, le 20 novembre 2002, que la requête était recevable.

Observations de l’État partie sur le fond

7.1Dans ses observations du 22 octobre 2003, l’État partie note que, conformément à la décision concernant la recevabilité adoptée dans l’affaire Arana, la question qui se pose au Comité en l’espèce n’est pas de savoir si la requérante a effectivement été victime en mars 2001 d’actes contraires à l’article 3, mais si, à la date de l’exécution de la mesure d’éloignement, les autorités françaises pouvaient considérer que l’intéressée serait exposée à des risques réels en cas de retour en Espagne. Or une telle conclusion ne pouvait être tirée de l’examen de la situation de l’intéressée.

7.2L’État ajoute qu’il n’y a aucune raison d’exclure par principe le renvoi vers l’Espagne des membres de l’ETA. En effet, il n’existe pas en Espagne «un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives» au sens de l’article 3, paragraphe 2, de la Convention. L’Espagne mène une politique de prévention du terrorisme et de répression contre les actions terroristes menées par l’ETA, qui est parfaitement légitime dès lors que les mesures prises à ce titre le sont dans le respect des garanties fondamentales. L’État partie rappelle que l’Espagne est un État de droit, ayant souscrit aux engagements internationaux en matière de droits de l’homme et où le respect des libertés individuelles est assuré notamment par l’indépendance donnée au pouvoir judiciaire. L’État partie se réfère en outre à une décision du 12 juin 1998 rendue par la Commission européenne des droits de l’homme dans une affaire concernant la France, dans laquelle la Commission avait exclu que le seul fait de l’appartenance à l’ETA ne saurait suffire à constituer un risque sérieux d’être exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention en cas de renvoi en Espagne.

7.3L’État partie signale qu’aucun élément tiré de l’examen de la situation individuelle de la requérante ne permettait de penser qu’elle serait exposée à des risques sérieux de torture ou de mauvais traitements au sens de l’article 3 de la Convention si elle était renvoyée en Espagne. En outre, il note que la requérante n’a pas sollicité le statut de réfugié auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la délivrance d’un permis de séjour au titre de l’asile territorial. Ainsi, n’effectuant pas ces démarches, l’intéressée n’a pas fait connaître les risques personnels auxquels elle prétend aujourd’hui avoir été exposée. Par ailleurs, pendant sa détention, elle n’a pas entrepris de démarches pour être admise dans un autre pays, alors qu’elle n’ignorait pas qu’elle était sous le coup d’une décision judiciaire d’interdiction du territoire et qu’elle risquait dès sa sortie de prison d’être renvoyée en Espagne. La requérante ne faisait l’objet d’aucun mandat d’arrêt, national ou international, ni d’aucune demande d’extradition. Aucun rapprochement ne peut donc être fait avec la décision rendue par le Comité dans l’affaire Arana. Il a été démontré que, lors de son arrivée en Espagne, la requérante n’a pas été remise à des services de police comme elle le prétend, mais a retrouvé la liberté auprès de sa famille. Selon les articles de journaux espagnols, aucune poursuite n’était à l’époque en cours contre elle en Espagne, ce qui explique qu’elle ait été laissée en liberté. La requérante n’a été arrêtée par la Guardia Civil espagnole que le 30 mars 2001, soit 17 mois après son retour en Espagne. Durant toute cette période, pendant laquelle elle est restée en Espagne, elle a ouvertement mené une activité politique en faveur de la cause basque, plutôt que de chercher à se cacher afin d’échapper «aux risques graves» de torture dont elle fait état. La requérante se borne à alléguer avoir fait l’objet d’une surveillance policière. Elle ne prétend pas avoir été assignée à résidence ou empêchée de quitter l’Espagne. Ainsi, l’État partie note qu’il est difficilement compréhensible que la requérante soit restée sur le territoire espagnol volontairement durant plus d’un an et demi en menant une action politique probasque.

7.4L’État partie souligne l’absence de tout lien entre l’expulsion de la requérante du territoire français et son arrestation plus d’un an et demi plus tard par les autorités espagnoles, l’intéressée étant restée de sa propre volonté en Espagne. Son état de faiblesse au cours de la période suivant immédiatement son retour ne saurait suffire à expliquer ce délai entre la date d’expulsion et la date d’arrestation, ni son séjour prolongé en Espagne.

7.5L’État partie ajoute que l’on ne peut soutenir, comme le fait la requérante, que son renvoi avait pour objectif de permettre son interrogatoire par la police espagnole au sujet d’événements antérieurs à sa fuite en France en 1997 et à son retour en Espagne fin 1999.

7.6Vu la nature des faits dans lesquels, selon la presse, elle aurait pu être impliquée − une vingtaine d’attentats, dont certains mortels −, les autorités espagnoles n’auraient pas attendu 17 mois pour l’interroger sur de tels dossiers si son implication avait pu être sérieusement envisagée. Par ailleurs, son état de faiblesse n’aurait pu faire retarder durant 17 mois son interrogatoire si celui-ci avait été à l’origine de son expulsion. Ainsi, l’État partie soutient qu’il est plus vraisemblable que son arrestation après un tel délai s’explique par des éléments nouveaux, postérieurs à son retour, et que la France ne pouvait prendre en compte à la date à laquelle la mesure d’éloignement a été mise à exécution. Il ressort également d’articles de presse que l’appartenance de la requérante au commando «Ibarra» n’était pas connue à la date de son expulsion, et que l’intéressée a été arrêtée en mars 2001 immédiatement après avoir été mise en cause par un autre membre de l’ETA. L’État partie affirme qu’il ne pouvait avoir connaissance de ces faits à l’époque où la décision d’expulsion a été exécutée.

7.7Pour toutes ces raisons, la méconnaissance des dispositions de l’article 3 de la Convention ne saurait être tenue pour établie.

Commentaires de la requérante

8.1Par lettre datée du 31 décembre 2003, la requérante soutient que, dans de très nombreux pays considérés par la communauté internationale comme des États démocratiques, il existe des situations particulières qui favorisent la pratique de la torture. Il n’existe pas de présomption irréfragable que dans les États de l’Union européenne la torture ne peut pas exister.

8.2La requérante rappelle le libellé de l’article 2 de la Convention selon lequel «aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture». Elle fait observer que de façon périodique et réitérée, tous les organes internationaux de protection des droits de l’homme ont constaté la persistance de tortures et de mauvais traitements infligés par des membres des forces de sécurité espagnoles à des personnes soupçonnées d’avoir commis des actes de terrorisme. Ces mêmes organes ont constaté que le mécanisme de détention au secret des personnes gardées à vue en Espagne, dans le cadre de la législation antiterroriste, favorisait la pratique de la torture. Il apparaît qu’à plusieurs reprises des fonctionnaires reconnus coupables d’actes de torture ont été graciés par le Gouvernement espagnol, ce qui a créé un climat d’impunité et favorisé par conséquent la pratique de la torture. La requérante ajoute que toutes ces constatations sont corroborées par des ONG et contredisent la présomption avancée par le Gouvernement français selon laquelle la torture n’existe pas en Espagne.

8.3La requérante réitère qu’avant son expulsion elle avait informé les autorités françaises de son refus d’être expulsée vers l’Espagne. Et, à ce titre, elle avait fait une longue grève de la faim. Les autorités françaises ont dû la transférer en ambulance et sous assistance médicale du fait de la dégradation de son état de santé. De nombreuses ONG et personnalités sont intervenues auprès du Gouvernement français en vue d’empêcher son expulsion vers l’Espagne, en vain.

8.4La requérante se réfère aux recommandations du Comité contre la torture suite à l’examen du second rapport périodique présenté par la France le 6 mai 1998, selon lesquelles l’État partie se devait d’être plus attentif aux dispositions de l’article 3 de la Convention qui s’appliquent indistinctement à l’expulsion, au refoulement et à l’extradition.

8.5La requérante signale que si elle n’a pas été arrêtée dès son arrivée en Espagne ni interrogée par les forces de sécurité, c’est en raison de son très mauvais état de santé suite à 31 jours de grève de la faim. Elle fait valoir qu’il appartient à l’État partie de prendre toutes les dispositions pour s’assurer qu’une personne ne sera pas soumise à la torture. En outre, elle rappelle que par une lettre du 11 janvier 2000, en réponse à un courrier d’un député européen, la Ministre française de la justice avait affirmé qu’il existait une présomption que les traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ne se produiraient pas en Espagne. Ainsi, la Ministre française de la justice s’était officiellement engagée à ce que la requérante ne soit pas soumise à de mauvais traitements en Espagne. Cela l’avait incitée à ne pas se cacher ou fuir, pensant à tort qu’elle ne ferait pas l’objet de mauvais traitements. Cependant, en mars 2001, les autorités espagnoles ont ordonné son arrestation et son placement en garde à vue, durant laquelle elle a subi de mauvais traitements. Ainsi, l’engagement pris par la France que la requérante ne serait pas torturée n’a pas été respecté. Il existe un lien direct entre son expulsion par la France vers l’Espagne et les tortures qu’elle a subies en Espagne.

8.6Enfin, la requérante fait référence aux constatations du Comité concernant l’affaire T. P. S. c. Canada, selon lesquelles la matérialisation des craintes du requérant, et notamment le fait que celui-ci eut effectivement fait l’objet de tortures après son expulsion vers un pays où il craignait de subir de tels mauvais traitements, constituait un élément qui permettait d’apprécier le sérieux des allégations du requérant. Ainsi, selon la requérante, la matérialisation de ses craintes permet de conclure que ses allégations de risque personnel d’être soumise à la torture si elle était expulsée vers l’Espagne étaient fondées sur des indices sérieux, avérés et crédibles. L’expulsion de la requérante par l’État partie vers l’Espagne constitue, dès lors, une violation de l’article 3 de la Convention.

Délibérations du Comité

9.1Le Comité doit se prononcer sur le point de savoir si l’expulsion de la requérante vers l’Espagne constitue une violation de l’obligation qui incombe à l’État partie, en vertu du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention, de ne pas expulser ni refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. Pour ce faire, le Comité doit tenir compte de toutes les considérations pertinentes en vue de déterminer si l’intéressé courait un risque personnel.

Le Comité doit déterminer si l’expulsion de la requérante vers l’Espagne a constitué un manquement à l’obligation qui est faite à l’État partie en vertu de cet article de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il existe des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture. Pour ce faire, le Comité doit, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, tenir compte de toutes les circonstances, y compris l’existence, dans l’État où l’individu en question serait renvoyé, d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme, permettant de déterminer s’il courait un risque personnel. Le Comité rappelle toutefois qu’il s’agit de déterminer si l’intéressé courrait personnellement le risque d’être soumis à la torture dans le pays dans lequel il retournerait. C’est pourquoi l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, ne constitue pas, en tant que tel, un motif suffisant pour conclure qu’une personne risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des éléments supplémentaires pour établir qu’elle courrait personnellement un risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture eu égard aux circonstances particulières de l’affaire.

La question qui se pose donc au Comité est de savoir si, à la date de l’exécution de la mesure d’éloignement, les autorités françaises pouvaient considérer que la requérante serait exposée à des risques réels en cas d’expulsion. À cette fin, le Comité examine l’ensemble des faits présentés par la requérante et par l’État partie. Il ressort de cet examen que la requérante n’a pas apporté la preuve qu’au moment où elle a été expulsée vers l’Espagne, il existait des motifs sérieux de croire qu’elle courait un risque personnel d’être soumise à la torture dans ce pays. La requérante n’a pas suffisamment étayé ses allégations en ce sens, dans la mesure où les actes de torture auxquels elle prétend avoir été soumise ont eu lieu 17 mois après son expulsion par l’État partie.

Dans une affaire d’expulsion, la torture ne constitue pas à elle seule nécessairement une violation de l’article 3 de la Convention mais c’est une considération dont le Comité doit tenir compte. Il ressort des faits dont le Comité est saisi qu’à son retour en Espagne la requérante n’a pas été inquiétée et, après s’être rétablie, a milité activement en faveur de la cause politique qu’elle défend sans être obligée de se cacher ou de fuir. Dix-sept mois se sont écoulés avant les actes de torture qu’elle aurait subis. La requérante ne fournit pas d’explications convaincantes sur les raisons pour lesquelles le risque réel de torture auquel elle affirmait être exposée, du fait notamment qu’elle détenait des informations d’une importance capitale pour la sécurité de l’État espagnol, ne s’est pas immédiatement concrétisé. Elle n’a pas non plus soumis d’informations concernant des faits antérieurs à son expulsion du territoire français survenus en Espagne qui auraient pu amener le Comité à établir l’existence d’un risque certain. La requérante n’a pas apporté la preuve de l’existence d’un lien entre son expulsion et les faits qui se sont produits 17 mois plus tard.

9.5Constatant l’absence d’un lien de causalité entre l’expulsion de la requérante en 1999 et les actes de torture dont elle prétend avoir été victime en 2001, le Comité estime que l’on ne peut affirmer que l’État partie a violé les dispositions de l’article 3 de la Convention en mettant à exécution la mesure d’expulsion.

10.En conséquence, le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que l’expulsion de la requérante vers l’Espagne ne constitue pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Notes

Communication n o  195/2002

Présentée par:Mafhoud Brada (représenté par un conseil, M. de Linares, de la Fédération internationale de l’ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture))

Au nom de:Le requérant

État partie:France

Date de la requête:29 novembre 2001 (date de la lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 17 mai 2005,

Ayant achevé l’examen de la requête no 195/2002 présentée par M. Mafhoud Brada en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1Le requérant, M. Mafhoud Brada, de nationalité algérienne, résidait en France au moment de l’introduction de la présente requête et faisait l’objet d’un arrêté d’expulsion à destination de son pays d’origine. Il affirme que son rapatriement forcé vers l’Algérie constituerait une violation par la France de l’article 3 de la Convention contre la torture. Le requérant est représenté par la Fédération internationale de l’ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture), organisation non gouvernementale.

1.2Conformément au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention, le Comité a porté la requête à l’attention de l’État partie par une note verbale en date du 19 décembre 2001. Dans le même temps, le Comité, agissant en vertu du paragraphe 9 de l’article 108 de son règlement intérieur, a demandé à l’État partie de ne pas expulser le requérant vers l’Algérie tant que sa requête serait en cours d’examen. Le Comité a réitéré cette demande par note verbale datée du 26 septembre 2002.

1.3Par lettre du conseil du requérant du 21 octobre 2002, le Comité a été informé que le requérant avait été expulsé vers l’Algérie le 30 septembre 2002 par un vol à destination d’Alger et qu’il était porté disparu depuis son arrivée en Algérie.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant, pilote de chasse depuis 1993, appartenait à l’escadron algérien de défense aérienne, basé à Béchar en Algérie. À partir de 1994, cet escadron était régulièrement appelé en renfort d’actions menées par hélicoptère pour bombarder les zones de maquis islamistes dans la région de Sidi Bel Abbes. Les avions de chasse disposaient de bombes incendiaires. Le requérant et d’autres pilotes avaient conscience que l’utilisation de telles armes était prohibée. Après avoir constaté les résultats de ces armes sur le terrain grâce à des photos prises par des militaires du renseignement − images de cadavres d’hommes, de femmes, d’enfants et d’animaux − quelques pilotes ont commencé à douter du bien‑fondé de telles opérations.

2.2En avril 1994, le requérant et un autre pilote ont signifié, lors d’un briefing, leur refus de participer à des opérations de bombardement de la population civile, et ce malgré le risque de lourdes sanctions pénales à leur encontre. Un officier supérieur a alors brandi son arme de poing vers le collègue du requérant, lui signalant que le refus d’exécution de missions «signifiait la mort». Alors que les deux pilotes maintenaient leur refus d’obéissance, le même officier a chargé son arme et l’a braquée en direction du collègue du requérant. Ce dernier fut atteint mortellement alors qu’il tentait de s’échapper par une fenêtre. Le requérant, voulant fuir à son tour, a sauté par une autre fenêtre et s’est cassé la cheville. Il a alors été arrêté et transféré au centre d’interrogatoire de la direction régionale de la sécurité (troisième région militaire de Béchar). Le requérant a été détenu durant trois mois, interrogé régulièrement sur ses liens avec les islamistes et fréquemment torturé (bastonnades, brûlures de l’organe génital).

2.3Le requérant a finalement été relaxé en raison de l’inexistence de preuves de sympathie envers les islamistes et au vu du contenu positif des rapports sur ses états de service au sein de l’armée. Le requérant fut alors interdit de vol et assigné à la base aérienne de Béchar. Expliquant que régulièrement des militaires soupçonnés d’être proches ou sympathisants des islamistes «disparaissaient» ou étaient assassinés, le requérant s’est alors évadé de la base afin de se réfugier à Ain Defla, région de résidence de sa famille. Le requérant explique par ailleurs qu’il avait reçu des lettres de menaces de groupes islamistes, lui demandant de déserter sous peine d’être exécuté et avait transmis ses lettres de menace à la police.

2.4Plus tard, alors que le requérant aidait un ami à laver sa voiture, un véhicule s’est arrêté à leur hauteur et une rafale de mitraillette a été tirée dans leur direction. L’ami du requérant a été tué sur‑le‑champ, et ce dernier a eu la vie sauve car il était à l’intérieur de la voiture. L’officier de police du village a alors conseillé au requérant de partir immédiatement. Le 25 novembre 1994, le requérant parvenait à fuir son pays, arrivait à Marseille (France), et rejoignait un de ses frères à Orléans (Indre). En août 1995, le requérant avait présenté une demande d’asile, laquelle a été plus tard rejetée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Le requérant effectuant ses démarches en l’absence d’un conseil n’a pas été en mesure de déposer un recours auprès de la Commission des recours des réfugiés.

2.5Le requérant ajoute que, depuis son départ d’Algérie, ses deux frères ont été victimes d’arrestations et d’actes de torture. L’un d’eux est mort en garde à vue. En outre, depuis sa désertion, deux télégrammes du Ministère de la défense sont arrivés au domicile du requérant à Abadia, lui demandant de se présenter d’urgence au commandement des forces aériennes de Cheraga pour une «affaire le concernant». En 1998, le requérant a été condamné en France à huit années de réclusion pour des faits de viol commis en 1995. Cette peine fut assortie d’une interdiction du territoire d’une durée de 10 ans. Suite à une remise de peine, le requérant était libéré le 29 août 2001.

2.6Entre‑temps, en date du 23 mai 2001, le préfet de l’Indre prenait à l’encontre du requérant un arrêté d’expulsion. Par une décision du même jour, il fixait l’Algérie comme pays de destination. Le 12 juillet 2001, le requérant a saisi le tribunal administratif de Limoges d’une requête contestant l’arrêté d’expulsion et la décision de renvoi vers son pays d’origine. Par ordonnance du 29 août 2001, le juge des référés du tribunal a ordonné la suspension de l’exécution de la décision fixant le pays de renvoi, considérant que les risques que représenterait un retour en Algérie pour la sécurité du requérant étaient de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision d’expulsion. Néanmoins, par jugement du 8 novembre 2001, le tribunal administratif a rejeté la demande en annulation de l’arrêté, y compris relativement au pays de renvoi.

2.7Le 4 janvier 2002, le requérant a interjeté appel de ce jugement devant la cour administrative d’appel de Bordeaux. Le requérant fait valoir à cet égard que ce recours n’est pas suspensif. Il se réfère également à une jurisprudence récente du Conseil d’État qui démontrerait la non‑efficacité des recours internes dans deux cas similaires. Dans ces affaires d’expulsion vers l’Algérie, le Conseil d’État a écarté les risques encourus pour les personnes concernées alors que par la suite les autorités algériennes ont exhumé une condamnation à mort par contumace. Le 30 septembre 2002, le requérant était expulsé vers l’Algérie par un vol à destination d’Alger et serait porté disparu depuis lors.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur estime que son expulsion vers l’Algérie constituerait une violation par la France de l’article 3 de la Convention dans la mesure où il existe des risques réels qu’il soit soumis à la torture dans son pays d’origine en raison des faits évoqués plus haut.

3.2En outre, le requérant fait valoir, à l’appui de certificats médicaux, qu’il présente une pathologie grave au plan neuropsychiatrique nécessitant des soins permanents et dont l’interruption serait grave pour son état de santé. Ses médecins ont, en outre, estimé ces symptômes compatibles avec ses allégations de torture. De plus, le requérant présente des marques de torture sur le corps.

Observations de l’État partie sur la recevabilité de la requête

4.1Par une note verbale datée du 28 février 2002, l’État partie conteste la recevabilité de la requête.

4.2À titre principal, l’État partie soutient que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes au sens de l’article 22, paragraphe 5 de la Convention. En effet, à la date d’introduction de la requête devant le Comité, le recours interjeté devant la cour administrative d’appel de Bordeaux à l’encontre du jugement confirmant l’arrêté d’expulsion du requérant était toujours pendant. En outre, il n’existe aucun élément permettant d’établir que la procédure puisse excéder un délai raisonnable.

4.3Quant à l’argument du requérant selon lequel ce recours n’est pas suspensif de la mesure d’expulsion, l’État partie fait valoir que le requérant avait la possibilité d’introduire une requête en référé‑suspension de la mesure d’expulsion devant le juge des référés de la cour administrative d’appel. Le requérant avait d’ailleurs utilisé avec succès cette voie de recours devant le tribunal administratif de Limoges.

4.4À titre subsidiaire, l’État partie soutient que la requête présentée au Comité ne répond pas aux conditions de l’article 107, paragraphe 1 b) du règlement intérieur aux termes desquels «la communication doit être présentée par le plaignant lui‑même ou par des parents ou des représentants désignés ou par d’autres personnes au nom d’une prétendue victime lorsqu’il appert que celle‑ci est dans l’incapacité de présenter elle‑même la communication et que l’auteur de la communication peut justifier qu’il agit au nom de la victime». Or, il ne ressort pas des pièces du dossier que le requérant ait désigné la Fédération internationale de l’ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture) comme représentant, et il n’est nullement établi que le requérant soit dans l’incapacité de lui délivrer un tel mandat. Il convient donc de vérifier si le représentant apparent, signataire de la requête, a été valablement autorisé à agir au nom du requérant.

Commentaires du conseil

5.1Par une lettre du 21 octobre 2002, le conseil a formulé ses commentaires relativement aux observations de l’État partie sur la recevabilité de la requête.

5.2Relativement à l’épuisement des voies de recours internes, le conseil fait valoir que, conformément aux principes généraux du droit international, les voies de recours internes qui doivent être épuisées sont celles qui sont efficaces, adéquates ou suffisantes, c’est‑à‑dire qui offrent une chance sérieuse d’apporter un remède effectif à la violation alléguée. En l’espèce, le recours en annulation introduit devant la cour administrative d’appel de Bordeaux était toujours pendant. Cette procédure n’étant pas suspensive, l’arrêté d’expulsion pris à l’encontre du requérant a été mis à exécution le 30 septembre 2002. Les recours internes se sont donc révélés inefficaces et inadéquats.

5.3En outre, se trouvant sous la protection du Comité par la demande faite à l’État partie de ne pas renvoyer le requérant vers l’Algérie durant l’examen de sa requête, ce dernier n’a pas jugé utile de multiplier les procédures internes, et notamment un référé‑suspension.

5.4En tout état de cause, l’exécution de l’arrêté d’expulsion en dépit de la pertinence des arguments développés durant la procédure devant la cour administrative d’appel de Bordeaux a eu pour effet de rendre ce recours ineffectif. Même si la cour faisait désormais droit à la demande d’annulation du requérant, il est illusoire de penser que l’Algérie renverrait ce dernier vers la France.

5.5Eu égard au grief de non‑respect de l’article 107, paragraphe 1, du règlement intérieur du Comité, le conseil renvoie à une attestation signée par le requérant de sa main le 29 novembre 2001 et permettant à la Fédération internationale de l’ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture) d’agir en son nom auprès du Comité.

Évaluation faite par le Comité dans sa décision sur la recevabilité de l’inobservation par l’État partie de la demande de mesures provisoires de protection adressée par le Comité en application de l’article 108 de son règlement intérieur

6.1Le Comité fait observer que tout État partie qui fait la déclaration au titre de l’article 22 de la Convention reconnaît que le Comité contre la torture a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui se déclarent victimes de violations d’une des dispositions énoncées dans la Convention. En faisant cette déclaration, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité en lui donnant les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après l’examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et au requérant. En ne respectant pas la demande de mesures conservatoires qui lui est faite, l’État partie contrevient gravement aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 22 de la Convention parce qu’il empêche le Comité de mener à bonne fin l’examen de la requête faisant état d’une violation de la Convention et rend l’action du Comité sans objet et l’expression de ses constatations sans valeur.

6.2Le Comité conclut que l’adoption de mesures provisoires de protection en application de l’article 108 du règlement intérieur conformément à l’article 22 de la Convention est essentielle au rôle confié au Comité en vertu de cet article. Le non‑respect de cette disposition, en particulier par une action irréparable comme l’expulsion d’une victime alléguée, anéantit la protection des droits consacrés dans la Convention.

Décision du Comité concernant la recevabilité

7.1À sa trentième session, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la requête et, dans une décision du 29 avril 2003, l’a déclarée recevable.

7.2En ce qui concerne la qualité pour agir de la Fédération internationale de l’ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture), le Comité a constaté que l’attestation signée par le requérant en date du 29 novembre 2001 et permettant à ladite organisation d’agir en son nom auprès du Comité se trouvait dans le dossier qui lui avait été soumis et a considéré, à ce titre, que la requête répondait aux conditions des articles 98, paragraphe 2, et 107, paragraphe 1, de son règlement intérieur.

7.3Relativement à la question de l’épuisement des voies de recours internes, le Comité a noté qu’en date du 2 janvier 2002, le requérant avait introduit devant la cour administrative d’appel de Bordeaux un recours en annulation à l’encontre du jugement du tribunal administratif de Limoges confirmant l’arrêté d’expulsion et que ce recours n’était pas suspensif. Concernant l’argument de l’État partie selon lequel le requérant avait la possibilité d’introduire une requête en référé‑suspension devant le juge des référés de cette juridiction en vue de suspendre l’exécution de la mesure d’expulsion, mais ne l’avait pas utilisée, le Comité a noté que l’État partie n’avait pas indiqué que le requérant devait introduire cette requête en référé‑suspension dans un délai précis, ce qui impliquait que cette requête aurait pu être introduite en principe jusqu’au moment où la cour administrative d’appel statuait sur le bien‑fondé du recours en annulation.

7.4Le Comité a noté également que la requête n’était pas un abus du droit de présenter une communication et n’était pas incompatible avec les dispositions de la Convention.

7.5Le Comité a constaté également qu’après avoir présenté ses observations sur la recevabilité de la requête, l’État partie avait, le 30 septembre 2002, mis en œuvre la mesure d’expulsion du requérant vers l’Algérie.

7.6Dans les circonstances du cas présent, le Comité a estimé que c’est au moment où il examinait la recevabilité de la requête qu’il devait décider si les voies de recours internes étaient épuisées. Or, selon le Comité, il n’était pas contestable que, la mesure d’expulsion ayant été exécutée avant la décision de la cour administrative d’appel sur le recours en annulation, le requérant avait, à partir de son expulsion vers l’Algérie, été privé d’utiliser la possibilité qui lui était offerte d’introduire une requête en référé‑suspension.

7.7Le Comité a relevé que lorsqu’il demandait des mesures provisoires de protection, comme celles tendant à empêcher l’expulsion du requérant vers l’Algérie, c’est parce qu’il considérait qu’il existait un risque de préjudice irréparable. Dans de tels cas, un recours qui reste ouvert après que l’acte que les mesures conservatoires visent à empêcher s’est produit est par définition inutile car le préjudice irréparable ne peut pas être évité si le recours interne aboutit ensuite à une décision favorable au requérant. En pareil cas, il n’y a plus de recours utile à épuiser après que l’acte que la demande provisoire vise à empêcher s’est produit. Dans le cas d’espèce, le Comité a estimé qu’aucun recours approprié n’était ouvert au requérant maintenant qu’il avait été expulsé en Algérie même si les juridictions internes de l’État partie se prononçaient en sa faveur à l’issue des procédures qui étaient toujours en cours après l’extradition.

7.8En outre, d’après le Comité, dans le cas d’espèce, le fondement essentiel du recours en annulation avait pour but d’empêcher l’expulsion du requérant vers l’Algérie. Dans ce cas précis, le fait d’exécuter la mesure d’expulsion rendait le recours en annulation sans intérêt dès lors qu’il vidait de son sens l’effet qu’il tendait à accomplir. Il n’était en effet pas envisageable que, le cas échéant, le recours en annulation aboutissant en faveur du requérant, celui‑ci puisse être rapatrié en France. Dans les circonstances de l’espèce, selon le Comité, le recours en annulation était si intrinsèquement lié au but d’empêcher l’expulsion, et donc à une mesure de suspension de l’arrêté d’expulsion, qu’il ne pouvait être considéré comme une voie de recours efficace si la mesure d’expulsion était exécutée avant qu’il n’aboutisse.

7.9Dans cette mesure, le Comité a estimé que le renvoi du requérant vers l’Algérie, en dépit de la demande qui a été faite à l’État partie au titre de l’article 108 du règlement intérieur, et avant l’examen de la recevabilité de la requête, rendait sans objet les recours qui étaient ouverts au requérant en France et que la requête était dès lors recevable au sens de l’article 22, paragraphe 5, de la Convention.

Observations de l’État partie sur les mesures provisoires de protection et sur le fond de la communication

8.1Les 26 septembre et 21 octobre 2003, l’État partie a transmis ses observations.

8.2Relativement aux mesures provisoires (par. 6.1 et 6.2) et au fait que le Comité ait réaffirmé que «l’inobservation de la demande de mesures provisoires de protection adressée en application de l’article 108 du règlement intérieur, en particulier sous la forme d’une action irréparable comme l’est l’expulsion du requérant, anéantit la protection des droits consacrés dans la Convention», l’État partie fait part de son opposition ferme à une telle interprétation. D’après l’État partie, l’article 22 de la Convention n’attribue au Comité aucun pouvoir de prendre des mesures s’imposant aux États parties, ni dans le cadre de l’examen des communications qui lui sont présentées, ni même d’ailleurs à l’issue de cet examen, le paragraphe 7 de cet article prévoyant en effet seulement que le Comité «fait part de ses constatations à l’État partie intéressé et au particulier». Seul le règlement intérieur du Comité, dont les dispositions ne sauraient créer par elles‑mêmes des obligations à la charge des États parties, prévoit l’indication de telles mesures conservatoires. La seule inobservation d’une telle demande du Comité ne saurait donc en aucun cas être considérée, quelles que soient les circonstances, comme «anéantissant la protection des droits consacrés par la Convention» ou «rend(ant) l’action du Comité sans objet». L’État partie explique que dans le cadre d’une coopération de bonne foi avec le Comité, l’État partie, saisi d’une demande de mesures conservatoires, est seulement tenu d’examiner très attentivement cette demande et, dans la mesure du possible, de tenter de la mettre en œuvre. Il précise s’être jusqu’à présent toujours conformé aux demandes de mesures conservatoires, ce qui ne saurait être interprété comme traduisant la mise en œuvre d’une obligation juridique à cet égard.

8.3Sur le fond de la communication et les raisons de la mesure d’expulsion, l’État partie estime que la requête est dépourvue de fondement pour les raisons suivantes. Premièrement, le requérant n’a jamais établi, ni dans le cadre des procédures internes, ni à l’appui de sa communication, qu’il courait des risques sérieux au sens de l’article 3 de la Convention. L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle il appartient à celui qui prétend courir des risques en cas de renvoi vers un pays donné d’établir, au moins au‑delà d’un doute raisonnable, le caractère sérieux de ses craintes. Le Comité a également souligné «que pour que l’article 3 de la Convention soit applicable, la personne concernée doit courir un risque réel et prévisible d’être torturée dans le pays vers lequel elle est renvoyée et que le danger couru doit être personnel et actuel», l’invocation d’une situation générale ou de certains cas particuliers n’étant pas suffisante à cet égard. D’après l’État partie, en l’espèce, si le requérant se présente comme un pilote de chasse, officier de l’armée algérienne, ayant déserté pour des raisons d’ordre humanitaire, il n’apporte aucune preuve. Ainsi, pour établir qu’il serait déserteur, le requérant se borne à produire devant le Comité deux télégrammes de l’armée de l’air algérienne adressés au domicile de sa famille, lesquels sont extrêmement succincts, se bornant à lui demander de «(se) présenter aux commandements des forces aériennes de Béchar pour affaire (le) concernant», sans d’ailleurs aucun détail ni aucune mention de grade ou ancien grade. Or, selon l’État partie, il parait très difficilement crédible que le requérant n’ait pu produire aucun autre document de nature à soutenir les craintes dont il fait état.

8.4Deuxièmement, le requérant établirait‑il même qu’il était pilote de chasse et déserteur, son récit comporte diverses contradictions et invraisemblances ôtant tout sérieux aux craintes invoquées. En effet, il fait valoir en particulier que début mars lorsqu’il aurait refusé avec un autre pilote de participer à des opérations de bombardement de la population civile, il savait encourir de lourdes peines pour défaut d’obéissance, peines dont il relève qu’elles étaient aggravées pour les officiers et étaient celles prononcées en temps de guerre du fait de la situation en Algérie, parmi lesquelles figurait la peine de mort pour les officiers. Or, alors même que l’autre pilote aurait été abattu sur place pour ce même refus d’obéissance, le requérant aurait pour les mêmes faits été libéré après trois mois seulement de prison, la seule sanction à son égard après avoir été relaxé des soupçons de sympathie islamiste étant une interdiction de vol et l’assignation sur la base aérienne. De même, après sa désertion de la base aérienne pour s’enfuir dans le village de sa famille, le requérant aurait fait l’objet d’une tentative d’élimination par des tirs de mitraillette provenant d’une voiture des services de renseignements, son voisin étant abattu sur place, lui‑même en réchappant une fois de plus alors qu’il était la seule cible.

8.5Enfin, l’État partie estime que le comportement personnel du requérant lui‑même rend invraisemblables ses allégations. En effet, s’il allègue avoir déserté en 1994 pour des raisons humanitaires d’objection de conscience, cela selon lui en s’exposant consciemment à un risque de sanction très lourde, un tel souci humanitaire apparaît totalement contradictoire avec son comportement violent et délictueux dès son arrivée en France et par la suite. En effet, un an à peine après sa prétendue désertion pour motif d’objection de conscience, le requérant s’est rendu coupable de faits criminels de droit commun d’une particulière gravité, à savoir un viol aggravé, par la menace d’une arme et a fait preuve d’une dangerosité persistante pour la société lors de son incarcération pour ce crime à travers deux tentatives d’évasion avec violences.

8.6En tout état de cause, l’État partie soutient que les craintes alléguées par le requérant ne sont pas susceptibles d’être retenues comme des risques sérieux de tortures et traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 3 de la Convention. En effet, le requérant faisait valoir deux types de risques en cas de renvoi en Algérie, les uns résultant de sa désertion et consistant en l’application des sanctions du Code pénal militaire algérien prévues en ce cas, et les autres liés à la possibilité d’être dans le futur à nouveau accusé de sympathie envers les islamistes. L’État partie considère que les risques d’emprisonnement et autres sanctions pénales pour désertion ne sont pas susceptibles à eux seuls d’établir une violation de l’article 3 de la Convention puisqu’il ne s’agit là que de la répression légale d’un délit de droit commun considéré comme tel dans la majorité des États parties à la Convention. Il importe de relever que, si le requérant fait valoir que les peines encourues en cas de désertion peuvent dans des cas extrêmes aller jusqu’à la peine de mort, il ne prétend pas qu’il encourait lui‑même cette peine. De fait, selon l’État partie, il ne pouvait l’encourir: il résulte de son propre récit qu’il ne se serait agi que d’une désertion à titre individuel, en dehors des opérations de combat, après avoir été suspendu de vol et assigné à la base aérienne, alors qu’il résulte tant de ses écritures que des éléments de législation algérienne réunis par Amnesty International et produits en faveur du requérant que la peine de mort ne serait éventuellement applicable que dans le cas d’une désertion en groupe de la part d’officiers. En second lieu, si le requérant fait valoir qu’il aurait été soupçonné de sympathie avec les islamistes et soumis à la torture dans le cadre des interrogatoires qui auraient suivi ce refus d’obéissance, il résulte, selon l’État partie, de la jurisprudence du Comité que des faits de torture passés, dont il serait même établi qu’ils ont effectivement été infligés dans le cadre de faits entrant dans le champ de la Convention, ne suffisent pas en tout état de cause à établir l’existence de risques réels et actuels pour le futur. En l’espèce, l’État partie souligne qu’il résulte des écritures mêmes du requérant qu’il a été relaxé des accusations de sympathie envers les islamistes. En outre, l’État partie estime que le risque éventuel que le requérant soit l’objet de nouvelles accusations de sympathie envers les islamistes dans le futur ne parait pas sérieux au sens de l’article 3 de la Convention, ni crédible au regard de son propre récit. En effet, il résulte du récit du requérant que son dossier militaire aurait été tel que les autorités militaires l’avaient lavé de tout soupçon à cet égard et qu’il a été relaxé de ces accusations. Il est ensuite peu crédible d’imaginer qu’il aurait été libéré et assigné sur la base aérienne même si le moindre doute avait pu être conservé à cet égard par les autorités militaires. Pour l’avoir ainsi maintenu sur la base aérienne même, les autorités militaires s’étaient de toute évidence persuadées elles‑mêmes qu’aucun soupçon de sympathie envers le G.I.A. ne pouvait être retenu à son encontre. Sur ce point, l’État partie relève qu’aucun grief recevable devant le Comité n’aurait pu être tiré des allégations du requérant selon lesquelles il aurait ainsi reçu des menaces de mort de la part de groupes islamistes armés, de telles menaces émanant d’une entité non gouvernementale qui n’occupe pas le pays étant en tout état de cause étrangères au champ d’application de la Convention. De même, l’État partie relève que, si le requérant établit par des certificats médicaux souffrir d’une pathologie neuropsychiatrique, il n’établit pas que cette maladie, sur laquelle il ne donne aucune précision, ne pourrait être adéquatement traitée en Algérie.

8.7L’État partie soutient que les risques allégués par le requérant ont fait l’objet d’un examen approfondi et équitable dans le cadre des procédures internes. Il rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle il appartient aux tribunaux des États parties à la Convention et non au Comité d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que la manière dont ces faits et ces éléments de preuve ont été appréciés était manifestement arbitraire ou équivalait à un déni de justice. En effet, la question qui se pose devant le Comité est de savoir si le refoulement du requérant vers le territoire d’un autre État violait les obligations de la France en vertu de la Convention, ce qui signifie qu’il convient d’examiner si les autorités françaises, lorsqu’elles ont décidé d’exécuter la mesure d’éloignement prise à l’égard de l’intéressé, pouvaient raisonnablement considérer au vu des informations dont elles disposaient, qu’il serait exposé à des risques réels en cas de retour. En l’espèce, les risques allégués par le requérant en cas de renvoi dans son pays d’origine avaient fait l’objet en France de quatre examens successifs en six ans par trois autorités administratives différentes et une juridiction, qui toutes ont conclu à l’absence de caractère sérieux des risques allégués. En effet, par un jugement du 8 novembre 2001, le tribunal administratif de Limoges a rejeté la requête en annulation présentée le 16 juillet 2001 par le requérant contre l’arrêté d’expulsion du 21 mai 2001 et la décision fixant l’Algérie comme pays de destination, ouvrant la possibilité d’exécuter la mesure d’éloignement. Le tribunal a considéré que les allégations de l’intéressé n’étaient «assorties d’aucune justification». En outre, le requérant, qui a interjeté appel de ce jugement devant la cour administrative d’appel de Bordeaux le 4 janvier 2002 ne prétend pas devant le Comité que la manière dont les faits et éléments de preuve dont il s’est prévalu devant le tribunal administratif ont été appréciés par cette juridiction «aurait été manifestement arbitraire ou équivaudrait à un déni de justice». Auparavant, la demande du requérant tendant à obtenir le statut de réfugié politique auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) avait été rejetée le 23 août 1995 au motif qu’il n’avait pas apporté d’éléments suffisants de nature à établir qu’il se trouvait personnellement dans l’un des cas prévus par l’article premier A) 2) de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Le requérant s’était abstenu ensuite de saisir la Commission de recours des réfugiés (CRR), juridiction indépendante qui réexamine en fait et en droit les décisions de l’OFPRA, acquiesçant ainsi à la décision prise à cet égard. La situation du requérant avait encore été examinée par le Ministre de l’intérieur le 19 décembre 1997 dans le cadre de la circulaire du 24 juin 1997 relative à la régularisation du séjour de certaines catégories d’étrangers en situation irrégulière. Ce texte autorise les préfets à délivrer un titre de séjour aux personnes invoquant des risques en cas de retour dans leur pays d’origine. À nouveau, le requérant s’était borné à affirmer être un ex‑militaire ayant déserté l’armée algérienne et avoir été menacé par le G.I.A. Faute de précision, et en l’absence de toute justification de ses allégations, sa demande a été rejetée. Une fois encore, le requérant n’a pas contesté cette décision devant la juridiction interne compétente. Enfin avant de prendre une décision fixant l’Algérie comme pays de renvoi, le préfet de l’Indre avait procédé à un nouvel examen au regard des risques encourus en cas de retour dans ce pays.

8.8Ainsi, selon l’État partie, force est de constater que, à la date de l’exécution de la mesure d’expulsion, la situation du requérant avait été équitablement examinée sans qu’il n’établisse encourir des risques sérieux et actuels de torture ou traitements inhumains en cas de renvoi en Algérie. À l’appui de sa requête devant le Comité, l’État partie affirme que le requérant ne produit toujours pas d’éléments permettant de retenir l’existence de tels risques.

8.9Dans ces conditions, l’État partie était convaincu que le recours présenté par le requérant devant le Comité présentait un caractère purement dilatoire, abusant ainsi de la tradition de l’État partie, jusqu’à présent toujours respectée, de suspendre une mesure d’éloignement dans l’attente de la décision du Comité sur la recevabilité de la requête.

8.10L’État partie explique qu’en dépit de ce caractère dilatoire, le Gouvernement français se serait incliné devant la demande de mesures conservatoires du Comité, pourtant dépourvues de caractère contraignant, si le maintien sur le territoire français du requérant, criminel de droit commun à la dangerosité avérée, n’avait pas en outre présenté un risque particulièrement disproportionné pour l’ordre public et la sécurité des tiers au regard de l’absence de bénéfice effectif que le requérant pouvait espérer retirer de son recours. Or, il est constaté que le requérant s’est rendu coupable dès la première année de son séjour en France d’un viol aggravé, commis sous la menace d’une arme, crime pour lequel il a été incarcéré dès juillet 1995 et condamné par la cour d’assises du Loiret à une peine de huit années de réclusion assortie d’une interdiction judiciaire du territoire d’une durée de 10 ans. Il a, en outre, démontré le caractère ancré et persistant de sa dangerosité pour l’ordre public par deux tentatives violentes d’évasion durant son incarcération, en septembre 1995 et juillet 1997, qui l’une et l’autre ont été sanctionnées par des peines d’emprisonnement de huit mois. Dans cette situation gravement préjudiciable pour la sécurité publique, l’État partie explique avoir néanmoins retardé l’exécution de la mesure d’expulsion le temps de procéder à un dernier examen de la situation du requérant pour apprécier la possibilité de le maintenir sur le sol français comme le souhaitait le Comité. Or, il a été retenu, une fois de plus, qu’il n’établissait pas le caractère sérieux des craintes alléguées et que, dans ces conditions, rien ne pouvait justifier de maintenir plus longtemps sur le territoire français une personne qui avait largement fait preuve de sa dangerosité pour l’ordre public et dont la requête devant le Comité ne relevait de toute évidence que d’une manœuvre dilatoire, en dépit de l’évidente bonne foi à cet égard des associations de protection des droits de l’homme qui ont soutenu devant le Comité la demande présentée par lui. L’État partie souligne tout particulièrement qu’une assignation à résidence n’aurait présenté, en l’espèce, aucune garantie étant donné les antécédents violents du requérant en matière de tentatives d’évasion. Dans ces conditions, l’État partie a retenu que le renvoi du requérant vers son pays d’origine n’était en l’espèce pas susceptible de présenter un «risque sérieux» au sens de l’article 3 de la Convention.

8.11Concernant la situation actuelle du requérant, l’État partie explique que les autorités algériennes, saisies par le Gouvernement français d’une demande de renseignements à son sujet, ont indiqué le 24 septembre 2003 que l’intéressé vivait en Algérie où il demeure dans la région de sa famille.

Commentaires du conseil

9.1Les 29 octobre et 14 novembre 2003, le conseil a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Relativement au caractère contraignant des demandes de mesures conservatoires, il rappelle que dans deux cas, dans lesquels des États parties à la Convention avaient procédé à des expulsions contre l’avis du Comité, ce dernier a considéré que les mesures de mise en œuvre de ses compétences, au regard desquelles il est possible de ranger notamment le règlement intérieur en application duquel la demande de suspension a été formulée, constituaient une obligation conventionnelle.

9.2Concernant les raisons de l’exécution de la mesure d’expulsion avancées par l’État partie, le conseil soutient que le requérant a suivi une formation de pilote de chasse en Pologne. D’autre part, d’après le conseil, l’acte criminel et les deux tentatives d’évasion un an plus tôt du requérant n’excluent pas qu’il ne se serait pas révolté contre les bombardements de populations civiles. À ce sujet, le conseil fait état d’un grand malaise à l’époque au sein de l’armée algérienne tel qu’illustré par la fuite en Espagne d’un lieutenant algérien en 1998. Eu égard à l’argument de l’État partie selon lequel le requérant n’aurait pas établi qu’il courait des risques sérieux de torture en cas de renvoi en Algérie, les tortures passées ne suffisant pas à établir l’existence de risques réels et actuels pour le futur, le conseil affirme que le requérant a été effectivement torturé, qu’il a été très discret sur les séquelles touchant à ses parties génitales par pudeur, qu’il a dû être soigné pour des troubles psychiatriques y relatifs, et que le tribunal administratif n’a reçu que des informations très vagues sur ces tortures, pour lesquelles un certificat médical a été produit devant la cour administrative d’appel de Bordeaux. Pour l’avenir, selon le conseil, dès lors que les incriminations pouvant frapper le requérant s’étaient aggravées du fait de sa désertion et de sa fuite en France, le risque de torture de la part notamment de la sécurité militaire algérienne était suffisamment sérieux pour qu’il fût pris en considération. Concernant la position de l’État partie sur le fait que les risques allégués par le requérant avaient déjà fait l’objet d’un examen approfondi et équitable dans le cadre des procédures internes, le conseil reconnaît que l’OFPRA a rejeté la demande de statut de réfugié du requérant pour des motifs que le conseil déclare ignorer dans la mesure où celui‑ci se trouvait alors en prison. En outre, il reconnaît que le requérant n’a pas saisi la CRR. Le conseil constate que le tribunal administratif de Limoges a également refusé d’annuler la décision fixant l’Algérie comme pays de renvoi alors que le juge des référés avait suspendu la désignation du pays de renvoi. Enfin, l’argumentation plus détaillée du requérant auprès de la Cour administrative de Bordeaux aurait dû inviter l’administration à plus de prudence et donc à suspendre l’expulsion.

9.3Relativement à la dangerosité du requérant et aux risques encourus pour la sécurité publique, le conseil fait valoir que le requérant a commis un acte grave, sans pour autant faire courir un risque sérieux à la population. Il ajoute que le requérant a épousé le 18 mars 1999 une personne de nationalité française, et a eu une enfant. À sa sortie de prison, une tentative d’expulsion n’a pas eu de suite alors que l’administration aurait pu faire une nouvelle tentative. D’après le conseil, ce n’est qu’à la suite d’un incident fortuit, à savoir une altercation avec des vigiles, que l’arrêté d’expulsion a été réactivé.

9.4Relativement à la situation actuelle du requérant, le conseil estime les informations de l’État partie imprécises. Il indique être sans nouvelles de la part du requérant, de même que sa famille en France, et que son frère à Alger nie la présence du requérant à l’adresse fournie par l’État partie. Quand bien même celui‑ci se trouverait au lieu précisé par l’État partie et malgré le fait qu’il s’agit d’un lieu isolé, le conseil s’interroge sur les raisons de l’absence de communications de la part du requérant, ce qui pourrait signifier la disparition de ce dernier.

Commentaires supplémentaires du conseil

10.Le 14 janvier 2004, le conseil a transmis copie de l’arrêté de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 18 novembre 2003 annulant le jugement du tribunal administratif de Limoges du 8 novembre 2001, et la décision du 23 mai 2001 par laquelle le Préfet de l’Indre a prononcé le renvoi du requérant dans son pays d’origine. En ce qui concerne la décision d’expulser le requérant, la cour d’appel a suivi le raisonnement suivant:

«Considérant

Que [le requérant] soutient qu’il a fait l’objet de tortures et de tentatives d’assassinat en Algérie en raison de sa désertion de l’armée populaire motivée par son opposition aux opérations de maintien de l’ordre menées contre les populations civiles,

Qu’à l’appui de ses écritures présentées devant la cour et relatives aux risques de traitements inhumains ou dégradants auxquels l’exposerait son retour dans ce pays, il a produit différentes pièces, et notamment une décision circonstanciée du Comité contre la torture des Nations Unies le concernant, qui sont de nature à attester la réalité de ces risques,

Que ces éléments, qui n’étaient pas connus du préfet de l’Indre, n’ont pas été contredits par le ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, lequel, malgré la mise en demeure à lui adressée par la cour, n’a pas produit de mémoire de défense avant la clôture de l’instruction,

Que, dans ces conditions, [le requérant] doit être regardé comme établissant, au sens de l’article 27 bis précité de l’ordonnance du 2 novembre 1945 [qui dispose: «Un étranger ne peut être éloigné à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne], qu’il est exposé en Algérie à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales,

Qu’il est, dès lors, fondé à demander l’annulation de la décision de renvoi dans son pays d’origine prise par le préfet de l’Indre le 23 mai 2001.».

Observations de l’État partie sur les commentaires supplémentaires

11.1Le 14 avril 2004, l’État partie a estimé que la question se posant devant le Comité était de savoir si le refoulement du requérant vers le territoire d’un autre État avait violé les obligations de la France en vertu de la Convention, ce qui signifiait qu’il convenait d’examiner si les autorités françaises, lorsqu’elles avaient décidé d’exécuter la mesure d’éloignement de l’intéressé pouvaient raisonnablement considérer, au vu des informations dont elles disposaient, qu’il serait exposé à des risques réels en cas de retour. L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle celui qui soutient courir des risques en cas de renvoi vers un pays donné a la charge d’établir, au moins au‑delà d’un doute raisonnable, le caractère sérieux de ses craintes. Or, d’après l’État partie, pas plus devant le tribunal administratif que devant les autorités administratives, le requérant n’avait produit d’éléments de preuve permettant d’étayer le bien‑fondé des craintes qu’il alléguait éprouver en cas de renvoi en Algérie. Saisi par le requérant d’une requête en annulation de la décision ordonnant son éloignement à destination de l’Algérie par ordonnance du 29 août 2001, le juge des référés du tribunal administratif de Limoges avait ordonné la suspension de la décision fixant le pays de destination pour l’éloignement du requérant dans l’attente du jugement au fond, afin de préserver la situation du requérant au cas où ses craintes s’avéreraient fondées. Néanmoins, après avoir constaté que les allégations du requérant n’étaient assorties d’aucun élément de justification, le tribunal administratif a ensuite rejeté la requête en annulation par un jugement au fond du 8 novembre 2001.

11.2Par arrêt du 18 novembre 2003 rendu sur l’appel du requérant contre le jugement susmentionné du tribunal administratif de Limoges du 8 novembre 2001, la cour administrative de Bordeaux a jugé que, eu égard à la gravité des faits commis, le préfet de l’Indre avait légalement pu considérer que la présence du requérant sur le territoire français constituait une menace grave pour l’ordre public, et que son éloignement ne portait pas, dans ces conditions, une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale.

11.3Dans un second temps, la cour a annulé le jugement du tribunal administratif de Limoges et la décision du préfet de l’Indre renvoyant l’intéressé dans son pays d’origine sur le fondement de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 27 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945 prohibant l’éloignement d’un étranger à destination d’un pays lorsqu’il est établi qu’il y serait exposé à des traitements contraires à ceux de l’article 3 de la Convention.

11.4Selon l’État partie, il importe de souligner tout particulièrement que, pour ce faire, la cour administrative d’appel s’est prononcée sur le fondement d’éléments dont elle relève expressément qu’ils étaient nouveaux. Elle en a déduit que, dans ces conditions, les allégations du requérant devaient être considérées comme établies en l’absence de contradiction par le Ministre de l’intérieur et a en conséquence annulé la décision fixant le pays de destination.

11.5L’État partie souligne que le considérant de la cour relatif à l’absence de contradiction par le Ministère de l’intérieur ne saurait être compris comme révélateur d’une volonté de l’administration de reconnaître le caractère probant des conclusions du requérant. Ce n’est qu’en raison des règles de procédure contentieuse résultant de l’article R.612.6 du Code de justice administrative que le juge n’a pu prendre en compte les éléments en défense produits par l’administration. En effet, le mémoire en défense produit par le Ministère de l’intérieur est parvenu à la cour quelques jours après la clôture de l’instruction.

11.6En outre, l’État partie explique que l’élément essentiel retenu par la cour pour fonder sa décision d’annulation est précisément la décision par laquelle le Comité a retenu la recevabilité de la requête de l’auteur. Or, en se prononçant sur cette recevabilité, le Comité n’a pris aucune position sur le bien‑fondé de cette requête, ni sur l’établissement par le requérant, au‑delà d’un doute raisonnable des faits invoqués par celui‑ci, ces éléments ne pouvant être appréciés que dans le cadre de la décision sur le bien‑fondé de la requête. L’État partie conclut que, eu égard à sa motivation, la décision d’annulation retenue par la cour administrative d’appel ne conforte en rien la position du requérant devant le Comité.

11.7Dans ces conditions, l’État partie rappelle que le Comité a récemment réaffirmé qu’il appartenait aux tribunaux des États parties à la Convention et non au Comité d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, sauf s’il est établi que la manière dont ces faits et ces éléments de preuve ont été appréciés était manifestement arbitraire ou équivalait à un déni de justice. Or, à cet égard, l’arrêt ainsi communiqué de la cour administrative d’appel démontre précisément que la manière dont les juridictions internes ont examiné les faits et éléments de preuve produits par le requérant ne saurait être considérée comme ayant été manifestement arbitraire ou équivalant à un déni de justice.

11.8En conclusion, l’État partie maintient qu’il ne saurait être retenu en l’espèce que la France aurait méconnu ses obligations conventionnelles en renvoyant l’intéressé dans son pays d’origine, après avoir, avant de prendre cette décision d’éloignement, vérifié à plusieurs reprises que le requérant ne pouvait raisonnablement être considéré comme exposé à des risques en cas de retour. Au regard de la jurisprudence du Comité, il ne saurait être retenu que les autorités françaises pouvaient raisonnablement considérer qu’il serait exposé à des risques réels en cas de retour, lorsqu’elles ont décidé d’exécuter la mesure d’éloignement prise à l’égard de l’intéressé.

Commentaires du conseil

12.Dans ses commentaires du 11 juin 2004, le conseil maintient que l’État partie a violé l’article 3 de la Convention. Il ajoute être entré en contact téléphonique avec le requérant, lequel a déclaré avoir été remis par la police française, dans l’avion, à des agents algériens, avoir quitté l’aéroport d’Alger dans un fourgon, avoir été remis aux services secrets algériens qui l’ont retenu en divers lieux durant un an et demi avant de le relâcher, sans document d’aucune sorte dans l’attente semble‑t‑il d’un jugement, le jugement par contumace ayant été annulé. L’auteur affirme enfin avoir été gravement torturé.

Examen au fond

13.1En vertu du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention, le Comité doit décider s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risque d’être soumis à la torture à son retour en Algérie. Le Comité fait observer d’emblée que dans les cas où une personne a été expulsée alors que sa plainte était examinée, le Comité évalue ce que l’État partie savait ou aurait dû savoir au moment de l’expulsion. Les événements ultérieurs sont pertinents pour cette évaluation de ce que l’État partie savait effectivement ou était censé savoir au moment de l’expulsion.

13.2Pour ce faire, il doit, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris l’existence d’un ensemble systématique de violations des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Il s’agit toutefois de déterminer si l’intéressé risquerait personnellement d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. En conséquence, l’existence d’un ensemble de violations flagrantes, graves ou massives des droits de l’homme dans un pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure qu’un individu risquerait d’être victime de torture à son retour dans ce pays; il faut qu’il existe en outre des motifs particuliers de penser que l’intéressé serait personnellement en danger. De même, l’absence d’un ensemble systématique de violations flagrantes des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans les circonstances particulières qui sont les siennes. Le Comité rappelle que, conformément à son Observation générale no 1 relative à l’application de l’article 3 de la Convention, il accorde «un poids considérable» aux constatations de fait des organes de l’État partie.

13.3Tout d’abord, le Comité constate que lors de l’expulsion de l’auteur le 30 septembre 2002, l’appel interjeté par le requérant devant la cour administrative d’appel de Bordeaux dès le 4 janvier 2002 était toujours pendant et contenait des arguments supplémentaires contre son expulsion, qui n’avaient pas été présentés au Préfet de l’Indre quand celui‑ci avait rendu la décision d’expulsion mais dont les autorités de l’État partie avaient ou auraient dû avoir connaissance à la date où le requérant avait été expulsé. Plus important encore, le 19 décembre 2001, le Comité avait demandé à titre de mesures de protection qu’il soit sursis à l’expulsion du requérant jusqu’à ce qu’il ait pu examiner l’affaire au fond, car il avait établi, par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des mesures provisoires de protection, que dans la présente affaire le requérant avait avancé des arguments suffisants pour faire craindre un préjudice irréparable. Cette mesure provisoire de protection, sur laquelle le requérant était en droit de compter, a été renouvelée et réitérée le 26 septembre 2002.

13.4Le Comité souligne qu’en ratifiant la Convention et en reconnaissant volontairement la compétence du Comité en vertu de l’article 22, l’État partie s’est engagé à coopérer de bonne foi au déroulement de la procédure de plainte individuelle instituée par cet article et à lui donner plein effet. La décision de l’État partie de procéder à l’expulsion malgré la demande de mesures provisoires du Comité annule l’exercice effectif du droit de plainte conféré par l’article 22 de la Convention et rend la décision finale du Comité sur le fond vaine et vide de sens. Le Comité conclut donc qu’en expulsant le requérant de la manière dont il l’a fait, l’État partie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 22 de la Convention.

13.5Sur la question de la violation de l’article 3, le Comité note que la cour administrative d’appel de Bordeaux, à la suite de l’expulsion du requérant, a établi après examen des éléments produits que le requérant risquait bien de subir des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne, constatation qui pouvait englober la torture (voir plus haut par. 10). En conséquence, la décision d’expulser le requérant était, au regard du droit interne, illégale.

13.6Le Comité relève que l’État partie est généralement lié par les conclusions de la cour d’appel, l’État partie se bornant à indiquer que la cour n’avait pas pris en compte le mémoire en défense du Ministère de l’intérieur parce qu’il lui était parvenu après les délais prescrits par la procédure contentieuse. Le Comité estime toutefois que ce manquement de l’État partie ne saurait être imputé au requérant et, de plus, que considérer que les conclusions de la cour en auraient été différentes relève de l’hypothèse. Selon la déclaration de l’État partie lui‑même (voir par. 11.7), à laquelle le Comité souscrit, l’arrêt de la cour administrative d’appel, qui établit notamment que l’expulsion du requérant a eu lieu en violation de l’article 3 de la Convention européenne, ne peut pas être considéré au vu des informations dont le Comité est saisi comme manifestement arbitraire ou représentant un déni de justice. Par conséquent, le Comité conclut également, dans les circonstances de l’espèce, que le requérant a montré que son renvoi constituait une violation de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

14.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, est d’avis que l’expulsion du requérant vers l’Algérie a constitué une violation de l’article 3 et de l’article 22 de la Convention.

15.Conformément au paragraphe 5 de l’article 112 de son règlement intérieur, le Comité souhaite recevoir, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures que l’État partie aura prises pour donner suite aux présentes constatations, notamment pour réparer la violation de l’article 3 de la Convention et pour déterminer, en consultation avec le pays (qui est aussi un État partie à la Convention) dans lequel le requérant a été renvoyé, le lieu où il réside et quel est son sort.

Notes

Communication n o  207/2002

Présentée par:M. Dragan Dimitrijevic(représenté par un conseil)

Au nom de:Le requérant

État partie:Serbie‑et‑Monténégro

Date de la requête:20 décembre 2001

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 24 novembre 2004,

Ayant achevé l’examen de la requête no 207/2002 présentée par M. Dragan Dimitrijevic en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant,

Adopte la décision ci‑après:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.Le requérant est M. Dragan Dimitrijevic, citoyen serbe d’origine rom, né le 7 mars 1977. L’intéressé affirme avoir été victime de violations par la Serbie‑et‑Monténégro du paragraphe 1 de l’article 2 de la Convention lu conjointement avec l’article premier, du paragraphe 1 de l’article 16 et des articles 12, 13 et 14, pris séparément ou lus conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par des organisations non gouvernementales: le Humanitarian Law Center, établi à Belgrade, et le Centre européen pour les droits des Roms, établi à Budapest.

Rappels des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant a été arrêté le 27 octobre 1999 vers 11 heures du matin, à son domicile situé à Kragujevac (Serbie), dans le cadre d’une enquête pénale. Il a été emmené au poste de police local, rue Svetozara Markovica. À son arrivée, il a été menotté à un radiateur et battu par plusieurs policiers dont il connaissait certains par leur prénom ou leur surnom. Les policiers l’ont frappé à coups de pied et de poing sur toutes les parties du corps tout en l’insultant pour ses origines ethniques et en dénigrant sa «gitane de mère». Un des policiers a frappé le requérant avec une grosse barre de métal. Quelque temps plus tard, les policiers ont détaché le requérant du radiateur et l’ont menotté à une bicyclette. Puis, ils ont continué de le frapper à coups de poing, de matraque de police et de barre en métal. Bien que le requérant se soit mis à saigner des oreilles, les coups ont continué jusqu’à ce qu’il soit remis en liberté, vers 16 h 30.

2.2Par suite de ces mauvais traitements, l’auteur a dû rester alité pendant plusieurs jours. Il avait des blessures aux bras et aux jambes et une plaie ouverte sur la partie postérieure du crâne et de nombreuses blessures partout sur le dos. À la suite des faits, il a saigné plusieurs jours durant de l’oreille gauche, et ses yeux et lèvres étaient tuméfiés. Craignant des représailles de la police, il ne s’est pas rendu à l’hôpital pour y être soigné. En conséquence, il n’existe pas de certificat médical officiel attestant de ces blessures. Toutefois, le requérant a communiqué au Comité les déclarations écrites de sa mère, de sa sœur et d’un cousin indiquant qu’il était en bonne santé au moment où il a été arrêté, et gravement blessé au moment où il a été remis en liberté.

2.3Le 31 janvier 2000, le requérant, par l’intermédiaire d’un conseil, a déposé plainte auprès du bureau du Procureur municipal de Kragujevac pour coups et blessures et préjudice civil, infractions prévues par les articles 54 2) et 66, respectivement, du Code pénal serbe. N’ayant pas reçu de réponse près de six mois après avoir déposé plainte, le 26 juillet 2000, le requérant a adressé une lettre au bureau du Procureur dans laquelle il demandait des renseignements sur la suite donnée à son affaire et invoquait en particulier l’article 12 de la Convention. Lorsque le requérant a saisi le Comité, à savoir plus de 23 mois après avoir déposé plainte, il n’avait toujours pas reçu de réponse du Procureur.

2.4Le requérant affirme avoir épuisé les recours internes disponibles, et invoque la jurisprudence internationale en vertu de laquelle seul un recours pénal peut être considéré comme efficace et suffisant en l’espèce. Il invoque également les dispositions pertinentes du Code de procédure pénale de l’État partie, selon lesquelles le Procureur a l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour enquêter sur les crimes et identifier leurs auteurs présumés.

2.5En outre, en vertu de l’article 153 1) du Code de procédure pénale, s’il estime qu’il n’existe pas de base juridique pour ouvrir une information judiciaire officielle, le Procureur doit en informer le requérant qui a alors la capacité d’engager des poursuites en qualité de «procureur privé». Cependant, le Code de procédure pénale ne fixe pas de délai au Procureur pour décider s’il y a lieu de demander l’ouverture d’une information judiciaire officielle. En l’absence d’une telle décision, la victime ne peut engager des poursuites pour son propre compte. L’inaction du Procureur suite à la plainte déposée par la victime constitue donc une entrave insurmontable à l’exercice du droit de la victime d’agir en qualité de procureur privé et de soumettre sa cause à un tribunal. Enfin, même si la victime avait la possibilité, sur le plan juridique, de demander l’ouverture d’une information judiciaire officielle en raison de l’inaction du Procureur, une telle option serait en réalité inutilisable si, comme dans le cas d’espèce, la police et le Procureur n’avaient pas préalablement identifié tous les auteurs présumés des violations. L’article 158 3) du Code de procédure pénale prévoit que la personne qui fait l’objet d’une demande d’information judiciaire officielle doit être identifiée par son nom, son adresse et d’autres renseignements personnels pertinents. Par conséquent, la demande ne peut être déposée si l’on ignore l’identité de l’auteur présumé de la violation.

Teneur de la requête

3.1Le requérant affirme que les actes rapportés ci‑dessus constituent une violation de plusieurs dispositions de la Convention, en particulier du paragraphe 1 de l’article 2 lu conjointement avec l’article premier, du paragraphe 1 de l’article 16, et des articles 12, 13 et 14, pris séparément ou lus conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 16. Ces actes ont été inspirés par un motif discriminatoire en vue d’arracher des aveux au requérant, de l’intimider ou de le punir. Le requérant affirme en outre que ses allégations devraient être interprétées en tenant compte de la gravité de la situation des droits de l’homme dans l’État partie et, en particulier, des brutalités policières systématiques auxquelles les Roms et d’autres personnes sont soumis. En examinant sa plainte, le Comité devrait tenir compte de son origine ethnique rom et du fait que l’appartenance à un groupe minoritaire historiquement défavorisé l’expose tout particulièrement à des traitements dégradants. Toutes choses étant égales par ailleurs, la possibilité qu’une violence physique donnée constitue «une peine ou un traitement dégradant ou inhumain» est plus grande lorsqu’elle est motivée par la haine raciale ou accompagnée d’insultes racistes que lorsque des considérations raciales sont absentes.

3.2Concernant l’article 12, lu séparément ou conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention, le requérant affirme que les autorités de l’État partie n’ont pas procédé immédiatement à une enquête impartiale et approfondie en dépit de nombreux éléments indiquant qu’un acte de torture avait été commis ou que des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants avaient été infligés. Les procureurs engagent rarement des poursuites pénales contre des policiers accusés d’actes de violence ou d’irrégularités même lorsque ces agissements entrent dans la catégorie des actes officiellement poursuivis par l’État. Lorsque les victimes portent plainte elles‑mêmes pour irrégularités policières ou lorsque des ONG le font en leur nom, en règle générale, les procureurs n’engagent pas de procédure. Généralement, ils se bornent à demander des renseignements aux autorités de police et, lorsqu’ils n’en reçoivent pas, ne prennent aucune mesure supplémentaire. Les pratiques judiciaires dilatoires dans les procédures pour brutalités policières entraînent souvent l’expiration des délais fixés par la loi pour mener des poursuites. Même si le principe de l’indépendance de l’appareil judiciaire est proclamé, la pratique montre clairement que le ministère public ne le respecte pas, et que ni le ministère public ni les tribunaux ne sont indépendants des services du Ministère de l’intérieur et des organismes qui en relèvent. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne les irrégularités policières.

3.3En ce qui concerne l’article 13 de la Convention, le requérant affirme que le droit de déposer plainte représente non seulement une possibilité juridique mais également le droit à un recours utile pour réparer le préjudice subi. Étant donné qu’il n’a reçu aucune réparation pour les violations en cause, il estime que ses droits en vertu de l’article 13, pris séparément ou lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention, ont été violés.

3.4Le requérant affirme en outre que ses droits en vertu de l’article 14, pris séparément ou lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention, ont été violés. En ne lui offrant pas la possibilité d’engager un recours pénal, l’État partie l’a empêché d’obtenir une «indemnisation adéquate et équitable» dans un procès civil, «y compris les moyens d’obtenir une réparation aussi complète que possible». Selon le droit interne, le requérant avait la possibilité de demander une indemnisation par le biais de deux procédures différentes: i) des poursuites pénales conformément à l’article 103 du Code de procédure pénale, qui auraient dû être engagées sur la base de sa plainte pénale, ou ii) une action civile en indemnisation au titre des articles 154 et 200 de la loi sur les obligations. Étant donné qu’aucune procédure pénale officielle n’a été engagée à la suite de la plainte déposée auprès du Procureur, l’auteur n’a pas pu se prévaloir de la première possibilité. En ce qui concerne la deuxième possibilité, l’auteur n’a pas engagé d’action civile en indemnisation étant donné que les tribunaux de l’État partie ont pour pratique de suspendre les actions en indemnisation liées à des infractions pénales tant que la procédure pénale est en cours. Si le requérant avait décidé d’engager une action en indemnisation immédiatement après les faits, il aurait été confronté à une autre entrave procédurale insurmontable causée par l’inaction du ministère public. En effet, les articles 186 et 106 du Code de procédure pénale prévoient que les deux parties à une action civile − le plaignant et le défendeur − doivent être identifiées par leur nom, leur adresse et d’autres renseignements personnels pertinents. Étant donné que le requérant n’a pas reçu à ce jour ces renseignements puisqu’il incombait au ministère public de les établir, il lui aurait été de toute évidence impossible, pour des raisons de procédure, d’engager une action civile en indemnisation, laquelle aurait été rejetée par le tribunal civil.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.La plainte ainsi que les documents annexes ont été communiqués à l’État partie le 17 avril 2002. Étant donné que l’État partie n’a pas répondu à la demande qui lui a été présentée par le Comité en vertu de l’article 109 de son règlement intérieur, de lui soumettre des renseignements et des informations concernant la recevabilité et le fond de la plainte dans les six mois, un rappel lui a été adressé le 12 décembre 2002. Le 20 octobre 2003, l’État partie a informé le Comité que le Ministère chargé des droits de l’homme et des droits des minorités continuait de recueillir des renseignements auprès des autorités compétentes en vue de répondre à la requête au fond. Toutefois, le Comité n’a toujours pas reçu cette réponse.

Délibérations du Comité

5.1Le Comité note que l’État partie ne lui a pas fourni d’informations quant à la recevabilité ou le fond de la requête. Dans ces circonstances, conformément au paragraphe 7 de l’article 109 de son règlement intérieur, le Comité doit examiner la recevabilité et le fond de la requête à la lumière des renseignements disponibles, en prenant pleinement en considération les allégations du requérant pour autant qu’elles aient été suffisamment étayées.

5.2Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Dans le cas à l’examen, le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. S’agissant de l’épuisement des recours internes, le Comité a pris note des renseignements fournis par le requérant sur la plainte pénale qu’il a déposée auprès du Procureur. Le Comité estime que l’entrave procédurale insurmontable imposée au requérant par suite de l’inaction des autorités compétentes a rendu fort improbable l’ouverture d’un recours susceptible de lui apporter une réparation utile. En l’absence de renseignements pertinents émanant de l’État partie, le Comité conclut que les procédures internes, s’il y en a eu, ont excédé des délais raisonnables. Au regard de l’article 22, paragraphe 4, de la Convention et de l’article 107 du règlement intérieur du Comité, celui‑ci ne voit pas d’autre obstacle à la recevabilité de la requête. Par conséquent, il la déclare recevable et procède à son examen au fond.

5.3Le requérant prétend que l’État partie a violé le paragraphe 1 de l’article 2, lu conjointement avec l’article premier, et le paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention. Le Comité prend note à cet égard de la déclaration du requérant décrivant les traitements auxquels il a été soumis en détention, qui peuvent être caractérisés comme des douleurs et souffrances aiguës infligées intentionnellement par des fonctionnaires dans le cadre d’une enquête pénale, et des témoignages écrits des témoins de son arrestation et de sa remise en liberté que le requérant a fournis. Le Comité note aussi que l’État partie n’a pas contesté les faits, tels qu’ils ont été présentés par le requérant, qui se sont produits il y a plus de cinq ans. Dans ces circonstances, le Comité conclut que les allégations du requérant doivent être prises pleinement en considération et que les faits, tels qu’ils sont présentés, sont constitutifs de torture au sens de la Convention.

5.4Concernant la violation présumée des articles 12 et 13 de la Convention, le Comité observe que le Procureur n’a jamais indiqué au requérant si une enquête était en cours ou avait été effectuée après le dépôt de la plainte pénale, le 31 janvier 2000. Il note en outre que n’ayant pas été informé des résultats de l’enquête, s’il y en a eu une, le requérant a été effectivement empêché d’engager des «poursuites à titre privé» devant un juge. Vu ces circonstances, le Comité estime que l’État partie ne s’est pas acquitté de l’obligation que lui impose l’article 12 de la Convention de procéder immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis. L’État partie ne s’est pas non plus acquitté de l’obligation, imposée par l’article 13 de la Convention, d’assurer au requérant le droit de porter plainte devant les autorités compétentes qui procéderont immédiatement et impartialement à l’examen de sa cause.

5.5S’agissant de la violation présumée de l’article 14 de la Convention, le Comité note les allégations du requérant selon lesquelles l’absence de procédure pénale l’a privé de la possibilité d’intenter une action civile en indemnisation. Eu égard au fait que l’État partie n’a pas contesté cette allégation et compte tenu du temps écoulé depuis que le requérant a engagé des poursuites judiciaires au plan interne, le Comité conclut que l’État partie a également violé les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 14 de la Convention en l’espèce.

6.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, est d’avis que les faits dont il a été saisi font apparaître une violation de l’article 2, paragraphe 1, lu à la lumière de l’article premier, et des articles 12, 13 et 14 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

7.Le Comité invite instamment l’État partie à procéder à une enquête en bonne et due forme sur les faits présentés par le requérant et, conformément au paragraphe 5 de l’article 112 de son règlement intérieur, à l’informer, dans un délai de 90 jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises conformément aux constatations ci‑dessus.

Communication n o  212/2002

Présentée par: M. Kepa Urra Guridi(représenté par un conseil, M. Didier Rouget)

Au nom:Le requérant

État partie:Espagne

Date de la requête:8 février 2002

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements, cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 17 mai 2005,

Ayant achevé l’examen de la requête no 212/2002, présentée par M. Kepa Urra Guridi en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.L’auteur de la requête, datée du 8 février 2002, est Kepa Urra Guridi, de nationalité espagnole, né en 1956. Il affirme être victime de violations par l’Espagne des articles 2, 4 et 14 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil, Didier Rouget.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le 22 janvier 1992, la Garde civile espagnole a lancé une opération policière dans la Province de Vizcaya pour démanteler ce qui était supposé être le «commando Bizkaia» de l’organisation Euskadi Ta Askatasuna (ETA). Entre le 22 janvier et le 2 avril 1992, 43 personnes en tout ont été arrêtées, et un grand nombre d’entre elles auraient été torturées et mises au secret. Le requérant a été arrêté le 22 janvier 1992 par des agents de la Garde civile, dans le cadre de ces opérations.

2.2Le requérant affirme qu’au cours de son transfert à la caserne de la Garde civile, les gardes l’ont emmené sur un terrain vague où ils lui ont infligé des mauvais traitements graves. Il a été dénudé, menotté, traîné par terre et roué de coups. Il indique qu’après six heures d’interrogatoire, il a dû être amené à l’hôpital parce que son pouls était très rapide, qu’il ne pouvait pas parler, qu’il était sans forces et inconscient et qu’il saignait de la bouche et du nez. À l’hôpital, les médecins ont constaté des lésions sur la tête, le visage, les paupières, le nez, le dos, le ventre, la hanche, les bras et les jambes. Il présentait également un traumatisme cervical qui a nécessité son immobilisation. Il affirme que ces mauvais traitements graves peuvent être qualifiés de torture au sens de l’article premier de la Convention.

2.3Le requérant a porté plainte pour les tortures qui lui avaient été infligées devant l’Audiencia Provincial de Vizcaya qui, dans son jugement du 7 novembre 1997, a condamné trois gardes civils pour torture, à quatre ans, deux mois et un jour de prison, à six ans et un jour d’interdiction de servir dans les corps et services de sécurité de l’État et à la suspension de leurs fonctions pendant la durée de la peine d’emprisonnement. Dans le jugement, les gardes civils ont également été condamnés à verser au requérant une indemnisation d’un montant d’un demi‑million de pesetas. Le tribunal a considéré que les lésions dont souffrait le requérant avaient été infligées par les gardes civils sur le terrain vague où il avait été emmené après son arrestation.

2.4Le ministère public a fait appel du jugement devant le Tribunal suprême, demandant une requalification des faits et une réduction de peine. Dans son jugement du 30 septembre 1998, le Tribunal a décidé de ramener à un an la durée des peines d’emprisonnement prononcées contre les membres de la Garde civile. Il a considéré qu’ils avaient agressé le requérant en vue d’obtenir des aveux sur ses activités ainsi que l’identité d’autres personnes appartenant au commando Bizkaia. Il a estimé que l’existence d’actes de torture à des fins d’enquête avait été établie et que ces actes dépassaient en intensité un traitement inhumain ou dégradant. Il a cependant considéré que les lésions dont souffrait le requérant n’avaient pas nécessité de traitement médical ni chirurgical et que les soins d’urgence qu’on lui avait prodigués avaient suffi. Il a jugé que la peine d’un an était proportionnelle à la gravité du délit.

2.5Tandis que le recours formé devant le Tribunal suprême était en cours d’examen, l’un des gardes a continué d’exercer ses fonctions sur le territoire français en tant que responsable de la coordination antiterroriste avec les forces de sécurité françaises et s’est inscrit, avec l’autorisation du Ministère de l’intérieur, à une formation en vue d’une promotion au grade de commandant de la Garde civile.

2.6Le Ministère de la justice a déposé une demande de grâce pour les trois gardes civils condamnés. À sa séance du 16 juillet 1999, le Conseil des ministres a donné une réponse favorable, excluant les trois gardes de la fonction publique pour une période d’un mois et demi. Malgré cette exclusion, le Ministère de l’intérieur a maintenu l’un des gardes civils à un poste de responsabilité. Les grâces ont été accordées par le Roi dans des décrets qui ont été publiés dans le Journal officiel espagnol.

2.7Le requérant déclare qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles et que la requête n’a pas été soumise à l’examen d’une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention car, par leur comportement, les autorités politiques et judiciaires espagnoles légitiment la pratique de la torture, créent chez les tortionnaires un sentiment de quasi-impunité et donnent leur consentement à des mauvais traitements graves pouvant être qualifiés de torture.

3.2Le requérant affirme qu’il y a eu violation de l’article 4 de la Convention. Il fait valoir que les agents de l’État déclarés coupables de torture doivent être sanctionnés par des peines exemplaires. Selon le requérant, la réduction de la peine privative de liberté et la grâce accordée aux auteurs d’actes de torture portent atteinte aux droits des victimes de disposer d’un recours utile. Il fait valoir qu’en prenant des décisions ayant pour effet d’atténuer la condamnation et la peine effectives subies par les agents de l’État condamnés pour torture, les autorités de l’État partie ont violé l’article 4 de la Convention.

3.3Le requérant affirme également qu’il y a eu violation de l’article 14 de la Convention car la grâce accordée aux gardes civils équivaut à nier les tortures et les souffrances qui lui ont été infligées. Selon le requérant, l’État partie doit réparer le préjudice qu’il a subi en tant que victime de la torture et prendre des mesures afin d’éviter que de tels actes ne se reproduisent. Il ajoute que le fait d’avoir gracié les tortionnaires encourage les membres de la Garde civile à pratiquer la torture. Le requérant fait valoir que les mesures de réparation couvrent l’ensemble des dommages subis par la victime et englobent les mesures touchant la restitution, l’indemnisation, la réadaptation, la satisfaction et les garanties de non-répétition, ainsi que l’inculpation, le jugement et le châtiment des responsables. Le requérant cite à ce propos les études de la Commission des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies sur l’impunité des auteurs de violations des droits de l’homme et sur le droit à restitution, à indemnisation et à réadaptation des victimes de graves violations des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de même que la décision de la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans l’affaire Velásquez Rodríguez c. Honduras.

3.4Le requérant considère qu’il existe dans l’État partie une pratique systématique qui garantit l’impunité des auteurs d’actes de torture, impunité qui se traduit par le fait que ces actes ne font pas l’objet d’une enquête rapide et impartiale, que les recherches sont indûment prolongées, que les peines prononcées sont légères, que les accusés sont maintenus dans les corps de sécurité auxquels ils appartiennent, sont promus et décorés, et que la grâce leur est accordée. Le requérant se réfère aux conclusions et recommandations du Comité concernant les deuxième, troisième et quatrième rapports périodiques présentés par l’État partie, dans lesquels le Comité exprimait sa préoccupation face à la légèreté des peines prononcées à l’encontre des personnes accusées de torture et recommandait à l’État partie de prononcer des peines appropriées.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1L’État partie considère que la requête est irrecevable parce que les recours internes n’ont pas été épuisés. Il fait valoir que le requérant aurait dû former un recours contre les décrets royaux de grâce de 1999. Il indique que le Tribunal suprême et le tribunal chargé des conflits de juridiction ont déclaré que les mesures de grâce pouvaient faire l’objet d’un contrôle juridictionnel. Il ajoute que la Convention contre la torture est inscrite dans le droit interne et peut être invoquée directement devant les tribunaux, et que si le requérant estimait que les grâces avaient été accordées en violation de la Convention, il aurait dû invoquer cet argument devant les tribunaux nationaux.

4.2En ce qui concerne le fond de la requête, l’État partie déclare que la victime d’un acte délictueux ne dispose pas du droit subjectif de demander qu’une grâce soit refusée, car il s’agit d’une prérogative royale conforme à la Constitution. Il affirme que, selon la jurisprudence des organes de surveillance des instruments relatifs aux droits de l’homme, la victime n’a pas le droit de demander la condamnation d’une personne et qu’il serait donc contradictoire de lui reconnaître le droit de demander que la grâce ne soit pas accordée. Lorsque l’acte considéré peut faire l’objet d’une enquête menée d’office, la procédure de grâce ne prévoit pas l’intervention de la victime, ce qui signifie que les intérêts de celle-ci ne sont pas lésés. L’État partie indique en outre que ce sont les gardes civils eux‑mêmes qui ont sollicité la grâce.

4.3L’État partie affirme que le requérant a perçu l’intégralité du montant de l’indemnisation qui lui avait été accordée dans le jugement.

4.4L’État partie indique que tant qu’aucune condamnation n’avait été prononcée contre eux dans cette affaire, les accusés ont exercé leurs activités normalement, l’un d’eux s’inscrivant à des cours en vue d’une promotion, comme la loi le permet à toute personne dont les droits n’ont pas été restreints. Une fois condamnés, les gardes ont déposé une demande de grâce auprès de l’Audiencia Provincial de Viscaya, demandant notamment un sursis d’exécution de la peine tant que le tribunal ne se serait pas prononcé. Le tribunal n’a pas ordonné l’exécution de la peine, ce que le requérant aurait pu demander. Une fois la grâce accordée, les gardes civils ont été suspendus de leurs fonctions pendant un mois et demi.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie relatives à la recevabilité et au fond

5.1Pour ce qui est de la recevabilité de la requête, le requérant indique qu’il n’existait pas en l’espèce de recours internes contre la grâce. Il ajoute que ni la loi sur la grâce, qui date de 1870, ni la jurisprudence du Tribunal constitutionnel n’autorisent un particulier à contester une grâce. Il cite l’arrêt rendu par le Tribunal constitutionnel le 5 octobre 1990, selon lequel la grâce, «en tant que forme de grâce, est décidée par le pouvoir exécutif et concédée par le Roi, sans que les décisions de cette sorte puissent être contrôlées quant au fond par les organes juridictionnels, fût-ce par le Tribunal constitutionnel». Le requérant affirme que les arrêts les plus récents du Tribunal constitutionnel, datés de janvier et mars 2001, n’ont pas contesté la mesure de grâce mais uniquement certains points de procédure qui auraient dû être vérifiés par le tribunal l’ayant accordée. La victime, qui n’est pas informée de l’octroi de la grâce, n’a pas la possibilité de former un recours. Le requérant indique que la procédure de grâce prévoit que la victime du délit soit entendue, et que lui-même s’est opposé à ces grâces lorsqu’il a été consulté, mais que son opinion n’avait qu’une valeur consultative.

5.2En ce qui concerne le fond de la requête, le requérant affirme que la grâce accordée par les autorités aux gardes civils condamnés pour crime de torture est incompatible avec l’objet et le but de la Convention, car elle remet en question le caractère absolu de l’interdiction de la torture et des autres traitements cruels, inhumains ou dégradants. La grâce crée un climat d’impunité qui incite les agents de l’État à commettre d’autres actes de torture. Le sentiment d’impunité des gardes civils était renforcé par la pratique courante des autorités de l’État partie consistant à gracier les personnes accusées de torture. L’État partie est tenu de réparer le préjudice subi par le requérant et d’adopter des mesures visant à éviter que de tels actes ne se reproduisent. Le requérant insiste sur le fait que la grâce accordée aux gardes civils constitue une négation de la torture et des mauvais traitements infligés à la victime.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si elle est ou non recevable en vertu de l’article 22 de la Convention.

6.2L’État partie considère que la requête est irrecevable parce que les recours internes n’ont pas été épuisés. Il affirme que si le requérant estimait que ses droits en vertu de la Convention avaient été violés par la grâce accordée aux trois gardes civils, il aurait dû invoquer cet argument devant les tribunaux nationaux. Le requérant, lui, soutient qu’il n’existait pas de recours disponibles et utiles pour contester la grâce.

6.3Le Comité fait observer que l’État partie s’est contenté d’affirmer qu’une jurisprudence récente autorisait le contrôle juridictionnel des grâces et que la Convention contre la torture pouvait être invoquée devant les tribunaux nationaux. Cependant, l’État partie n’a pas indiqué les moyens précis dont pouvait se prévaloir le requérant ni l’étendue du contrôle juridictionnel dont pouvaient faire l’objet les grâces. Le Comité fait observer que bien qu’elle ne puisse pas intervenir directement dans les procédures de grâce, la victime peut être entendue si elle s’y oppose et que, selon l’État partie, elle n’a pas le droit de demander que la grâce ne soit pas accordée. Le Comité rappelle que seuls doivent être épuisés les recours qui ont des chances d’aboutir, recours dont le requérant ne disposait pas en l’espèce. Par conséquent, le Comité considère que la requête est recevable en vertu du paragraphe 5, alinéa b, de l’article 22 de la Convention.

6.4Le Comité fait observer que le requérant a allégué une violation des articles 2 et 4 de la Convention, soutenant que l’État partie avait enfreint ses obligations de prévenir et de sanctionner les actes de torture. Ces dispositions sont applicables dans la mesure où les actes dont le requérant a été l’objet sont considérés comme des actes de torture au sens de l’article premier de la Convention. Le Comité note que le requérant a affirmé que les traitements qui lui avaient été infligés étaient constitutifs d’actes de torture au sens de la Convention. Le Comité considère toutefois qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si les traitements qui ont été infligés au requérant correspondent à la notion de torture au sens de l’article premier de la Convention, étant donné que l’État partie n’a pas contredit l’allégation de celui-ci selon laquelle il a été victime de torture. À ce propos, le Comité fait observer que les tribunaux qui ont jugé l’affaire ont eux-mêmes estimé que les actes de torture étaient avérés. Il n’est pas non plus nécessaire que le Comité se prononce sur l’argument de l’État partie selon lequel il n’existe pas pour le requérant de droit subjectif de s’opposer à l’octroi d’une grâce et qu’il ne peut donc être considéré comme une victime au sens de l’article 22, paragraphe 1, de la Convention. Le Comité fait observer que l’État partie ne nie pas que le requérant a été victime d’actes de torture, qu’il a accepté l’ouverture d’une procédure pénale à l’encontre des gardes civils ayant infligé des blessures au requérant, que, dans le cadre de cette procédure, le traitement subi par le requérant a été qualifié de torture et que cela a abouti en principe à la condamnation de trois personnes.

6.5Le Comité estime par conséquent que la requête soulève des questions concernant les articles 2 (par. 1), 4 (par. 2) et 14 (par. 1) de la Convention qu’il convient d’examiner au fond.

6.6En ce qui concerne la violation présumée de l’article 2 de la Convention, le Comité prend note de l’argument du requérant selon lequel l’obligation de prendre des mesures efficaces pour empêcher la torture aurait été violée parce que la grâce accordée aux gardes civils a pour conséquence pratique qu’elle confère l’impunité aux auteurs d’actes de torture et encourage de tels actes. Le Comité estime, compte tenu des circonstances concrètes de l’affaire du requérant, que les mesures adoptées par l’État partie sont contraires à l’obligation lui incombant en vertu de l’article 2 de la Convention de prendre des mesures pour empêcher que des actes de torture soient commis, et considère en conséquence que ces actes constituent une violation du paragraphe 1 de l’article 2 de la Convention. De même, il conclut que l’absence de sanction appropriée est incompatible avec l’obligation de prévenir les actes de torture.

6.7S’agissant de la violation présumée de l’article 4 de la Convention, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle l’un des objectifs de la Convention est d’empêcher l’impunité des personnes qui ont commis des actes de torture. Il rappelle aussi que l’article 4 fait obligation aux États parties d’imposer aux auteurs d’actes de torture des peines appropriées eu égard à la gravité des actes en question. Il considère qu’en l’espèce, la réduction des peines prononcées puis la grâce accordée aux gardes civils sont incompatibles avec ladite obligation. Le Comité fait observer que les gardes civils n’ont pas fait l’objet d’une procédure disciplinaire pendant le procès pénal, bien que la gravité des accusations portées contre eux eût mérité l’ouverture d’une enquête disciplinaire. Par conséquent, le Comité considère qu’il y a eu violation du paragraphe 2 de l’article 4 de la Convention.

6.8En ce qui concerne la violation présumée de l’article 14, l’État partie indique que le requérant a perçu l’intégralité du montant de l’indemnité fixée dans le jugement rendu en première instance et que par conséquent, il n’y a pas eu violation. Cependant, l’article 14 de la Convention reconnaît non seulement le droit d’être indemnisé équitablement et de manière adéquate, il impose aussi aux États parties l’obligation de veiller à ce que la victime d’un acte de torture obtienne réparation. Le Comité considère que la réparation doit couvrir l’ensemble des dommages subis par la victime, et englobe, entre autres mesures, la restitution, l’indemnisation, la réadaptation de la victime ainsi que des mesures propres à garantir la non-répétition des violations, en tenant toujours compte des circonstances de chaque affaire. Le Comité conclut qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 14 de la Convention.

7.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, décide que les faits dont il a été saisi constituent une violation des articles 2, 4 et 14 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

8.Conformément au paragraphe 5 de l’article 112 de son Règlement intérieur, le Comité invite instamment l’État partie à veiller à ce que, dans la pratique, les responsables d’actes de torture soient dûment châtiés, à garantir une réparation intégrale au requérant et à l’informer, dans un délai de 90 jours à compter de la date de transmission de la présente décision, de toutes les mesures qu’il aura prises conformément aux constatations ci‑dessus.

Communication n o  220/2002

Présentée par:R. D. (représenté par le cabinet d’avocats Peter Lindblom et Per‑Erik Nilsson)

Au nom:Le requérant

État partie:Suède

Date de la requête:8 novembre 2002

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 2 mai 2005,

Ayant achevé l’examen de la requête no 220/2002 présentée par M. R. D. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1Le requérant est R. D., de nationalité bangladaise, qui est actuellement en attente d’expulsion de Suède vers le Bangladesh. Il affirme être victime d’une violation par la Suède des articles 3 et 16 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par le cabinet d’avocats Peter Lindblom et Per‑Erik Nilsson.

1.2Le 12 novembre 2002, l’État partie a été prié, conformément au paragraphe 1 de l’article 108 du règlement intérieur du Comité, de ne pas expulser le requérant tant que le Comité examinerait sa requête. Dans ses observations sur la recevabilité et le fond de la requête, en date du 10 avril 2003, l’État partie a indiqué qu’il accédait à la demande du Comité de ne pas expulser l’auteur.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant, qui est de religion chrétienne, vivait dans un village situé à une dizaine de kilomètres de la ville de Barisal, au Bangladesh, où son père était pasteur. Le 7 avril 1986, son père a été enlevé à son domicile par des inconnus. Quelques jours plus tard, il a été retrouvé mort et mutilé. Quelques jours plus tard, les mêmes hommes sont revenus, ont battu la mère de l’auteur et l’ont menacée, ainsi que les autres membres de sa famille, afin qu’ils s’abstiennent de porter plainte auprès des autorités. L’oncle du requérant a été tué lui aussi et les membres de sa famille ont été persécutés en raison de leur religion. Par suite de ces persécutions, il est parti avec sa famille vivre dans la ville de Barisal.

2.2Le requérant affirme avoir subi des menaces et des actes d’intimidation à cause de sa religion. En 1988, il a adhéré au Parti de la liberté du Bangladesh (BFP) et a mené des activités politiques de 1990 à 1996. En 1991, il a été nommé coordonnateur adjoint. En 1995, alors que le Parti national du Bangladesh (BNP) était au pouvoir, il a été arrêté après avoir été faussement accusé de mener des activités contre l’État et a été gardé en détention pendant cinq jours. Une fois remis en liberté, il a poursuivi ses activités politiques. Après l’accession au pouvoir de la Ligue Awami, en juin 1996, il a cessé ses activités politiques car la police avait commencé d’arrêter les membres du BFP. Plusieurs tentatives ont été faites en vue de l’inciter à cesser ses activités pour le BFP et à rejoindre la Ligue Awami. À la fin de 1996, il est allé se cacher loin de son quartier puis a finalement quitté la ville.

2.3En 1998, sa mère lui a dit qu’il était recherché par la police et accusé de meurtre et d’activités contre l’État. En 1999, alors qu’il rendait visite à sa famille en ville, il a été averti que la police allait l’arrêter et s’est enfui. Quelque temps plus tard, n’ayant pas réussi à retrouver le requérant, la police aurait arrêté son frère, l’aurait torturé dans un poste de police puis relâché après deux jours. En outre, en 1999, le requérant aurait été attaqué par des membres de la Ligue Awami alors qu’il allait rendre visite à sa mère.

2.4Le 5 février 2000, le requérant est entré en Suède et a déposé une demande d’asile le même jour, au motif qu’il avait été persécuté à cause de sa religion et de ses liens avec le BFP. Suite à deux mandats d’arrêt délivrés en 1997, le requérant avait été condamné à l’emprisonnement à vie pour meurtre et activités contre l’État et serait arrêté s’il était renvoyé au Bangladesh. Le 27 mars 2001, le Conseil des migrations a rejeté la demande d’asile du requérant.

2.5Le 18 juin 2001, le requérant a fait appel de la décision devant la Commission de recours des étrangers déclarant qu’il avait été torturé, violé et battu pendant deux jours, alors qu’il était en détention en 1997 ou 1998. Ensuite, il avait été soigné pendant une semaine, sous supervision policière, à l’école de médecine de Barisal. Il affirme avoir été remis en liberté après que sa mère eut promis qu’il rejoindrait la Ligue Awami.

2.6Les renseignements d’ordre médical suivants ont été apportés: il s’agit des conclusions de plusieurs médecins suédois. Le docteur Edston a constaté que le requérant avait subi les tortures ci‑après: il avait été frappé à l’aide d’instruments contondants, à coups de tournevis et de matraque, brûlé à la cigarette, avec un tournevis chauffé et peut‑être même avec un fer à marquer, frappé systématiquement sur la plante des pieds, conduit au bord de l’asphyxie par l’introduction d’eau chaude dans le nez, frappé sur les jambes de façon répétée à coups de canne en bambou, et il avait subi des sévices sexuels, notamment des viols. Le médecin a constaté que le requérant souffrait de séquelles physiques permanentes: douleurs dans le genou gauche, diminution de la mobilité de l’épaule droite, réduction de la mobilité fonctionnelle de la main gauche, douleurs à la défécation. Le docteur Soendergaard a établi qu’il ne faisait aucun doute que le requérant souffrait de troubles post‑traumatiques. Une psychiatre, le docteur Hemingstam, a déclaré que ses symptômes étaient caractérisés par des difficultés de concentration, un manque d’appétit, de l’angoisse, de l’agitation, des cauchemars et des hallucinations accompagnées de pulsions suicidaires. Elle concluait que le risque de suicide était grand si le requérant était soumis à des pressions et s’il perdait ses appuis et n’était plus médicalement suivi. D’après un certificat émanant du centre de soins de Fittja, le requérant éprouve de la confusion, il «disparaît» et il est difficile de l’atteindre pendant les entretiens; il a des visions des séances de torture qu’il a subies. Une autre psychiatre, le docteur Eriksson, a confirmé que le requérant avait été hospitalisé en mai 2001 à cause du risque de suicide. Elle a confirmé qu’il souffrait d’une dépression sévère et était suicidaire.

2.7Le 4 mars 2002, la Commission de recours des étrangers, tout en reconnaissant que les cicatrices pouvaient résulter des coups portés par ses adversaires politiques, a estimé néanmoins improbable, après examen de l’ensemble du dossier, qu’il soit un réfugié. Le fait que les renseignements concernant les actes de torture subis par le requérant n’avaient pas été révélés avant qu’elle n’ait été saisie de l’affaire était l’une des raisons pour lesquelles la Commission estimait que les affirmations du requérant étaient sujettes à caution.

2.8En mai 2002, une autre demande de permis de séjour a été déposée, accompagnée de renseignements médicaux supplémentaires. Dans deux nouveaux rapports médicaux datés du 2 et du 9 avril 2002, les médecins ont critiqué la décision de la Commission et ont indiqué, pour expliquer la présentation tardive des informations sur les actes de torture, que le requérant recevait un soutien psychologique qui lui avait apporté l’assurance dont il avait besoin pour parler ouvertement de ses tortures. Le 5 juillet 2002, la Commission de recours a rejeté son appel au motif que les nouveaux renseignements fournis ne montraient pas qu’il avait besoin de protection.

2.9Le requérant invoque des informations émanant d’Amnesty International et du Département d’État des États‑Unis qui, selon lui, tendent à prouver que les actes de torture commis contre des opposants politiques par la police pour leur arracher des renseignements et les intimider sont souvent exécutés à l’instigation du Gouvernement et avec son appui.

Teneur de la plainte

3.1Il est affirmé que le renvoi du requérant au Bangladesh constituerait une violation de l’article 3 de la Convention parce qu’il y a des motifs sérieux de croire qu’il risquerait d’y être soumis à la torture. Pour étayer cette affirmation, le requérant évoque ses liens avec le BFP, les persécutions subies par sa famille, les rapports médicaux établissant qu’il avait été torturé, sa condamnation, injustifiable pour meurtre et activités contre l’État, et le fait que des sources affirment qu’il existe au Bangladesh un ensemble de violations systématiques graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme.

3.2Concernant ses liens avec le BFP, le requérant affirme que de nombreux dirigeants de ce parti ont été déclarés coupables de l’assassinat du cheikh Mujibur Rahman, en 1975, et ont été condamnés à mort. Il fait valoir qu’en raison de leur soutien à leurs dirigeants emprisonnés les membres du parti ont été eux‑mêmes stigmatisés et risquent de subir personnellement des persécutions policières, même sous le régime du BNP.

3.3L’auteur affirme en outre que son expulsion forcée constituerait en soi une violation de l’article 16 de la Convention compte tenu de son état psychiatrique fragile, notamment des troubles post‑traumatiques graves causés par les persécutions, les tortures et les viols auxquels le requérant et sa famille ont été soumis.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1En date du 10 avril 2003, l’État partie a formulé ses observations sur la recevabilité et le fond de l’affaire. Il confirme que l’auteur a épuisé les recours internes, mais soutient que ses affirmations n’ont pas été étayées aux fins de la recevabilité, qu’il n’a pas démontré qu’il court personnellement un risque réel et prévisible d’être torturé et que, compte tenu de son état psychiatrique, le grief de violation de l’article 16 est incompatible avec les dispositions de la Convention.

4.2L’État partie invoque l’Observation générale no 1 du Comité concernant l’article 3 de la Convention, où il est stipulé qu’un État partie ne doit s’abstenir de renvoyer une personne dans un autre État que dans le cas où l’intéressé risquerait d’y être soumis à la torture telle qu’elle est définie à l’article premier. L’article 3, contrairement à l’article 16, ne fait pas référence à «d’autres actes constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants». De même, l’article 16 ne fait pas référence à l’article 3 alors qu’il renvoie aux articles 10 à 13. L’État partie est d’avis que l’objet de l’article 16 est de protéger les personnes privées de liberté ou qui sont placées de fait sous l’autorité ou le contrôle de la personne responsable des peines ou traitements.

4.3L’État partie fait valoir que quoique la situation générale des droits de l’homme au Bangladesh soit «problématique», elle s’est améliorée dans la longue durée. Un système de démocratie parlementaire a été instauré au Bangladesh en 1991 et aucun acte d’oppression systématique des dissidents n’y a été signalé depuis. Il note toutefois que la violence est un aspect omniprésent de la vie politique et que la police aurait recours à la torture, à des tabassages et à d’autres formes de violence lorsqu’elle interroge les suspects. La police serait réticente à poursuivre les personnes affiliées au parti au pouvoir et le Gouvernement l’utiliserait fréquemment à des fins politiques. La Constitution établit certes que l’islam est la religion de l’État, mais elle affirme également le droit de chacun de pratiquer la religion de son choix. Le Gouvernement respecte généralement ce droit mais les minorités religieuses sont de fait défavorisées dans certains domaines, notamment dans l’accès aux emplois de la fonction publique et aux fonctions politiques.

4.4En outre, l’État partie évoque un rapport confidentiel établi à la suite d’une «visite d’étude» effectuée par des membres de la Commission de recours des étrangers, en octobre 2002, d’où il ressort, entre autres choses, que l’emploi de faux documents est chose très fréquente au Bangladesh; que les persécutions politiques contre les militants ordinaires sont rares mais que les principaux chefs politiques de l’opposition, tels que les anciens membres du Parlement, font l’objet de fausses accusations, d’arrestations et d’actes de torture commis par la police; qu’un suspect ne peut vérifier un mandat d’arrêt étant donné que ce document est adressé à la police directement par le tribunal; que l’objet principal des demandes d’asile est d’obtenir un emploi et une source de revenus et que les militants politiques ordinaires qui subissent des persécutions politiques peuvent chercher refuge dans d’autres parties du pays.

4.5Selon l’État partie, l’autorité nationale qui procède à l’entretien avec les demandeurs d’asile est la mieux placée pour évaluer la crédibilité du requérant. En l’occurrence, le Conseil des migrations a pris sa décision après avoir entendu le requérant trois heures durant. Vu les faits et le dossier concernant cette affaire, le Conseil a eu amplement le temps de faire d’importantes observations supplémentaires. L’État partie s’en remet à l’opinion du Conseil des migrations et de la Commission de recours des étrangers.

4.6Concernant l’allégation du requérant qui dit qu’il risque d’être persécuté par des particuliers à cause de sa religion, l’État partie fait observer que le risque d’être soumis à des mauvais traitements par une entité non gouvernementale ou des particuliers sans le consentement ou l’aval du gouvernement du pays d’accueil ne fait pas l’objet de l’article 3 de la Convention. En tout état de cause, le requérant n’a pas étayé son affirmation selon laquelle il risque d’être soumis à un traitement visé à l’article 3. L’État partie note que le requérant n’a fourni aux services suédois d’immigration aucune information sur les persécutions religieuses que lui‑même et sa famille auraient subies. Le requérant a affirmé que les persécutions qui avaient causé la mort de son père en 1986 avaient cessé peu après le départ de sa famille à Barisal. Il n’existe aucun élément de preuve montrant que le requérant ait fait personnellement l’objet de persécutions religieuses.

4.7En ce qui concerne le grief tiré du risque de torture à cause de ses liens avec le BFP, l’État partie fait observer que le requérant a affirmé à plusieurs reprises qu’il avait été maltraité par ses adversaires politiques de la Ligue Awami, qui était le parti au pouvoir au Bangladesh pendant la période concernée, et qu’il craignait que ses partisans ne le tuent s’il retournait au Bangladesh. Toutefois, le risque d’être maltraité par des adversaires politiques faisant partie de l’opposition ne peut pas être imputé à l’État partie et doit être considéré comme étant sans rapport avec l’objet de l’article 3. S’il existait un risque, il aurait probablement un caractère local étant donné que le requérant n’a mené ses activités politiques que sur ce plan. Rien n’indique qu’il ait quelque chose à craindre du BNP, qui est actuellement au pouvoir.

4.8En ce qui concerne les allégations relatives à des tortures subies dans le passé, l’État partie fait observer que le requérant n’a indiqué ni pendant l’entretien aux fins de l’asile, administré en mars 2000, ni lors de la réunion avec des représentants de la Commission de recours des étrangers, en juillet 2002, qu’il avait été torturé par la police. Ce n’est qu’à l’occasion de son premier recours devant la Commission de recours des étrangers, le 18 juin 2001, qu’il a informé les autorités qu’il avait été torturé par la police en 1995 et en 1997 ou 1998. Lors de l’examen initial, en août 2001, il s’est plaint d’actes de torture commis par la police en 1997 et d’agressions commises par des opposants politiques et des musulmans en 1996 et 1999, mais n’a pas évoqué de tortures qui auraient été commises en 1995.

4.9L’État partie se réfère au rapport médical d’où il ressort, en conclusion, que le requérant a été torturé de la manière qu’il a indiquée, et qui rappelle l’observation faite par la Commission de recours des étrangers qui a affirmé que les cicatrices pouvaient avoir été causées par l’agression des partisans de la Ligue Awami. Toutefois, le but de l’examen de la plainte par le Comité est d’établir si le requérant risquerait actuellement d’être torturé s’il était renvoyé au Bangladesh. Même si l’on considérait que les éléments de preuve présentés permettent d’établir que le requérant a été torturé en 1997, il n’avait pas pour autant étayé son affirmation selon laquelle il risquerait d’être torturé à l’avenir.

4.10L’État partie met en doute la validité des documents fournis pour prouver que le requérant a été déclaré coupable de meurtre et d’activités contre l’État. Il affirme que des enquêtes menées par l’ambassade de Suède à Dhaka ont permis d’établir, après examen des archives des tribunaux, que le requérant ne figurait pas parmi les 18 accusés qui avaient été déclarés coupables de meurtre, comme il l’a affirmé et comme l’aurait apparemment confirmé une attestation établie par un avocat. L’État partie considère que les résultats de cette enquête mettent en doute la crédibilité du requérant et, en général, la véracité de ses affirmations. S’agissant des deux mandats d’arrêt qui ont été présentés à l’appui de ses affirmations, l’État partie fait observer que le requérant n’a pas expliqué comment il avait obtenu les documents en question.

4.11En outre, l’État partie signale diverses incohérences et contradictions dans les renseignements fournis par le requérant. Il renvoie au raisonnement du Conseil des migrations, qui a estimé qu’il était improbable que le requérant, qui était chrétien et dont le père avait été pasteur, ait milité pendant plusieurs années pour un parti politique dont le principal objectif est de préserver le caractère islamique du Bangladesh. De plus, il ne pensait pas que le poste de coordonnateur adjoint aurait été confié à un chrétien. Pour cette raison, le Conseil a estimé qu’il était improbable que les autorités aient arrêté le requérant pour ses activités politiques ou qu’il ait été déclaré coupable de meurtre et d’activités contre l’État. L’État partie estime difficile de croire que le requérant aurait été remis en liberté en 1997 par le Tribunal de première instance (Magistrates Court) après que sa mère eut promis qu’il militerait pour la Ligue Awami, compte tenu de ses affirmations, qui auraient été confirmées par les mandats d’arrêt présentés, selon lesquelles la police aurait reçu l’ordre, en 1997, de l’arrêter en vue de le présenter à un tribunal pour répondre de l’accusation de meurtre. Il fait observer que le passeport du requérant a été renouvelé peu avant son départ, ce qui indique fortement qu’il n’intéressait pas les autorités.

4.12L’État partie donne différentes raisons pour lesquelles le requérant ne devrait pas craindre d’être maltraité par les autorités du Bangladesh s’il était renvoyé dans ce pays: il n’a pas eu d’activités politiques depuis 1996; il a dit au fonctionnaire du Conseil des migrations qui l’a interrogé que c’était sa mère qui avait pris des dispositions en vue de son départ; bien qu’il prétende avoir été torturé en 1997, il n’a fait aucun effort pour quitter rapidement le pays et y est resté encore pendant plusieurs années; le fait que la mère du requérant, lors d’un entretien avec un journal, a demandé aux autorités bangladaises de l’aider serait incompréhensible s’il craignait justement que ces autorités ne le maltraitent.

4.13En ce qui concerne l’article 16, l’État partie renvoie aux décisions adoptées par le Comité dans les affaires G. R. B. c. Suèdeet S. V. et consorts c. Canada, en notant que le Comité n’a pas considéré qu’il y avait eu violation de l’article 16 dans l’un ou l’autre cas. Tout en notant que, selon les rapports médicaux, le requérant souffre de troubles post‑traumatiques et que son état de santé s’est dégradé, par suite des décisions des autorités suédoises de refuser de lui octroyer un permis de séjour, il considère que ses craintes de retourner au Bangladesh sont infondées. Sa famille pourra lui venir en aide à son retour et des soins médicaux lui seront accessibles, au moins dans les grandes villes. L’État partie note qu’en dépit de ses problèmes de santé le requérant a fréquenté une école et a également travaillé en Suède pendant des périodes considérables. En appliquant l’arrêté d’expulsion, l’État partie veillera à ce que son état de santé soit pris en considération dans les modalités de l’expulsion et à ce que les autorités bangladaises ne soient pas informées de son retour. Il est d’avis que le requérant n’a pas étayé son affirmation selon laquelle l’exécution en soi de l’arrêté d’expulsion constituerait un traitement cruel, inhumain ou dégradant au sens de l’article 16 de la Convention.

4.14En ce qui concerne la procédure, l’État partie demande au Comité d’examiner la communication quant au fond le plus tôt possible, étant donné que sa décision concernant cette affaire pourra être utile aux services d’immigration suédois lorsqu’ils examineront d’autres demandes d’asile émanant de citoyens bangladais.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 23 octobre et le 22 novembre 2003, le requérant a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie et a procédé à une mise à jour des faits. Il est affirmé que, de crainte que le requérant ne se suicide, il avait été placé dans un centre psychiatrique le 23 octobre 2003. Il a été autorisé à en sortir à la fin de novembre 2003 et a été orienté vers des services de soins non hospitaliers. Il affirme qu’il existe un lien direct entre son état dépressif et sa peur d’être renvoyé au Bangladesh. Il soutient qu’il a suffisamment étayé son grief et affirme que l’objet général de l’article 16 est de protéger la santé et le bien‑être des individus.

5.2En ce qui concerne les renseignements figurant dans le rapport confidentiel, il affirme que les rapports de cette nature sont établis en coopération étroite avec les autorités nationales et que les renseignements sont presque toujours fournis par des fonctionnaires tributaires du bon vouloir du pouvoir politique. Il affirme que les Bangladais sont considérés avec suspicion par les autorités suédoises et qu’ils doivent assumer une charge de la preuve plus lourde que tous les autres demandeurs d’asile. Concernant la question de l’attestation, qualifiée de fausse, confirmant que le requérant a été condamné pour meurtre, il fait valoir qu’aucune preuve objective, excepté une information provenant d’un enquêteur, n’a été fournie à l’effet de démontrer que le requérant ne figurait pas parmi les personnes condamnées. Ce document ne porte aucune signature ni le nom de la personne qui l’aurait signé. Il ne fournit pas non plus d’informations sur les compétences de l’enquêteur qui est simplement désigné dans la lettre comme étant son «avocat». Enfin, aucun renseignement n’a été donné quant au point de savoir si l’avocat du requérant a eu la possibilité de commenter ou de réfuter l’accusation de faux qui a été portée contre lui et, si tel est le cas, sur la teneur de sa réponse.

5.3Le requérant affirme de nouveau qu’il a été condamné à l’emprisonnement à vie et qu’il serait pour cette raison arrêté par la police. En outre, il affirme que, comme son cas a suscité l’intérêt des médias suédois, il se pourrait qu’il ait également attiré l’attention des autorités bangladaises, aggravant ainsi le risque d’être torturé s’il était renvoyé dans son pays. Pour ce qui est de son passeport, le requérant souligne que «tout se vend − même les passeports».

Observations supplémentaires de l’État partie et du requérant

6.1Le 19 février 2004, l’État partie a affirmé que l’état de santé du requérant s’était amélioré et qu’il avait été autorisé à quitter le centre de soins psychiatriques. En ce qui concerne le rapport confidentiel, l’État partie indique qu’un exemplaire en a été envoyé à l’ancien conseil du requérant le 19 mai 2003. Un exemplaire du rapport de l’ambassade de Suède a également été adressé le lendemain.

6.2L’État partie relève certaines des observations portées dans son dossier médical pendant son placement en centre psychiatrique, notamment le fait que ses rapports personnels et officiels avec les médecins avaient été mauvais alors qu’il n’avait pas manifesté d’inhibition dans ses relations avec les autres patients; il ne s’était guère montré coopératif; il est difficile de dire dans quelle mesure il avait joué la comédie, vu sa situation présente. En outre, l’État partie évoque l’affaire récente T. M. c. Suède dans laquelle le Comité a tenu compte de changements importants dans le pouvoir politique au Bangladesh pour conclure que le requérant n’avait pas étayé son affirmation selon laquelle il risquait d’être torturé.

6.3Les 19 et 28 mars 2004, le requérant a envoyé un nouveau rapport médical apportant des éclaircissements sur les troubles post‑traumatiques graves dont il souffre.

6.4Le 26 octobre 2004, l’État partie a répondu au secrétariat qui lui avait demandé une copie du jugement dans lequel, d’après l’État partie, le nom du requérant ne figure pas parmi les 18 accusés et reconnus coupables de meurtre, en disant qu’il regrettait de ne pas pouvoir faire tenir ce jugement à bref délai car il lui faudrait environ deux mois pour en obtenir une copie. Il ajoutait que, quoi qu’il en soit, c’était au requérant qu’il appartenait de produire une copie du jugement puisque c’était lui qui invoquait cet élément. Il n’en avait donné copie ni aux autorités suédoises ni au Comité et n’avait pas expliqué pourquoi il ne l’avait pas fait. Le 30 novembre 2004, le Comité a demandé, par le biais du secrétariat, une copie de ce jugement en anglais. Le 22 avril 2005, il a reçu de l’État partie la copie du jugement demandée, dans laquelle le nom du requérant ne figure pas.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité contre la torture doit décider si elle est ou non recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, le Comité s’est assuré que la même question n’avait pas été et n’était pas examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.2En ce qui concerne le grief tiré de l’article 16, relatif à l’expulsion du requérant en dépit de son état de santé mentale, le Comité rappelle sa jurisprudence précédente selon laquelle l’aggravation de l’état de santé physique ou mentale d’une personne due à l’expulsion est généralement insuffisante pour constituer, en l’absence d’autres facteurs, un traitement dégradant en violation de l’article 16. Le Comité prend note des renseignements médicaux présentés par le requérant, à l’effet d’établir qu’il souffre de troubles post‑traumatiques graves causés fort probablement par les tortures subies en 1997. Le Comité estime cependant que l’aggravation de l’état de santé du requérant, qui pourrait être causée par son expulsion, est en soi une considération insuffisante pour étayer cette affirmation, qui est par conséquent irrecevable.

7.3Pour ce qui est du grief de violation de l’article 3 concernant le risque de torture, le Comité estime, vu en particulier la relation faite des actes de torture subis antérieurement, que le requérant a étayé sa plainte aux fins de la recevabilité. En l’absence d’autres obstacles à la recevabilité, le Comité procède donc à l’examen de la requête quant au fond.

Examen au fond

8.1Le Comité doit déterminer si le renvoi du requérant au Bangladesh constituerait une violation de l’obligation qu’impose à l’État partie l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ni refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture.

8.2Le Comité doit déterminer s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait personnellement d’être soumis à la torture à son retour au Bangladesh. Pour ce faire, il doit tenir compte de tous les éléments, y compris de l’existence dans l’État concerné d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Il s’agit toutefois de déterminer si l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays dans lequel il serait renvoyé. Dès lors, l’existence dans un pays d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme, ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’une personne risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé serait personnellement en danger. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations graves des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans les circonstances particulières qui sont les siennes.

8.3Le Comité relève que l’État partie n’a pas contesté l’allégation du requérant qui dit avoir été torturé, et note que la Commission de recours des étrangers était d’avis que les adversaires politiques du requérant ont pu être responsables de ces actes de torture. Toutefois, le Comité relève que sept ans ont passé depuis les actes de torture, que le niveau des responsabilités du requérant au sein du Parti de la liberté du Bangladesh était modeste et que sa participation se limitait à des activités locales. De plus, il relève que le requérant n’a apporté à l’État partie ou au Comité aucun élément de preuve, documentaire ou autre, montrant qu’il avait été reconnu coupable de meurtre et condamné à une peine de réclusion à perpétuité. En fait, il ressort clairement du jugement communiqué par l’État partie le 22 avril 2005 que le requérant ne figure pas parmi les personnes condamnées. Pour ces raisons, et étant donné que le Gouvernement a changé depuis que les actes de torture présumés ont été commis, le Comité estime que le requérant n’a pas démontré qu’il existait des motifs sérieux de croire qu’il courrait personnellement un risque réel d’être soumis à la torture s’il était expulsé de Suède.

9.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, est d’avis que le requérant n’a pas étayé l’affirmation selon laquelle il serait soumis à la torture à son retour au Bangladesh, et conclut par conséquent que son expulsion vers ce pays ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention par l’État partie.

Notes

Communication n o 221/2002

Présentée par:M. M. K.(représenté par un conseil)

Au nom de:Le requérant

État partie:Suède

Date de la requête:19 novembre 2002

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 3 mai 2005,

Ayant achevé l’examen de la requête no 221/2002, présentée par M. M. K. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1Le requérant est M. M. M. K., de nationalité bangladaise, qui réside actuellement en Suède où il a demandé l’asile. Il affirme que son renvoi au Bangladesh, au cas où sa demande d’asile serait refusée, constituerait une violation par la Suède des articles 3 et 16 de la Convention. Il est représenté par un conseil.

1.2Conformément au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention, le Comité a transmis la requête à l’État partie le 21 novembre 2002. En application du paragraphe 1 de l’article 108 du règlement intérieur révisé du Comité, l’État partie a été prié de ne pas expulser le requérant au Bangladesh tant que sa requête serait à l’examen. Le 8 janvier 2002, l’État partie a informé le Comité qu’il avait décidé de surseoir jusqu’à nouvel avis à l’exécution de l’arrêté d’expulsion.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1En 1993, alors qu’il vivait au Bangladesh, le requérant a été nommé secrétaire local à l’action sociale du Parti Jatiya à Mymensingh. Il a occupé ce poste jusqu’à son arrivée en Suède en 2002. Son travail consistait à informer les citoyens bangladais de leurs droits et de la corruption qui sévissait sur une vaste échelle dans le pays. En 1995, le requérant a reçu des menaces d’enlèvement et de mort émanant de partisans du Parti nationaliste du Bangladesh («BNP») et plus tard, entre 1999 et 2002, de partisans de la Ligue Awami.

2.2Entre 1993 et 1996, le requérant a fait des études en Inde; il revenait au Bangladesh pendant les vacances et chaque fois que ses responsabilités au sein du Parti Jatiya l’exigeaient. Pendant près d’une année, entre 1995 et 1996, il est resté à l’étranger par crainte d’être enlevé et parce qu’il avait reçu des menaces de mort.

2.3En 1995, alors qu’il était en vacances au Bangladesh, le requérant a été enlevé par des partisans du BNP et détenu quatre jours. Pendant cette période, il aurait subi de graves sévices et aurait eu les bras et les mains lacérés avec des couteaux. Le but était de le contraindre à renoncer à ses activités politiques et à sa lutte contre la corruption. Au bout de quatre jours, il a été abandonné dans la rue et des passants l’ont emmené à l’hôpital. Il a signalé l’incident à la police mais comme il avait les yeux bandés quand ses ravisseurs le torturaient, il n’a pas été en mesure de les identifier. La police n’a pu arrêter aucune des personnes impliquées.

2.4En juin 1995, le requérant a été faussement accusé d’un meurtre commis dans sa ville natale de Mymensingh. Pour cette raison et parce que la police le recherchait, il n’est pas retourné chez lui et est resté la plupart du temps à Dhaka. Il a poursuivi ses activités politiques dans d’autres régions du pays.

2.5En septembre/octobre 1999, le requérant a été arrêté alors qu’il participait à une manifestation à Dhaka. Il était accusé d’enlèvement. Il affirme que l’accusation était fausse et que selon le rapport de la police, la Ligue Awani en était la source. Il a été libéré sous caution en janvier/février 2000 après s’être plaint de tortures. Tout au long de sa détention, le requérant a été torturé chaque semaine pendant deux ou trois jours. Il décrit comme suit les actes de torture qu’il a subis: on lui a rasé le crâne et versé de l’eau sur la tête et dans les narines; on lui a ensuite administré des décharges électriques et frappé à coups de bâton, de matraque et de longue baguette. On l’a aussi soumis à des décharges électriques en l’obligeant à uriner dans un récipient d’eau chaude parcouru de fils électriques. Le but était de lui arracher des aveux et de l’obliger à cesser toute activité politique. Selon le conseil du requérant au Bangladesh, les autorités responsables ont reconnu qu’il avait subi de mauvais traitements mais pas des «formes de torture plus graves», faisant observer qu’il fallait parfois employer un petit peu de force ou de torture pour connaître «la vérité». La procédure engagée contre le requérant est toujours en cours.

2.6Remis en liberté, le requérant a passé quelque temps dans une clinique privée où il a été soigné pour les séquelles mentales et physiques de la torture. En mai/juin 2000, bien qu’il n’eût recouvré qu’environ 70 % de ses capacités, le requérant a repris ses activités politiques.

2.7En juillet 2000, le requérant était de nouveau arrêté sur fausse accusation de possession illégale d’armes et de trafic de drogues. On a refusé de le libérer sous caution en raison de la gravité des chefs d’accusation et il est resté en détention pendant deux mois et demi dans l’attente de son jugement. Le requérant indique que son père «s’est arrangé» pour que cette affaire ne soit pas jointe à l’affaire de meurtre. Pendant sa détention, le requérant a été soumis à des tortures psychiques et obligé à assister aux séances de torture d’autres prisonniers. Lorsqu’il a été libéré sous caution en septembre 2000, il a de nouveau reçu un traitement médical.

2.8En février 2001, le requérant a quitté le Bangladesh non pas en raison d’un incident isolé mais à cause de tout ce qui lui était arrivé depuis 1995 et parce qu’il craignait d’être tué par des partisans de la Ligue Awami ou du BNP et d’être torturé à nouveau. Le fait que le BNP et ses coalisés aient remporté les élections en octobre 2001 n’était pas pour dissiper ses craintes.

2.9Le 14 février 2001, le requérant est entré en Suède et a demandé l’asile le même jour. Son conseil a demandé le report de l’examen de son cas jusqu’au 31 janvier 2002 afin de pouvoir obtenir des documents sur sa situation au Bangladesh. Le Conseil des migrations a refusé.

2.10Pendant qu’il était en Suède, le requérant a appris qu’au Bangladesh la police le recherchait et qu’elle avait un mandat d’arrêt contre lui parce qu’il ne s’était pas présenté au tribunal. Il a demandé une assistance médicale en Suède au dispensaire des demandeurs d’asile de Fittja.

2.11Le 19 décembre 2001, le Conseil des migrations a rejeté la demande d’asile, estimant invraisemblable que le requérant ait été persécuté par les autorités bangladaises alors qu’il était recherché pour meurtre mais avait pu faire plusieurs fois le voyage entre le Bangladesh et l’Inde. Le Conseil des migrations a également relevé qu’une page du passeport du requérant avait été arrachée et que vu les graves accusations qui pesaient sur lui, il était peu probable qu’il ait été libéré sous caution. Dans ses conclusions, le Conseil a également déclaré qu’il jugeait peu probable que le requérant ait été torturé ou qu’il ait des raisons fondées de craindre d’être soumis à la torture ou à un châtiment corporel.

2.12Le requérant a fait appel auprès de la Commission de recours des étrangers, à qui il a présenté des preuves écrites provenant du Bangladesh, notamment deux rapports médicaux. Le conseil du requérant a de son côté soumis un troisième rapport médical émanant du dispensaire des demandeurs d’asile de Fittja. Il a indiqué que si la Commission avait des doutes quant à l’authenticité des documents, elle pouvait procéder à des vérifications par l’intermédiaire de l’ambassade de Suède à Dhaka. La Commission n’a demandé aucune investigation. Le conseil lui a demandé d’envisager une autre enquête médicale mais la Commission n’a pas jugé que c’était nécessaire.

2.13Le 6 août 2002, la Commission de recours des étrangers a confirmé la décision du Conseil des migrations, faisant valoir qu’il était facile d’obtenir de faux documents au Bangladesh et que les pièces présentées avaient, selon elle, peu de valeur probante. La Commission a conclu que les renseignements fournis par le requérant sur ses activités politiques et sur les «tortures» qu’il aurait subies ne lui permettaient pas de conclure qu’il risquait d’être victime de persécutions politiques ou d’être torturé au Bangladesh s’il y était renvoyé.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme qu’il y a des raisons sérieuses de croire qu’il serait soumis à la torture s’il était renvoyé au Bangladesh et que son expulsion vers ce pays constituerait une violation par la Suède de l’article 3 de la Convention.

3.2Il fait valoir que l’exécution de l’arrêté d’expulsion constituerait en lui‑même une violation de l’article 16 de la Convention, compte tenu de sa fragilité sur le plan psychiatrique et des troubles post‑traumatiques graves dont il souffrait par suite des tortures auxquelles il avait été soumis.

3.3Le requérant affirme que ses craintes personnelles d’être torturé ont été étayées tout au long de la procédure d’examen de sa demande d’asile et par des rapports médicaux. Il fait observer que la Commission de recours des étrangers n’a pas jugé nécessaire de faire examiner ses blessures ni de vérifier l’authenticité des documents qu’il avait présentés, y compris les rapports médicaux provenant du Bangladesh. Il affirme également que la Commission n’a pas mis en doute les renseignements qu’il avait fournis au sujet du traitement auquel il avait été soumis ou de ce qui lui était arrivé au Bangladesh.

Observations de l’État partie

4.1Le 19 mai 2003, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond de la requête. Il demande que le grief tiré de l’article 3 soit déclaré irrecevable dans la mesure où il n’a pas été suffisamment étayé pour qu’il puisse être considéré comme compatible avec les dispositions de la Convention.

4.2Pour ce qui est de l’allégation de violation de l’article 16, l’État partie affirme qu’elle devrait être déclarée irrecevable dès lors que la disposition en question n’est pas applicable en l’espèce. Selon l’observation générale du Comité sur l’article 3, un État partie n’est obligé de ne pas renvoyer une personne dans un autre État que si cette personne risque d’être soumise à la torture, telle qu’elle est définie à l’article premier de la Convention. Contrairement à l’article 16, l’article 3 ne vise pas «d’autres actes constitutifs de peines ou traitements cruels inhumains ou dégradants» et l’article 16 ne contient aucune référence à l’article 3. Pour l’État partie, l’article 16 a pour objet de protéger les personnes privées de leur liberté ou soumises de fait au pouvoir ou au contrôle de la personne responsable du traitement ou de la peine en cause et le requérant n’est pas une victime dans ce sens. Quoi qu’il en soit, la plainte au titre de l’article 16 n’est pas suffisamment étayée pour qu’elle soit considérée comme compatible avec les dispositions de la Convention.

4.3En tout état de cause, l’État partie affirme que les allégations du requérant sont infondées.

4.4Pour ce qui est du grief tiré de l’article 3, l’État partie reconnaît que la situation générale des droits de l’homme au Bangladesh est problématique mais objecte qu’elle s’est améliorée sur le long terme et note que la persécution pour des raisons politiques est rare dans la population en général et qu’il est possible dans tous les cas d’y échapper en se réfugiant dans une autre région du pays.

4.5La jurisprudence relative à l’article 3 exige que le requérant court personnellement un risque prévisible et réel d’être torturé dans le pays où il doit être renvoyé, et les autorités suédoises appliquent le même type de critère lorsqu’elles examinent une demande d’asile dans le cadre de la loi sur les étrangers. L’État partie affirme que les autorités nationales sont bien placées pour évaluer les requêtes émanant de demandeurs d’asile bangladais dans la mesure où la Suède en a reçu 1 427 entre 1990 et 2000 et que des permis de séjour ont été accordés dans 629 cas.

4.6Pour ce qui est de l’allégation du requérant qui affirme qu’il risque d’être maltraité par d’anciens opposants politiques à son retour au Bangladesh, l’État partie fait observer que le risque qu’une entité non gouvernementale ou des particuliers le soumettent à des mauvais traitements sans le consentement ou l’aval de l’État ne relève pas de l’article 3 de la Convention.

4.7En ce qui concerne le risque d’être torturé par la police, l’État partie note que le requérant a été, selon ses propres déclarations, arrêté et torturé par la police sur instruction du parti au pouvoir à l’époque, la Ligue Awami, en raison de ses activités politiques pour le compte du Parti Jatiya et que de fausses accusations portées par la Ligue ont fait qu’une procédure pénale, qui n’est pas encore achevée, a été engagée contre lui. Or en octobre 2001, la Ligue Awami a été remplacée au pouvoir par un gouvernement de coalition composé de représentants du BNP et de trois autres partis politiques de plus petite taille, dont une faction du Parti Jatiya. Comme la Ligue Awami est actuellement dans l’opposition, le risque que le requérant soit soumis à des harcèlements par les autorités à l’instigation de ce parti a dû diminuer fortement.

4.8En ce qui concerne l’allégation du requérant qui affirme que des partisans du BNP lui ont infligé des mauvais traitements en 1995, l’État partie fait valoir que rien n’indique que les autorités bangladaises aient été impliquées de quelque manière que ce soit dans ces actes ou que le requérant ait quoi que ce soit à craindre des partis actuellement au pouvoir.

4.9L’État partie note que le requérant n’a pas apporté de preuves matérielles sur son affiliation au Parti Jatiya et sur ses activités pour le compte de ce parti. Il ressort de ces déclarations aux services suédois de l’immigration qu’il n’occupait pas une position importante au sein de ce parti. Un éventuel risque de harcèlement du fait de son action politique revêtirait donc uniquement un caractère local et il pouvait l’éviter en allant dans une autre région du pays comme il l’avait fait lorsqu’il avait été accusé de meurtre en 1995.

4.10L’État partie constate que le requérant n’a présenté qu’un seul certificat provenant du Bangladesh et un autre émanant du dispensaire de Fittja à l’appui de l’allégation selon laquelle il avait été torturé. Le certificat établi au Bangladesh ne porte aucune date et indique seulement que le requérant est arrivé à la clinique le 15 octobre 2000 après avoir été victime de tortures physiques et qu’il a été soigné pour des blessures et un état dépressif. Toutefois, lorsqu’il a été interrogé par le Conseil des migrations, le requérant a souligné qu’après avoir été arrêté en juillet 2000, il a été soumis à des tortures psychiques mais non à des sévices physiques. Le certificat provenant du dispensaire de Fittja ne traite pas de la question de savoir si le requérant a été torturé et ne fait pas état ni de blessures ou ni de troubles post‑traumatiques.

4.11L’État partie a chargé l’ambassade de Suède à Dhaka de s’informer par l’intermédiaire d’un avocat local sur deux procédures en cours à l’encontre du requérant. Cet avocat a appris que le requérant avait été acquitté de l’accusation de meurtre le 29 août 2000, mais il faisait l’objet d’autres accusations dans une deuxième affaire encore en instance. Il apparaît donc que le requérant n’avait plus à répondre d’aucune accusation de meurtre lorsque les autorités suédoises ont examiné sa demande d’asile. En dépit des carences imputées au système judiciaire bangladais, le requérant ne peut affirmer qu’il n’a pas bénéficié d’un procès équitable en ce qui concerne les accusations de meurtre susmentionnées, et il pourrait également être acquitté dans l’affaire d’enlèvement encore en instance. En ce qui concerne l’enlèvement présumé, il bénéficie d’une représentation en justice et peut faire appel devant une juridiction supérieure. L’État partie rappelle qu’au Bangladesh de telles juridictions sont réputées jouir d’une large indépendance à l’égard du pouvoir exécutif.

4.12Même si le requérant risque d’être arrêté à son retour au Bangladesh pour être jugé ou pour exécuter une peine de prison, cela ne permet pas de conclure qu’il risque d’être torturé. Le requérant n’a pas démontré de quelle façon il pourrait être sous la menace de persécutions pour des motifs politiques qui le rendraient particulièrement exposé à la torture en cas de détention.

4.13Pour ce qui est de l’allégation au titre de l’article 16, l’État partie conteste l’argument du requérant selon lequel en raison de sa fragilité sur le plan psychiatrique et des troubles post‑traumatiques aigus dont il souffre, une expulsion constituerait un traitement cruel, inhumain ou dégradant au sens du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention. Il se réfère aux décisions du Comité dans les affaires G. R. .B. c. Suède et S. V. et consorts c. Canada, et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme pour faire valoir que c’est seulement dans des circonstances exceptionnelles qu’un renvoi peut constituer en soi un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Or, il n’a pas été argué de telles circonstances dans le cas d’espèce:

a)Premièrement, le requérant n’a présenté que des rapports médicaux succincts à l’appui de sa demande d’asile. Devant le Conseil des migrations, il n’a soumis aucune preuve médicale. Devant la Commission de recours des étrangers, il a présenté un certificat médical émanant du dispensaire de Fittja indiquant qu’il était profondément traumatisé; toutefois le certificat ne dit pas qu’il souffre de troubles post‑traumatiques aigus ou qu’il voulait se suicider. En outre, le dossier des services de l’immigration révèle qu’en dépit de ses problèmes de santé, le requérant travaillait dans un restaurant à Stockholm. Selon l’État partie le fait que le requérant n’ait présenté aucun certificat médical avant que sa requête ne soit examinée par la Commission de recours des étrangers indique peut‑être que son état de santé s’est détérioré surtout par suite de la décision du Conseil des migrations de rejeter sa demande d’asile;

b)Deuxièmement, les craintes exprimées par le requérant en ce qui concerne son retour au Bangladesh n’ont pas été étayées. Sa famille au Bangladesh peut l’aider et il peut obtenir au besoin des soins médicaux dans ce pays, au moins dans une grande ville comme Dhaka où vivent la plupart de ses proches;

c)Troisièmement, les autorités suédoises sont tenues d’appliquer la mesure d’expulsion d’une manière qui soit humaine et respectueuse de la dignité de l’étranger et qui tienne compte de son état de santé.

Commentaires du requérant

5.1Dans des commentaires datés du 28 juillet 2003, le conseil affirme que le requérant ignorait, avant d’avoir reçu les observations de l’État partie, qu’il avait été acquitté dans l’affaire de meurtre. Le fait que les investigations effectuées par la Suède ont montré qu’il y avait deux procédures à l’encontre du requérant au Bangladesh prouvent que les documents qu’il a présentés étaient authentiques.

5.2Le conseil réaffirme que le requérant a présenté des éléments de preuve crédibles à l’appui de ses allégations de torture au Bangladesh et que des charges pesaient sur lui dans ce pays.

5.3L’État partie s’étant référé à l’expérience de la Suède en ce qui concerne les demandeurs d’asile bangladais, le conseil renvoie au rapport du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés qui indique que 245 586 demandes ont été présentées par des demandeurs d’asile en Suède entre 1990 et 1999, dont 1 300 seulement par des citoyens bangladais. En outre, s’agissant de l’argument de l’État partie selon lequel le risque que le requérant soit maltraité par des opposants politiques ne relève pas de l’article 3 de la Convention, le conseil précise que le requérant affirme qu’il risque d’être maltraité non pas par des opposants politiques mais par la police bangladaise.

5.4Pour ce qui est de l’argument de l’État partie qui fait valoir que le requérant ne risque plus d’être victime de sévices infligés par des partisans de la Ligue Awami puisque ce parti n’est plus au pouvoir alors qu’une faction du Parti Jatiya est dans la coalition gouvernementale, le conseil fait observer que les fausses accusations portées contre le requérant étaient aussi le fait de partisans du BNP. Ce sont d’ailleurs ces derniers qui ont intenté une action pénale contre lui en 1995. Le requérant n’a été acquitté qu’en août 2000, soit plus de cinq ans après l’inculpation. Pour ce qui est des autres charges qui pèsent encore sur lui, le requérant risque toujours d’être arrêté et, partant, torturé par la police.

5.5En réponse à l’argument de l’insuffisance des preuves présentées pour étayer ses affirmations, le conseil signale qu’au cours de la procédure devant la Commission de recours des étrangers, il avait demandé qu’un examen soit effectué par un médecin légiste et un psychiatre mais que la Commission n’a pas jugé nécessaire de le faire. Le conseil du requérant a néanmoins demandé au Kris‑och Traumacentrum (KTC) d’examiner le requérant mais cette institution ne pouvait pas le faire durant l’automne 2002.

5.6Pour ce qui est de l’affirmation selon laquelle le requérant a déclaré devant le Conseil des migrations qu’il n’avait été victime que de tortures mentales pendant sa détention de juillet à octobre 2000, alors que le certificat médical provenant du Bangladesh indiquait qu’il avait subi un préjudice à la fois physique et psychique, le Conseil rappelle qu’il est courant que les victimes de la torture ne se souviennent pas exactement de ce qu’elles ont subi à chaque incident.

5.7Le conseil fait observer au sujet du changement de gouvernement que les militants du Parti de la Liberté sont encore dans l’opposition et continuent d’être l’objet de fausses accusations, arrêtés et torturés par la police.

Autres commentaires de l’État partie et du requérant

6.1Dans une note datée du 12 septembre 2003, l’État partie se réfère à l’allégation du Conseil concernant les partisans du Parti de la liberté et affirme que ce parti a sans doute été mentionné par erreur et que le requérant continuait de se réclamer du Parti Jatiya. Il rappelle qu’une faction du Parti Jatiya fait partie du gouvernement au pouvoir au Bangladesh.

6.2Selon l’État partie, bien que le conseil affirme que le requérant est actuellement un membre actif de l’opposition politique bangladaise, rien dans les renseignements dont disposent les services d’immigration suédois ne corrobore cette affirmation. S’agissant de l’enlèvement, le requérant a affirmé que la Ligue Awami était derrière cette affaire. L’État partie considère en conséquence que le transfert du pouvoir politique a notablement réduit le risque que le requérant soit arrêté et torturé. Il pense en outre que les autorités bangladaises ne s’intéressent guère au requérant dans la mesure où il a pu se déplacer pendant plusieurs années à l’intérieur du pays pour ses activités politiques bien qu’étant accusé de meurtre.

6.3Dans des commentaires supplémentaires datés des 9 et 11 décembre 2003, le conseil indique que le requérant n’appartient pas à la faction Naziur Rahmen du Parti Jatiya qui est actuellement au gouvernement au Bangladesh. Il signale que cette faction exerce des pressions sur les membres de l’Ershad, aile dont fait partie le requérant, pour qu’ils changent d’affiliation. Le requérant a décrit de manière détaillée devant le Conseil des migrations et la Commission de recours des étrangers ses activités politiques et aucune de ces deux institutions ne les a mises en doute.

6.4Pour ce qui est de l’argument de l’État partie qui estime que le requérant n’intéresse pas les autorités bangladaises dès lors qu’il a pu sillonner le pays alors qu’il était accusé de meurtre, le conseil fait valoir que ses déplacements étaient limités et qu’il n’a été appréhendé par la police qu’en 1999 parce qu’il n’existe pas de base de données centralisée au Bangladesh.

6.5Le conseil soumet des documents montrant que le requérant a été examiné en décembre 2003 par des médecins du Centre pour les victimes de la torture. Dans son rapport, un psychiatre conclut qu’il ne fait aucun doute que M. M. M. K. a subi des tortures telles qu’il les a décrites. Il constate aussi que le requérant présente une tendance suicidaire. Dans ce rapport sont énumérées les cicatrices et blessures constatées, qui se retrouvent de façon caractéristique sur le corps des victimes de violences et qui corroborent la description que le requérant a faite des traitements subis.

6.6Le conseil joint également une déclaration du vice-président du comité central du Parti Jatiya confirmant que le requérant était un membre actif de ce parti depuis 1991 et qu’il avait été l’objet de harcèlement et de persécutions de la part du gouvernement en raison de ses convictions politiques.

6.7Dans une note datée du 23 avril 2004, l’État partie objecte que les nouvelles pièces produites par le conseil arrivent trop tard et que le Comité ne devrait pas les prendre en considération. S’il décide d’en tenir compte il doit bien voir que les rapports d’expertise sont soumis longtemps après que les autorités suédoises se sont déjà prononcées et juste avant que le Comité s’apprête à examiner l’affaire. Le fait que des preuves d’ordre médical soient obtenues et invoquées aussi tard dans la procédure est généralement de nature à en amoindrir la valeur. En ce qui concerne l’action pénale en cours contre le requérant, l’ambassade de Suède a engagé un avocat qui lui a fait savoir que, au 29 février 2004, le tribunal de Bogra n’avait pas encore achevé le procès et rendu son jugement parce qu’aucun témoin ne s’était présenté à la barre.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il note également que l’État partie reconnaît que les recours internes ont été épuisés.

7.2Pour ce qui est de l’argument de l’État partie qui fait valoir que la plainte au titre de l’article 3 devrait être déclarée irrecevable faute d’être suffisamment étayée, le Comité note qu’il a reçu des informations détaillées sur les procédures judiciaires en cours contre le requérant, dont l’une pourrait déboucher sur son arrestation et sa détention à son retour au Bangladesh, et que le requérant a décrit par le menu ses activités pour le compte d’un parti politique et les tortures qu’il aurait subies. Le Comité considère donc que ses griefs doivent être examinés quant au fond.

7.3Concernant l’argument du requérant qui affirme que l’État partie violerait l’article 16 en l’exposant au risque d’être soumis à des mauvais traitements au Bangladesh, le Comité relève que c’est seulement dans des circonstances très exceptionnelles qu’un renvoi peut constituer en soi un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Or, il n’a pas été argué de telles circonstances dans le cas d’espèce. En conséquence, l’allégation au titre de l’article 16 est irrecevable ratione materiae, étant incompatible avec les dispositions de la Convention.

7.4En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui objecte que les nouvelles pièces ont été produites trop tard et ne devraient pas être prises en considération, le Comité note que ces documents n’ont pas été soumis comme suite à une demande d’information de sa part, à laquelle il aurait fallu répondre dans le délai fixé au paragraphe 6 de l’article 109 du règlement intérieur, mais après un examen médical subi récemment par le requérant et après réception, récemment aussi, d’une déclaration du comité central du Parti Jatiya. Le Comité considère que les parties à la procédure devraient faire parvenir leurs arguments et les pièces tendant à les étayer dans des délais prescrits mais il estime que des éléments d’une importance cruciale pour l’appréciation d’une plainte peuvent être soumis hors délai, dès que l’une ou l’autre partie en a connaissance.

7.5Le Comité note que les nouvelles pièces lui ont été adressées trois mois après que le requérant les a obtenues. Il considère toutefois que dans les circonstances de l’affaire, étant donné que l’État partie avait refusé l’examen médical demandé par le requérant et que les certificats médicaux précédents n’établissaient pas qu’il y avait bien eu torture, le nouveau rapport médical doit être accepté et pris en considération pour examiner la plainte. Les nouvelles pièces ont été transmises à l’État partie pour observations, afin de garantir l’égalité des moyens, et l’État partie a répondu. Le Comité conclut donc qu’il devrait tenir compte du nouveau rapport médical dont il est saisi. De la même manière il accepte comme élément de preuve la déclaration du vice-président du comité central du Parti Jatiya.

7.6Le Comité déclare donc la plainte au titre de l’article 3 recevable et procède donc à son examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant au Bangladesh, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture. Dès lors, conformément à la jurisprudence du Comité l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que l’individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé serait personnellement en danger. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans les circonstances qui sont les siennes.

8.2Le Comité prend note des informations reçues du requérant au sujet de la situation générale des droits de l’homme au Bangladesh, en particulier au sujet des cas répétés de violence policière sur la personne de prisonniers et d’opposants politiques. Tout en reconnaissant l’existence d’actes de torture imputés à la police et d’affrontements violents entre opposants politiques, l’État partie considère que les hautes autorités judiciaires font preuve d’une grande indépendance.

8.3La principale raison pour laquelle le Comité note que le requérant craint d’être torturé s’il retourne au Bangladesh c’est parce qu’il y a été torturé autrefois par la police et qu’il risque d’être arrêté à son retour en raison des accusations pénales qui pèsent sur lui.

8.4Le Comité note que les services de l’immigration suédois ont méticuleusement étudié le dossier du requérant et examiné la question de savoir s’il risque d’être torturé ou persécuté au Bangladesh; ils sont arrivés à la conclusion qu’il ne courait aucun danger.

8.5Pour ce qui est du grief du requérant qui affirme avoir subi des tortures, le Comité considère que, même si les premiers certificats médicaux soumis en l’espèce ne corroboraient pas le récit du requérant, le rapport de l’établissement suédois qui a été adressé en mars 2004 confirme que M. M. M. K. a subi des tortures et des mauvais traitements comme il l’affirme. Le fait que l’examen médical ait eu lieu plusieurs années après les actes de sévices allégués n’amoindrit en rien l’importance de ce rapport. Cela étant, le Comité estime que, s’il est probable que l’auteur a bien été soumis à la torture, la question qui se pose est de savoir s’il risque le même sort s’il est renvoyé aujourd’hui au Bangladesh.

8.6Pour répondre à cette question, le Comité prend note de l’argument de l’État partie pour qui dans la mesure où la Ligue Awami est actuellement dans l’opposition, il n’y a plus grand risque que le requérant soit harcelé par les autorités à l’instigation de membres de ce parti. L’État partie fait valoir en outre que le requérant n’a rien à craindre des formations politiques actuellement au pouvoir puisqu’il est membre d’un des partis de la coalition. Tout en prenant acte des informations du requérant qui explique qu’il appartient à une faction du Parti Jatiya opposée à celle qui est actuellement au gouvernement, le Comité ne considère pas que ce fait permet à lui seul de conclure que le requérant risque d’être persécuté et torturé par des partisans de la faction du Parti Jatiya actuellement au gouvernement ou du BNP.

8.7Enfin, en ce qui concerne l’allégation du requérant qui fait valoir qu’il risque d’être arrêté à cause des accusations pénales dont il est actuellement l’objet et qu’en détention il sera inévitablement soumis à la torture, le Comité estime que le fait que la torture soit pratiquée dans les lieux de détention ne permet pas, en tant que tel, de conclure à une violation de l’article 3 étant donné que le requérant n’a pas montré qu’il risque personnellement d’être victime de tortures.

8.8Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut que le requérant n’a pas établi que lui‑même courrait personnellement un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture au sens de l’article 3 de la Convention.

9.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi du requérant au Bangladesh par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Notes

Communication n o 222/2002

Présentée par: Z. E.(représenté par un conseil, M. Marcel Zingast)

Au nom de:Le requérant

État partie:Suisse

Date de la communication:28 novembre 2002

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 3 mai 2005,

Ayant achevé l’examen de la requête no 222/2002, présentée par M. Z. E. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1Le requérant, M. Z. E., ressortissant pakistanais, se trouve actuellement en Suisse, où il avait déposé une demande d’asile le 27 septembre 1999. Cette demande a été rejetée et le requérant affirme que son renvoi au Pakistan constituerait une violation par la Suisse de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il demande à bénéficier de mesures provisoires de protection, étant donné qu’au moment du dépôt de sa requête, il risquait une expulsion imminente. Il est représenté par un conseil.

1.2Conformément au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention, le Comité a porté la requête à l’attention de l’État partie le 3 décembre 2002. Dans le même temps, le Comité, agissant en vertu du paragraphe 1 de l’article 108 de son règlement intérieur, a demandé à l’État partie de ne pas expulser le requérant vers le Pakistan tant que sa requête serait en cours d’examen. L’État partie a accédé à cette demande le 3 février 2003.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant, qui était auparavant de confession catholique romaine, s’est converti à l’islam en 1990 alors qu’il était à l’université, sous l’influence de ses camarades détudes et afin d’améliorer ses possibilités professionnelles. Sa conversion n’ayant pas reposé sur de réelles convictions et souffrant de conflits de conscience, en 1996, le requérant s’est reconverti au christianisme et s’est fait rebaptiser par un prêtre catholique.

2.2Le requérant était toutefois considéré comme un musulman à l’Université de Lahore et y a été nommé au poste de président de la «Muslim Students Federation» (MSF) en 1997. En même temps, il rendait visite à des prisonniers chrétiens en tant que membre de l’organisation chrétienne d’aide aux prisonniers «Prison Fellowship». En décembre 1998, ayant pris connaissance de cette activité, les fonctionnaires de la MSF ont menacé de mort le requérant, qui a dû quitter l’Université. Ils ont également fait pression sur la police afin qu’elle engage contre lui une procédure pénale pour blasphème en vertu de l’article 295c du Code pénal pakistanais.

2.3Au début de janvier 1999, le requérant a été détenu dans un poste de police où il a été maltraité et menacé de mort. Par chance, il a pu s’enfuir par la fenêtre des toilettes. Il s’est ensuite caché et a organisé sa fuite vers la Suisse.

2.4Le 27 septembre 1999, le requérant a déposé une demande d’asile en Suisse. Cette demande a été rejetée par l’Office fédéral des réfugiés (OFR) par décision du 10 janvier 2002. Un appel du requérant a également été rejeté par la Commission suisse de recours en matière d’asile (CRA) par une décision datée du 5 août 2002. Par une lettre en date du 9 août 2002, l’OFR a fixé au 4 octobre 2002 la date à laquelle il devait quitter la Suisse. Le 26 septembre 2002, le requérant a déposé auprès de la CRA une demande de révision avec effet suspensif. Par sa décision du 10 octobre 2002, la CRA a jugé cette demande manifestement infondée et, par sa décision du 13 novembre 2002, elle a rejeté la demande. Le requérant n’est plus autorisé à séjourner en Suisse et peut être, à tout moment, expulsé au Pakistan.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme qu’il risque d’être immédiatement arrêté par les forces de police, torturé ou maltraité, voire même condamné à mort ou sommairement exécuté s’il est expulsé au Pakistan.

3.2Afin de justifier cette crainte, le requérant fait valoir que la MSF a engagé à son encontre une procédure pour blasphème. A l’appui de cette assertion, il produit une lettre du Président de la «Christian Lawyers Association» (CLA), en date du 17 août 2002, qui précise qu’une procédure a été engagée contre Z. E. en vertu de l’article 295c du Code pénal pakistanais, que cette procédure a été provisoirement suspendue en raison de son absence et qu’elle serait immédiatement relancée dès son retour au Pakistan. Le Président de la CLA renvoie également à trois condamnations à mort de chrétiens en vertu de l’article 295c du Code pénal. Se référant en particulier à des rapports d’Amnesty International et de l’Asian Human Rights Commission, le requérant appelle l’attention sur les risques encourus devant la justice pakistanaise par les chrétiens déclarés apostats.

3.3Le requérant soumet également une lettre de son père datée du 20 juin 2002, dans laquelle ce dernier explique que, sous la pression de la MSF, la police se rendait, chaque mois, à son domicile en vue d’arrêter son fils en application de l’article 295c du Code pénal. Il y est précisé que le requérant est accusé d’avoir insulté le prophète, jeté l’opprobre sur le Coran et de s’être moqué de l’islam, et qu’il risque en conséquence la peine de mort.

3.4Le requérant explique que, quand bien même il ne serait pas arrêté, sa vie et son intégrité corporelle seraient menacées car la police ne lui apporterait aucune protection contre les menaces brandies à son encontre par ses anciens camarades d’études et les partisans de la MSF.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la requête

4.1Par lettre du 3 février 2003, l’État partie a déclaré qu’il ne contestait pas la recevabilité de la requête. Il a précisé que le requérant ne serait pas expulsé tant que la mesure provisoire de protection n’aurait pas été levée par le Comité.

4.2Par lettre du 28 mai 2003, l’État partie a formulé ses observations sur le fond de la requête. Il rappelle, en premier lieu, les motifs pour lesquels, suite à un examen approfondi des allégations du requérant, la CRA, à l’instar de l’OFR, n’a pas été convaincue que Z. E. risquait sérieusement d’être poursuivi s’il était expulsé au Pakistan.

4.3Dans sa décision du 5 août 2002, la CRA a jugé étonnant que le requérant venant d’un milieu chrétien et de religion chrétienne ait pu, d’une part, pratiquer sa religion, rendre visite à des prisonniers chrétiens chaque semaine et participer, parfois plusieurs mois dans l’année, à des congrès chrétiens à l’étranger et, d’autre part, présider la MSF sans que ses camarades d’études n’aient remarqué qu’il n’était pas musulman. Une telle situation, si elle était vraie, indiquerait pour le moins qu’il existe au Pakistan une certaine tolérance, même dans l’hypothèse où le requérant aurait caché sa religion lors de sa nomination à la présidence de la MSF. En effet, selon l’État partie, si le requérant a été disposé à exercer la fonction de président de la MSF dans sa faculté, c’est sans aucun doute parce qu’il ne craignait nullement d’être inquiété ou menacé.

4.4D’autres éléments mettent également en doute l’affirmation selon laquelle le requérant a subi des persécutions de la part des autorités et a été recherché pour blasphème. Selon l’État partie, le requérant a, en effet, vécu, de janvier à juillet 1999, dans la résidence secondaire de sa famille à Johannabad, à environ 20 km de Lahore, sans être inquiété. Alors qu’il prétend avoir été dans la maison de son oncle à Karachi en août et septembre 1999, où il n’a pas non plus rencontré de problèmes, le requérant s’est fait délivrer un nouveau passeport le 12 août 1999 à Lahore. Or, selon l’État partie, le requérant a, certainement, dû déclarer son appartenance religieuse pour obtenir ce passeport.

4.5Saisie d’une demande de révision dans laquelle le requérant a invoqué pour la première fois qu’il avait renoncé à l’islam en 1996, la CRA a de nouveau, par sa décision en date du 13 novembre 2002, rejeté la demande. Elle s’est pour l’essentiel référée à la décision intérimaire rendue le 10 octobre 2002 par le juge-rapporteur, qui avait relevé que le requérant ne pouvait pas expliquer de manière satisfaisante les raisons pour lesquelles il n’avait invoqué l’argument de l’apostasie qu’au moment de la procédure de révision. Il avait de plus constaté que les éléments de preuve produits par le requérant n’étaient pas suffisants pour mettre en doute la conclusion de la CRA concernant la procédure de blasphème. Dans cette procédure, le requérant avait, entre autres, présenté deux rapports de la police de Lahore (datés du 16 juin 1994 et du 9 février 1998). Le premier concerne un enlèvement présumé alors que le second porte sur des allégations selon lesquelles le requérant aurait eu des relations intimes avec une femme musulmane ou l’aurait même violée. De l’avis du juge-rapporteur et de la CRA, ces deux rapports prouvent que le requérant n’avait plus de problèmes avec les autorités au moment de son départ de Karachi.

4.6L’État partie examine, en second lieu, le bien-fondé des décisions de la CRA à la lumière de l’article 3 de la Convention et de la jurisprudence du Comité. Il note que le requérant se borne à rappeler au Comité les motifs invoqués devant les autorités nationales et n’apporte aucun élément nouveau permettant de mettre en question les décisions de la CRA du 5 août 2002 et du 13 novembre 2002. D’après l’État partie, le requérant n’explique notamment pas au Comité les incohérences et contradictions figurant dans ses allégations, mais bien au contraire les confirme.

4.7Concernant la crainte exprimée par le requérant d’être arrêté immédiatement par les forces de police s’il était renvoyé au Pakistan, et de voir sa vie et son intégrité physique menacées par ses anciens camarades d’études et les partisans de la MSF, ainsi que la lettre du père du requérant déclarant que la police, agissant sous la pression de la MSF, se rendait chaque mois à son domicile afin de tenter d’arrêter son fils, l’État partie juge étonnant que, selon un courriel daté du 28 octobre 2002 émanant du Président de la CLA, aucune plainte n’ait été déposée contre le requérant. En outre, l’État partie relève la contradiction flagrante entre ce courriel et la lettre datée du 17 août 2002 (voir par. 3.2), tous les deux signés de la même personne.

4.8Lors de la procédure de recours devant la CRA, le requérant a présenté à cette dernière un passeport délivré le 12 août 1999 à Lahore, alors que selon lui, à cette date, les forces de sécurité locales le recherchaient en raison d’une plainte pénale déposée contre lui pour blasphème. De plus, le requérant n’avait apparemment pas rencontré le moindre problème lorsque, pour quitter le Pakistan, il était passé par l’aéroport de Karachi, le 5 septembre 1999. Selon l’État partie, il n’est guère probable qu’une personne recherchée par la police pour une infraction emportant la peine de mort puisse se faire délivrer un nouveau passeport et décoller de l’aéroport de Karachi sans être inquiétée.

4.9Rappelant la jurisprudence du Comité selon laquelle l’article 3 n’offre aucune protection au requérant qui allègue simplement craindre d’être arrêté à son retour dans son pays et au vu de ce qui précède, l’État partie fait valoir que l’on peut raisonnablement conclure que le requérant ne risque pas d’être arrêté en cas de renvoi au Pakistan. Un tel risque, d’ailleurs, «ne permettrait pas à lui seul de conclure qu’il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture».

4.10L’État partie note que le requérant attribue une importance particulière à l’apostasie. Ceci est d’autant plus surprenant qu’il n’a avancé cet argument que le 26 septembre 2002, lorsqu’il a demandé la révision de la première décision de la CRA. S’agissant d’un élément jugé crucial par le requérant, l’État partie estime que l’on aurait raisonnablement pu attendre à ce qu’il en soit fait mention à un stade antérieur de la procédure de demande d’asile. Dans sa demande de révision, le requérant explique cette omission, d’une part, par le fait qu’il avait honte, d’autre part, qu’il craignait les conséquences de son apostasie et, enfin, parce qu’il ne se serait rendu compte de l’importance de cet élément qu’à la suite de la décision rendue par la CRA le 5 août 2002. D’après l’État partie, l’explication fournie n’est guère convaincante.

4.11Même si les allégations d’apostasie étaient crédibles, il n’en résulterait pas automatiquement pour le requérant un risque d’être torturé en cas de renvoi au Pakistan. Selon le requérant, ses camarades d’études auraient découvert son apostasie en décembre 1998 et l’auraient ensuite sérieusement menacé. Or, l’État partie explique que si la police ou les adversaires musulmans du requérant avaient vraiment voulu soit l’arrêter, soit l’inquiéter, ils auraient pu le retrouver facilement à la résidence secondaire de sa famille lorsqu’il y a résidé de janvier à juillet 1999. Or, tel n’a pas été le cas. Bien au contraire, le requérant n’a rencontré aucune difficulté, ni à sa résidence secondaire, ni à Karachi, où il a séjourné à partir du mois d’août 1999 jusqu’à son départ en septembre 1999. De même, pour l’État partie, il est surprenant que le rapport de la police de Lahore du 9 février 1998 mentionne explicitement que le requérant est chrétien, alors que ce dernier prétend avoir présidé la section de la MSF de sa faculté depuis octobre-novembre 1997 et que son apostasie ne serait devenue publique qu’en décembre 1998.

4.12L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas un motif suffisant pour conclure qu’un individu risquerait d’être victime de la torture à son retour dans son pays, et que des motifs supplémentaires doivent, par conséquent, exister pour que le risque de torture puisse être qualifié, aux fins du paragraphe 1 de l’article 3, de «prévisible, réel et personnel». Enfin, l’État partie se réfère à l’Observation générale no 1 du Comité relative à l’application de l’article 3 selon laquelle «l’existence d’un tel risque doit être évaluée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons».

4.13Selon l’État partie, il semble que, de façon générale, les chrétiens ne sont pas persécutés au Pakistan. Ils peuvent vivre leur vie, en principe, sans être importunés. Le cas du requérant en est la preuve, comme le montre son curriculum vitæ. Il a, par exemple, pu participer régulièrement à différents congrès chrétiens à l’étranger. Il a pu rendre visite à des prisonniers chrétiens chaque semaine. Par ailleurs, la famille du requérant, elle aussi chrétienne, semble vivre sans difficulté majeure au Pakistan.

4.14Concernant les menaces d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique émanant des partisans de la MSF et de ses anciens camarades d’études, l’État partie rappelle que l’article 3 de la Convention doit être interprété à la lumière de son article premier. Or, cet article donne une définition des auteurs et en limite le cercle aux agents de la fonction publique ou à toute autre personne agissant à titre officiel ou à l’instigation ou avec le consentement expresse ou tacite de ces agents. Cette définition exclut donc l’application de cette disposition aux cas où la torture est infligée par un tiers. Selon le Comité, «la question de savoir si l’État partie a l’obligation de ne pas expulser une personne qui risque de se voir infliger une douleur ou des souffrances par une entité non gouvernementale, sans le consentement exprès ou tacite du Gouvernement, est en dehors du champ d’application de l’article 3 de la Convention».

4.15L’État partie explique que le Pakistan a connu des actes de violences graves contre des églises et d’autres institutions chrétiennes, mais les autorités pakistanaises ne tolèrent nullement ces actes. Le Président Musharraf a publiquement condamné le dramatique attentat d’août 2002 à Islamabad, et les forces de police ont arrêté 27 extrémistes musulmans dans ce contexte. À la suite d’un attentat à Lahore en décembre 1992, la police a arrêté quatre suspects, dont un religieux musulman. Le Gouvernement pakistanais a, de surcroît, pris des dispositions pour mieux protéger les lieux de culte chrétiens contre des actes commis par des extrémistes. Ainsi, les bâtiments de la Protestant International Church à Islamabad font partie des locaux les plus protégés au Pakistan. Enfin, le Gouvernement pakistanais a interdit sept organisations fondamentalistes musulmanes ces derniers mois.

4.16D’après l’État partie, au vu des réactions du Gouvernement pakistanais aux actes de violence graves contre les églises chrétiennes, l’on ne saurait affirmer qu’il tolère cette violence ou soit réticent à protéger les chrétiens. L’État partie estime que le simple fait que le requérant affirme que «la police ne lui apportera aucune protection contre [les] intentions homicides [de ses anciens camarades d’études et des partisans de la MSF]» ne permet pas de soutenir le contraire. La condition ratione personae n’est pas remplie dans le cas d’espèce.

4.17Finalement, l’État partie souscrit entièrement aux motifs sur lesquels s’est fondée la CRA pour conclure au manque de crédibilité des allégations du requérant. Il estime que les déclarations de ce dernier ne permettent nullement d’affirmer qu’il existe des motifs sérieux de penser, conformément au paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention, qu’il risque d’être torturé en cas de renvoi au Pakistan.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Par sa lettre du 4 août 2002, le requérant réitère les éléments de sa plainte initiale.

5.2Le requérant fait part, en outre, des difficultés qu’il a rencontrées au Pakistan après sa fuite du poste de police de Lahore au début de janvier 1999. Il explique qu’il a dû se cacher de janvier à juillet 1999 à la résidence secondaire de sa famille à Johannabad, qu’il y a vécu avec les portes verrouillées et les fenêtres obscurcies, qu’il a reçu en cachette de la nourriture de son père et qu’il a évité d’être aperçu par les voisins. Son oncle l’a ensuite caché pendant un mois à Karachi.

5.3Concernant son passeport, le requérant explique qu’au Pakistan, il est courant de charger quelqu’un d’accomplir à sa place les formalités nécessaires pour l’obtention de ce document, ce qui a été fait par son père, et le fait qu’il a pu se faire délivrer un passeport ne permet pas de relativiser le danger encouru.

5.4Le requérant confirme que le rapport de police de février 1998 le mentionne comme chrétien. Il soutient néanmoins que sa conversion à l’islam n’était connue qu’à l’Université de Lahore, dont les membres ne s’étaient rendus compte de son apostasie qu’en décembre 1998, et n’avaient donc informé la police qu’à compter de cette date.

5.5Le requérant fait valoir qu’indépendamment de la question de la plausibilité de ses dépositions dans le cadre de la procédure de demande d’asile suisse, les documents présentés certifient sa conversion à l’islam le 21 février 1990 et son second baptême selon le rite catholique romain le 27 février 1996.

5.6Enfin, tout en ne contestant pas que les autorités pakistanaises s’opposent à des actes de violence publics à l’encontre de chrétiens et d’installations chrétiennes, le requérant affirme qu’il court un danger en tant qu’apostat et au vu de la jurisprudence plus restrictive en matière de législation sur le blasphème. Il ajoute que la tendance islamiste et antichrétienne s’accentue au sein des organes étatiques pakistanais, notamment au sein de la police et de la justice, et que la législation sur le blasphème est interprétée restrictivement. Le requérant se réfère également à un article du 10 juillet 2003 sur la condamnation à l’emprisonnement à vie d’un rédacteur du quotidien Frontier Post en raison de la publication d’une lettre jugée critique à l’égard de l’islam. Finalement, le requérant conclut qu’il est tout à fait plausible qu’à son retour au Pakistan, il soit immédiatement dénoncé pour blasphème, arrêté par la police, torturé et condamné à mort.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte contenue dans une communication, le Comité contre la torture doit décider si elle est ou non recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’alinéa a du paragraphe 5 de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Dans le cas d’espèce, le Comité note aussi que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité. Il estime donc que la requête est recevable. L’État partie et le requérant ayant chacun formulé leurs observations sur le fond de la requête, le Comité procède à son examen quant au fond.

6.2Le Comité doit se prononcer sur le point de savoir si le renvoi du requérant vers le Pakistan violerait l’obligation de l’État partie, en vertu de l’article 3 de la Convention, de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

6.3Le Comité doit décider, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention, s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait d’être soumis à la torture s’il était renvoyé au Pakistan. Pour prendre cette décision, le Comité doit tenir compte de toutes les considérations pertinentes, conformément au paragraphe 2 de l’article 3, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Toutefois, le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé risquerait personnellement d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante d’établir qu’une personne donnée serait en danger d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister d’autres motifs qui donnent à penser que l’intéressé serait personnellement en danger. Pareillement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

6.4Le Comité rappelle son Observation générale n° 1 sur l’application de l’article 3, qui contient ce qui suit:

«Étant donné que l’État partie et le Comité sont tenus de déterminer s’il y a des motifs sérieux de croire que l’auteur risque d’être soumis à la torture s’il est expulsé, refoulé ou extradé, l’existence d’un tel risque doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. En tout état de cause, il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable.» (par. 6).

6.5Dans le cas d’espèce, le Comité note que l’État partie a fait état d’incohérences et de sérieuses contradictions dans les récits et observations du requérant permettant de douter de la véracité de ses allégations. Il prend également acte des informations fournies par le requérant à cet égard.

6.6Concernant la première partie de la requête portant sur le risque d’arrestation par les forces de police en cas de retour au Pakistan, le motif invoqué par le requérant est l’existence d’une procédure pénale pour blasphème à son encontre. Or, le Comité constate que la lettre du père du requérant datée du 20 juin 2002 et celle du Président de la CLA en date du 17 août 2002 faisant état de cette procédure sont contredites par ce dernier dans son courriel daté du 28 octobre 2002 et que cette observation faite par l’État partie n’a pas été commentée par le requérant. De même, le fait que le requérant ait séjourné à la résidence secondaire de son père pendant sept mois, puis chez son oncle durant deux mois, sans être inquiété par la police alors même que cette dernière cherchait à l’arrêter pour blasphème et, notamment, après sa fuite du commissariat de police, ne paraît pas plausible. Il en est de même pour l’obtention d’un nouveau passeport et le départ du requérant de l’aéroport de Karachi sans aucune difficulté. Les commentaires soumis ultérieurement par le requérant sur ces points (par. 5.3 et 5.5 ci-dessus) n’expliquent pas de manière satisfaisante ces incohérences.

6.7Le second motif d’arrestation invoqué par le requérant a trait à son apostasie en 1996. Le Comité constate, à ce sujet, que cet argument n’a été produit par le requérant qu’en réaction à des décisions des autorités suisses de rejet de sa demande d’asile, ceci sans que l’intéressé pourtant assisté d’un avocat tout au long de la procédure n’ait pu expliquer, de manière cohérente et convaincante, le caractère tardif de sa soumission, point que ne conteste d’ailleurs pas le requérant dans ses commentaires du 4 août 2002.

6.8Concernant la deuxième partie de la requête relative aux atteintes à l’intégrité physique du requérant, le Comité estime, en premier lieu, que l’intéressé n’a pas étayé son assertion de mauvais traitements lors de sa détention au début de janvier 1999. De même, les allégations quant aux risques de torture de la part de la police, puis de condamnation à mort en cas de renvoi au Pakistan, avancés par le requérant sont contredits par les constatations du Comité relatives aux risques d’arrestations. D’autre part, elles reposent sur des arguments insuffisamment étayés, voire même contradictoires, présentés par le requérant dans ses commentaires du 4 août 2002.

6.9Compte tenu de ce qui précède, le Comité estime que le requérant n’a pas démontré l’existence de motifs sérieux permettant de penser que son renvoi au Pakistan l’exposerait à un risque réel, concret et personnel de torture, aux termes de l’article 3 de la Convention.

7.Par conséquent, le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, estime que le renvoi du requérant au Pakistan ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Notes

Communication n o  223/2002

Présentée par:S. U. A.(représenté par un conseil)

Au nom de:Le requérant

État partie:Suède

Date de la requête:12 décembre 2002

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 22 novembre 2004,

Ayant achevé l’examen de la requête no 223/2002 présentée par S. U. A. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte la décision suivante:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1Le requérant est S. U. A., de nationalité bangladaise, né en 1972, qui est actuellement en attente d’expulsion de Suède. Il affirme que son renvoi au Bangladesh constituerait une violation par la Suède de l’article 3 de la Convention. Il est représenté par un conseil.

1.2Conformément au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention, le Comité a transmis la requête à l’État partie le 13 décembre 2002. En application du paragraphe 1 de l’article 108 du règlement intérieur, l’État partie a été prié de ne pas renvoyer le requérant au Bangladesh tant que sa requête serait en cours d’examen. Le 6 février 2003, l’État partie a informé le Comité que, le 13 décembre 2002, le Conseil des migrations avait décidé de suspendre l’exécution de la décision d’expulsion du requérant vers le Bangladesh.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant appartient à la faction Ershad du Parti Jatiya, qui ne fait pas partie de l’actuelle coalition gouvernementale au Bangladesh. Il déclare avoir participé à des activités organisées par le Parti Jatiya à Mithapur, à savoir réunions, manifestations, distribution de tracts, construction de routes et d’écoles ainsi qu’œuvres de bienfaisance. C’est à cause de ses activités au sein du Parti qu’il a été kidnappé une vingtaine de fois par des membres du Parti nationaliste du Bangladesh (Bangladesh Nationalist Party − BNP), au pouvoir, qui l’ont frappé et l’ont détenu pour une durée allant de quelques heures à une semaine. Ces incidents ont été signalés à la police, qui n’a rien fait.

2.2Le requérant aurait été arrêté trois fois par la police bangladaise et conduit au poste de police de Madaripur, où il a été torturé. Il a subi notamment des passages à tabac, des tentatives de viol, des électrochocs, des brûlures de cigarettes, a reçu des coups sur la plante des pieds, a été suspendu au plafond et contraint de boire de l’eau sale. Une fois il a été accusé de crimes non spécifiés, et les deux autres fois il a été accusé de meurtre et d’actes de violence commis pendant une manifestation, respectivement. Le requérant nie les faits qui lui sont reprochés et affirme que ces arrestations visaient à mettre un terme à ses activités politiques. Le conseil déclare qu’en raison de son état mental le requérant ne peut se rappeler les dates exactes, mais que les arrestations ont apparemment eu lieu en août 1996 et en novembre 1998. Le requérant prétend également avoir été reconnu coupable de tentatives de meurtre et condamné à huit ans de prison.

2.3Des copies de rapports médicaux établis par trois médecins suédois en 2001 sont annexées à la requête. Ceux‑ci indiquent que le requérant souffre de troubles post-traumatiques, que les cicatrices qu’il a sur le corps concordent avec les actes de torture qu’il a décrits et qu’il nécessite des soins médicaux.

2.4Le requérant fait valoir qu’il a épuisé tous les recours internes. Sa demande d’asile a été rejetée par le Conseil suédois des migrations le 21 février 2001 et l’appel qu’il a fait de cette décision a été rejeté par la Commission de recours des étrangers le 3 juin 2002.

Teneur de la plainte

3.Le requérant affirme qu’il sera torturé de nouveau s’il est renvoyé au Bangladesh. À l’appui de son affirmation, il cite notamment des rapports d’organisations non gouvernementales indiquant que la torture est couramment utilisée par la police au Bangladesh.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond de la requête

4.1Le 29 avril 2003, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la requête. Il indique que le requérant est entré en Suède le 23 mars 1999 en présentant un faux passeport qui contenait un faux certificat de résidence permanente en Suède. Il a demandé l’asile le même jour et a présenté un vrai passeport aux autorités suédoises.

4.2Le même jour, le Conseil des migrations a interrogé le requérant. Ce dernier a déclaré notamment avoir commencé à travailler pour le Parti Jatiya à la fin de ses études en 1994. Il a également déclaré avoir eu des liens avec le Parti depuis 1983, quand il était encore à l’école. Il distribuait des tracts et organisait des réunions du parti au cours desquelles il prenait la parole. Il y a quatre ou cinq ans, le requérant a été accusé de meurtre par des membres du Parti nationaliste bangladais (BNP) et par la Ligue Awami et arrêté par la police. Il est resté en garde à vue pendant 15 ou 20 jours avant d’être libéré sous caution et a ensuite été acquitté au procès. D’autres allégations fausses ont été dirigées contre lui. Il a également été arrêté par la police à plusieurs reprises, et relâché peu après à chaque fois.

4.3Un deuxième entretien a eu lieu au Conseil des migrations, le 20 décembre 2000, en présence du conseil juridique du requérant. Ce dernier a déclaré qu’il était en mauvaise santé et devait consulter un médecin. Il se sentait constamment tendu et nerveux, avait des difficultés pour dormir, mauvais appétit, des pertes de mémoire et des cauchemars. Il a également fait plusieurs déclarations divergentes et contradictoires concernant notamment les différentes formes de mauvais traitements qu’il aurait subis aux mains des membres du BNP d’une part, et de la police d’autre part, concernant les dates et la durée des périodes de détention et la date à laquelle il a commencé à travailler pour le Parti Jatiya ainsi que ses activités dans le cadre de ce parti.

4.4Le 30 janvier 2001, le conseil du requérant a déposé des observations écrites auprès du Conseil des migrations dans lesquelles il déclarait notamment que le requérant avait été détenu au commissariat de police de Madaripur et torturé au cours de trois séances différentes. En outre, il avait été de nombreuses fois kidnappé et roué de coups de bâton et de poing par des partisans du BNP, ce qui lui avait laissé de graves lésions au coude. Le requérant en outre avait été brutalisé par des partisans de la Ligue Awami. Le requérant ainsi que son parti avaient signalé ces incidents à la police, qui n’avait rien fait.

4.5Le 21 février 2001, le Conseil des migrations a rejeté la demande d’asile et ordonné l’expulsion du requérant vers le Bangladesh. Notant que les informations fournies par le requérant lors des deux auditions et celles figurant dans les observations écrites ultérieures divergeaient entre elles, et que le requérant avait modifié ses déclarations au cours du deuxième entretien, le Conseil a considéré que celui‑ci n’avait pas pu rendre compte de manière crédible de sa situation au Bangladesh ni de ses activités politiques au sein du Parti Jatiya. Ayant relevé plusieurs incohérences et bizarreries dans les déclarations du requérant, le Conseil a conclu que ce dernier n’avait pas montré qu’il était prabable que le BNP, les autres partis politiques ou les autorités du Bangladesh s’intéressent à lui. Le Conseil a en outre observé que les activités politiques qu’aurait eues le requérant, indépendamment du fait qu’elles sont peu crédibles, étaient légales au regard du droit bangladais et que les enlèvements et les brutalités dont il avait été victime de la part d’opposants politiques ne constituaient pas des actes sanctionnés par les autorités bangladaises. Tout en notant que les personnes en garde à vue au Bangladesh faisaient souvent l’objet de mauvais traitements de la part des policiers, le Conseil des migrations a été d’avis que ces actes ne constituaient pas des abus sanctionnés par les autorités bangladaises.

4.6Le 27 février 2001, le requérant a fait recours devant la Commission de recours des étrangers. Il a déclaré qu’une procédure judiciaire dans laquelle il était accusé avec trois autres personnes du meurtre d’un partisan du BNP était en cours devant le tribunal de Faridpur et a joint certaines «pièces judiciaires» relatives à cette procédure, ainsi qu’une lettre de l’avocat qui, selon lui, le représentait dans cette affaire. Le requérant a par la suite déclaré avoir été informé par son avocat qu’il avait été condamné à huit ans de prison pour tentative de meurtre. Il a également présenté plusieurs certificats et rapports médicaux ainsi qu’une copie de ce qu’il prétendait être un certificat délivré par un certain M. Khan, député du Bangladesh et membre du Comité central du Parti Jatiya, indiquant que le requérant avait été torturé et avait besoin de protection.

4.7Le 3 juin 2002, la Commission de recours a rejeté l’appel. Elle a considéré que les éléments d’information dont elle était saisie ne permettaient pas de conclure que le requérant pouvait être considéré comme un réfugié, ni qu’il risquait d’être exposé à un traitement inhumain ou dégradant au sens de la loi sur les étrangers. La Commission a en outre conclu qu’il n’existait aucun motif pour accorder au requérant un permis de séjour pour raisons humanitaires. En septembre 2002, le requérant a adressé une nouvelle demande à la Commission de recours des étrangers, dans laquelle il affirmait que l’exécution de l’arrêté d’expulsion serait inhumain. Cette nouvelle demande a été rejetée le 15 octobre 2002.

4.8L’État partie déclare qu’à sa connaissance la même question n’a pas été examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et que tous les recours internes disponibles ont été épuisés. Il considère toutefois que la requête doit être jugée irrecevable en vertu du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention, parce qu’elle manque du minimum d’éléments requis pour être étayée et donc compatible avec l’article 22.

4.9Concernant le fond, l’État partie évoque la situation des droits de l’homme au Bangladesh. Il déclare que, tout en restant problématique, celle-ci s’est améliorée. Depuis les changements démocratiques intervenus au début des années 90, aucune répression systématique des dissidents n’a été signalée et des groupes très divers de défense des droits de l’homme sont en règle générale autorisés à mener leurs activités. En revanche, la violence reste un élément omniprésent dans la vie politique du pays, et les heurts sont fréquents aux rassemblements et aux manifestations entre les militants des différents partis. La police utiliserait la torture physique et psychologique pendant les gardes à vue et les interrogatoires et les responsables seraient rarement punis. On dit aussi que la police n’est guère encline à mener des enquêtes contre les membres du parti au pouvoir, et que le Gouvernement utilise fréquemment la police à des fins politiques. Les arrestations arbitraires sont courantes et les juridictions de degré inférieur sont considérées comme vulnérables aux pressions de l’exécutif. En revanche, les juridictions de degré supérieur font preuve d’une réelle indépendance et statuent souvent en défaveur du Gouvernement dans les affaires pénales, civiles et même dans les affaires politiquement litigieuses. S’il peut arriver que des personnalités connues soient arrêtées et malmenées par la police, les persécutions à motivation politique sont rares au niveau de la base. Les affaires judiciaires fondées sur de fausses accusations sont courantes, mais ce sont généralement des cadres dirigeants des partis politiques qui sont visés. Les personnes qui militent politiquement à la base peuvent éviter brimades et vexations en changeant de domicile.

4.10L’État partie maintient que les autorités suédoises appliquent les mêmes critères, lorsqu’elles examinent une demande d’asile présentée au titre de la loi sur les étrangers, que le Comité lorsqu’il examine une requête présentée au titre de la Convention. Dans sa décision du 3 juin 2002, la Commission de recours des étrangers a conclu que les normes qu’elle se fixait pour apprécier les éléments de preuve et statuer sur le recours du requérant en vertu de la loi sur les étrangers correspondaient à celles établies par le Comité en vertu de l’article 3 de la Convention.

4.11Entre 1990 et 2000, en Suède, 1 427 demandes d’asile ont été déposées par des ressortissants du Bangladesh. Des permis de séjour ont été accordés dans 629 cas, entre autres lorsque le requérant nécessitait une protection compte tenu du risque qu’il courait d’être soumis à la torture et à d’autres mauvais traitements en cas d’expulsion. Les autorités suédoises ont par conséquent une grande expérience pour ce qui est d’analyser les allégations des demandeurs d’asile du Bangladesh et il convient d’accorder un poids considérable à leur opinion.

4.12L’État partie appelle l’attention du Comité sur le caractère contradictoire des déclarations faites par le requérant pendant l’entretien et de celles que le conseil a faites ensuite en son nom. Il conteste que les déclarations du conseil puissent être considérées comme le reflet exact du récit fourni par le requérant pendant l’entrevue. En tout état de cause, il ne fait aucun doute que ce sont les déclarations faites directement par le requérant aux fonctionnaires du Conseil des migrations pendant les deux entretiens qui apportent les meilleurs éléments à partir desquels on peut déterminer la véracité de ses allégations.

4.13L’État partie relève que, dans les deux entretiens, le requérant a fourni des renseignements contradictoires sur deux éléments qui sont au cœur de son récit: i) l’identité du (des) groupe(s) politique(s) qui serait (seraient) à l’origine des fausses allégations de meurtre dirigées contre lui, et ii) la question de savoir si l’allégation formulée contre lui, et à l’origine de son arrestation et des actes de torture, s’est produite peu de temps avant son départ ou, au contraire, quatre ou cinq ans auparavant. En outre, les déclarations faites par le requérant à ce sujet au cours du second entretien, ainsi que les différentes déclarations qu’il a faites à cette occasion sur le nombre d’arrestations et de détentions dont il prétend avoir été victime, sont difficilement conciliables avec les renseignements contenus dans les observations écrites supplémentaires que le conseil a présentées par la suite en son nom. Le Comité dans sa jurisprudence a certes souligné que l’on pouvait rarement attendre une précision totale des victimes de la torture, mais les contradictions que contiennent les déclarations du requérant aux autorités suédoises sont de nature à susciter de sérieux doutes quant à la crédibilité qu’il convient d’accorder en général à ses allégations.

4.14Il convient aussi de relever que, pendant le premier entretien, le requérant n’a pas indiqué avoir une seule fois été séquestré par des partisans du BNP ni avoir subi des tortures aux mains de la police ou du BNP. En outre, alors qu’il a déclaré, pendant le second entretien, n’avoir jamais signalé les brimades et vexations à la police car il savait qu’il ne pouvait en attendre aucune aide, on lit dans les observations ultérieures du conseil que le requérant et le Parti Jatiya ont signalé les incidents en question à la police, mais que rien n’a été fait contre leurs auteurs. Interrogé à plusieurs reprises sur ses activités de militant dans son parti, le requérant a déclaré, à la fin du premier entretien seulement, que les partisans du BNP s’intéressaient à lui parce qu’il était responsable d’activités telle que la construction de routes dans son village, rôle très différent des autres tâches qu’il prétendait être les siennes (préparer les réunions du parti, distribuer des tracts, etc.). En revanche, lorsqu’on lui a demandé de rappeler la date à laquelle il a commencé à travailler pour le Parti, il ne s’en souvenait pas. En outre, des incertitudes demeurent quant à la situation matrimoniale du requérant, étant donné que les informations qu’il a fournies ne concordent pas.

4.15L’État partie reconnaît qu’un diagnostic de troubles post‑traumatiques a été posé dans le cas du requérant. Toutefois, les certificats médicaux qu’il a fournis ne démontrent pas l’existence, au moment du deuxième entretien, d’un état mental de nature à expliquer le manque de clarté et le caractère contradictoire des déclarations qu’il a faites sur des aspects essentiels de sa détention et des tortures subies. Il convient de faire une distinction entre l’état de santé du requérant au moment du deuxième entretien et son état de santé physique et mentale tel qu’il ressort des certificats médicaux ultérieurs fournis aux autorités suédoises et au Comité. Alors qu’au moment du second entretien, le requérant s’est plaint de ne pas se sentir bien, les certificats mentionnés plus haut indiquent que son état de santé s’est aggravé progressivement durant l’année 2001. Les certificats en question, datés d’août, septembre et octobre 2001, ainsi que d’août 2002, ne peuvent être considérés comme rendant compte de l’état de santé du requérant au moment du second entretien. En outre, rien n’indique dans ces certificats que le requérant, aurait signalé pendant les auscultations avoir subi des violences physiques entre les mains des militants du BNP; il aurait simplement mentionné avoir été torturé deux fois par la police.

4.16En ce qui concerne les allégations du requérant selon lesquelles il était poursuivi en justice pour meurtre, l’ambassade de Suède à Dhaka a engagé les services d’un avocat sérieux pour se renseigner à ce sujet. Cet avocat a examiné les documents en bengali présentés par le requérant et a pris les renseignements auprès du Magistrate Court de Madaripur. En consultant les registres d’audience du tribunal, il a constaté que les numéros des affaires indiquées dans les documents en question visaient différentes procédures concernant trois accusés différents et différents articles du Code pénal. Dans aucune de ces affaires n’apparaissait un accusé portant le nom du requérant.

4.17à deux reprises, le requérant a communiqué des pièces qu’il a prétendu être des copies de certificats délivrés par un certain M. Shajahan Khan, député au Parlement du Bangladesh et membre du Comité central du Parti Jatiya. Renseignements pris par l’ambassade de Suède à Dhaka, il n’y a pas de député du Parti Jatiya portant ce nom. Il existe un député de la Ligue Awami du nom de Shajahan Khan, qui exerce ses activités dans le district de Madaripur.

4.18L’État partie indique en outre que les informations fournies par le requérant au sujet de sa situation matrimoniale ne sont pas claires. Celui‑ci a déclaré ne pas être marié au cours du premier entretien avec le Conseil suédois des migrations. Toutefois, une affaire distincte était en instance devant la Commission de recours des étrangers. Elle concernait une Bangladaise qui était arrivée en Suède, en septembre 2002 et avait demandé l’asile. Celle-ci a déclaré au Conseil des migrations que son époux avait disparu trois ans et demi auparavant et qu’elle ne savait pas où il était. Elle a ensuite déclaré à la Commission de recours des étrangers avoir appris que son mari se trouvait en Suède. Dans des communications ultérieures à la Commission, son conseil a indiqué qu’elle était mariée au requérant et a offert de présenter des documents le prouvant. À la connaissance de l’État partie, aucune pièce de ce type n’a été fournie pour l’instant.

4.19Vu les conclusions que l’on peut tirer touchant la crédibilité générale du requérant, l’État partie maintient que, si les attestations médicales fournies par le requérant peuvent indiquer qu’il a subi, à un certain moment, de graves sévices physiques, une grande circonspection s’impose avant d’accorder à ces attestations une valeur de preuve quant à l’identité des auteurs de violences. L’éventualité d’un risque d’être soumis à de mauvais traitements par une entité non gouvernementale ou par des particuliers, sans le consentement ou l’approbation du gouvernement du pays d’accueil, est une question qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention.

4.20Vu le caractère limité des activités politiques que prétend avoir eues le requérant et de la période écoulée depuis que se sont produits les actes de torture allégués et depuis le départ du requérant de son pays, l’État partie doute que le requérant soit aujourd’hui une personnalité politique d’une importance telle pour ses anciens opposants politiques que l’on puisse avoir des motifs sérieux de le croire en danger d’être persécuté, soit directement par des militants du BNP ou d’un autre parti, soit indirectement par le biais d’une influence exercée sur la police. Si un tel risque existait, compte tenu du rôle politique purement local du requérant, il serait très limité géographiquement et le requérant pourrait assurer sa sécurité en s’installant dans une autre région.

4.21À la lumière des éléments d’information et documents présentés par le requérant, l’État partie soutient que ce dernier n’a pas étayé sa plainte et qu’il n’existe pas de motif sérieux de croire que son expulsion constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. En outre, la requête ne réunit pas les éléments requis pour la rendre compatible avec l’article 22 de la Convention et doit par conséquent être déclarée irrecevable.

Commentaires du conseil

5.1Dans des lettres du 3 juillet 2003, du 9 octobre 2003 et du 23 avril 2004, le conseil maintient qu’en raison de ses problèmes psychiatriques le requérant a parfois donné des réponses différentes aux mêmes questions et que ces problèmes sont des séquelles des tortures qu’il a subies. Le conseil fait également valoir que la requête répond aux critères de recevabilité et rappelle que la torture est pratiquée couramment au Bangladesh, comme en attestent les rapports d’organisations non gouvernementales bien connues. Il fournit la copie d’un certificat médical délivré le 8 mai 2003, indiquant que le requérant souffre de troubles post‑traumatiques et de dépression et présente des tendances suicidaires. Le conseil affirme en outre que l’épouse du requérant souffre également des mêmes troubles et qu’elle a subi des tortures au Bangladesh à cause des activités politiques du requérant.

5.2En ce qui concerne les documents fournis par le requérant à l’appui de sa plainte qui font état d’une procédure judiciaire engagée contre lui devant le Magistrate Court de Madaripur, le requérant continue à penser que ces documents sont authentiques. Dans le cas contraire, il a lui‑même été trompé.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Dans le cas à l’examen, le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et que les recours internes ont été épuisés, comme le reconnaît l’État partie. En outre, il note que, selon l’État partie, la requête devrait être déclarée irrecevable parce qu’insuffisamment étayée. Le Comité considère, toutefois, que les arguments soulevés par l’État partie concernent seulement des questions de fond qui devraient être examinées lors de l’examen au fond et non au stade de l’examen de la recevabilité. Le Comité ne voit pas d’autre obstacle à la recevabilité de la requête et, par conséquent, il la déclare recevable et procède à l’examen de la question au fond.

6.2Le Comité doit déterminer si le retour forcé du requérant au Bangladesh constituerait une violation de l’obligation de l’État partie au titre de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

6.3Le Comité doit se demander s’il y a des motifs sérieux de croire que l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture à son retour au Bangladesh. Pour évaluer ce risque, le Comité doit tenir compte de toutes les considérations pertinentes, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, y compris l’existence, dans le pays où la personne est renvoyée, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois sa jurisprudence constante selon laquelle le but recherché est d’établir si l’intéressé courrait personnellement un risque d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans un pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’une personne donnée risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans sa situation particulière. En outre, le risque de torture doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons mais il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable.

6.4Le Comité a pris note des rapports médicaux attestant que le requérant souffrent de troubles post traumatiques, ainsi que des certificats des médecins indiquant que les cicatrices qu’il porte sur le corps concordent avec les actes de torture que le requérant à décrits. Il note aussi les doutes de l’État parti quant à l’identité des auteurs de ces actes ainsi que les informations faisant état du recours à la torture au Bangladesh et de fréquents incidents violents entre militants des différents partis politiques.

6.5Néanmoins, les déclarations du requérant aux autorités suédoises comprennent des incohérences et manquent de clarté sur des questions qui revêtent de l’importance pour évaluer sa plainte. S’agissant de la crédibilité de ce dernier, les autorités suédoises sont parvenues à des conclusions qui, de l’avis du Comité, étaient raisonnables et dénuées de tout arbitraire.

6.6Le Comité conclut que les informations présentées par le requérant, notamment le caractère local et modeste de ses activités politiques au Bangladesh, ne contiennent pas d’éléments suffisants pour étayer l’allégation selon laquelle il courra un risque substantiel d’être soumis à la torture s’il est renvoyé au Bangladesh.

7.Compte tenu de ce qui précède, le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que la décision de l’État partie de renvoyer le requérant au Bangladesh ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Note

Communication n o  226/2003

Présentée par: T. A.(représentée par un conseil, Mme Gunnel Stenberg)

Au nom de:La requérante et sa fille S. T.

État partie:Suède

Date de la communication:16 janvier 2003

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 6 mai 2005,

Ayant achevé l’examen de la requête no 226/2003, présentée par Mme T. A. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte detoutes les informations qui lui ont communiquées par la requérante, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1La requérante est Mme T. A., de nationalité bangladaise, qui soumet la requête en son nom et au nom de sa fille, S. T., née en 1996. La mère et la fille sont en attente d’expulsion de Suède vers le Bangladesh. Mme T. A. affirme que son expulsion vers ce pays constituerait une violation par la Suède des articles 3 et 16 et peut‑être de l’article 2 de la Convention. Elle est représentée par Mme Gunnel Stenberg.

1.2Le 20 janvier 2003, le Comité a transmis la requête à l’État partie, en application du paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention. Conformément au paragraphe 1 de l’article 108 de son règlement intérieur, il l’a prié de ne pas expulser la requérante et sa fille vers le Bangladesh tant que leur requête serait à l’examen. Le 11 mars 2003, l’État partie a informé le Comité qu’il surseoirait à l’exécution de l’arrêté d’expulsion en attendant que le Comité examine la requête.

Rappel des faits présentés par la requérante

2.1La requérante et sa fille sont arrivées en Suède le 13 octobre 2000 munies d’un visa de touriste pour rendre visite à la sœur de la requérante. Elles ont déposé une demande d’asile le 9 novembre 2000. Le 24 septembre 2001, le Conseil des migrations a rejeté leur demande et ordonné leur expulsion. Le 25 février 2002, la Commission de recours des étrangers a confirmé la décision du Conseil des migrations. Deux nouvelles demandes de permis de résidence fondées sur des motifs humanitaires ont aussi été rejetées par la Commission. Une troisième demande a été présentée le 17 décembre 2002. La Commission de recours des étrangers a rejeté, le 19 décembre 2002, une demande de sursis à exécution de l’arrêté d’expulsion. La requérante affirme qu’elle a ainsi épuisé tous les recours internes.

2.2Devant le Conseil des migrations, la requérante a indiqué qu’elle était devenue membre active du Parti Jatiya au Bangladesh en 1994 et que son mari militait au sein de ce parti depuis bien avant cette date. En 1996, elle a été nommée secrétaire de l’association féminine locale du Parti à Mirpur Thana, où vivait sa famille. Elle avait pour tâche d’informer le public du travail accompli par le Parti, de prendre la parole dans les réunions et de participer aux manifestations. En 1999, à la suite d’une scission au sein du Parti, elle et son mari sont restés dans la fraction dirigée par M. Ershad.

2.3Le 7 septembre 1999, à la suite d’une manifestation au cours de laquelle une grenade avait été lancée, la police a arrêté la requérante. Pendant sa détention, Mme T. A. a été victime de mauvais traitements et blessée à l’orteil. Elle a été libérée le lendemain. Le 23 novembre 1999, des membres de la Ligue Awami ont brutalisé la requérante et son époux. Ils ont accusé ce dernier du meurtre d’un des membres de la Ligue au cours d’une manifestation à laquelle il avait participé. Vers le 21 janvier 2000, une main coupée a été placée devant la maison du couple. Le 10 avril 2000, d’autres membres de la Ligue ont saccagé le domicile de M. et Mme T. A. et demandé à la requérante de leur dire où se trouvait son mari, qui vivait alors en cachette. La requérante a signalé l’incident à la police qui a refusé de mener une enquête lorsqu’elle a su que les responsables appartenaient à la Ligue Awami.

2.4Le 16 août 2000, la police, accompagnée par des membres de la Ligue Awami, a arrêté la requérante et sa fille au domicile de ses parents où elles s’étaient réfugiées. L’enfant, qui avait alors 4 ans, a été poussée si violemment qu’elle est tombée et s’est blessée au front. La requérante a été conduite au poste de police, accusée de trafic d’armes, soumise à des actes de torture et violée pour qu’elle fasse des aveux. Ses agresseurs l’ont frappée avec la crosse d’un fusil, suspendue par les pieds jusqu’à ce qu’elle commence à saigner du nez, déshabillée et brûlée à la cigarette. On lui a versé de l’eau dans les narines. Elle a été ensuite violée et a fini par perdre conscience. Elle a été libérée le lendemain après que son père eut soudoyé des policiers. Elle a été obligée de signer un document dans lequel elle s’engageait à s’abstenir de toute activité politique et à ne pas quitter la ville ou le pays. Après sa libération, la requérante a été soignée dans une clinique privée au Bangladesh. Depuis son arrivée en Suède, elle est en contact avec ses proches, qui lui ont fait savoir que la police bangladaise continuait à la rechercher.

2.5Comme preuve de ses activités politiques, la requérante a présenté au Conseil des migrations un reçu attestant le paiement de ses droits d’adhésion au Parti Jatiya et une attestation de ce parti indiquant qu’elle avait rejoint ses rangs en 1994 et qu’elle y avait été élue vice‑secrétaire en janvier 1996. Elle a également fourni un rapport médical, daté du 17 août 2000, établi par un hôpital au Bangladesh qui confirmait qu’elle avait été physiquement agressée et violée. Le rapport précisait qu’elle avait plusieurs traces de brûlures de cigarette sur sa cuisse droite et sa main droite, des contusions au poignet, une coupure à un doigt de sa main droite et un hématome au dos et qu’elle saignait du vagin au‑dessus de la vulve. La requérante a également présenté un certificat médical établi par un psychologue, le 22 mai 2001, indiquant que son état mental s’était détérioré, qu’elle souffrait d’insomnie, de nausées, qu’elle vomissait et qu’elle avait des sueurs froides, des difficultés à se concentrer et à parler, des accès de faiblesse et de vives réminiscences du viol qu’elle avait subi. Un autre certificat, établi par un psychologue suédois le 7 septembre 2001, montrait qu’elle souffrait de troubles post‑traumatiques caractérisés par des cauchemars, des réminiscences et plusieurs symptômes physiques prononcés. Le même certificat précisait que la fille de la requérante souffrait de constipation, n’avait pas d’appétit et avait des difficultés à dormir. L’enfant souffrait d’un traumatisme caractérisé du fait de l’attente d’une décision quant à l’octroi d’un permis de résidence.

2.6La requérante souligne que le Conseil des migrations n’a pas contesté qu’elle ait été torturée et violée. Il a cependant conclu que ces actes étaient imputables non pas à l’État bangladais mais à des agents de police agissant à titre individuel. Le Conseil des migrations a également souligné que le Parti Jatiya participait à une coalition avec le Parti national bangladais (BNP) qui est actuellement au pouvoir.

2.7Devant la Commission de recours des étrangers, la requérante a contesté les conclusions du Conseil des migrations. Elle a nié que la fraction Ershad du Parti Jatiya soit alliée au BNP et a fait observer qu’au moment de la présentation de son recours à la Commission le chef de cette fraction, M. Ershad, avait quitté le Bangladesh. Pour ce qui est des actes de torture et du viol, elle a fait valoir que la police faisait partie de l’État bangladais mais qu’il était vain de déposer des plaintes contre des policiers parce qu’elles ne faisaient jamais l’objet d’enquêtes et que généralement la situation de la victime se détériorait si elle décidait de porter plainte. Elle a cité des rapports du Département d’État des États-Unis et d’Amnesty International selon lesquels la torture était fréquente et pratiquée de manière routinière au Bangladesh. Elle a également soumis trois certificats, datés des 20 et 22 novembre 2001 et du 22 février 2002, respectivement, indiquant que les troubles post‑traumatiques dont elle souffrait s’étaient aggravés et qu’il y avait un sérieux risque de suicide. Un certificat indiquait que la fille de la requérante avait des cauchemars et des réminiscences de l’incident durant lequel la maison familiale avait été saccagée au Bangladesh, et que son développement émotionnel en avait pâti.

2.8Dans sa décision du 25 février 2002, la Commission de recours des étrangers a estimé que la torture et le viol n’étaient pas imputables à l’État mais à des policiers agissant de manière isolée, que la requérante avait travaillé pour un parti légal et en avait été un membre ordinaire sans influence notable et qu’en raison des changements politiques intervenus au Bangladesh, il n’y avait pas de sérieux motif de croire qu’elle serait arrêtée et torturée par la police en cas de renvoi dans son pays.

2.9Comme pièces jointes à ses nouvelles demandes de permis de résidence fondées sur des motifs humanitaires déposées le 20 mai et le 1er juillet 2002, la requérante a soumis d’autres certificats médicaux attestant la détérioration de sa santé mentale et de celle de sa fille. Ces certificats, qui étaient datés des 19 et 22 avril et du 7 mai 2002, montraient que l’état de santé mentale de la requérante avait empiré après la décision de la Commission de recours des étrangers. Elle souffrait d’une dissociation mentale et avait la sensation de vivre au présent le traumatisme qu’elle avait subi. Elle avait des tendances suicidaires de plus en plus marquées. Sa fille présentait quant à elle les symptômes d’un grave traumatisme. Le 26 mai 2002, la requérante a fait une tentative de suicide et a été conduite au service psychiatrique de l’hôpital St. Goran à Stockholm le même jour pour y subir un traitement psychiatrique obligatoire. Se fondant sur le risque de suicide, le 26 mars 2002, un psychiatre a certifié qu’elle souffrait de graves troubles mentaux et probablement d’une psychose. Selon un autre expert, la santé mentale de la requérante s’était encore aggravée après sa sortie de l’hôpital le 6 août 2002. Elle ne pouvait plus s’occuper de sa fille qui avait été placée dans une autre famille. L’expert a suggéré que la requérante bénéficie de soins ambulatoires parce que sa santé mentale s’était aggravée durant son séjour à l’hôpital. En ce qui concerne la fille de la requérante, le certificat médical indiquait qu’elle avait sombré dans un état grave et dangereux et qu’elle aurait besoin d’une psychothérapie de longue durée.

2.10La Commission de recours des étrangers a rejeté les nouvelles demandes de la requérante au motif que les éléments de preuve présentés ainsi que l’évaluation de l’état général de l’intéressée ne justifiaient pas la délivrance de permis de résidence. Pour ce qui est de la fille de la requérante, la Commission est arrivée à la conclusion qu’elle avait des attaches familiales au Bangladesh où il y avait son père, ses grands‑parents maternels et les frères et sœurs de sa mère, que la requérante et sa fille ne séjournaient en Suède que depuis deux ans, qu’il était dans l’intérêt supérieur de l’enfant qu’elle retrouve un environnement familier et que c’était dans un tel environnement que les soins dont elle avait besoin pourraient être le mieux assurés.

2.11Le 17 décembre 2002, une nouvelle demande de permis de résidence fondée sur des motifs humanitaires a été déposée. Les nouveaux éléments soumis consistaient en des rapports établis par des experts qui avaient été en contact avec la requérante et sa fille, ainsi qu’un rapport du service de la famille du bureau de la sécurité sociale à Rinkeby adressé à Bromstergarden, organisme chargé d’évaluer les besoins des enfants, l’aptitude des mères à prendre soin d’eux ainsi que la question de savoir s’il fallait regrouper la mère et l’enfant et organiser des réunions de soutien. Selon ces éléments de preuve, l’état mental de la requérante s’était tellement détérioré qu’elle était complètement coupée de sa fille. Cet état d’aliénation non seulement empêchait la mère d’assurer à sa fille les soins dont elle avait besoin, mais menaçait gravement l’équilibre psychique de cette dernière. En outre, un rapport concluait que la requérante avait décidé de se donner la mort et de tuer sa fille si elle était obligée de retourner au Bangladesh. Tant la requérante que sa fille avaient besoin d’un contact continu avec un psychothérapeute.

Teneur de la plainte

3.1La requérante affirme qu’il y a de sérieux motifs de croire qu’elle serait torturée si elle était renvoyée au Bangladesh. Elle fait valoir que les critères établis à l’article 3 de la Convention sont remplis. Ni le Conseil des migrations ni la Commission de recours des étrangers n’a remis de quelque manière que ce soit en question ses déclarations sur ses activités politiques, les arrestations par la police, le fait que ces arrestations étaient motivées par ses activités politiques, la torture et le viol dont elle avait été victime ou ses affirmations selon lesquelles la police avait continué à la rechercher après son départ du Bangladesh. Elle soutient qu’elle risque le même traitement si elle est renvoyée dans son pays.

3.2La requérante affirme qu’eu égard aux témoignages médicaux versés dans son dossier, l’exécution de l’arrêté d’expulsion constituerait en lui‑même une violation de l’article 16 de la Convention et peut‑être aussi de l’article 2 compte tenu de l’état psychique fragile dans lequel elle et sa fille se trouvent et des troubles post‑traumatiques aigus dont elle souffre par suite des persécutions et des tortures dont elle a été victime.

3.3La requérante fait valoir que la description des tortures dont elle a été victime coïncide avec ce que l’on sait de manière générale de la pratique de la torture par la police bangladaise. Elle se réfère à plusieurs rapports émanant de gouvernements et d’organisations non gouvernementales internationales. Selon ces rapports, la torture pratiquée par la police à l’encontre des opposants politiques est non seulement autorisée par le pouvoir politique mais aussi perpétrée à son instigation et soutenue par lui. En outre, les tribunaux nationaux ne sont pas indépendants et les décisions des juridictions supérieures ne sont souvent pas respectées par l’exécutif.

3.4La requérante conteste la conclusion de la Commission de recours des étrangers selon laquelle, en raison du changement de situation au Bangladesh à la suite des élections d’octobre 2001, elle ne risque plus d’être torturée en cas de renvoi. Elle déclare que ces élections n’ont pas modifié la situation politique au Bangladesh au point où l’on peut considérer que les motifs de persécution n’existent plus. Le changement de gouvernement ne signifie pas en lui‑même que les personnes qui ont fait l’objet de fausses accusations du fait de leurs activités politiques seraient acquittées. Elles risquaient encore d’être arrêtées par la police et de subir des mauvais traitements et des actes de torture.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la requête

4.1Le 2 avril 2003, l’État partie a formulé ses observations sur la recevabilité et le fond de la requête. Il reconnaît que tous les recours internes ont été épuisés mais affirme que la requête est irrecevable dans la mesure où l’allégation de la requérante, selon laquelle elle risque de subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention en cas de renvoi au Bangladesh, n’a pas été suffisamment étayée pour que sa plainte puisse être jugée compatible avec l’article 22 de la Convention.

4.2L’État partie conteste aussi l’affirmation selon laquelle l’exécution de l’arrêté d’expulsion constituerait en elle‑même une violation des articles 2 ou 16 de la Convention compte tenu de la fragilité psychique de la requérante et de sa fille. En effet, l’exécution d’un arrêté d’expulsion ne peut être considérée comme un acte de torture au sens de l’article premier de la Convention, et l’article 2 s’applique seulement à des actes pouvant être assimilés à la torture au sens de l’article premier. En conséquence, l’article 2 n’est pas applicable en l’espèce. Quant à l’article 16, il protège les personnes privées de leur liberté ou qui sont sous le pouvoir ou le contrôle effectif de la personne responsable du traitement ou de la peine, et la requérante peut difficilement être considérée comme une victime dans ce sens. La requête devrait donc être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention.

4.3Sur le fond et en ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 3 de la Convention, l’État partie indique que, même si la situation générale des droits de l’homme au Bangladesh est problématique, des améliorations ont été constatées ces dernières années. Le Bangladesh est une démocratie parlementaire depuis 1991. Sous le premier gouvernement issu du BNP qui a été au pouvoir de 1991 à 1996, des efforts croissants ont été faits pour protéger les droits de l’homme. En 1996, un nouveau gouvernement issu de la Ligue Awami était arrivé au pouvoir par le biais d’élections considérées généralement comme libres et régulières par les observateurs. Le BNP est retourné au pouvoir après les élections du 1er octobre 2001. Bien que la violence soit un élément constant dans la vie politique du pays et que les affrontements entre les partisans des différents partis politiques et entre ceux‑ci et la police au cours de rassemblement et de manifestations soient fréquents, un vaste éventail de groupes de défense des droits de l’homme sont généralement autorisés à avoir des activités dans le pays. La police recourrait à la torture et à des mauvais traitements lorsqu’elle interroge des suspects, et le viol de détenues dans les prisons ou en garde à vue constitue un problème. Toutefois, aucun incident de ce type n’a été signalé en 2001. La police serait souvent réticente à mener des enquêtes sur des personnes appartenant au parti au pouvoir. Néanmoins, les tribunaux supérieurs font preuve de beaucoup d’indépendance et prononcent souvent des jugements contre le gouvernement dans des affaires controversées d’ordre pénal, civil et même politique. La Commission de recours des étrangers a effectué un voyage d’étude au Bangladesh en octobre 2002. Selon son rapport confidentiel, il n’y a pas de persécutions institutionnalisées dans ce pays et la persécution pour des raisons politiques est rare au niveau communautaire. L’État partie ajoute que le Bangladesh est partie à la Convention et, depuis 2001, au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

4.4L’État partie rappelle que les autorités appliquent le même critère que celui qui est énoncé à l’article 3 de la Convention à chaque demandeur d’asile. Dans le cas de la requérante, le Conseil des migrations a pris sa décision à l’issue de deux entretiens approfondis avec elle. L’État partie considère qu’il convient d’accorder tout le crédit voulu aux conclusions des services d’immigration suédois. Selon lui, le renvoi de la requérante au Bangladesh ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

4.5L’État partie considère que, même si des certificats médicaux attestent que la requérante a été torturée par le passé, cela ne signifie pas qu’elle a étayé son affirmation selon laquelle elle risque de l’être à l’avenir en cas de renvoi au Bangladesh. La requérante affirme qu’elle risque d’être torturée parce qu’elle est membre du Parti Jatiya et parce qu’elle est encore recherchée par la police. Or, aux élections d’octobre 2001, ce parti a remporté 14 sièges au Parlement. La Ligue Awami qui persécutait la requérante a perdu le pouvoir. Comme ce parti n’est plus au gouvernement, la requérante n’a plus de raison de craindre d’être persécutée par la police. Qui plus est, elle n’a occupé aucun poste important au sein du Parti Jatiya. La requérante n’a pas apporté de preuve à l’appui de son affirmation selon laquelle elle est encore recherchée par la police ou qu’elle risque d’être persécutée ou torturée en cas de retour au Bangladesh.

4.6L’État partie fait valoir que, même si elle risque encore d’être persécutée par la Ligue Awami, il s’agit d’une entité non gouvernementale dont les actes ne peuvent être imputés aux autorités bangladaises. Selon la jurisprudence du Comité les persécutions de ce type ne relèvent pas de l’article 3 de la Convention. En outre, la requérante ne serait exposée à de telles persécutions que dans une zone déterminée et elle pourrait améliorer sa sécurité en allant dans une autre région du pays.

4.7L’État partie souligne aussi que la requérante a été libérée par la police le 17 août 2000 et qu’elle n’a apparemment fait aucun effort pour quitter le pays à ce moment‑là. Elle a obtenu un visa le 22 août 2000. Bien qu’elle affirme qu’elle se cachait et qu’elle était recherchée par la police, elle a pu se rendre à l’ambassade de Suède à Dhaka le 28 août 2000 pour que le visa soit apposé sur son passeport. Ces faits indiquent que même à cette période‑là elle ne courait peut‑être pas le risque d’être arrêtée. D’autre part, bien qu’elle affirme avoir été obligée de se cacher en avril 2000, elle n’a eu aucun mal à obtenir un passeport pour elle et pour sa fille en mai 2000. En outre, elle n’a demandé l’asile qu’à peu près deux mois après son arrivée en Suède. Un véritable demandeur d’asile n’aurait pas attendu près de deux mois avant de s’adresser aux autorités. Qui plus est, elle a déclaré que son mari se cachait depuis janvier ou avril 2000 pour échapper aux persécutions de la Ligue Awami et qu’elle n’avait pas été en mesure de le contacter depuis lors. Cela ne l’a pas empêchée, lorsqu’elle a demandé le visa, de donner la même adresse pour elle et son mari.

4.8L’État partie conclut que la requérante n’a pas fourni suffisamment de preuves, et les circonstances qu’elle a invoquées ne sont pas suffisantes pour conclure qu’elle court personnellement un risque prévisible et réel d’être torturée. L’État partie, à qui le Comité avait demandé des renseignements complémentaires sur les activités politiques de la requérante ainsi que sur la situation de son mari et sur les activités politiques de celui‑ci, a fait savoir qu’il n’en avait aucune connaissance et n’était pas en mesure de donner des renseignements complémentaires sur ces points.

4.9Pour ce qui est de la violation présumée des articles 2 et 16, l’État partie soutient que l’application d’un arrêté d’expulsion ne saurait être considérée comme un acte de torture, même si la requérante souffre de problèmes psychiques et qu’elle ne peut être considérée comme une victime de la torture au sens de l’article 2 ou d’un traitement cruel, inhumain ou dégradant au sens de l’article 16. En outre, l’État partie rappelle la jurisprudence du Comité relative à l’article 16 selon laquelle l’aggravation de l’état de santé de la requérante qui pourrait résulter de son expulsion ne constitue pas le type de traitement cruel, inhumain ou dégradant visé à l’article 16 de la Convention. L’État partie déclare que c’est seulement dans des circonstances très exceptionnelles et lorsqu’il y a des considérations humanitaires impérieuses que l’exécution d’un arrêté d’expulsion peut constituer en elle‑même une violation de l’article 16 de la Convention. Les certificats médicaux présentés par la requérante indiquent qu’elle souffre de troubles post‑traumatiques aigus et que son état de santé s’est détérioré par suite de la décision de ne pas l’autoriser à rester en Suède et de l’expulser au Bangladesh. Cela dit, aucun élément de preuve n’a été fourni pour démontrer qu’elle avait de sérieux motifs de craindre un renvoi au Bangladesh. En outre, son mari, ses parents et plusieurs autres membres de sa famille sont au Bangladesh et peuvent la soutenir et lui venir en aide. Les services d’immigration suédois n’ont de surcroît utilisé aucune mesure de coercition à son encontre ou à l’encontre de sa fille.

Commentaires de la requérante sur les observations de l’État partie au sujet de la recevabilité et du fond de la requête

5.1Pour ce qui est de la recevabilité de la requête, la requérante affirme que les éléments de preuve présentés remplissent les conditions minimales requises pour qu’une requête soit déclarée compatible avec l’article 22 de la Convention. Elle fait valoir que l’État partie n’a pas contesté ces faits.

5.2La requérante affirme que l’exécution de l’arrêté d’expulsion doit être considérée au moins comme un traitement cruel, inhumain ou dégradant de la part des autorités suédoises. Elle soutient que les éléments de preuve fournis au Comité montrent clairement que l’exécution de cet arrêté constituerait un tel traitement tout au moins pour sa fille. Les services de sécurité sociale suédois n’ont pas jugé que l’exécution d’un tel ordre n’irait pas à l’encontre de l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle souligne aussi que sa fille et elle sont sous le contrôle effectif des autorités suédoises.

5.3Pour ce qui est du fond de la communication, la requérante affirme que la situation des droits de l’homme au Bangladesh est pire que celle qui est décrite par l’État partie. En outre, en procédant à son évaluation, le Conseil des migrations n’a pas eu accès au dossier médical présenté ultérieurement dans le cadre de la procédure. Il est donc possible de considérer que ses conclusions sont fondées sur des données insuffisantes.

5.4La requérante conteste l’allégation de l’État partie selon laquelle, puisque la Ligue Awami n’est plus au pouvoir au Bangladesh, Mme T. A. n’a plus aucune raison de craindre d’être persécutée par la police. Elle affirme qu’elle appartient à une fraction du Parti Jatiya (Ershad) qui est encore, dans une large mesure, dans l’opposition. Selon des rapports unanimes émanant de plusieurs sources, la police pratique la torture de manière routinière, sur une vaste échelle et en toute impunité. D’après un rapport récent d’Amnesty International, la torture est depuis de nombreuses années la violation des droits de l’homme la plus répandue au Bangladesh, les hommes politiques de l’opposition font partie de ceux qui en sont victimes, le BNP bloque toute procédure judiciaire contre la torture et l’impunité des auteurs est générale. Elle affirme que rien n’a véritablement changé au Bangladesh: les membres de la fraction Ershad du Parti Jatiya sont encore dans l’opposition; les opposants politiques, qu’ils occupent des postes importants ou fassent partie de la base, sont arrêtés et torturés par la police. En 2002, 732 femmes ont été violées, 106 ont été assassinées après avoir été violées, 104 personnes sont mortes durant leur garde à vue et 83 ont succombé à la torture.

5.5La requérante explique que son passeport et celui de sa fille avaient été délivrés le 14 mai 2000 et qu’elles avaient demandé un visa à l’ambassade de Suède à Dhaka le 25 juin 2000, en vue de rendre visite à une sœur. Ces événements s’étaient produits avant l’arrestation du 16 août 2000. Après sa libération le 17 août 2000, elle a d’abord séjourné dans une clinique pour soigner ses blessures et c’est là qu’elle a appris qu’un visa lui avait été accordé. Comme elle était encore malade, il lui a fallu un certain temps pour préparer son départ. Elle précise qu’elle n’a pas demandé l’asile dès son arrivée en Suède parce qu’elle ne s’était pas encore remise des tortures qu’elle avait subies. Elle a décidé de demander l’asile lorsqu’elle a appris que la police bangladaise la recherchait encore. Elle ajoute qu’elle a donné la même adresse pour son mari lors de la demande de visa pour des raisons pratiques pour éviter d’être interrogée par le personnel de l’ambassade et parce qu’il était courant qu’une épouse procède ainsi au Bangladesh. La sœur de la requérante a séjourné au Bangladesh de décembre 2002 à février 2003 où elle a appris que la police la recherchait encore.

5.6La requérante note que les autorités de l’État partie doivent dûment tenir compte de la manière dont le traitement qui lui est réservé peut affecter sa fille et dans quelle mesure un traitement qui peut ne pas être qualifié d’inhumain ou de dégradant lorsqu’il est infligé à un adulte peut être considéré comme tel lorsque c’est un enfant qui le subit.

5.7En réponse à une demande d’informations complémentaires du Comité concernant ses activités politiques et la situation et les activités de son époux, la requérante a indiqué qu’elle n’avait pas pu avoir d’activités politiques en Suède parce que le Parti Jatiya n’avait plus de présence active dans ce pays. Elle n’avait pas non plus été en mesure d’avoir une telle activité au Bangladesh. Toutefois, elle continuait d’intéresser les autorités bangladaises. Ses parents, avec lesquels elle était restée en contact, lui avaient dit que quatre policiers en civil s’étaient présentés chez eux en septembre 2004 et avaient voulu savoir où elle et son mari se trouvaient. Lorsque les parents de Mme T. A. leur avaient dit qu’ils l’ignoraient, ils avaient fouillé la maison. Les parents de la requérante ont également déclaré que la police recherchait régulièrement Mme T. A.

Délibérations du Comité

6.Avant d’examiner toute plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si elle est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il note également que les recours internes ont été épuisés, comme l’a reconnu l’État partie, et que la requérante a donné suffisamment de détails sur les faits et les motifs de sa requête aux fins de la recevabilité. En conséquence, le Comité considère que la requête est recevable et procède à son examen quant au fond.

7.1Le Comité doit déterminer d’abord si le renvoi de la requérante au Bangladesh constituerait une violation de l’obligation qu’a l’État partie en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a de sérieux motifs de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

7.2Le Comité doit examiner s’il y a de sérieux motifs de croire que la requérante risque personnellement d’être torturée à son retour au Bangladesh. Pour ce faire, le Comité doit tenir compte de tous les éléments conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, y compris l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives. Il s’agit cependant de déterminer si l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Dès lors, l’existence dans un pays d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que l’individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs particuliers donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. À l’inverse l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans les circonstances particulières qui sont les siennes.

7.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel, comme la Ligue Awami est actuellement dans l’opposition, il n’y a plus de risque que la requérante soit harcelée par les autorités à l’instigation de membres de ce parti. L’État partie fait valoir en outre que la requérante n’a rien à craindre des formations politiques actuellement au pouvoir puisqu’elle est membre d’un des partis représentés au Parlement. Toutefois, l’État partie ne conteste pas le fait que la requérante a été persécutée, détenue, violée et torturée par le passé. Le Comité note l’affirmation de la requérante selon laquelle elle appartient à une fraction du Parti Jatiya qui est actuellement dans l’opposition et que la torture d’opposants politiques par des agents de l’État est une pratique courante. En outre, les actes de torture dont a été victime la requérante semblent lui avoir été infligés non seulement en tant que châtiment pour ses propres activités politiques mais aussi en tant que représailles contre celles de son époux et de l’implication présumée de ce dernier dans un assassinat politique. Le Comité note également que l’époux de la requérante continue de se cacher, que les tortures dont elle a été victime sont récentes et ont été certifiées par des médecins et que la requérante continue d’être recherchée par la police au Bangladesh.

7.4Dans ces circonstances, le Comité considère qu’il existe des motifs sérieux de croire que Mme T. A. risque d’être torturée si elle est renvoyée au Bangladesh. Étant parvenue à cette conclusion, le Comité n’a pas besoin d’examiner les autres griefs de la requérante.

8.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que, dans les circonstances particulières de la cause, l’expulsion de la requérante et de sa fille constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

9.Le Comité prie l’État partie, conformément au paragraphe 5 de l’article 112 de son règlement intérieur, de l’informer, dans un délai de 90 jours à compter de la date de la transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises en application de celle‑ci.

Communication n o  233/2003

Présentée par:Ahmed Hussein Mustafa Kamil Agiza(représenté par un conseil, M. Bo Johansson,du Swedish Refugee Advice Centre)

Au nom de:Le requérant

État partie:Suède

Date de la requête:25 juin 2003

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 20 mai 2005,

Ayant examiné la requête no 233/2003, présentée par M. Ahmed Hussein Mustafa Kamil Agiza, en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant et l’État partie,

Adopte la décision ci‑après:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.Le requérant est Ahmed Hussein Mustafa Kamil Agiza, de nationalité égyptienne, né le 8 novembre 1962 et qui se trouvait en détention en Égypte quand la requête a été présentée. Il affirme qu’en le renvoyant en Égypte le 18 décembre 2001, la Suède a commis une violation de l’article 3 de la Convention. Il est représenté par un conseil, qui produit une procuration signée du père du requérant attestant qu’il a mandat pour agir. Le requérant lui‑même, étant incarcéré, n’aurait pas le droit de signer un document à usage externe sans autorisation spéciale du Procureur général égyptien et, d’après le conseil, on ne peut pas s’attendre à ce que cette autorisation soit donnée.

Rappel des faits

2.1En 1982, le requérant a été arrêté du fait de ses liens de parenté avec un cousin qui avait été arrêté parce qu’il était soupçonné d’être impliqué dans l’assassinat de l’ancien Président égyptien, Anouar el‑Sadate. Avant d’être libéré, en mars 1983, il aurait été torturé. Le requérant, qui militait à l’université au sein du mouvement islamique, avait achevé ses études en 1986 et épousé Mme Hanan Attia. Il avait échappé à plusieurs reprises aux recherches de la police mais avait connu des difficultés, comme l’arrestation de son avocat, lorsqu’il avait engagé une action civile en 1991 contre le Ministère de l’intérieur pour les souffrances endurées pendant sa détention.

2.2En 1991, pour des raisons de sécurité, le requérant a quitté l’Égypte pour l’Arabie saoudite et de là pour le Pakistan, où sa femme et ses enfants l’ont rejoint. L’ambassade d’Égypte au Pakistan ayant refusé de renouveler leur passeport, ils sont partis en juillet 1995 pour la République arabe syrienne, sous des noms d’emprunt soudanais, dans l’idée de continuer vers l’Europe. Ce plan a échoué et la famille s’est installée en République islamique d’Iran, où le requérant a obtenu une bourse universitaire.

2.3En 1998, le requérant a été jugé par contumace en Égypte pour activités terroristes par une juridiction militaire supérieure, en même temps que plus de 100 autres inculpés. Il a été reconnu coupable d’appartenance au groupe terroriste du Jihad et a été condamné sans possibilité d’appel à 25 ans d’emprisonnement. En 2000, le rapprochement entre l’Égypte et l’Iran lui faisant craindre d’être renvoyé en Égypte, le requérant a pris des billets d’avion pour lui‑même et sa famille, sous des noms d’emprunt saoudiens, à destination du Canada et ils ont demandé l’asile en Suède pendant une escale à Stockholm, le 23 septembre 2000.

2.4Dans sa demande d’asile, le requérant a dit qu’il avait été condamné par contumace à la «réclusion à perpétuité» pour terrorisme lié au fondamentalisme islamique et que, s’il était renvoyé en Égypte, il serait exécuté comme d’autres personnes accusées dans le même procès l’avaient, d’après lui, été. Sa femme a fait valoir que si elle était renvoyée en Égypte elle serait emprisonnée pendant de nombreuses années, en tant qu’épouse du requérant. Le 23 mai 2001, le Conseil des migrations a invité les service de la Sûreté nationale suédoise à donner son avis sur la question. Le 14 septembre 2001, le Conseil des migrations a procédé à une «audition principale» du requérant, suivie le 3 octobre 2001 d’une nouvelle audition. Le même mois, les services de la Sûreté ont interrogé le requérant. Le 30 octobre 2001, ils ont informé le Conseil des migrations que le requérant jouait un rôle de premier plan dans une organisation coupable d’actes de terrorisme et qu’il était responsable des activités de cette organisation. Le Conseil des migrations a donc renvoyé l’affaire au Gouvernement, le 12 novembre 2001, pour qu’il prenne une décision conformément au paragraphe 2.2 de l’article 11 (chap. 7) de la loi sur les étrangers. Pour le Conseil des migrations, d’après les renseignements dont il disposait, le requérant pouvait être considéré comme répondant aux conditions requises pour bénéficier du statut de réfugié; mais selon l’appréciation des services de la Sûreté, que le Conseil n’avait aucune raison de contester, il en allait autrement. Il appartenait donc au Gouvernement d’apprécier le besoin de protection que pouvait avoir le requérant par rapport à l’appréciation faite par les services de la Sûreté. Le 13 novembre 2001, la Commission de recours des étrangers, à laquelle le Gouvernement avait demandé son avis, a déclaré partager les conclusions du Conseil des migrations sur le fond et a également estimé qu’il incombait au Gouvernement de trancher. Dans une déclaration, le requérant a démenti qu’il appartenait à l’organisation mentionnée dans la déclaration des services de la Sûreté, faisant valoir que l’une des organisations désignées n’était pas une organisation politique mais une publication en langue arabe. Il a également affirmé qu’il avait critiqué Oussama Ben Laden et les Talibans dans une lettre adressée à un journal.

2.5Le 18 décembre 2001, le Gouvernement a rejeté les demandes d’asile du requérant et de sa femme. À la demande de l’État partie, le Comité a accepté que les raisons ayant motivé ces décisions ne figurent pas dans le texte de la présente décision. Il a donc été ordonné d’expulser le requérant immédiatement et son épouse dès que possible. Le 18 décembre 2001, le requérant a été expulsé tandis que sa femme passait dans la clandestinité pour échapper à la police.

2.6Le 23 janvier 2002, l’Ambassadeur de Suède en Égypte est allé voir le requérant à la prison de Mazraat Tora à l’extérieur du Caire. Le même jour, les parents du requérant lui ont rendu visite pour la première fois. Ils affirment que, quand ils l’ont vu dans le bureau du gardien, il était soutenu par un surveillant et était sur le point de s’écrouler; pouvant à peine serrer la main de sa mère, il était pâle et en état de choc. Il avait le visage enflé (surtout autour des yeux) et les pieds gonflés; ses joues et son nez en sang paraissaient tuméfiés. Le requérant aurait dit à sa mère qu’il avait été brutalisé quand il avait été arrêté par les autorités suédoises. Pendant les huit heures de vol, gardé par des Égyptiens, il serait resté les pieds et les mains liés. À l’arrivée il aurait été soumis à des «méthodes d’interrogatoire poussées» aux mains des agents de la sécurité de l’État égyptiens qui lui auraient dit que les assurances données par le Gouvernement égyptien à son sujet ne servaient à rien. Le requérant a dit à sa mère qu’un appareil électrique spécial muni d’électrodes placées sur son corps avait été utilisé et que des décharges électriques étaient envoyées s’il ne répondait pas correctement aux ordres.

2.7Le 11 février 2002, un correspondant de la radio suédoise est allé voir le requérant en prison. D’après ce journaliste, le détenu avait du mal à marcher mais il ne portait pas de marque de torture. Répondant à une question du conseil, le correspondant a dit qu’il avait expressément demandé au requérant s’il avait été torturé et que celui‑ci avait répondu qu’il ne pouvait rien dire. Après la première visite, l’Ambassadeur ou d’autres diplomates suédois ont été autorisés à aller voir le requérant plusieurs fois. Le conseil dit qu’il ressort des dépêches diplomatiques envoyées jusqu’au mois de mars 2003 que le requérant avait été traité «relativement bien» et qu’il n’avait pas été soumis à la torture même si les conditions carcérales étaient dures.

2.8Le 16 avril 2002, les parents du requérant sont retournés le voir. Il aurait déclaré à sa mère qu’après la visite de janvier il avait de nouveau été torturé à l’électricité et qu’il était placé en isolement depuis 10 jours. Il avait les mains et les jambes attachées et ne pouvait pas aller aux toilettes. À une visite ultérieure, il a dit à ses parents qu’il était toujours à l’isolement mais qu’il n’était plus attaché. Il avait maintenant le droit d’aller aux toilettes une fois par jour, la cellule était froide et sombre. En parlant d’un garde de sécurité, il aurait dit à sa mère «Tu sais ce qu’il me fait la nuit?». On lui avait dit de plus que sa femme serait bientôt renvoyée en Égypte et que sa mère et sa femme seraient violées devant lui. À partir de ce moment‑là, les parents du requérant lui ont rendu visite une fois par mois jusqu’en juillet 2002 puis une fois tous les 15 jours. D’après le conseil, les renseignements disponibles sont qu’il est incarcéré dans une cellule de 2 mètres carrés, rafraîchie artificiellement, sombre et dépourvue de matelas. Il ne pourrait aller aux toilettes librement.

2.9En décembre 2002, l’avocat égyptien du requérant, M. Hafeez Abu Saada, dirigeant d’une organisation égyptienne de défense des droits de l’homme qui connaît bien les conditions de détention et les méthodes d’interrogatoire de ce pays, a rencontré au Caire M. Thomas Hammarberg, Directeur du Centre international Olaf Palme. M. Abu Saada s’est déclaré convaincu que le requérant avait subi des tortures.

2.10Le 5 mars 2003, l’Ambassadeur de Suède est allé voir le requérant en compagnie d’un envoyé du Ministère suédois des affaires étrangères spécialisé dans les droits de l’homme. Le requérant aurait dit pour la première fois qu’il avait été torturé. À la question de savoir pourquoi il n’en avait pas parlé plus tôt, il aurait répondu «Ce que je dis n’a plus d’importance, de toute façon je serai toujours traité de la même manière.».

Teneur de la plainte

3.1Le conseil fait valoir que s’il a adressé la requête au Comité plus d’un an et demi après l’expulsion du requérant, c’est parce que pendant longtemps on ne savait pas très bien qui pouvait le représenter. D’après le conseil, il était question au début que l’avocat qui avait défendu les intérêts du requérant dans les procédures internes en Suède soumette la requête; mais, «en raison des circonstances», cet avocat s’était trouvé «dans l’impossibilité de se charger de cette affaire» et l’a renvoyée au conseil actuel «il y a quelques mois». Le conseil ajoute qu’il avait été difficile de convaincre le requérant de consentir à adresser la requête.

3.2Pour ce qui est du fond, le conseil fait valoir qu’en renvoyant le requérant en Égypte la Suède a commis une violation des droits consacrés à l’article 3 de la Convention. Son argumentation repose sur les éléments connus au moment où le requérant a été expulsé ainsi que sur les événements ultérieurs. Il fait valoir qu’il est maintenant établi de façon convaincante que le requérant a bien été soumis à la torture après son retour dans son pays.

3.3Le conseil affirme que la torture est fréquemment utilisée en Égypte en tant que méthode d’interrogatoire et en tant que peine, en particulier quand il s’agit de questions politiques et d’affaires de sécurité, et que le requérant, qui était accusé d’actes politiques graves, courait donc un risque réel de torture. De l’avis du conseil, l’État partie ne pouvait pas ne pas être conscient de ce risque et a donc cherché à avoir l’assurance que les droits fondamentaux du requérant seraient respectés. Le conseil souligne qu’aucune disposition n’avait néanmoins été prise avant l’expulsion pour déterminer comment les garanties en question seraient respectées après le renvoi du requérant en Égypte. Il se réfère à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (Chahal c. Royaume ‑Uni) dans lequel la Cour a considéré que les garanties données dans cette affaire par le Gouvernement indien constituaient à elles seules une protection insuffisante contre des violations des droits de l’homme.

3.4Ce qui s’est passé par la suite accréditerait cette opinion. Premièrement, dans des communiqués datés des 19 et 20 décembre 2001, des 10 et 22 janvier et du 1er février 2002, Amnesty International s’est déclarée préoccupée par la situation du requérant. Deuxièmement, il ne faudrait pas tenir compte des conclusions que l’État partie a tirées après les visites de son ambassadeur parce que celles‑ci ont eu lieu dans des circonstances qui laissaient à désirer. En particulier les visites ont été de courte durée, elles ont eu lieu dans une autre prison que celle où le requérant était incarcéré, elles ne se sont pas déroulées en privé et aucun médecin ni expert n’était présent. Troisièmement, des éléments de preuve indépendants tendent à confirmer que la torture a bien été pratiquée. Il convient d’accorder le crédit voulu au témoignage des parents du requérant parce que, bien qu’il y ait eu un gardien présent, tous les propos tenus n’ont pas été enregistrés, contrairement à ce qui se fait dans le cas des visites officielles, et le requérant avait l’occasion de donner des renseignements qu’il n’aurait pas donnés autrement, en particulier au moment de dire au revoir à sa mère. Pendant ces visites, la surveillance se relâchait et des personnes entraient et sortaient de la pièce. Le conseil fait valoir que ce ne serait pas dans l’intérêt des parents ou du requérant d’exagérer la situation car cela exposerait inutilement le requérant à un risque de traitement préjudiciable et affligerait la famille du requérant restée en Suède. De plus, les parents, qui sont des personnes âgées totalement étrangères à la politique, se mettraient eux‑mêmes en danger de représailles.

3.5En outre, l’avocat égyptien du requérant est tout à fait qualifié pour conclure que le requérant a été torturé, après l’avoir rencontré. M. Hammarberg de son côté considère que son témoignage est crédible. Dans un avis daté du 28 janvier 2003 qu’il a donné au conseil, M. Hammarberg a estimé qu’il y avait un commencement de preuve de torture. Il s’est également déclaré d’avis que les dispositions prises par les autorités suédoises pour suivre la situation présentaient des lacunes étant donné que, pendant les premières semaines, les autorités ne sont pas allées voir le requérant et que, par la suite, les entretiens ne se sont pas déroulés en privé et qu’il n’a été procédé à aucun examen médical.

3.6De l’avis du conseil, la seule source indépendante sur la question, le correspondant de la radio suédoise confirme les conclusions exposées plus haut puisque le requérant a refusé de répondre quand on lui a demandé directement s’il avait été torturé. Il ne se serait pas conduit ainsi s’il n’avait pas craint des représailles. Le 5 mars 2003, le requérant a même déclaré directement à l’Ambassadeur de Suède qu’il avait subi des tortures, ayant à ce stade perdu tout espoir de voir la situation changer.

3.7Le conseil conclut que le requérant n’a eu que très peu de possibilités de prouver qu’il avait été torturé mais avait fait de son mieux pour faire connaître ce qu’il vivait en prison. Il lui avait été impossible de relater en détail ce qu’il avait subi ou d’apporter des éléments de preuve, comme des certificats médicaux.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une réponse datée du 5 décembre 2003, l’État partie conteste la recevabilité autant que le fond. Il considère que la requête est irrecevable i) du fait du temps écoulé depuis que les recours internes ont été épuisés, ii) parce qu’elle constitue un abus de la procédure, et iii) parce qu’elle est manifestement dénuée de fondement.

4.2L’État partie reconnaît que ni la Convention ni la jurisprudence du Comité ne prévoient de délai fixe pour la présentation d’une requête mais il fait valoir que, eu égard à la teneur de l’article 107 f) du règlement intérieur du Comité, cela ne veut pas dire qu’il ne peut jamais y avoir prescription. L’État partie se réfère à la pratique de la Cour européenne des droits de l’homme qui applique un délai de six mois pour les requêtes qui lui sont soumises, même en ce qui concerne les affaires d’expulsion fondées sur l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, et il rappelle l’argument solide de la sécurité juridique, valable pour le requérant aussi bien que pour l’État, qui justifie cette règle. L’État partie avance que le principe de la sécurité juridique doit être considéré comme un des principes fondamentaux de l’ordre juridique international. Étant donné que la Convention contre la torture et la Convention européenne sont deux éléments importants du droit international relatif aux droits de l’homme, il serait naturel que l’un des régimes s’inspire de l’autre sur une question qui n’est pas traitée par le premier. Eu égard donc à l’article 107 f) du règlement intérieur du Comité, on est fondé à avancer qu’un délai de six mois pourrait servir de point de départ pour guider le Comité.

4.3En ce qui concerne la présente affaire, l’État partie fait valoir qu’aucun élément convaincant n’a été apporté pour justifier le délai de plus d’un an et demi écoulé avant de soumettre la requête. Comme le mandat pour agir a été donné au conseil par le père du requérant et non par le requérant lui‑même, on ne voit pas pourquoi il n’a pas été obtenu plus tôt. Il ne semble pas non plus que quelqu’un ait cherché à obtenir une procuration immédiatement après l’expulsion auprès du père ou d’un autre parent, par exemple la femme du requérant restée en Suède. L’État partie se réfère à la requête soumise par le même conseil au nom de la femme du requérant, en décembre 2001, dans laquelle le conseil avançait que sa situation était si étroitement liée à celle du requérant actuel qu’il était impossible de plaider la cause de l’épouse sans se référer à la situation du requérant. Les arguments avancés dans le cas de l’épouse montrent que le conseil connaissait bien les circonstances de la présente affaire et on ne peut pas le laisser affirmer que le retard est dû au fait qu’il n’a été chargé de l’affaire de cette famille que beaucoup plus tard. De l’avis de l’État partie, il n’y avait aucune raison de ne pas soumettre la première requête (celle de décembre 2001) également au nom du requérant actuel. En conséquence, l’État partie fait valoir que, dans l’intérêt de la sécurité juridique, le délai écoulé depuis l’épuisement des recours internes est excessivement long et la requête est donc irrecevable conformément au paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention et à l’article 107 f) du règlement intérieur du Comité.

4.4L’État partie considère également que la requête constitue un abus de la procédure devant le Comité, contestant que le requérant puisse être considéré comme ayant un intérêt légitime à défendre en soumettant sa requête à l’examen du Comité. Les faits qui fondent la plainte à l’examen sont les mêmes que ceux qui faisaient grief dans la requête soumise au nom de l’épouse, en décembre 2001, la question fondamentale dans les deux affaires portant sur les garanties données par les autorités égyptiennes avant l’expulsion du requérant et de sa famille et demandées en vue de cette expulsion. Dans sa décision sur la première affaire, le Comité a apprécié la valeur des garanties et a constaté qu’il n’y avait pas de violation de la Convention, ce qui fait qu’il a déjà examiné la question qui est au cœur de la plainte à l’examen. Cette question devrait donc être considérée comme chose jugée.

4.5De plus, dans le cadre de la procédure relative à la requête de l’épouse, les mêmes renseignements détaillés ont été donnés sur ses activités passées, sa situation actuelle et ses conditions de détention. Comme les deux requêtes ont été soumises par le même conseil, la requête à l’examen constitue une charge inutile pour le Comité comme pour l’État partie. Par conséquent, on ne voit pas quel est l’intérêt pour le requérant de faire examiner son cas par le Comité. La requête devrait donc être considérée comme un abus du droit de plainte et donc être déclarée irrecevable en application du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention et de l’article 107 b) du règlement intérieur du Comité.

4.6Enfin, l’État partie estime que la requête est manifestement dénuée de fondement car les griefs ne sont pas étayés par le minimum d’éléments nécessaires, compte tenu des arguments sur le fond exposés plus loin. Elle devrait donc être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention et de l’article 107 b) du règlement intérieur du Comité.

4.7En ce qui concerne le fond, l’État partie expose les mécanismes particuliers de la loi de 1989 sur les étrangers, applicables à des cas comme celui du requérant. Bien que les demandes d’asile soient normalement traitées par le Conseil des migrations puis par la Commission de recours des étrangers, dans certaines circonstances l’un ou l’autre de ces organes peut renvoyer le dossier au Gouvernement en y joignant son propre avis. Tel est le cas si la question est jugée importante pour la sécurité de l’État ou la sécurité en général ou pour les relations de l’État avec une puissance étrangère (art. 11, par. 2.2, chap. 7 de la loi). Si le Conseil des migrations renvoie une affaire, il doit d’abord la soumettre à la Commission de recours des étrangers qui formule son propre avis.

4.8L’étranger qui a besoin d’une protection en raison d’une crainte fondée de persécution de la part des autorités d’un autre État pour les raisons énoncées dans la Convention relative au statut des réfugiés (selon l’article 2 du chapitre 3 de la loi) peut toutefois se voir refuser un permis de séjour dans certains cas exceptionnels, suite à une appréciation de ses activités antérieures et des exigences de sécurité du pays (art. 4, chap. 3, de la loi). Cela étant, aucune personne qui risque d’être soumise à la torture ne peut se voir refuser un permis de séjour (art. 3, chap. 3, de la loi). En outre, si le permis de séjour a été refusé et qu’une décision d’expulsion a été prise, la situation de l’intéressé doit être réévaluée avant que la décision ne soit exécutée pour écarter tout risque notamment de torture ou autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

4.9L’État partie rappelle la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité, dans laquelle les États Membres de l’ONU sont engagés à refuser de donner asile à ceux qui financent, organisent, appuient ou commettent des actes de terrorisme ou en recèlent les auteurs. Le Conseil de sécurité a demandé aux États Membres de prendre les mesures appropriées, conformément aux normes internationales relatives aux droits de l’homme et aux droits des réfugiés, afin de s’assurer que les demandeurs d’asile n’ont pas organisé ou facilité la perpétration d’actes de terrorisme et n’y ont pas participé. Il a aussi demandé aux États Membres de veiller, conformément au droit international, à ce que les auteurs ou les organisateurs d’actes de terrorisme ou ceux qui facilitent de tels actes ne détournent pas à leur profit le statut de réfugié. À ce sujet, l’État partie se réfère à la déclaration faite par le Comité en date du 22 novembre 2001, dans laquelle il a exprimé l’espoir que la riposte à la menace du terrorisme international adoptée par les États parties serait conforme aux obligations qu’ils avaient contractées en vertu de la Convention.

4.10L’État partie rappelle également le rapport soumis en 2002 à l’Assemblée générale par le Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Dans ce rapport, le Rapporteur spécial a prié les États «de veiller à ce qu’en aucun cas les personnes qu’ils ont l’intention d’extrader, pour qu’elles répondent du chef de terrorisme ou d’autres chefs, ne soient livrées, à moins que le gouvernement du pays qui les reçoit ne garantisse de manière non équivoque aux autorités qui extradent les intéressés que ceux‑ci ne seront pas soumis à la torture ou à aucune autre forme de mauvais traitement à leur retour et qu’un dispositif a été mis en place afin de s’assurer qu’ils sont traités dans le plein respect de la dignité humaine» (par. 35).

4.11Pour ce qui est des faits de la présente cause, l’État partie expose en détail les informations recueillies par ses services de sécurité, qui l’ont conduit à considérer que le requérant représentait une grave menace pour la sécurité. À la demande de l’État partie, cette information, qui avait été communiquée au conseil du requérant dans le cadre de la procédure confidentielle prévue par l’article 22 de la Convention, n’est pas exposée dans la décision du Comité.

4.12L’État partie fait observer que, le 12 décembre 2001, après le renvoi de l’affaire par le Conseil des migrations et la Commission de recours des étrangers, un secrétaire d’État du Ministère des affaires étrangères a rencontré un représentant du Gouvernement égyptien au Caire. À la demande de l’État partie et avec l’accord du Comité, aucune information sur l’identité de l’interlocuteur n’est donnée dans la présente décision.Étant donné que l’État partie envisageait de ne pas accorder au requérant la protection prévue dans la Convention relative au statut des réfugiés, le but de cette visite était de déterminer s’il était possible pour la Suède de renvoyer le requérant et sa famille en Égypte, sans violer ses obligations internationales, notamment celles qui découlent de la Convention. Après avoir examiné minutieusement la solution consistant à demander aux autorités égyptiennes des assurances au sujet du traitement qui leur serait réservé, le Gouvernement de l’État partie a conclu qu’il était possible autant que judicieux de demander si l’on pouvait lui donner la garantie que le requérant et sa famille seraient traités dans le respect du droit international quand ils rentreraient en Égypte. À défaut de telles garanties, le retour ne serait pas envisagé. Le 13 décembre 2002, les garanties requises ont été données.

4.13L’État partie expose ensuite en détail les raisons pour lesquelles il a rejeté, en date du 18 décembre 2001, la demande d’asile du requérant et de sa femme. Ces raisons ne figurent pas dans le texte de la présente décision, à la demande de l’État partie et avec l’accord du Comité.

4.14L’État partie dit que, actuellement, la situation juridique du requérant est, d’après les Ministères égyptiens de la justice et de l’intérieur, la suivante: il exécute une peine prononcée par une juridiction militaire qui l’a condamné par contumace pour divers crimes, notamment pour meurtre et activités terroristes. Sa famille s’est arrangée pour qu’il bénéficie des services d’un avocat et, en février 2002, une demande de révision a été déposée auprès du Président. En octobre 2002, la requête avait déjà été examinée par le Ministère de la défense et serait bientôt remise au Cabinet du Président qui devait se prononcer. Pour ce qui est de la surveillance de la situation du requérant une fois expulsé, l’État partie fait savoir que l’ambassade de Suède au Caire s’en occupait, principalement en allant voir le détenu environ une fois par mois. Quand la communication a été envoyée, il y avait déjà eu 17 visites. Plusieurs fois, l’Ambassadeur de Suède lui‑même s’est rendu à la prison et, d’autres fois, c’était un fonctionnaire de haut rang du Ministère des affaires étrangères.

4.15D’après l’ambassade, avec le temps les visites ont fini par se dérouler toujours de la même manière, dans le bureau du directeur de la prison, pendant environ 45 minutes. À aucun moment le requérant n’était entravé de quelque manière. L’atmosphère était détendue et amicale et les visiteurs et le requérant se sont vu offrir des rafraîchissements. À la fin de la visite de juin 2002, le personnel de l’ambassade a observé que le requérant était en conversation apparemment détendue avec plusieurs gardiens, en attendant d’être reconduit en cellule. À chaque fois, il portait des vêtements ordinaires propres et avait la barbe et les cheveux soignés. Il semblait être bien nourri et ne pas avoir perdu de poids entre les visites. À aucune de ces visites il ne présentait de signes de mauvais traitements ou de sévices physiques et il pouvait se déplacer sans difficulté. En mars 2002, à la demande de l’Ambassadeur, il a enlevé sa chemise et son maillot de corps, a montré son dos, et il n’y avait aucune marque de torture.

4.16Il apparaît dans le rapport de l’ambassade sur la première visite (janvier 2002) que le requérant ne semblait pas hésiter à parler librement et a dit à l’Ambassadeur qu’il n’avait pas à se plaindre de la façon dont il était traité en prison. À la question de savoir s’il avait subi des sévices, le requérant n’a rien répondu. Lors de la visite d’avril 2002, quand on lui a demandé s’il avait été maltraité, il a répondu qu’il n’avait pas été maltraité physiquement ou d’une autre manière. À chacune des visites ou presque, il se plaignait de sa santé en général, de son dos, d’un ulcère à l’estomac, d’une infection des reins et d’un dysfonctionnement de la thyroïde, ce qui lui provoquait notamment des troubles du sommeil. Il avait vu plusieurs médecins spécialistes de la prison et extérieurs à la prison et il avait subi une IRM de la colonne vertébrale; il avait des séances de physiothérapie pour son dos. La radiographie de la glande thyroïde qui avait été pratiquée a fait apparaître une petite tumeur et il lui faudra subir d’autres examens. En août 2003, il a dit à l’Ambassadeur, comme il l’avait déjà fait, qu’il était satisfait des soins médicaux qu’il recevait. À la visite de novembre 2003, il a signalé qu’un neurologue avait recommandé une opération du dos. Il suivait un traitement pour plusieurs de ses problèmes de santé.

4.17Pendant les visites de mai et de novembre 2002, le requérant s’est plaint des conditions générales de détention. Il a signalé qu’il n’y avait pas de lit ni de toilettes dans la cellule et qu’il était incarcéré dans un quartier de la prison réservé aux non‑condamnés. D’après lui, la situation s’était généralement améliorée après décembre 2002 parce qu’il n’était plus séparé des autres prisonniers et pouvait marcher dans la cour. En janvier 2003, pour raisons de santé, il a été transféré dans un secteur de la prison doté d’une infirmerie. En mars 2003, il a répondu aux visiteurs qui le lui demandaient qu’il n’était traité ni mieux ni plus mal que les autres prisonniers; les conditions pénitentiaires générales lui étaient appliquées. Il n’a plus jamais réitéré ses griefs.

4.18Le 10 février 2002, c’est‑à‑dire au début de la détention du requérant, la radio nationale suédoise a rendu compte d’une visite de l’un de ses correspondants au requérant, qui s’était déroulée dans le bureau d’un haut responsable de la prison. Le requérant portait une veste et un pantalon bleu marine et il n’avait aucune marque visible de mauvais traitements physiques, en tout cas sur les mains ou le visage. Il avait bien quelques difficultés à se déplacer mais il mettait cela sur le compte d’un mal de dos qu’il avait depuis longtemps. Il s’était plaint de ne pas être autorisé à lire et de ne pas avoir de radio ainsi que de ne pas avoir le droit de faire de l’exercice.

4.19Le requérant a aussi discuté régulièrement avec le personnel de l’ambassade des visites de sa famille et des avocats. Après la visite de juin 2002, il semble que des parloirs bimensuels aient été mis en place. Quand les présentes observations ont été envoyées, ce régime était toujours en vigueur encore que les visites des familles aient été limitées en mai et juin 2003 pour des raisons de sécurité. Le requérant a fait remarquer qu’il n’avait reçu que deux visites de son avocat, en février et en mars 2002. Il n’avait pas demandé à voir son avocat parce qu’il pensait que cela ne servait à rien. La question a été abordée lors des réunions ultérieures de l’ambassade avec les hauts responsables égyptiens, qui ont confirmé que l’avocat du requérant pouvait aller le voir librement et qu’il n’y avait aucune restriction.

4.20Vu que, plusieurs fois et en réponse à des questions directes, le requérant avait affirmé qu’il n’avait pas été victime de sévices, l’Ambassadeur a conclu après la visite de novembre 2002 que, bien que la détention soit effectivement mentalement éprouvante, rien n’indiquait que les autorités égyptiennes n’avaient pas respecté les assurances qu’elles avaient données. L’État partie reprend en détail certains griefs formulés ultérieurement par le requérant et les mesures qu’il a prises pour y donner suite. À la demande de l’État partie et avec l’accord du Comité, les détails ne figurent pas dans le texte de la présente décision.

4.21Pour ce qui est de l’application de la Convention, l’État partie fait remarquer que l’affaire à l’examen est différente de la plupart des requêtes fondées sur l’article 3 soumises au Comité en ce que l’expulsion a déjà eu lieu. Toutefois, l’article 3 de la Convention est libellé de telle manière qu’il implique que le Comité doit, en examinant l’affaire, s’intéresser surtout au moment où le requérant a été renvoyé dans son pays d’origine. Les faits survenus ou les observations formulées par la suite peuvent assurément présenter une utilité pour déterminer si les garanties données ont été respectées et sont importants pour établir si le Gouvernement de l’État partie avait eu raison de considérer que le requérant ne serait pas traité d’une façon attentatoire à la Convention. Néanmoins, si ces éléments sont importants, l’État partie maintient que la principale question dans l’affaire à l’examen est de déterminer si les autorités avaient lieu de croire, le 18 décembre 2001, date de l’expulsion, qu’il existait des motifs sérieux de penser qu’il risquait d’être soumis à la torture.

4.22L’État partie renvoie à la jurisprudence constante du Comité qui a établi que les personnes menacées d’expulsion devaient montrer que le risque de torture était prévisible et encouru personnellement et réellement. L’existence d’un tel risque ne doit pas reposer sur de simples supputations ou soupçons mais il n’est pas nécessaire qu’il soit hautement probable. Pour l’évaluation du risque, qui est prévue en droit suédois, les assurances données par le Gouvernement égyptien revêtent une grande importance. L’État partie rappelle la décision rendue par le Comité dans la plainte de l’épouse du requérant, où il a considéré que les garanties − qui étaient les mêmes − étaient suffisantes et il renvoie aux décisions rendues par les organes européens en vertu de la Convention européenne des droits de l’homme.

4.23 Dans l’affaire Aylor ‑Davis c. France (arrêt du 20 janvier 1994), la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que les garanties données par le pays de destination, les États‑Unis, étaient de nature à écarter le risque d’une condamnation à mort pour la requérante. La peine de mort ne pouvait en effet être prononcée que si elle était effectivement requise par le procureur. En revanche, dans l’affaire Chahal c. Royaume ‑Uni, elle n’avait pas la conviction que l’assurance donnée par le Gouvernement indien qu’un séparatiste sikh «jouirait de la même protection juridique que tout autre citoyen indien et qu’il n’avait aucune raison de craindre de se voir infliger des mauvais traitements d’aucune sorte par les autorités indiennes» offrirait une garantie suffisante de sécurité. Sans mettre en doute la bonne foi du Gouvernement indien, la Cour a relevé que, malgré les efforts de réforme déployés notamment par le Gouvernement et les tribunaux indiens, les violations des droits de l’homme commises par des membres des forces de sécurité au Penjab et ailleurs en Inde étaient un problème récurrent. La jurisprudence donne à penser par conséquent que des garanties peuvent être acceptées dans les cas où on pense que les autorités du pays de destination maîtrisent la situation.

4.24Selon ce critère, l’affaire à l’examen ressemble davantage, de l’avis de l’État partie, à l’affaire Aylor ‑Davis. Les garanties ont été données par un haut responsable du Gouvernement égyptien. L’État partie fait remarquer que, pour que les garanties soient suivies d’effet, elles doivent avoir été données par une personne censée être en mesure d’en surveiller l’application ce qui, d’après l’État partie, est le cas en l’espèce compte tenu du poste élevé du représentant égyptien. De plus, pendant l’entretien de décembre 2001 entre le Secrétaire d’État suédois et le responsable égyptien, le Secrétaire d’État a indiqué clairement à son interlocuteur quels étaient les enjeux pour la Suède: l’article 3 de la Convention ayant un caractère absolu, il lui a expliqué longuement pourquoi il fallait que les garanties soient effectives. Le Secrétaire d’État a réaffirmé qu’il était important pour la Suède de respecter ses obligations internationales, y compris la Convention, et que de ce fait des conditions précises devaient être remplies pour qu’une expulsion soit possible. Il était donc nécessaire d’obtenir la garantie écrite que le requérant bénéficierait d’un procès équitable, qu’il ne serait pas soumis à la torture ou à d’autres traitements inhumains et qu’il ne serait pas condamné à mort ni exécuté. Le procès serait suivi par l’ambassade de Suède au Caire et il fallait qu’il soit possible de voir le requérant, même une fois condamné. De plus, sa famille ne devait pas faire l’objet de mesures de harcèlement sous quelque forme que ce soit. Il a été précisé que la Suède se trouvait dans une position difficile et que le fait pour l’Égypte de ne pas respecter les garanties données aurait des conséquences importantes dans l’avenir pour d’autres affaires en Europe.

4.25L’État partie donne des détails sur les garanties. Les indications ne figurent pas dans le texte de la présente décision à la demande de l’État partie et avec l’accord du Comité. L’État partie souligne que les garanties en question sont nettement plus importantes que celles qui ont été données dans l’affaire Chahal et sont formulées en termes beaucoup plus fermes et positifs. L’État partie rappelle que l’Égypte est partie à la Convention, que l’interdiction de la torture est énoncée dans la Constitution du pays et que le fait de commettre ou d’ordonner des actes de torture constitue une infraction majeure en droit pénal égyptien.

4.26De l’avis de l’État partie, pour se prononcer sur la requête il importe de savoir si les garanties ont été respectées et si elles le sont toujours. L’État partie rappelle les griefs de mauvais traitements avancés par la mère du requérant puis par des organisations non gouvernementales, et en particulier la description faite par sa mère de son état physique quand elle l’a vu la première fois, le 23 janvier 2002. La visite de l’Ambassadeur de l’État partie a eu lieu le même jour, immédiatement après celle de la mère, et l’Ambassadeur n’a constaté aucun signe de mauvais traitements physiques. Comme il a été déjà signalé, le requérant semblait parler librement, ne s’est pas plaint d’avoir été torturé et, quand on lui a demandé explicitement s’il avait subi des mauvais traitements systématiques en prison, il n’a pas répondu par l’affirmative. L’État partie conclut donc que les griefs de mauvais traitements faits ce jour‑là ont été effectivement démentis par les constatations de son ambassadeur.

4.27L’État partie affirme que, à en juger par les nombreux rapports établis par l’Ambassadeur, le personnel de l’ambassade et le haut fonctionnaire du Ministère des affaires étrangères, les garanties données ont dûment été appliquées à l’égard du requérant. Les allégations de celui‑ci affirmant le contraire n’ont pas été étayées et maintes fois il a confirmé à l’Ambassadeur de Suède qu’il n’avait pas été torturé ni maltraité. Les allégations faites en mars 2003 ont été réfutées par les autorités égyptiennes. Le requérant reçoit les soins médicaux requis par son état de santé et les services d’un avocat lui ont été assurés par sa famille. Le fait qu’à ce jour cet avocat ne se soit pas montré diligent pour obtenir la révision de la sentence est totalement étranger à la plainte. De plus, sa famille lui rend visite régulièrement. Dans l’ensemble, compte tenu des contraintes inhérentes à toute détention, le requérant semble être en assez bonne santé. L’État partie conclut qu’étant donné que les allégations de torture n’ont pas été étayées, elles ne peuvent pas servir de base à un examen de l’affaire par le Comité. L’État partie fait remarquer aussi que l’affaire a été rapportée largement dans les organes d’information nationaux et a fait l’objet d’une attention internationale. On peut supposer que les autorités égyptiennes le savent, et il est probable qu’elles feront en sorte qu’il ne soit pas soumis à des mauvais traitements.

4.28L’État partie rappelle que, dans sa décision concernant la plainte de l’épouse du requérant, le Comité semblait avoir fait un pronostic pour elle à la lumière des renseignements relatifs à l’efficacité des garanties données pour son mari − le requérant dans la présente affaire − à laquelle elle avait associé son cas uniquement sur la base de ses liens de parenté. Le Comité a jugé «satisfaisantes les garanties données contre tout traitement abusif» et a relevé que l’État partie en vérifiait «régulièrement le respect sur place». Il a également noté que l’Égypte avait «l’obligation de traiter convenablement les détenus relevant de sa juridiction». De l’avis de l’État partie donc, la conclusion du Comité, qui a établi que la requérante n’avait pas montré qu’il y avait violation de l’article 3 dans le cas de sa propre plainte, revêt une «importance essentielle» pour l’examen de la requête de son époux.

4.29En conclusion, l’État partie fait valoir qu’en obtenant du haut fonctionnaire égyptien compétent les garanties demandées il a tenu ses engagements en vertu de la Convention tout en remplissant les obligations énoncées par le Conseil de sécurité dans sa résolution 1373 (2001). Avant d’expulser le requérant, il a obtenu des garanties suffisantes de l’autorité la mieux placée pour en assurer le respect. La teneur des garanties correspond à ce que le Rapporteur spécial demande (voir plus haut, par. 4.10) et le mécanisme de surveillance mis sur pied fonctionne depuis près de deux ans. En conséquence, le requérant n’a pas montré que, dans la pratique, les garanties n’avaient pas été respectées. Si le Comité devait conclure autrement, la question cruciale qui se pose est de savoir ce que le Gouvernement de l’État partie avait lieu de croire au moment où il a expulsé le requérant. Étant donné que celui‑ci n’a pas étayé son grief de violation de l’article 3, son expulsion vers son pays d’origine ne constitue pas une violation de cette disposition.

Commentaires du conseil sur les observations de l’État partie

5.1Par une lettre datée du 21 janvier 2004, le conseil conteste les observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond. En ce qui concerne les arguments de l’État partie relativement à la date à laquelle la requête a été envoyée, il fait valoir que pendant longtemps on ne savait pas clairement qui avait le droit de représenter le requérant. Il ajoute que le précédent avocat n’avait pas réussi à faire signer un mandat avant l’expulsion, très rapide, du requérant et avait considéré qu’il était déchargé de l’affaire après l’expulsion. Le conseil fait valoir qu’après avoir été expulsé le requérant ne pouvait plus être consulté directement et qu’il fallait donc avoir de plus amples renseignements sur la situation dans laquelle il se trouvait avant de réfléchir, avec les parents du requérant, pour savoir s’il était opportun de déposer une requête en son nom. Le conseil souligne que les circonstances décrites dans la requête de l’épouse du requérant étaient «complètement différentes» car elle était restée en Suède, et il était donc nécessaire d’envoyer une requête d’urgence afin d’empêcher son expulsion. Dans l’affaire à l’examen, le requérant avait déjà été expulsé et il n’y avait pas d’urgence de soumettre la requête avant d’avoir minutieusement apprécié le fond. Le conseil ajoute que le délai de six mois imposé pour soumettre une communication ne vise que les requêtes présentées en vertu de la Convention européenne et que l’existence de régimes conventionnels différents ne pose pas de difficulté. Quoi qu’il en soit, le conseil fait valoir que la question de principe qui est soumise au Comité, qui concerne la protection satisfaisante offerte par des garanties diplomatiques, est si importante que le Comité devrait examiner le fond plutôt que de déclarer la requête irrecevable.

5.2Le conseil conteste que la requête constitue un abus du droit de présenter des plaintes. Il reconnaît que bon nombre des «éléments de base» sont les mêmes dans le cas du requérant et dans le cas de son épouse et que les circonstances «se recouvrent dans une large mesure», mais il fait valoir que c’est le requérant, dans l’affaire à l’examen, qui court le plus grand risque de subir des tortures. Son épouse, qui, elle, a fondé sa plainte simplement sur son étroite parenté avec une personne recherchée pour activités terroristes, est dans une situation subsidiaire et court moins de risques que son mari. Par conséquent, les deux affaires présentent des «différences majeures» et la requête ne doit pas être déclarée irrecevable pour ce motif. Le conseil rejette en outre l’idée que la plainte est manifestement dénuée de fondement.

5.3En ce qui concerne le fond, le conseil dit qu’une idée générale de l’utilisation massive et flagrante de la torture par les autorités égyptiennes est donnée par les rapports de plusieurs organisations de défense des droits de l’homme. Le rapport sur la situation des droits de l’homme du Ministère suédois des affaires étrangères fait lui‑même état de cas fréquents de recours à la torture par la police égyptienne, surtout dans le cadre des enquêtes sur les affaires de terrorisme. Le conseil fait valoir que le requérant n’a été impliqué dans aucune activité terroriste et n’accepte pas que la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité puisse être applicable. Quoi qu’il en soit, cette résolution ne peut pas l’emporter sur d’autres obligations internationales comme celles qui découlent de la Convention. Le conseil nie que le requérant ait participé à des activités terroristes, même par l’intermédiaire des organisations pour lesquelles les services de la Sûreté suédoise affirment qu’il travaillait. De toute façon, les allégations de participation à des organisations terroristes n’auraient servi qu’à accroître l’intérêt que pouvaient porter les autorités égyptiennes au requérant, qui a été reconnu coupable d’actes terroristes, et cette circonstance aggravante, qui augmente le risque de torture, aurait dû être prise en considération par l’État partie avant l’expulsion.

5.4Pour le conseil, la question fondamentale est de savoir non pas si un haut fonctionnaire du Gouvernement a donné des assurances, mais si celles‑ci peuvent être effectivement observées et, dans l’affirmative, comment. Les garanties ont été données dans de brefs délais, elles sont vagues et sont muettes sur la façon dont elles seraient respectées dans le cas du requérant. Le Gouvernement égyptien n’a pas donné de renseignements à ce sujet et les autorités suédoises n’en ont pas demandé. Elles n’ont pas non plus prévu d’arrangements concrets et à long terme pour la surveillance, et la première visite a eu lieu plus d’un mois après l’expulsion. Cet arrangement, décidé peu de temps après que le Comité eut demandé des mesures provisoires de protection à l’égard de l’épouse du requérant, apparaît comme une réaction dictée par les circonstances plutôt que comme un élément d’un plan de surveillance bien conçu. Le conseil réaffirme ses doutes quant à l’efficacité des arrangements de surveillance, faisant observer que les procédures de routine prévues dans ce genre de situations par des organisations telles que le Comité international de la Croix‑Rouge n’étaient pas suivies. Apparemment, les autorités suédoises n’ont pas cherché à obtenir une expertise médicale alors qu’en mars 2003 le requérant s’était directement plaint d’actes de torture. D’après le conseil, les différences entre ce que le requérant disait à ses parents, d’une part, et aux autorités suédoises, qu’il ne connaissait pas et venaient le voir accompagnées de hauts fonctionnaires égyptiens, d’autre part, sont explicables.

5.5Le conseil conteste la décision du Comité concernant la requête soumise par l’épouse du requérant car quand elle avait affirmé que son mari avait subi des mauvais traitements c’était sur la foi de diverses sources, et ces griefs ne pouvaient pas être déclarés non fondés. Le conseil conteste l’interprétation donnée par l’État partie de la jurisprudence des organes européens, considérant que la teneur des garanties données dans la présente affaire et de celles qui avaient été données par le Gouvernement indien dans l’affaire Chahal étaient «essentiellement les mêmes». Il fait remarquer que la Cour européenne n’a pas mis en doute la bonne foi du Gouvernement indien mais a considéré que le problème fondamental était les violations des droits de l’homme commises au niveau opérationnel par les forces de sécurité. De même, dans la présente affaire, même en créditant les autorités politiques égyptiennes de la même bonne volonté que le représentant qui a donné les garanties, la réalité, au niveau opérationnel des services de sécurité de l’État et des autres autorités qui traitent avec le requérant, est que la torture est couramment pratiquée. L’affaire Aylor ‑Davis au contraire ne peut pas être invoquée car les garanties avaient été données par un État dont la réalité ne peut pas être comparée avec celle de l’Égypte.

5.6Pour ce qui est de l’argument de l’État partie selon lequel les autorités égyptiennes ont réfuté les allégations avancées par le requérant en mars 2003, le conseil fait remarquer qu’il aurait été étonnant que les autorités réagissent autrement et que la réfutation n’infirme pas la plainte du requérant. De l’avis du conseil, c’est à l’État partie qu’il incombe de montrer que les mauvais traitements n’ont pas eu lieu, car il est le mieux placé pour apporter des éléments de preuve et organiser une surveillance appropriée. Le conseil dit que l’État partie ne s’est pas assuré de cette charge de la preuve.

5.7Le conseil reconnaît que l’Égypte est partie à la Convention mais fait observer que cet acte de forme ne garantit malheureusement pas que les États respectent les engagements qu’ils ont pris. Pour ce qui est des effets salutaires de la publicité dans les organes d’information, il signale que la presse s’est fait l’écho de l’affaire du requérant et de celle de sa femme à l’époque de l’expulsion du requérant mais que par la suite son intérêt s’est affaibli. Quoi qu’il en soit, il est permis de douter que le fait que la presse en ait parlé ait eu quelque effet protecteur et, même quand l’écho médiatique est intense, ses effets positifs sont douteux.

5.8Le conseil fait valoir que, si le Comité devait considérer que des assurances telles que celles qui ont été données dans la présente affaire représentent une protection suffisante contre le risque de torture, on pourrait imaginer que des expulsions massives aient lieu vers des États qui ne sont pas des modèles de respect des droits de l’homme mais qui ont donné quelque forme stéréotypée de garantie. Dans les cas du moins où la volonté et la capacité de l’État qui expulse d’assurer une surveillance appropriée sont insuffisantes, cela pourrait aisément aboutir à donner toute latitude aux autorités de l’État d’accueil pour commettre des tortures et des mauvais traitements et s’en cacher. En conséquence, le conseil invite le Comité à conclure i) qu’il y a eu violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention au moment où le requérant a été expulsé, à la lumière à la fois des renseignements disponibles à cette époque et des événements ultérieurs, et ii) que le requérant a été soumis à la torture après son expulsion.

Observations complémentaires des parties

6.1Dans une lettre datée du 20 avril 2004, le conseil indique que, le 18 février 2004, le requérant a reçu la visite de sa mère en prison. Il l’a informée que des agents chargés de l’interroger avaient menacé de le tuer ou de le torturer et, le même jour, il a porté plainte pour actes de torture. Le 19 février 2004, il a été transféré à la prison de Abu-Zabaal à environ 50 km du Caire, transfert contre lequel il a protesté en faisant une grève de la faim qui a duré 17 jours. Il aurait été placé, à titre de sanction, dans une petite cellule d’isolement de 1,5 m², où il aurait vécu dans des conditions d’hygiène déplorables, recevant une bouteille d’eau par jour. Le 8 mars 2004, des représentants de l’ambassade de Suède lui ont rendu visite. Les résultats de cette visite n’ont pas été communiqués. Le 20 mars 2004, après que la mère du requérant eut tenté à plusieurs reprises, sans succès, de lui rendre visite, il a été annoncé qu’aucun membre de la famille du requérant ne serait autorisé à lui rendre visite en dehors des principaux jours de fête, en raison de son statut de personne emprisonnée pour des raisons de sécurité soumise à des restrictions particulières. Le 4 avril 2004, il a été renvoyé à la prison de Mazraat Tora. Le 10 avril 2004, un deuxième procès s’est ouvert devant la treizième juridiction militaire supérieure sous l’inculpation d’appartenance, avec des fonctions de direction, à une organisation ou un groupe illégal et d’association de malfaiteurs. Le requérant a plaidé non coupable. Un représentant de Human Rights Watch a été admis au procès mais ni la famille du requérant, ni les journalistes, ni les représentants de l’ambassade de Suède n’ont pu y assister. L’avocat du requérant a demandé un report d’audience pour pouvoir lire le dossier d’inculpation qui comptait 2 000 pages et préparer la défense. Le procès a donc été reporté de trois jours, l’avocat étant uniquement autorisé à prendre des notes par écrit. De l’avis du conseil, cet élément d’information montre que le requérant a été torturé par le passé, a été menacé d’actes de torture et court un risque considérable d’être de nouveau soumis à la torture. Il montre également qu’il a été traité de manière cruelle et inhumaine et qu’il n’a pas eu droit à un procès équitable.

6.2Dans une lettre datée du 28 avril 2004, le conseil indique que, le 27 avril 2004, le requérant a été reconnu coupable et condamné à 25 ans de prison. Il indique aussi que le tribunal a rejeté une demande présentée par le requérant et visant à l’autoriser à subir un examen médical, étant donné qu’il avait été torturé pendant sa détention. De l’avis du conseil, la déclaration du requérant devant le tribunal et le rejet de sa demande par ce même tribunal indiquent de nouveau clairement que le requérant a été soumis à la torture.

7.1Dans une communication datée du 3 mai 2004, l’État partie répond à la lettre du conseil en date du 20 avril 2004. Il indique que depuis la dernière visite (la dix‑septième) signalée au Comité le 5 décembre 2003, quatre autres visites ont eu lieu les 17 décembre 2003, 28 janvier 2004, 8 mars 2004 et 24 mars 2004. L’État partie fait savoir que, de décembre 2003 à janvier 2004, la situation du requérant est restée globalement la même et qu’il a entrepris des études de droit. Tout en se plaignant que ses deux compagnons de cellule l’empêchaient de disposer du calme nécessaire aux études, il a réussi à préparer des examens qui ont eu lieu dans la prison en janvier 2004. La prison de Abu-Zabaal, dans laquelle il a été transféré et qui serait un établissement à sécurité maximale, serait généralement réservée aux prisonniers condamnés à des peines de longue durée. Parallèlement, le directeur de la prison a indiqué que le requérant avait reçu l’ordre de passer 15 jours à l’isolement à titre de sanction disciplinaire pour avoir tenté de provoquer une rébellion des détenus de Mazraat Tora. L’État partie a obtenu plusieurs éléments de preuve concordants indiquant que i) le requérant avait tenté de provoquer une émeute en «criant des propos appelant à la désobéissance aux instructions et au règlement de la prison» et que ii) le courrier et les visites avaient fait l’objet de restrictions pendant trois mois. L’État partie fait observer que le requérant a été reconnu coupable d’un des deux délits dont il était accusé, à savoir avoir dirigé l’organisation terroriste Islamic Al‑Fath Vanguards et en être responsable. Il a été condamné à la réclusion à perpétuité, sans travaux forcés (abolis en 2003). Il se trouve actuellement à la prison de Mazraat Tora en attente d’une décision concernant son futur placement.

7.2L’État partie maintient ses positions précédentes concernant la recevabilité de la requête ainsi que le fond, à savoir que le requérant n’a pas étayé ses arguments selon lesquels les autorités égyptiennes n’avaient pas respecté dans la pratique les garanties données. Il a rappelé que la question essentielle était de savoir ce que l’État partie pouvait raisonnablement croire, à la lumière des garanties données, au moment de l’expulsion. L’État partie fait donc valoir qu’il s’est pleinement acquitté de ses obligations en vertu de la Convention.

8.1Dans une lettre du 3 mai 2004, le conseil indique qu’il a d’abord reçu uniquement le verbatim du rapport diplomatique fourni après la première réunion entre l’Ambassadeur et le requérant le 23 janvier 2002. Il fait valoir que le rapport dans son intégralité vient de lui être remis par un avocat représentant un tiers expulsé en même temps que le requérant. Il affirme que, d’après ce rapport, le requérant a informé l’Ambassadeur qu’il avait été torturé (il a été passé à tabac par des gardiens de prison) et soumis à des traitements cruels et dégradants (bandeau sur les yeux, emprisonnement cellulaire dans une très petite cellule, privation de sommeil et refus de lui donner les médicaments qu’on lui avait prescrits). Le conseil indique que l’État partie n’a pas communiqué ces éléments d’information au Comité. Il fournit en outre un rapport de Human Rights Watch critiquant les assurances diplomatiques dans ce contexte, ainsi qu’une déclaration du 27 avril 2004 de l’Organisation égyptienne pour les droits de l’homme critiquant le nouveau procès du requérant.

8.2Dans une lettre du 4 mai 2004, le conseil fournit sa traduction du rapport diplomatique en question. Après avoir décrit la position qui lui avait été imposée pendant le vol vers l’Égypte, le requérant aurait expliqué à l’Ambassadeur, à la première réunion, en présence de responsables égyptiens, qu’il avait été «forcé de garder les yeux bandés pendant l’interrogatoire, placé dans des cellules trop étroites de 1,5 m x 1,5 m pendant la même période, privé de sommeil en raison de la supervision dans les cellules, forcé d’attendre 10 jours avant d’obtenir ses médicaments pour ses problèmes gastriques (après examen médical), battu par des gardiens pendant le transport entre sa cellule et le lieu de l’interrogatoire et menacé par les responsables des interrogatoires de représailles contre sa famille s’il ne disait pas tout sur la période passée en Iran». L’Ambassadeur a conclu qu’il ne pouvait pas apprécier la véracité de ses dires mais n’a pas interprété les propos du requérant comme dénonçant une forme systématique de torture physique. Selon le conseil, ces nouvelles informations indiquent clairement que le requérant a été soumis à la torture. Le conseil fait aussi valoir que la vraie raison pour laquelle le requérant a été transféré à la prison de Abu-Zabaal est qu’il a porté plainte pour menace de torture. Il indique également que le requérant n’a pas bénéficié «réellement et équitablement» des moyens nécessaires à la préparation de sa défense et observe que l’État partie n’a pas abordé les questions soulevées par le procès du requérant.

8.3Par une autre lettre datée du 4 mai 2004, le conseil transmet une déclaration faite le même jour par Human Rights Watch et intitulée «Suspected militant’s unfair trial and torture claims implicate Sweden», dans laquelle le nouveau procès du requérant et les arrangements de surveillance pris par l’État partie sont critiqués. Le conseil transmet également une lettre qui lui a été adressée par un chercheur de Human Rights Watch qui confirmerait la teneur du premier rapport diplomatique évoqué plus haut, concluant que les allégations de mauvais traitements étaient crédibles.

8.4Dans une communication datée du 5 mai 2004, l’État partie indique qu’il estime que le Comité est à même de prendre une décision sur la recevabilité et, si nécessaire, sur le fond de la requête, sur la base des dispositions de la Convention et des informations soumises au Comité. Par conséquent, il n’a pas l’intention de formuler de nouvelles réponses complémentaires en plus de celles déjà communiquées le 3 mai 2004. Il fait observer en conclusion que la lettre du conseil en date du 4 mai 2004 soulève entre autres des questions qui ne relèvent pas du champ d’application de la Convention.

Décision du Comité concernant la recevabilité

9.1À sa trente‑deuxième session, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la communication. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’était pas actuellement examinée par d’autres instances internationales d’enquête ou de règlement.

9.2En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui a fait valoir que la requête constituait un abus de la procédure, ce qui la rendait irrecevable, le Comité a fait observer que la requête soumise au nom de l’épouse du requérant afin d’empêcher son expulsion avait nécessairement été déposée rapidement et portait, du moins quand le Comité avait rendu sa décision, sur la question de savoir si à ce moment‑là les circonstances étaient telles que son expulsion représenterait une violation de l’article 3 de la Convention. Pour conclure que ce n’était pas le cas, le Comité avait examiné la chronologie des faits jusqu’au moment de sa décision, recherche obligatoirement plus large que celle qui était requise dans la présente affaire, qui était axée sur la situation du requérant au moment de son expulsion, en décembre 2001. Dans sa décision concernant la première requête, le Comité avait au demeurant remarqué qu’il n’avait pas à trancher la question de savoir si l’expulsion du requérant dans la présente affaire constituait en soi une violation de l’article 3. Les deux requêtes concernaient des personnes différentes, dont l’une ne relevait déjà plus de la juridiction de l’État partie au moment où la requête avait été soumise tandis que l’autre restait placée sous sa juridiction tant qu’elle n’avait pas été expulsée. Le Comité a estimé que les deux requêtes n’étaient donc pas fondamentalement identiques et n’a pas considéré que la requête à l’examen était une simple répétition d’une question déjà tranchée. Certes, il eût été préférable que la requête à l’examen soit soumise plus tôt, mais le Comité a estimé qu’il ne serait pas juste de considérer que le temps passé avant d’obtenir l’autorisation du père du requérant était excessif au point de constituer un abus de la procédure.

9.3Pour ce qui est de l’argument de l’État partie qui a invoqué l’article 107 f) du règlement intérieur du Comité comme motif d’irrecevabilité de la requête, le Comité a relevé que cet article disposait que le délai écoulé avant de soumettre la requête devait être de nature à rendre l’examen «anormalement difficile». Dans la présente affaire, l’État partie savait déjà où trouver tous les renseignements factuels, les observations et l’argumentation nécessaires, et si le moment où les deux requêtes avaient été envoyées n’était peut‑être pas le meilleur, on ne pouvait pas dire pour autant que l’examen de la présente affaire ait été rendu anormalement difficile par les 18 mois écoulés depuis l’expulsion. Le Comité rejetait donc l’argument invoqué par l’État partie pour fonder l’irrecevabilité sur ce motif.

9.4Le Comité a noté que l’Égypte n’avait pas fait la déclaration prévue à l’article 22 reconnaissant la compétence du Comité pour examiner des communications présentées par des particuliers contre cet État partie. Le Comité a toutefois fait observer que conclure, comme le demandait le requérant, qu’il y avait eu effectivement torture après l’expulsion du requérant vers l’Égypte (par. 5.8), serait conclure que l’Égypte, État partie à la Convention, avait commis une violation de ses obligations en vertu de la Convention sans lui avoir donné la possibilité de présenter ses arguments. Cette partie distincte de la requête, dirigée contre l’Égypte, était par conséquent irrecevable ratione personae.

9.5Relativement à l’argument de l’État partie qui a fait valoir que le reste de la plainte n’était pas suffisamment étayé aux fins de la recevabilité, le Comité a estimé que le requérant avait apporté assez d’éléments concernant la Suède pour lui permettre d’examiner l’affaire sur le fond. En l’absence d’autres obstacles à la recevabilité opposés par l’État partie, le Comité était prêt à procéder à l’examen de la requête sur le fond.

9.6En conséquence, le Comité contre la torture a décidé que la requête était en partie recevable, comme il était indiqué aux paragraphes 9.2 à 9.5 ci‑dessus.

Observations complémentaires des parties sur le fond de la requête

10.1Dans une lettre datée du 20 août 2004, le conseil du requérant formule des observations complémentaires sur le fond de l’affaire, donnant de plus amples renseignements au sujet du nouveau procès dont a fait l’objet le requérant en avril 2004. Il indique que l’avocat chargé d’assurer la défense du requérant n’a reçu copie que de certaines parties du dossier de l’enquête pénale qui avait été menée, bien qu’il ait demandé de le photocopier dans sa totalité. À la reprise du procès, le 13 avril, le requérant n’a pu s’entretenir avec son avocat que pendant une quinzaine de minutes. L’État a cité un colonel des services d’enquête de la Sûreté de l’État à comparaître comme témoin à charge contre le requérant pour attester du fait que celui‑ci était depuis 1980 l’un des chefs de file du groupe Jamaa et qu’il avait depuis 1983 des liens avec Ayman al‑Zawahiri, figure centrale du groupe. Le colonel a également affirmé que le requérant avait pris part à des camps d’entraînement au Pakistan et en Afghanistan ainsi qu’à une formation au maniement des armes. Au cours du contre‑interrogatoire, le colonel a déclaré qu’il y avait constamment des changements à la tête du groupe Jamaa, que sa déposition reposait sur des informations secrètes, qu’il ne pouvait révéler l’identité de ses informateurs sous peine de mettre leur vie en danger et que lui‑même avait joué un rôle d’appoint dans l’enquête aux côtés d’autres agents qu’il ne connaissait pas. Selon le conseil du requérant, le tribunal, dans son verdict du 27 avril 2004, a rejeté la demande d’examen médico-légal formulée par le requérant au cours du procès mais a fait référence à un rapport établi par le médecin de la prison indiquant que le requérant avait subi des lésions corporelles en détention.

10.2Le conseil mentionne une émission de la télévision suédoise diffusée le 10 mai 2004 sous le titre «Kalla Fakta», qui revient sur les circonstances de l’expulsion du requérant et d’une autre personne. Il était dit dans l’émission que les deux hommes avaient été emmenés menottés à l’aéroport de Stockholm, qu’un avion privé des États‑Unis d’Amérique s’était posé et que la police suédoise avait remis les deux hommes à un groupe d’agents spéciaux. Ceux‑ci avaient dévêtu les deux hommes, leur avaient administré des suppositoires de nature inconnue, leur avaient mis des couches et leur avaient fait endosser des combinaisons noires. Lorsqu’ils ont été conduits à l’avion, ils avaient les mains et les pieds attachés à une sorte de harnais spécialement conçu à cet effet, les yeux bandés et la tête recouverte d’une cagoule. M. Hans Dahlgren, Secrétaire d’État au Ministère des affaires étrangères, a déclaré au cours d’un entretien que le Gouvernement égyptien n’avait pas respecté les garanties qu’il avait données concernant la tenue d’un procès équitable.

10.3D’après le conseil du requérant, à la suite de cette émission, le Ministère suédois des affaires étrangères a envoyé deux représentants de haut niveau en Égypte pour s’y entretenir avec les autorités égyptiennes du traitement qui avait été réservé aux deux expulsés. On ignore les résultats de cet entretien. Tout ce que l’on sait, c’est que les autorités égyptiennes ont nié les mauvais traitements et qu’une enquête va être menée sous l’égide de l’Égypte, mais avec une participation internationale, y compris d’experts médicaux. Il faut signaler aussi l’ouverture en Suède, après cela, de trois enquêtes séparées, qui sont en cours: i) une enquête entreprise de sa propre initiative par le médiateur en chef pour déterminer si les mesures prises étaient légales; ii) une enquête pénale ouverte par le Procureur général de Stockholm, à la suite d’une plainte déposée à titre privé, aux fins d’établir si la Police de la Sûreté suédoise avait commis une quelconque infraction en relation avec l’expulsion; et iii) une enquête de la Commission constitutionnelle du Parlement sur la légalité du traitement de ces affaires par les autorités suédoises.

10.4Le 15 juin 2004, la Commission de recours des étrangers a accordé à l’épouse du requérant et à ses cinq enfants le statut de résident permanent en Suède pour des raisons humanitaires. Peu de temps après, toujours en juin, le Gouvernement égyptien, usant de son droit de grâce, a ramené la peine d’emprisonnement du requérant de 25 à 15 ans. Selon le conseil du requérant, le dernier entretien de celui‑ci avec des représentants des autorités suédoises date de juillet 2004. Il s’agissait pour la première fois d’un entretien entièrement privé. Le requérant a vu ensuite sa mère, à qui il a raconté qu’avant l’entretien on lui avait ordonné d’être prudent et de tenir sa langue, un employé l’ayant averti: «Ne t’imagine pas que nous n’entendons pas, nous avons des oreilles et des yeux.».

10.5Au 20 août 2004, date d’envoi des observations, on ne savait rien au sujet de l’enquête annoncée en Égypte. La Ministre suédoise des affaires étrangères a néanmoins annoncé ce jour‑là à la radio que le Gouvernement égyptien avait fait parvenir une note dans laquelle il rejetait toutes les allégations de torture formulées par le requérant et déclarait considérer qu’une enquête internationale était superflue et inacceptable. La Ministre suédoise des affaires étrangères voyait aussi là une raison pour les autorités suédoises de faire leur autocritique sur la manière dont elles avaient traité l’affaire.

10.6Le conseil fait observer que le nouveau procès n’a manifestement pas été conforme aux normes internationales: le requérant a été jugé par un tribunal militaire et son avocat a disposé de peu de temps pour préparer sa défense et a eu un accès limité aux éléments du dossier, si bien que le verdict a été établi sur la base de preuves peu convaincantes et insuffisantes. Le non‑respect des garanties données sur ce point, reconnu par M. Dahlgren, suscite de sérieux doutes quant à l’observation des autres engagements pris. Le conseil indique que le requérant a dit à sa mère qu’on l’envoyait de temps en temps à l’hôpital pour ses maux de dos, mais rien d’indique qu’il a été examiné par un médecin légiste. De l’avis du conseil, si l’on ajoute aux informations déjà communiquées la constatation par le médecin de la prison des lésions corporelles subies par le requérant (voir plus haut, par. 8.1) et le refus des autorités égyptiennes d’autoriser l’ouverture d’une enquête internationale, on a là un ensemble d’éléments montrant que le requérant a été soumis à la torture. La charge de prouver le contraire doit incomber à l’État partie, qui dispose de ressources et de moyens d’influer sur la procédure sans commune mesure avec ceux du requérant.

10.7Réitérant les arguments qu’il a formulés précédemment, le conseil soutient que le requérant courait un risque réel de torture au moment où il a été expulsé, quelles qu’aient pu être les garanties obtenues d’un pays tel que l’Égypte, dont on sait comment il se comporte en la matière. Le conseil renvoie à ce sujet à un rapport du Conseil de l’Europe sur la Suède daté du 8 juillet 2004 dans lequel des critiques sont émises concernant l’utilisation des garanties. Le conseil fait également valoir que les mesures prises pour empêcher le recours à la torture et vérifier que les garanties étaient respectées ont été insuffisantes. En plus des arguments qu’il a déjà avancés, il note qu’aucun plan ou programme détaillé prévoyant par exemple des instructions particulières relatives aux techniques d’interrogatoire admissibles, l’obligation pour l’État partie de destination de confirmer que le personnel subordonné avait connaissance des garanties et les respecterait, ou des arrangements quant au traitement qui serait réservé au requérant après son expulsion et à son jugement n’a été mis en œuvre.

11.1Dans une réponse datée du 21 septembre 2004, l’État partie fait observer que, depuis l’envoi de sa dernière communication, le 3 mai 2004, il y a eu de nouvelles visites les 4 mai, 2 juin, 14 juillet et 31 août 2004. Toutes, sauf la dernière, ont eu lieu à la prison de Mazraat Tora, où le requérant exécute apparemment sa peine. Le dernier entretien s’est déroulé à l’hôpital universitaire du Caire. L’État partie indique que, sur le plan juridique, la situation du requérant s’est améliorée; sa peine a été ramenée à 15 ans d’emprisonnement et, à ses dires, elle pourrait encore être réduite en cas de bonne conduite. Le Ministère égyptien de l’intérieur fait régulièrement le point en la matière. En mai, le requérant avait contracté une pneumonie, mais son état de santé s’est amélioré depuis. Dès son retour à la prison de Mazraat Tora, le 4 avril 2004, il a repris son traitement. Fin août 2004, il a subi à l’hôpital universitaire du Caire une intervention pour un problème de disques vertébraux. Le neurochirurgien qui l’a pratiquée a informé l’ambassade, le 31 août, que l’opération avait duré cinq heures et avait nécessité une microchirurgie, mais qu’elle avait réussi et qu’il n’y avait pas eu de complications. Selon le médecin, les maux de dos du type de ceux dont souffrait le requérant pouvaient toucher n’importe qui et n’avaient pas de cause apparente.

11.2Pour ce qui est des conditions générales d’incarcération à la prison de Mazraat Tora, le requérant n’a pas formulé de plainte particulière lorsque le personnel de l’ambassade l’a interrogé à ce sujet. Les parloirs ont repris dès son retour dans cet établissement. Il a été heureux d’apprendre que sa femme et ses enfants avaient obtenu un titre de séjour permanent; quant à lui, il poursuivait ses études de droit et se présentait aux examens.

11.3Les allégations répétées de mauvais traitements formulées par le conseil du requérant, son avocat égyptien et certaines ONG ont amené le Gouvernement de l’État partie à pousser plus loin son travail d’investigation. Le 18 mai 2004, il a dépêché en Égypte une émissaire spéciale, Mme Lena Hjelm‑Wallén, ancienne Ministre des affaires étrangères et Vice‑Premier Ministre, qui était accompagnée du Directeur général des affaires juridiques du Ministère suédois des affaires étrangères. Mme Hjelm‑Wallén s’est entretenue avec le Vice‑Ministre égyptien de la justice et le Ministre de tutelle du service des renseignements généraux, et a fait part à ses interlocuteurs des préoccupations de l’État partie quant aux mauvais traitements que le requérant aurait subis pendant les premières semaines qui avaient suivi son retour en Égypte. Elle a demandé qu’une enquête indépendante et impartiale soit menée au sujet de ces allégations avec la participation d’experts médicaux internationaux. Le Gouvernement égyptien a rejeté ces allégations comme étant dénuées de fondement, mais a accepté d’ouvrir une enquête. Le 1er juin 2004, la Ministre suédoise des affaires étrangères a adressé au Ministre de tutelle du service égyptien des renseignements généraux une lettre dans laquelle elle indiquait que, pour recueillir le plus large soutien possible sur le plan international, l’enquête égyptienne devrait être menée en collaboration avec ou par une autorité indépendante, avec la participation d’experts juridiques et médicaux, et si possible d’experts internationaux ayant des compétences reconnues dans le domaine des enquêtes sur la torture. Elle y disait également qu’elle accepterait volontiers qu’un responsable suédois, par exemple un fonctionnaire de haut rang de la police ou un procureur, y apporte son concours et ajoutait que la lutte contre le terrorisme devait impérativement s’inscrire dans le plein respect de la légalité et des obligations internationales relatives aux droits de l’homme. Dans sa réponse, datant de fin juillet 2004, le Ministre égyptien concerné a réfuté les allégations de mauvais traitements comme étant dépourvues de fondement et a mentionné, sans donner de détails, le travail d’enquête des autorités égyptiennes. Il a confirmé que le requérant avait bénéficié d’une remise de peine, mais n’a pas fourni de réponse directe à la demande d’ouverture d’une enquête indépendante formulée par la Suède.

11.4L’État partie indique que les autorités suédoises ne se satisfont pas de la réponse de l’Égypte. Il est extrêmement important qu’au moment où elles réfléchissent à la démarche qui pourrait être adoptée elles aient une quelconque confirmation de ce que cette démarche sera conforme aux souhaits du requérant lui‑même car il ne faudrait pas que de nouvelles mesures nuisent en quoi que ce soit à ses intérêts légaux, à sa sécurité ou à son bien‑être. Il faut aussi, dans les circonstances de l’affaire, que le Gouvernement égyptien consente et coopère à tout complément d’enquête.

11.5L’État partie a de nouveau fait observer que les considérations fondées sur les carences du nouveau procès sortent du cadre de la présente affaire, où il s’agit de déterminer si le renvoi du requérant en Égypte allait à l’encontre de l’interdiction absolue de la torture. Il répète que le requérant n’a pas démontré qu’il avait subi des mauvais traitements après son retour et, donc, que les garanties données n’avaient pas été respectées. L’État partie rappelle que la question cruciale à trancher est celle de savoir ce que son gouvernement pouvait raisonnablement croire, compte tenu des garanties reçues, au moment de l’expulsion. En conséquence, il s’est acquitté des obligations qui lui incombent en vertu de la Convention, y compris l’article 3.

11.6Par une lettre du 16 octobre 2004, le conseil a répondu aux observations complémentaires de l’État partie, soulignant que les circonstances dans lesquelles s’étaient déroulées les quatre visites effectuées de mai à août 2004 dont parle l’État partie restaient peu claires mais qu’il était vraisemblable que des fonctionnaires égyptiens y avaient assisté et qu’il était difficile de s’exprimer librement dans ces conditions. Il est possible que la situation ait été différente en ce qui concerne la visite à l’hôpital. Le conseil critique l’État partie pour avoir déclaré que la prison de Mazraat Tora semblait être l’établissement pénitentiaire où la peine était exécutée, affirmant que, comme il est de notoriété publique que le requérant purgeait sa peine à la prison d’Estekbal Tora, l’État partie semblait mal informé des conditions dans lesquelles celui‑ci était détenu.

11.7Le conseil fait observer que le mal de dos du requérant avait déjà été diagnostiqué, comme modéré, en Suède. Ces problèmes se sont aggravés après son retour et, en 2003, il a subi des examens à l’hôpital du Caire à l’issue desquels une opération a été recommandée. Ce n’est qu’un an plus tard qu’une opération «absolument nécessaire» a été effectuée. Il est resté 11 jours à l’hôpital sous supervision et les membres de sa famille ont pu lui rendre visite sous contrôle. Bien qu’il fût loin d’être rétabli, il a alors été renvoyé en prison dans un véhicule de transport ordinaire et non dans une ambulance. Le conseil affirme que l’État partie connaissait l’état de santé du requérant mais avait négligé de s’en occuper pendant deux ans et demi, l’exposant pendant tout ce temps à des traitements tels que l’enfermement dans des cellules «très petites», les bras liés derrière le dos. Outre qu’il causait d’intenses douleurs, un tel traitement risquait fortement d’aggraver sa maladie.

11.8Le conseil affirme que la réduction de peine n’a aucune incidence sur la manière dont le requérant a été, est et sera traité jusqu’à sa libération. Pour ce qui est des études de droit, on ne sait pas si le requérant a pu se présenter à des examens ni avec quels résultats. Le conseil nie qu’il y ait eu une amélioration significative de la situation du requérant au cours de l’été 2004, concédant seulement une amélioration par rapport à la situation dans laquelle il se trouvait immédiatement après son retour. Il affirme qu’en mars 2004 encore le requérant était détenu dans une très petite cellule sans installations sanitaires suffisantes ni eau courante. De l’avis du conseil, il subsiste un risque considérable que le requérant soit soumis à la torture ou à des traitements du même ordre. En tout état de cause, le conseil affirme que la condition actuelle du requérant ne permet pas d’établir de quelle manière il a été traité dans le passé.

11.9Le conseil souligne que l’avocat égyptien du requérant a présenté une demande de révision du verdict à la plus haute juridiction de sûreté de l’État, aux motifs que la juridiction de jugement militaire n’avait pas apprécié comme il convenait les éléments de preuve, que l’enquête préliminaire était gravement viciée, que les droits de la défense avaient été violés au procès et qu’au cours de l’enquête le requérant avait été soumis à des violences et à la torture. L’avocat a aussi déposé une plainte spéciale auprès du Ministre égyptien de l’intérieur, du Procureur général et du Directeur général des établissements pénitentiaires, affirmant que le requérant n’avait pas été traité comme il convenait au cours de son hospitalisation, notamment qu’il avait été enchaîné à son lit et immobilisé pour des raisons médicales, puis remis en prison avant d’avoir été rétabli.

11.10 Le conseil affirme qu’après la publicité faite à cette affaire par l’émission de télévision mentionnée plus haut au paragraphe 10.2, l’État partie avait modifié sa position consistant à nier catégoriquement qu’il y ait eu torture pour se montrer seulement réticent à l’admettre, ainsi qu’en témoignent les mesures qu’il a alors prises en engageant le dialogue avec l’Égypte. Le conseil met en avant que le refus courtois de l’Égypte de considérer les allégations comme fondées a incité la Suède à demander une enquête, sans aller jusqu’à donner des détails sur l’enquête qui aurait été conduite. Ceci inciterait fortement à penser que le requérant a en fait été torturé, car l’Égypte aurait grand avantage à pouvoir démontrer aux autres pays, par une enquête indépendante montrant que le requérant n’avait pas été torturé, que l’on pouvait y renvoyer des prisonniers sensibles en étant sûr qu’elle respecterait les assurances données.

11.11 Le conseil se réfère au refus apparent de l’État partie d’insister davantage auprès des autorités égyptiennes, par crainte d’éventuelles atteintes aux intérêts juridiques ou au bien‑être du requérant. Un tel manque d’empressement laisserait penser que l’État partie admet, contrairement à l’opinion qu’il avait émise auparavant, que le requérant risque d’être soumis à des pressions externes si l’on insiste pour qu’une enquête indépendante soit effectuée. En fait, le requérant, par le truchement de ses parents, a fait savoir à plusieurs reprises qu’il désirait que ses intérêts soient défendus du mieux possible.

11.12 Le conseil se réfère ensuite à la jurisprudence pertinente des juridictions nationales. Dans l’affaire Bilasi ‑Ashri, le Gouvernement égyptien a refusé de remettre une déclaration détaillée d’assurances, prévoyant notamment une surveillance après le retour, au Ministre autrichien de la justice qui le lui avait demandé à la suite d’une décision à cet effet d’une cour d’appel autrichienne. Dans l’affaire Ahmed Zakaev, une juridiction d’extradition britannique a estimé qu’un réel risque de torture n’était pas écarté par les assurances données en audience publique par un vice‑ministre russe en charge des prisons. Le conseil affirme que c’est ce type d’approche rigoureuse, où une protection effective est fournie par l’appareil judiciaire, qui aurait dû être suivi dans le cas du requérant.

11.13 Le conseil développe la mention qui est faite plus haut au paragraphe 10.2 d’une intervention des États‑Unis d’Amérique dans l’affaire du requérant, citant un livre intitulé «Chain of Command» de Seymour Hersh. Il y est affirmé que «l’opération Bromma» (désignant l’aéroport d’où le requérant a été renvoyé en Égypte) a été menée par des membres du Special Access Program du Ministère de la défense nationale des États‑Unis dont l’activité consistait à renvoyer des personnes soupçonnées de terrorisme dans leur pays d’origine en utilisant des «méthodes peu orthodoxes». Il y est déclaré que le renvoi du requérant a été l’une des premières opérations effectuées au titre de ce programme et un participant à cette opération l’a décrite comme «l’une des moins réussies». D’après le conseil, cette intervention d’un État tiers au stade du renvoi dans un contexte de lutte contre le terrorisme aurait dû confirmer ce que l’État partie savait déjà du recours fréquent à la torture en Égypte et la vulnérabilité particulière du requérant, à savoir qu’il courait un risque réel de torture au moment de son renvoi, en contravention avec l’article 3.

11.14 Par une autre lettre du 16 novembre 2004, le conseil a fait tenir au Comité un exemplaire du rapport de Human Rights Watch intitulé «Recent Concerns regarding the Growing Use of Diplomatic Assurances as an Alleged Safeguard against Torture» («Préoccupations récentes concernant le recours croissant aux assurances diplomatiques comme une prétendue garantie contre la torture»). On examine dans ce rapport des exemples récents de la pratique dans le domaine des assurances diplomatiques de l’Allemagne, des États‑Unis d’Amérique, des Pays‑Bas, du Royaume‑Uni et du Canada. Il est affirmé dans ce rapport que de telles assurances sont de plus en plus considérées comme un moyen de contourner le caractère absolu des obligations de non‑refoulement et qu’elles commencent à déborder le cadre de la lutte contre le terrorisme pour se répandre dans le domaine des revendications du statut de réfugié. On y soutient que l’on ne demande d’assurances qu’aux pays dans lesquels la torture est un problème grave et systématique, ce qui atteste donc du risque réel de torture présent dans de telles affaires.

11.15 Eu égard aux expériences nationales, on parvient dans ce rapport à la conclusion que les assurances ne sont pas une garantie suffisante pour diverses raisons. La protection des droits de l’homme ne se prête pas à la diplomatie, laquelle a une propension à l’opacité et à placer la relation d’État à État au premier rang des considérations. Demander de telles assurances revient à faire confiance à un délinquant récidiviste dont on ne peut pas croire par ailleurs qu’il se conforme à ses obligations internationales. Cela revient aussi à donner à un pays délinquant récidiviste un «passe‑droit» en ce qui concerne une affaire particulière alors même que la torture y est répandue. Enfin, l’efficacité du contrôle après le retour comporte les limitations suivantes: beaucoup de tortures infligées de façon professionnelle ne sont pas détectables; dans la plupart des arrangements types de surveillance, la participation de médecins spécialistes n’est pas prévue; les victimes de la torture refusent de dénoncer les tortionnaires par crainte de représailles; enfin, ni l’État d’envoi ni l’État d’accueil ne sont prêts à endosser la responsabilité d’avoir exposé un individu à des tortures.

11.16 En conclusion, on y mentionne le rapport présenté en octobre 2004 à l’Assemblée générale par le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la question de la torture (A/59/324), dans lequel celui‑ci soutient qu’en règle générale il ne convient pas de recourir aux assurances diplomatiques dans les cas où la torture est systématique et que si une personne est membre d’un groupe spécifique d’individus habituellement pris pour cible et torturés, ce facteur doit être pris en considération. En l’absence de l’un ou l’autre de ces facteurs, le Rapporteur spécial n’écarte pas le recours aux assurances, pour autant qu’elles constituent une garantie non équivoque, sérieuse et vérifiable.

12.1Par une lettre du 11 mars 2005, l’État partie a fait tenir de nouvelles observations sur le fond de la plainte. Il fait observer que les membres du personnel de l’ambassade de Suède au Caire ont continué de suivre la situation du requérant, lui rendant visite à la prison de Tora les 3 octobre et 21 novembre 2004, le 17 janvier 2005 et le 2 mars 2005. L’État partie fait observer, pour que les choses soient claires, qu’il existe plusieurs bâtiments dans l’enceinte de la prison, dont l’un est appelé Mazraat et l’autre Estekbal. Le requérant a été détenu, et des visites ont eu lieu, dans ces deux parties du complexe pénitentiaire à différentes dates.

12.2En ce qui concerne sa situation juridique, le requérant a déclaré qu’il avait chargé son avocat égyptien de présenter au Président de la République arabe d’Égypte une requête tendant à ouvrir un nouveau procès devant une juridiction civile, invoquant l’engagement de lui donner un procès équitable qu’avait pris l’Égypte avant son expulsion de Suède. Il n’avait pas rencontré l’avocat en personne; il semble que c’est sa mère qui donnait des instructions à ce dernier. D’après le requérant, elle avait été ultérieurement informée par l’avocat que la requête avait été présentée. Le requérant n’était cependant pas très optimiste quant à l’issue d’une telle requête.

12.3En ce qui concerne son état de santé, le requérant se rétablissait normalement de l’opération du dos qu’il avait subie en août 2004 à l’hôpital universitaire du centre‑ville du Caire. De retour à la prison de Tora, il avait passé quelque temps à l’hôpital de la prison avant de retrouver une cellule normale. Il avait reçu un traitement de physiothérapie et passé une IRM de la colonne vertébrale. Il s’est plaint de ne pas avoir d’autres séances de physiothérapie qui, a‑t‑il déclaré, devaient avoir lieu à l’hôpital. Ceci était dû au fait qu’on ne disposait pas du matériel nécessaire dans la prison. Pour consolider davantage son dos, il était prévu qu’il subisse un traitement magnétique spécial.

12.4En ce qui concerne la question des conditions générales de détention, l’État partie fait observer qu’en mars 2005 le requérant avait été placé dans une cellule où il était seul. Il a continué de recevoir la visite de sa mère, qui lui apportait des livres, des vêtements et un supplément de nourriture. Il semble qu’elle lui ait aussi fourni régulièrement des informations sur sa famille en Suède. Cela ne l’a pas empêché de se plaindre qu’on lui ait refusé de voir sa femme et ses enfants. En outre, il avait l’intention de poursuivre ses études de droit. Il avait réussi à passer d’autres examens au cours de l’automne.

12.5Outre les mesures décrites dans ses dernières lettres au Comité, le 21 septembre 2004, l’État partie déclare qu’il a fait de nouveaux efforts pour qu’il soit enquêté sur les mauvais traitements qu’aurait subis le requérant de la part des autorités égyptiennes au cours de la phase initiale de la détention. Dans une lettre datée du 29 septembre 2004, adressée au Ministre de tutelle du service égyptien des renseignements généraux, la Ministre suédoise des affaires étrangères, Mme Laila Freivalds, a fait observer que la lettre qu’elle avait reçue en juillet 2004 ne contenait aucune information sur le type d’enquêtes qui avaient été menées par les autorités égyptiennes et sur lesquelles le Ministre égyptien fondait ses conclusions. Elle a conclu pour sa part que, compte tenu des circonstances, elle n’excluait pas la possibilité d’avoir à aborder de nouveau la même question avec lui à un stade ultérieur.

12.6Au cours de la visite rendue par l’ambassade de Suède au requérant le 3 octobre 2004, la question de savoir quelle était sa position quant au fait de relancer les enquêtes sur les allégations de mauvais traitements a été de nouveau soulevée. Lorsque cette question avait été évoquée avec lui pour la première fois (au cours de la visite du 14 juillet 2004), sa peine d’emprisonnement avait été récemment réduite à 15 ans et il s’inquiétait de ce que de nouvelles enquêtes puissent compromettre ses chances d’obtenir de nouvelles réductions de peine pour bonne conduite. Mais le 3 octobre 2004, le requérant s’était ravisé. Il a alors déclaré qu’il était favorable à une enquête indépendante et qu’il souhaitait y contribuer.

12.7L’État partie attachant de l’importance aux souhaits du requérant à cet égard, il a estimé que cette nouvelle position l’autorisait à prendre de son côté de nouvelles mesures. Comme l’enquête envisagée devait naturellement nécessiter une nouvelle approbation et la coopération du Gouvernement égyptien, l’Ambassadeur de Suède en Égypte a reçu pour instruction le 26 octobre 2004 de soulever cette question devant le Ministère égyptien des affaires étrangères, à l’échelon le plus élevé possible. L’Ambassadeur a donc rencontré le Ministre égyptien des affaires étrangères le 1er novembre 2004. Il lui a fait savoir que le Gouvernement suédois continuait d’être préoccupé par les allégations selon lesquelles le requérant avait subi des tortures et d’autres mauvais traitements au cours des premiers temps de son retour en Égypte. Il a souligné la nécessité d’un examen approfondi, indépendant et impartial de ces allégations, conformément au principe de l’état de droit et d’une manière qui soit acceptable pour la communauté internationale. Il lui a été répondu que le Ministre avait l’intention d’examiner cette question avec le Ministre de tutelle du service égyptien des renseignements généraux. Toutefois, le Ministre égyptien des affaires étrangères prévoyait qu’une enquête internationale soulèverait deux problèmes. Premièrement, l’Égypte n’avait pas pour tradition d’inviter des représentants de la communauté internationale à enquêter sur des affaires internes de cette nature. Ceci serait probablement interprété comme une ingérence fâcheuse dans les affaires intérieures du pays. Deuxièmement, le fait de tenter de prouver qu’il n’y avait pas eu de mauvais traitements pouvait poser un problème de nature technique, compte tenu en particulier que plusieurs années s’étaient écoulées depuis que ces mauvais traitements étaient censés avoir eu lieu.

12.8L’État partie fait savoir que, comme suite à la réunion tenue avec le Ministre des affaires étrangères, son ambassadeur a rencontré le Sous‑Secrétaire d’État aux renseignements généraux les 22 novembre et 21 décembre 2004. Au cours de la première de ces réunions, le Sous‑Secrétaire d’État a déclaré que l’Égypte souhaitait ardemment se conformer, dans toute la mesure possible, à la demande d’enquête formulée par le Gouvernement suédois. Cependant, au cours de la deuxième réunion, l’Ambassadeur s’est vu remettre par le Ministre de tutelle du service des renseignements généraux une lettre contenant la réponse officielle du Gouvernement égyptien à la nouvelle demande d’enquête formulée par la Suède. La teneur en était analogue à celle de la lettre précédente émanant du même Ministre, datée de juillet 2004. Ainsi, les allégations selon lesquelles le requérant avait été maltraité étaient de nouveau rejetées comme dénuées de fondement. De plus, aucune réponse directe n’était fournie à la demande d’enquête indépendante.

12.9La question a de nouveau été posée par Mme Freivalds lors d’une visite à Stockholm le 15 février 2005 du Vice‑Ministre égyptien des affaires étrangères chargé des questions multilatérales. Mme Freivalds a informé celui‑ci de l’affaire du requérant et des allégations selon lesquelles il aurait été maltraité. Elle a souligné qu’il devait être de l’intérêt commun de la Suède et de l’Égypte d’examiner ces allégations et demandé au Vice‑Ministre d’user de son influence auprès des autorités égyptiennes pour faire valoir la position suédoise. Le Vice‑Ministre a assuré qu’il soulèverait cette question à son retour au Caire.

12.10 L’État partie rappelle aussi que la question d’une enquête internationale a été soulevée auprès de Mme Louise Arbour, Haut‑Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, lors d’une visite de celle‑ci à Stockholm en décembre 2004. À cette occasion, Mme Freivalds a bien marqué que le Gouvernement suédois accueillerait favorablement toute action que pourrait entreprendre la Haut‑Commissaire en vue d’enquêter sur les allégations selon lesquelles le requérant avait été soumis à la torture ou à d’autres formes de mauvais traitements alors qu’il était détenu en Égypte. L’État partie fait également observer que l’enquête ouverte par le Médiateur en chef du Parlement suédois (Ombudsman) sur les circonstances qui avaient entouré l’exécution de la décision du Gouvernement d’expulser le requérant de Suède n’est pas encore achevée.

12.11 L’État partie rappelle qu’en mai 2004, le conseil du requérant avait envoyé au Comité un compte rendu écrit du rapport de l’ambassade sur sa première visite au requérant après son retour en Égypte, le 23 janvier 2002. Un exemplaire de ce rapport a été remis par le conseil au Comité en août 2004. De l’avis de l’État partie, par conséquent, le Comité possédait ainsi toutes les informations pertinentes pour l’examen de la présente affaire. Avant d’expliquer pourquoi il n’a pas été pleinement rendu compte de ce rapport par le Gouvernement dans ses observations initiales du 5 décembre 2003, l’État partie produit la traduction suivante de la partie pertinente du rapport de l’Ambassadeur:

«Agiza et [nom d’une autre personne] venaient d’être transférés à la prison de Tora après avoir été interrogés pendant 30 jours dans les locaux du service de sécurité situés dans un autre quartier du Caire. Leur traitement dans la prison de Tora a été “excellent”. Ils ont cependant formulé un certain nombre de plaintes relatives à la période qui s’est écoulée entre leur appréhension en Suède et leur transfèrement à la prison de Tora: ils ont souffert d’une brutalité excessive de la part de la police suédoise lorsqu’ils ont été appréhendés; ils ont été maintenus de force dans des positions inconfortables dans l’avion au cours de leur transport à destination de l’Égypte; ils ont été contraints de garder un bandeau sur les yeux au cours de la période des interrogatoires; ils ont été détenus dans des cellules trop petites (de 1,50 m x 1,50 m) au cours de cette même période; ils n’ont pas pu dormir en raison de la surveillance effectuée dans les cellules; Agiza a dû attendre 10 jours, après une visite médicale, pour qu’on lui redonne ses médicaments contre un ulcère de l’estomac; les gardiens qui les escortaient lors des interrogatoires les ont frappés; le responsable des interrogatoires a menacé Agiza de représailles contre sa famille s’il ne disait pas tout ce qu’il avait fait pendant son séjour en Iran, etc. Il ne m’est pas possible de confirmer la véracité de ces affirmations. Je suis cependant en mesure de constater que les deux hommes n’ont en aucune manière affirmé, même lorsque je les questionnais directement à ce sujet, avoir été soumis à une torture physique systématique de quelque nature que ce soit et qu’ils considèrent avoir été bien traités dans la prison de Tora.».

12.12 L’État partie dit savoir que le Comité s’est, dans le passé, heurté à des difficultés pour faire respecter la confidentialité de ses débats. C’est pourquoi il a rédigé ses communications avec beaucoup de soin lorsqu’il y dévoilait des informations classées en vertu de la loi suédoise sur le secret d’État. Pour l’État partie, il s’agissait d’établir un équilibre, entre, d’une part, la nécessité de révéler des informations pour fournir au Comité des bases factuelles exactes lui permettant d’administrer comme il convient la justice, et, d’autre part, la nécessité de protéger l’intégrité des relations de la Suède avec les puissances étrangères, les intérêts de la sécurité nationale, de même que la sécurité et la sûreté des personnes.

12.13 L’État partie affirme que sa position à cet égard devrait être considérée en tenant compte des leçons tirées des travaux relatifs à l’affaire Hanan Attia. De l’avis de l’État partie, il est apparu clairement au cours de ces débats que les préoccupations en matière de confidentialité, déjà présentes à cette époque, n’étaient pas dénuées de fondement. Dans cette affaire, le Comité a donné à l’État partie en septembre 2002 la possibilité de retirer ses observations initiales datées du 8 mars 2002 et de présenter une nouvelle version eu égard au fait qu’il ne pouvait garantir qu’«aucune des informations présentées par les parties à l’affaire ne serait divulguée dans aucune de ses décisions ou constatations sur le fond de l’affaire». De plus, en janvier 2003, le conseil d’Hanan Attia a joint en appendice à ses propres observations une note du bureau d’Amnesty International à Londres dont il ressortait clairement qu’il avait communiqué les observations de l’État partie datées du 8 mars 2002 à Amnesty International.

12.14 L’État partie affirme que ses préoccupations concernant l’aptitude du Comité à garantir le respect de la confidentialité de ses travaux étaient reflétées dans ses demandes et observations répétées concernant la confidentialité des informations qui figuraient en fait dans les observations initiales du 5 décembre 2003 en l’espèce. Cependant, vu ce qui précède, on est parvenu à la conclusion que seule une partie des informations classées figurant dans l’opinion écrite de la police de sécurité datée du 30 octobre 2001, adressée au Conseil des migrations, pouvait être révélée. On est également parvenu à la conclusion que les informations figurant dans le rapport de l’ambassade sur sa première visite, du 23 janvier 2002, au requérant en détention ne pouvaient pas non plus faire l’objet d’un compte rendu intégral. La raison en était qu’on ne pouvait exclure que les informations sur de mauvais traitements fournies par le requérant au cours de la première visite de l’ambassade se retrouveraient ultérieurement dans le domaine public et que les autorités égyptiennes finiraient ainsi par en avoir connaissance.

12.15 L’État partie conclut que, pour ces raisons, les informations qu’a pu glaner l’ambassade lors de sa première visite n’ont pas toutes été révélées au Comité. Si ces informations non confirmées avaient été divulguées à ce stade, et avec l’aide indirecte du Gouvernement suédois, des représailles auraient pu être exercées contre le requérant. Le risque de représailles n’a pas été jugé insignifiant, que ces informations fussent exactes ou non. Si les informations concernant les mauvais traitements subis par le requérant étaient exactes − même s’ils ne relèvent pas, semble‑t‑il, de la torture au sens de la Convention −, cela aurait voulu dire que les assurances diplomatiques n’avaient pas eu l’effet voulu, à savoir le protéger d’un traitement contraire aux obligations internationales de la Suède, notamment un traitement interdit en vertu de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. En pareil cas, la divulgation de ces informations pouvait apparemment exposer le requérant à être de nouveau maltraité, et peut‑être même torturé. D’un autre côté, si l’on avait divulgué des informations inexactes, cela aurait pu avoir des incidences négatives sur les relations entre la Suède et l’Égypte, et cela aurait pu causer des problèmes à l’ambassade dans ses activités de surveillance. Une fois les différents risques pesés, on est parvenu à la conclusion que la meilleure ligne de conduite serait d’attendre le rapport de la visite suivante de l’ambassade.

12.16 L’État partie fait valoir que selon le rapport de l’ambassade sur sa deuxième visite au requérant dans l’établissement de détention, aucun signe de torture ou d’autres mauvais traitements n’était apparent à l’époque. Cependant, même avant la troisième visite effectuée le 14 avril 2002, des informations circulaient selon lesquelles la mère du requérant avait déclaré publiquement que son fils avait été torturé à son retour en Égypte. Le rapport de l’ambassade sur la première visite, le 23 janvier 2002, a confirmé les informations fournies par la mère du requérant, à savoir que la visite au cours de laquelle elle aurait remarqué des signes de mauvais traitements sur le corps de son fils avait été interrompue par la première visite de l’Ambassadeur de Suède. Le fait que l’Ambassadeur ait indiqué qu’il n’avait pas été en mesure de déceler de signes de sévices physiques ce même jour a conduit l’État partie à douter de la véracité des affirmations de la mère du requérant et a rejailli sur son évaluation de la crédibilité des informations données par le requérant lui‑même à l’Ambassadeur ce jour-là.

12.17 L’État partie constate que le requérant n’a fourni aucune information nouvelle faisant état de mauvais traitements au cours de l’année suivante et que l’opinion selon laquelle les informations présentées au cours de la première visite de l’ambassade avaient été inexactes s’est progressivement imposée. Il était essentiel que l’ambassade ne subisse pas d’entraves dans sa surveillance périodique, et c’est ce qui aurait pu arriver si l’État partie avait transmis des informations non confirmées ou inexactes au Comité. Dès les premiers mois de 2002, compte tenu de la situation en avril 2002, date à laquelle la teneur d’une lettre de la mère du requérant a été dévoilée, il n’a pas été jugé approprié, tout bien considéré, de compléter à cette date les informations concernant la première visite de l’ambassade déjà présentées par l’État partie dans ses observations du 8 mars 2002.

12.18 L’État partie a procédé à une appréciation tout à fait différente de la situation lorsque le requérant a réitéré, le 5 mars 2003, ses plaintes faisant état de mauvais traitements de la part des autorités égyptiennes au cours des premiers temps de sa détention. Les allégations étaient beaucoup plus graves cette fois‑ci, le requérant affirmant notamment qu’il avait été soumis à la torture à l’électricité. Le simple fait que le requérant soit revenu plus d’un an plus tard sur ce qui s’était déjà produit selon lui dès le début de la période de détention a contribué à ce qu’une évaluation différente soit effectuée en mars 2003. Ces allégations de torture ont donc été immédiatement soulevées auprès de représentants des autorités égyptiennes compétentes, qui les ont rejetées catégoriquement. L’État partie a rendu compte des informations présentées par le requérant, de même que des réactions des autorités égyptiennes à ces informations, dans ses lettres au Comité datées du 26 mars 2003. Il convient de réaffirmer que les informations en cause étaient considérablement plus graves que celles fournies par le requérant un an plus tôt et qu’elles concernaient la même période.

12.19 L’État partie affirme en outre qu’en mars 2003 les raisons de maintenir la confidentialité n’étaient pas aussi impérieuses qu’auparavant. Même si les informations provenant de la dixième visite de l’ambassade, le 5 mars 2003, étaient entrées dans le domaine public bien que les débats du Comité fussent confidentiels en vertu des dispositions applicables de la Convention et de son propre règlement intérieur, les effets néfastes que cela pouvait avoir n’étaient plus considérés comme aussi graves qu’auparavant. À la suite des premières lettres de l’État partie au Comité, des informations circulaient déjà qui − si elles étaient exactes − pouvaient faire croire à une violation par l’Égypte de ses assurances diplomatiques. En outre, la question de la torture avait déjà été soulevée auprès des autorités égyptiennes en mars 2003. Par ailleurs, la surveillance exercée par l’ambassade durait depuis plus d’un an à l’époque et était devenue une routine, tant pour les autorités égyptiennes que pour l’ambassade et le requérant lui‑même. La probabilité d’une incidence négative sur la surveillance, qui ferait qu’il serait plus difficile dans l’avenir de veiller au respect continu desdites assurances, avait donc disparu. L’État partie souligne aussi que les allégations faites par le requérant au cours de la première visite de l’ambassade ne constituaient pas à son avis des allégations de torture au sens de la Convention. Mais il est clair que les mauvais traitements dont il se plaignait à l’époque auraient constitué des traitements inhumains, et peut‑être aussi cruels, si ses allégations avaient été étayées.

12.20 L’État partie renvoie le Comité à la récente décision rendue par la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme, le 4 février 2005, dans l’affaire Mamatkulov et consorts c. Turquie. Cette affaire concernait l’extradition des requérants vers l’Ouzbékistan en mars 1999, en vertu d’un traité bilatéral avec la Turquie. Les deux requérants avaient été soupçonnés d’homicide, d’avoir causé des lésions corporelles à autrui par l’explosion d’une bombe en Ouzbékistan et d’une tentative d’attentat terroriste contre le Président de l’Ouzbékistan. Après leur extradition, ils ont été reconnus coupables de diverses infractions et condamnés à des peines de 20 et 11 ans d’emprisonnement, respectivement.

12.21 Devant la Cour européenne, les requérants ont affirmé que la Turquie avait violé, entre autres, l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Pour sa défense, la Turquie a invoqué les assurances données par les autorités ouzbèkes concernant ces deux requérants. D’après ces assurances, fournies par le Procureur de la République d’Ouzbékistan, les requérants ne devaient pas être soumis à des actes de torture ni condamnés à la peine capitale. Ces assurances contenaient aussi l’information selon laquelle l’Ouzbékistan était partie à la Convention contre la torture et acceptait et réaffirmait l’obligation qui lui était faite de se conformer aux prescriptions des dispositions de celle‑ci «concernant tant la Turquie que la communauté internationale dans son ensemble». Des fonctionnaires de l’ambassade de Turquie à Tachkent avaient rendu visite aux requérants dans leur lieu respectif de détention en octobre 2001. Ils étaient selon eux en bonne santé et ne s’étaient pas plaints de leurs conditions carcérales. La Turquie a aussi produit des certificats médicaux dressés par des médecins militaires dans les prisons où les requérants étaient détenus.

12.22 L’État partie fait valoir que la Cour européenne a évalué l’existence de ce risque principalement à la lumière de circonstances dont l’État partie avait ou devait avoir connaissance au moment de l’extradition, les renseignements ultérieurs pouvant servir à confirmer ou infirmer la manière dont l’État partie avait jugé du bien‑fondé des craintes d’un requérant. La Cour a conclu qu’elle devait évaluer la responsabilité de la Turquie au titre de l’article 3 en se référant à la situation qui régnait à la date de l’extradition des requérants, c’est‑à‑dire le 27 mars 1999. Tout en prenant acte des rapports des organisations internationales de défense des droits de l’homme dénonçant une pratique administrative de la torture et d’autres formes de mauvais traitements infligés aux dissidents politiques ainsi que la politique répressive du régime ouzbek à l’égard de ces dissidents, la Cour a déclaré par ailleurs que, bien que ces constatations fassent une description de la situation générale en Ouzbékistan, elles n’étayaient pas les allégations spécifiques faites par les requérants en l’espèce et devaient être corroborées par d’autres éléments de preuve. Compte tenu des assurances obtenues par la Turquie et des certificats médicaux délivrés par les médecins des prisons ouzbèkes dans lesquelles les requérants étaient détenus, la Cour a jugé qu’elle ne pouvait conclure qu’il existait à la date pertinente des motifs sérieux de croire que les requérants étaient exposés à un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention européenne.

12.23 L’État partie invite le Comité à adopter la même approche. Il souligne que des assurances analogues à celles données dans l’affaire portée devant la Cour européenne ont bien été obtenues par le Gouvernement suédois dans la présente affaire. S’il est vrai que les garanties données dans la présente affaire ne mentionnaient pas les obligations incombant à l’Égypte en vertu de la Convention contre la torture, cela est sans conséquence particulière puisque l’Égypte, comme l’Ouzbékistan, est en fait liée par la Convention. On peut douter que la valeur des assurances doive être considérée comme accrue par le simple fait qu’elles comportent une référence aux obligations d’un État en matière de droits de l’homme. Le facteur important doit être que l’État en cause s’est effectivement engagé à se conformer aux dispositions d’une convention protégeant les droits de l’homme en y devenant partie. Le fait que l’Égypte était partie à la Convention contre la torture était connu de l’État partie lorsqu’il a obtenu des assurances diplomatiques en l’espèce et décidé subséquemment d’expulser le requérant.

12.24 L’État partie affirme ensuite que les assurances obtenues en l’espèce doivent être considérées comme ayant plus de poids encore que celles données dans l’affaire où la Turquie était attaquée puisqu’elles ont été données par la personne responsable du service de sécurité égyptien. On peut difficilement trouver une personne mieux placée en Égypte pour garantir que les assurances diplomatiques aient l’effet voulu, c’est‑à‑dire protéger le requérant d’un traitement contraire aux obligations de la Suède au titre de plusieurs instruments relatifs aux droits de l’homme.

12.25 L’État partie reconnaît qu’aucun certificat médical n’a été invoqué en l’espèce. Cependant, les certificats médicaux présentés dans l’affaire turque avaient été établis par des médecins militaires ouzbeks travaillant dans les prisons où les requérants dans ladite affaire étaient détenus. De l’avis de l’État partie, de tels certificats n’ont guère de valeur si l’on considère qu’ils n’ont pas été délivrés par des experts qui pouvaient être considérés comme véritablement indépendants à l’égard des autorités publiques en cause. En outre, dans la présente affaire, on doit considérer que l’absence de certificats médicaux de cet ordre est raisonnablement compensée par le mécanisme de surveillance mis en place par le Gouvernement suédois. À ce jour, près de 30 visites au requérant en détention ont été faites par son ambassade au Caire, sur une période totale de plus de trois ans. Ceci devrait être mis en regard de l’unique visite effectuée par deux fonctionnaires de l’ambassade turque à Tachkent plus de deux ans et demi après l’extradition des requérants dans l’affaire examinée par la Cour européenne.

12.26  Par une lettre datée du 7 avril 2005, le conseil du requérant a adressé de nouvelles observations. En ce qui concerne les soins médicaux, le conseil fait valoir que le traitement prescrit après l’opération subie par le requérant en août 2004 a été interrompu avant qu’il ne soit tout à fait rétabli et qu’il n’a pas reçu les stimulations électriques que son état exigeait.

12.27  Le conseil relève qu’en décembre 2004 et en janvier 2005, l’expulsion du requérant et une autre affaire analogue ont fait l’objet d’un débat au Parlement et dans les médias suédois. Le Premier Ministre et le Ministère de l’immigration ont indiqué que les expulsés étaient des terroristes et que leur renvoi était nécessaire pour prévenir de nouveaux attentats et pour garantir que la Suède ne leur serve pas de refuge. D’après le conseil, les policiers égyptiens ont montré ces déclarations au requérant pendant un interrogatoire. Pour lui, cela démontre que les services de sécurité égyptiens continuent d’interroger leur requérant et de chercher à lui extorquer des renseignements, ce qui l’expose en permanence à un risque de torture.

12.28  Le conseil joint les conclusions (en suédois avec un résumé en anglais) datées du 22 mars 2005 de l’enquête ouverte par l’Ombudsman parlementaire sur les circonstances qui ont entouré l’expulsion de la Suède vers le Caire, en mettant en lumière le traitement subi par les expulsés à l’aéroport de Bromma. D’après le résumé de l’Ombudsman, quelques jours avant le 18 décembre 2001, la CIA a proposé à la Sûreté nationale suédoise un de ses avions pour procéder à l’expulsion directe du requérant vers l’Égypte. La Sûreté, après semble-t-il avoir informé le Ministre des affaires étrangères, a accepté. Vers midi, le 18 décembre, la Sûreté a été informée que des personnels de sécurité des États-Unis seraient à bord de l’avion et qu’ils souhaitaient procéder à un contrôle de sécurité sur la personne des expulsés. Des dispositions ont été prises pour que le contrôle soit effectué dans un poste de police de l’aéroport.

12.29  Immédiatement après la décision du Gouvernement, l’après‑midi du 18 décembre, les expulsés ont été emmenés par la police suédoise à l’aéroport de Bromma. L’avion des États-Unis a atterri peu après 21 heures. Plusieurs membres du personnel de sécurité américain, portant des masques, ont procédé au contrôle de sécurité qui s’est déroulé comme suit, avec peut‑être aussi d’autres actes. Les vêtements des expulsés ont été coupés à l’aide de ciseaux et enlevés, les inspecteurs ont procédé à des fouilles au corps ; les expulsés avaient les mains et les pieds entravés, portaient des sortes de pyjamas et avaient la tête recouverte de cagoules grossièrement ajustées. Enfin, ils ont été conduits, pieds nus, jusqu’à l’appareil et dans la cabine ils ont été attachés par des sangles à des matelas. Ils sont restés dans cette position pendant tout le vol jusqu’en Égypte. On leur aurait de plus administré un sédatif par voie rectale, ce dont l’enquête de l’Ombudsman n’a pas permis d’établir la réalité. L’Ombudsman a relevé que, pendant toute cette opération, la Sûreté suédoise était restée passive. Il a considéré que, vu que la proposition des États‑Unis avaient été reçue seulement trois mois après les événements du 11 septembre 2001, on aurait pu attendre de la Sûreté qu’elle demande si la proposition impliquait des dispositions de sécurité spéciales. Rien de tel n’avait été fait, même quand la Sûreté avait appris que du personnel de sécurité des États‑Unis serait présent et souhaitait procéder à un contrôle. Quand la police suédoise a vu ce en quoi consistaient réellement les contrôles, les choses se passant à l’aéroport de Bromma, elle y a assisté passivement.

12.30  De l’avis de l’Ombudsman, l’enquête révélait que la Sûreté suédoise avait perdu le contrôle de la situation à l’aéroport et pendant toute la durée du vol vers l’Égypte. Le personnel de sécurité des États-Unis avait pris les choses en mains et avait été autorisé à procéder seul aux contrôles de sécurité. Cet abandon total de l’exercice de l’autorité publique sur le territoire suédois était, d’après l’Ombudsman, clairement contraire à la loi suédoise. De plus, quelques‑unes au moins des mesures de coercition appliquées pendant les contrôles de sécurité étaient incompatibles avec la loi suédoise. De surcroît, le traitement des expulsés, pris dans son ensemble, ne pouvait qu’être qualifié d’inhumain et était donc inacceptable et pouvait représenter un traitement dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne. L’Ombudsman a souligné que le traitement inhumain auquel les expulsés avaient été soumis ne pouvait pas être toléré. La Sécurité aurait dû décider d’interrompre la procédure d’expulsion et méritait d’être sévèrement blâmée pour la façon dont elle avait agi dans cette affaire.

12.31  Le conseil relève que l’Ombudsman n’a pas voulu engager d’action contre des particuliers car il n’était pas possible de considérer que l’un quelconque d’entre eux pouvait répondre des actes devant un tribunal. Le conseil fait valoir qu’au moins le maintien prolongé d’une cagoule sur la tête représentait une torture et que ce qui s’était passé dans l’appareil pouvait également être formellement imputé à l’État suédois. Il ajoute que, dans le climat qui régnait alors, l’État partie aurait dû s’interroger sur la motivation des États-Unis quand ils ont proposé d’assurer le transport des expulsés vers l’Égypte et n’aurait pas dû accepter aussi rapidement les garanties données par l’État égyptien.

12.32 Par une lettre du 12 avril 2005, l’État partie a lui aussi joint le résumé du rapport de l’Ombudsman, à titre de «renseignements permettant de saisir pleinement que l’exécution de la décision du Gouvernement d’expulser le requérant de Suède n’est pas en jeu dans l’affaire soumise à l’examen du Comité, qui porte sur la question des assurances diplomatiques données par l’Égypte au sujet du requérant».

12.33 Dans une lettre datée du 21 avril 2005, le conseil du requérant a présenté des remarques finales. Il critique les modalités des visites les plus récentes de l’État partie en avançant les mêmes raisons que pour les visites précédentes. En ce qui concerne les soins médicaux, le requérant a été examiné de nouveau deux fois dans l’établissement où il avait été opéré en 2004 et il se peut qu’il ait besoin d’une nouvelle intervention. Pour ce qui est de la proposition de mener une enquête internationale, le conseil objecte que la seule raison pour laquelle l’Égypte refuse de coopérer est qu’elle n’a pas respecté les assurances qu’elle avait données.

12.34 Le conseil rejette les motifs invoqués par l’État partie pour ne pas divulguer au Comité une partie du premier rapport de l’ambassade, faisant valoir que ces motifs ne peuvent être avancés que pour protéger le requérant contre des représailles de l’Égypte pour avoir parlé des tortures subies. Le requérant a fait sa déclaration en présence du gardien de la prison et d’autres responsables et l’Ambassadeur a évoqué la question avec le Ministère des affaires étrangères. Quoi qu’il en soit, comme le requérant avait déjà subi des représailles, il n’y avait plus rien à protéger en retenant l’information. Les mauvais traitements subis par le requérant avaient déjà été publiquement dénoncés par la mère du requérant et par Amnesty International peu de temps après janvier 2002. Le conseil fait valoir que la position de l’État partie reflète également une «confiance limitée» dans le respect des garanties données par l’Égypte. Le conseil dit aussi qu’il ne voit pas en quoi la sécurité nationale pourrait être compromise si les allégations du requérant étaient divulguées. En somme, la seule raison plausible de cacher l’information était pour l’État partie d’éviter des désagréments et des embarras.

12.35 En ce qui concerne le fait qu’il ait communiqué à des organisations non gouvernementales des informations données dans le contexte de la procédure mise en place par l’article 22 de la Convention, le conseil fait valoir qu’à ce moment-là il ne voyait pas ce qui pouvait l’en empêcher car rien dans la Convention ni dans le règlement intérieur n’interdisait à son avis de le faire. Il n’avait jamais eu l’intention de transmettre les renseignements aux médias ni au grand public. Le conseil fait valoir que, depuis qu’il suit les consignes du Comité qui lui a fait savoir que les renseignements afférents à la requête étaient confidentiels, sa capacité de défendre le requérant se trouve singulièrement réduite, en particulier du fait de la disparité entre les ressources dont l’État partie dispose et celles dont lui‑même dispose. De toute façon, l’État partie a divulgué au Comité d’autres renseignements confidentiels ce qui dément son souci de ne pas voir indûment répandus des renseignements sensibles. Le conseil fait valoir que le traitement décrit est bien, contrairement à ce qu’a pu dire l’Ambassadeur, un acte de torture tel que le Comité l’entend, compte tenu du fait que le requérant a sans doute hésité à tout dire à l’Ambassadeur et que plusieurs éléments attestant la gravité du traitement ont été révélés par le témoignage de sa mère.

12.36 En ce qui concerne la décision de la Cour européenne dans l’affaire Mamatkulov et consorts, le conseil la distingue de l’affaire à l’examen. Il souligne cependant que dans les deux cas la rapidité avec laquelle l’expulsion a été exécutée empêchait l’exercice effectif d’un mécanisme de plainte, circonstance qui, de l’avis de la Cour européenne, constituait une violation de l’article 34 de la Convention européenne. De l’avis du conseil, dans l’affaire Mamatkulov, les membres de la Cour n’ont pas pu conclure à une violation de l’article 3 de la Convention européenne parce que, contrairement à la présente affaire, la Cour ne disposait pas d’éléments de preuve suffisants. Une autre différence est que le traitement subi au moment de l’expulsion était un signe clair, dans l’affaire à l’examen, qu’il y avait risque de torture par la suite. Étant donné l’objectif de prévention de l’article 3, il ne peut pas être admis que l’État qui expulse transfère simplement à l’État de destination, par le moyen des assurances diplomatiques, la responsabilité de la situation de l’expulsé.

12.37 Enfin, le conseil fait tenir au Comité un rapport de Human Rights Watch daté du 15 avril 2005 intitulé «Still at Risk: Diplomatic Assurances no Safeguard against Torture» («Le risque demeure: les assurances diplomatiques ne sont pas une garantie contre la torture»), qui passe en revue la jurisprudence contemporaine et les cas dans lesquels les assurances diplomatiques ont été données pour conclure qu’il ne s’agit pas d’un instrument efficace permettant d’atténuer les risques dans le contexte de l’article 3. Pour ce qui est de l’affaire à l’examen, Human Rights Watch fait valoir qu’il existe «des preuves crédibles et dans certains cas accablantes, que les garanties n’ont pas été respectées» (p. 59).

Délibération du Comité

Examen quant au fond

13.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la requête quant au fond en tenant compte des informations qui lui ont été présentées par les parties. Le Comité reconnaît que les mesures prises, conformément aux résolutions obligatoires du Conseil de sécurité, pour lutter contre le terrorisme, qui consistent notamment à leur refuser l’asile sont à la fois légitimes et importantes. Elles doivent toutefois être appliquées dans le plein respect des règles applicables du droit international, y compris des dispositions de la Convention, comme l’a affirmé maintes fois le Conseil de sécurité.

Examen de la plainte au regard de l’article 3

13.2Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant en Égypte, l’État partie a violé l’obligation qui lui est faite à l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture. Le Comité souligne qu’il doit se prononcer sur la question à la lumière des renseignements dont les autorités de l’État partie étaient au courant ou auraient dû être au courant au moment de l’expulsion. Les événements ultérieurs sont utiles pour évaluer la connaissance, effective ou déductive, qu’avait l’État partie au moment de l’expulsion.

13.3Le Comité doit déterminer s’il y avait des motifs sérieux de croire que le requérant risquait personnellement d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Égypte. Le Comité rappelle qu’il s’agit de déterminer si l’intéressé risquait personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il a été renvoyé. Dès lors, l’existence dans un pays d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que l’individu risquait d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser qu’il courait personnellement un tel risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans sa situation particulière.

13.4Le Comité relève qu’au départ les autorités de l’État partie savaient ou auraient dû savoir au moment de l’expulsion du requérant que l’Égypte avait recours de manière systématique et sur une vaste échelle à la torture à l’égard des prisonniers détenus pour des raisons politiques et des raisons de sécurité. L’État partie savait que ses propres services de renseignements considéraient que le requérant était impliqué dans des activités terroristes et qu’il constituait une menace à la sécurité nationale et c’est pour cette raison que ses tribunaux ordinaires ont renvoyé l’affaire au Gouvernement pour qu’une décision non susceptible d’appel soit prise au plus haut niveau du pouvoir exécutif. L’État partie savait également que le requérant intéressait les services de renseignements de deux autres États: selon les faits soumis par l’État partie au Comité, le premier État étranger a offert par l’intermédiaire de ses services de renseignements un avion pour le transport du requérant vers le deuxième État, l’Égypte, où l’État partie savait qu’il avait été condamné par contumace et qu’il était recherché pour participation présumée à des activités terroristes. De l’avis du Comité, la conclusion naturelle découlant de ces différents éléments pris ensemble, à savoir que le requérant courait un risque réel d’être torturé en Égypte en cas d’expulsion, a été confirmée lorsque immédiatement avant l’expulsion le requérant a été soumis sur le territoire de l’État partie à un traitement contraire ne serait‑ce qu’à l’article 16 de la Convention par des agents étrangers avec l’acquiescement de la police de l’État partie. Il s’ensuit que l’expulsion du requérant par l’État partie était contraire à l’article 3 de la Convention. L’obtention d’assurances diplomatiques qui, de surcroît, n’étaient assorties d’aucun mécanisme pour assurer leur respect n’était pas suffisante pour protéger le requérant contre ce risque manifeste.

13.5Au vu de ces éléments le Comité considère qu’il convient de souligner que sa décision dans l’affaire à l’examen tient compte de plusieurs facteurs dont il n’était pas au courant lors de l’examen de l’affaire, en grande partie analogue, Hanan Attia, où il s’était, en particulier, déclaré satisfait des assurances fournies. Dans cette affaire où la requérante n’avait pas été expulsée, le Comité s’est prononcé en tenant compte des éléments de preuve dont il était saisi à la date de l’adoption de sa décision. Le Comité note qu’il ne disposait pas des informations faisant état de mauvais traitements communiquées par le requérant dans la présente affaire à l’Ambassadeur lors de sa première visite et qui n’avaient pas été fournies par l’État partie au Comité (voir par. 14.10 ci‑dessous); les mauvais traitements infligés au requérant par des agents des renseignements étrangers sur le territoire de l’État partie avec l’acquiescement de la police de ce dernier; la participation de services de renseignements étrangers, qui ont offert et fourni les moyens de l’expulsion; la découverte progressive d’informations sur l’étendue des mesures prises par de nombreux États pour exposer des individus soupçonnés de participation à des activités terroristes à des risques de torture à l’étranger; la violation par l’Égypte du volet des assurances visant à garantir au requérant un procès équitable qui traite de la question du crédit que l’on peut accorder à l’ensemble des assurances données et la réticence des autorités égyptiennes à mener une enquête indépendante en dépit des exhortations émanant des autorités de l’État partie au plus haut niveau. Le Comité note en outre que l’évaluation du risque dans le cas de la femme du requérant, dont l’expulsion n’aurait eu lieu que quelques années après celle de son époux, a soulevé des questions différentes de celles examinées dans la présente affaire.

Examen procédural au regard de l’article 3

13.6Le Comité fait observer que le droit a un recours utile contre une violation de la Convention s’inscrit en filigrane de toute la Convention, car, dans le cas contraire, les protections fournies par la Convention auraient un caractère largement illusoire. Dans certains cas, le texte même de la Convention énonce un recours concernant certaines violations particulières de celle‑ci. Dans d’autres, le Comité a interprété une disposition de fond comme contenant en elle‑même une voie de recours en cas de violation de cette disposition. De l’avis du Comité, pour renforcer la protection de la norme en question et interpréter de manière cohérente la Convention, l’interdiction du refoulement figurant à l’article 3 devrait être interprétée de la même manière comme englobant un recours au cas où elle serait enfreinte, même si l’on peut penser qu’elle ne comporte pas à première vue un tel droit de recours.

13.7Le Comité fait observer qu’en cas d’allégation de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants, le droit à un recours suppose qu’une enquête effective, indépendante et impartiale sur ces allégations soit conduite a posteriori. La nature du refoulement est telle, toutefois, qu’une allégation de violation de l’article correspondant porte sur une expulsion ou un renvoi futur; en conséquence, le droit à un recours utile que contient l’article 3 exige, dans ce contexte, qu’il soit possible de procéder à un examen effectif, indépendant et impartial de la décision d’expulsion ou de renvoi, une fois la décision prise, si l’on est en présence d’une allégation plausible mettant en cause le respect de l’article 3. La jurisprudence du Comité est conforme à cette interprétation des prescriptions de l’article 3, puisqu’il a estimé que l’impossibilité de contester une décision d’expulsion devant une autorité indépendante, à savoir les tribunaux, relevait d’une constatation de violation de l’article 3.

13.8Le Comité fait observer qu’en temps normal, l’État partie assure avec son Conseil des migrations et sa Commission de recours des étrangers un mécanisme d’examen des décisions d’expulsion satisfaisant aux prescriptions de l’article 3 prévoyant l’examen effectif, indépendant et impartial d’une décision d’expulsion. En l’espèce cependant du fait de préoccupations tenant à la sécurité nationale, ces tribunaux ont abandonné l’affaire du requérant au Gouvernement, qui a pris la décision initiale et en même temps finale de l’expulser. Le Comité souligne qu’il n’y a eu aucune possibilité d’examen, d’aucune sorte, de cette décision. Il rappelle que les protections prévues par la Convention sont absolues, même en cas de préoccupation touchant la sécurité nationale, et que de telles considérations font ressortir l’importance de mécanismes d’examen appropriés. Si des préoccupations en matière de sécurité nationale peuvent justifier que des ajustements soient apportés à la procédure particulière d’examen, le mécanisme choisi doit continuer de répondre aux prescriptions de l’article 3 prévoyant un examen effectif, indépendant et impartial. Par conséquent, en l’espèce, au vu des renseignements dont il dispose, le Comité conclut que l’absence de toute possibilité d’examen judiciaire ou administratif indépendant de la décision du Gouvernement d’expulser le requérant constitue un manquement à l’obligation de procédure d’assurer l’examen effectif, indépendant et impartial requis par l’article 3 de la Convention.

Privation du droit de saisir le Comité au titre de l’article 22 de la Convention

13.9Le Comité note en outre qu’en faisant la déclaration prévue à l’article 22 de la Convention, l’État partie s’est engagé d’assurer aux personnes relevant de sa juridiction le droit de se prévaloir de la compétence qu’a le Comité d’examiner des plaintes. Cette compétence habilitait le Comité à prendre, si nécessaire, des mesures provisoires permettant de surseoir à l’expulsion et de faire en sorte qu’il ne soit pas préjugé des questions en cause tant qu’une décision finale n’a pas été prise. Pour que l’exercice du droit de présenter des requêtes soit effectif et non illusoire, un individu doit toutefois disposer d’un délai raisonnable avant l’exécution de la décision finale pour déterminer, s’il y a lieu, de saisir le Comité au titre de l’article 22 de la Convention et, le cas échéant, de le faire. Or, le Comité note en l’espèce que le requérant a été arrêté et expulsé par l’État partie dès que le Gouvernement a décidé de l’expulser; en effet, la décision elle‑même n’a été officiellement notifiée qu’au conseil du requérant le lendemain. En conséquence, il était impossible pour ce dernier d’envisager la possibilité d’invoquer l’article 22 de la Convention et encore moins de saisir le Comité. De ce fait, le Comité conclut que l’État partie a enfreint l’obligation de respecter le droit effectif qu’a toute personne de présenter une communication qui est garanti à l’article 22 de la Convention.

Absence d’une coopération pleine et entière de l’État partie avec le Comité

13.10 Ayant examiné la plainte quant au fond, le Comité doit se pencher sur l’absence de coopération pleine et entière de l’État partie dans le règlement de la plainte à l’examen. Le Comité fait observer qu’en faisant la déclaration prévue à l’article 22, qui donne aux particuliers le droit de le saisir d’une plainte faisant état d’une violation à leur égard par un État partie des obligations qui lui incombent en vertu de la Convention, les États parties assument l’obligation de coopérer pleinement avec le Comité, au travers des procédures énoncées audit article et dans son règlement intérieur. En particulier, le paragraphe 4 de l’article 22 fait obligation à un État partie de communiquer au Comité toutes les informations pertinentes et nécessaires pour lui permettre de régler comme il convient la plainte qui lui est présentée. Le Comité fait observer que ses procédures sont suffisamment souples et ses pouvoirs suffisamment étendus pour prévenir un abus de procédure dans une affaire particulière. Il s’ensuit que l’État partie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 22 de la Convention en ne révélant pas au Comité les informations pertinentes et en s’abstenant de lui faire part de ses préoccupations pour qu’il prenne une décision de procédure appropriée.

14.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, décide que les faits dont il est saisi constituent une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention.

15.Conformément au paragraphe 5 de l’article 112 de son règlement intérieur, le Comité demande à l’État partie de l’informer, dans les 90 jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises comme suite aux constatations énoncées plus haut. L’État partie est aussi tenu d’éviter que des violations similaires se produisent à l’avenir.

Notes

Appendice

Opinion séparée de M. Alexander Yakovlev(partiellement dissidente)

Malheureusement, je ne suis pas d’accord avec la conclusion de la majorité concernant les questions relatives à l’article 3. Le Comité fait, à juste titre, du moment de l’expulsion le point clef pour l’évaluation du bien‑fondé de l’expulsion du requérant au regard de cet article. Ainsi qu’il ressort de sa décision, l’essentiel des renseignements dont dispose le Comité a trait à des événements révélés après l’expulsion sans grand rapport avec la situation qui prévalait au moment de l’expulsion.

Il est clair que l’État partie était conscient de ses obligations au titre de l’article 3 de la Convention, notamment de l’interdiction du refoulement. C’est précisément pour cette raison qu’il a cherché à obtenir du Gouvernement égyptien, à un haut niveau, des assurances quant à un traitement convenable du requérant. Une personnalité aussi importante que l’ancien Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme sur la question de la torture, M. van Boven, a jugé acceptable dans son rapport de 2002 à l’Assemblée générale (A/57/173, par. 35), le recours à de telles assurances dans certaines circonstances, exhortant les États à fournir une garantie non équivoque que les personnes concernées ne seront pas soumises à la torture ni à aucune autre forme de mauvais traitement à leur retour. C’est précisément ce que l’État partie a fait et ce que le Comité lui reproche à présent. À l’époque, l’État partie était habilité à accepter les assurances fournies et a même consenti des efforts considérables pour suivre la situation en Égypte. Il n’est pas à l’heure actuelle nécessaire de répondre à la question de savoir qu’est‑ce qu’il en serait si la situation se répétait aujourd’hui. Il est tout à fait clair toutefois qu’au moment où l’État partie a expulsé le requérant, il a agi de bonne foi et conformément aux dispositions de l’article 3 de la Convention. La conclusion qui en découle donc en l’espèce est que l’expulsion du requérant n’a pas constitué une violation de l’article 3 de la Convention.

(Signé): Alexander Yakovlev

B.  Décisions concernant la recevabilité

Communication n o 163/2000

Présentée par:H. A. S. V. et F. O. C. (représentés par un conseil, M. Oscar Fernando Rodas)

Au nom de:Les requérants

État partie:Canada

Date de la requête:28 février 2000

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 24 novembre 2004,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1Les requérants sont M. H. A. S. V., né en 1973, et son épouse, Mme F. O. C., née en 1975, tous deux de nationalité mexicaine. Ils ont demandé l’asile le 28 mai 1999, cinq mois après leur arrivée au Canada. Leur demande a été rejetée par la Commission canadienne de l’immigration et du statut de réfugié le 6 janvier 2000. La Cour fédérale du Canada a confirmé cette décision le 26 mai 2000. Les requérants affirment que leur renvoi forcé au Mexique constituerait une violation, par le Canada, de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

1.2Conformément au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention, le Comité a porté la requête à l’attention de l’État partie le 27 avril 2000.

1.3Selon l’État partie datées du 30 juillet 2003 que la demande d’asile des requérants a été rejetée le 6 janvier 2000. Ils ont quitté le Canada le 18 juillet 2000 enexécution d’un ordre d’expulsion. Mme O. C. est revenue au Canada le 8 décembre 2000 avec un permis de travail. M. S. V. est revenu au Canada le 9 décembre 2000 sans permis de résidence; il n’a pas demandé le statut de réfugié et a donc été renvoyé au Mexique le lendemain. Il est revenu au Canada le 24 octobre 2001 et a déposé une demande d’admission au statut de réfugié fondée sur de nouveaux motifs (différents de ceux qui sont exposés dans la présente communication). Le 7 février 2003, la Section du statut de réfugié a estimé qu’il n’était pas crédible en raison d’importantes contradictions dans ses déclarations et a refusé de lui accorder le statut de réfugié. Le requérant n’a pas formé de recours contre cettedécision.

Rappel des faits présentés par les requérants

2.1En novembre 1997, les requérants se sont installés à Tuxla, Las Rosas, dans l’État du Chiapas, chez l’oncle de la requérante, O. C., qui les a engagés dans le magasin qu’il tenait. La requérante y a travaillé comme vendeuse et le requérant comme chauffeur. O. C. leur a confié la gestion du commerce après leur mariage, le 19 février 1998.

2.2O. C. a quitté le commerce le 15 mars 1998 et est parti pour la capitale, mais il a demandé au couple de lui verser 15 % des bénéfices mensuels, disant qu’il viendrait les chercher en personne. Le couple s’est occupé du commerce, mais la femme a remarqué que des personnes en civil les surveillaient. Craignant que ce soient des voleurs, le couple a demandé à leurs employés de ne pas garder beaucoup d’argent dans la caisse. Le requérant a en outre porté plainte auprès de la police.

2.3Le 20 septembre 1998, O. C. est revenu, accompagné d’inconnus armés. La femme, qui était seule, lui a dit que son mari était sorti faire des achats et qu’il serait bientôt de retour. O. C. a demandé aux inconnus de l’attendre car il était le seul à savoir où se trouvait l’argent. Lorsque le requérant est arrivé, l’un des individus l’a braqué avec une arme et lui a ordonné de sortir. O. C. a alors réagi, donnant un coup à l’inconnu sur la main dans laquelle il tenait l’arme. L’homme a lâché l’arme et O. C. en a profité pour courir à l’intérieur de la maison poursuivi par les deux autres inconnus. Il est cependant parvenu à s’échapper. Les inconnus se sont alors retournés contre les requérants: l’un d’eux a braqué son arme sur Mme O. C., tandis que les autres s’en seraient pris à M. S. V. Mme O. C. a réussi à s’échapper, laissant son mari seul avec les inconnus.

2.4Mme O. C. s’est rendue chez un autre oncle, qui est immédiatement parti rejoindre son mari. À son retour, il lui a dit qu’il l’avait retrouvé inconscient devant le magasin, et qu’il avait apparemment été battu. Il l’a emmené dans une clinique où il a été soigné, puis il a porté plainte auprès de la police. Cependant, la police lui aurait répondu qu’O. C. était membre de l’armée zapatiste et que les requérants étaient ses complices.

2.5Les requérants se sont réfugiés à Mexico, où ils ont été cachés par la famille du requérant. Ils affirment que selon certaines rumeurs leur oncle serait parti rejoindre les zapatistes dans les montagnes.

2.6Les requérants ont quitté le Mexique le 12 décembre 1998 et sont arrivés au Canada le même jour. Ils ont demandé le statut de réfugié le 28 mai 1999. Le 6 janvier 2000, la Section du statut de réfugié de la Commission canadienne de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que les auteurs n’étaient pas des «réfugiés au sens de la Convention». La requérante n’a pas été jugée crédible, et le requérant n’a pas fait de déposition en raison des troubles de mémoire dont il souffrirait depuis les événements susmentionnés. Les requérants ont alors déposé une demande d’autorisation de contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié. Le 26 mai 2000, la Cour fédérale du Canada a rejeté cette demande. En décembre 2000, le requérant est revenu au Canada, sans permis de résidence. N’ayant pas demandé l’asile, il a été renvoyé au Mexique le lendemain.

Teneur de la plainte

3.1Les requérants soutiennent que leur renvoi au Mexique constituerait une violation, par le Canada, de l’article 3 de la Convention. Ils allèguent que leurs droits ont été gravement violés au Mexique, et croient qu’ils seraient à nouveau persécutés s’ils y retournaient.

3.2À l’appui de ces allégations, M. S. V. soumet un certificat médical attestant qu’il ne serait pas apte à témoigner en son nom propre devant la Section du statut de réfugié, et qu’il n’a aucun souvenir de l’agression subie au Mexique, ou de sa vie avant cette agression. Il ne serait plus capable de reconnaître des visages familiers, et une psychologue a recommandé que son épouse le représente dans la procédure relative à sa requête.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note verbale datée du 30 juillet 2003, l’État partie affirme que, s’agissant de la requérante, Mme O. C., la communication est incompatible avec le paragraphe 5 de l’article 22 de la Convention, étant donné qu’elle jouissait du statut légal de travailleur temporaire au Canada.

4.2L’État partie affirme que la communication ne contient pas d’éléments suffisants pour étayer l’allégation des requérants selon laquelle leur renvoi au Mexique constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. Les faits et les allégations présentés au Comité seraient identiques à ceux qui ont été soumis aux autorités nationales. Ces dernières ont conclu que ces faits et ces allégations étaient incohérents et ont constaté des lacunes importantes dans les récits des requérants au sujet de points essentiels et déterminants, notamment en ce qui concerne leur séjour au Chiapas et l’identité des agresseurs de M. S. V. Invoquant une perte de mémoire, celui‑ci a refusé de témoigner devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

4.3L’État partie affirme en outre que la communication est irrecevable étant donné que les requérants n’ont pas épuisé les recours internes disponibles avant de s’adresser au Comité. Ils n’ont pas demandé à être dispensés de l’application régulière de la loi sur l’immigration pour des raisons d’ordre humanitaire.

4.4Selon l’État partie, l’examen des considérations humanitaires est une procédure administrative statutaire permettant aux requérants de présenter à un agent de l’immigration de nouveaux faits ou de nouveaux éléments de preuve en leur faveur. Dans le cadre d’une telle demande, les requérants auraient pu mentionner toutes circonstances personnelles d’ordre humanitaire et pas seulement les risques auxquels leur expulsion vers le Mexique les exposerait. En cas de rejet de cette demande, les requérants auraient pu présenter une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision. Afin que la Cour fédérale donne son autorisation, il aurait suffi de démontrer qu’il existait une «cause raisonnable d’action» justifiant un redressement des torts causés si la demande avait été satisfaite.

4.5L’État partie fait valoir que les requérants auraient pu déposer auprès de la Cour fédérale une demande de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi pendant la durée de la procédure de contrôle judiciaire. Il aurait alors été possible de faire appel de la décision de la Cour fédérale devant la Cour d’appel fédérale si le juge de première instance avait certifié que l’affaire soulevait une question de portée générale et énoncé cette question. La décision de la Cour d’appel fédérale aurait elle‑même été susceptible d’appel devant la Cour suprême du Canada.

4.6L’État partie ajoute qu’une demande de résidence permanente au Canada fondée sur des considérations humanitaires constituait un recours susceptible de donner satisfaction aux requérants.

4.7L’État partie rappelle que, dans l’affaire L. O. c. Canada, le Comité avait déclaré la communication irrecevable au motif que le requérant n’avait pas présenté une telle demande pour motifs d’ordre humanitaire et n’avait donc pas épuisé les recours internes.

4.8S’agissant du requérant, M. S. V., l’État partie note à propos de sa deuxième demande d’asile que celui-ci n’a pas présenté de demande d’autorisation de contrôle judiciaire concernant la décision négative de la Section du statut de réfugié. Ce recours lui est toujours ouvert, même si le délai de 15 jours prévu par la loi surl’immigration et la protection des réfugiés pour le dépôt de cette demande est dépassé. Dans la mesure où le requérant démontre l’existence de raisons spéciales expliquant ce retard, un juge de la Cour fédérale pourrait lui accorder une prolongation du délai. L’État partie fait observer toutefois que le requérant était tenu de respecter les délais, et cite une affaire soumise à la Cour européenne des droits de l’homme dans laquelle la Cour avait conclu que, même dans les cas d’expulsion vers un pays où il pourrait exister un risque de traitement contraire à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, les formes et les délais établis par le droit interne doivent normalement être observés. La plainte avait été rejetée pour non-épuisement des recours internes.

4.9L’État partie note que, dans l’affaire R. K. c. Canada, le Comité avait estimé que le requérant n’avait pas épuisé les recours internes disponibles s’il n’avait pas présenté de demande de contrôle judiciaire d’une décision négative de la Section du statut de réfugié ni de demande de dispense ministérielle. Dans l’affaire P. S. c. Canada, le Comité avait déclaré la communication irrecevable au motif que le requérant n’avait pas déposé de demande d’autorisation de contrôle judiciaire de la décision lui refusant la dispense ministérielle.

4.10Selon l’État partie, M. S. V. ne sera pas expulsé du Canada avant d’avoir eu la possibilité de présenter une demande d’examen des risques liés à son retour dans son pays. La loi sur l’immigration et la protection des réfugiés prévoit qu’une personne au Canada faisant l’objet d’une mesure de renvoi peut demander à être protégée si elle craint que son renvoi ne l’expose au risque d’être persécutée pour l’un des motifs énoncés dans la Convention relative au statut des réfugiés ou d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture, ou à des traitements cruels, ou ne mette sa vie en danger. Une décision négative à l’issue de l’examen des risques avant renvoi peut faire l’objet d’une demande d’autorisation de contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale.

4.11Enfin, l’État partie fait valoir que le requérant peut déposer une demande de résidence permanente pour motifs d’ordre humanitaire.

4.12Quant à la requérante, Mme O. C., l’État partie souligne qu’elle jouit du statut de travailleur temporaire au Canada jusqu’au 8 décembre 2003. Après cette date, elle pourrait demander le statut de réfugiée si elle craignait de retourner au Mexique, et, si elle faisait l’objet d’une mesure de renvoi, elle pourrait présenter une demande d’examen des risques avant renvoi. Elle pourrait aussi présenter une demande de résidence permanente dans le cadre du Programme des aides familiaux résidents. Enfin, elle pourrait présenter une demande de résidence permanente au Canada si des considérations d’ordre humanitaire le justifiaient. Dans chaque cas, la décision prise serait sujette à un contrôle judiciaire.

4.13Selon l’État partie, les requérants n’ont pas épuisé les recours internes qui leur étaient ouverts et n’ont pas établi que ces recours excéderaient des délais raisonnables ou qu’il est peu probable qu’ils leur donnent satisfaction. La requête devrait donc être déclarée irrecevable.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.Les observations de l’État partie ont été transmises aux requérants pour commentaires le 19 août 2003. Malgré un rappel envoyé le 2 octobre 2003, ils n’ont fait parvenir aucune réponse.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité contre la torture doit décider si elle est ou non recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Conformément à l’alinéa b du paragraphe 5 de l’article 22 de la Convention, le Comité n’examine aucune communication sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles; cette règle ne s’applique pas s’il est établi que les procédures de recours ont excédé ou excéderaient des délais raisonnables ou qu’il est peu probable qu’elles donnent, à l’issue d’un procès équitable, satisfaction à la victime présumée.

6.3Le Comité a pris note des explications données par l’État partie le 30 juillet 2003 selon lesquelles les requérants ont quitté le pays le 18 juillet 2000 en exécution de la mesure de renvoi dont ils faisaient l’objet. Entre-temps, l’État partie a indiqué qu’après leur expulsion en juillet 2000 les requérants étaient revenus au Canada − la requérante en décembre 2000, avec un permis de travail valable, et le requérant en octobre 2001, après avoir demandé l’asile pour des motifs différents de ceux qui sont exposés dans la présente communication. Compte tenu de ce qui précède, et en l’absence de commentaires des requérants sur les observations de l’État partie ou de toute autre information sur leur situation actuelle, le Comité considère que les requérants n’ont pas suffisamment étayé leur plainte aux fins de la recevabilité. Par conséquent, il estime que la communication est manifestement infondée.

7.En conséquence, le Comité décide:

a)Que la communication est irrecevable;

b)Que la présente décision sera communiquée aux auteurs de la communication et à l’État partie.

Notes

Communication n o  211/2002

Présentée par:P. A. C.(représenté par un conseil, M. Chandrani Buddhipala)

Au nom de:Le requérant

État partie:Australie

Date de la communication:7 juin 2002

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 3 mai 2005,

Ayant achevé l’examen de la requête no 211/2002, présentée par M. P. A. C. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.Le requérant est M. P. A. C., ressortissant sri‑lankais de souche tamoule né le 15 mars 1976 qui, au moment de la présentation de sa requête, était en rétention en Australie en attendant d’être renvoyé à Sri Lanka. Il affirme que son expulsion à Sri Lanka constituerait une violation par l’Australie de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant affirme qu’en 1990, alors qu’il était âgé de 14 ans, il a été recruté avec 14 autres garçons par l’armée nationale tamoule, qui travaillait avec l’armée indienne, mais qu’il a pu ensuite s’échapper. Par la suite, son père l’a envoyé dans une région contrôlée par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE). Lorsque les LTTE lui ont demandé de les rejoindre, il a refusé et a proposé de les aider d’une autre façon, par exemple en construisant des abris fortifiés et en distribuant de la nourriture. À la suite de cela, il a été forcé d’entreprendre une formation de trois mois avec les LTTE pour secourir les blessés sur le champ de bataille. En 1995, lorsque l’armée sri‑lankaise a attaqué Jaffna, son père l’a mis en sécurité à Colombo, où il a séjourné chez un ami. Sans donner plus de détails, il a affirmé avoir subi des mauvais traitements dans un commissariat de Colombo. Il a ensuite appris que son père avait été arrêté à Jaffna par les LTTE puis qu’il avait été tué. Après la disparition de son père, il a fui à Taipei mais a été contraint de retourner à Sri Lanka (aucun détail n’est fourni). Il a affirmé qu’après son retour il a appris que les autorités sri‑lankaises le recherchaient et il a fui en Australie.

2.2Le requérant est entré en Australie le 11 octobre 1995 avec un visa de tourisme d’une validité de trois mois et a déposé une demande de visa de protection le 12 décembre 1995. À l’issue d’entretiens, le représentant du Ministère de l’immigration a rejeté la demande le 19 novembre 1997, au motif que le requérant n’était pas crédible du fait qu’il y avait plusieurs contradictions entre sa demande et les déclarations qu’il avait faites lors des entretiens. Le requérant reconnaît «certaines incohérences mineures», mais fait valoir qu’elles «ne sont guère importantes», et qu’il a été induit en erreur par une autre personne qui lui avait conseillé de ne pas tout dévoiler. Le 12 décembre 1997, le requérant a formé un recours contre la décision.

2.3Le 28 septembre 1999, la Commission de contrôle des décisions concernant les réfugiés (Refugee Review Tribunal), à la suite d’une audience à laquelle le requérant était assisté d’un interprète, a confirmé la décision de ne pas lui accorder de visa de protection. Cet organe a déclaré ce qui suit: «La commission n’attache pas d’importance aux incohérences mineures portant sur des points de détail relevées dans la demande initiale [du requérant]. Elle a cependant soigneusement examiné quelques incohérences et problèmes plus graves concernant les preuves produites [par le requérant], qui [sont] traitées au fur et à mesure qu’elles sont évoquées dans la présente décision. Outre un certain nombre d’anomalies moins importantes, des problèmes majeurs ont été constatés au sujet des principales allégations». Après avoir traité ces points l’un après l’autre, la Commission a estimé que «les preuves présentées par le requérant [contenaient] tellement d’invraisemblances et d’incohérences et [soulevaient] tellement de difficultés qu’en examinant l’ensemble, elle [avait] acquis la certitude que les allégations [du requérant] [étaient] fabriquées de toutes pièces».

2.4Le 25 octobre 1999, le requérant a demandé au Ministre de l’immigration, au titre de l’article 417 de la loi sur les migrations de 1958, de prendre, dans l’intérêt général, une décision plus favorable que celle de la Commission de contrôle des décisions concernant les réfugiés. Le 8 janvier 2000, cette demande a été rejetée. Une deuxième requête au titre de l’article 417 a été présentée le 15 février 2002 et rejetée le 29 mars 2003. Le 2 mai 2000, le requérant a été placé en rétention dans l’attente de son expulsion. Une troisième requête au titre de l’article 417 a été déposée le 10 mai 2000 et rejetée le 24 novembre 2000. Le même jour, le requérant a déposé une deuxième demande de visa de protection au motif que la demande initiale n’était pas valide. Le 22 mai 2000, le Ministère a considéré que la demande initiale était bien valide.

2.5Le 22 août 2000, la deuxième demande de visa de protection a été rejetée au motif que le requérant n’avait pas démontré qu’il risquait réellement d’être persécuté s’il était renvoyé à Sri Lanka. Le 24 août 2000, le requérant a formé un recours contre la décision de refus auprès de la Commission de contrôle des décisions concernant les réfugiés. Le 30 octobre 2000, la Commission de contrôle a annulé la décision de refuser la deuxième demande de visa de protection, au motif que cette deuxième demande n’était pas valide et qu’elle‑même n’était donc pas compétente. Une quatrième requête au titre de l’article 417 a été déposée le 8 novembre 2000 et rejetée le 11 décembre 2001. Le 7 mars 2001, la Cour fédérale a débouté le requérant du recours formé contre la décision de la Commission. Le 16 août 2001, la Cour fédérale plénière a rejeté un recours contre la décision de la Cour fédérale. Une cinquième et une sixième requête au titre de l’article 417, déposées le 7 décembre 2001 et le 19 février 2002, ont été rejetées le 22 mai 2002. Le 28 février 2002, le requérant a retiré une demande d’autorisation de former recours contre la décision de la Cour fédérale plénière qu’il avait déposée auprès de la Haute Cour.

2.6Le 7 juin 2002, le requérant a soumis la présente requête au Comité, sollicitant des mesures provisoires pour surseoir à son expulsion. Le 10 juin, le Comité a rejeté la demande mais a enregistré la requête et l’a transmise à l’État partie pour observations. Le 13 juin 2002, le requérant a été expulsé à Sri Lanka.

Teneur de la plainte

3.Le requérant a affirmé que son expulsion constituerait une violation de l’article 3 et qu’elle ne devait avoir lieu que s’il pouvait être démontré au‑delà de tout doute raisonnable que sa plainte était mensongère. Il a fait valoir que les incohérences relevées dans ses déclarations n’étaient pas de nature à en compromettre la crédibilité. Selon lui «la Commission de contrôle des décisions concernant les réfugiés a eu recours à des normes de preuve trop exigeantes, alors que s’agissant de réfugiés, le niveau le plus bas doit être appliqué. Elle n’a pas soigneusement examiné s’il y avait un “risque réel” que le requérant soit persécuté s’il retournait à Sri Lanka. Il ressort de la décision de la Commission de contrôle que la Cour a manifesté un parti pris et a tranché l’affaire au mépris des éléments de preuve dont elle disposait». Le requérant a mis en doute la fiabilité des informations sur le pays dont disposait la Commission de contrôle. Il a finalement affirmé que la deuxième décision de la Commission, dans laquelle elle se déclarait incompétente, était «manifestement déraisonnable» puisque le Ministère avait accepté de recevoir sa deuxième demande et l’avait interrogé. Le requérant a fait valoir qu’il avait des motifs sérieux de craindre d’être soumis à la torture, affirmant que l’existence de violations systématiques des droits de l’homme dans un pays suffisait à établir de tels motifs.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une lettre datée du 17 novembre 2002, l’État partie conteste la recevabilité et le fond de la requête. S’agissant de l’allégation selon laquelle la décision de renvoyer le requérant à Sri Lanka violerait l’article 3 de la Convention, l’État partie fait valoir que les déclarations du requérant manquent de crédibilité et que la communication doit être déclarée irrecevable au motif qu’elle est incompatible avec le paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention et avec le paragraphe 1 d) de l’article 107 du Règlement intérieur du Comité. À défaut, les éléments de preuve ne suffisant pas à établir que le requérant court personnellement un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture, la communication doit être rejetée au motif qu’elle n’est pas suffisamment fondée.

4.2L’État partie fait valoir que, de par leur nature même, les affaires de refoulement portent sur des événements dont l’État partie n’a pas directement connaissance et qu’il ne peut pas contrôler. Dans ce contexte, la crédibilité des éléments de preuve présentés par le requérant revêt une plus grande importance et concerne à la fois la recevabilité et le fond de la requête. L’État partie soutient que, lorsqu’on a évalué si le requérant avait droit à un visa de protection, on lui a donné toute possibilité de défendre sa cause mais qu’il n’a jamais été capable de démontrer la bonne foi de sa demande. L’État partie, adoptant les motifs de la décision de la Commission de contrôle des décisions concernant les réfugiés, rejette l’affirmation du requérant selon laquelle les incohérences relevées dans ses déclarations sont sans importance. Il fait observer qu’après avoir examiné en détail tous les faits et éléments de preuve disponibles, la Commission a conclu sans équivoque que le requérant manquait de crédibilité et que ses éléments de preuve étaient fabriqués de toutes pièces.

4.3L’État partie affirme que la manière dont la Commission de contrôle a examiné dans cette affaire la question de la crédibilité est conforme aux principes appliqués par le Comité. Selon le principe établi par la jurisprudence du Comité, on peut rarement s’attendre à une exactitude parfaite dans les demandes d’asile formulées par les victimes de la torture. Cependant, le Comité doit s’assurer que tous les faits invoqués par le requérant sont «suffisamment étayés et crédibles». De même, si la Commission de contrôle n’attache pas d’importance aux contradictions mineures, elle n’est pas tenue d’accepter sans les mettre en doute les allégations des requérants bien qu’elle puisse accorder le bénéfice du doute à une personne qui est par ailleurs crédible et plausible. En l’espèce, les contradictions relevées dans les déclarations du requérant sont nombreuses et d’une importance fondamentale pour sa plainte. L’État partie rappelle que, bien qu’il ne soit pas tenu de suivre les constatations de faits d’un tribunal national, le Comité leur accorde généralement un poids considérable. Par conséquent, il convient d’accorder un poids approprié aux constatations de la Commission de contrôle des décisions concernant les réfugiés dans lesquelles elle a pris note des incohérences relevées dans les déclarations du requérant aux autorités nationales.

4.4L’État partie affirme qu’il a tenu compte de ses obligations en vertu de l’article 3 de la Convention avant de décider que le requérant devait être expulsé d’Australie. L’article 417 de la loi sur les migrations confère au Ministre de l’immigration le pouvoir discrétionnaire de prendre une décision plus favorable. Chaque fois que la Commission de contrôle rejette une demande, le dossier est automatiquement transmis pour examen conformément aux directives ministérielles portant sur les séjours en Australie pour raisons humanitaires. Les directives intègrent l’obligation de non‑refoulement énoncée à l’article 3 de la Convention. Il a été déterminé que le requérant ne remplissait pas les conditions qui y étaient fixées. Le requérant a également demandé au Ministre d’user de son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 417, six fois de suite. De manière générale, le Ministre n’examine pas les requêtes répétées au titre de l’article 417 en l’absence d’informations nouvelles. Plusieurs requêtes qui avaient été considérées comme ne remplissant pas les conditions fixées dans les directives n’ont pas été transmises au Ministre. S’agissant des requêtes qui lui ont été transmises, le Ministre a refusé d’envisager d’exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui était conféré par l’article 417.

4.5À propos de ce grief, l’État partie fait observer que le requérant n’a pas été en mesure d’étayer sa demande de protection bien qu’il ait eu la possibilité de déposer deux demandes distinctes de visa de protection. Dans sa première décision, la Commission de contrôle a considéré que les éléments de preuve présentés par le requérant manquaient de crédibilité et que certains étaient fabriqués. La demande du requérant a également été évaluée séparément sur la base des directives portant sur les séjours en Australie pour raisons humanitaires, qui intègrent l’article 3 de la Convention. Le requérant n’a pas fourni au Comité d’éléments de preuve nouveaux ou additionnels, ni suffisamment prouvé la fiabilité de ses déclarations aux fins de l’article 22 de la Convention. Il n’a pas non plus présenté d’argument concluant ou convaincant propre à établir qu’il y avait un risque réel et prévisible qu’il soit soumis à la torture par les forces de sécurité sri‑lankaises s’il retournait à Sri Lanka.

4.6S’agissant de l’allégation selon laquelle il existe à Sri Lanka un ensemble de violations graves et systématiques des droits de l’homme et que cela suffit à établir qu’il y a des motifs sérieux de croire que le requérant risque d’être soumis à la torture, l’État partie répond que le requérant a fait une interprétation erronée du paragraphe 2 de l’article 3. Il se réfère à la jurisprudence du Comité selon laquelle l’existence d’un ensemble de violations graves et systématiques des droits de l’homme ne constitue pas en soi un motif suffisant aux fins de l’article 3. Si l’existence de telles conditions peut donner plus de poids à la demande d’un requérant, la jurisprudence du Comité établit que celui‑ci doit fournir des preuves supplémentaires montrant qu’il risque personnellement, s’il est expulsé, d’être soumis à la torture, en raison de sa situation particulière.

4.7Ainsi, l’existence avérée d’un ensemble de violations flagrantes des droits de l’homme qui affectent toute la population de l’État concerné ne suffit pas en elle‑même à établir des motifs sérieux de penser que l’intéressé risque d’être soumis à la torture. Il en va de même pour les troubles civils ou l’effondrement de l’ordre public. Par conséquent, l’État partie conclut que, dans la mesure où le requérant se fonde sur un critère erroné, la requête doit être déclarée irrecevable ratione materiae au motif qu’elle est incompatible avec le paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention et le paragraphe 1 d) de l’article 107 du Règlement intérieur du Comité.

4.8En ce qui concerne la situation qui prévaut actuellement dans le pays, l’État partie admet que, pour décider de refouler une personne, il doit prendre en compte tous les facteurs pertinents, y compris l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, conformément au paragraphe 2 de l’article 3. Notant que le requérant utilise plusieurs articles de journaux et rapports comme preuve qu’il existe à Sri Lanka un ensemble de violations graves et massives des droits de l’homme et qu’il fait valoir que la situation n’a pas changé depuis son départ en 1995, l’État partie fait observer toutefois que ces éléments ne sont guère utiles pour évaluer la situation qui prévaut actuellement dans le pays, étant donné que la majorité des références datent de 1997, 1998 et 1999. Seul, un article du Tamil Guardian du 22 mai 2002 concerne l’accord de paix, mais il ne fournit aucun détail sur le comportement des forces de sécurité.

4.9L’État partie fournit copie des rapports pertinents qui font le point de la situation dans le pays. Sur la base de ces rapports, l’État partie a estimé que, s’il y avait bien un risque de mauvais traitements dû à la difficulté de maintenir l’ordre public dans certaines régions de Sri Lanka, les éléments d’information fournis ne confirmaient pas l’idée que le requérant courait personnellement un risque supérieur à celui de l’ensemble de la population. Étant donné que le requérant se fonde sur la situation qui prévaut actuellement dans le pays, il n’y a pas de preuve suffisante qu’il coure personnellement un risque réel et prévisible. Cette partie de la requête doit donc être rejetée au motif qu’elle n’est pas suffisamment fondée.

4.10En ce qui concerne les griefs supplémentaires selon lesquels i) la première décision de la Commission de contrôle était entachée de partialité et dirigée contre le requérant malgré la valeur probante des éléments de preuve en sa faveur et ii) la deuxième décision de la Commission de contrôle était déraisonnable, l’État partie affirme que cette partie de la communication doit être déclarée irrecevable ratione materiae au motif qu’elle est incompatible avec le paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention et le paragraphe 1 d) de l’article 107 du règlement intérieur du Comité. En outre, l’État partie soutient que le requérant n’a pas dûment épuisé les recours internes en ce qui concerne ces deux questions et que cette partie de la requête doit être déclarée irrecevable conformément au paragraphe 1 f) de l’article 107 du règlement intérieur du Comité. Une autre possibilité serait que cette partie de la requête soit également déclarée irrecevable au motif qu’elle n’est pas suffisamment fondée.

4.11Premièrement, l’État partie fait valoir que le requérant n’a pas fourni d’arguments ni d’éléments de preuve expliquant en quoi les irrégularités de procédure présumées constituaient une violation de l’une quelconque des dispositions de la Convention. Étant donné que le Comité n’est pas un organe judiciaire compétent pour superviser les tribunaux nationaux, il ne voit pas très bien sur quelle base le requérant lui demande de réexaminer des éléments de procédure interne concernant sa demande de statut de réfugié. Cette partie de la requête doit donc être rejetée comme étant irrecevable ratione materiae, au motif qu’elle est incompatible avec le paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention et le paragraphe 1 d) de l’article 107 du règlement intérieur du Comité.

4.12Deuxièmement, l’État partie soutient que cette partie de la communication doit être rejetée parce que les recours internes n’ont pas été épuisés. Le requérant n’a pas demandé la révision judiciaire de la première décision de la Commission de contrôle des décisions concernant les réfugiés, qu’il conteste à présent comme étant entachée de partialité et d’irrégularité du fait d’une application incorrecte de la loi. Il n’a pas non plus sollicité auprès de la Haute Cour une autorisation spéciale de former recours contre la décision de la Cour fédérale plénière concernant la deuxième décision de la Commission de contrôle. Il n’a pas expliqué pourquoi sa demande d’autorisation spéciale avait été retirée. Par conséquent, il n’a pas épuisé les recours internes comme il convenait en ce qui concerne ces deux questions.

4.13L’État partie réaffirme que le requérant a eu deux fois la possibilité de déposer une demande de statut de réfugié et qu’il a eu amplement l’occasion de démontrer la bonne foi de ses allégations. Il a été interrogé à son arrivée et a déposé une demande de visa de protection le 12 décembre 1995. Le 21 décembre 1995, il a fourni un exposé des faits plus détaillé sous forme d’attestation. Tous les renseignements communiqués au Ministère ont été examinés lorsque sa première demande a été évaluée. Il a ensuite été autorisé à déposer une deuxième demande lorsque des questions concernant la validité de la première ont été soulevées. Il a donc eu l’avantage de voir sa demande de visa de protection examinée par deux fonctionnaires de l’immigration différents, dans le cadre de deux processus de prise de décisions distincts. Il a exercé son droit à une révision sur le fond des deux décisions défavorables et a participé à des audiences équitables et impartiales devant la Commission de contrôle des décisions concernant les réfugiés. Il a reçu l’assistance nécessaire pour présenter sa demande et durant les procédures qui s’en sont ensuivies devant la Commission de contrôle. Il a également demandé le réexamen judiciaire de la deuxième décision de la Commission de contrôle. Son cas a en outre été examiné compte tenu de l’obligation de non‑refoulement énoncée à l’article 3 de la Convention.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.Dans une lettre datée du 6 janvier 2003, le conseil du requérant a été prié de présenter des commentaires sur les observations de l’État partie dans un délai de six semaines. Dans une lettre datée du 30 septembre 2003, il a été prié de présenter ses commentaires sans délai et a été prévenu qu’à défaut le Comité examinerait l’affaire sur la base des informations qui lui avaient été communiquées. À la date de l’examen de l’affaire par le Comité, aucune réponse n’avait été reçue.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si elle est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Conformément au paragraphe 5 2) b) de l’article 22 de la Convention, le Comité est tenu de s’assurer que le requérant a épuisé les recours internes, ce qu’il détermine au moment où il examine la requête. Le Comité fait observer, en ce qui concerne la première décision de la Commission de contrôle, qui portait principalement sur sa crédibilité, que le requérant n’a pas formé de recours auprès de la Cour fédérale ni expliqué pourquoi il s’était abstenu. En ce qui concerne la deuxième décision de la Commission de contrôle, le Comité fait observer que le requérant a retiré la demande d’autorisation spéciale de former recours qu’il avait déposée auprès de la Haute Cour, toujours sans fournir les raisons de sa démarche. Par conséquent, le Comité doit conclure que le requérant n’a pas épuisé les recours internes disponibles, comme l’exige le paragraphe 5 2) b) de l’article 22 de la Convention; la requête est donc irrecevable sur cette base.

7.En conséquence, le Comité contre la torture décide:

a)Que la requête est irrecevable;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et au requérant.

Notes

Communication n o  218/2002

Présentée par:L. J. R. C. (non représenté par un conseil)

Au nom de:Le requérant

État partie:Suède

Date de la requête:16 septembre 2002

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 22 novembre 2004,

Ayant achevé l’examen de la requête no 218/2002 présentée par M. L. J. R. C. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.Le requérant est M. L. J. R. C., de nationalité équatorienne, né en 1977, actuellement en attente d’expulsion de Suède vers l’Équateur. Il affirme qu’il risque d’être soumis à la torture s’il est renvoyé en Équateur, ce qui constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. Il n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant a effectué son service militaire en 1997 puis a suivi une période de formation militairede janvier à la fin mai 2000. Alors qu’il se trouvait à la base militaire de Cononaco, il dit avoir assisté, le 13 mai 2000, à la torture et à l’exécution sommaire de deux guérilleros des Forces armées révolutionnaires d’Équateur – Armée du peuple (FARE-DP) par des agents des services de renseignements de l’armée équatorienne. À la suite de cet incident, il a commencé à recevoir des menaces de la part de membres des FARE‑DP et de l’armée. Il a parlé de l’incident à son frère, qui faisait également partie des forces armées. Le 8 novembre 2000, son frère aurait été torturé à mort dans un camp militaire. Avant de mourir, il aurait été menacé par ses supérieurs. Après la mort de son frère, le requérant a continué à être la cible de menaces et s’est vu contraint de déménager à plusieurs reprises dans le pays. Les menaces allant croissant, il a décidé de quitter l’Équateur. Le 23 mars 2001, il est arrivé en Suède, où il a déposé une demande d’asile, le 27 avril 2001.

2.2Le 19 juin 2001, le Bureau suédois des migrations a rejeté sa demande d’asile. Le 2 septembre 2002, la Commission de recours des étrangers a confirmé la décision du Bureau des migrations.

Teneur de la plainte

3.Le requérant affirme qu’il risque d’être soumis à la torture, aux mauvais traitements, à la disparition forcée ou à l’exécution sommaire s’il est renvoyé en Équateur et que, dans ces circonstances, ce renvoi constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans une lettre datée du 11 décembre 2002, l’État partie confirme que le requérant a épuisé tous les recours internes et fait valoir que la requête est irrecevable au motif que le requérant n’a pas suffisamment étayé l’affirmation selon laquelle il courrait le risque d’être torturé en cas de renvoi en Équateur.

4.2L’État partie rappelle que le requérant a eu deux entretiens avec les autorités de l’immigration. Lors de son premier entretien avec le Bureau des migrations, le requérant a déclaré avoir assisté le 13 mai 2000, alors qu’il se trouvait au camp de Cononaco pour y suivre une période de formation militaire, à la torture et au meurtre, par l’armée, de deux membres des FARE‑DP qui avaient été capturés avec cinq autres. Deux des prisonniers avaient réussi à s’échapper et avaient ensuite persécuté le requérant pour l’obliger à divulguer l’identité des tortionnaires et meurtriers de leurs camarades. Ils avaient également identifié le frère du requérant, un soldat, auquel ils avaient téléphoné le 8 novembre 2000, et l’avaient par la suite torturé et maltraité à tel point qu’il en était mort. Avant sa mort, le frère du requérant avait dit à un collègue qu’ils en avaient après le requérant lui‑même.

4.3Lors du second entretien avec le Bureau des migrations, le requérant a donné une version plus détaillée de l’incident. Il a indiqué que les FARE‑DP étaient très actives dans la jungle des zones frontalières, où elles tentaient d’instaurer une guérilla permanente. Le requérant avait rendu visite à son frère le 25 mai 2000 et lui avait fait part de l’incident. Vers la fin juin 2000, son frère avait commencé à recevoir des menaces téléphoniques; il avait découvert que des hauts responsables de l’armée étaient impliqués dans l’affaire. Le 8 novembre 2000, le frère du requérant avait été agressé et brutalisé par deux inconnus au sortir de son domicile. Il avait été conduit à l’hôpital militaire, où il avait succombé à ses blessures. Sa femme avait déclaré le décès à la police, qui n’avait pas mené d’enquête. Les membres des FARE‑DP avaient continué de téléphoner au domicile du défunt, si bien que sa famille avait dû déménager. Le requérant a ajouté n’avoir jamais informé la police de l’incident survenu dans la jungle, de crainte d’être assassiné par les FARE‑DP. Il n’avait jamais été contacté personnellement ni menacé par des membres des FARE‑DP. Le conseil du requérant a signalé au Bureau des migrations que des membres des FARE‑DP étaient entrés par effraction au domicile du frère du requérant à Quito et avaient détruit une partie de son mobilier.

4.4Le 19 juillet 2001, le Bureau des migrations a rejeté la demande d’asile du requérant et a ordonné son renvoi en Équateur, en faisant valoir que l’Équateur était une démocratie à part entière depuis plusieurs années, que le requérant était resté en Équateur pendant près d’un an après avoir été témoin des actes de torture et homicides en cause, qu’il n’avait jamais été persécuté ou menacé personnellement par des membres des FARE‑DP et que, en dépit des efforts déployés par les forces gouvernementales pour réprimer les FARE‑DP, le requérant n’avait pas sollicité la protection des autorités. Le Bureau a conclu que le requérant n’avait pas démontré être exposé à un risque de persécution. Le requérant a fait appel de cette décision, affirmant qu’il risquait d’être torturé et que les forces gouvernementales étaient dans l’incapacité de juguler les activités des FARE‑DP. Il a ajouté que si l’on venait à connaître les faits qui avaient poussé les FARE‑DP à proférer des menaces à son encontre, sa vie serait en danger car il aurait alors à craindre des représailles de la part des forces gouvernementales ou de la police. Le 2 septembre 2002, la Commission de recours des étrangers a rejeté sa requête,se rangeant à l’avis du Bureau des migrations. Elle a en outre fait observer que le requérant avait demandé l’asile plus d’un mois après son arrivée en Suède.Concernant l’affirmation selon laquelle il risquait d’être persécuté par les forces gouvernementales ou la police, la Commission a noté que le requérant était de garde lorsqu’il a assisté à l’incident au camp de Cononacoet que l’armée ne pouvait donc ignorer qu’il était au courant.Tout au long de la période durant laquelle le requérant était resté en Équateur après l’incident, ni l’armée ni la police ne semblaient avoir manifesté beaucoup d’intérêt pour lui.

4.5S’agissant de la situation générale des droits de l’homme en Équateur, l’État partie fait observer que des progrès étaient perceptibles même si, selon certaines sources la pauvreté touchait encore bien des régions et la police continuait à torturer et maltraiter en toute impunité des suspects et des détenus. Des groupes nationaux et internationaux de défense des droits de l’homme exerçaient leurs activités sans restriction dans le pays et le Gouvernement avait chargé certains de ces groupes d’assurer la formation aux droits de l’homme des membres des forces armées et des policiers. L’Équateur avait ratifié la Convention contre la torture le 30 mars 1988, reconnaissant la compétence du Comité en matière de réception et d’examen des requêtes individuelles.

4.6S’agissant du risque encouru par le requérant d’être torturé par des membres des FARE‑DP, l’État partie a rappelé que, selon la jurisprudence du Comité, la question de savoir si un État partie avait l’obligation de s’abstenir d’expulser une personne risquant − sans le consentement exprès ou tacite du Gouvernement − d’être torturée par une entité non gouvernementale n’entrait pas dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention. L’État partie a ajouté que les autorités équatoriennes ne toléraient manifestement pas les activités des FARE‑DP, qu’elles considéraient comme criminelles et liaient à une série d’enlèvements et d’assassinats et que rien ne prouvait l’incapacité desdites autorités à protéger de manière adéquate le requérant contre les FARE‑DP.

4.7Au sujet de l’affirmation du requérant selon laquelle il risquerait d’être torturé par des membres des forces gouvernementales, l’État partie a souligné que, devant les autorités de l’immigration suédoises, le requérant n’avait que brièvement mentionné le risque qu’il encourrait d’être assassiné par les forces gouvernementales si elles venaient à apprendre ce dont il avait été témoin à Cononaco. Le requérant n’avait en revanche rien dit de persécutions à son égard de la part des autorités équatoriennes et avait même clairement indiqué n’avoir jamais eu un quelconque problème avec les forces de police équatoriennes ou d’autres autorités. Il avait également déclaré que, n’ayant jamais été accusé de quoi que ce soit, il avait pu obtenir l’autorisation de quitter le territoire. En outre, le requérant avait fourni des renseignements contradictoires au sujet de l’identité des individus ayant menacé puis tué son frère. Il avait déclaré aux autorités suédoises de l’immigration que son frère avait reçu des menaces de membres des FARE‑DP alors que dans sa communication au Comité il indiquait que son frère avait tout d’abord été menacé par ses supérieurs. L’État partie a en outre souligné que le requérant avait quitté l’Équateur avec l’autorisation des forces armées et de la police, ce qui donnait à penser qu’il n’était pas recherché par les autorités équatoriennes. Les forces armées avaient également dû apprendre que le requérant avait assisté à l’incident de Cononaco; pourtant, ni l’armée ni la police ne semblaient s’être beaucoup intéressées à lui.

4.8L’État partie a estimé pour conclure que le requérant n’avait pas étayé l’affirmation selon laquelle il courrait un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture en cas de renvoi en Équateur.

Délibérations du Comité

5.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si celle-ci est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il note également que l’État partie ne conteste pas l’épuisement des recours internes.

5.2S’agissant des allégations du requérant concernant le risque qu’il courrait d’être torturé par des membres des FARE‑DP, le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence, la question de savoir si l’État partie a l’obligation de s’abstenir d’expulser une personne qui risquerait − sans le consentement exprès ou tacite du Gouvernement − de se voir infliger des souffrances ou des douleurs par une entité non gouvernementale n’entre pas dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention, à moins que l’entité non gouvernementale occupe le territoire vers lequel le requérant serait renvoyé et exerce une autorité quasi gouvernementale sur ce territoire. Le Comité note que le requérant n’a pas contesté les arguments de l’État partie selon lesquels les autorités équatoriennes ne tolèrentpas les activités menées par les FARE‑DP dans les zones frontalières du pays, qu’elles considèrent comme criminelles et lient à une série d’enlèvements et d’assassinats. En conséquence, le Comité décide que cette partie de la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention.

5.3S’agissant du risque que les forces gouvernementales soumettent le requérant à la torture en cas de renvoi, le Comité note que les informations présentées par le requérant pour étayer sa communication sont générales et vagues et ne prouvent en rien que le requérant courrait un risque personnel et prévisible d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Équateur. Les renseignements fournis au Comité par le requérant ne cadrent pas avec son récit des faits aux autorités suédoises de l’immigration. Le requérant n’a pas apporté d’éléments d’information fiables prouvant qu’il a été torturé dans le passé, qu’il a eu un quelconque problème avec la police ou qu’il a suscité un quelconque intérêt de l’armée ou de la police quand il vivait en Équateur, même après les événements du camp de Cononaco. Dans ces circonstances, le Comité considère que les arguments avancés sont insuffisants pour lui permettre de conclure à la recevabilité de la requête. Il constate que la requête telle qu’elle est formulée ne soulève pas de grief au regard de la Convention.

5.4Le Comité considère, en application de l’article 22 de la Convention et de l’article 107 b) de son règlement intérieur, que la requête est manifestement dénuée de fondement. En conséquence, le Comité décide que la requête est irrecevable.

6.Le Comité contre la torture décide:

a)Que la requête est irrecevable; et

b)Que la présente décision sera communiquée au requérant et, pour information, à l’État partie.

Notes