Nations Unies

CAT/C/51/D/376/2009

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

23 décembre 2013

Original: français

Comité contre la torture

Communication no 376/2009

Décision adoptée par le Comité à sa cinquante et unième session (28 octobre-22 novembre 2013)

Présentée par:Djamila Bendib, représentée par l’Organisation Alkarama for HumanRights

Au nom de:Mounir Hammouche (son fils)

État partie:Algérie

Date de la requête:12 janvier 2009 (lettre initiale)

Date de la présente décision:8 novembre 2013

Objet:Torture dans un poste de police, occasionnant ledécès de la victime

Question de procédure:Procédure internationale d’enquête ou de règlement

Questions de fond:Torture et peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants; obligation de l’État partie de veiller à ce que les autorités compétentes procèdent immédiatement à une enquête impartiale; droit de porter plainte; droitd’obtenir une réparation

Articles de la Convention:articles 1, 2, paragraphe 1; 11, 12, 13, 14 et 16 de la Convention

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (cinquante et unième session)

concernant la

Communication n o 376/2009

Présentée par:Djamila Bendib, représentée par l’Organisation Alkarama for HumanRights

Au nom de:Mounir Hammouche (son fils)

État partie:Algérie

Date de la requête:12 janvier 2009 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le8 novembre 2013,

Ayant achevé l’examen de la requête no376/2009, présentée au nom de Mounir Hammouche en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Ayant tenu comptede toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil, et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.La requérante est Djamila Bendib. Elle soumet la communication au nom de son fils Mounir Hammouche, né le 15 décembre 1980 à Aïn-Taghrout, wilaya de Bordj-Bou-Arreridj, où il résidait de son vivant et où il est décédé en 2006. La requérante allègue que Mounir Hammouche a été victime d’une violation des articles 2, paragraphe 1; 11, 12, 13 et 14, lus en conjonction avec les articles 1 et 16 de la Convention. La requérante est représentée.

Rappel des faits présentés par la requérante

2.1Le 20 décembre 2006, Mounir Hammouche est allé, comme à son habitude, effectuer la prière du soir à l’une des mosquées du village de Aïn-Taghrout, où il résidait. Alors qu’il retournait à son domicile à la fin de la prière, vers 20 heures, plusieurs hommes armés en tenue civile et circulant à bord d’un véhicule l’ont arrêté à proximité du lieu de prière. Il a été conduit dans une caserne militaire relevant du Département du renseignement et de la sécurité (DRS, le service de renseignement de l’armée en charge des opérations de «lutte contre le terrorisme»). Les agents du DRS lui ayant recouvert latête, Mounir Hammouche n’a pu identifier avec certitude le lieu exact où il a été emmené. Il a été libéré le lendemain. La requérante ignore si Mounir Hammouche a été l’objet de mauvais traitements lors de cette première arrestation. La victime a seulement fait part à sa famille que les agents du DRS lui avaient reproché, sans donner d’autres détails, de ne pas faire la prière dans une mosquée plus proche de son domicile, ainsi que de porter une barbe et une tenue vestimentaire islamique.

2.2Le 23 décembre 2006 à la sortie de la même mosquée, Mounir Hammouche a été arrêté une seconde fois, de même que six autres personnes, par les mêmes agents du DRS circulant à bord du même véhicule. Selon les témoignages ultérieurs des individus appréhendés en même temps que Mounir Hammouche, tous, y compris ce dernier, ont été conduits à la caserne du DRS, le Centre territorial de recherche et d’investigation (CTRI) de Constantine, où ils ont été torturés entre le 23 décembre 2006 et le 3 janvier 2007.

2.3Le 29 décembre 2006, des individus en tenue civile, accompagnés de policiers, se sont présentés au domicile de Mounir Hammouche pour annoncer à sa famille qu’il était décédé en garde à vue. Ces personnes, vraisemblablement des agents du DRS, n’ont décliné ni leur identité, ni leur qualité; ils ont simplement indiqué qu’ils relevaient de «la sécurité» (el amn). Quelques heures plus tard, le corps de Mounir Hammouche a été remis à sa famille, qui a pu constater de nombreuses traces de torture sur tout le corps de la victime, en particulier une blessure à la tête et des ecchymoses au niveau des mains et des pieds. À la question de l’un des frères de Mounir Hammouche, s’enquérant des circonstances du décès de son frère, l’un des agents, qui semblait être le chef, a répondu que Mounir Hammouche «s’était probablement suicidé», qu’une «autopsie avait de toute façon été pratiquée», et «qu’ils [la famille] pouvaient l’enterrer». Les agents du DRS et les policiers sont restés près du domicile familial jusqu’à l’enterrement de Mounir Hammouche, le 30décembre 2006. Ils semblaient surveiller la réaction de la famille, ainsi que les allées et venues des voisins et proches de la famille. De nombreux policiers et agents du DRS ont également surveillé le déroulement des funérailles.

2.4Convaincue que Mounir Hammouche ne s’était pas suicidé mais avait succombé aux tortures subies durant sa détention dans les locaux du DRS, sa famille a entrepris de nombreuses démarches visant à faire la lumière sur le sort de la victime. Elle a tout d’abord cherché à connaître le sort des autres personnes ayant été arrêtées le même jour que Mounir Hammouche, pour tenter de recueillir leurs témoignages. Le 3 janvier 2007, ces individus ont été conduits au tribunal de RaselOued, et présentés devant le Procureur de la république. Tous ont été inculpés d’«apologie du terrorisme» et placés en détention préventive à la prison de Bordj bou Arreridj. C’est ainsi que la requérante a pu apprendre, à travers divers témoignages, que Mounir Hammouche, à l’instar de ses codétenus, avait été sauvagement torturé par les agents du DRS dans le CTRI de Constantine, où tous avaient été amenés après leur arrestation.Ces témoignages de torture ont été confirmés par l’un des avocats des prévenus, qui a pu constater, au moment de la présentation de ses clients devant le juge d’instruction le 3 janvier 2007, que ceux-ci présentaient des séquelles visibles de torture le jour de leur audience.

2.5Avec l’intention de porter plainte, YazidHammouche, frère de Mounir Hammouche, s’est rendu au tribunal de Ras el Oued, territorialement compétent, pour demander au Procureur de la République copie du rapport de l’autopsie qui aurait été, selon le DRS, pratiquée sur le corps de Mounir Hammouche. Le Procureur a cependant refusé de donner suite à cette demande, renvoyant YazidHammouche à s’adresser au Procureur général de Constantine. Suivant ces instructions, YazidHammouche a été reçu par le Procureur général de Constantine, qui lui a confirmé que Mounir Hammouche se serait suicidé et affirmé qu’une autopsie avait été effectuée, et un rapport établi. Le Procureur général de Constantine a ensuite désigné un document non signé et non daté en déclarant qu’il s’agissait du rapport d’autopsie. Il a pourtant refusé d’en remettre une copie à YazidHammouche et, lorsque ce dernier a demandé à le consulter plus longuement, il s’y est opposé. YazidHammouche a exprimé la volonté de sa famille de porter plainte, mais le magistrat a refusé d’entrer en matière, ajoutant qu’une information était de toute façon ouverte, et que les résultats seraient communiqués à la famille en temps opportun.

2.6Aucune suite n’ayant été donnée aux démarches de la famille, la requérante a adressé, le 7 février 2007, une demande écrite au Procureur de la République de Ras el Oued, pour obtenir une copie du rapport d’autopsie du corps de Mounir Hammouche. La requérante s’est également adressée par écrit au Procureur général de Constantine. Elle n’a reçu aucune réponse de ces deux magistrats. Toutes les démarches de la famille de la victime sont restées vaines et les recours internes se sont en définitive révélés indisponibles et inefficaces, du fait de la passivité du parquet et des autorités. Selon la requérante, les autorités de l’État partie, y compris ses autorités judiciaires, refusent manifestement d’établir la responsabilité des services de sécurité, pourtant directement en cause dans le décès de Mounir Hammouche. Le prétexte d’une enquête en cours avancé par l’État partie pour refuser d’enregistrer une plainte pénale ne semble avoir été invoqué que pour refuser à la famille le droit de connaître la vérité, d’enregistrer une plainte pénale et d’obtenir réparation. Par ailleurs, aucun des deux magistrats approchés par la famille de Mounir Hammouche n’a fait part des résultats de cette prétendue enquête à la famille. Ainsi, il est raisonnable de penser qu’aucune enquête sérieuse n’a jamais été diligentée, du fait que les autorités savent que Mounir Hammouche est probablement décédé des suites des tortures qui lui ont été infligées, tortures qu’ont également subies les autres personnes arrêtées en même temps que lui.

2.7Le 16 janvier 2007, la requérante a saisi le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du décès en garde à vue de Mounir Hammouche. Le 18 janvier 2007, elle a saisi également le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires. La requérante se réfère également aux observations finales du Comité contre la torture concernant le troisième rapport périodique de l’État partie, dans lesquelles le Comité a exprimé sa préoccupation quant aux informations selon lesquelles la famille de Mounir Hammouche n’aurait pas eu accès au rapport d’autopsie le concernant.À travers le dialogue engagé par le Comité avec l’État partie dans le cadre de l’examen de son rapport périodique en mai 2008, la famille de Mounir Hammouche a enfin pu apprendre le nom du médecin qui aurait effectué l’autopsie. Lors de cette même occasion, le représentant du Gouvernement de l’État partie a également affirmé que la famille pouvait demander le rapport d’autopsie, ainsi que les procès-verbaux d’enquête préliminaire. Fort de cette information, YazidHammouche s’est donc rendu de nouveau auprès des services du Procureur du tribunal de Ras el Oued durant l’été 2008, ainsi qu’auprès du Procureur général de la Cour de Constantine pour réitérer les demandes de la famille. Cependant, en dépit des déclarations officielles de l’État partie, la famille n’a jamais réussi à obtenir copie du rapport d’autopsie. Selon la requérante, il paraît raisonnable d’affirmer que ce rapport devait établir que le décès résultait des tortures subies par lavictime.

2.8La requérante souligne en outre que les principaux témoins des faits, à savoir les autres personnes arrêtées dans les mêmes circonstances et détenues dans les mêmes conditions que la victime, n’ont jamais été entendus par des enquêteurs sur les faits et les conditions de leur détention. De même, les ayants droits n’ont jamais été entendus en qualité de parties civiles, comme cela est d’usage dans une enquête pénale. La famille n’a donc jamais eu la possibilité légale d’enregistrer une plainte puisque, selon les affirmations des autorités judiciaires,confirmées en mai 2008 devant le Comité, une enquête était déjà en cours. Selon la requérante, ce prétexte ne semble avoir été invoqué que pour refuser à la famille de la victime le droit de connaître la vérité, d’enregistrer une plainte pénale au parquet et d’obtenir réparation. Par conséquent, malgré toutes les démarches engagées par la famille, aucun des auteurs matériels des crimes commis contre Mounir Hammouche, pourtant facilement identifiables, n’a jamais été inquiété.La requérante indique, une nouvelle fois, que sa famille a tenté d’utiliser les voies légales existantes, mais que toutes ses démarches se sont révélées inefficaces et inutiles,et la famille de Mounir Hammouche demeure aujourd’hui privée de son droit de recourir à la justice. Par conséquent, la requérante demande à ne plus plus être tenue, pour que cette communication soit recevable devant le Comité, de poursuivre plus longtemps les démarches et procédures sur le plan interne.

Teneur de la plainte

3.1La requérante allègue que son fils Mounir Hammouche est devenu victime des violations par l’État partie des articles 2, paragraphe 1; 11; 12; 13 et 14, lus en conjonction avec l’article 1 et subsidiairement avec l’article 16 de la Convention.

3.2Selon la requérante, Mounir Hammouche a incontestablement fait l’objet de tortures. Ses codétenus arrêtés dans les mêmes circonstances et détenus sur le même lieu, soit le CTRI de Constantine, et dans les mêmes conditions, ont tous fait état des tortures qu’ils ont subies entre les mains d’agents du DRS relevant de ce centre. La requérante soulève que plusieurs milliers de personnes ont été détenues dans ce centre, et y ontdisparu. Beaucoup y sont mortes sous la torture ou y ont été exécutées sommairementdurant les années1990. La dépouille de Mounir Hammouche remise à sa famille, mise en demeure de l’enterrer au plus vite, portait selon tous les témoignages de ses proches des traces de tortures matérialisées par des ecchymoses au niveau des mains et des pieds, et une blessure à la tête. Ces sévices ont eu pour conséquence directe d’entraîner son décès, ce qui prouve indubitablement leur violence et leur intensité. La requérante ajoute que ces tortures ont été infligées à Mounir Hammouche par ses tortionnaires avec l’intention de le soumettre à des souffrances aiguës, puisqu’il serait impossible de soumettre une personne à de telles violences de manière involontaire. Ces tortures avaient pour finalité d’obtenir des renseignements ou des aveux, de le punir, l’intimider, ou de faire pression sur lui en raison de son appartenance idéologique islamiste supposée. Lors de sa première arrestation en effet, il lui avait été reproché de porter la barbe et une tenue islamique.Par ailleurs, il ne fait aucun doute que les actes infligés à Mounir Hammouche ont été commis par des membres du DRS, agents étatiques agissant à titre officiel. La requérante conclut que les sévices infligés à la victime constituent des actes de torture, tels que définis à l’article premier de la Convention.

3.3La requérante invoque également le paragraphe 1 de l’article 2 de la Convention, en vertu duquel l’État partie aurait dû prendre toutes les «mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces, pour empêcher que des actes de torture soient commis dans tout territoire sous sa juridiction». Elle ajoute que la loi algérienne ne contient aucune disposition interdisant l’utilisation comme preuve des aveux ou déclarations extorqués sous la torture, ce qui ne contribue pas à dissuader la police judiciaire, et a fortiori les services du DRS – qui ne relèvent pas de l’autorité judiciaire –, de se servir de méthodes illicites pour obtenir des déclarations, qui seront ensuite employées dans des procès pénaux à l’encontre des détenus ou à l’encontre de tiers. Par ailleurs, l’État partie possède de nombreux centres secrets de détention,ce qui laisse la porte ouverte à tous les abuset contrevient aux mesures identifiées par le Comité, qui sont requises des États parties pour prévenir la torture et les mauvais traitements infligés aux personnes privées de liberté, comme la tenue d’un registre officiel des détenus. En vertu de l’article 2, paragraphe 1, de la Convention, l’État partie se doit également de garantir le droit des détenus à bénéficier promptement d’une assistance juridique et médicale indépendante ainsi qu’à prendre contact avec leur famille et la possibilité d’avoir accès à des recours judiciaires et autres leur permettant de voir leur plainte être examinée rapidement, de défendre leurs droits et de contester la légalité de leur détention ou de leur traitement. La requérante observe que la législation algérienne prévoit une durée de garde à vue jusqu’à 12 jours, sans possibilité de contact avec l’extérieur, et notamment avec la famille, un avocat ou un médecin indépendant. Ce long délai de détention incommunicado expose les intéressés à un risque accru de torture et mauvais traitements. Dans ces circonstances, les détenus sont, de plus, dans l’incapacité matérielle de faire valoir leurs droits par voie judiciaire.

3.4La requérante invoque également l’article 11 de la Convention, notant que l’article 51 du Code de procédure pénale de l’État partieprévoit une durée de garde à vue pouvant aller jusqu’à 12 jours qui est souvent, dans la pratique, prolongée. Le droit à l’assistance d’un avocat durant la garde à vue n’est pas garanti dans la législation algérienne. Par ailleurs, aucune disposition légale n’établit l’interdiction d’invoquer comme élément de preuve une déclaration obtenue par la torture.

3.5La requérante soutient également que l’article 12 de la Convention, qui requiert qu’il soit immédiatement procédé à une enquête impartiale chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis, a été violé par l’État partie à l’égard de Mounir Hammouche. Aucune des demandes adressées par la famille de la victime, portant les faits à la connaissance des magistrats du parquet, n’arésulté en une enquête, qui aurait pourtant dû être conduite sans tarder.Bien qu’une mesure d’autopsie aurait été ordonnée après le décès de Mounir Hammouche, aucun rapport n’a été communiqué à sa famille, ce qui laisse persister un doute sur la réalité des affirmations de l’État partie. De même, une enquête aurait été entreprise, mais les résultats n’ont jamais été révélés à la famille, et ce plus de 24 mois après les faits. En admettant qu’une telle enquête ait été menée, la requérante s’interroge sur l’impartialité d’une telle enquête,dès lors que ceux qui l’auraient dirigée sont les auteurs matériels ou, au mieux, les complices, des faits en cause. La requérante doute au demeurant qu’une quelconque enquête ait été effectuée, vu qu’aucun des témoins des faits n’a jamais été entendu dans le cadre d’une quelconque procédure.La requérante en conclut que l’État partie n’ayant pas effectué une enquête réelle, prompte et impartiale sur les allégations de torture dont a été victime Mounir Hammouche, il a agi au mépris des obligations qui lui incombaient au titre de l’article12 de la Convention.

3.6Pour ce qui est de l’article 13 de la Convention, la requérante avance que l’État partie se devait degarantir à la famille de Mounir Hammouche le droit de porter plainte devant les autorités nationales compétentes, et de veiller à ce que celles-ci procèdent immédiatement et impartialement à l’examen de la cause. En l’espèce, les autorités ont ôté tout espoir à la famille de la victime que justice soit faite. Le Procureur de Ras elOued n’a donné aucune suite à la plainte du frère de la victime, et le Procureur de Constantine, également saisi, n’a pas davantage fait preuve de diligence. D’autre part, les proches de Mounir Hammouche se sont vus refuser la remise du rapport de l’autopsie qui aurait été pratiquée, une pièce à l’évidence clé en vue d’élucider et de prouver les faits. De plus, ils n’ont pas eu accès aux résultats de l’enquête –fût-elle incomplète et partiale– que l’État affirme avoir menée à bien. En conséquence, en n’informant pas la familledes résultats de l’enquête, l’État partie afait obstacle à toute possibilité d’action pénale par la famille, que la famille aurait en principe pu entreprendre en vertu du Code de procédure pénale algérien. Ce faisant, l’État partie a agi en violation de l’article13 de la Convention.

3.7La requérante invoque également l’article 14 de la Convention, en ce que l’État partie, en privant la famille de Mounir Hammouche d’une procédure pénale, l’a privée de la possibilité légale d’obtenir une indemnisation suite à des crimes graves tels que la torture. En outre, la passivité du Ministère public a réduit à néant les chances d’obtenir réparation par le biais d’une action civile en dommages et intérêts, exercée séparément de l’action publique, puisque le Code de procédure pénale algérien stipule qu’«il est sursis au jugement de cette action exercée devant la juridiction civile tant qu’il n’a pas été prononcé définitivement sur l’action publique». En cas de refus d’informer de la part du Procureur, l’accès effectif à l’action civile demeure donc en suspens. La requérante souligne en outre que l’obligation de réparation qui incombe à l’État partie comprend une indemnisation pour les dommages subis, mais ne s’y limite pas, puisqu’elledoit également inclure l’adoption de mesures visant à la non-répétition des faits, notamment à travers l’application de sanctions appropriées vu la gravité des faits à l’encontre des responsables, ce qui implique, en premier chef, de diligenter une enquête et de poursuivre les responsables.Pour ce qui est de Mounir Hammouche, le crime perpétré à son encontre demeureimpuni, puisque ses tortionnaires n’ont été ni condamnés ni poursuivis, n’ont pas fait l’objet d’enquête, ni même été inquiétés, ce qui révèle une violation du droit des proches de Mounir Hammouche à la réparation en vertu de l’article14 de la Convention.

3.8La requérante répète que les violences infligées à Mounir Hammouche sont des tortures, conformément à la définition de l’article premier de la Convention. Néanmoins, et subsidiairement, si le Comité ne devait pas retenir cette qualification, il est maintenu que les sévices endurés par la victime constituent dans tous les cas des traitements cruels, inhumains ou dégradants, et que, à ce titre, l’État partie était également tenu de prévenir et réprimer leur commission, instigation ou tolérance par des agents étatiques, en vertu de l’article16 de la Convention.

Défaut de coopération de l’État partie

4.Les 27 janvier 2011, 27 février 2012 et 21 mai 2012, l’État partie a été invité à présenter ses observations concernant la recevabilité et le fond de la communication. Le Comité note qu’il n’a reçu aucune information à ce titre. Il regrette le refus de l’État partie de communiquer toute information concernant la recevabilité et/ou le fond des griefs de la requérante. Il rappelle que l’État partie concerné est tenu, en vertu de la Convention, de soumettre par écrit au Comité des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas échéant, les mesures qu’il pourrait avoir prises pour remédier à la situation. En l’absence de réponse de l’État partie, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de la requérante qui ont été dûment étayées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. LeComité note que le cas de Mounir Hammouche a été signalé au Rapporteurspécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et au Rapporteur spécial sur la torture en 2007. Toutefois, le Comité observe que les procédures ou mécanismes extraconventionnels mis en place par la Commission des droits de l’homme ou le Conseil des droits de l’homme, et dont les mandats consistent à examiner et à faire rapport publiquement sur la situation des droits de l’homme dans tel ou tel pays ou territoire ou sur des phénomènes de grande ampleur de violation des droits de l’homme dans le monde, ne relèvent pas d’une procédure internationale d’enquête ou de règlement au sens du paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention. Enconséquence, le Comité estime que l’examen du cas de Mounir Hammouche par le Rapporteurspécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et par le Rapporteur spécial sur la torture ne rend pas la communication irrecevable au titre de cette disposition.

5.2En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, le Comité rappelle avec préoccupation que, malgré les trois rappels qui lui ont été envoyés, l’État partie ne lui a fait parvenir aucune observation sur la recevabilité ou le fond de la communication. Le Comité en conclut que rien ne s’oppose à ce qu’il examine la communication conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention.

5.3Ne voyant aucune autre raison de considérer la communication comme irrecevable, le Comité passe à l’examen quant au fond des griefs présentés par la requérante au titre des articles 1, 2 paragraphe 1; 11; 12; 13; 14; et 16 de la Convention.

Examen au fond

6.1Le Comité a examiné la requête en tenant dûment compte de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention. L’État partie n’ayant fourni aucune observation sur le fond, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de la requérante.

6.2Le Comité note que selon la requérante, après une première arrestation trois jours auparavant, Mounir Hammouche a été appréhendé le 23 décembre 2006 par des agents du DRS, puis conduit au CTRI de Constantine, une caserne militaire où il aurait été torturé, selon des témoignages de codétenus. Le 29 décembre 2006, des agents de l’État partie se sont présentés au domicile de Mounir Hammouche pour annoncer à sa famille son décès en garde à vue. Quelques heures plus tard, la dépouille de Mounir Hammouche a été remise à sa famille, qui a pu constater une blessure au niveau de la tête et des ecchymoses au niveau des mains et des pieds de la victime. Selon la requérante, ces blessures suggèrent que des coups et blessures volontaires, qui doivent être caractérisés comme des douleurs et souffrances aiguës, auraient été portés à Mounir Hammouche durant sa détention et infligés intentionnellement par des fonctionnaires de l’État partie dans le but d’obtenir des aveux, de le punirou de l’intimider en raison de son appartenance idéologique islamiste supposée. En l’absence de toute réfutation de la part de l’État partie,le Comité conclut que les allégations de la requérante doivent être dûment prises en considération etque les faits, tels que présentés par la requérante, sont constitutifs d’actes de torture, au sens de l’article premier de la Convention.

6.3Ayant constaté la violation de l’article premier, le Comité n’examinera pas séparément les griefs tirés de la violation de l’article16 de la Convention, invoqué à titre subsidiaire par la requérante.

6.4La requérante invoque également l’article 2, paragraphe 1, de la Convention, en vertu duquel l’État partie aurait dû prendre toutes les «mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces, pour empêcher que des actes de torture soient commis dans tout territoire sous sa juridiction». Elle ajoute que la loi algérienne ne contient aucune disposition interdisant l’utilisation comme preuve des aveux ou déclarations extorqués sous la torture; que la législation algérienne prévoit une durée de garde à vue jusqu’à 12 jours, sans possibilité pour le détenu de contact avec un membre de sa famille, un avocat ou un médecin indépendant; et que ce long délai de détention incommunicado accroît le risque de torture et mauvais traitements. Le Comité rappelle ses observations finales, adoptées en mai 2008 suite à l’examen du troisième rapport périodique de l’État partie, dans lesquelles il exprimait ses préoccupations quant à la durée légale de la garde à vue – qui, dans les faits, peut être prolongée à plusieurs reprises –; le fait que la loi ne garantisse pas le droit à un avocat pendant la période de garde à vue; ainsi que le fait que, dans la pratique, le droit de la personne gardée à vue d’avoir accès à un médecin et à communiquer avec sa famille n’est pas toujours respecté. Ces observations font écho à l’observation générale no 2 (2008) du Comité dans laquelle ce dernier a souligné la teneur de l’obligation qui incombe aux États parties, au titre du paragraphe 1 de l’article 2, de prendre des mesures efficaces pour prévenir la torture, notamment l’application de certaines garanties fondamentales s’appliquant à toutes les personnes privées de liberté. En l’espèce, Mounir Hammouche a été détenu incommunicado, sans contact avec sa famille, ni avec un défenseur ou un médecin. L’absence manifeste de tout mécanisme de contrôle sur le CTRI l’a exposé à un risque accru de subir des actes de torture et l’a, de plus, privé de toute possibilité de recours. En conséquence, le Comité conclut à une violation du paragraphe 1 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 1 de la Convention.

6.5S’agissant de l’article 11, le Comité rappelle sa recommandation à l’État partie dans le cadre de ses observations finales, l’exhortant, entre autres, à veiller à la création d’un registre national de personnes détenues, et de garantir le droit des détenus d’avoir accès à un médecin et de communiquer avec leur famille.Au vu de cette recommandation et du manque d’informations fournies par l’État partie à ce sujet, le Comité ne peut que constater en l’espèce que l’État partie a failli à ses obligations au titre de l’article 11 de la Convention.

6.6S’agissant des articles12 et13 de la Convention, le Comité a pris note des allégations de la requérante qui doute, malgré les déclarations de l’État partie qui lui ont été faites, qu’une quelconque enquête ait été effectuée par l’État partie, vu qu’aucun des témoins des faits n’a jamais été entendu dans le cadre d’une quelconque procédure.Larequérante a également fait valoir qu’en n’informant pas la familledes résultats de l’enquête qui aurait été conduite, l’État partie afait obstacle à toute possibilité d’action pénale par la famille. Le Comité rappelle que le 23 décembre 2006, Mounir Hammouche a été arrêté par des agents du DRS; que sa famille n’a plus eu de ses nouvelles jusqu’au 29décembre 2006, date à laquelle des agents s’étant présentés comme faisant partie de «la sécurité» se sont présentés au domicile familial pour annoncer son décès à la famille, alléguant que Mounir Hammouche«s’était probablement suicidé»; que le même jour, le corps de Mounir Hammouche a été remis à sa famille, qui a pu constater que la victime portait de nombreuses blessures sur le corps, en particulier une blessure au niveau de la tête et des ecchymoses au niveau des mains et des pieds; que la famille s’est vue refuser l’accès au rapport de l’autopsie qui, selon les servicesde sécurité et les autorités judiciaires de l’État partie, aurait été effectuée.La famille s’est adressée au Procureur de la République de RaselOued, puis au Procureur général de Constantine, qui a maintenu la thèse du suicide de la victime, tout en refusant de transmettre à la famillele rapport d’autopsie qui aurait été menée.Le Comité relève que malgré l’existence de marques de torture apparentes sur le corps de la victime et de témoignages selon lesquels Mounir Hammouche, à l’instar de ses codétenus, avait été sauvagement torturé par les agents du DRS dans le CTRI de Constantine, aucune enquête n’a été menée par l’État partie pour faire la lumière sur les événements ayant provoqué la mort de Mounir Hammouche en détention, sept ans après les faits. L’État partie n’a soumis aucune information susceptible de contredire ces faits.Le Comité considère qu’un tel délai avant l’ouverture d’une enquête sur des allégations de torture est manifestement abusif et contrevient de manière patente aux obligations qui incombent à l’État partie au titre de l’article12 de la Convention, qui requiert qu’il soit immédiatement procédé à une enquête impartiale chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis.Le Comité rappelle également que lors du dialogue engagé avec l’État partie en 2008, le Comité avait exprimé sa préoccupation quant au cas de Mounir Hammouche et rappelé l’obligation qui incombait à l’État partie de déclencher spontanément et systématiquement des enquêtes promptes et impartiales dans tous les cas où existent des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis, y compris en cas de décès de la personne détenue.N’ayant pas rempli cette obligation, l’État partie a également manqué à la responsabilité qui lui revenait au titre de l’article13 de la Convention de garantir à la requérante et à sa famille le droit de porter plainte,qui présuppose que les autorités apportent une réponse adéquate à une telle plainte par le déclenchement d’une enquête prompte et impartiale.

6.7S’agissant des allégations de la requérante au titre de l’article 14 de la Convention, la requérante a fait valoir qu’en privant la famille de Mounir Hammouche d’une procédure pénale, l’État partie l’a privée de la possibilité d’obtenir une indemnisation par le biais d’une action civile, puisqu’en vertu du droit algérien, il estsursis au jugement de l’action devant la juridiction civile tant qu’il n’a pas été prononcé définitivement sur l’action publique. Le Comité fait référence à son observation générale no3 (2012), et rappelle que l’article 14 de la Convention reconnaît non seulement le droit d’être indemnisé équitablement et de manière adéquate, mais impose aussi aux États parties l’obligation de veiller à ce que la victime d’un acte de torture obtienne réparation. Le Comité considère que la réparation doit couvrir l’ensemble des dommages subis par la victime et englobe, entre autres mesures, la restitution, l’indemnisation ainsi que des mesures propres à garantir la non-répétition des violations. En l’absence d’une enquête diligentée de manière prompte et impartiale,malgré l’existence de circonstances suggérant fortement que Mounir Hammouche est décédé en détention suite à des actes de torture, le Comité conclut que l’État partie a également manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article14 de la Convention.

7.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, est d’avis que les faits dont il a été saisi font apparaître une violation des articles 1, 2, par. 1, 11, 12, 13 et 14 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

8.Conformément au paragraphe5 de l’article118 de son règlement intérieur, le Comité invite instamment l’État partie à l’informer, dans un délai de 90 jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises conformément aux constatations ci-dessus, y inclus initier une enquête impartiale sur les événements en question, dans le but de poursuivre en justice les personnes qui pourraient être responsables du traitement infligé à la victime; remettre une copie du rapport d’autopsie de la victime et les procès-verbaux d’enquête préliminaire à la requérante qui les a demandés, comme il a été promis par le représentant du Gouvernement de l’État partie au Comité en mai 2008; et fournir uneréparation complète et effectiveà la requérante.

[Adopté en français (version originale), en anglais, en espagnol et en russe. Paraîtra ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]