Nations Unies

CAT/C/51/D/438/2010

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

17 décembre 2013

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Communication no 438/2010

Décision adoptée par le Comité à sa cinquante et unième session(28 octobre-22 novembre 2013)

Communication p résentée par:

M. A. H. et F. H. (représentés par un conseil, Tarig Hassan)

Au nom de:

M. A. H. et F. H.

État partie:

Suisse

Date de la requête:

15 novembre 2010 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision:

7 novembre 2013

Objet:

Expulsion des requérants vers la Tunisie

Questions de procédure:

-

Questions de fond:

Risque de torture en cas de renvoi dans le pays d’origine

Article de la Convention:

3

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peinesou traitements cruels, inhumains ou dégradants(cinquante et unième session)

concernant la

Communication no 438/2010

Présentée par:

M. A. H. et F. H.(représentés par un conseil, Tarig Hassan)

Au nom de:

M. A. H. et F. H.

État partie:

Suisse

Date de la requête:

15 novembre 2010 (date de la lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 7 novembre 2013,

Ayant achevé l’examen de la requête no 438/2010, présentée au nom de M. A. H. et F. H. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les requérants, leur conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22de la Convention contre la torture

1.1Les auteurs de la communication sont M. A. H. (né en 1953) et son épouse, F. H. (née en 1957), tous deux de nationalité tunisienne. Leurs demandes d’asile ont été rejetées en Suisse et, au moment de la présentation de la requête, ils étaient en instance d’expulsion vers la Tunisie. Ils affirment que leur expulsion vers la Tunisie constituerait une violation par la Suisse de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ils sont représentés par un conseil, Tarig Hassan.

1.2Le 29 novembre 2010, en vertu du paragraphe 1 de l’article 114 (ancien paragraphe 1 de l’article 108) de son règlement intérieur (CAT/C/3/Rev.5), le Comité a prié l’État partie de ne pas expulser les requérants vers la Tunisie tant que l’affaire serait à l’examen. Le 30 novembre 2010, l’État partie a informé le Comité que l’Office fédéral des migrations avait demandé aux autorités compétentes de surseoir à l’exécution de l’ordre d’expulsion concernant les requérants jusqu’à nouvel ordre.

Rappel des faits présentés par les requérants

2.1Les requérants ont vécu à Tunis jusqu’en septembre 2000. En 1998, le premier requérant, avec deux amis, est venu en aide aux familles de prisonniers politiques et a soutenu le parti politique Ennahda, notamment L. S., dirigeant du parti, qui a été libéré en novembre 2007. En septembre 2000, des amis du requérant ont été arrêtés par les services secrets tunisiens; peu de temps après, la boutique de la deuxième requérante a été perquisitionnée. Craignant des persécutions, les requérants ont décidé de quitter le pays.

2.2Le 7 octobre 2000, les requérants ont quitté la Tunisie et se sont rendus en Suisse où ils ont demandé l’asile le 12 octobre 2000. Pendant leur séjour en Suisse, plusieurs convocations ont été envoyées à leur domicile, à Tunis. Le 10 juin 2002, l’Office fédéral suisse des réfugiés (devenu aujourd’hui l’Office fédéral des migrations) a rejeté leur demande et ordonné leur expulsion. Le 20 octobre 2002, les requérants ont demandé un réexamen de cette décision négative, en présentant de nouveaux éléments de preuve. Le 7 novembre 2002, l’Office fédéral des réfugiés a rejeté leur demande. Le 5 décembre 2005, la Commission suisse de recours en matière d’asile (aujourd’hui remplacée par le Tribunal administratif fédéral) a rejeté le recours des requérants. Le 18 janvier 2006, les requérants ont présenté une autre requête en réexamen auprès de l’Office fédéral des réfugiés, que ce dernier a décidé de ne pas examiner au fond, le 27 février 2006. À une date non précisée, le Tribunal administratif fédéral a rejeté le recours des requérants pour des raisons de procédure car ceux-ci n’avaient pas acquitté les frais correspondants. Le 7 décembre 2006, les requérants ont été rapatriés en Tunisie.

2.3À leur arrivée en Tunisie, les requérants ont été retenus et interrogés séparément par des fonctionnaires. Comme le premier requérant était en très mauvaise santé, il n’a pas été arrêté mais hospitalisé pendant une journée. La seconde requérante s’est vu remettre une convocation des services secrets tunisiens concernant les deux requérants. Ils se sont rendus à la convocation et ont été interrogés. La seconde requérante a été de nouveau convoquée et interrogée concernant les contacts que son mari avait en Suisse et a été avertie que celui-ci n’était pas autorisé à quitter le pays. Le premier requérant a été interrogé au Ministère de l’intérieur sur le point de savoir s’il était venu en aide aux familles de prisonniers politiques et s’il avait été en contact avec des Tunisiens ayant des activités politiques en Suisse. Il n’a pas été arrêté, pour des raisons de santé, mais placé sous surveillance policière. La police s’est rendue au domicile des requérants deux fois par semaine pendant plusieurs mois. En outre, les requérants ont été convoqués pour des interrogatoires dans un poste de police. Selon le premier requérant, les autorités le soupçonnaient d’appartenir au mouvement Ennahda et d’être en contact avec son dirigeant, L. S. Soumis à une forte pression psychologique, les requérants ont quitté la Tunisie pour la Libye, munis de faux passeports, le 21 juillet 2007.

2.4Le 30 juillet 2007, les requérants sont revenus en Suisse et ont déposé une nouvelle demande d’asile. Les 1er et 27 août 2007 et le 22 avril 2008, ils ont été interrogés par les autorités suisses en matière d’asile. Le 8 septembre 2008, l’Office fédéral des migrations a rejeté leur demande et ordonné leur expulsion. Le conseil a ensuite fait appel de cette décision. Le 29 octobre 2010, le Tribunal administratif fédéral a rejeté l’appel. Le 4 novembre 2010, l’Office des migrations a signifié aux requérants l’obligation de quitter la Suisse le 2 décembre 2010 au plus tard.

2.5Les requérants déclarent que les autorités suisses en matière d’asile n’ont pas jugé leur récit crédible pour les raisons indiquées ci-après. Premièrement, leur deuxième demande d’asile était fondée sur les activités politiques du premier requérant, qui n’ont pas été jugées crédibles pendant la première procédure d’asile. De plus, les informations données sur ses activités politiques ne concordaient pas avec les déclarations faites pendant la première procédure d’asile. Ainsi, pendant la première procédure, il a affirmé avoir fondé un groupe pour venir en aide aux familles de prisonniers politiques, alors que pendant la deuxième procédure, il a fait valoir qu’il était membre d’Ennahda. Pendant la première procédure, les requérants ont affirmé que la police avait perquisitionné à leur domicile et dans la boutique une fois seulement, alors que pendant la deuxième procédure, la seconde requérante a souligné que la police s’était rendue à leur domicile à plusieurs reprises. Deuxièmement, les autorités suisses ont considéré que dans leurs déclarations, les requérants se contredisaient entre eux. C’est ainsi que le premier requérant affirmait qu’après l’avoir interrogé au Ministère de l’intérieur, la police s’était régulièrement rendue à leur domicile et l’avait conduit au poste de police pour l’interroger, et qu’ils avaient été victimes de harcèlement pendant environ deux mois. Parallèlement, la deuxième requérante a affirmé que le premier requérant n’avait jamais été interrogé ni conduit au poste de police lors de ces incidents, en raison de sa mauvaise santé, et que la police les avait harcelés depuis décembre 2006 jusqu’à environ un mois avant leur départ. Troisièmement, les autorités suisses ont fait valoir que, si le premier requérant avait effectivement été recherché par la police, il n’aurait pas pu obtenir un passeport et quitter le pays. Quatrièmement, les autorités suisses ne contestaient pas le fait que les Tunisiens de retour dans leur pays après un séjour prolongé à l’étranger soient habituellement interrogés à leur arrivée, mais elles estimaient que ces mesures n’étaient pas de nature à être prises en compte au regard de la loi sur l’asile. Les autorités suisses ont conclu que les éléments de preuve fournis par les requérants ne suffisaient pas à établir qu’ils avaient de bonnes raisons de craindre d’être persécutés en Tunisie.

2.6Les requérants ajoutent que les autorités suisses en matière d’asile ont déclaré que leur expulsion de Suisse était raisonnable, légale et possible. Premièrement, les requérants n’avaient pas démontré qu’ils avaient fait l’objet de persécutions de la part de l’État en Tunisie et il n’y avait aucune raison de croire qu’ils seraient soumis à la torture ou à d’autres traitements contraires à la Convention en cas de retour en Tunisie. Deuxièmement, même si le premier requérant souffrait d’une tuberculose latente, de dépression et d’hépatite C, ce qui était confirmé par des rapports médicaux, il s’agissait de maladies qui pouvaient parfaitement être traitées en Tunisie, où le système de santé était excellent et accessible.

2.7Les requérants estiment, contrairement à ce qu’affirme l’État partie, qu’ils seraient exposés à un risque réel et immédiat de torture ou autres traitements inhumains et dégradants en Tunisie. Ils estiment que les autorités suisses n’ont pas examiné leur dossier avec la diligence voulue, étant donné que la décision rendue par le Tribunal administratif fédéral le 29 octobre 2010 mentionne une date erronée pour leur départ du pays et que les autorités n’ont pas pris en compte les nouveaux éléments de preuve présentés, en particulier la convocation du 7 décembre 2006 concernant les deux requérants et une convocation du 23 janvier 2007 concernant le premier requérant. Ces documents corroborent le fait que les autorités tunisiennes tiennent à contrôler et éventuellement punir les requérants, parce qu’elles les soupçonnent d’avoir des liens avec Ennahda et pas seulement parce qu’ils ont résidé à l’étranger pendant plusieurs années.

2.8Les requérants estiment en outre avoir éclairci les incohérences relevées dans les déclarations faites dans le cadre de leur appel. Ils ont expliqué en particulier que le premier requérant n’avait pas informé son épouse de l’interrogatoire qu’il avait subi au poste de police pour des «raisons culturelles» et pour lui éviter des soucis supplémentaires. En outre, ils ont souligné qu’ils s’étaient rendus en Suisse avec de faux passeports qu’ils avaient obtenus en soudoyant des fonctionnaires. Ils ont cité le rapport du Département d’État des États-Unis d’Amérique, selon lequel la corruption augmente en Tunisie. En outre, ils n’ont pas quitté la Tunisie par voie aérienne mais l’ont traversée dans un taxi collectif jusqu’à la Libye. Les requérants affirment par conséquent que le fait qu’ils aient pu quitter la Tunisie ne signifie pas qu’ils n’y soient pas recherchés.

2.9Les requérants font valoir qu’ils seraient arrêtés s’ils étaient de nouveau renvoyés de force en Tunisie. Premièrement, ils faisaient l’objet d’une surveillance de la police au moment de leur départ et avaient été mis en demeure de ne pas quitter le pays. Deuxièmement, le premier requérant est effectivement partisan du mouvement Ennahda et a tenté d’établir des contacts avec le représentant du mouvement en Suisse, A. A. A. G. Troisièmement, le premier requérant venait en aide aux familles de prisonniers politiques et était par conséquent indirectement lié au dirigeant d’Ennahda, L. S. Quatrièmement, on ne saurait prendre pour hypothèse que les requérants seraient relâchés s’ils étaient interrogés à l’aéroport à leur retour, étant donné qu’ils ont fui la Tunisie deux fois et ont fait l’objet d’une surveillance prolongée et minutieuse à leur retour en 2006. Le fait de quitter le pays illégalement entraîne une peine de prison allant de quinze jours à six mois. Les requérants affirment qu’il y a suffisamment d’éléments de preuve pour penser que les autorités tunisiennes les arrêteraient et les déclareraient peut-être coupables d’activités dissidentes.

2.10Les requérants ajoutent que les conditions de détention en Tunisie sont extrêmement dures et que le système judiciaire est défaillant, en particulier dans les affaires à caractère politique, et ils renvoient à des rapports d’organisations non gouvernementales qui vont dans ce sens. De plus, le premier requérant a de sérieux problèmes de santé, comme le reconnaissent les autorités suisses, et une peine de prison mettrait sa vie en danger et le soumettrait à un traitement inhumain et dégradant.

Teneur de la plainte

3.Les requérants font valoir que leur retour forcé en Tunisie constituerait une violation par la Suisse des obligations qui lui incombent en vertu du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention.

Observations de l’État partie sur le fond

4.1Le 24 mai 2011, l’État partie a soumis ses observations sur le fond. Il rappelle la teneur de la plainte et prend note de l’argument présenté par les requérants devant le Comité selon lequel ils courraient le risque d’être torturés ou soumis à un traitement inhumain s’ils rentraient dans leur pays d’origine. L’État partie note que les requérants ne présentent pas de nouveaux éléments de nature à remettre en cause les décisions des autorités de l’État partie en matière d’asile et qu’ils n’expliquent pas non plus les incohérences relevées par les autorités en question dans leurs allégations.

4.2L’État partie donne des précisions sur la procédure d’asile engagée par les requérants. Il note en particulier que le 10 juin 2002, l’Office fédéral des réfugiés a rejeté la demande d’asile des requérants, présentée le 12 octobre 2000, considérant que leurs allégations manquaient de crédibilité et que rien dans leur dossier n’amenait à conclure qu’ils risquaient d’être soumis à un traitement ou à des peines contraires à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, lequel dispose que nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants, s’ils étaient renvoyés de force en Tunisie. Le 7 novembre 2002, l’Office fédéral des réfugiés a rejeté la demande de réexamen présentée par les requérants. Le 5 décembre 2005, la Commission suisse de recours en matière d’asile a rejeté l’appel formé ultérieurement. Le 18 janvier 2006, les requérants ont présenté une nouvelle demande de réexamen, faisant valoir que le premier requérant avait dû être admis en hôpital psychiatrique pour un traitement. Le 27 février 2006, l’Office fédéral des migrations a décidé de ne pas examiner leur requête au fond. Le 1er mai 2006, la Commission suisse de recours en matière d’asile a rejeté leur demande pour des raisons de procédure car les requérants n’avaient pas payé les frais correspondants. Le 7 décembre 2006, les requérants ont été rapatriés en Tunisie et ont bénéficié d’une assistance médicale pendant le voyage.

4.3L’État partie déclare en outre que, le 30 juillet 2007, les requérants ont déposé une nouvelle demande d’asile à l’aéroport de Zurich. Ils faisaient valoir, en particulier, qu’à leur retour à Tunis, ils avaient été convoqués au Ministère de l’intérieur à plusieurs reprises et que leur domicile avait été perquisitionné. Ils ont fourni des copies de trois convocations ainsi que plusieurs rapports médicaux. Le 8 septembre 2008, l’Office fédéral des migrations a rejeté leur demande d’asile. Le 29 octobre 2010, le Tribunal administratif fédéral a rejeté leur appel, au motif que leurs allégations n’étaient pas crédibles et que les convocations fournies ne suffisaient pas pour modifier les conclusions. Le Tribunal a également souligné que les problèmes de santé du premier requérant pouvaient très bien être traités en Tunisie.

4.4L’État partie rappelle qu’en vertu de l’article 3 de la Convention, il est interdit aux États parties d’expulser, de refouler ou d’extrader une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. Pour déterminer s’il y a de tels motifs, les autorités compétentes doivent tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, l’existence dans l’État intéressé d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Se référant à l’Observation générale no 1 du Comité, l’État partie ajoute que l’auteur devrait établir l’existence d’un risque «personnel, réel et actuel» d’être soumis à la torture en cas de retour dans le pays d’origine. L’existence d’un tel risque doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Il doit y avoir d’autres motifs pour qualifier le risque de torture de «réel» (par. 6 et 7 de l’Observation générale no 1). Les éléments suivants doivent être pris en compte pour apprécier l’existence d’un tel risque: preuves de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays d’origine; allégations de torture ou de mauvais traitements subis par l’auteur dans un passé récent et preuves indépendantes à l’appui; activités politiques de l’auteur à l’intérieur ou à l’extérieur du pays d’origine; preuves de la crédibilité de l’auteur; incohérences factuelles dans les affirmations de l’auteur (par. 8 de l’Observation générale no 1).

4.5Pour ce qui est de l’existence d’un ensemble systématique de violations des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives, l’État partie estime que cela ne constitue pas en soi un motif suffisant de penser qu’un individu serait victime de torture à son retour dans son pays d’origine. Le Comité doit établir si le requérant risque «personnellement» d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. D’autres motifs doivent exister pour que le risque de torture puisse être qualifié, au sens du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention, de «prévisible, réel et personnel». Le risque de torture doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons.

4.6À la lumière de ce qui précède, l’État partie estime qu’après le renversement du Président Ben Ali, à la mi‑janvier 2011, plusieurs gouvernements provisoires ont tenté de mettre en place un processus de transition démocratique en Tunisie. Les autorités de transition, avec le soutien de la communauté internationale, sont chargées d’élaborer une nouvelle constitution, de rétablir l’état de droit et de promouvoir les droits de l’homme. Selon le nouveau Premier Ministre, les autorités ont pour principal objectif de maintenir la sécurité dans le pays. Bien que les rassemblements et les manifestations restent fréquents, on ne saurait parler d’une guerre civile ni de violence généralisée en Tunisie aujourd’hui. Par conséquent, le rapatriement est considéré comme raisonnablement justifié par les autorités suisses en matière d’asile. L’État partie réitère en outre que la situation qui règne dans le pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure que les requérants risquent d’être victimes de torture en cas de renvoi. Il fait valoir que les requérants n’ont pas démontré qu’ils seraient exposés à un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture s’ils étaient renvoyés en Tunisie.

4.7En ce qui concerne les allégations de torture ou de mauvais traitements subis dans un passé récent et l’existence d’éléments de preuve émanant de source indépendante à ce sujet, l’État partie souligne que les requérants n’ont pas affirmé avoir été soumis à la torture ou à de mauvais traitements, que ce soit devant les autorités suisses ou devant le Comité. Au cours de la première procédure d’asile, ils ont affirmé que leurs amis avaient été arrêtés en raison de leurs activités politiques et que la police avait perquisitionné à la boutique de la deuxième requérante et au domicile des deux requérants, raison pour laquelle ils avaient décidé de fuir la Tunisie. Les autorités compétentes en Suisse ont examiné ces allégations et ont estimé qu’elles n’étaient pas crédibles. Il a été établi, en particulier, que rien dans le dossier ne permettait de conclure que les requérants seraient soumis à des peines ou traitements interdits en vertu de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Au cours de la seconde procédure d’asile, les requérants ont maintenu qu’à leur retour en Tunisie, en 2006, ils avaient été convoqués à plusieurs reprises au Ministère de l’intérieur et interrogés au sujet de leur résidence en Suisse et des contacts qu’ils y avaient avec des Tunisiens. Les autorités suisses ont déclaré que les ressortissants tunisiens de retour après un séjour prolongé à l’étranger étaient habituellement interrogés à leur arrivée. Qui plus est, les requérants avaient été immédiatement libérés après l’interrogatoire. Les autorités suisses ont également constaté que les copies des convocations fournies par les requérants n’étaient pas déterminantes. L’État partie souligne que le premier requérant a déclaré qu’il n’avait pas été arrêté, mais hospitalisé pour raisons de santé. La seconde requérante avait été arrêtée, mais elle avait été libérée immédiatement après avoir été interrogée. Par conséquent, l’État partie fait valoir que le traitement subi par les requérants, selon les déclarations qu’ils ont faites aux autorités suisses et au Comité, ne constituerait pas une violation de la Convention.

4.8En ce qui concerne les activités politiques du premier requérant, l’État partie note que ce dernier a affirmé aux autorités de l’État partie ainsi qu’au Comité qu’il était venu en aide à des prisonniers politiques en Tunisie et il en a expliqué les conséquences. Ces allégations ont été dûment examinées par les autorités suisses en matière d’asile qui ont traité la première demande d’asile des requérants ainsi que deux demandes de réexamen. Les autorités de l’État partie ont établi que les allégations du premier requérant concernant ses activités politiques en Tunisie n’étaient pas crédibles. De surcroît, les requérants ont présenté une autre version de ces activités pendant la deuxième procédure d’asile. L’État partie note que les activités politiques en question ne sont en tout état de cause pas suffisantes pour prétendre qu’il existe des raisons sérieuses de croire que les requérants seraient persécutés par la police tunisienne ou soumis à la torture s’ils rentraient dans leur pays. L’État partie souligne que les requérants n’ont jamais affirmé avoir fait l’objet de mauvais traitements à cause des activités en question, que ce soit avant leur premier départ de Tunisie ou entre leur rapatriement à Tunis en décembre 2006 et leur second départ en juillet 2007. Il note qu’à supposer même que le premier requérant ait effectivement eu des activités politiques en 1998, les activités en question n’entreraient plus en ligne de compte dans le contexte politique actuel de la Tunisie. L’État partie souligne que le premier requérant ne prétend pas avoir eu d’engagement politique en Suisse.

4.9En ce qui concerne la crédibilité des requérants et la cohérence des faits qu’ils présentent dans leurs allégations, l’État partie déclare que les autorités suisses compétentes en matière d’asile ont établi que les allégations des requérants n’étaient pas crédibles et que leurs déclarations n’amenaient pas à conclure à l’existence de motifs sérieux de croire qu’ils seraient soumis à la torture s’ils étaient renvoyés en Tunisie. En particulier, la première demande d’asile présentée par les requérants le 12 octobre 2000 a été rejetée car leurs allégations, en particulier celles concernant les activités politiques du premier requérant, ont été considérées comme invraisemblables par les autorités de l’État partie. C’est ainsi qu’au centre d’enregistrement, le premier requérant a déclaré être venu en aide aux familles de prisonniers politiques pendant dix ans avant de fonder, avec deux autres personnes en 1998, un groupe n’ayant aucun lien avec un autre groupe. Or, dans le récit qu’il a fait aux autorités cantonales, il a déclaré avoir apporté un soutien financier aux familles de prisonniers politiques depuis 1998 seulement, date à laquelle il avait fondé un groupe avec deux autres personnes qui appartenaient au groupe El‑Daawa Wal‑Tabligh. Avant cela, il ne s’intéressait pas à la politique. L’État partie a souligné également les incohérences relevées dans les informations données par le premier requérant concernant les lieux où il se cachait lorsqu’il se savait recherché par les autorités. Parfois, il déclarait avoir dormi dans des lieux différents chaque nuit, parfois il déclarait être resté au même endroit pendant toute la période considérée. Il a expliqué ces incohérences par le fait qu’il s’était rendu en visite chez différentes personnes pendant la journée. L’État partie ajoute que, pendant la première procédure d’asile, le premier requérant a déclaré avoir été informé par un voisin que ses deux collègues avaient été arrêtés et que les autorités le recherchaient. Comme ces déclarations n’étaient corroborées par aucun élément de preuve, les autorités suisses les ont considérées comme non plausibles.

4.10En ce qui concerne les conclusions des autorités suisses, l’État partie ajoute que, sile premier requérant avait quitté la Tunisie de la manière décrite dans sa première demande d’asile, il est peu vraisemblable qu’il aurait pris le risque de passer, à deux reprises, lecontrôle des douanes à l’aéroport international de Tunis avec un passeport portant son nom et pris le risque de voyager en empruntant les lignes aériennes locales. Il est également peu plausible que les requérants se soient vus quatre ou cinq fois avant de quitter le pays, enparticulier après les perquisitions qui auraient eu lieu. De même, il n’est pas vraisemblable que la seconde requérante soit restée chez elle jusqu’au moment même du départ.

4.11L’État partie observe que, pendant la première procédure d’asile, le premier requérant a déclaré qu’il avait demandé un visa à une représentation suisse en Tunisie après la perquisition du 18 septembre 2000. Mais il ressort de sa demande de visa qu’il avait prévu de se rendre en Suisse pour des raisons professionnelles dès le mois d’août 2000. De surcroît, certaines références professionnelles sont datées du 18 septembre 2000, date à laquelle la perquisition a eu lieu. Par conséquent, les autorités suisses ont conclu que le requérant se trouvait sur son lieu de travail aux dates où il aurait été appréhendé. De plus, si le requérant avait effectivement craint d’être arrêté par la police, il aurait pu déposer sa demande d’asile directement auprès de la représentation suisse, à laquelle il s’est rendu deux fois. L’État partie souligne que le requérant a demandé l’asile une semaine après son arrivée en Suisse.

4.12L’État partie note que les autorités suisses ont considéré que la convocation au Ministère de l’intérieur fournie lors de la première procédure d’asile, indépendamment de la question de l’authenticité de ce document, ne prouvait pas que le premier requérant avait été convoqué pour les raisons qu’il a indiquées. De plus, il n’avait pas expliqué comment il s’était procuré la convocation, qui avait été émise la veille du jour de l’entretien au Ministère. Par conséquent, les autorités suisses ont conclu que ce document ne devait pas être pris en compte.

4.13L’État partie indique en outre que les informations fournies par les requérants au cours de la première et de la seconde procédures d’asile concernant les activités politiques qui étaient à l’origine de leur premier départ de Tunisie divergeaient sur des points très importants. Par conséquent, les autorités suisses doutaient de la véracité des motifs invoqués par les requérants à l’appui de leur seconde demande d’asile. Par exemple, au cours de la première procédure d’asile, le premier requérant a affirmé qu’il avait fondé, avec deux amis, un groupe de soutien aux familles de prisonniers politiques, et que ce groupe agissait de manière autonome et n’avait pas de nom. Au cours de la seconde procédure d’asile, la deuxième requérante a affirmé que le premier requérant avait été membre d’Ennahda pendant plus de deux ans avant le premier départ de Tunisie. De même, pendant la première procédure d’asile, les requérants ont affirmé que la police s’était rendue à deux reprises chez eux, une fois à leur domicile et l’autre fois à la boutique de la deuxième requérante. Pendant la seconde procédure d’asile, la deuxième requérante a affirmé qu’avant leur départ en octobre 2000, les autorités s’étaient rendues plusieurs fois à leur domicile et avaient demandé où se trouvait le premier requérant.

4.14L’État partie note que les autorités suisses ont constaté que les informations fournies par les requérants concernant les problèmes qu’ils avaient avec la police tunisienne étaient contradictoires. C’est ainsi que le premier requérant a déclaré que, outre les deux convocations au Ministère de l’intérieur, la police s’était rendue à leur domicile régulièrement et l’avait conduit au poste de police, pendant une période de deux mois. La deuxième requérante, quant à elle, a déclaré que la police avait noté que son mari était malade, après l’avoir interrogé pour la première fois lors de leur rapatriement à Tunis, et ne l’avait plus importuné depuis lors. Elle a également déclaré que la police s’était rendue fréquemment à leur domicile afin de vérifier si le premier requérant s’y trouvait; la police ne l’avait conduit nulle part. Ces visites avaient commencé dès leur retour en Tunisie, en décembre 2006 et avaient pris fin un mois avant leur départ en septembre 2007. Le premier requérant a fait valoir que les déclarations contradictoires étaient dues à un malentendu. La deuxième requérante a ensuite déclaré qu’elle était peut‑être absente lorsque la police avait conduit son mari au poste de police et qu’il ne lui avait pas dit qu’il avait été interrogé par la police afin de ne pas l’inquiéter. Les autorités de l’État partie n’ont pas été convaincues par ces arguments.

4.15L’État partie estime que, indépendamment des divergences que présentent les récits donnés par les requérants, des éléments essentiels de leurs déclarations vont à l’encontre de toute logique et de l’expérience courante. C’est ainsi que, si les autorités tunisiennes s’intéressaient effectivement de près au premier requérant, il n’aurait jamais pu obtenir un passeport et quitter la Tunisie, en toute légalité et sans difficulté, par voie terrestre. L’État partie ne juge pas crédible non plus le fait que le requérant, s’il craignait d’être arrêté ou maltraité, soit resté en Tunisie pendant environ quatre mois après avoir obtenu, en avril 2007, le passeport qui facilitait son départ.

4.16L’État partie affirme en outre que, comme l’ont établi les autorités suisses, les convocations fournies par les requérants ne sont pas déterminantes. Leur authenticité ne peut être établie. L’explication donnée par les requérants selon laquelle les originaux ont été conservés par les autorités tunisiennes après les interrogatoires n’est pas convaincante dans la mesure où cela est contraire à la pratique habituelle. Eu égard à ce qui précède, l’État partie reprend à son compte les motifs avancés par l’Office fédéral des migrations et par le Tribunal administratif fédéral concernant le manque de crédibilité des allégations du premier requérant. Il relève que le requérant prétend qu’il court le risque d’être torturé s’il retourne dans son pays, mais que son affirmation n’est étayée par aucun élément de preuve et n’est pas fondée.

4.17En ce qui concerne l’état de santé du premier requérant, l’État partie note qu’il ne s’agit pas d’un critère permettant d’établir, aux fins de l’article premier de la Convention, s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il risquerait d’être soumis à la torture en cas de retour dans son pays. De surcroît, selon la jurisprudence du Comité, l’aggravation de l’état de santé physique ou mentale d’une personne due à l’expulsion n’est généralement pas suffisante pour constituer, en l’absence d’autres facteurs, un traitement dégradant en violation de l’article 16 de la Convention. L’État partie relève que le premier requérant a présenté aux autorités suisses un certain nombre de rapports médicaux afin de montrer qu’il souffrait d’hépatite C chronique, de tuberculose et de dépression. Les autorités de l’État partie ont établi que d’une part, sa dépression était liée au rejet de ses demandes d’asile et que d’autre part, ses problèmes psychologiques pouvaient être traités en Tunisie. Quant à l’hépatite C, qui ne peut être guérie que dans 40 % des cas et dont la prévalence est élevée en Tunisie, elle peut également y être traitée. Les deux médicaments prescrits au requérant, ainsi que les médicaments de remplacement, sont disponibles sur prescription en Tunisie. De surcroît, les requérants pouvaient compter sur leur réseau familial lorsqu’ils ont été rapatriés en décembre 2006. Compte tenu des activités commerciales qu’ils ont eues dans le passé, ils ont certainement pu se constituer en Tunisie un réseau de relations auxquelles ils pouvaient faire appel à leur retour.

4.18À la lumière de ce qui précède, l’État partie déclare qu’il n’y a pas de motifs sérieux de craindre que les requérants seraient concrètement et personnellement exposés au risque d’être torturés en cas de renvoi en Tunisie. Leurs allégations et les éléments de preuve qu’ils ont fournis n’amènent pas à considérer que leur retour les exposerait à un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture. L’État partie invite donc le Comité à conclure que le retour des requérants en Tunisie ne constituerait pas une violation par la Suisse des obligations internationales qui lui incombent en vertu de l’article 3 de la Convention.

Commentaires des requérants sur les observations de l’État partie

5.1Le 11 juin 2012, les requérants ont commenté les observations de l’État partie. Ils sont en désaccord avec la thèse de l’État partie selon laquelle, depuis les changements de janvier 2011, la Tunisie a engagé un processus de transition démocratique et n’a pas connu récemment une situation de guerre civile ou de violence généralisée. Ils font valoir que, malgré le renversement du Président Ben Ali et les changements politiques intervenus en Tunisie, la situation des droits de l’homme dans le pays reste instable et l’avenir politique de la Tunisie est très incertain. Il y a régulièrement des manifestations et des grèves. Les groupes d’opposition ayant participé au renversement du régime de Ben Ali soupçonnent certains membres du gouvernement provisoire de sympathiser avec le régime déchu et pensent que la révolution n’a été possible qu’avec le soutien de l’ancien régime, en particulier celui des forces de sécurité. Les requérants font en outre valoir que de nombreux juges nommés par Ben Ali sont restés en fonctions après son renversement et que le gouvernement actuel fait un usage disproportionné et excessif de la force pour étouffer les manifestations. Ils déclarent que l’incertitude sur le point de savoir si les partisans de Ben Ali vont reprendre le pouvoir les expose à un risque réel d’être soumis à la torture à leur retour. Ils ajoutent que les changements politiques ne font pas de la Tunisie un pays sûr pour les anciens opposants au régime.

5.2Les requérants contestent également l’argument de l’État partie selon lequel les convocations fournies n’étaient pas authentiques et le fait d’interroger les Tunisiens de retour après un long séjour à l’étranger est une pratique courante. Ils déclarent que les documents originaux ont été conservés par les autorités après les entretiens. Lorsque l’État partie affirme que c’est là une pratique inhabituelle, il s’agit d’une affirmation sans fondement. De plus, l’État partie n’a pas démontré que les documents en question sont faux et rien n’indique qu’ils le sont. Les requérants déclarent s’être acquittés de l’obligation qui leur incombait de présenter des «arguments défendables», suffisamment solides pour que l’État partie soit tenu de répondre en fournissant des éléments de preuve concrets, et non de vagues suppositions ou de simples affirmations. Les requérants font valoir en outre que l’État partie n’a fourni aucun élément prouvant que le fait d’interroger les rapatriés est une pratique courante, malgré les convocations adressées aux requérants après de tels interrogatoires, qui montraient que les autorités tunisiennes s’intéressaient de près aux requérants et avaient l’intention de les punir. L’État partie n’a donc pas fait le nécessaire pour apprécier le risque que couraient les requérants d’être soumis à la torture en cas de retour forcé. De plus, étant donné qu’ils ont fui le pays après une mise en demeure de ne pas le faire et qu’ils ont été interrogés de manière exhaustive et prolongée après leur rapatriement en 2006, un tel risque est réel. La chute de l’ancien Président ne garantit pas leur sécurité étant donné qu’il existe des convocations à leur nom auxquelles ils n’ont pas répondu et que le gouvernement actuel ferait un usage excessif de la force.

5.3En ce qui concerne l’argument de l’État partie touchant le manque de crédibilité des récits faits par les requérants en raison des incohérences relevées dans leurs déclarations, le premier requérant réitère qu’il n’a pas informé son épouse du fait qu’il avait été conduit au poste de police en son absence pour des «raisons culturelles» et parce qu’il voulait la ménager. Les requérants réaffirment également qu’ils ont voyagé avec de faux passeports et qu’ils ont dû soudoyer des fonctionnaires pour pouvoir s’enfuir. De plus, ils n’ont pas quitté le pays par voie aérienne mais par voie terrestre, ce qui impliquait de franchir la frontière libyenne illégalement, dans un taxi. Le fait qu’ils aient pu quitter la Tunisie ne signifie pas qu’ils ne sont pas recherchés par les autorités.

5.4Le premier requérant ajoute qu’il est en très mauvaise santé. Il réaffirme qu’il souffre de dépression et d’hépatite C chronique et qu’il souffrait auparavant de la tuberculose, ce qui a été reconnu par les autorités suisses. Une peine de prison prolongée mettrait certainement sa vie en danger. Il y a tout lieu de penser qu’il serait exposé à un traitement inhumain et dégradant en pareil cas. Le premier requérant conteste en outre l’argument de l’État partie selon lequel l’hépatite C peut être traitée en Tunisie et relève que, même s’il n’est pas emprisonné, il est fort probable que le traitement médical requis ne soit pas disponible ou soit inaccessible en Tunisie, compte tenu de l’incertitude politique qui règne actuellement dans le pays.

5.5Les requérants font valoir qu’ils ont présenté des «arguments défendables» et que l’État partie n’a pas fait le nécessaire pour apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que les requérants courraient le risque d’être soumis à la torture s’ils étaient renvoyés dans leur pays. Ils estiment que les motifs en question restent valables.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la communication est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement en cours d’examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune requête sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. Le Comité note qu’en l’espèce l’État partie a reconnu que les requérants avaient épuisé toutes les voies de recours internes. N’observant aucun autre obstacle à la recevabilité, il déclare la communication recevable.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2Le Comité doit déterminer si, en renvoyant les requérants en Tunisie, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture. Il doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que les requérants risquent personnellement d’être soumis à la torture en rentrant en Tunisie. Pour ce faire, il doit, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Il s’agit cependant de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé.

7.3Le Comité rappelle son Observation générale no 1, selon laquelle l’existence du risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. S’il n’est pas nécessaire de démontrer que le risque couru est «hautement probable» (par. 6), le Comité fait observer que la charge de la preuve incombe généralement au requérant, qui doit présenter des arguments défendables montrant qu’il court «personnellement un risque réel et prévisible». Le Comité rappelle en outre que, conformément à son Observation générale no 1, il doit accorder un poids considérable aux constatations de fait effectuées par l’État partie concerné, mais qu’il n’est pas lié par de telles constatations et est au contraire habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

7.4Le Comité note que l’État partie a appelé son attention sur des éléments factuels qu’il jugeait incohérents dans les informations fournies par les requérants. Il prend également note des commentaires présentés par les requérants sur les observations de l’État partie. Il estime toutefois que les incohérences en question ne l’empêchent pas d’évaluer le risque de torture que les requérants courraient en cas d’expulsion vers la Tunisie.

7.5Tout d’abord, le Comité note l’argument du premier requérant selon lequel il risquerait d’être persécuté s’il était renvoyé en Tunisie parce qu’il était venu en aide financièrement aux familles de prisonniers politiques et qu’il avait soutenu Ennahda avant son arrivée en Suisse en 2000, où il a tenté d’établir des contacts avec un représentant du mouvement. Le Comité observe à cet égard que le régime politique a changé en Tunisie depuis le départ des requérants du pays. Il relève en particulier que l’ancien Président, qui était au pouvoir depuis 1987, a démissionné le 14 janvier 2011, tandis qu’Ennahda détient la majorité des sièges à l’Assemblée constituante tunisienne depuis les élections législatives d’octobre 2011. En outre, il prend note du caractère limité des activités politiques du premier requérant en Tunisie mais aussi en Suisse, et des incohérences relevées dans les récits fournis par les requérants concernant ses interrogatoires répétés au poste de police et la fréquence des visites de la police à leur domicile en Tunisie. Le Comité fait observer à ce propos que les requérants n’ont pas fourni suffisamment d’éléments de preuve à l’appui de l’affirmation selon laquelle ils ont été arrêtés et interrogés au sujet des activités politiques du premier requérant et pas seulement parce qu’ils ont quitté la Tunisie en 2000. Quant à l’argument des requérants selon lequel ils seraient arrêtés et interrogés à leur retour, le Comité rappelle en l’occurrence que le simple risque d’être arrêté et interrogé ne suffit pas à conclure qu’il existe également un risque d’être soumis à la torture.

7.6Le Comité note en outre que les requérants n’ont pas prétendu devant les autorités de l’État partie en matière d’asile ni devant le Comité avoir fait l’objet d’inculpation, au motif des activités politiques du premier requérant, en vertu du droit tunisien. Il relève également que, hormis les convocations envoyées il y a plus de six ans et dix mois, dont l’authenticité est contestée par l’État partie, ils n’ont soumis aucun autre élément de preuve indiquant que les autorités tunisiennes étaient à leur recherche depuis leur départ et qu’ils courraient un risque prévisible, réel et personnel d’être torturés ou soumis à des traitements inhumains ou dégradants s’ils étaient renvoyés dans leur pays d’origine.

8.Compte tenu de ce qui précède, le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que la décision de l’État partie d’expulser les requérants vers la Tunisie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]