NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/95/D/1553/200724 avril 2009

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre-vingt-quinzième session16 mars‑3 avril 2009

CONSTATATIONS

Communication n o  1553/2007

Présentée par:

Viktor Korneenko (non représenté par un conseil)

Au nom de:

Viktor Korneenko et Aleksiandar Milinkevich

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

21 août 2006 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 4 avril 2007 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

20 mars 2009

Objet: Confiscation de matériel électoral peu avant le jour du scrutin; droit de diffuser des informations sans restrictions injustifiées; procès équitable; droit d’être élu; discrimination fondée sur des motifs politiques

Questions de fond: Liberté d’expression; procès équitable; tribunal indépendant; discrimination; droit d’être élu et de prendre part à la direction des affaires publiques

Question s de procédure: Justification des allégations

Article s du Pacte: 14 (par. 1), 19, 25 et 26

Article du Protocole facultatif: 2

Le 20 mars 2009, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci‑après en tant que constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, en ce qui concerne la communication no 1553/2007.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L ’ HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L ’ ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑quinzième session

concernant la

Communication n o 1553/2007**

Présentée par:

Viktor Korneenko (non représenté par un conseil)

Au nom de:

Viktor Korneenko et Aleksiandar Milinkevich

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

21 août 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 20 mars 2009,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1553/2007, présentée au nom de MM. Viktor Korneenko et Aleksiandar Milinkevich en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l ’ article 5 du Protocole facultatif

1.Les auteurs de la communication sont M. Viktor Korneenko, de nationalité bélarussienne, né en 1957, et M. Aleksiandar Milinkevich, également de nationalité bélarussienne, né en 1947. M. Korneenko affirme être victime de violation par le Bélarus de ses droits au titre de l’article 19, du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. M. Milinkevich affirme être victime de violation par le Bélarus de ses droits au titre de l’article 19, de l’article 25 et de l’article 26 du Pacte. Les auteurs ne sont pas représentés par un conseil.

Les faits tels que présentés par les auteur s

2.1M. Korneenko faisait partie de l’équipe de campagne de M. Milinkevich, candidat aux élections présidentielles du printemps 2006. Le 6 mars 2006, deux semaines avant le scrutin, M. Milinkevich lui a demandé de transporter en voiture de Minsk à Gomel 28 000 affiches et tracts électoraux, qui comprenaient 13 000 affiches représentant le candidat et portant le slogan «Milinkevich − le nouveau Président» et 15 000 brochures de deux pages présentant son programme électoral. M. Korneenko affirme qu’il avait des copies de tous les documents nécessaires pour la production et le transport de ce matériel électoral. La police routière l’a arrêté, a fouillé sa voiture et a saisi les brochures. Selon lui, le procès‑verbal de la fouille ne mentionnait aucun motif de saisie et indiquait seulement que la voiture contenait du matériel électoral.

2.2M. Korneenko s’est plaint auprès de plusieurs institutions (les dates exactes ne sont pas indiquées) telles que la Commission électorale centrale, la Commission électorale régionale de Gomel, le Bureau du Procureur général et le Bureau du Procureur de Gomel, en demandant la restitution des brochures. Le 11 mars 2006, la Commission électorale centrale l’a informé qu’elle n’était pas compétente pour se prononcer au sujet d’actes commis par la police et qu’elle avait transmis son dossier au Bureau du Procureur général. Le 14 mars 2006, M. Korneenko a reçu une réponse analogue de la Commission électorale régionale de Gomel. Le 14 mars 2006 également, il a été informé par le Bureau du Procureur régional de Gomel que sa requête avait été transmise au Bureau du Procureur du district de Zhlobinsk. Le 16 mars 2006, le Bureau du Procureur général l’a informé qu’il avait transmis son dossier au Bureau du Procureur régional de Grodno. Le même jour, le Bureau du Procureur du district de Zhlobinsk l’a informé que la saisie des tracts en question était autorisée par la loi et qu’elle avait été nécessaire pour vérifier leur légalité et le nombre de copies produites, parce qu’il n’avait pas présenté les originaux des documents requis pour établir que les tracts étaient conformes à la loi. M. Korneenko affirme avoir présenté des photocopies de ces documents à la police. Selon lui, si les policiers avaient eu des doutes quant à la légalité des brochures, ils auraient dû saisir un exemplaire de chaque document afin de procéder aux vérifications nécessaires, mais pas la totalité du matériel. Il ajoute que les brochures saisies représentaient un quart de l’ensemble du matériel électoral imprimé de M. Milinkevich.

2.3Le 21 mars 2006, en son absence, le tribunal du district de Zhlobinsk (région de Gomel) a conclu qu’en transportant des tracts contenant des informations portant à croire que M. Milinkevich était le nouveau Président, M. Korneenko avait enfreint les dispositions de l’article 167‑3 du Code des infractions administratives. Selon le tribunal, la culpabilité de M. Korneenko était établie par le matériel saisi, les dépositions de plusieurs témoins, le procès‑verbal de la fouille de sa voiture, le rapport de police et d’autres éléments. M. Korneenko a été condamné à une amende de 155 000 roubles bélarussiens. Le tribunal a également ordonné la destruction des brochures.

2.4Le 28 avril 2006, le tribunal du district de Zhlobinsk (région de Gomel) a réexaminé l’affaire et confirmé la décision initiale, estimant que la sanction prononcée était proportionnée à l’infraction commise. M. Korneenko a alors demandé au Président du tribunal régional de Gomel que la décision du tribunal du district de Zhlobinsk soit réexaminée au titre de la procédure de contrôle. Le 29 mai 2006, le Président du tribunal régional de Gomel a rejeté sa requête au motif que la décision en question était légale. M. Korneenko a ensuite saisi le Président de la Cour suprême, également au titre d’une procédure de contrôle. Le 24 juillet 2006, la Cour suprême a confirmé la légalité de la décision visée et a rejeté sa requête. M. Korneenko fait valoir que les tribunaux n’ont pas précisé quelle était la base juridique de la saisie et de la destruction des 15 000 brochures, qui ne contenaient pas le slogan «Milinkevich − le nouveau Président» mais uniquement le programme électoral du candidat.

2.5Plus tard, M. Korneenko a demandé à la Commission électorale centrale d’expliquer ce que le matériel de campagne électorale ne devait pas comporter. Le 14 avril 2006, la Commission a répondu que le matériel de la campagne présidentielle ne devait pas contenir d’appels à la guerre, à changer par la force l’ordre constitutionnel ou à porter atteinte à l’intégrité territoriale de l’État, ni d’appels à la haine fondée sur le nationalisme, la race, la religion ou la position sociale, ni d’insultes ou de diffamations visant des agents publics et des candidats à la présidence.

2.6Selon M. Korneenko, l’article 167‑3 du Code des infractions administratives doit être lu conjointement avec l’article 49 du Code électoral, selon lequel la Commission électorale peut invalider la candidature d’un candidat qui abuse de ses droits au cours d’une campagne électorale. À son avis, le Code électoral ne prévoit aucune autre sanction pour ce type d’infraction et les tribunaux n’avaient donc pas le droit de lui infliger une amende. Il affirme que la saisie et la destruction des brochures officielles pendant la campagne électorale constituaient une tentative, de la part d’agents de l’État, partisans du régime en place, de faire obstacle à la campagne de M. Milinkevich.

Teneur de la plainte

3.1M. Korneenko affirme qu’en lui infligeant une amende à cause de la teneur des brochures de campagne de M. Milinkevich, l’État partie a porté atteinte à ses droits et à ceux de M. Milinkevich en vertu du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. À son avis, les tribunaux n’ont pas fait preuve d’impartialité également parce que cette amende lui a été infligée au motif qu’il avait transporté des tracts dont le contenu était prétendument contraire à la législation électorale, alors que 13 000 brochures seulement sur 28 000 contenaient le slogan incriminé.

3.2Dans ce contexte, M. Korneenko affirme que l’État partie l’a placé, ainsi que M. Milinkevich, dans une situation d’inégalité devant la loi en raison de leurs opinions politiques, et n’a pas garanti leur droit à l’égalité devant la loi, en violation de l’article 26 du Pacte.

3.3Il fait valoir en outre que la saisie arbitraire d’un quart du matériel de campagne de M. Milinkevich constitue une violation de ses droits et de ceux de M. Milinkevich en vertu du paragraphe 2 de l’article 19, en particulier de leur droit de diffuser des informations, et que l’État partie n’a pas démontré la nécessité des restrictions apportées à leurs droits.

3.4L’auteur affirme que M. Milinkevich est victime d’une violation de l’article 25 du Pacte parce que la saisie et la destruction des brochures par les autorités de l’État partie, qui selon lui seraient sous le contrôle du Président de l’État partie, visaient à faire obstacle à la campagne électorale du candidat de l’opposition et à lui dénier son droit d’être élu et de prendre part à la direction des affaires publiques.

Observations de l ’ État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Par une note verbale en date du 7 juin 2007, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et le fond. Il confirme que M. Korneenko a été enregistré par la Commission électorale centrale en tant que représentant officiel du candidat M. Milinkevich, dans le cadre de l’élection présidentielle de 2006. Le 10 mars 2006, M. Korneenko a saisi la Commission électorale centrale parce que des agents du Département des affaires intérieures du district de Zhlobinsk avaient confisqué du matériel électoral qui se trouvait dans sa voiture. Un autre représentant de M. Milinkevich, M. Labkovich, avait également porté plainte auprès de la Commission à ce sujet. Dans leurs requêtes, MM. Korneenko et Labkovich avaient demandé à la Commission électorale d’exiger du Département des affaires intérieures du district de Zhlobinsk qu’il restitue les tracts et de prier le Bureau du Procureur général d’engager des poursuites pénales contre les policiers impliqués.

4.2Selon l’État partie, MM. Korneenko et Labkovich ont tous deux été informés par la Commission électorale centrale que celle‑ci n’était pas compétente pour évaluer la légalité des actes de la police. Conformément à la loi, leurs requêtes ont été transmises au Bureau du Procureur général.

4.3Le 28 avril 2006, le tribunal du district de Zhlobinsk (région de Gomel) a infligé une amende à M. Korneenko, conformément à l’article 167‑3 du Code relatif aux infractions administratives, pour infraction à la législation électorale, après l’avoir jugé coupable d’avoir transporté, aux fins de leur distribution, 28 000 brochures non conformes aux dispositions de l’article 45 du Code électoral. M. Korneenko a fait appel de cette décision, que la Cour suprême du Bélarus a donc examinée et confirmée en juillet 2006.

4.4Selon l’État partie, la décision du tribunal de première instance de faire détruire les brochures qui constituaient l’objet de l’infraction était fondée. Rien ne fait apparaître une quelconque violation des droits de M. Korneenko et rien n’indique non plus qu’il a été victime de discrimination ni qu’il a été reconnu coupable pour des motifs politiques. À l’appui de cette affirmation, l’État partie explique que conformément à l’article 45 (partie 8) du Code électoral, chaque candidat à l’élection présidentielle reçoit une subvention de 66 700 000 roubles provenant du budget de l’État pour préparer son matériel de campagne. La Commission électorale centrale a donc versé cette somme à la personne chargée de produire le matériel de campagne de M. Milinkevich.

4.5La Constitution du Bélarus garantit l’indépendance des juges dans l’exercice de leurs fonctions ainsi que leur irrévocabilité et leur immunité et interdit toute ingérence dans l’administration de la justice. La loi du 13 janvier 1995 relative aux tribunaux et au statut des juges ainsi que le Code de 2006 sur le système judiciaire et le statut des juges prévoient tous deux les garanties juridiques nécessaires à l’administration d’une justice indépendante. Conformément à l’article 110 de la Constitution, les juges sont indépendants et ne sont soumis qu’à la loi; toute ingérence dans l’administration de la justice est inacceptable et passible d’une sanction.

4.6Selon l’État partie, les élections présidentielles de 2006 ont été conformes aux critères régissant la conduite d’élections démocratiques. Elles se sont tenues dans les délais prévus, c’est‑à‑dire que leur périodicité a été respectée, et au suffrage universel. Le droit à l’égalité électorale a été respecté. Le scrutin était secret et les bulletins de vote ont été comptés par les membres des commissions électorales. Toutes les personnes qui ont présenté le nombre requis de signatures de soutien ont été enregistrées comme candidats. Tous les candidats ont bénéficié d’un accès égal aux médias publics et ont eu le droit de faire publier gratuitement leur circulaire de campagne dans les sept grands journaux nationaux.

Commentaires de s auteur s sur les observations de l ’ État partie

5.1Par lettre du 20 novembre 2007, M. Korneenko a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il note que l’État partie justifie la restriction de son droit à la liberté d’expression en invoquant les dispositions de l’article 45 du Code électoral. Selon lui, la conclusion de l’État partieest sans fondement. L’article 33 de la Constitution bélarussienne garantit à chacun la liberté de ses opinions et de ses convictions et leur libre expression. La restriction de ces droits n’est permise que dans des cas prévus expressément par la loi, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la protection de la moralité et de la santé de la population ou des droits et libertés d’autrui (art. 23 de la Constitution). De même, les droits consacrés par l’article 19 du Pacte ne peuvent être soumis à certaines restrictions que si celles‑ci sont expressément fixées par la loi et sont nécessaires pour garantir le respect des droits ou de la réputation d’autrui, ou pour sauvegarder la sécurité nationale, l’ordre public ou la santé ou la moralité publiques.

5.2M. Korneenko fait valoir que l’État partie a affirmé que les 28 000 brochures de la campagne électorale de M. Milinkevich n’étaient pas conformes aux dispositions de l’article 45 du Code électoral, sans cependant préciser quelle infraction spécifique avait été commise. Il conclut que l’État partie a enfreint les dispositions des articles 23 et 33 de la Constitution du Bélarus ainsi que du paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte. Même en admettant que les brochures de campagne ne correspondaient pas aux exigences légales, l’État partie aurait dû indiquer les raisons pour lesquelles la saisie puis la destruction du matériel en question avaient été nécessaires pour restreindre le droit des auteurs à la liberté d’expression.

5.3M. Korneenko conteste les arguments de l’État partie pour qui rien ne montre qu’il a été victime de discrimination pour des motifs politiques. Il affirme que la destruction d’un quart du matériel de campagne électorale, peu avant le jour du scrutin, prouve qu’il a été, ainsi que M. Milinkevich, victime de discrimination de la part des autorités, car cette mesure n’était pas fondée sur des critères raisonnables et objectifs.

5.4Il affirme que l’impartialité des tribunaux suppose que les juges ne préjugent pas d’une affaire et n’agissent pas dans l’intérêt de l’une des parties. Selon lui, le tribunal du district de Zhlobinsk (région de Gomel) a conclu que sa culpabilité était confirmée par le slogan figurant sur les affiches de campagne, à savoir «Milinkevich − le nouveau Président», mais il n’a pas donné d’explication au sujet du reste des tracts qui ne contenaient pas le membre de phrase incriminé. D’après M. Korneenko, cela montre que le tribunal a fait preuve de partialité parce qu’il a autorisé la destruction de 15 000 tracts qui avaient été élaborés conformément à la loi − ce faisant, il a agi dans l’intérêt des représentants du régime en place.

Observations complémentaires de l ’ État partie

6.Dans une note du 2 mai 2008, l’État partie a ajouté que le 5 avril 2006 la Cour suprême du Bélarus avait rejeté la requête de M. Milinkevich tendant à engager une procédure au sujet du refus de la Commission électorale centrale d’invalider l’élection présidentielle de 2006. M. Milinkevich a formé un recours contre la décision de la Cour suprême au titre de la procédure de contrôle. À une date non précisée, son recours a été rejeté par un vice‑président de la Cour suprême. L’État partie note que, conformément à l’article 6 de la loi sur la Commission électorale centrale, les décisions de la Commission peuvent faire l’objet d’un recours devant la Cour suprême du Bélarus dans les cas prévus par la loi. L’article 79 (partie 6) du Code électoral prévoit seulement la possibilité, pour un candidat à la présidence, de se pourvoir contre la décision de la Commission électorale centrale de déclarer les élections invalides. Par conséquent, selon l’État partie, la Cour suprême a légalement rejeté la requête de M. Milinkevich tendant à engager une procédure parce qu’elle n’était pas compétente pour agir.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité note, comme l’exigent les dispositions contenues dans les paragraphes 2 a) et 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’est pas actuellement en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et qu’il n’est pas contesté que les recours internes ont été épuisés.

7.3Le Comité relève tout d’abord le grief de M. Korneenko au titre de l’article 14 du Pacte selon lequel les tribunaux auraient fait preuve de partialité en l’espèce en ce qu’ils ont ordonné la destruction de la totalité des brochures saisies. En l’absence de toute autre information pertinente, le Comité considère néanmoins que M. Korneenko n’a pas suffisamment étayé sa plainte aux fins de la recevabilité. En conséquence, il conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.4Le Comité considère que les autres griefs des auteurs, qui soulèvent des questions au regard de l’article 19 et de l’article 25 lu conjointement avec l’article 26 du Pacte, sont suffisamment étayés, et il les déclare recevables.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties.

8.2Le Comité note l’argument des auteurs qui affirment qu’en saisissant et en détruisant sans justification, peu avant le jour du scrutin, un quart du matériel de campagne de M. Milinkevich, l’État partie n’a pas respecté le droit de M. Korneenko et de M Milinkevich à la liberté d’expression, consacré à l’article 19 du Pacte. Il note qu’en réponse, l’État partie a renvoyé aux décisions des juridictions internes qui ont conclu que la saisie avait été effectuée conformément à la loi et que M. Korneenko avait été condamné à une amende parce qu’il avait transporté, dans l’intention de les diffuser, des tracts dont le contenu était contraire aux dispositions du Code électoral.

8.3Le Comité rappelle tout d’abord que le droit à la liberté d’expression n’est pas absolu et que son exercice peut faire l’objet de restrictions. Cependant, en vertu du paragraphe 3 de l’article 19, ne sont autorisées que les restrictions expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui; b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Le Comité rappelle à ce sujet que le droit à la liberté d’expression a une importance fondamentale dans toute société démocratique et que toute restriction imposée à l’exercice de ce droit doit être justifiée en fonction de critères très stricts. L’État partie n’a présenté aucune explication quant aux raisons pour lesquelles la restriction imposée au droit de M. Korneenko et de M. Milinkevich de diffuser des informations était justifiée en vertu du paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte, et s’est contenté d’affirmer que la saisie et la destruction des brochures étaient légales. Dans ces conditions, et en l’absence d’autre information à ce sujet, le Comité conclut que les droits de M. Korneenko et de M. Milinkevich en vertu du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte n’ont pas été respectés.

8.4En outre, M. Korneenko a fait valoir qu’en conséquence de la destruction des brochures, les droits de M. Milinkevich en vertu de l’article 25 ont également été violés. L’État partie n’a pas réfuté ce grief. Le Comité rappelle que, dans son Observation générale sur l’article 25, il a noté que pour assurer le plein exercice des droits garantis à l’article 25, la communication libre des informations et des idées concernant des questions publiques et politiques entre les citoyens est essentielle; il faut que les droits garantis notamment à l’article 19 du Pacte soient pleinement respectés, notamment la liberté de publier des textes politiques, de mener campagne en vue d’une élection et de diffuser des idées politiques. En l’absence d’autre information utile de l’État partie dans ce contexte, le Comité conclut qu’en l’espèce la violation des droits de M. Milinkevich en vertu de l’article 19 a également entraîné une violation de ses droits en vertu de l’article 25 lu conjointement avec l’article 26 du Pacte.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits de M. Korneenko au titre de l’article 19, paragraphe 2, du Pacte, et des droits de M. Milinkevich au titre de l’article 19, paragraphe 2, et de l’article 25 lu conjointement avec l’article 26 du Pacte.

10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie a l’obligation d’offrir à M. Korneenko et à M. Milinkevich un recours utile, sous la forme d’une indemnisation (d’un montant au moins égal à la valeur actuelle de l’amende et des frais de justice encourus par l’auteur dans le cas de M. Korneenko). L’État partie est en outre tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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