Nations Unies

CERD/C/86/D/51/2012

Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr. générale

12 juin 2015

Français

Original : anglais

Comité pour l’élimination de la discrimination raciale

Communication no 51/2012

Opinion adoptée par le Comité à sa quatre-vingt-sixième session

P résentée par :

L. G. (représentée par un conseil, Benjamin K. Wagner)

Au nom de :

La requérante

État partie :

République de Corée

Date de la communication :

12 décembre 2012 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

1er mai 2015

Objet :

Tests obligatoires de dépistage du VIH/sida et de drogues auxquels les enseignants d’anglais étrangers doivent se soumettre

Questions de procédure :

Questions de fond :

Droit au travail, droit à la santé publique, accès à un recours utile et obligation de l’État partie d’agir contre la discrimination raciale

Article(s) de la Convention :

2, 5 et 6

Annexe

Opinion du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale au titre de l’article 14 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (quatre-vingt-sixième session)

concernant la

Communication no51/2012 *

P résentée par :

L. G. (représentée par un conseil, Benjamin K. Wagner)

Au nom de :

La requérante

État partie :

République de Corée

Date de la communication :

12 décembre 2012 (date de la lettre initiale)

Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, créé en vertu de l’article 8 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,

Réuni le 1er mai 2015,

Ayant achevé l’examen de la communication no 51/2012 présentée au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale par L. G. en vertu de l’article 14 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par la requérante de la communication, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Opinion

1.La requérante est L. G. De nationalité néo-zélandaise, elle réside actuellement aux États-Unis d’Amérique. Elle affirme être victime d’une violation par la République de Corée des droits qu’elle tient du paragraphe 1 c) et d) de l’article 2 et des articles 5 et 6 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Elle est représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par la requérante

2.1En 2008-2009, la requérante était employée comme professeur de langue maternelle anglaise par le Bureau de l’éducation de la ville d’Ulsan pour enseigner à l’école élémentaire de Yaksu, en République de Corée. Elle avait un contrat d’un an avec le Bureau, allant du 1er septembre 2008 au 31 août 2009. Elle détenait un visa E-2, visa de travail spécifique pour les « instructeurs de langue maternelle étrangère », à savoir des étrangers qui aident les enseignants coréens dans les cours de langues.

2.2La requérante est arrivée en République de Corée le 27 août 2008. Après avoir signé un contrat de travail le 1er septembre2008, elle a été informée par le Bureau que depuis 2007, les titulaires de visa E‑2 devaient se soumettre à des tests médicaux de dépistage du VIH/sida et de drogues dans l’un des hôpitaux désignés par les pouvoirs publics avant de pouvoir s’enregistrer comme résidents étrangers. Cette obligation ne concerne pas tous les étrangers venant en République de Corée pour y travailler, mais seulement ceux qui reçoivent un visa E‑2, E‑6 (emploi dans le secteur artistique et récréatif), E‑9 (emploi non professionnel) ou H‑2 (visite pour raisons professionnelles). Les examens médicaux ont été institués à l’origine en vertu d’un mémorandum de politique générale aux fins de l’enregistrement des étrangers et non comme une condition d’entrée sur le territoire. Toutefois, la plupart des bureaux de l’éducation des provinces et des grandes villes de République de Corée exigent des professeurs de langue maternelle étrangère qu’ils se soumettent chaque année à ces tests pour pouvoir faire renouveler leurs contrats. Aucun test médical annuel n’est exigé des enseignants de souche coréenne, pas plus que des enseignants de langue qui sont d’origine coréenne (venant principalement des États-Unis d’Amérique et du Canada),qui sont considérés comme des « Coréens de l’étranger » et bénéficient à ce titre d’un visa F‑4.

2.3Selon la requérante, l’obligation de se soumettre à des tests de dépistage du VIH/sida et de consommation de drogues vise en réalité les enseignants d’anglais étrangers (qui représentent 95 % des personnes subissant les tests en application de la disposition susmentionnée) parce qu’ils sont massivement l’objet de stigmatisation et de stéréotypes négatifs de la part des fonctionnaires, des médias et de certaines organisations de la société civile en République Corée : ils sont souvent décrits comme des professeurs incompétents à la morale douteuse, enclins à des comportements indécents voire criminels et vecteurs d’une culture dégénérée. La requérante rappelle que cette hostilité à l’égard des enseignants d’anglais a abouti à la création sur Internet, en 2005, d’un groupe anti-anglais, l’« Anti‑English Spectrum », qui décrit les enseignants d’anglais étrangers comme des « coureurs de jupon », « des violeurs », « des agresseurs d’enfants » et des « porteurs du VIH/sida » qui « transmettent volontairement le virus ». Outre la publication de messages incendiaires à l’égard des enseignants d’anglais étrangers sur son site Web, ce groupe mène aussi des « enquêtes » sur les enseignants d’anglais de souche non coréenne, qui consistent à les suivre à la trace pendant des mois et à publier leurs photos en ligne. Depuis 2006, ce groupe fait campagne auprès des pouvoirs publics pour que les enseignants d’anglais étrangers aient l’obligation de se soumettre à des tests obligatoires de dépistage du VIH. Son discours diffamatoire n’a jamais été contré par les autorités de la République de Corée. Au contraire, certains clichés diffamatoires ont même été repris par les autorités et réaffirmés dans plusieurs déclarations par des fonctionnaires.

2.4La requérante indique que la politique de dépistage a été adoptée en 2007 après que le Gouvernement coréen a annoncé des mesures contre les titulaires de visaE‑2, dix jours après l’arrestation très médiatisée en Thaïlande d’un pédophile canadien qui avait enseigné auparavant l’anglais en République de Corée. Ces examens médicaux visaient officiellement à protéger les enfants et les jeunes et à rassurer les citoyens après ces événements. La requérante constate que l’enseignant canadien d’anglais arrêté en Thaïlande travaillait en République de Corée avec un visa E‑7 (« activités spéciales »), n’avait pas le VIH/sida, ne semblait pas avoir consommé de la drogue et n’avait aucun antécédent judiciaire avant son arrestation. Elle fait en outre observer que le responsable de l’« Anti-English Spectrum » avait été invité par le Gouvernement à participer en tant qu’expert à des consultations qui ont abouti à l’adoption de la politique de dépistage obligatoire pour les enseignants étrangers de langue.

2.5Le 2 septembre 2008, la requérante a passé les tests obligatoires de dépistage du VIH/sida et de drogues. Le 4 septembre 2008, les résultats, qui étaient négatifs, ont été remis par le personnel de l’hôpital au collègue coréen de la requérante qui faisait office d’interprète qui l’en a informée. La requérante savait qu’elle avait été dépistée pour le VIH/sida et des drogues illégales (amphétamines et opiacés). Toutefois, en avril 2010, pendant la procédure d’arbitrage, elle a découvert qu’elle avait aussi été testée, à son insu et sans son contentement, pour des cannabinoïdes et la syphilis.

2.6La direction de l’école était satisfaite du comportement professionnel de la requérante. En avril 2009, la requérante a été invitée par le Bureau de l’éducation de la ville d’Ulsan à prolonger son séjour d’un an. On lui a remis un exemplaire de son contrat de travail pour 2009-2010 et elle a accepté oralement de rester selon les mêmes conditions de travail. Le 14 mai 2009, la requérante a été informée par son coenseignant coréen qu’elle devait passer un nouveau test de dépistage du VIH/sida et de drogues si elle voulait faire renouveler son contrat. La requérante fait observer que son contrat de travail pour 2009-2010, qu’elle avait examiné, ne faisait aucune mention de dépistage du VIH/sida et de drogues comme condition d’accès à l’emploi. Le 19 mai 2009, le Bureau a procédé à une inspection du travail de la requérante en classe et son comportement professionnel a été une nouvelle fois jugé satisfaisant.

2.7Le 25 mai2009, la requérante a adressé une lettre au Bureau de l’éducation de la ville d’Ulsan, expliquant que, par principe, elle refusait de se soumettre une fois de plus aux tests de dépistage qui constituaient une discrimination et une atteinte à sa dignité. Elle a ajouté qu’elle était disposée à passer les mêmes examens médicaux que ses collègues coréens mais qu’elle ne se soumettrait pas aux tests de dépistage uniquement exigés pour les étrangers. Elle a fait observer que ces tests s’inscrivaient dans le cadre d’une politique gouvernementale et n’étaient même pas prescrits par la loi, et qu’ils contribuaient à favoriser des idées xénophobes selon lesquelles les « étrangers se droguent », « ont des maladies » et « sont des délinquants sexuels ».

2.8Le 26 mai 2009, la requérante a reçu une réponse d’un représentant du Ministère de l’éducation indiquant que le statut et la procédure d’embauche pour les enseignants de République de Corée et les enseignants étrangers temporaires étaient différents, et que c’était au Ministère de décider quels procédures et examens médicaux devaient être exigés pour l’embauche de professeurs de langue maternelle étrangère. Dans cette lettre, il était aussi indiqué que les différents traitements prévus ne revêtaient aucun caractère discriminatoire et que les tests de dépistage étaient nécessaires pour identifier les étrangers qui se droguaient et avaient le VIH/sida, et ne remplissaient donc pas les conditions pour être enseignants. En outre, ces tests étaient conformes aux conditions d’emploi, selon lesquelles les contrats pouvaient être renouvelés après accord mutuel écrit entre l’employeur et l’employé. La conclusion de la lettre était que la requérante était libre de ne pas vouloir se soumettre aux tests de dépistage mais que, dans ce cas-là, le Bureau ne pouvait accepter de renouveler son contrat.

2.9Le 8 juillet 2009, la requérante a porté plainte devant la Commission nationale coréenne des droits de l’homme. Dans sa plainte, elle demandait à la Commission de déterminer si la politique du Bureau consistant à obliger les enseignants de langue étrangers à passer des tests de dépistage était conforme à la loi relative à la Commission nationale des droits de l’homme. La requérante demandait à la Commission, au cas où elle estimerait que cette politique constituait une discrimination déraisonnable au regard de la loi, d’adresser une recommandation à ce sujet au Bureau.

2.10Le 9 juillet2009, la requérante a aussi demandéà la Commission coréenne d’arbitrage commercial d’engager une médiation entre elle-même et le Bureau, étant donné qu’une telle procédure était prévue dans son contrat d’emploi 2008-2009 aux fins du règlement de tout litige entre les parties. Le 24 août 2009, le Bureau a soumis une lettre dans le cadre de la procédure de médiation, dans laquelle il rejetait toute allégation de discrimination. Il indiquait notamment qu’« en République de Corée, le métier d’enseignant était considéré comme très respectable et digne, et les personnes qui exerçaient cette profession devaient donc faire preuve de conscience morale et d’humanité (sic) ». D’après le Bureau, si les enseignants coréens offraient de telles garanties en raison de leur formation et de leurs études universitaires, « dans le cas d’enseignants étrangers, il était extrêmement difficile de s’en tenir uniquement aux formulaires de candidature et à la traduction des diplômes, entre autres. En conséquence, [le Bureau] avait choisi de faire passer un examen, notamment un test de dépistage du VIH et de TBPE, afin de pouvoir juger de la conscience morale et du degré d’humanité des candidats ». Les auteurs de la lettre ajoutaient que « comme l’actualité l’avait souvent montré ces derniers temps, […] les enseignants étrangers en République deCorée commettaient de nombreuses infractions à la loi relative aux stupéfiants » et des tests de dépistage étaient donc nécessaires pour « sélectionner des enseignants sains de corps et d’esprit ». La procédure de médiation n’a rien donné. Le Bureau a refusé d’autoriser la requérante à continuer d’enseigner si elle ne passait pas les tests obligatoires. La requérante a donc quitté la République de Corée le 3 septembre 2009.

2.11Le 10 décembre 2009, la requérante, représentée par un conseil, a engagé une procédure d’arbitrage devant le Tribunal arbitral de la Commission coréenne d’arbitrage commercial. La requérante poursuivait le Bureau pour application injuste de dispositions contractuelles discriminatoires interdites par les lois du pays. Elle demandait en outre une indemnisation pour la rupture de son contrat de travail 2009-2010. À cet égard, elle faisait valoir que les deux parties étant parvenues à un accord oral mutuel sur le renouvellement de son contrat dans les mêmes conditions que le contrat de travail 2008-2009, le contrat 2009-2010 était déjà valide. Elle estimait donc que le Bureau avait rompu son contrat parce qu’elle refusait de se soumettre aux tests de dépistage dont il n’était fait aucune mention dans son contrat comme condition d’accès à l’emploi. La requérante faisait aussi valoir qu’elle avait été traumatisée d’apprendre que le Bureau lui avait fait passer un test de dépistage de la syphilis et de cannabinoïdes sans avoir obtenu son consentement préalable, lequel était pourtant requis par la loi. Elle faisait aussi observer que ces tests constituaient une atteinte à sa vie privée et constituaient une investigation illégale, voire criminelle. Les 15 et 30 avril 2010, Human Rights Watch et Amnesty International sont intervenues en faveur de la requérante en qualité d’amicus curiae dans la procédure d’arbitrage devant la Commission coréenne d’arbitrage commercial.

2.12Les 4 mars 2010, 16 avril 2010 et 24 juin 2010, le Bureau a présenté des mémoires en défense. Il expliquait notamment que l’opinion publique voulait que les enseignants étrangers soient dépistés pour toxicomanie parce que certains d’entre eux n’avaient pas les aptitudes requises et se livraient à des comportements illégaux. Il évoquait la spécificité culturelle du pays, qui exigeait de ses enseignants les plus hautes qualités morales, alors que la consommation de drogues était très répandue dans des pays comme le Canada, le Royaume-Uni et les États-Unis, d’où étaient originaires les professeurs d’anglais étrangers. Le Bureau jugeait donc nécessaire de s’assurer que les enseignants étrangers ne consommaient pas de drogues au moment de l’embauche et de vérifier à intervalles réguliers qu’ils n’en consommaient pas durant leur séjour en Corée. Le Bureau expliquait aussi que les tests de dépistage du VIH/sida avaient été jugés nécessaires compte tenu du faible taux d’infection en République de Corée et de la dangerosité du virus. S’agissant de la perte d’emploi, le Bureau contestait le fait qu’un contrat d’emploi avait été conclu entre les parties pour 2009-2010 avant que la requérante ne se soumette aux tests de dépistage. Selon le Bureau, il ne pouvait y avoir accord mutuel qu’après obtention de résultats satisfaisants à l’issue des tests de dépistage pratiqués sur la requérante, l’une des diverses étapes administratives nécessaires pour le renouvellement de contrat d’un instructeur de langue maternelle étrangère.

2.13La requérante a soumis à la Commission nationale des droits de l’homme un exemplaire de la lettre envoyée par le Bureau dans le cadre de la procédure de médiation, afin de prouver que la politique de ce dernier n’était pas raisonnable et que le traitement différencié des enseignants étrangers n’avait aucun fondement objectif. Le 5 avril 2010, avec six mois de retard, la Commission a rejeté la plainte de la requérante. Bien qu’il lui ait été d’abord promis que sa plainte ferait l’objet d’une enquête complète, la Commission l’a finalement informée de ce qui suit : « après examen attentif de la plainte de Mme L. G., la Commission ne juge pas judicieux d’enquêter à titre individuel sur le grief relatif aux examens médicaux, notamment aux tests de dépistage du VIH. En conséquence, la Commission décide de clore l’affaire…. Toutefois, la Commission décide de transmettre la plainte à la police et au Bureau de l’éducation aux fins d’étudier les diverses possibilités de réexamen de la politique telles que l’organisation de consultations avec les autorités compétentes, la présentation d’opinions aux institutions académiques, etc. ».

2.14Le 30 juin 2011, l’arbitre de la Commission d’arbitrage commercial a rejeté la requête de la requérante au motif qu’elle était « sans fondement ». Dans sa décision, l’arbitre a fait valoir que « l’insistance » de la requérante à être traitée de la même façon que les enseignants de souche coréenne était injustifiable car les deux catégories d’enseignants n’avaient pas le même statut juridique et pouvaient donc être évaluées selon des critères différents. Il a aussi fait valoir que la requérante n’avait fourni aucune preuve concluante pour démontrer que les examens médicaux requis par le Bureau étaient interdits par la législation de la République de Corée, ou que cette obligation était discriminatoire ou injuste par rapport aux exigences imposées aux autres instructeurs étrangers de langue maternelle anglaise. L’arbitre a indiqué en conclusion que la requérante devait se soumettre à des examens médicaux pendant la procédure d’embauche pour pouvoir présenter sa candidature, mais que cette obligation ne figurait pas dans la proposition de contrat elle-même. Il a donc estimé qu’en refusant de se soumettre aux examens, la requérante avait manifesté sa volonté de ne plus être considérée pour le poste, et qu’aucun contrat de travail valide n’avait par conséquent été conclu entre la requérante et le Bureau pour 2009-2010. La demande du Bureau tendant à ce que la requérante passe des examens médicaux ne pouvait donc pas constituer une violation du contrat.

2.15L’arbitre a aussi indiqué que la requérante n’avait pas fourni la preuve que les tests supplémentaires de dépistage de la syphilis et de cannabinoïdes avaient été ordonnés par le Bureau. Il a aussi fait observer qu’en tout état de cause, aucune disposition de la loi n’obligeait quiconque à informer la requérante de l’existence de ces tests et que seuls les ressortissants de la République de Corée avaient le droit de recevoir suffisamment d’informations et d’explications du personnel médical et sanitaire concernant les examens médicaux, et de décider ou non de s’y soumettre. Même à considérer qu’il y avait une obligation d’informer la requérante que des tests supplémentaires seraient pratiqués, selon l’arbitre, c’était au personnel médical et sanitaire de fournir ces explications et non au Bureau. Enfin, l’arbitre a estimé que le Bureau n’avait pas l’obligation de déterminer quels tests seraient pratiqués sur la requérante, ni d’indiquer à celle-ci quels tests seraient pratiqués ou d’obtenir son consentement. Enfin, l’arbitre a estimé que la requérante n’avait pas prouvé qu’elle avait souffert d’angoisse en raison des tests supplémentaires pratiqués, étant donné que ces tests s’inscrivaient dans la catégorie générale des tests visant à déceler des maladies sexuellement transmissibles et l’usage de drogues, pour lesquels la requérante savait qu’elle était dépistée.

2.16La requérante affirme que la décision arbitrale rendue par la Commission d’arbitrage commercial étant définitive, tous les recours internes utiles et disponibles en République de Corée ont été épuisés.

Teneur de la plainte

3.1Selon la requérante, la politique du Bureau de l’éducation de la ville d’Ulsan consistant à obliger les enseignants de langue étrangers à se soumettre régulièrement à des tests obligatoires de dépistage du VIH/sida et de drogues constitue un acte de discrimination raciale au sens de l’article premier de la Convention.

3.2La requérante affirme que l’obligation de passer un test de dépistage du VIH/sida doit être examinée dans le contexte de la discrimination globale pratiquée par l’État partie à l’encontre des étrangers et des personnes vivant avec le VIH/sida. La requérante signale que les tests obligatoires de dépistage du VIH/sida pour les enseignants d’anglais étrangers ont été mis en place non pas pour des motifs de santé publique, par crainte de transmission accidentelle ou en raison de l’ignorance de l’opinion publique quant aux modes de transmission mais du fait de l’existence de stéréotypes négatifs concernant la moralité des enseignants étrangers. Elle estime qu’il s’agit bien là d’une façon de stigmatiser des groupes d’étrangers de souche non coréenne et de manifester une hostilité à leur encontre. La requérante considère aussi que cette stigmatisation symbolique du VIH/sida est fondée sur des préjugés à l’égard de ceux dont on croit qu’ils s’exposent à des risques d’infection en adoptant des comportements immoraux, et que cette stigmatisation correspond au portrait qui est fait des enseignants étrangers d’anglais en République de Corée. La stigmatisation et la discrimination sont étroitement liées et se renforcent et se légitiment mutuellement. La requérante fait valoir que les restrictions en matière d’entrée et de séjour liées au statut VIH qui sont en vigueur dans l’État partie ne sont pas justifiées par des objectifs de santé publique et sont discriminatoires. Elle considère que le dépistage obligatoire contribue à renforcer la stigmatisation et la double discrimination dont sont victimes les migrants et les étrangers vivant avec le VIH/sida, en véhiculant des préjugés selon lesquels les non-ressortissants constituent une menace et se comportent de manière irresponsable en transmettant le virus dans la population.

3.3La requérante note que le Bureau tente de justifier sa politique de dépistage de drogues chez les enseignants d’anglais étrangers par le taux élevé présumé de consommation de drogues dans les pays d’origine des personnes concernées. Toutefois, la République de Corée est présentée trompeusement par le Ministère de l’éducation comme un « pays sans drogues », idée qui est utilisée pour justifier le fait que les tests de dépistage ne sont pas considérés comme nécessaires pour les enseignants locaux. La requérante rappelle que selon les estimations, le nombre de toxicomanes en République de Corée se situerait entre 200 000 et 300 000 personnes, et qu’en 2007, de source officielle, 10 649 personnes ont été arrêtées pour usage de drogues, dont seulement 298 étrangers et 24 enseignants d’anglais étrangers. La requérante fait en outre valoir que le Bureau a reconnu que les tests de dépistage de drogues avaient une fonction symbolique, c’est-à-dire qu’ils faisaient écho aux préoccupations de l’opinion publique, elles-mêmes liées aux stéréotypes négatifs faisant des enseignants d’anglais étrangers de fréquents consommateurs de drogues. Les tests amélioreraient la crédibilité des enseignants étrangers d’anglais et leur feraient comprendre le sérieux avec lequel la République de Corée traitait le problème de la drogue. La requérante est d’avis que la pratique régulière de tests obligatoires ne peut pas servir ces objectifs et ne peut donc s’expliquer que par une attitude discriminatoire globale à l’encontre des enseignants d’anglais étrangers dans le pays. Le fait que l’obligation de dépistage ponctuel dans le cadre de la procédure d’enregistrement des étrangers soit devenue une obligation annuelle dans 15 des 16 bureaux provinciaux de l’éducation montre que les enseignants d’anglais étrangers sont de plus en plus stigmatisés.

3.4La requérante affirme que l’État partie n’a pas respecté les principes consacréspar la Convention et rappeléspar le Comité au paragraphe 12 de sa Recommandation générale no 30 (2004), selon lequel les États parties doivent « prendre des mesures énergiques pour combattre toute tendance à viser, stigmatiser, stéréotyper ou caractériser par leur profil les membres de groupes de population non ressortissants sur la base de la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, en particulier de la part des politiciens, des responsables, des éducateurs et des médias, sur Internet, dans d’autres réseaux de communication électroniques et dans la société en général ». Selon la requérante, le Bureau avait la possibilité d’évaluer sa « moralité » par le biais de son comportement professionnel, qui a fait l’objet d’un avis positif de la part de la direction de l’école et des représentants du Bureau eux-mêmes. Aucun critère raisonnable ni objectif ne permettait de soupçonner que la requérante était handicapée physiquement ou mentalement par la drogue ou la maladie. C’était donc uniquement le statut d’étranger de la requérante qui avait amenéle Bureau à la soupçonner d’avoir le VIH/sida ou de consommer de la drogue. L’objectif du Bureau de n’employer que des enseignants remplissant les conditions requises du point de vue de l’éthique et de la morale était peut-être raisonnable mais la procédure adoptée n’était pas proportionnelle à l’objectif recherché et des moyens moins intrusifs auraient pu être adoptés pour évaluer la « moralité » de la requérante.

3.5La requérante affirme que l’incapacité des diverses institutions étatiques et non étatiques de s’acquitter de leurs obligations de « réexaminer les politiques gouvernementales, nationales et locales », ainsi que de « modifier, d’abroger ou d’annuler » des politiques a pour effet de « créer la discrimination raciale ou de la perpétuer là où elle existe », en violation du paragraphe 1 c) de l’article 2 de la Convention. À cet égard, la Commission d’arbitrage commercial était l’instance compétente en vertu de la disposition de son contrat de travail relative à l’arbitrage. Elle avait l’obligation de déterminer « les droits et les obligations des parties … au regard de la législation du pays », y compris de la Convention. La requérante estime que la Commission lui a imposé une charge de la preuve injustifiée dans la mesure où elle avait établi à première vue qu’elle avait été victime de discrimination raciale. La requérante affirme en conséquence qu’il incombait au défendeur (le Bureau) d’apporter la preuve qu’il existait une raison objective et raisonnable d’appliquer un traitement différencié, comme l’avait fait observer le Comité. Elle rappelle que bien qu’elle ait renvoyé à la Convention en tant que source de droit directement applicable en République de Corée et qu’elle ait fait valoir que la charge de la preuve incombait au Bureau, l’arbitre de la Commission d’arbitrage commercial avait choisi de ne pas tenir compte de la Convention. En outre, elle rappelle la position claire du Comité selon laquelle lorsqu’un non-ressortissant a établi à première vue l’existence d’une discrimination et lorsque les circonstances laissent penser que la nationalité est utilisée comme excuse pour pratiquer la discrimination raciale, il convient d’enquêter dûment sur les véritables raisons qui sous-tendent la politique contestée pour déterminer si des critères pouvant donner lieu à une discrimination raciale sont appliqués. Or, la requérante note que bien qu’elle l’ait expressément demandé, l’arbitre n’a pas enquêté sur les raisons qui sous-tendent la politique de dépistage obligatoire visant les enseignants de langue étrangers.

3.6La requérante considère aussi que la Commission nationale des droits de l’homme avait mandat pour enquêter en vue de déterminer si la politique du Bureau constituait une discrimination, et formuler une recommandation à ce sujet. La requérante rappelle que, dans le passé, la Commissionavait publié une recommandation jugeant que le test de dépistage de l’hépatite B à des fins d’emploi était discriminatoire et avait recommandé de l’interdire. La Commission avait aussi estimé que l’expulsion d’un étranger sur la base de sa séropositivité constituait probablement une infraction au droit de chacun à l’égalité de traitement. La requérante considère aussi que la non-ouverture d’une enquête sur sa plainte par la Commission d’arbitrage commercial équivaut à un déni du droit à un recours utile au sens de l’article 6, lu conjointement avec les paragraphes 1 c) et d) de l’article 2 de la Convention.

3.7La requérante affirme en outre que la non-adoption de mesures par l’État partie pour modifier, abroger ou annuler la politique du Bureau équivaut à une violation des droits qu’elle tient desalinéasi) et iv)du paragraphe e) de l’article 5, lu séparément et conjointement avec le paragraphe 1 c) et d) de l’article 2 de la Convention. À cet égard, ellesoutient qu’elle n’a pas pu exercer son droit au travail parce que la politique discriminatoire de dépistage récurrent du VIH/sida et de drogues avait directement conduit à la perte de son emploi. En outre, elle soutient que son droit à la santé publique a été violé parce que les tests obligatoires de VIH/sida et de drogues visant les enseignants étrangers ne sont pas pratiqués à des fins de diagnostic ou de traitement mais pour réaliser des investigations corporelles sur les non-ressortissants qui vivent et travaillent dans le pays. Le fait d’être testée positive peut conduire la personne à perdre son emploi et son visa de travail, et éventuellement à être expulsée, ce qui constitue une atteinte grave aux droits des non‑ressortissants. Elle fait en outre valoir qu’ayant été pratiqués sur la seule base de son origine raciale et en l’absence de son consentement en connaissance de cause, les tests de dépistage des cannabinoïdes et de la syphilis constituent une violation de son droit à la santé publique au regard de la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 12 avril 2013, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. L’État partie indique expressément qu’il ne soulève aucune objection en ce qui concerne la recevabilité de la communication en application de l’article 14 de la Convention et du paragraphe 3 de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité.

4.2L’État partie note que les pouvoirs publics ont mis en place un programme d’apprentissage de l’anglais dans le cadre duquel des intervenants de langue maternelle anglaise sont invités à travailler comme assistants dans les écoles publiques. Il note aussi que le manuel établi par l’Institut national de l’éducation internationale du Ministère de l’éducation fournit des directives aux bureaux de l’éducation des villes et des provinces concernant l’embauche et le renouvellement des contrats des enseignants d’anglais étrangers. Il souligne que la dernière version de ce manuel, publiée en 2010, ne précise pas que les enseignants étrangers doivent présenter les résultats des tests de dépistage du VIH/sida et de drogues pratiqués en République de Corée afin de pouvoir faire renouveler leur contrat. L’État partie déclare que depuis 2010, les enseignants de langue étrangers n’ont plus à se soumettre à des tests annuels de dépistage, notamment du VIH/sida et de drogues, pour pouvoir continuer d’enseigner et faire renouveler leur contrat avec le Bureau. Il signale que les politiques du Ministère de l’éducation et du Bureau, auxquelles il est fait référence dans la plainte de la requérante, ne sont plus en vigueur et, partant, que la plainte est dénuée de fondement.

4.3L’État partie indique que la sentence arbitrale concernant la plainte de la requérante contre le Bureau a été rendue par la Commission d’arbitrage commercial conformément à la loi sur l’arbitrage et que cette sentence étant définitive, elle avait la même force exécutoire pour les parties qu’une décision judiciaire définitive en rapport avec les griefs de la requérante. L’État partie affirme qu’il ne lui incombe pas de réexaminer la sentence arbitrale ou d’intervenir dans la procédure d’arbitrage, et estime en conséquence que cette sentence a permis de façon concluante de régler le différend entre les parties.

4.4Enfin, l’État partie fait observer que la décision de la Commission nationale des droits de l’homme de rejeter la plainte de la requérante a été prise conformément à la loi sur la Commission nationale des droits de l’homme de la République de Corée.

Commentaires de la requérante sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 21 juin 2013, la requérante a soumis des commentaires sur les observations de l’État partie, dans lesquels elle réaffirme ses précédents arguments. Selon elle, l’État partie reconnaissait que ses droits consacrés par la Convention avaient été violés lorsqu’il faisait savoir que la politique de dépistage obligatoire récurrent du VIH/sida et de drogues visant les enseignants étrangers dans le pays n’était plus en vigueur depuis 2010. La requérante note avec satisfaction que l’État partie n’oblige plus les étrangers à se soumettre plusieurs fois à des tests de dépistage, ce dont pourraient bénéficier des milliers d’enseignants étrangers qui vivent et travaillent dans le pays. Cela étant, elle rappelle qu’elle a présenté une plainte individuelle au Comité pour violation de ses droits par l’État partie et souligne que l’arrêt pur et simple de la politique contestée ne saurait constituer une réparation complète pour les violations dont elle a été victime. Elle dit avoir droit à une indemnisation appropriée pour le préjudice subi. Elle demande au Comité d’exhorter l’État partie à lui accorder une indemnisation financière pour perte d’emploi et à présenter publiquement des excuses pour l’humiliation et la perte de dignité qu’elle a dû endurer pour le seul fait d’avoir voulu défendre ses droits à la suite du traitement discriminatoire subi.

5.2La requérante fait observer que l’État partie a toujours eu pour pratique d’éviter de fournir des explications au sujet de sa politique de dépistage du VIH/sida et de drogues, même lorsqu’il a été interrogé sur cette question en 2008 et 2012 dans le cadre de l’Examen périodique universel, ainsi que par le Comité lors de l’examen du rapport de l’État partie en 2012. Elle estime que l’État partie a persisté dans cette attitude quand il a refusé d’enquêter sur les raisons de cette politique de dépistage obligatoire, comme elle l’avait demandé dans sa plainte aux autorités nationales.

5.3La requérante réaffirme que si la politique discriminatoire n’avait pas été appliquée, elle aurait été employée pendant l’année scolaire 2009/10, et qu’elle a été privée injustement de son emploi et a dû quitter la République de Corée le 3 septembre 2009 faute de visa de travail valide. Elle rappelle que les tests obligatoires de dépistage du VIH, avec les conséquences qu’ils ont sur les possibilités d’emploi, ne sont pas conformes aux normes internationales pertinentes. Elle souligne que l’Organisation internationale du Travail rejette catégoriquement les tests de dépistage du VIH et affirme clairement que rien ne justifie de demander à un travailleur ou un demandeur d’emploi de révéler son statut VIH et « qu’aucune discrimination ni stigmatisation ne devrait s’exercer à l’encontre des travailleurs, notamment des personnes à la recherche d’un emploi et des demandeurs d’emploi, en raison de leur statut VIH réel ou supposé, ou de leur appartenance à des régions du monde ou à des groupes de population perçus comme plus exposés ou plus vulnérables au risque d’infection à VIH ». Ces normes sont confirmées par d’autres entités, ainsi qu’il ressort des Directives internationales en la matière. La requérante réaffirme en conséquence que la politique de dépistage obligatoire du VIH/sida a constitué une violation de ses droits au travail et à des conditions de travail justes et favorables, consacrés par l’alinéa i) du paragraphe e) de l’article 5 de la Convention, ainsi que des droits de tous les enseignants étrangers de langue.

5.4La requérante rappelle que dans les années 1990, l’État partie avait abandonné les tests obligatoires de dépistage du VIH pour les travailleurs du sexe et les personnes travaillant dans un secteur régi par des normes d’hygiène parce qu’ils s’étaient avérés inefficaces. Toutefois, dans l’État partie, le test de dépistage du VIH/sida est toujours considéré comme un bon indicateur de la moralité des enseignants étrangers. Ces critères détournés de moralité à la base du dépistage obligatoire font que la maladie est toujours fortement stigmatisée et donnent la fausse impression que seuls les non-Coréens sont exposés à la maladie. La requérante estime que le fait de garantir la confidentialité du statut VIH s’inscrit dans le cadre du droit de chacun au respect de sa vie privée et contribue au maintien de la santé publique car c’est seulement lorsque les personnes ne craignent plus de révéler leur séropositivité et ne souffrent pas de la stigmatisation qui va de pair qu’elles se font volontairement dépister et traiter.

5.5La requérante indique qu’avant l’introduction du dépistage obligatoire, les médias et les fonctionnaires contribuaient déjà à la stigmatisation des enseignants d’anglais étrangers en tant que porteurs du VIH/sida, pour la simple raison qu’un grand nombre d’entre eux se faisaient volontairement dépister. C’est ainsi que l’objectif final des services de santé publique d’inciter chacun à faire volontairement vérifier son statut VIH a donné lieu à une stigmatisation au détriment des enseignants d’anglais étrangers. La requérante estime que cette politique de dépistage obligatoire constitue une violation du droit à la santé publique consacré par l’alinéa iv) de l’article 5 e) de la Convention.

5.6La requérante fait valoir qu’en raison de l’homogénéité historique de l’État partie sur le plan culturel et ethnique, la race, la langue maternelle et la moralité sont des caractéristiques qui sont étroitement liées. Selon elle, cela explique pourquoi les stéréotypes négatifs à l’égard des étrangers sont très répandus. Elle rappelle des exemples dans lesquels des enseignants d’anglais étrangers ont été systématiquement stigmatisés et globalement perçus comme des hommes occidentaux blancs qui ont des problèmes sociaux et qui se droguent. Elle renvoie à des articles de presse dans lesquels des enseignants d’anglais blancs sont décrits comme des délinquants sexuels qui représentent une menace pour la société coréenne en général et les femmes coréennes en particulier.

5.7La requérante rappelle que la Commission nationale des droits de l’homme a décidé de ne pas examiner sa plainte et que plus d’une cinquantaine de plaintes analogues, présentées par des enseignants d’anglais étrangers à la Commission, ont été rejetées.

5.8En outre, la requérante affirme qu’en dépit des dires de l’État partie selon lesquels les enseignants de langue étrangers n’ont plus à se soumettre aux tests de dépistage du VIH/sida et de drogues au niveau national pour pouvoir faire renouveler leurs contrats de travail auprès des bureaux de l’éducation des provinces, tant que la législation interne n’interdira pas expressément la pratique des tests à des fins d’embauche, les bureaux d’éducation des provinces dans tout le pays auront l’autorisation de les exiger. Elle affirme que toute la communauté non ressortissante de la République de Corée sait très bien que les tests ont continué d’être utilisés au moins jusqu’en 2013 et s’est constamment plainte de cette situation. En conséquence, selon la requérante, la non-adoption par l’État partie de mesures visant à modifier, abroger ou annuler la politique de dépistage obligatoire équivaut à une violation persistante de l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 2 de la Convention.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale doit, conformément au paragraphe 7 a) de l’article 14 de la Convention, déterminer si la communication est recevable.

6.2Le Comité constate que l’État partie n’a soulevé aucune objection concernant la recevabilité de la communication puisque la requérante a satisfait aux prescriptions de l’article 14 de la Convention.

6.3Ne voyant aucun obstacle à la recevabilité de la présente communication, le Comité la déclare recevable et procède à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Le Comité a examiné la présente communication en prenant en considération tous les renseignements et pièces présentés par les parties, conformément aux dispositions du paragraphe 7 a) de l’article 14 de la Convention et à l’article 95 de son règlement intérieur.

7.2La principale question dont est saisi le Comité est de savoir si l’État partie s’est acquitté de son obligation positive de prendre des mesures effectives eu égard aux faits signalés par la requérante selon lesquels la politique du Bureau de l’éducation de la ville d’Ulsan en matière d’emploi était fondée sur la discrimination raciale et la perte d’emploi qui en avait résulté était aussi discriminatoire.

7.3Le Comité note que la requérante avait porté à l’attention des autorités compétentes de l’État partie l’existence à première vue d’un cas de discrimination raciale, affirmant devant la Commission coréenne d’arbitrage commercial et la Commission nationale des droits de l’homme de Corée que la politique de dépistage obligatoire du VIH/sida et de drogues était exclusivement fondée sur des stéréotypes négatifs et la stigmatisation des enseignants d’anglais étrangers, stéréotypes eux-mêmes fondés sur l’origine ethnique des personnes visées. Le Comité observe que la Commission nationale des droits de l’homme de Corée a refusé d’enquêter sur la plainte de la requérante et que ni la Commission d’arbitrage commercial ni aucune autre instance de l’État n’a procédé à un examen de la conformité de la politique contestée avec les dispositions de la Convention. L’État partie n’ayant pas examiné le cas de la requérante afin de déterminer si des critères donnant lieu à une discrimination raciale au sens de l’article premier de la Convention sont à l’origine de la politique de dépistage obligatoire du VIH/sida et de drogues, le Comité conclut que les droits que la requérante tient des paragraphes 1 c) et d) de l’article 2 et de l’article 6 de la Convention ont été violés.

7.4Le Comité prend note du grief de la requérante selon lequel, après avoir refusé de se soumettre une deuxième fois au test de dépistage contesté, elle n’avait pas pu continuer de travailler dans son école, en violation de l’article 5 e) i) de la Convention. Il constate que les enseignantsd’anglais étrangers qui sont de souche coréenne et les enseignants coréens sont dispensés de ce test et que le dépistage n’est donc pas fondé sur la distinction entre citoyens et non-citoyens, mais sur l’origine ethnique. Le Comité constate aussi que le dépistage obligatoire du VIH/sida à des fins d’embauche, ainsi que pour l’entrée, le séjour et l’installation dans le pays, est considéré comme contraire aux normes internationales dans la mesure où cette mesure apparaît à la fois inefficace à des fins de santé publique et discriminatoire et préjudiciable pour l’exercice des droits fondamentaux. Le Comité note en outre que l’État partie n’a fourni aucune explication pour justifier la politique de dépistage obligatoire. En outre, durant la procédure d’arbitrage devant la Commission coréenned’arbitrage commercial, des responsables du Bureau de l’éducation de la ville d’Ulsan ont confirmé que les tests de dépistage du VIH/sida et de drogues étaient considérés comme un moyen de vérifier les valeurs et la moralité des enseignants d’anglais étrangers. Dans ce contexte, le Comité rappelle sa Recommandation générale no 30, dans laquelle il recommande aux Étatsparties de « prendre des mesures énergiques pour combattre toute tendance à viser, stigmatiser, stéréotyper ou caractériser par leur profil les membres de groupes de population “non‑ressortissants” sur la base de la race, la couleur, l’ascendance et l’origine nationale ou ethnique, en particulier de la part des politiciens ». L’État partie n’a pas contesté le fait qu’en définitive, la seule raison pour laquelle la requérante n’a pas pu faire renouveler son contrat de travail est son refus de se soumettre à nouveau à un test de dépistage du VIH/sida et de l’usage de drogues. Le Comité estime que la politique de dépistage obligatoire visant uniquement les enseignants d’anglais étrangers de souche non coréenne ne semble pas justifiée pour des raisons de santé publique ou toute autre raison, et constitue une violation du droit au travail sans distinction de race, de couleur ou d’origine nationale ou ethnique, en violation de l’obligation qui incombe à l’État partie de garantir l’égalité s’agissant du droit au travail conformément à l’article 5 e) i)de la Convention.

7.5Vu ce qui précède, le Comité n’examinera pas séparément les griefs de la requérante au titre de l’article 5 e) iv) de la Convention.

8.Dans les circonstances de la cause, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, agissant en vertu du paragraphe 7 a) de l’article 14 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, considère que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des articles 2, paragraphe 1 c) et d), 5 e) i) et 6 de la Convention par l’État partie.

9.Le Comité recommande à l’État partie d’octroyer à la requérante une indemnisation adéquate pour le préjudice matériel et moral causé par les violations susmentionnées de la Convention, y compris pour la perte de salaires pendant l’année où elle a été empêchée de travailler. Il lui recommande aussi de prendre les mesures appropriées pour réexaminer les règles et politiques adoptées au niveau local ou national en ce qui concerne l’emploi d’étrangers, et d’abolir, en droit comme en pratique, tout texte de loi, règlement, politique ou autre mesure qui a pour effet de créer la discrimination raciale ou de la perpétuer. Le Comité recommande à l’État partie de combattre toutes manifestations de xénophobie, notamment par le biais de stéréotypes et de la stigmatisation, à l’encontre d’étrangers, de la part des fonctionnaires, des médias et de l’opinion publique en général, au moyen de mesures telles que, selon qu’il conviendra, des campagnes d’information, des déclarations officielles et des codes de conduite à l’intention des responsables politiques et des médias. L’État partie est aussi prié de diffuser largement l’opinion du Comité, notamment auprès des procureurs et des instances judiciaires, et de la traduire dans la langue officielle de l’État partie.

10.Le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre-vingt-dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à son opinion.