Nations Unies

CAT/C/51/D/441/2010

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

17 décembre 2013

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Communication no 441/2010

Décision adoptée par le Comité à sa cinquante et unième session(28 octobre-22 novembre 2013)

Communication p résentée par:

Oleg Evloev (représenté par le Bureau international du Kazakhstan pour les droits de l’homme et l’état de droit)

Au nom de:

Oleg Evloev

État partie:

Kazakhstan

Date de la requête:

20 décembre 2010 (lettre initiale)

Date de la présente décision:

5 novembre 2013

Objet:

Absence d’enquête immédiate et impartiale sur des allégations de torture, absence de poursuites contre les auteurs, absence de réparation complète et appropriée, aveux forcés.

Questions de procédure:

Non-épuisement des recours internes

Questions de fond:

Torture; douleur ou souffrances aiguës; mesures efficaces pour empêcher la torture; droit de porter plainte et de voir sa cause examinée immédiatement et impartialement par les autorités; droit à une réparation équitable et appropriée; aveux obtenus par la contrainte.

Article de la Convention:

1er, 2, 12, 13, 14 et 15

[Annexe]

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22de la Convention contre la torture et autres peinesou traitements cruels, inhumains ou dégradants(cinquante et unième session)

concernant la

Communication no 441/2010

Présentée par:

Oleg Evloev (représenté par le Bureau international du Kazakhstan pour les droits de l’homme et l’état de droit)

Au nom de:

Oleg Evloev

État partie:

Kazakhstan

Date de la requête:

20 décembre 2010 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 5 novembre 2013,

Ayant achevé l’examen de la requête no 441/2010, présentée par M. Oleg Evloev en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22de la Convention contre la torture

1.Le requérant est Oleg Evloev, de nationalité kazakhe, né en 1980. Il affirme être victime de violations par le Kazakhstan des droits garantis par les articles 1er, 2, 12, 13, 14 et 15 de la Convention contre la torture. Il est représenté par le Bureau international du Kazakhstan pour les droits de l’homme et l’état de droit.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le 21 octobre 2008, aux alentours de 20 heures, une femme et ses trois enfants mineurs ont été assassinés à leur domicile à Astana. Le 22 octobre 2008, vers 17 heures, un certain D. T. a été interrogé en qualité de témoin par des agents du Département des affaires intérieures d’Astana au sujet de ces événements. Vers 22 heures, D. T. a été conduit dans les locaux du Département des affaires intérieures du district d’Almaty, où des agents l’ont passé à tabac pour l’obliger à s’accuser des meurtres. Le 24 octobre 2008, il a été de nouveau interrogé puis arrêté en tant que suspect. Le 27 octobre 2008, D. T. a écrit deux déclarations dans lesquelles il avouait avoir commis les meurtres avec le requérant. D. T. est revenu sur ses déclarations le 2 novembre 2008 et le 5 janvier 2009, affirmant que la police l’avait contraint à les écrire en le soumettant à des pressions psychologiques et à des actes de torture.

2.2Sur la base des aveux de D. T., un mandat d’arrêt international a été émis contre le requérant, qui a été arrêté le 29 octobre 2008 en Tchétchénie (Fédération de Russie). Le 8 décembre 2008, il a été extradé vers le Kazakhstan afin d’y être jugé pour meurtre. Il a pris l’avion jusqu’à Astana, escorté par des policiers kazakhes. L’avion a fait deux escales, l’une à Atyrau et l’autre à Aktobe, pour refaire le plein de carburant. À chacune d’elle, le requérant a été conduit dans les locaux de l’aéroport et a subi des humiliations de la part des policiers. Il a par exemple été menotté dans le dos et forcé de s’agenouiller et de manger à même l’assiette. Lorsqu’il a refusé, les policiers lui ont mis la tête dans l’assiette et l’ont poussé par terre, puis l’ont photographié avec leur téléphone portable.

2.3À Astana, le requérant a été conduit au centre de détention temporaire du Département des affaires intérieures, où des policiers l’ont torturé pour le contraindre à s’accuser des meurtres. Au moins six d’entre eux en particulier l’ont frappé au niveau des reins, menacé de violences sexuelles et obligé à s’allonger sur le sol après lui avoir attaché les mains; ils lui ont également mis un masque à gaz sur la tête en bloquant l’arrivée d’air par intermittence, le faisant étouffer, et ont glissé des aiguilles chauffées à blanc sous ses ongles. Ils lui ont en outre montré des photographies de son père en affirmant qu’il était lui aussi détenu et torturé. Ce traitement a continué jusqu’au matin du 10 décembre 2008, lorsque le requérant a écrit deux déclarations dans lesquelles il s’avouait coupable. Le même jour, le requérant a été examiné par un médecin légiste après avoir déclaré qu’il avait été frappé à la tête et étouffé avec un masque à gaz par quatre policiers la veille. Le médecin a confirmé que le requérant présentait de nombreuses blessures qui corroboraient ses affirmations quant aux mauvais traitements subis.

2.4Le 10 décembre 2008, le requérant a été conduit devant le procureur chargé du suivi du dossier. Il lui a dit avoir été torturé et lui a montré les marques laissées sur son corps par les violences qu’il avait subies. Toutefois, le procureur n’a pris aucune mesure pour enquêter sur ses allégations, au lieu de quoi il a prolongé la détention du requérant de soixante-dix jours. À la suite de l’audition du requérant par le procureur, les policiers se sont mis à utiliser des méthodes de torture plus sophistiquées afin de laisser le moins de marques possible. Parexemple, le requérant a été menotté à une fenêtre ouverte, complètement nu, par des températures glaciales et forcé de rester debout, les jambes largement écartées et la tête contre le mur, jusqu’à ce qu’il s’effondre d’épuisement. Il a été frappé à la tête et sur la plante des pieds avec une bouteille en plastique de deux litres remplie d’eau, privé de sommeil et placé à plusieurs reprises dans un «bocal», une cellule en béton de cinquante centimètres de côté sans fenêtre ni aucune autre ouverture. Par suite de ces traitements, le requérant a eu des blessures à la tête, plusieurs côtes cassées et le pied gauche fracturé. Il a été privé de soins médicaux. Il affirme que ces mauvais traitements ont duré jusqu’au 17 février 2009, date à laquelle il a été transféré dans un autre centre de détention.

2.5Le requérant, son conseil et ses parents ont dénoncé ces mauvais traitements à plusieurs reprises auprès du parquet et des tribunaux ainsi que d’autres autorités, mais aucune de leurs plaintes n’a été examinée quant au fond. Le requérant a notamment fait part de ses griefs à un procureur au cours d’un interrogatoire le 10 décembre 2008, et les a réitérés auprès de ce même procureur au cours d’un autre interrogatoire, en présence de son conseil, le 16 décembre 2008. Le 21 janvier 2009, le père du requérant a adressé une plainte écrite au parquet de la ville d’Astana au sujet des mauvais traitements dont son fils était victime. Le 18 mai 2009, la mère du requérant a déposé une autre plainte à ce sujet auprès du Département de la sécurité intérieure du Ministère de l’intérieur. Le 22 mai 2009, le conseil du requérant a demandé au parquet d’Astana de lui faire parvenir une copie de la décision officielle de ne pas ouvrir d’enquête sur les allégations de torture formulées par son client. Ce n’est que le 26 juin 2009, soit une semaine après que le requérant a été condamné pour meurtre, qu’a été fournie la copie de la décision du 8 juin 2009 de l’enquêteur de la Division de la sécurité intérieure du Département des affaires intérieures d’Astana, validée par le chef du parquet d’Astana. À une date non précisée en 2009, les parents du requérant ont formé au nom de leur fils un recours contre la décision du 8 juin 2009 auprès de K. V., procureur à Astana, qui a à son tour refusé d’ouvrir une enquête. Aucune des autorités alertées n’a ouvert d’enquête sur les allégations de torture.

2.6Les griefs de torture formulés par le requérant n’ont été pris en compte ni pendant son procès en première instance devant le tribunal municipal d’Astana ni en deuxième instance devant la Cour suprême. Aucune action n’a été engagée au sujet des actes de torture subis par le requérant, qui n’a bénéficié d’aucune indemnisation ni d’aucune mesure de réadaptation. Il n’a pas pu s’entretenir librement avec son conseil ni recevoir la visite de ses parents pendant toute la durée du procès. Le 16 juin 2009, le requérant a été reconnu coupable des quatre meurtres et condamné à la réclusion à perpétuité. Son recours devant la Cour suprême a été rejeté le 10 novembre 2009, celle-ci ayant conclu que le jugement de première instance était conforme aux règles du droit et que les arguments avancés par le requérant étaient sans fondement. En outre, le requérant affirme qu’il aurait été vain de déposer une plainte auprès de la Cour suprême en vertu de la procédure de contrôle pour dénoncer les mauvais traitements qu’il avait subis étant donné que celle présentée par D. T., qui avait été condamné en même temps que lui, était restée sans suite. Par conséquent, le requérant estime qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme être victime d’une violation par l’État partie des droits garantis par l’article premier de la Convention au motif que des agents de l’État l’ont torturé pour le contraindre à s’accuser de plusieurs meurtres.

3.2Le requérant fait également valoir qu’il y a eu violation des droits qu’il tient de l’article 2 de la Convention du fait que l’État partie n’a pas pris de mesures administratives, judiciaires et autres efficaces pour empêcher qu’il soit victime d’actes de torture, ni pendant la procédure d’extradition ni pendant sa détention avant jugement.

3.3Le requérant affirme être victime d’une violation des droits qu’il tient des articles 12 et 13 de la Convention au motif que les autorités de l’État partie n’ont pas procédé immédiatement à une enquête impartiale sur ses allégations de torture.

3.4Le requérant fait également valoir qu’il y a eu violation des droits garantis par l’article 14 de la Convention car les autorités ne lui ont pas accordé de réparation ni d’indemnisation équitable et adéquate comprenant des moyens de réadaptation.

3.5Enfin, le requérant se dit victime d’une violation des droits garantis par l’article 15 de la Convention car les tribunaux ont retenu les aveux qu’il avait faits sous la contrainte comme éléments de preuve pour établir sa culpabilité.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité

4.1Dans une note verbale du 10 mars 2011, l’État partie a contesté la recevabilité de la requête au motif que les recours internes n’avaient pas été épuisés.

4.2L’État partie explique que le 23 octobre 2008, le requérant a été inculpé in absentia du meurtre de quatre personnes commis à Astana le 22 octobre 2008. Le même jour, le tribunal no 2 du district d’Almatinsk à Astana a autorisé l’arrestation du requérant. Comme il est apparu que le requérant avait quitté le Kazakhstan entre-temps, un mandat d’arrêt international a été émis contre lui. C’est ainsi que le requérant a été arrêté en République d’Ingouchie (Fédération de Russie) et extradé vers le Kazakhstan le 9 décembre 2008.

4.3Le 16janvier 2009, le requérant a été inculpé des chefs d’assassinat de plusieurs personnes en état de faiblesse, commis en réunion à des fins égoïstes et avec une violence particulière dans le but de dissimuler un autre crime; de vol qualifié de biens pour un montant élevé et d’appropriation illégale d’un moyen de transport, en application des articles 96 2), 1793) et 1852) du Code pénal du Kazakhstan. Le 27 février 2009, il a été traduit en justice. Le16juin 2009, il a été reconnu coupable des charges retenues contre lui au titre des articles 96 2), 1793) et 185 2) du Code pénal par le jury du tribunal municipal d’Astana et condamné à la réclusion à perpétuité. Dans le cadre de la même procédure, D. T., soncoïnculpé, a été condamné à vingt-cinq ans d’emprisonnement avec confiscation de biens. L’État partie explique que la culpabilité du requérant a été établie sur la base d’une multitude de preuves concordantes recueillies pendant l’enquête préliminaire, qui ont été examinées parle tribunal et dont il a été reconnu qu’elles avaient été obtenues légalement.

4.4En juin 2009, le requérant a fait appel de sa condamnation auprès de la Cour suprême en faisant valoir que sa culpabilité avait été établie au moyen de preuves obtenues illégalement. En novembre 2009, la Cour suprême a confirmé la décision rendue en première instance et a débouté le requérant. L’État partie fait valoir que le requérant n’a pas demandé l’ouverture d’une procédure de contrôle par la Cour suprême et qu’il n’a donc pas épuisé tous les recours internes.

4.5Pour ce qui est des griefs de torture formulés par le requérant, l’État partie affirme qu’en 2009 les parents du requérant, par l’intermédiaire du conseil actuel de leur fils, ont déposé auprès du procureur de district d’Astana et du parquet d’Astana une plainte dénonçant l’illégalité de la condamnation de leur fils et des moyens d’enquête qui avaient été utilisés. Le requérant a déposé une plainte auprès du Ministère de l’intérieur du Kazakhstan dans laquelle il affirme avoir été soumis à des pressions physiques et psychologiques de la part d’agents du Département des affaires intérieures d’Astana pendant l’enquête préliminaire. La Division de la sécurité intérieure du Département des affaires intérieures d’Astana a enquêté sur ces allégations mais a décidé de ne pas engager d’action pénale faute d’éléments matériels attestant que les agents concernés avaient commis une quelconque infraction. Cette décision a été examinée par le procureur de rang supérieur, qui l’a confirmée. Pas plus le requérant que sa famille ou son conseil n’ont formé de recours contre le refus du procureur d’annuler la décision de ne pas engager d’action pénale alors qu’ils auraient pu le faire auprès d’un procureur de rang supérieur ou du tribunal. Il en résulte que le requérant n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles.

4.6L’État partie fait observer qu’en vertu de l’article 22, paragraphe 5 b) de la Convention, le Comité n’examine aucune requête sans s’être assuré que tous les recours internes disponibles ont été épuisés. L’article 460 du Code de procédure pénale («droit de faire appel d’une décision de justice passée en force de chose jugée») prévoit qu’une demande de réexamen des décisions judiciaires définitives peut être déposée par les parties à la procédure, soit par la voie de l’appel, soit par celle du recours en annulation: le requérant pouvait donc exercer ce recours et peut encore le faire.

4.7L’État partie conteste l’argument du requérant qui affirme qu’il aurait été vain dans son cas de demander l’ouverture d’une procédure de contrôle au motif que son coïnculpé, D. T., avait présenté une demande en ce sens, dans laquelle il disait lui aussi avoir été torturé, et que celle-ci avait été rejetée par la Cour suprême. L’État partie estime que cet argument ne tient pas car le refus par la Cour suprême de donner suite à la demande présentée par  D. T. ne signifie en aucun cas que le requérant serait lui aussi débouté s’il présentait une demande similaire. Le requérant peut demander le réexamen de son cas par la Cour suprême en vertu de la procédure de contrôle, comme le prévoit l’article 576 du Code de procédure pénale. Et, en cas de rejet de sa demande, il pourrait demander le réexamen de la décision devenue définitive par le Procureur général en vertu de la procédure de contrôle, conformément à l’article 460 du Code de procédure pénale.

4.8En conclusion, l’État partie insiste sur le fait que le requérant: a) n’a pas demandé l’ouverture d’une procédure de contrôle par la Cour suprême; b) n’a pas fait appel, ni auprès du Procureur général, ni auprès du tribunal, de la décision du parquet d’Astana de ne pas engager d’action pénale au sujet de ses allégations de torture; c) n’a pas demandé au Procureur général d’introduire une motion de protestation concernant le réexamen de la décision judiciaire devenue définitive en vertu de la procédure de contrôle, et n’a par conséquent pas épuisé tous les recours internes disponibles.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 22 avril 2011, le requérant a fait connaître ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il y rappelle les faits, notamment qu’il a été extradé de Tchétchénie le 8 décembre 2008 et qu’il n’est arrivé à Astana que le lendemain matin; qu’il a subi des humiliations de la part de policiers kazakhes avant et pendant son extradition; que pendant son séjour au centre de détention temporaire du Ministère de l’intérieur d’Astana il a été torturé par les policiers qui l’interrogeaient et a ainsi été contraint de s’accuser par écrit de plusieurs meurtres; et enfin que par suite de ces actes de torture il a eu des blessures à la tête, plusieurs côtes cassées et le pied gauche fracturé.

5.2Le requérant réfute l’affirmation de l’État partie selon laquelle ce n’est qu’en 2009 que ses parents ont déposé une plainte dénonçant les mauvais traitements dont il avait été victime, et rappelle qu’il a signalé ces actes pour la première fois à un procureur le 10 décembre 2008, soit le lendemain des faits, et qu’il a montré les marques laissées sur son corps par ces mauvais traitements à ce même procureur au cours d’un interrogatoire qui a été filmé. Toutefois, au lieu de vérifier les dires du requérant, le procureur a prolongé sa détention au centre de détention temporaire de soixante-dix jours, le laissant ainsi totalement à la merci des policiers.

5.3Le 16 décembre 2008, au cours d’un interrogatoire auquel assistait son conseil, le requérant s’est plaint au procureur chargé du suivi de son dossier des tortures qu’il avait subies. En janvier 2009, devant la passivité des autorités, les parents du requérant ont déposé une plainte auprès du parquet d’Astana, mais celle-ci a été transmise au Département de la sécurité intérieure du Ministère de l’intérieur. Pour le requérant, c’est la preuve que les autorités n’ont pas procédé à une véritable enquête sur ses griefs de torture.

5.4D’après le requérant, ce n’est qu’à la suite de la plainte déposée par ses parents, soit six mois après que lui-même avait signalé les faits le 10 décembre 2008, qu’une enquête sur ses allégations de torture a été menée. Ces allégations, qu’il a soulevées à maintes reprises, n’ont pas été examinées par le tribunal de première instance lors du procès qui s’est ouvert en mars 2009, car le juge avait interdit au requérant d’évoquer le sujet devant le jury. Letribunal a néanmoins fondé sa décision sur des preuves obtenues par la contrainte, en particulier sur les aveux écrits du requérant. Le 18 mai 2009, ayant perdu tout espoir d’obtenir des tribunaux qu’ils ordonnent l’ouverture d’une enquête sur les allégations de torture formulées par son fils, la mère du requérant s’est directement adressée au Département de la sécurité intérieure du Ministère de l’intérieur pour demander l’ouverture immédiate d’une enquête approfondie. Sa plainte a été transmise à la Division de la sécurité intérieure du Département des affaires intérieures d’Astana le 21 mai 2009. Le 22 mai 2009, le conseil du requérant a demandé au parquet d’Astana une copie de la décision de ne pas enquêter sur les griefs de torture présentés par le requérant.

5.5Après enquête, la Division de la sécurité intérieure a refusé d’engager une action pénale contre la police. Le requérant fait valoir que l’enquête menée par les autorités six mois après sa première plainte n’a pas satisfait aux critères d’immédiateté, d’indépendance, d’impartialité, d’exhaustivité et d’efficacité exigés par la Convention. Il souligne qu’aucune suite n’a été donnée à sa première plainte du 10 décembre 2008, et que ce n’est que six mois plus tard, à la suite des plaintes déposées par ses parents, que des vérifications ont été effectuées.

5.6Le requérant fait valoir en outre qu’il n’a obtenu la copie de la décision du 8 juin 2009, par laquelle la Division de la sécurité intérieure du Département des affaires intérieures d’Astana a refusé d’engager une action pénale contre les policiers qui l’avaient torturé, qu’après sa condamnation par le tribunal d’Astana le 16 juin 2009. Il fait valoir que ce retard était délibéré et visait à l’empêcher de faire appel de la décision directement pendant le procès.

5.7Le requérant réaffirme qu’il a épuisé tous les recours internes et fait valoir que les recours évoqués par l’État partie sont inutiles. À l’appui de ces affirmations, il signale que laprocédure de contrôle devant la Cour suprême ou le Procureur général est par définition discrétionnaire et exceptionnelle et qu’elle ne peut pas être engagée par les plaignants eux‑mêmes, la décision de demander ou non le réexamen d’une affaire en vertu de cette procédure devant impérativement émaner d’ un juge ou d’un procureur, qu’il ait ou non consulté les pièces dudossier.

5.8Le requérant souligne que les griefs de torture n’ont été examinés ni par le tribunal municipal d’Astana ni par la Cour suprême, bien qu’il les ait formulés à plusieurs reprises, ce qui démontre que les autorités n’ont pas donné la suite voulue à ses plaintes. La condamnation à la réclusion à perpétuité prononcée contre lui le 16 juin 2009 est devenue définitive le 10 novembre 2009, après que la Cour suprême a rendu sa décision. Aucune des juridictions saisies n’a examiné les allégations de torture, ce qui prouve que non seulement les recours internes étaient inutiles, mais aussi que le requérant n’a pas pu s’en prévaloir.

5.9Le requérant ajoute qu’il ne pouvait former de recours contre le refus de l’enquêteur de la Division de la sécurité intérieure du Département des affaires intérieures d’Astana d’engager une action pénale que dans le cadre de l’appel du jugement rendu par le tribunal d’Astana.

5.10À cet égard, le requérant souligne qu’en vertu de l’article 103 du Code de procédure pénale, toutes les plaintes relatives à une affaire pénale, quel qu’en soit le destinataire, sont transmises pour suite à donner au tribunal saisi de l’affaire. En l’espèce, cependant, les tribunaux saisis du cas du requérant ont failli à leur obligation d’examiner les allégations de torture formulées par ce dernier. Le requérant relève également que, dans son arrêt du 4 octobre 2011 concernant la requête no10641/09, Ushakov c. Fédération de Russie, la Cour européenne des droits de l’homme a conclu que la décision définitive s’entendait de la décision rendue en dernier ressort, non de la décision de ne pas engager d’action pénale car dans les affaires de torture il ne sert à rien de former d’autres recours. Il n’y a donc aucune obligation, aux fins de l’épuisement des recours internes, de former d’autres recours (en plus de l’appel du jugement de première instance) auprès des tribunaux ou d’un procureur contre la décision de ne pas engager d’action pénale concernant des allégations de torture.

5.11Le requérant soutient que le rejet par la Cour suprême de la demande déposée en vertu de la procédure de contrôle par D. T., condamné dans le cadre de la même procédure pénale etqui affirmait lui aussi avoir été torturé, démontre l’inutilité de cette procédure.

5.12Le requérant ajoute que l’inertie dont ont fait preuve les autorités nationales face à ses allégations de torture remet sérieusement en question l’utilité des recours internes; or seuls les recours utiles doivent être épuisés.

5.13Le requérant affirme en outre que la possibilité de déposer une plainte auprès du procureur ne constitue pas un recours interne utile. L’État partie fait valoir qu’il n’a pas fait appel de la décision du procureur de ne pas engager d’action pénale auprès du Procureur général. Le requérant objecte qu’un représentant du Procureur général avait participé à l’examen de son recours en appel devant la Cour suprême, mais que le procureur n’a pas examiné ses allégations de torture ni ouvert d’enquête par la suite, ce qui confirme que le dépôt d’une plainte auprès du Procureur général ne constitue pas un recours utile. Le requérant a également signalé les tortures dont il était victime au procureur de district le 10 décembre 2008, puis au procureur de la ville d’Astana (lequel a confirmé, en date du 26 juin 2009, la décision du 8 juin 2009 de la Division de la sécurité intérieure du Département des affaires intérieures d’Astana de ne pas engager d’action pénale contre les policiers impliqués dans les mauvais traitements subis par le requérant), ainsi qu’au représentant du Procureur général qui avait participé à l’examen de son recours en appel devant la Cour suprême. Voyant que les autorités ne donnaient pas suite à ses allégations de torture, le requérant a considéré qu’il n’aurait aucune chance d’obtenir réparation en déposant une plainte auprès du Procureur général.

5.14En outre, et compte tenu de la jurisprudence du Comité des droits de l’homme, lerequérant relève que l’État partie n’a pas démontré que la procédure de contrôle devant la Cour suprême ou le Procureur général constituait un recours interne non seulement prévu par la loi mais également ouvert au requérant et utile, aussi bien en théorie que dans les faits.

5.15Le requérant ajoute que sa famille a reçu des menaces de la part des policiers et des membres de la famille des victimes.

5.16Enfin, le requérant fait valoir qu’il a reçu la visite du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants auquel il a fait part des mauvais traitements qu’il avait subis, et qu’il est rendu compte de cet entretien dans le rapport officiel de la mission du Rapporteur spécial au Kazakhstan.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Le 9 septembre 2011, l’État partie a fait connaître ses observations sur le fond. Il rappelle les faits de l’affaire (voir par. 4.2 et 4.3 plus haut) et souligne qu’il a présenté au Comité des arguments suffisants concernant l’irrecevabilité de la requête.

6.2L’État partie ajoute qu’une enquête en bonne et due forme a été menée sur les mauvais traitements dont le requérant dit avoir été victime au cours de son extradition en 2008, et qu’elle a abouti à la conclusion que ces allégations étaient sans fondement. Le 9 décembre 2008, à son arrivée au centre de détention temporaire du Département des affaires intérieures d’Astana, le requérant a été examiné par un médecin du centre et, d’après les informations consignées dans le registre des soins médicaux et le compte rendu d’interrogatoire, aucune lésion n’a été constatée sur son corps et il n’a formulé aucune plainte. Le requérant a été représenté par des avocats professionnels tout au long de l’instruction ainsi que pendant le procès.

6.3Pendant les interrogatoires des 9, 10 et 21 décembre 2008 et celui du 8 janvier 2009 (leconseil du requérant était absent le 10 décembre), le requérant a spontanément avoué avoir tué la famille d’A. E. (quatre personnes au total) et l’avoir volée. Le 10 décembre 2008, lerequérant a reconnu sa culpabilité au cours d’un interrogatoire qui a duré de 14 h 30 à 16h20. Toutefois, plus tard dans la soirée, alors qu’il était de nouveau interrogé (de 17 h 13 à 18 h 5), il a déclaré s’être accusé sous la torture. Le même jour, à 20 heures, un médecin légiste l’a examiné et a constaté qu’il était blessé à la tête. Une enquête a été menée et, le21décembre 2008, le Département des affaires intérieures d’Astana a conclu que la lésion constatée était due au fait que le requérant s’était accidentellement cogné la tête contre le toit de la voiture de police qui devait le conduire au centre alors qu’il montait dans celle-ci. Par la suite, plusieurs examens médico-légaux complémentaires ont été effectués mais n’ont révélé aucune lésion. En outre, pendant les interrogatoires des 16, 18 et 21 décembre 2008 et celui du 8janvier 2009, le requérant a reconnu les faits qui lui étaient reprochés.

6.4L’État partie soutient que les allégations de torture formulées par le requérant et sa famille reposaient uniquement sur les déclarations du requérant et que leur examen n’a fait apparaître aucun élément objectif prouvant qu’il avait effectivement été torturé. En fait, lerequérant n’a jamais décrit concrètement les circonstances dans lesquelles il aurait été maltraité, ni précisé par qui, où et quand exactement il aurait été torturé, d’où la décision prise le 8juin 2009 par l’enquêteur de la Division de la sécurité intérieure du Département des affaires intérieures d’Astana de ne pas engager d’action pénale au sujet des griefs du requérant. Pour ce qui est du fait que cette décision n’a été communiquée à la mère du requérant que le 26 juin 2009 (c’est-à-dire après la condamnation du requérant en première instance le 16 juin 2009), l’État partie fait valoir que le requérant ou son conseil aurait pu demander au tribunal, pendant le procès, d’ordonner à l’accusation de produire la décision en question. En outre, toutes les plaintes que le requérant et ses parents ont présentées au sujet des mauvais traitements que le requérant aurait subis ont été dûment examinées par les autorités compétentes. Les griefs du requérant ont également été examinés par le tribunal de première instance siégeant sans jury, conformément à l’article 562, paragraphe5, du Code de procédure pénale, ainsi que par la Cour suprême et un procureur dans le cadre de l’examen de son recours en appel, et ils ont été déclarés sans fondement. Les griefs du requérant ont été examinés dans les délais fixés par la loi (art. 184 du Code de procédure pénale).

6.5Au sujet de la déclaration du requérant qui affirme qu’une enquête sur les griefs de torture n’a été ouverte qu’à la suite de la plainte déposée par ses parents en janvier 2009 et non après qu’il en avait fait part oralement au procureur le 10 décembre 2008, l’État partie réaffirme qu’à la suite des griefs exposés par le requérant le 10 décembre 2008, un examen médico-légal a été effectué et une enquête interne a été menée, laquelle a abouti à la conclusion que les griefs du requérant étaient sans fondement (voir par. 6.3 plus haut).

6.6L’État partie réaffirme que le requérant n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles puisqu’il n’a pas déposé de plainte auprès de la Cour suprême en vertu de la procédure de contrôle comme il pouvait le faire en vertu des articles 460 et 576 du Code de procédure pénale. L’article 460 prévoit que seules les parties à la procédure peuvent contester un jugement définitif par la voie de l’appel ou du recours en annulation. Par conséquent, le requérant ou ses conseils pouvaient, et peuvent encore, contester le jugement de première instance auprès de la Cour suprême. L’article 464 du Code de procédure pénale prévoit qu’après un examen préliminaire, le tribunal peut soit engager une procédure de contrôle, soit refuser, soit renvoyer la plainte. À ce sujet, il convient de noter que la décision est prise par un collège de trois juges et non par le Président de la Cour suprême. Quant à l’argument du requérant selon lequel il aurait été inutile de déposer une plainte auprès de la Cour suprême en vertu de la procédure de contrôle étant donné que la plainte présentée en vertu de cette procédure par D. T. n’avait pas abouti, l’État partie fait observer que chaque recours est examiné séparément, indépendamment de l’issue d’autres procédures. En outre, même si un juge de la Cour suprême a employé le mot «coupable» pour désigner le requérant, rien n’indique que le requérant a été empêché de déposer une plainte en vertu de la procédure de contrôle. Par ailleurs, l’État partie ne considère pas que le dépôt d’une plainte en vertu de cette procédure aurait été inutile. Il signale que 48 personnes ont été acquittées à l’issue d’une procédure de contrôle en 2010 et 13 au premier semestre 2011.

6.7L’État partie ajoute que l’enquête effectuée par les autorités nationales a été conforme aux critères d’immédiateté, d’indépendance, d’impartialité, d’exhaustivité et d’efficacité exigés par la Convention. Elle a été menée conformément à la législation nationale. Les conclusions de l’examen préliminaire des griefs de torture présentés par le requérant ont ensuite été revues par un procureur, qui a conclu que ces griefs étaient sans fondement. À ce sujet, l’État partie note que ni le requérant ni ses conseils n’ont contesté cette décision. Quoi qu’il en soit, le simple fait que le procureur ait refusé d’engager une action pénale au sujet des griefs de torture présentés par le requérant ne démontre pas que ces griefs n’ont pas été examinés de manière objective. En outre, toutes les mesures d’instruction ont été exécutées en présence du conseil du requérant, et toutes les preuves ont été obtenues légalement. Le requérant a fait l’objet de plusieurs examens médico-légaux dont les résultats n’ont pas permis de conclure qu’il avait été torturé. L’État partie signale que d’après le rapport médico-légal no 2416 du 19 décembre 2008 contenant une analyse graphologique de l’écriture du requérant il n’a pas pu être établi que les aveux écrits du requérant avaient été faits dans des circonstances exceptionnelles, ni que le requérant était dans un état psychologique inhabituel au moment où il les a rédigés. L’État partie estime que les griefs de torture exposés par le requérant faisaient en réalité partie d’une stratégie visant à faire obstruction à l’enquête sur les crimes qui lui étaient imputés.

6.8L’État partie souligne également que les résultats de l’enquête interne sur les griefs de torture formulés par le requérant ont été examinés entre autres par le tribunal de première instance. Pendant le procès, les experts en médecine légale ont confirmé que le requérant ne s’était plaint auprès d’eux d’aucun mauvais traitement de la part de la police, et ont confirmé qu’il ne présentait aucune blessure. L’État partie note également que pendant le procès, les policiers et les experts qui ont examiné le requérant ont été interrogés au sujet des griefs exposés par ce dernier. Il ajoute que ces griefs ont également été examinés en appel, mais qu’ils ont été déclarés sans fondement. À cet égard, il rappelle que les tribunaux sont indépendants et qu’ils ne sont guidés dans leurs décisions que par la Constitution et les lois, et que l’affaire du requérant a été jugée conformément à ces principes. L’État partie relève également que le requérant n’était pas présent lors de l’examen de son recours en appel, en application de l’article 408, paragraphe 2, du Code de procédure pénale. Il a néanmoins été dûment représenté par un conseil.

6.9L’État partie explique par ailleurs la procédure prévue aux articles 103 et 109 du Code de procédure pénale pour la présentation de plaintes visant les décisions et les actes d’un enquêteur, d’un procureur, d’un tribunal ou d’un juge. Il indique qu’en vertu de l’article 105 du Code de procédure pénale les plaintes visant les décisions ou les actes d’un enquêteur doivent être soumises au procureur chargé du dossier, tandis que les plaintes visant les décisions ou les actes d’un procureur doivent être adressées à un procureur de rang supérieur. De plus, toute personne victime d’une violation de ses droits par suite du refus d’engager une action pénale de la part d’un procureur ou d’un enquêteur peut porter plainte auprès du tribunal en vertu de l’article 109 du Code de procédure pénale. Toutefois, dans les cas où une procédure pénale est en cours, l’article 284 du Code prévoit que toute plainte afférente à l’affaire en question doit être soumise au tribunal qui en est saisi.

6.10L’État partie décrit en détail la manière dont la culpabilité du requérant a été établie et les preuves qui ont été utilisées à cette fin, et affirme que le principe de la présomption d’innocence a été respecté.

6.12Sur la question de l’utilité des recours internes, en particulier de la possibilité de déposer une plainte auprès des tribunaux et du Procureur général, l’État partie note que les dispositions de la Constitution et de la législation nationale garantissent aux citoyens le droit à la protection de la loi contre toute atteinte à leurs droits. En vertu de l’article 83 de la Constitution, le parquet veille à la légalité des actes exécutés entre autres par les enquêteurs et les autorités d’enquête et toute plainte mettant en cause la légalité des moyens d’enquête utilisés donne lieu aux vérifications voulues.

6.13Compte tenu de ce qui précède, l’État partie affirme qu’en l’espèce il n’y a pas eu de violation des droits garantis par les articles 1, 2, 12, 13, 14 et 15 de la Convention.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

7.1Le 15 novembre 2011, le requérant a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il réitère ses précédentes affirmations (voir par. 2.2 à 2.4 plus haut) et observations. Au sujet de l’argument de l’État partie selon lequel les griefs de torture ont été dûment examinés le 24 décembre 2008 et les 16 mars et 8 juin 2009, le requérant fait observer qu’il n’a dans les faits été informé que d’une seule décision − celle du 8 juin 2009 par laquelle un enquêteur de la Division de la sécurité intérieure du Département des affaires intérieures d’Astana a refusé d’engager une action pénale concernant ses allégations. Le requérant n’a eu connaissance d’aucune autre procédure d’examen de ses griefs, pas plus que ses parents ou son conseil. Il n’a jamais été interrogé au sujet des allégations de torture, bien qu’il ait désigné les policiers qui l’avaient maltraité au procureur qui l’a entendu le 10 décembre 2008, qu’il ait invoqué les conclusions du rapport médico-légal établi le même jour et qu’il ait signalé que ses blessures étaient visibles sur les enregistrements vidéo des interrogatoires des 10 et 16 décembre 2008 (lesquels, selon les explications données par la police, ont été égarés par la suite). En réponse à l’État partie qui affirme que l’une des décisions de ne pas engager d’action pénale concernant ses allégations a été rendue le 16 mars 2009 par l’Inspection interne du Département des affaires intérieures, le requérant explique qu’il ne connaît pas les motifs de cette décision et ne sait pas non plus qui a saisi l’Inspection, et fait observer qu’il n’a appris l’existence de ladite décision que le 26 mai 2009 au cours d’une audience.

7.2Au sujet de la déclaration par laquelle il a reconnu avoir tué la famille d’A. E. (voir par. 6.3 plus haut), le requérant affirme qu’il l’a faite sous la contrainte. Il ajoute que l’État partie n’a rien répondu concernant, entre autres points, l’enregistrement vidéo de l’interrogatoire du 10 décembre 2008 et la disparition de cet enregistrement par la suite. Le requérant note également que l’État partie n’a pas commenté les conclusions du rapport médico-légal no 3393 du 10 décembre 2008 (voir par. 2.3 plus haut). En outre, le requérant fait valoir qu’il avait refusé l’avocat qui avait été désigné dès le premier jour, et que l’avocat commis d’office désigné par la suite n’avait que six mois d’expérience et n’était pas impartial. Ses demandes visant à ce qu’un autre avocat soit désigné sont restées sans suite. En outre, le requérant affirme que les mesures d’instruction n’ont pas toutes été exécutées en présence de son conseil (celui-ci n’était par exemple pas présent lorsqu’il a fait des aveux sous la contrainte). Le requérant réaffirme que le pouvoir judiciaire n’est pas indépendant au Kazakhstan et que le parquet est très puissant. Les juges n’ont pas examiné les allégations de torture, qu’ils ont interprétées comme une manœuvre du requérant pour les influencer et éviter qu’une enquête visant à établir sa responsabilité pénale ne soit ouverte.

7.3Le requérant ajoute que l’État partie n’a pas commenté son argument selon lequel il ne pouvait former de recours contre la décision du 8 juin 2009 de la Division de la sécurité intérieure du Département des affaires intérieures d’Astana de ne pas engager d’action pénale que dans le cadre de l’appel du jugement rendu par le tribunal d’Astana. Lerequérant note que l’État partie insiste sur les nombreux examens médico-légaux dont il aurait fait l’objet; or, à l’exception du rapport médico-légal relatif à l’analyse graphologique de ses aveux écrits, l’État partie ne donne aucune précision concernant les personnes qui ont pratiqué ces examens et n’indique ni les dates auxquelles ces examens ont été effectués ni pour quels motifs. Lerequérant souligne qu’au cours d’une des audiences, un expert en médecine légale a expliqué que les documents écrits de la main du requérant qu’il avait examinés n’étaient pas suffisants pour qu’il puisse tirer de conclusion définitive concernant les circonstances dans lesquelles le requérant avait rédigé ses aveux. Le requérant fait également observer qu’il n’a été examiné par un médecin qu’une fois, peu après son arrivée au centre de détention temporaire. Au sujet des observations de l’État partie relatives à l’efficacité de la procédure permettant de contester les décisions et les actes d’un enquêteur, d’un procureur, d’un tribunal, etc., prévue par les articles 103, 105, 109 et 284 du Code de procédure pénale, lerequérant soutient qu’en l’espèce, les règles (notamment en termes de délais) énoncées dans les articles susmentionnés n’ont pas été respectées par les autorités nationales.

7.4Le requérant souligne en outre qu’à aucun moment il n’a avoué spontanément sa culpabilité pendant l’instruction ou devant le tribunal. Il réaffirme que ses allégations de torture n’ont été prises en considération ni lors de son procès en première instance ni en deuxième instance. À ce sujet, il cite en détail les transcriptions des déclarations qu’il a faites au procès concernant le fait qu’il avait été torturé. Il ajoute que les juridictions nationales manquaient d’objectivité car elles étaient influencées par les propos négatifs que de nombreux journaux avaient diffusés à son encontre (notamment dans des entretiens avec divers hauts responsables).

7.5Le requérant explique que l’enquête sur ses allégations de torture n’a été ni impartiale ni objective puisqu’elle a été menée par le Département des affaires intérieures d’Astana dont relevaient précisément les policiers impliqués, et que le parquet et les tribunaux n’ont pas fait respecter les principes internationaux auxquels doit se conformer toute enquête pour être efficace. En outre, dans ses observations, l’État partie laisse entendre que trois décisions de ne pas engager d’action pénale ont été rendues au sujet des allégations de torture du requérant − le 21 décembre 2008, et les 16 mars et 8 juin 2009. Pourtant, le requérant n’a reçu copie que de la dernière décision. Il ajoute qu’en tout état de cause aucune des trois enquêtes n’a satisfait aux critères d’immédiateté, d’indépendance, d’impartialité, d’exhaustivité et d’efficacité exigés par la Convention. En outre, lorsqu’il a examiné les allégations formulées par le requérant, l’enquêteur de la Division de la sécurité intérieure du Département des affaires intérieures d’Astana (qui a rendu la décision du 8 juin 2009) n’a pas interrogé le requérant, n’a pas pris en considération le rapport médico‑légal no 3393, n’a pas demandé d’analyse scientifique des vêtements que portaient le requérant et les policiers qu’il avait désignés et n’a pas visionné les enregistrements vidéo des interrogatoires des 10 et 16 décembre 2008. Le requérant réaffirme que n’ayant reçu copie de la décision du 8 juin 2009 qu’une fois sa condamnation prononcée il n’a pu la contester que dans le cadre de la procédure d’appel.

7.6En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, le requérant réaffirme entre autres arguments qu’il a signalé avoir subi des mauvais traitements d’abord au procureur de district le 10 décembre 2008, puis au procureur de la ville d’Astana et enfin au représentant du Procureur général pendant la procédure d’appel devant la Cour suprême, sans aucun résultat. Face à l’inertie des autorités, le requérant a perdu tout espoir de jamais obtenir réparation auprès des juridictions nationales. Pour ce qui est de la procédure de contrôle, le requérant réaffirme que le rejet par la Cour suprême de la demande présentée aux fins de cette procédure par D. T., inculpé dans la même affaire et victime lui aussi de mauvais traitements, démontre que cette procédure ne constitue pas un recours utile. En outre, la réticence manifeste des autorités à enquêter sur des allégations faisant état de mauvais traitements d’une telle gravité prouve que le dépôt d’une plainte en vertu de la procédure de contrôle n’aurait pas permis au requérant d’obtenir satisfaction.

7.7Compte tenu de ce qui précède, le requérant demande au Comité de conclure à une violation des droits qu’il tient de l’article premier lu conjointement avec l’article 2, paragraphe 1, ainsi que des articles 12, 13 et 14, de la Convention. Il prie le Comité de demander à l’État partie de procéder à une enquête effective sur les griefs de torture qu’il a exposés et de traduire les responsables en justice. Il demande en outre que les aveux qu’il a faits sous la contrainte soient retirés de la liste des éléments retenus comme preuves lors de son procès. Enfin, il demande à l’État partie de l’indemniser et de lui assurer des moyens de réadaptation.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la requête au motif que le requérant n’a pas fait appel auprès d’un procureur de rang supérieur de la décision du 8 juin 2009 par laquelle un enquêteur de la Division de la sécurité intérieure du Département des affaires intérieures d’Astana a refusé d’engager une action pénale concernant ses griefs de torture. L’État partie fait valoir en outre que le requérant n’a pas déposé de plainte auprès de la Cour suprême en vertu de la procédure de contrôle et qu’il ne s’est pas non plus prévalu de la possibilité qui lui était ouverte, en vertu de cette même procédure, de contester le jugement définitif auprès du Procureur général.

8.4En ce qui concerne l’argument de l’État partie relatif au fait que le requérant n’a pas contesté la décision du 8 juin 2009 de la Division de la sécurité intérieure du Département des affaires intérieures d’Astana, le Comité note que le requérant a fait part de ses griefs aux autorités nationales compétentes à plusieurs reprises. Il n’a notamment pas été contesté qu’il s’était plaint de mauvais traitements à un procureur pendant l’interrogatoire du 10 décembre 2008, soit un jour après les faits allégués, ainsi que pendant l’interrogatoire du 16 décembre 2008. Le 21 janvier 2009, le père du requérant a adressé une plainte écrite au procureur du district d’Almatinsk pour protester contre la manière dont son fils était traité. Le 18 mai 2009, la mère du requérant a déposé une autre plainte auprès du Département de la sécurité intérieure du Ministère de l’intérieur. Le 22 mai 2009, le conseil du requérant a demandé au parquet d’Astana une copie de la décision officielle de ne pas ouvrir d’enquête sur les allégations de torture formulées par son client. Le requérant a également déclaré lors de son procès qu’il avait été soumis à la torture (par exemple pendant l’audience du 26 mai 2009 devant le tribunal municipal d’Astana, ainsi que le 29 juin 2009 dans le cadre de son recours devant la Cour suprême, en présence d’un représentant du Procureur général). Les autorités compétentes étaient donc informées des allégations de torture formulées par le requérant.

8.5En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui affirme que le requérant n’a pas épuisé les recours internes qui lui étaient ouverts en vertu de la procédure de contrôle devant la Cour suprême et le Procureur général, le Comité note que le requérant a fait appel du jugement du 16 juin 2009 rendu par le tribunal municipal d’Astana auprès de la Cour suprême, qui l’a débouté, de sorte que le jugement rendu en première instance est devenu définitif le 10 novembre 2009. À ce sujet, le Comité relève que même si l’on admet que la procédure de contrôle peut constituer un recours utile dans certains cas, l’État partie n’a apporté aucun élément qui prouve que c’est le cas dans les affaires de torture. En outre, le Comité prend note des statistiques fournies par l’État partie à l’effet de démontrer que la procédure de contrôle constitue un recours utile (à savoir que 48 personnes en 2010 et 13 personnes au premier semestre 2011 ont été acquittées à l’issue d’une telle procédure). Toutefois, l’État partie n’a pas indiqué si, et dans l’affirmative, dans combien de cas, des plaintes déposées en vertu de la procédure de contrôle ont abouti dans des affaires de torture dans lesquelles la condamnation avait été fondée sur des aveux obtenus par la torture. Dans ces circonstances, le Comité estime donc que l’État partie n’a pas montré que la possibilité de dénoncer des mauvais traitements ou des actes de torture en vertu de la procédure de contrôle, après le passage en force de chose jugée d’une décision de justice définitive, auprès du Procureur général ou de la Cour suprême, constituait un recours utile.

8.6Le Comité rappelle que la règle de l’épuisement des recours internes ne s’applique pas si les procédures de recours ont excédé ou excéderaient des délais raisonnables et s’il est peu probable qu’elles donnent satisfaction à la victime présumée. À cet égard et compte tenu de ce qui précède, le Comité note que le requérant, ses proches et son conseil ont tenté tout ce qui était raisonnablement possible pour épuiser les recours internes, mais en vain. Il considère en conséquence que les dispositions du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention ne l’empêchent pas de procéder à l’examen de la requête quant au fond.

8.7En ce qui concerne le paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention et l’article 111 du Règlement intérieur du Comité, ne constatant aucun autre obstacle à la recevabilité de la communication, le Comité procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

9.2Le Comité note que le requérant allègue une violation de l’article premier lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2 de la Convention au motif que l’État partie a manqué à son obligation de prévenir et de sanctionner les actes de torture. Ces dispositions sont applicables dans la mesure où les actes dont le requérant a été l’objet sont considérés comme des actes de torture au sens de l’article premier de la Convention. Le Comité prend note à cet égard de la description détaillée donnée par le requérant du traitement qu’il a subi pendant sa détention par la police ainsi que du rapport médico-légal no 3393 du 10 décembre 2008 qui atteste les coups et blessures qui lui ont été infligés pour le contraindre à s’accuser du meurtre de plusieurs personnes, de vol et d’autres infractions. Le Comité estime que le traitement décrit par le requérant peut être assimilé à des douleurs ou souffrances aiguës infligées intentionnellement par des agents de la fonction publique dans le but d’extorquer des aveux. L’État partie ne conteste pas les conclusions du rapport médical, mais nie toute implication de ses agents. Il n’est pas contesté que le requérant était détenu dans les locaux du Ministère de l’intérieur d’Astana dans l’attente d’être jugé lorsque ces blessures lui ont été infligées. Dans ces circonstances, l’État partie devrait être présumé responsable du préjudice causé au requérant à moins qu’il ne donne une explication convaincante. En l’espèce, l’État partie n’ayant pas fourni une telle explication, le Comité en conclut que ce sont les agents chargés de l’enquête qui sont responsables des blessures qui ont été infligées au requérant. Compte tenu de la description détaillée que le requérant a donnée des mauvais traitements et des actes de torture subis, que les documents médicaux corroborent, le Comité conclut que les faits, tels qu’ils sont rapportés, font apparaître que des actes de torture au sens de l’article premier de la Convention ont été commis et que l’État partie a manqué à son obligation de prévenir et de sanctionner de tels actes, en violation du paragraphe 1 de l’article 2 de la Convention.

9.3Le requérant affirme également qu’il n’a pas été procédé immédiatement à une enquête impartiale et efficace au sujet de ses allégations de torture, et que les responsables n’ont pas été poursuivis, en violation des articles 12 et 13 de la Convention. Le Comité note que, bien que le requérant ait signalé les actes de torture le lendemain des faits, dans le cadre de l’interrogatoire du 16 décembre 2008, et bien que sa famille ait dénoncé les mauvais traitements dont il était l’objet, notamment dans une plainte en date du 21 janvier 2009, l’enquête préliminaire n’a été ouverte que six mois plus tard et a abouti à une décision de ne pas engager de procédure pénale au motif qu’il n’y avait pas d’éléments matériels démontrant que les policiers avaient commis une infraction. Les griefs de torture du requérant n’ont pas davantage été pris en compte dans le cadre des recours qu’il a formés par la suite devant les juridictions nationales; il n’a pas été ouvert d’enquête et rien n’a été fait pour établir la responsabilité pénale des policiers en cause.

9.4Le Comité rappelle qu’une enquête ne suffit pas en soi pour démontrer que l’État partie s’est acquitté des obligations qui découlent de l’article 12 de la Convention s’il peut être montré qu’elle n’a pas été menée impartialement. À cet égard, le Comité fait observer que l’enquête a été confiée à un enquêteur de la Division de la sécurité intérieure du Département des affaires intérieures d’Astana, c’est-à-dire à l’institution même dont relevaient les agents auxquels des actes de torture étaient imputés. À ce sujet, le Comité répète sa préoccupation tenant au fait que l’examen préliminaire des plaintes faisant état d’actes de torture et de mauvais traitements imputés à des policiers est effectué par le Département de la sécurité intérieure, qui relève de la même chaîne de commandement que les forces de police ordinaires, et que cet examen ne constitue donc pas une enquête impartiale.

9.5Le Comité rappelle qu’en vertu de l’article 12 de la Convention, l’enquête doit être immédiate et impartiale, la rapidité étant essentielle autant pour éviter que la victime continue de subir les actes prohibés que parce que, à moins que les tortures n’entraînent des effets permanents et graves, d’une façon générale, selon les méthodes employées, les marques physiques de la torture et, à plus forte raison, des traitements cruels, inhumains ou dégradants, disparaissent à brève échéance. Le Comité constate qu’une enquête préliminaire a été ouverte six mois après le signalement des actes de torture le 10 décembre 2008. Le Comité note également que d’après les informations figurant dans la décision du 8 juin 2009 de la Division de la sécurité intérieure, l’enquête sur les allégations du requérant a reposé lourdement sur le témoignage des policiers qui ont nié avoir participé aux actes de torture et a accordé peu de poids aux allégations du requérant et aux preuves médicales incontestées décrivant les blessures qui lui ont été infligées (rapport médico-légal no 3393). Ce n’est que le 8 juin 2009 que la décision de ne pas engager d’action pénale a été prise; les auteurs n’ont pas été poursuivis et aucune mesure de réparation n’a été accordée au requérant. Le Comité relève en outre qu’il n’a pas été contesté que les autorités qui ont procédé à l’enquête sur les griefs formulés par le requérant n’ont pas indiqué à ce dernier en temps utile qu’une enquête était en cours ni quels en étaient les résultats.

9.6Au vu de ce qui précède, et compte tenu des éléments dont il dispose, le Comité conclut que l’État partie n’a pas respecté l’obligation qui lui incombait de procéder immédiatement à une enquête impartiale sur les allégations de torture formulées par le requérant, en violation de l’article 12 de la Convention. Le Comité estime que l’État partie a également manqué à l’obligation que lui impose l’article 13 d’assurer au requérant le droit de porter plainte devant les autorités compétentes qui procéderont immédiatement et impartialement à l’examen de sa cause.

9.7Pour ce qui est de la violation alléguée de l’article 14 de la Convention, le Comité fait observer qu’il est incontesté que l’absence de procédure pénale a privé le requérant de la possibilité d’engager une action civile en réparation étant donné que, en vertu du droit interne, le droit à réparation en cas d’acte de torture prend effet uniquement après la condamnation des responsables par un tribunal pénal. Le Comité rappelle à cet égard que l’article 14 de la Convention reconnaît non seulement le droit d’être indemnisé équitablement et de manière adéquate, mais impose aussi aux États parties l’obligation de veiller à ce que la victime d’un acte de torture obtienne réparation. La réparation doit couvrir l’ensemble des dommages subis par la victime, et englobe, entre autres mesures, la restitution, l’indemnisation, la réadaptation de la victime ainsi que des mesures propres à garantir la non-répétition des violations, en tenant toujours compte des circonstances de chaque affaire. Le Comité considère toutefois que, même si une enquête pénale permet de recueillir des preuves, ce qui est dans l’intérêt des victimes, l’ouverture d’une action civile et la demande de réparation de la victime ne doivent pas être subordonnées à l’achèvement de l’action pénale. Il considère qu’il ne faut pas attendre que la responsabilité pénale ait été établie pour indemniser la victime. Une procédure civile devrait pouvoir être engagée indépendamment de l’action pénale, et les textes législatifs et les institutions nécessaires à cet effet devraient être en place. Si la législation interne impose qu’une action pénale ait lieu avant qu’une action civile en dommages-intérêts puisse être engagée, l’absence d’action pénale ou la longueur excessive de la procédure pénale constitue un manquement de l’État partie aux obligations imposées par la Convention. Le Comité souligne qu’une réparation qui serait limitée seulement à des recours administratifs ou disciplinaires, sans possibilité de recours judiciaire effectif, ne peut pas être considérée comme suffisante dans le contexte de l’article 14 Compte tenu des informations dont il est saisi, le Comité conclut que l’État partie a également manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 14 de la Convention.

9.8En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 15 de la Convention, le Comité fait observer que le caractère général de l’interdiction faite à l’article 15 de la Convention d’invoquer toute déclaration dont il est établi qu’elle a été obtenue par la torture comme un élément de preuve «dans une procédure» découle du caractère absolu de la prohibition de la torture et implique, par conséquent, une obligation pour tout État partie de vérifier si des déclarations retenues comme preuves dans une procédure pour laquelle il est compétent n’ont pas été faites sous la torture. À ce sujet, le Comité relève que les juridictions nationales n’ont pas donné la suite voulue aux déclarations réitérées du requérant dans lesquelles il affirmait que ses aveux écrits avaient été obtenus par la torture. Par conséquent, le Comité estime que l’État partie n’a pas vérifié si les déclarations retenues comme preuves dans la procédure avaient été obtenues par la torture, et conclut à une violation de l’article 15 de la Convention.

10.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, estd’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article premier, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2, ainsi que des articles 12, 13, 14 et 15 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

11.Le Comité invite instamment l’État partie à mener une enquête véritablement impartiale et indépendante en vue de traduire en justice les responsables du traitement infligé au requérant, à assurer au requérant une réparation équitable et adéquate pour les souffrances endurées, comprenant une indemnisation et une réadaptation complète, et à empêcher que des violations analogues ne se reproduisent. Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 de son règlement intérieur, le Comité invite l’État partie à l’informer, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de la présente décision, des mesures qu’il aura prises pour y donner suite.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra aussi ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]