Présentée par:

Arenz, Paul (décédé); Röder, Thomas et Dagmar (représentés par William C. Walsh)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Allemagne

Date de la communication:

26 septembre 2002 (date de la lettre initiale)

Décision antérieure:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 91 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 22 novembre 2002 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption de la décision:

24 mars 2004

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingtième session

concernant la

Communication n o  1138/2002**

Présentée par:

Arenz, Paul; Röder, Thomas et Dagmar (représentés par William C. Walsh)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Allemagne

Date de la communication:

26 septembre 2002 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 mars 2004,

Adopte ce qui suit:

DÉCISION CONCERNANT LA RECEVABILITÉ

1.Les auteurs de la communication sont Paul Arenz (premier auteur) ainsi que Thomas Röder (deuxième auteur) et sa femme Dagmar Röder (troisième auteur), tous trois de nationalité allemande et membres de l’«Église de scientologie». Ils affirment être victimes de violations par l’Allemagne des articles 2, 18, 19, 22, 25, 26 et 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils sont représentés par un conseil. M. Arenz est décédé en février 2004.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Le 17 décembre 1991, au cours de son Congrès national, l’Union démocrate chrétienne (CDU), un des principaux partis politiques en Allemagne, a adopté la résolution C 47 par laquelle elle a déclaré que l’appartenance à l’Église de scientologie n’était pas «compatible avec le statut de membre de la CDU». Cette résolution est encore en vigueur.

2.2Dans une lettre datée du 22 septembre 1994, le Président de la section municipale de la CDU à Mechernich (Rhénanie du Nord-Westphalie), appuyé ultérieurement par le Ministre fédéral du travail et le Directeur régional de la CDU en Rhénanie du Nord‑Westphalie, a demandé au premier auteur, membre de longue date de ce parti, après avoir appris son affiliation à l’Église de scientologie, de quitter la CDU avec effet immédiat en signant une déclaration de démission. Ce dernier ayant refusé, le Conseil de la CDU pour le district d’Euskirchen a décidé, le 17 octobre 1994, d’entamer une procédure d’exclusion à son encontre, le dépouillant ainsi de ses droits en tant que membre du parti en attendant que soit prise la décision finale des organes d’arbitrage du parti.

2.3Dans une lettre datée du 24 octobre 1994, le Président de la commission d’arbitrage de la CDU pour le district d’Euskirchen a informé le premier auteur que le Conseil avait décidé de l’exclure de la CDU en raison de son affiliation à l’Église de scientologie et qu’il avait demandé à la commission d’arbitrage de district du parti de prendre une décision à cet effet après lui avoir donné la possibilité d’être entendu. À la suite d’une audience tenue le 2 décembre 1994, la commission d’arbitrage de district du parti a informé, le 6 décembre 1994, le premier auteur qu’elle confirmait la décision du Conseil de district de l’expulser de la CDU. Le 2 octobre 1995, la commission d’arbitrage du parti pour la Rhénanie du Nord‑Westphalie a rejeté l’appel du premier auteur. Un autre appel a été rejeté par la commission d’arbitrage fédérale du parti le 18 décembre 1996.

2.4Dans une procédure distincte, le deuxième auteur, membre de longue date et ancien président du Conseil municipal de la CDU à Wetzlar-Mitte (Hesse) ainsi que le troisième auteur, lui aussi membre de la CDU depuis plusieurs années, ont été expulsés du parti en vertu d’une décision prise le 29 janvier 1992 par l’Association de district de la CDU pour Lahn‑Dill. Cette décision avait été précédée par une campagne contre l’adhésion au parti du deuxième auteur, qui avait débouché sur une réunion publique tenue en présence d’un millier de personnes, en janvier 1992, au cours de laquelle le deuxième auteur aurait fait l’objet de déclarations calomnieuses portant atteinte à sa réputation et à son intégrité professionnelle en tant que dentiste, en raison de son affiliation à l’Église de scientologie.

2.5Le 16 juillet 1994, la commission d’arbitrage du parti pour le district de la Moyenne‑Hesse a décidé que l’exclusion du parti des deuxième et troisième auteurs était conforme aux règlements de la CDU. Les recours introduits par les auteurs devant la commission d’arbitrage du parti pour la Hesse et la commission d’arbitrage fédérale du parti à Bonn ont été rejetés respectivement le 26 janvier et le 24 septembre 1996.

3.1Le 9 juillet 1997, le tribunal régional de Bonn (Landgericht Bonn) a rejeté la requête introduite par les auteurs contre les décisions de la commission d’arbitrage fédérale du parti, statuant que ces décisions étaient fondées sur une enquête objective, avaient été prises dans le respect des lois et étaient conformes aux règles de procédure fixées dans les statuts de la CDU. Pour ce qui est du fond de la plainte, le tribunal s’est contenté d’examiner la question de savoir si la mesure était arbitraire, compte tenu du principe fondamental de l’autonomie des partis énoncé au paragraphe 1 de l’article 21 de la Loi fondamentale.

3.2Le tribunal a estimé que les décisions de l’instance d’arbitrage fédérale de la CDU n’étaient pas arbitraires, dans la mesure où les auteurs étaient allés à l’encontre de la résolution C 47, dans laquelle était énoncé un principe du parti, fondé sur le paragraphe 4 de l’article 10 de la loi sur les partis politiques. La résolution elle‑même n’était ni arbitraire ni incompatible avec l’obligation qu’avait le parti d’avoir une organisation interne démocrate, comme l’exige le paragraphe 1 de l’article 21 de la Loi fondamentale, dans la mesure où il ressortait de nombreuses publications de l’Église de scientologie, et en particulier de son fondateur, Ron Hubbard, qu’il y avait objectivement un conflit entre la scientologie et les principes de libre développement de la personnalité de l’individu, de tolérance et de protection des personnes socialement défavorisées. En outre, l’idéologie de l’Église de scientologie pouvait être attribuée personnellement aux auteurs compte tenu de leur identification aux principes de l’organisation et de leur importante contribution financière à celle‑ci.

3.3Bien que la CDU, qui est tenue d’avoir une organisation interne démocratique, doive respecter les droits fondamentaux des auteurs à la liberté d’expression, la restriction de ces droits était justifiée par la nécessité de préserver l’autonomie et le bon fonctionnement des partis politiques qui, par définition, ne peuvent représenter toutes les tendances politiques et idéologiques et sont par conséquent en droit d’exclure les dissidents de leurs rangs. Sachant que les auteurs avaient considérablement nui à l’image de la CDU, et, par conséquent, réduit son électorat au niveau local, le tribunal a jugé que leur expulsion n’était pas disproportionnée dès lors que c’était là pour le parti le seul moyen de restaurer son unité et que les auteurs étaient libres de fonder un nouveau parti. Enfin, le tribunal a estimé que les auteurs ne pouvaient invoquer les droits qui leur sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou le Pacte international relatif aux droits civils et politiques vis‑à‑vis de la CDU, qui, de par son statut d’association privée, n’était pas liée par ces instruments.

3.4Dans son jugement du 10 février 1998, la cour d’appel de Cologne a débouté les auteurs, faisant sien le raisonnement du tribunal régional de Bonn et réaffirmant qu’en vertu du paragraphe 1 de l’article 21 de la Loi fondamentale, les partis politiques devaient mettre en balance leur droit à l’autonomie et les droits concurrents de leurs membres. De plus, la cour a jugé que les partis politiques étaient habilités à adopter des résolutions proclamant l’incompatibilité entre le fait d’être membre du parti et l’affiliation à une autre organisation, le but étant de se distinguer d’autres partis rivaux ou d’autres associations poursuivant des objectifs opposés aux leurs, à condition que lesdites résolutions ne soient pas arbitraires. Or la résolution C 47 ainsi que la décision de la commission d’arbitrage fédérale du parti tendant à considérer les enseignements de l’Église de scientologie comme incompatibles avec les principes de base de la CDU n’ont pas été jugées arbitraires par la cour.

3.5La cour a souligné que les auteurs avaient violé les principes de la CDU tels que définis dans la résolution C 47, non seulement à cause de leurs convictions mais en raison de la manifestation de leurs croyances, qui transparaissait dans leur statut de membre de l’Église de scientologie, leur adhésion aux principes de cette organisation, le fait que le premier auteur ait atteint l’état de «clarté» au sein de l’Église et les donations substantielles faites par les deuxième et troisième auteurs à l’organisation.

3.6Les droits constitutionnels des auteurs à la protection de leur dignité, à un libre épanouissement, à la liberté de culte, de conscience et de croyance, à la liberté d’expression et à la liberté d’association, envisagés de pair avec le principe constitutionnel de non‑discrimination ainsi que celui d’organisation interne démocratique au sein des partis politiques, ont été relégués au second plan par le droit constitutionnel du parti d’assurer son bon fonctionnement et le principe de l’autonomie des partis. Les droits reconnus aux auteurs par la Convention européenne et le Pacte, qui ont été tous deux incorporés au droit interne, ne pouvaient pas offrir une plus haute protection.

3.7La CDU était habilitée, afin de préserver son unité et sa crédibilité, à exclure les auteurs qui avaient exercé leurs droits constitutionnels d’une manière allant à l’encontre des principes et des objectifs du parti, portant ainsi atteinte à sa crédibilité et à son pouvoir de persuasion. La cour a conclu que les auteurs avaient gravement nui à l’image publique de la CDU et que leur exclusion était donc autorisée par le paragraphe 4 de l’article 10 de la loi sur les partis politiques et était de surcroît à la mesure de l’objectif visé.

3.8La plainte constitutionnelle déposée par les auteurs a été rejetée comme manifestement infondée par la Cour constitutionnelle fédérale le 28 mars 2002. La Cour a estimé que les tribunaux inférieurs étaient en droit de limiter leur examen à la question de savoir si l’expulsion des auteurs de la CDU était arbitraire ou si elle constituait une violation de leurs droits fondamentaux, dans la mesure où le principe de l’autonomie des partis politiques exigeait des juridictions nationales de ne pas interpréter ni appliquer les règlements ou les résolutions des partis.

3.9La Cour s’est assurée que les tribunaux inférieurs avaient établi un juste équilibre entre l’autonomie de la CDU, garantie par la Constitution, et les droits constitutionnels des auteurs. En particulier, elle a noté que les droits des auteurs à la liberté d’opinion et à la participation à la vie politique avaient été restreints d’une manière régulière par la résolution C 47 qui ne faisait que mettre en œuvre la restriction légale figurant au paragraphe 4 de l’article 10 de la loi sur les partis politiques. De même, la décision des juridictions inférieures de faire passer l’autonomie de la CDU avant le droit des auteurs à la liberté de culte, de conscience et de croyance n’a pas été jugée arbitraire par la Cour.

Teneur de la plainte

4.1Les auteurs affirment qu’il y a eu violation de leurs droits garantis par le paragraphe 1 de l’article 2 et les articles 18 et 19, 22, 25, 26 et 27 du Pacte par suite de leur expulsion de la CDU au motif qu’ils étaient membres de l’Église de scientologie, et des décisions des tribunaux allemands qui ont confirmé cette mesure. Les auteurs considèrent qu’ils ont été privés de leur droit de participer à la vie politique de leur collectivité, en violation de l’article 25 du Pacte qui protège le droit de «tout citoyen», «sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation». Leur exclusion de la CDU a constitué une restriction déraisonnable de leur droit, en l’absence de toute référence dans l’article 25 à un droit des partis à l’autonomie.

4.2Les auteurs rappellent l’interprétation du Comité selon laquelle le droit à la liberté d’association, garanti à l’article 22 du Pacte, est un élément accessoire essentiel pour les droits protégés par l’article 25, dans la mesure où les partis politiques et l’appartenance à des partis jouent un rôle important dans la conduite des affaires publiques et dans le processus électoral. Ce droit et le droit des auteurs à la liberté d’expression garanti par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte ont été restreints arbitrairement du fait de leur exclusion de la CDU, étant donné que l’Église de scientologie n’a pas été interdite par la Cour constitutionnelle fédérale et qu’aucun de ses organes n’a fait l’objet d’une procédure pénale ou n’a été reconnu coupable d’une infraction pénale en Allemagne. En conséquence, les activités des auteurs en tant que membres de l’Église de scientologie étaient tout à fait légales et même compatibles avec les normes de conduite de la CDU.

4.3Les auteurs affirment que leur exclusion de la CDU, qui a été confirmée par les tribunaux allemands, a également constitué une violation de leurs droits garantis par l’article 18 du Pacte, lesquels doivent être interprétés largement comme englobant la liberté de pensée dans tous les domaines, les convictions personnelles et l’adhésion à une religion ou une croyance. Selon le Comité, le droit à la liberté de religion ou de croyance ne se limitait pas aux religions traditionnelles, mais protégeait également les religions et convictions nouvellement établies et minoritaires. Les auteurs appellent l’attention sur les enseignements du fondateur de l’Église de scientologie, Ron Hubbard, et affirment que le formulaire de déclaration de la CDU exigeant d’eux de renoncer publiquement à leur affiliation à cette Église pour ne pas être exclus du parti a opéré comme une restriction fondée sur leur religion ou leurs convictions, à leur droit de participer à la vie publique garanti par l’article 25 et, constituait donc un moyen de coercition destiné à les obliger, en violation du paragraphe 2 de l’article 18 du Pacte, à abjurer leurs convictions.

4.4Par analogie, les auteurs se réfèrent aux observations finales adoptées à l’issue de l’examen du quatrième rapport périodique de l’Allemagne, dans lesquelles le Comité a constaté avec préoccupation «que, dans certains Länder de l’État partie, l’appartenance à certaines sectes religieuses en tant que telle pouvait être un motif de refus d’emploi dans la fonction publique, ce qui pouvait, dans certains cas, constituer une violation des droits garantis aux articles 18 et 25 du Pacte».

4.5Les auteurs font valoir que leur expulsion de la CDU constitue une discrimination au sens du paragraphe 1 de l’article 2 et de l’article 26 du Pacte dans la mesure où aucun autre groupe religieux n’a été ainsi mis à l’index. Ils affirment en outre que dans le document de position de 1992, justifiant l’adoption de la résolution C 47, la CDU a, d’une manière patente, déformé la réalité en qualifiant l’Église de scientologie d’organisation opposée à la démocratie et aux programmes de solidarité sociale alors qu’en réalité elle favorisait ce type de valeurs.

4.6Les auteurs affirment que leur exclusion de la CDU leur a causé un grand tort sur les plans personnel et économique. C’est ainsi que, dans le cas du premier auteur, l’administration du district d’Euskirchen lui a refusé une patente au motif qu’étant membre de l’Église de scientologie il n’était pas digne de confiance et sa banque a clôturé son compte professionnel sans donner de raisons. Par suite du préjudice causé à son entreprise, il a dû la vendre à son fils qui n’est pas membre de l’Église. Pour ce qui est du deuxième auteur, la campagne publique menée contre lui a gravement nui à son cabinet dentaire privé, qui a été de surcroît marqué du signe «S» par l’Office fédéral du travail, qu’il l’a assimilé à tort à une «officine de l’Église de scientologie».

4.7Les auteurs affirment qu’ils ont épuisé tous les recours internes et que la même question n’a pas été et n’est pas examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Observations de l’État partie sur la recevabilité de la communication

5.1Dans une note verbale datée du 21 janvier 2003, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication, faisant valoir qu’elle était irrecevable ratione temporis du fait de la réserve de l’Allemagne concernant le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, dans la mesure où les violations présumées des droits des auteurs trouvaient leur origine dans des faits antérieurs à l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour la République fédérale d’Allemagne, le 25 novembre 1993.

5.2Bien que les décisions des commissions d’arbitrage du parti au niveau des districts confirmant l’exclusion des auteurs de la CDU datent respectivement de juillet et de décembre 1994, elles étaient fondées sur la résolution C 47 qui avait été adoptée par le Congrès national du parti le 17 décembre 1991. L’État partie affirme qu’en application de sa réserve, la date à prendre en compte pour déterminer l’applicabilité du Protocole facultatif n’est pas celle de la violation présumée en tant que telle, mais celle de son origine «envisagée sous l’angle des causes matérielles ou peut‑être aussi indirectes». Cela ressort clairement de la comparaison entre le texte de la réserve de l’Allemagne et celui, différent, des réserves formulées par d’autres États parties au Protocole facultatif tels que la France, Malte et la Slovénie qui ont mentionné expressément les violations résultant d’actes, d’omissions, d’événements ou de faits intervenus après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour ces États ou de décisions connexes. En outre, les plaintes des auteurs ont porté essentiellement sur la résolution C 47, en l’absence d’autres objections concernant les différentes décisions relatives à leur exclusion de la CDU, qui ne faisaient que mettre en œuvre ladite résolution.

5.3L’État partie affirme que la communication est irrecevable ratione personae, en vertu de l’article premier du Protocole facultatif, dans la mesure où elle ne portait pas sur des violations commises par un État partie, et fait valoir qu’il ne peut être tenu responsable de l’expulsion de membres de partis politiques, dès lors qu’il s’agit d’associations librement constituées en vertu du droit privé. Se référant à la jurisprudence de l’ancienne Commission européenne des droits de l’homme, l’État partie affirme que la seule exception à cette clause consisterait en une violation de son obligation de protéger les droits garantis aux auteurs par le Pacte contre une entrave illicite de la part d’une tierce partie. Or les auteurs n’ont pas prouvé l’existence d’une telle violation. En particulier, l’État partie affirme qu’il s’est conformé à l’obligation qui lui est faite à l’article 25 de protéger le droit des auteurs à prendre part à la conduite des affaires publiques en adoptant le paragraphe 4 de l’article 10 de la loi sur les partis politiques qui a restreint considérablement l’autonomie des partis pour ce qui est d’expulser des membres. Les droits reconnus aux auteurs en vertu de l’article 25 n’ont pas été indûment restreints du fait de leur exclusion de la CDU, compte tenu de l’examen par les tribunaux allemands de la question de savoir si les conditions fixées au paragraphe 4 de l’article 10 de la loi sur les partis politiques étaient remplies et de la possibilité qu’ont les auteurs de fonder un nouveau parti.

5.4Enfin, l’État partie affirme que l’allégation de violation de l’article 18 du Pacte est irrecevable ratione materiae parce que l’Église de scientologie ne peut pas être considérée comme une communauté religieuse ou philosophique, étant plutôt un organisme motivé par le lucre et la recherche du pouvoir.

Commentaire des auteurs sur les observations de l’État partie relatives à la recevabilité

6.1Le 7 avril 2003, les auteurs ont répondu aux observations de l’État partie sur la recevabilité déclarant que la communication était recevable ratione temporis, ratione personae et ratione materiae. Ils affirment que leur plainte porte sur des événements intervenus après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie en 1993, à savoir leur expulsion de la CDU plutôt que sur l’adoption, en 1991, de la résolution C 47 qui n’a été appliquée, pour entamer la procédure d’exclusion à leur encontre, qu’en 1994. À titre subsidiaire et se référant à la jurisprudence du Comité, les auteurs affirment, qu’en tout état de cause, l’adoption de cette résolution a des effets continus qui sont à l’origine de leur exclusion de la CDU en 1994.

6.2Les auteurs font valoir que les violations invoquées sont attribuables à l’État partie dans la mesure où 1) il ne s’est pas acquitté de son obligation d’assurer et de protéger les droits des auteurs consacrés par le Pacte, 2) il a entravé l’exercice de ces droits par des déclarations officielles et des actes encourageant directement ou indirectement l’exclusion des auteurs de la CDU, et 3) il a été responsable de l’interprétation incorrecte faite par les tribunaux allemands de l’étendue des droits des auteurs et des obligations correspondantes de l’État partie au titre du Pacte.

6.3En particulier, les auteurs affirment que le manquement de l’État partie à son devoir de protéger les droits reconnus par le Pacte en ne prenant aucune mesure efficace pour empêcher leur exclusion de la CDU constitue une omission qui lui est imputable. Conformément à l’interprétation de l’article 25 du Pacte par le Comité, l’État partie était tenu de prendre des mesures concrètes pour assurer que la CDU respecte, dans sa gestion interne, le libre exercice par les auteurs de leurs droits au titre des dispositions applicables de l’article 25. De même, en vertu des articles 18, 19 et 22, l’État partie était tenu d’adopter des mesures concrètes et efficaces pour protéger les auteurs contre la discrimination pratiquée par des particuliers ou des organisations telles que la CDU soit en raison des liens étroits existant entre ces droits et le droit de participer à la direction des affaires publiques reconnu à l’article 25, ou eu égard à l’applicabilité générale du principe de non‑discrimination énoncé au paragraphe 1 de l’article 2 et à l’article 26 du Pacte. Les auteurs concluent qu’en dépit de la large discrétion dont jouit l’État partie en ce qui concerne l’application de ces obligations, l’adoption d’une législation générale sous la forme d’une loi sur les partis politiques, qui n’a d’ailleurs pas permis d’interdire la discrimination fondée sur la religion ou la conviction, n’est pas suffisante pour que l’on puisse conclure que l’État partie a honoré ses obligations.

6.4En outre, les auteurs affirment que l’État partie a appuyé et encouragé l’adoption par la CDU de la résolution C 47 par de nombreuses déclarations et mesures qui dénoteraient un parti pris contre l’Église de scientologie, telle que la lettre du Ministre fédéral du travail appuyant l’exclusion du premier auteur de la CDU ou les déclarations et publications officielles fallacieuses concernant l’Église de scientologie.

6.5Selon les auteurs, l’examen quelque peu superficiel par les tribunaux allemands des décisions des instances d’arbitrage de la CDU n’a pas assuré le respect des droits garantis aux auteurs par le Pacte. Il est par exemple évident que même si la manifestation de la religion ou de la conviction et l’exercice du droit à la liberté d’expression peuvent être soumis à des restrictions, le droit «fondamental» d’avoir des convictions ou des opinions est protégé de manière inconditionnelle et ne peut être restreint. Dans la mesure où la CDU tout au long de la procédure interne n’a présenté aucune preuve attestant que les auteurs avaient fait des déclarations ou s’étaient livrés à des activités contraires à la loi ou aux normes de conduite du parti, les tribunaux allemands n’ont pas appliqué ce principe, engageant ainsi la responsabilité de l’État partie (tous organes confondus, y compris le judiciaire) au titre du Pacte.

6.6Les auteurs soulignent la nécessité de distinguer la décision prise dans leur cas du jugement de la Commission européenne des droits de l’homme dans l’affaire Église de scientologie c. Allemagne (requête no 34614/97), dans laquelle le requérant n’avait pas épuisé les recours internes et n’avait pas démontré qu’il avait reçu des instructions précises des membres de l’Église pour agir en leur nom. Tout en admettant que la Commission avait conclu qu’elle ne pouvait connaître de plaintes concernant des violations commises par des personnes privées, y compris des partis politiques, ils font remarquer que la requête ne portait sur aucune décision rendue dans le cadre d’une procédure interne et que certains droits, notamment le droit de prendre part à la conduite des affaires publiques, n’étaient pas protégés par la Convention européenne des droits de l’homme.

6.7Les auteurs rejettent l’argument de l’État partie qui affirme qu’ils pourraient fonder un nouveau parti, déclarant que dans la plupart des affaires de discrimination une solution similaire pouvait être proposée par l’État, par exemple la création d’une entreprise dans le cas d’une personne licenciée ou d’une école privée en cas de non‑admission dans un établissement scolaire par suite d’une discrimination fondée sur des motifs proscrits. Cela dit, ce que cherchent les auteurs ce n’est pas de s’engager dans un autre parti qui représenterait leurs convictions personnelles et − soit dit en passant − apolitiques mais d’exercer le droit d’être membre du parti politique de leur choix sur un pied d’égalité avec les autres citoyens allemands.

6.8Enfin, les auteurs rappellent que selon le Comité, l’article 18 du Pacte est aussi applicable aux groupes religieux nouvellement créés et aux religions minoritaires qui pourraient être soumis à l’hostilité d’une communauté religieuse prédominante. De plus, la Commission européenne des droits de l’homme a reconnu l’Église de scientologie en tant que communauté religieuse habilitée à formuler des plaintes au titre du paragraphe 1 de l’article 9 de la Convention européenne, en sa propre capacité et en tant que représentante de ses membres. En outre, la scientologie a été officiellement reconnue en tant que religion dans plusieurs pays et en tant que communauté religieuse ou philosophique dans de nombreuses décisions judiciaires et administratives, y compris des arrêts de tribunaux allemands. De même, le Tribunal constitutionnel fédéral a statué que l’exclusion des auteurs de la CDU était compatible avec le paragraphe 1 de l’article 4 de la Loi fondamentale: «il est supposé, en faveur des plaignants, que l’Église de scientologie est, en tout état de cause, une communauté philosophique (Weltanschauungsgemeinschaft) […]».

7.Le 15 mars 2004, le conseil a informé le Comité que le premier auteur, M. Paul Arenz, était décédé le 11 février 2004. Il avait toutefois exprimé la volonté que la communication soit maintenue en son nom après sa mort. Le conseil joint un document signé par les héritiers l’autorisant «à continuer de représenter auprès du Comité des droits de l’homme des Nations Unies, saisi de la communication, notre époux et père décédé, Paul Arenz, avec notre consentement éclairé». Outre la volonté exprimée du défunt, les héritiers déclarent qu’ils veulent obtenir la réhabilitation et une juste satisfaction car la famille tout entière a eu à pâtir du climat de suspicion et d’intolérance qui régnait dans la population de leur village à la suite de l’exclusion des rangs de la CDU du premier auteur. Se référant aux constatations du Comité dans l’affaire Henry et Douglas c. Jamaïque, le conseil fait valoir que le premier mandat général qu’il avait reçu pour agir au nom du premier auteur lui donne qualité pour continuer à le représenter dans la procédure en cours.

Délibérations du Comité

8.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité prend note des allégations des auteurs et du fait que l’État partie a contesté la recevabilité de la communication, affirmant que les faits dont se plaignent les auteurs résultaient de l’adoption par le Congrès national de la CDU de la résolution C 47, le 17 décembre 1991, avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’Allemagne, le 25 novembre 1993, et que par conséquent le Comité n’était pas compétent pour examiner la communication du fait de la réserve formulée par l’Allemagne au sujet du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.3Le Comité constate que les auteurs n’ont pas été personnellement et directement touchés par la résolution C 47 jusqu’à ce que celle‑ci leur soit appliquée individuellement par le biais de la décision de les exclure du parti prise en 1994. Selon le Comité, les violations dont font état les auteurs n’ont pas leur origine dans une résolution, par laquelle il a été proclamé d’une manière générale que le statut de membre de la CDU était incompatible avec une affiliation à l’Église de scientologie, mais dans les actes concrets qui auraient porté atteinte aux droits des auteurs garantis par le Pacte. Le Comité conclut par conséquent que la réserve de l’État partie n’est pas applicable en l’espèce, dans la mesure où les violations présumées trouvent leur origine dans des faits intervenus avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’Allemagne.

8.4Le Comité note que les héritiers de M. Arenz ont réaffirmé qu’ils souhaitaient obtenir la réhabilitation et une satisfaction juste pour le premier auteur défunt autant que pour eux‑mêmes et conclut qu’ils ont qualité, au titre de l’article premier du Protocole facultatif, pour maintenir la communication au nom du premier auteur.

8.5Pour ce qui est de l’argument de l’État partie, selon lequel il ne saurait être tenu responsable de l’exclusion des auteurs de la CDU, dès lors que la décision a été prise non pas par un de ses organes mais par un organisme privé, le Comité rappelle qu’en vertu du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, les États parties sont tenus non seulement de respecter mais de garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence tous les droits reconnus dans le Pacte, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. Si, comme dans l’affaire à l’examen, une loi régit les partis politiques, ses dispositions doivent être appliquées sans réserve. Les États parties sont donc en outre tenus de protéger la pratique de toutes les religions ou croyances contre toute atteinte et de faire en sorte que, dans le cadre de leur gestion interne, les partis politiques respectent les dispositions applicables de l’article 25 du Pacte.

8.6Le Comité relève que, bien que les auteurs aient évoqué en passant les difficultés que leur a values d’une façon générale leur appartenance à l’Église de scientologie et l’obligation qu’a l’État partie de garantir l’exercice des droits consacrés dans le Pacte, leur plainte concrète porte uniquement sur leur exclusion de la CDU, grief pour lequel ils ont épuisé les recours internes disponibles, au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Le Comité n’a donc pas à examiner la question plus large des mesures d’ordre législatif ou administratif qu’un État partie doit prendre pour permettre à tous ses citoyens d’exercer effectivement le droit de participer à la vie politique prévu à l’article 25 du Pacte. Le Comité doit déterminer si l’État partie a commis une violation des droits des auteurs tels qu’ils sont garantis par le Pacte du fait de la priorité accordée par ses tribunaux au principe de l’autonomie des partis par rapport au souhait des auteurs d’être membres d’un parti politique qui ne les accepte pas en raison de leur appartenance à une autre organisation idéologique. Le Comité rappelle sa jurisprudence constante et réaffirme qu’il n’est pas une quatrième instance compétente pour réexaminer les conclusions de fait ou l’application de la législation nationale, sauf s’il peut être établi que les procédures suivies par les juridictions nationales ont été arbitraires ou ont représenté un déni de justice. Le Comité considère que les auteurs n’ont pas montré, aux fins de la recevabilité, que la façon dont les tribunaux de l’État partie ont statué était entachée d’arbitraire ou représentait un déni de justice. La communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

9.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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