Nations Unies

CRPD/C/TUR/CO/1

Convention relative aux droits des personnes handicapées

Distr. générale

1er octobre 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits des personnes handicapées

Observations finales concernant le rapport initial de la Turquie *

I.Introduction

1.Le Comité a examiné le rapport initial de la Turquie (CRPD/C/TUR/1) à ses 439eet 440eséances (voir CRPD/C/SR.439 et 440), les 13 et 14 mars 2019. Il a adopté les observations finales ci-après à sa 460e séance le 28 mars 2019.

2.Le Comité accueille avec satisfaction le rapport initial de la Turquie, qui a été établi conformément aux directives du Comité concernant l’établissement des rapports, et remercie l’État partie des réponses écrites (CRPD/C/TUR/Q/1/Add.1) apportées à la liste de points établie par le Comité (CRPD/C/TUR/Q/1).

3.Le Comité se félicite du dialogue constructif engagé avec la délégation de l’État partie et remercie ce dernier d’avoir dépêché une délégation renforcée, comptant des représentants des ministères concernés et du bureau du médiateur.

II.Aspects positifs

4.Le Comité prend acte de la ratification, par l’État partie, du Protocole facultatif se rapportant à la Convention en mars 2015 et accueille avec satisfaction les progrès accomplis depuis la ratification de la Convention en 2009. Il note en particulier l’adoption de réformes législatives, dont la modification apportée en 2014 à la loi turque sur le handicap qui définit la discrimination fondée sur le handicap et la notion d’aménagement raisonnable, ainsi que les modifications apportées à 87 lois et 9 décrets pour éliminer la terminologie péjorative. Il félicite l’État partie d’avoir modifié la Constitution en 2010 pour prévoir des mesures d’action positive en faveur des personnes handicapées, entre autres.

III.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

A.Principes généraux et obligations générales (art. 1er à 4)

5.Le Comité est préoccupé par la prédominance, dans la pratique, des approches médicales, charitables et paternalistes du handicap, qu’illustre l’évaluation du handicap sur la base des rapports médicaux, qui réduit les personnes handicapées à leurs incapacités et à leur état de santé.

6. Le Comité recommande à l’État partie  :

a) De réviser sa législation et ses politiques aux niveaux national et provincial pour les mettre en adéquation avec le modèle du handicap fondé sur les droits de l’homme, en défendant les principes de dignité, d’autonomie individuelle et d’égalité des personnes handicapées dans tous les domaines de la vie  ;

b) De modifier la législation en vigueur concernant l’évaluation du handicap, en veillant à ce que les personnes handicapées, par l’intermédiaire des organisations qui les représentent, soient associées à la conception de cette législation et à ce qu’elles ne soient pas obligées de fournir plusieurs évaluations  ; de simplifier la tâche des personnes qui soumettent une demande et de promouvoir la cohérence et la transparence, en prévoyant des garanties efficaces pour les personnes handicapées.

7.Le Comité relève avec préoccupation l’absence d’informations actualisées et transparentes et de progrès enregistrés dans les domaines couverts par la stratégie et le plan d’action national sur l’accessibilité et la stratégie et le plan relatifs aux services de prise en charge (2011-2013).

8. Le Comité recommande à l’État partie de mettre en place un mécanisme efficace pour suivre les progrès réalisés dans les domaines de l’accessibilité et de l’accompagnement, en associant les personnes handicapées à ce suivi, par l’intermédiaire des organisations qui les représentent.

9.Le Comité relève avec préoccupation le caractère limité des renseignements fournis sur les progrès réalisés en vue d’adopter le plan d’action national et le document de stratégie relatifs aux droits des personnes handicapées, ainsi que sur les mécanismes pérennes et officiels de consultation et de participation mis en place depuis 2017 pour associer les diverses organisations de personnes handicapées à l’ensemble du processus de prise de décisions.

10. Le Comité rappelle son observation générale n o 7 (2018) sur la participation des personnes handicapées, y compris des enfants handicapés, par l’intermédiaire des organisations qui les représentent, à la mise en œuvre de la Convention et au suivi de son application et recommande à l’État partie  :

a) De faire en sorte que des consultations utiles aient lieu dans la transparence avec les organisations représentant les personnes handicapées pour l’adoption du plan d’action national et du document de stratégie relatifs aux droits des personnes handicapées ainsi qu’en ce qui concerne ses programmes et l’ensemble des projets de loi sur la question  ;

b) D’aider les personnes ayant un handicap intellectuel ou psychosocial à mettre sur pied des organisations qui les représentent et d’associer celles-ci aux consultations concernant la mise en œuvre de la Convention  ;

c) De promouvoir la création d’organisations de personnes handicapées et de faciliter leur fonctionnement, de garantir leur indépendance et leur autonomie vis-à-vis de l’État et de veiller à ce qu’elle aient accès à des mécanismes de financement appropriés, notamment aux financements publics et à la coopération internationale, et bénéficient d’un soutien pour l’autonomisation et le renforcement des capacités.

B.Droits particuliers (art. 5 à 30)

Égalité et non-discrimination (art. 5)

11.Le Comité est préoccupé par :

a)La législation et les pratiques discriminatoires à l’égard des personnes handicapées, telles que le déni de la capacité juridique au motif du handicap, les dispositions injustifiables qui restreignent la possibilité de nommer des personnes handicapées comme juges, procureurs, gouverneurs ou diplomates, et le fait que l’interdiction de la discrimination fondée sur le handicap inscrite dans la législation n’englobe pas la discrimination indirecte ;

b)L’article 122 du Code pénal turc (loi no 5237) selon lequel, pour que la discrimination fondée sur le handicap constitue une infraction pénale, il doit être prouvé qu’elle est motivée par la haine ;

c)L’absence de sanctions effectives (enregistrées) prévues par la législation dans les affaires de refus d’aménagements raisonnables et le manque d’informations sur les voies de recours utiles, y compris les mesures de réparation et d’indemnisation dans les affaires de discrimination fondée sur le handicap ;

d)L’absence d’informations sur la situation en ce qui concerne les formes de discrimination multiple et croisée à l’égard des personnes handicapées appartenant à des groupes ethniques tels que les Roms et les Kurdes, et les mesures prises pour lutter contre ce phénomène.

12. Le Comité rappelle son observation générale n o 6 (2018) sur l’égalité et la non-discrimination et recommande à l’État partie  :

a) De réviser son cadre juridique pour abroger les dispositions discriminatoires à l’égard des personnes handicapées, ainsi que sa législation visant à lutter contre la discrimination, et de les harmoniser avec la Convention, en particulier en appliquant le principe d’aménagement raisonnable dans tous les domaines de la vie, et de prévoir des sanctions appropriées dans les cas de non-respect de ce principe lorsque des personnes handicapées, y compris les personnes présentant un handicap intellectuel, ont besoin d’un aménagement raisonnable  ;

b) D’éliminer la disposition exigeant que, dans les affaires de discrimination fondée sur le handicap, celle-ci soit motivée par la haine pour que des poursuites soient engagées  ;

c) De contrôler le nombre de plaintes pour discrimination fondée sur le handicap par rapport au nombre total de plaintes pour discrimination, ventilées en fonction du sexe, de l’âge, du lieu et des obstacles signalés, et le nombre et le pourcentage de jugements qui ont donné lieu à une indemnisation ou à des sanctions, et de prévoir des garanties juridiques et des voies de recours, ainsi que les procédures correspondantes  ; et de fournir des données sur les sanctions et les amendes appliquées dans les affaires de refus d’aménagement raisonnable  ;

d) D’adopter une politique de lutte contre la discrimination et des mesures précises visant à l’égalité inclusive pour toutes les personnes handicapées, y compris celles qui appartiennent à des minorités.

Femmes handicapées (art. 6)

13.Le Comité relève avec préoccupation l’absence d’indicateurs et de mécanismes spécifiques permettant de mesurer et de contrôler les résultats des politiques publiques visant à l’égalité inclusive pour les femmes handicapées. Il est également préoccupé de voir qu’en matière d’accès à l’éducation et au travail, les femmes handicapées souffrent d’une inégalité de fait par rapport aux hommes handicapés. Il constate en outre avec préoccupation que les filles roms handicapées sont victimes de discrimination croisée et d’exclusion, en particulier en matière d’éducation.

14. Le Comité, rappelant son observation générale n o 3 (2016) sur les femmes et les filles handicapées, recommande à l’État partie  :

a) D’adopter des politiques spécifiques et des mesures d’action positive pour la promotion et l’autonomisation des femmes et des filles handicapées, et de veiller à ce que les droits de celles-ci soient intégrés dans les politiques générales en faveur des femmes  ;

b) D’adopter des repères et des indicateurs concernant les progrès réalisés en vue d’atteindre l’égalité inclusive pour les femmes et les filles handicapées, en particulier dans les domaines de l’éducation et du travail, en milieu urbain et en milieu rural, dans le cadre des politiques générales en faveur des femmes  ;

c) D’adopter des lois et des politiques visant à lutter contre les formes de discrimination multiple et croisée que subissent les femmes et les filles handicapées, notamment celles qui appartiennent aux communautés roms.

Enfants handicapés (art. 7)

15.Le Comité est préoccupé par :

a)L’insuffisance des données et des renseignements concernant la mise en œuvre du premier document de stratégie et plan d’action sur les droits de l’enfant pour 2013-2017 et de la stratégie de coordination des services de protection de l’enfance pour 2014-2019, et l’incidence que ces outils ont eue sur l’inclusion des enfants handicapés et leur participation à la vie de la société ainsi qu’aux processus décisionnels publics ;

b)Le manque de mécanismes efficaces pour offrir un accompagnement de proximité aux enfants handicapés, notamment à ceux qui vivent en zone rurale, et les aider à porter plainte en cas de violation de leurs droits ;

c)Les indications selon lesquelles les familles ne perçoivent d’allocation pour enfant handicapé que si le degré de handicap est d’au moins 40 %.

16. Le Comité recommande à l’État partie  :

a) D’établir un mécanisme transparent pour suivre l’incidence des politiques et stratégies pertinentes sur les droits des enfants handicapés, en étroite concertation avec les organisations d’enfants handicapés, y compris d’enfants présentant un handicap intellectuel, et avec la participation directe de ces organisations  ;

b) D’améliorer les programmes de développement de la petite enfance à l’intention des enfants handicapés et d’améliorer l’accompagnement de proximité pour ces enfants et leurs proches, en particulier pour les enfants vivant en milieu rural  ;

c) D’introduire un mécanisme permettant aux enfants handicapés de porter plainte auprès des pouvoirs publics selon des modalités confidentielles en cas de violation de leurs droits, en particulier s’agissant des violations qui surviennent dans le cadre familial, scolaire ou institutionnel  ;

d) De faire en sorte que les prestations familiales pour enfant handicapé s’appliquent à l’ensemble des familles concernées, de façon que les parents isolés puissent eux aussi en bénéficier.

Sensibilisation (art. 8)

17.Le Comité est préoccupé par les informations concernant la prédominance, dans la société, de stéréotypes négatifs à l’égard des personnes handicapées et la stigmatisation dont elles sont victimes, en particulier :

a)L’absence de campagne de sensibilisation globale visant à lutter contre le mépris et les préjugés dont sont victimes les personnes handicapées, et le manque d’informations sur la stratégie de communication prévue concernant le document de stratégie du médiateur pour 2017-2021 ;

b)L’absence de traduction de la Convention en langue des signes turque et en braille ;

c)Les attitudes discriminatoires à l’égard du handicap et les informations partiales données par les services d’appui psychosocial aux parents qui attendent un enfant, aboutissant à une interruption de grossesse, en particulier en cas de diagnostic de trisomie21 et de spina bifida ;

d)Les contenus des manuels du primaire, qui décrivent les personnes handicapées comme « nécessiteuses » et « incompétentes », entre autres qualificatifs, et considèrent qu’elles ne sont pas des « individus normaux ».

18. Le Comité recommande à l’État partie de lutter contre les stéréotypes discriminatoires à l’égard des personnes handicapées et de  :

a) Concevoir et appliquer une stratégie de sensibilisation, notamment des campagnes conformes à la Convention, avec la participation véritable des organisations de personnes handicapées  ;

b) Traduire la Convention en langue des signes turque, en langage facile à lire et à comprendre et sous d’autres formes, et diffuser les transcriptions de la Convention en braille  ;

c) Susciter une plus grande prise de conscience, en particulier parmi les médecins et les prestataires de services, de la contribution qu’apportent les personnes handicapées et de la nécessité d’éliminer les attitudes négatives, notamment en fournissant des informations sur l’accompagnement des parents  ;

d) Promouvoir des perceptions et des messages positifs concernant les personnes handicapées, en mettant l’accent sur leur dignité, leurs capacités et ce qu’elles apportent à la société, dans le cadre de campagnes visant la population en général, les écoles, les agents publics, le secteur privé et les établissements éducatifs.

Accessibilité (art. 9)

19.Le Comité est préoccupé par :

a)Le caractère limité des progrès réalisés pour atteindre dans les délais fixés les objectifs définis en matière d’accessibilité dans les textes législatifs et les politiques, tels que la loi turque sur le handicap et le plan d’action national sur l’accessibilité ;

b)Le manque de données officielles, comparables, fiables et détaillées sur les sanctions financières et les amendes infligées pour non-respect des normes d’accessibilité, dans les médias électroniques, les services administratifs en ligne et les services bancaires ;

c)Les informations selon lesquelles les commissions de contrôle et d’audit de l’accessibilité ne s’acquittent pas des obligations qui sont les leurs aux termes de la loi et que les sanctions qu’elles imposent ne sont pas appliquées.

20. Le Comité, rappelant son observation générale n o 2 (2014) sur l’accessibilité, recommande à l’État partie d’élaborer, en se fondant sur des données détaillées, une feuille de route complète relative à l’accessibilité, qui fixe des repères pour la suppression des obstacles existants et promeu t la conception universelle pour l’environnement bâti et les services publics, tels que les transports et les technologies de l’information et de la communication (TIC). Il recommande également à l’État partie d’allouer des ressources suffisantes au suivi de l’application des normes d’accessibilité, en mettant en place une base de données nationale actualisée dans l’ensemble des provinces et des collectivités locales, et de prévoir des sanctions en cas de non-respect et de les appliquer efficacement pour qu’elles aient un effet dissuasif.

Droit à la vie (art. 10)

21.Le Comité est préoccupé par le manque d’informations et de suivi concernant la situation des personnes handicapées, en particulier des femmes, placées en institution et par les décès dont il est fait état dans ces établissements.

22. Le Comité recommande à l’État partir d’établir un mécanisme efficace et transparent pour enquêter sur la situation des personnes handicapées, en particulier des femmes, qui vivent dans l’abandon et le dénuement, ainsi que sur les décès de personnes handicapées dans un cadre institutionnel, et de publier périodiquement les registres sur cette question.

Situations de risque et situations d’urgence humanitaire (art. 11)

23.Le Comité est préoccupé par l’absence d’informations concernant une stratégie et un plan d’action détaillés qui garantissent que les mesures de réduction des risques de catastrophe soient accessibles et inclusives. Il est également préoccupé par l’absence d’évaluations périodiques des risques et de collecte de données ventilées qui permettraient à l’État partie de déterminer les risques particuliers auxquels sont exposées les personnes handicapées dans les situations de conflit armé, d’urgence humanitaire et de catastrophe naturelle.

24. Le Comité recommande à l’État partie  :

a) D’adopter une stratégie nationale et des protocoles relatifs à la réduction des risques de catastrophes et aux situations d’urgence humanitaire, qui incluent les personnes handicapées, conformément aux critères définis dans le Cadre de Sendai pour la réduction des risques de catastrophes 2015-2030  ;

b) De veiller à ce que la Direction de la gestion des catastrophes naturelles et des situations d’urgence associe les organisations de personnes handicapées à la conception des évaluations des risques, à l’élaboration des plans de réduction des risques et aux travaux de collecte des données  ;

c) De veiller à continuer de fournir les moyens humains, financiers et techniques nécessaires pour que les activités de remise en état, de réinstallation et de reconstruction faisant suite à des situations d’urgence prennent en compte l’accessibilité et les besoins propres aux personnes handicapées.

Reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions d’égalité (art. 12)

25.Le Comité est préoccupé par :

a)Le régime de tutelle défini dans le Code civil, qui limite la capacité d’agir des personnes présentant un handicap psychosocial, intellectuel ou une diminution de l’acuité auditive, et les informations selon lesquelles au moins 13934personnes handicapées seraient sous tutelle et placées dans des institutions publiques ou privées ;

b)Les informations selon lesquelles la pratique qui veut que deux témoins soient nécessaires pour les actes notariés effectués par des personnes ayant des troubles de la vue, de l’audition ou de la parole perdure, et ce, bien que les modifications apportées aux procédures notariales en 2005 l’interdisent ;

c)Le manque de données transparentes et fiables sur les garanties et les voies de recours, ainsi que le manque d’accès à l’information dans les affaires de violation du droit à la capacité juridique des personnes handicapées, en particulier s’agissant du droit de se marier et de voter ;

d)Le manque d’informations sur le passage prévu de la prise de décisions substitutive à la prise de décisions accompagnée.

26. Le Comité rappelle son observation générale n o 1 (2014) sur la reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions d’égalité et recommande à l’État partie  :

a) De modifier les lois pertinentes pour abroger les dispositions restreignant la capacité juridique des personnes handicapées et de remplacer le régime de tutelle par les mécanismes de prise de décision s accompagnée  ;

b) D’instaurer un moratoire effectif sur l’institutionnalisation des personnes handicapées mises sous tutelle  ;

c) De veiller à ce que les procédures notariales, telles que modifiées, soient appliquées de façon que toutes les personnes handicapées jouissent de la reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions d’égalité  ;

d) De réviser les dispositions du Code civil et d’autres textes législatifs qui soumettent les personnes présentant un handicap intellectuel à une autorisation médicale s’agissant de leur droit de se marier ou de voter  ;

e) De renforcer les compétences des fonctionnaires, des agents de la force publique et des magistrats, ainsi que des travailleurs sociaux en ce qui concerne la reconnaissance de la capacité juridique des personnes handicapées et les garanties et bonnes pratiques en matière de prise de décision s accompagnée. L’État partie devrait mener une véritable concertation avec les personnes handicapées et les associer aux niveaux national, régional et local, par l’intermédiaire des organisations qui les représentent et du médiateur, à l’élaboration de programmes de formation et d’activités de sensibilisation portant sur la prise de décision s accompagnée.

Accès à la justice (art. 13)

27.Le Comité est préoccupé par :

a)Le manque de mesures spécifiques et de protocoles transparents, prévoyant des voies de recours, pour que les personnes handicapées bénéficient d’aménagements procéduraux et d’aménagements appropriés à leur âge dans les procédures judiciaires, notamment la fourniture de services officiels d’interprétation de qualité en langue des signes pour les personnes sourdes et de supports de communication accessibles pour les personnes sourdes-aveugles, les personnes malentendantes et les personnes présentant un handicap intellectuel ou psychosocial, en particulier dans les procès civils ;

b)Le caractère limité de l’aide juridictionnelle pour les personnes handicapées dans tous les domaines du droit et le manque d’accès à l’information sur les services juridiques ;

c)Les obstacles à l’accessibilité physique des bâtiments des tribunaux et des parquets ;

d)La loi sur les juges et les procureurs (loi no2802), qui empêche les personnes handicapées d’accéder à ces fonctions.

28. Le Comité recommande à l’État partie  :

a) De prendre des mesures pour faciliter l’accès des personnes handicapées à la justice, sans discrimination, en mettant en place des aménagements procéduraux et des aménagements en fonction de l’âge ainsi que des procédures administratives précises sur la base de la législation  ;

b) De prévoir les ressources humaines et financières nécessaires pour que les personnes handicapées aient accès à une aide juridictionnelle d’un coût abordable, et notamment qu’elles puissent s’informer auprès des avocats et communiquer avec eux  ;

c) D’allouer des ressources à l’appareil judiciaire et d’élaborer un plan assorti d’un calendrier et de jalons précis pour garantir l’accessibilité des commissariats, des tribunaux et des services du parquet, y compris en mettant en place des moyens de transport accessibles  ;

d) De modifier la loi sur les juges et les procureurs (loi n o 2802) et d’adopter des mesures législatives pour permettre et faciliter la participation effective de toutes les personnes handicapées au système de justice, y compris en tant que juges, témoins, plaignants et défendeurs.

Liberté et sécurité de la personne (art. 14)

29.Le Comité est préoccupé par :

a)Les dispositions, notamment celles du Code civil et de la loi sur l’exécution des peines, et les mesures de sécurité qui autorisent la privation de liberté des personnes handicapées sur la base de leur dangerosité présumée, aux fins de traitement, de réadaptation ou de rééducation, sans qu’elles soient jugées ;

b)Le manque d’informations sur les mécanismes de contrôle juridique et administratif pour les personnes présentant un handicap intellectuel ou psychosocial dans les procédures de placement en institution ;

c)Les informations faisant état de la détention de personnes handicapées dans des établissements des services de police et de répression qui n’offrent pas d’accessibilité.

30. Le Comité recommande à l’État partie  :

a) De supprimer de sa législation la notion de dangerosité et d’abolir l’institutionnalisation sur la base de ce critère, en tenant compte des directives du Comité relatives au droit à la liberté et à la sécurité des personnes handicapées (A/72/55, annexe) et d’abroger les dérogations aux poursuites pénales et au principe de la responsabilité pénale qui aboutissent à la privation de liberté  ;

b) De faire en sorte que les personnes handicapées aient accès, dans des conditions d’égalité avec les autres personnes, notamment grâce à des aménagements procéduraux et des aménagements appropriés à leur âge, aux procédures leur permettant de faire appel de leur privation de liberté  ;

c) De faire en sorte que les centres de détention et les établissements des services de police et de répression soient accessibles aux personnes handicapées.

31.Le Comité demande en outre à l’État partie de prendre en compte les obligations qui lui incombent au titre de l’article 14 de la Convention et les directives du Comité relatives à cet article (2015) (voir A/72/55, annexe) tout au long des discussions portant sur un projet de protocole additionnel à la Convention pour la protection des d roits de l’ h omme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine (Convention d’Oviedo).

Droit de ne pas être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (art. 15)

32.Le Comité est préoccupé par :

a)L’absence d’informations sur les mesures prises pour protéger les droits des personnes handicapées et prévenir la maltraitance et l’admission sans consentement dans des hôpitaux psychiatriques, des structures d’hébergement ou d’autres institutions ;

b)L’insuffisance d’équipements adaptés aux personnes handicapées dans les prisons, et les informations faisant état de mauvais traitements infligés aux personnes handicapées détenues, d’un accès limité aux voies de recours en cas de mauvais traitements, et des risques de représailles ;

c)Le manque d’informations sur la surveillance des structures d’hébergement aux fins de prévenir la maltraitance, et les restrictions concernant le suivi, par les organisations de la société civile, des personnes handicapées privées de liberté.

33. Le Comité recommande à l’État partie  :

a) D’adopter des mesures pour empêcher que les personnes handicapées placées en institution soient soumises à l’isolement, à l’enfermement, à des contraintes physiques, chimiques ou mécaniques, à une électroconvulsivothérapie ou tout autre traitement non consenti, et pour enquêter et imposer des sanctions pénales et administrations aux auteurs de tels actes  ;

b) De prendre des mesures pour que les personnes handicapées bénéficient d’un hébergement individualisé et de l’accessibilité dans les prisons, de sensibiliser le personnel travaillant dans les établissements de santé mentale et les prisons et de lui dispenser une formation concernant les droits des personnes handicapées, et de veiller à ce que celles-ci aient accès à l’aide juridictionnelle et à un conseil pendant l’interrogatoire en garde à vue  ; d’adopter un protocole et d’établir un mécanisme pour prévenir et sanctionner les représailles envers les personnes handicapées dans les cas de maltraitance et de collecter systématiquement des informations sur les mesures prises pour protéger les victimes  ;

c) De garantir la transparence et l’efficacité des mécanismes existants de contrôle des structures de détention et d’hébergement, et de publier les conclusions de leurs travaux  ; de collecter des données sur les mesures prises pour remédier aux cas de maltraitance et de présenter et diffuser sur des supports accessibles les informations concernant les mécanismes de plainte et les voies de recours disponibles  ; et de garantir l’accès aux établissements pour un contrôle indépendant par les organisations de la société civile, y compris les organisations de personnes handicapées.

Droit de ne pas être soumis à l’exploitation, à la violence et à la maltraitance (art. 16)

34.Le Comité est préoccupé par :

a)L’absence de stratégie permettant de détecter les situations qui présentent un risque accru de maltraitance et de remédier aux cas de violence fondée sur le genre contre les femmes et les filles handicapées, en particulier dans la famille, les structures d’hébergement et les écoles ;

b)L’accessibilité limitée des foyers d’accueil, en particulier des centres de prévention et de surveillance de la violence, pour les femmes handicapées qui risquent de subir différentes formes de violence fondée sur le genre ou qui en sont victimes ;

c)L’absence d’informations publiques concernant le mécanisme de surveillance des établissements par le bureau du médiateur et les conclusions qu’il établit, ainsi que les activités de contrôle menées par les directions provinciales, le Ministère de la famille, du travail et des services sociaux et l’Institution nationale des droits de l’homme et de l’égalité.

35. Le Comité recommande à l’État partie  :

a) De publier régulièrement des informations concernant les violences fondées sur le genre envers les femmes et les filles handicapées, de sensibiliser aux situations de risque et de violence et de promouvoir la formation sur ces questions entre pairs et dans le cadre des organisation de femmes handicapées, et de permettre la création de réseaux communautaires offrant aux femmes et aux filles handicapées des mécanismes pour signaler les violences, en complément de l’application sur téléphone portable «  Soutien aux femmes  » . L’État partie devrait adopter des garanties juridiques et administratives précises et des mesures non discriminatoires pour lutter contre toutes les formes de violence fondée sur le genre à l’égard des femmes et des filles handicapées, y compris la violence sexuelle et la violence familiale  ;

b) D’accroître les moyens humains, techniques et financiers allouées pour garantir l’accessibilité des foyers d’accueil et d’agir en concertation avec les organisations de la société civile, notamment les organisations de femmes handicapées, pour que l’information soit plus facilement disponible et pour déterminer les comportements, les procédures et les obstacles physiques qui limitent encore l’accessibilité des foyers d’accueil pour les femmes et les filles handicapées qui risquent de subir différentes formes de violence fondée sur le genre ou en sont victimes  ;

c) De garantir l’indépendance fonctionnelle, structurelle et financière de l’Institution nationale des droits de l’homme et de l’égalité de Turquie, et de s’assurer que ses attributions en tant que mécanisme national de prévention de la torture incluent la surveillance et la prévention de la torture dans les hôpitaux psychiatriques et toute autre institution où résident des personnes handicapées, conformément aux dispositions du paragraphe 3 de l’article 16 de la Convention.

Protection de l’intégrité de la personne (art. 17)

36.Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles des femmes et des filles présentant un handicap intellectuel ou psychosocial subiraient des stérilisations forcées et des avortements forcés. Il relève également avec préoccupation l’absence d’informations sur les procédures visant à garantir l’intégrité physique et mentale des personnes handicapées, dans les cas où un tuteur ou un autre tiers demande ou autorise une intervention médicale sans le consentement de l’intéressé.

37. Le Comité recommande à l’État partie  :

a) De réviser la législation en vigueur et d’interdire la pratique consistant à effectuer des interventions médicales sur la base du consentement d’une tierce partie assurant la tutelle ou la garde d’une personne handicapée privée de sa capacité juridique, et d’établir, à l’intention des personnes handicapées, des mécanismes de prise de décision s accompagnée qui respectent la volonté et les préférences de la personne et protègent sa dignité et son autonomie individuelle  ;

b) D’adopter des mesures pour interdire les avortements et les stérilisations forcés, et de faire prendre conscience que les interventions médicales forcées sont des pratiques nuisibles à la santé  ; et de garantir que tout traitement médical ou toute intervention chirurgicale s’effectue avec le consentement préalable et éclairé de la personne handicapée  ;

c) De veiller à ce que les brochures, les messages des médias sociaux et les guides sur les droits des patients soient présentés sous une forme accessible, telle que le langage facile à lire et à comprendre et la langue simplifiée, et que les personnes handicapées, les médecins et le personnel de santé dans les structures de soins aient connaissance de ces matériels  ;

d) D’accorder des recours suffisants, y compris une indemnisation, une réparation et une réadaptation, aux personnes handicapées qui ont subi une intervention médicale forcée quelle qu’elle soit, et de veiller à ce que les informations recueillies par l’Institution nationale des droits de l’homme et de l’égalité soient traitées avec rapidité et que les victimes reçoivent une assistance.

Droit de circuler librement et nationalité (art. 18)

38.Le Comité est préoccupé par le caractère limité des informations concernant :

a)La proportion de travailleurs migrants, demandeurs d’asile et réfugiés handicapés dans l’État partie et la situation qui est la leur ;

b)Les aménagements procéduraux et l’accompagnement prévus pour les personnes handicapées tout au long des procédures d’immigration ou d’asile, y compris préalablement à la réinstallation, et la formation dispensée au personnel chargé des questions de migration et de la détermination du statut de réfugié ;

c)Les politiques et programmes publics portant sur les droits des travailleurs migrants, demandeurs d’asile et réfugiés handicapés, ainsi que l’implication des organisations de la société civile, y compris les organisations de personnes handicapées, s’agissant de déterminer le soutien dont ont besoin les réfugiés handicapés.

39. Le Comité recommande à l’État partie  :

a) De mener des travaux de recherche et de collecter des données, ventilées notamment selon le genre, l’âge et l’origine ethnique, pour évaluer la situation des personnes handicapées en déplacement dans l’État partie, y compris des travailleurs migrants, demandeurs d’asile et réfugiés handicapés, et d’établir un mécanisme faisant appel à différentes parties prenantes, dont les organisations de personnes handicapées, pour guider l’élaboration des politiques et programmes publics  ;

b) D’adopter un protocole relatif aux aménagements procéduraux et à l’accompagnement durant les procédures d’immigration, de détermination du statut de réfugié et de réinstallation  ; de fournir aux personnes handicapées des informations concernant les aménagements et l’accompagnement disponibles sur des supports accessibles, dans un langage facile à lire et à comprendre et dans les langues maternelles des membres des principales communautés de migrants, de demandeurs d’asile et de réfugiés  ; et de dispenser aux fonctionnaires des services de protection une formation portant sur les droits des personnes handicapées garantis par la Convention  ;

c) De veiller à ce que les travailleurs migrants, demandeurs d’asile et réfugiés handicapés soient pris en compte dans les politiques et programmes publics, et d’allouer les moyens humains, financiers et techniques nécessaires pour leur garantir l’accessibilité ainsi que les aménagements raisonnables et l’accompagnement dont ils pourraient avoir besoin, en particulier dans le cas des réfugiées handicapées.

40.Le Comité est préoccupé par les informations indiquant que les personnes qui présentent un handicap physique doivent soumettre un certificat médical pour pouvoir voyager par avion et que celles qui présentent un handicap intellectuel ou psychosocial doivent avoir l’autorisation de leur tuteur pour se rendre à l’étranger.

41. Le Comité recommande à l’État partie d’abolir les obligations discriminatoires relatives au certificat médical et à l’autorisation d’une tierce personne qui empêchent les personnes handicapées de circuler librement sur le territoire de l’État partie et à l’étranger.

Autonomie de vie et inclusion dans la société (art. 19)

42.Le Comité est préoccupé par :

a)L’absence de cadre législatif garantissant le droit pour les personnes handicapées de vivre de façon autonome et de choisir leur lieu de résidence ;

b)La pratique courante consistant à placer les personnes handicapées, en raison de leur incapacité, dans des établissements comme les « maisons de l’espoir », y compris les enfants handicapés, qui demeurent hébergés dans des écoles maternelles en tant qu’internes et dans des orphelinats ;

c)L’approche médicale de l’accompagnement, qui est liée aux institutions ou adoptée à des fins de dépistage, de diagnostic, d’intervention et de réadaptation, en particulier dans le cas des personnes autistes, et le peu de connaissances qu’ont les personnes handicapées en ce qui concerne les modalités d’accompagnement disponibles et les mécanismes permettant d’y avoir accès ;

d)L’absence de mesures visant à l’octroi d’une aide à l’autonomie et le fait que le salaire minimum en cas d’aide au maintien à domicile est versé aux proches ou au tuteur et non à la personne handicapée elle-même ;

e)L’absence d’approche globale concernant des services de proximité accessibles destinés à faciliter l’inclusion, en particulier l’absence de mesures visant à assurer l’accès au logement au sein de la société.

43. Renvoyant à son observation générale n o 5 (2017) sur l’autonomie de vie et l’inclusion dans la société, le Comité recommande à l’État partie  :

a) De réviser la loi sur les services sociaux (loi n o 2828) pour la mettre en conformité avec la Convention, en reconnaissant le droit des personnes handicapées à l’autonomie de vie et en instaurant des mesures afin qu’elles puissent exercer plus facilement leur autonomie s’agissant de décider où et avec qui elles veulent vivre  ;

b) D’agir en concertation avec les organisations de personnes handicapées pour adopter et appliquer, aux niveaux national et provincial, une stratégie assortie d’un calendrier et de jalons précis visant à la désinstitutionnalisation des personnes handicapées, y compris des enfants handicapés, et au remplacement de toutes les modalités de placement par une aide à l’autonomie de vie, et pour surveiller la mise en œuvre de cette stratégie  ;

c) D’allouer davantage de moyens pour favoriser l’accompagnement individualisé des personnes handicapées, indépendamment de leur handicap et de leur âge, et de faire en sorte que des services d’hygiène mentale fondés sur les droits de l’homme soient disponibles pour toutes les personnes handicapées dans l’ensemble des provinces  ;

d) De fournir systématiquement aux personnes handicapées et aux membres de leur famille des informations sous des formes accessibles concernant les moyens d’obtenir une aide pour qu’elles puissent vivre de façon autonome et être incluses dans la société  ;

c) D’adopter des politiques et des mesures législatives et d’allouer les moyens financiers nécessaires pour accroître l’accessibilité au sein de la collectivité, notamment dans des logements abordables ainsi que dans le cadre bâti, les espaces publics et les transports.

Liberté d’expression et d’opinion et accès à l’information (art. 21)

44.Le Comité est préoccupé par :

a)L’absence de mécanisme permettant de former des interprètes qualifiés en langue des signes turque, et le caractère insuffisant des mesures visant à promouvoir l’utilisation de cette langue dans la fonction publique, les écoles et les établissements culturels ;

b)L’insuffisance des mesures destinées à fournir aux personnes handicapées vivant en milieu rural des informations sous une forme accessible, y compris en braille et dans un langage facile à lire et à comprendre, et l’accès aux TIC ;

c)L’application insuffisante des Règles pour l’accessibilité des contenus Web et le faible pourcentage de sites publics qui respectent ces règles, et le fait que seuls quelques programmes de radiotélédiffusion proposent l’interprétation en langue des signes et l’audiodescription.

45. Le Comité recommande à l’État partie  :

a) D’établir, en collaboration avec les organisations de personnes sourdes, un mécanisme pour garantir la qualité des services d’interprétation  ;

b) De promouvoir et de faciliter l’utilisation de formats, de modalités et de moyens de communication accessibles, notamment le braille et le langage facile à lire et à comprendre, et de fournir l’accès aux TIC aux personnes handicapées, y compris celles qui vivent en milieu rural, notamment en mettant à leur disposition des logiciels peu coûteux et des équipements d’assistance  ;

c) De redoubler d’efforts pour garantir l’accessibilité des sites gouvernementaux, de veiller à ce que les entités privées qui fournissent des services d’information via l’Internet le fassent dans des formats accessibles à l’ensemble des personnes handicapées, et d’appliquer des sanctions aux sociétés de radiotélédiffusion qui ne respectent pas les normes d’accessibilité.

Respect du domicile et de la famille (art. 23)

46.Le Comité est préoccupé par les dispositions du Code civil qui restreignent le droit des personnes présentant un handicap intellectuel ou psychosocial de se marier et de fonder une famille, en exigeant la présentation d’un certificat médical spécifiant l’absence d’obstacle d’ordre médical. Il constate également avec préoccupation que la stigmatisation des personnes handicapées les empêche d’exercer leurs fonctions parentales et que l’accès à un accompagnement pour les parents d’enfants handicapés est limité puisqu’il est accordé seulement aux parents dont les enfants nécessitent une assistance considérable.

47. Le Comité recommande à l’État partie  :

a) D’abroger les dispositions du Code civil qui privent les personnes handicapées du droit de se marier, et de faire en sorte que ces personnes puissent, dans des conditions d’égalité avec les autres, exercer leurs droits dans les domaines relatifs au mariage, à la famille, à la fonction parentale et aux relations personnelles  ;

b) D’adopter des mesures visant à aider les parents d’enfants handicapés à élever ceux-ci à la maison et à éliminer la stigmatisation sociale à l’égard des personnes handicapées en ce qui concerne la parentalité, notamment en leur octroyant des allocations et un soutien suffisants.

Éducation (art. 24)

48.Le Comité est préoccupé par :

a)La persistance de la ségrégation dans l’éducation, ce qui est discriminatoire à tous les niveaux, et l’absence de système éducatif inclusif, d’aménagements raisonnables et d’accompagnement, à tous les niveaux de l’enseignement, malgré les améliorations apportées en ce qui concerne l’accessibilité physique des établissements scolaires ;

b)L’absence de données systématiques sur les enfants handicapés bénéficiant d’un accompagnement individualisé dans les écoles ordinaires ;

c)Le fait que les programmes scolaires, en particulier en mathématiques et en informatique, n’ont pas été adaptés aux besoins des élèves handicapés, et que les enseignants et le personnel pédagogique n’ont pas de formation en ce qui concerne les moyens de favoriser une éducation inclusive de qualité, ce qui aboutit de fait à un déni d’éducation pour les enfants sourds-aveugles.

49. Renvoyant à son observation générale n o 4 (2016) sur le droit à l’éducation inclusive, le Comité recommande à l’État partie  :

a) De reconnaître dans sa législation l’éducation inclusive en tant que droit fondamental opposable, et d’adopter des politiques publiques et des stratégies pour le faire appliquer à tous les niveaux, y compris dans l’enseignement supérieur, en allouant à cette fin des moyens humains, techniques et financiers suffisants  ;

b) De prévoir un accompagnement individualisé et des aménagements adéquats pour permettre aux enfants handicapés, y compris ceux qui présentent un handicap intellectuel, de recevoir une éducation inclusive de qualité, dans des conditions d’égalité avec les autres élèves  ;

c) De veiller à la collecte systématique de données, ventilées selon l’âge, le sexe, la nature du handicap et le lieu, sur les progrès réalisés pour atteindre l’objectif de l’éducation inclusive  ;

d) D’adapter les programmes scolaires en fonction des besoins des élèves et de dispenser aux enseignants et aux autres personnels travaillant dans le système éducatif une formation portant sur les droits des personnes handicapées consacrés par la Convention et les compétences nécessaires pour favoriser une éducation inclusive.

Santé (art. 25)

50.Le Comité est préoccupé par :

a)L’insuffisance d’hôpitaux et d’autres services de soins de santé abordables et accessibles pour les personnes handicapées, en particulier en ce qui concerne l’accès aux traitements spécialisés, à la physiothérapie, aux équipements d’examen et à l’information sous une forme accessible ;

b)Les obstacles liés aux attitudes et aux préjugés parmi les personnels de santé, qui empêchent les personnes handicapées d’avoir accès aux services de santé en matière de sexualité et de procréation, et le manque de mesures destinées à garantir le respect de l’intimité des personnes handicapées pendant les consultations et les examens ;

c)Le manque de données, ventilées en fonction du sexe, de l’âge, de l’origine ethnique et de la situation migratoire, sur les personnes handicapées qui bénéficient des dispositifs de médecine familiale, des soins de santé mobiles, des services de transport des patients et des transferts monétaires assortis de conditions pour faciliter l’accès aux services de santé, en particulier dans les zones rurales.

51. Le Comité recommande à l’État partie  :

a) D’améliorer l’offre et l’accessibilité de soins de santé abordables pour les personnes handicapées, et de prendre des mesures pour que les investissements consacrés aux infrastructures de santé portent en priorité sur la couverture universelle, les équipements accessibles, les soins spécialisés ainsi que l’information accessible et les services d’interprétation dont ces personnes ont besoin  ;

b) De renforcer la formation et la sensibilisation parmi les professionnels de santé en ce qui concerne les droits des personnes handicapées, notamment leurs droits en matière de sexualité et de procréation, et d’adopter des protocoles relatifs à la conduite des examens médicaux et des consultations dans le respect du droit à la vie privée des personnes handicapées  ;

c) De mettre en place des mécanismes de contrôle des soins de santé de proximité, tels que les dispositifs de médecine familiale, les soins de santé mobiles et les services de transport des patients, afin de déterminer dans quelle mesure les personnes handicapées, en particulier en milieu rural, ont accès aux programmes et aux services de santé fournis.

Travail et emploi (art. 27)

52.Le Comité est préoccupé par :

a)Les politiques discriminatoires sur la base du handicap, privilégiant des lieux de travail protégés pour les personnes handicapées, en particulier celles qui présentent un handicap intellectuel ou psychosocial, au lieu de créer pour elles des possibilités d’emploi sur le marché du travail général ;

b)L’insuffisance des informations sur l’accompagnement et les aménagements individualisés dans tous les secteurs de l’emploi, et l’insuffisance des informations sur les voies de recours efficaces en cas de refus d’aménagement raisonnable ;

c)Le faible niveau d’application du quota de 3 % fixé pour l’emploi de personnes handicapées dans le secteur public, et des quotas prévus pour l’emploi de ces personnes dans le secteur privé.

53. Le Comité recommande à l’État partie  :

a) D’abolir la législation, les politiques et les pratiques relatives à l’emploi protégé et d’adopter une stratégie assortie d’un calendrier et de jalons pour promouvoir un marché du travail inclusif, ouvert et accessible dans tous les secteurs pour l’ensemble des personnes handicapées, y compris les femmes handicapées et les personnes présentant un handicap intellectuel ou psychosocial, et de dispenser une formation continue concernant les compétences professionnelles, l’entreprenariat et l’assistance technique pour la gestion des opérations  ;

b) De veiller à ce que sa législation prévoie des recours utiles, y compris une indemnisation dans les cas de discrimination fondée sur le handicap dans le domaine de l’emploi  ;

c) De veiller à ce que les obligations touchant aux quotas d’embauche soient les mêmes dans l’administration publique et les autres secteurs d’activité, et à ce que ces quotas soient appliqués, de recueillir des données sur l’application du système de quotas et de prévoir des sanctions adéquates en cas de non-respect  ;

d) De garder à l’esprit les liens entre l’article 27 de la Convention et la cible 8.5 des objectifs de développement durable, et de veiller à ce que les personnes handicapées puissent obtenir un emploi productif et un travail décent, conformément au principe de l’égalité de rémunération à travail de valeur égale.

Niveau de vie adéquat et protection sociale (art. 28)

54.Le Comité est préoccupé par :

a)Les répercussions négatives de la crise financière sur les personnes handicapées et leur famille, et les difficultés qu’elles peuvent rencontrer pour faire face aux coûts supplémentaires occasionnés par des besoins liés au handicap ;

b)Les informations selon lesquelles les programmes sociaux, tels que la pension d’invalidité et l’accès au logement social, excluent des personnes handicapées sur la base, entre autres, d’une évaluation médicale de l’incapacité et du niveau de ressources de la famille et en fonction de la nationalité, et les informations indiquant que l’aide en espèces pour les réfugiés ou les personnes bénéficiant d’un permis de séjour à titre humanitaire est essentiellement tributaire de la coopération internationale ;

c)L’écart entre hommes et femmes handicapés pour ce qui est du montant de la pension d’invalidité.

55. Le Comité recommande à l’État partie  :

a) De faire en sorte que le maintien de niveaux de revenus suffisants et l’accès à la protection sociale, y compris à des allocations pour compenser les coûts supplémentaires liés au handicap, soient préservés en tant que volets essentiels des politiques publiques en toutes circonstances, de façon à éviter toute répercussion disproportionnée sur la situation des personnes handicapées, en cas de crise financière  ;

b) De modifier les critères d’octroi de la pension d’invalidité et de veiller à ce que ces critères ainsi que le montant de l’aide soient conformes au modèle du handicap fondé sur les droits de l’homme et qu’aucune personne handicapée ne soit exclue  ; de pérenniser les programmes destinés à fournir une aide en espèces aux personnes handicapées titulaires d’un permis de séjour à titre humanitaire et aux demandeurs d’asile et réfugiés handicapés, et de doter ces programmes de moyens financiers accrus  ;

c) D’adopter des mesures spécifiques visant à accroître le nombre de femmes handicapées qui ont accès aux prestations dans le cadre des dispositifs de protection sociale.

Participation à la vie politique et à la vie publique (art. 29)

56.Le Comité est préoccupé par :

a)Les dispositions législatives qui refusent aux personnes présentant un handicap intellectuel ou psychosocial le droit de voter et de se présenter aux élections ;

b)Le manque d’accessibilité des bureaux de vote et des urnes, et le manque de matériel de vote et d’informations électorales sous des formes accessibles, comme le braille, la langue des signes et le langage facile à lire et à comprendre ;

c)Le manque d’informations sur les activités de sensibilisation appropriées, notamment les programmes de formation à l’intention des agents électoraux pour leur permettre de répondre aux besoins des personnes handicapées dans le cadre des processus électoraux et politiques.

57. Le Comité recommande à l’État partie  :

a) De modifier les dispositions essentielles concernant les élections et l’inscription sur les listes électorales et d’éliminer celles qui interdisent aux personnes ayant un handicap intellectuel ou psychosocial d’exercer leur droit de vote et de se présenter aux élections  ;

b) D’adopter des mesures propres à garantir le caractère secret du vote et l’accessibilité des bureaux de vote ainsi que la fourniture du matériel de vote et des informations électorales dans des formats accessibles à toutes les personnes handicapées, en prêtant une attention particulière à l’accessibilité dans les zones rurales et écartées  ;

c) De dispenser aux agents électoraux une formation appropriée sur les droits des personnes handicapées à toutes les étapes du processus électoral pour permettre à ces personnes de participer effectivement aux processus électoraux et politiques.

Participation à la vie culturelle et récréative, aux loisirs et au sport (art. 30)

58.Le Comité constate avec préoccupation que l’État partie n’a pas encore ratifié le Traité de Marrakech visant à faciliter l’accès des aveugles, des déficients visuels et des personnes ayant d’autres difficultés de lecture des textes imprimés aux œuvres publiées.

59. Le Comité encourage l’État partie à prendre toutes les mesures appropriées pour ratifier et appliquer le Traité de Marrakech dès que possible.

60.Le Comité relève avec préoccupation le caractère limité des informations concernant la participation des personnes handicapées aux activités sportives ordinaires et leur accès aux équipements sportifs.

61. Le Comité recommande à l’État partie de prendre des mesures pour promouvoir la participation, dans toute la mesure possible, des personnes handicapées aux activités sportives ordinaires à tous les niveaux, dans des conditions d’égalité avec les autres personnes.

C.Obligations particulières (art. 31 à 33)

Statistiques et collecte des données (art. 31)

62.Le Comité constate avec préoccupation que la base de données nationale sur le handicap n’inclut pas l’ensemble des personnes handicapées, notamment celles qui sont placées en institution. Il est également préoccupé par l’absence de données périodiques sur la situation des personnes handicapées, ventilées selon l’âge, le sexe, le lieu et d’autres critères, qui permettraient de déterminer les obstacles auxquels se heurtent ces personnes pour exercer leurs droits. Il relève en outre avec préoccupation que les organisations de la société civile, notamment les organisations de personnes handicapées, ne peuvent pas participer aux processus concernant les statistiques et la collecte des données.

63. Le Comité recommande à l’État partie  :

a) D’utiliser plus systématiquement le bref questionnaire du Groupe de Washington sur les situations de handicap pour collecter des informations sur la situation des personnes handicapées et les obstacles à l’exercice de leurs droits, et d’établir et de tenir à jour une base de données centrale dans laquelle les données sont ventilées selon l’âge, le sexe, l’appartenance ethnique, le lieu, y compris l’institution, et le type de handicap  ;

b) D’adopter des mesures pour que la planification et la conception des processus de collecte des données s’effectuent avec la participation active des personnes handicapées, par l’intermédiaire des organisations qui les représentent, et en étroite concertation avec elles.

Coopération internationale (art. 32)

64.Le Comité observe avec préoccupation :

a)L’absence d’informations sur les directives relatives à l’inclusion des personnes handicapées dans l’ensemble des programmes de coopération technique et d’assistance de l’État partie ;

b)Le manque d’informations concernant l’accès des organisations de la société civile, y compris les organisations de personnes handicapées, aux financements internationaux pour mettre en œuvre les droits de ces personnes ;

c)Le manque d’informations sur les mesures prises pour appliquer la Convention dans le cadre des efforts visant à mettre en œuvre le Programme de développement durable à l’horizon 2030.

65. Le Comité recommande à l’État partie  :

a) D’adopter des cadres d’orientation et des directives concernant la coopération internationale, qui prennent en compte le handicap en tant que partie intégrante des politiques de développement, et d’allouer à cet effet des ressources suffisantes  ;

b) De faire en sorte que les organisations de personnes handicapées puissent recevoir ou solliciter des financements et d’autres ressources provenant d’entités nationales et internationales  ;

c) D’associer activement et de consulter étroitement les personnes handicapées, à travers les organisations qui les représentent, pour ce qui est des processus d’établissement des budgets publics, du suivi de la réalisation des objectifs de développement durable à l’échelon national, de la prise de décisions au niveau international et de la coopération internationale.

Application et suivi au niveau national (art. 33)

66.Le Comité constate avec préoccupation que :

a)Le nouveau point de contact chargé de l’application de la Convention, à savoir la Direction générale des services aux personnes handicapées et aux personnes âgées, ne dispose pas de mécanismes de concertation étroite avec les organisation de personnes handicapées en ce qui concerne la législation, les politiques et les programmes visant à appliquer la Convention ;

b)L’Institution nationale des droits de l’homme et de l’égalité de Turquie et le bureau du médiateur ne jouissent pas de l’indépendance nécessaire pour suivre l’application de la Convention et ne sont pas conformes aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris) ;

c)Les organisations de personnes handicapées, y compris les organisations faîtières, ne sont pas systématiquement incluses dans les travaux du Conseil de suivi et d’évaluation des activités relatives aux droits des personnes handicapées.

67. Le Comité recommande à l’État partie  :

a) D’adopter des mesures pour renforcer les capacités de la Direction générale des services aux personnes handicapées et aux personnes âgées aux niveaux national et provincial, notamment le rôle qui lui incombe de mener des consultations avec les organisations de personnes handicapées, et pour intégrer la Convention dans tous les secteurs d’intervention  ;

b) De veiller à ce que le dispositif de suivi indépendant prévu au paragraphe 2 de l’article 33 de la Convention soit pleinement conforme aux Principes de Paris et de tenir compte des Lignes directrices du Comité sur les cadres indépendants de surveillance et leur participation aux travaux du Comité (voir CRPD/C/1/Rev.1, annexe)  ;

c) De faire en sorte que les personnes handicapées participent pleinement et effectivement au suivi indépendant de l’application de la Convention, conformément aux dispositions du paragraphe 2 de l’article 33 de la Convention et à l’observation générale n o 7 (2018) du Comité sur la participation des personnes handicapées, y compris des enfants handicapés, par l’intermédiaire des organisations qui les représentent, à la mise en œuvre de la Convention et au suivi de son application, et de prévoir des financements suffisants à cette fin.

IV.Suivi

Diffusion de l’information

68. Le Comité demande à l’État partie de mettre en œuvre ses recommandations figurant dans les présentes observations finales. En ce qui concerne les mesures à prendre d’urgence, le Comité souhaiterait appeler l’attention de l’État partie sur les recommandations figurant aux paragraphes 12 b) et 53 a). Il recommande à l’État partie de transmettre les présentes observations finales, pour examen et suite à donner, aux membres du Gouvernement et du Parlement, aux responsables des différents ministères et aux membres des professions concernées, tels les professionnels de l’éducation, de la santé et du droit, ainsi qu’aux médias, en utilisant pour ce faire les stratégies de communication sociale modernes.

69. Le Comité encourage vivement l’État partie à associer les organisations de la société civile, en particulier les organisations de personnes handicapées, à l’élaboration de ses rapports périodiques.

70. Le Comité prie l’État partie de diffuser largement les présentes observations finales, notamment auprès des organisations non gouvernementales et des organisations qui représentent les personnes handicapées, ainsi qu’auprès des personnes handicapées elles-mêmes et de leurs proches, dans les langues nationales et minoritaires, notamment en langue des signes, et sous des formes accessibles, y compris en langage facile à lire et à comprendre. Il lui demande aussi de les diffuser sur le site Web public consacré aux droits de l’homme.

Prochain rapport périodique

71. Le Comité prie l’État partie de lui soumettre son rapport valant deuxième à quatrième rapports périodiques le 28 octobre 2023 au plus tard et d’y faire figurer des renseignements sur la mise en œuvre des présentes observations finales. Il invite également l’État partie à envisager de soumettre ce rapport selon la procédure simplifiée de présentation des rapports, dans le cadre de laquelle le Comité établit une liste de points au moins un an avant la date prévue pour la soumission du rapport. Les réponses de l’État partie à cette liste de points constituent son rapport périodique.