Nations Unies

CAT/C/51/D/426/2010

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

17 décembre 2013

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Communication no 426/2010

Décision adoptée par le Comité contre la tortureà sa cinquante et unième session(28 octobre-22 novembre 2013)

Communication p résentée par:

R. D. (représentée par un conseil, Tarig Hassan, de Advokatur Kanonengasse)

Au nom de:

R. D.

État partie:

Suisse

Date de la requête:

14 juin 2010 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision:

8 novembre 2013

Objet:

Renvoi de la requérante en Éthiopie

Questions de procédure:

Néant

Questions de fond:

Risque de torture en cas de renvoidans le pays d’origine

Articles de la Convention:

3, 22

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22de la Convention contre la torture et autres peinesou traitements cruels, inhumains ou dégradants(cinquante et unième session)

concernant la

Communication no426/2010

Présentée par:

R. D. (représentée par un conseil, Tarig Hassan, de Advokatur Kanonengasse)

Au nom de:

R. D.

État partie:

Suisse

Date de la requête:

14 juin 2010 (date de la lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 8 novembre 2013,

Ayant achevé l’examen de la requête no 426/2010 présentée par R. D. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par la requérante, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22de la Convention contre la torture

1.1La requérante est R. D., de nationalité éthiopienne, née le 22septembre 1984 et résidant en Suisse. Elle affirme que son renvoi en Éthiopie constituerait une violation par la Suisse de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. La requérante est représentée par un conseil, Tarig Hassan, de Advokatur Kanonengasse.

1.2Le 29 juin 2010, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires a décidé de ne pas demander de mesures provisoires à l’État partie aux fins de suspendre l’exécution de l’ordre d’expulsion de la requérante vers l’Éthiopie.

Rappel des faits présentés par la requérante

2.1La requérante appartient à l’ethnie oromo. Son père, G. D., membre de l’organisation politique Front de libération oromo (FLO) en Éthiopie, a été arrêté en septembre 2005 et est porté disparu depuis. La requérante et les membres de sa famille ont été harcelés par les autorités éthiopiennes à diverses occasions, en raison de leur allégeance présumée au FLO. Des soldats ont perquisitionné le domicile familial à la recherche du frère de la requérante, qui avait fui le pays. Un soldat éthiopien a fait pression sur la requérante pour qu’elle l’épouse, afin de garantir la sécurité de sa famille.

2.2Après le décès de sa mère en avril 2007, la requérante a fui l’Éthiopie avec l’aide de son frère. En septembre 2007, elle s’est rendue à Addis-Abeba puis à Rome, avant de gagner la Suisse, où elle a présenté une demande d’asile le 13 septembre 2007. Depuis septembre 2008, la requérante est membre active de la section suisse du FLO. Elle a participé à divers événements publics en faveur de la cause des Oromo. Des photographies où elle apparaît portant le drapeau oromo et d’autres, où elle participe à une réunion de commémoration des martyrs, ont été publiées sur l’Internet.

2.3Le 10 juillet 2009, l’Office fédéral des migrations a décidé qu’il ne pouvait pas examiner la demande d’asile de la requérante sur le fond, parce qu’elle n’avait pas fourni de document d’identité valide. Dans une décision datée du 26 février 2010, le Tribunal administratif fédéral a rejeté l’appel formé par la requérante contre la décision de l’Office fédéral des migrations.

2.4Le 29 mars 2010, la requérante a déposé une seconde demande d’asile, dans laquelle elle a de nouveau décrit ses activités politiques en Suisse et à laquelle elle a joint un certificat scolaire ainsi qu’une lettre d’un ancien membre du Parlement éthiopien, qui avait connu son père. Par décision en date du 10 mai 2010, l’Office fédéral des migrations a rejeté la demande sans examiner l’affaire au fond.

Teneur de la plainte

3.1La requérante affirme que son renvoi forcé en Éthiopie constituerait une violation, par la Suisse, des droits qu’elle tient de l’article 3 de la Convention, car elle serait exposée à un risque réel d’être persécutée ou soumise à des traitements inhumains par l’État en raison de sa participation aux activités de la communauté éthiopienne dissidente en Suisse, et de la participation, réelle ou présumée, de son père et de son frère aux activités de l’opposition politique. La requérante indique qu’elle court des risques parce que les autorités éthiopiennes ont déclaré le FLO hors la loi en 1992, qu’elles le considèrent comme une organisation terroriste et que, régulièrement, elles harcèlent ou enlèvent ses partisans et leur font subir des mauvais traitements. La requérante maintient qu’elle est devenue une personnalité connue du mouvement oromo en exil, en raison de son militantisme constant et résolu; qu’elle entretient aussi des liens étroits avec des personnalités dissidentes de premier plan et est membre du Comité exécutif de la section européenne du FLO; que des photographies où on la voit participer à des événements organisés par le FLO ou portant le drapeau oromo ont été publiées sur l’Internet; que les autorités éthiopiennes la connaissent certainement parce que son père a été arrêté en raison de ses activités politiques et de son appartenance de longue date au FLO, et que son frère a fui le pays de crainte de subir le même sort; et que le Gouvernement éthiopien, par sa nouvelle loi de lutte contre le terrorisme, a récemment intensifié son action visant à museler l’opposition politique et à surveiller les opposants vivant à l’étranger. Il est fréquent que des activistes présumés soient torturés par des agents de l’État. La requérante conclut que, compte tenu «des activités politiques de sa famille, de son appartenance ethnique, de son propre militantisme politique et de sa longue absence d’Éthiopie, elle court un risque élevé d’être arrêtée, interrogée et détenue si elle retourne en Éthiopie».

3.2Par une lettre datée du 9 septembre 2010, la requérante a fait parvenir un rapport médical établi par un psychologue, où il est indiqué qu’elle suit un traitement psychologique en Suisse pour dépression grave. La requérante ajoute que «son état psychologique actuel est, notamment, le résultat des expériences traumatisantes qu’elle a vécues dans son pays d’origine».

3.3La requérante considère qu’elle a épuisé les recours internes disponibles. Elle a formé un recours contre la décision de l’Office fédéral des migrations de rejeter sa seconde demande d’asile en date du 14 mai 2010, qui a été rejeté le 4 juin 2010 par le Tribunal administratif fédéral. La requérante a reçu l’ordre de quitter la Suisse, mais au moment où la présente communication a été rédigée, la date de son renvoi n’avait pas été fixée.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 23 novembre 2010, l’État partie a soumis ses observations sur le fond de la communication. Il rappelle la teneur de la plainte et note les arguments avancés par la requérante, selon lesquels elle serait exposée à un risque personnel, réel et grave d’être soumise à la torture si elle était renvoyée en Éthiopie, en raison de ses activités politiques au FLO. L’État partie considère que la requérante ne présente aucun élément nouveau permettant de remettre en question les décisions prises par les autorités suisses compétentes en matière d’asile après un examen attentif du dossier, mais qu’elle conteste leur évaluation des faits et des preuves. L’État partie maintient que l’expulsion de la requérante vers l’Éthiopie ne constituerait pas une violation de la Convention.

4.2L’État partie considère qu’en vertu de l’article 3 de la Convention, il est interdit aux États parties d’expulser, de refouler ou d’extrader une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. Pour déterminer si de tels motifs existent, les autorités compétentes doivent tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l’existence, dans l’État concerné, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. L’existence de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme dans un pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure qu’une personne risque d’être victime de torture à son retour dans ce pays. Pour bénéficier de la protection prévue à l’article 3, l’intéressé doit démontrer qu’il court un risque «prévisible, réel et personnel» d’être soumis à la torture.

4.3L’État partie considère que les éléments présentés par la requérante sont insuffisants et contiennent des informations contradictoires concernant le harcèlement auquel elle aurait été soumise par les autorités éthiopiennes. Elle ne donne pas de détails sur ce harcèlement et sa requête ne concorde pas avec les déclarations qu’elle a faites lors de sa première audition par l’Office fédéral des migrations, à laquelle elle a déclaré qu’elle n’avait jamais été inculpée, détenue ou arrêtée par les autorités éthiopiennes, et qu’elle n’avait jamais connu, à titre personnel, de difficultés avec des autorités publiques ou des particuliers. Dans sa requête, elle a déclaré qu’à partir de novembre 2005, des soldats qui étaient à la recherche de son frère étaient régulièrement venus à son domicile. Or, lors de sa première audition par l’Office fédéral des migrations, elle avait déclaré qu’après la mort de sa mère, elle avait quitté son domicile pour s’installer chez la fiancée de son frère et qu’elle n’avait pas eu de problèmes.

4.4L’État partie considère que les personnes que l’État partie soupçonne d’appartenir au FLO peuvent être exposées à des persécutions en Éthiopie. Les expatriés qui sont des opposants actifs au régime éthiopien pourraient tout à fait être repérés et persécutés à leur retour, même si les autorités ne semblent pas avoir les moyens d’organiser une surveillance systématique des opposants politiques à l’étranger. Toutefois, l’État partie fait valoir qu’il n’est pas plausible que les autorités éthiopiennes aient pris note des activités de la requérante (que ce soit en Éthiopie ou à l’étranger). La requérante n’affirme pas qu’elle était active politiquement en Éthiopie et, dans son témoignage précédent sur la question, elle a indiqué que sa carte de membre de l’ONEG lui avait été octroyée automatiquement parce que son père militait dans ce parti. Les documents qu’elle a produits n’ont pas non plus apporté la preuve qu’elle participait à une quelconque activité de militantisme politique en Suisse. Dans sa seconde décision, le Tribunal administratif fédéral a relevé l’authenticité et la véracité douteuses des lettres fournies par le Conseil des parlementaires oromo et par M. Shiferaw. Le Tribunal a en particulier noté que la lettre de M. Shiferaw (datée du 11 mars 2010) indiquait que l’arrestation du père de la requérante avait eu lieu en 2006 et pas, comme la requérante l’avait indiqué, en 2005. De plus, la signature apposée sur la lettre ne correspondait pas à celle qui figurait sur la déclaration non datée du Conseil des parlementaires oromo, pourtant apparemment signée par le même M. Shiferaw. Le Tribunal a également noté que la déclaration du Conseil des parlementaires oromo comportait de nombreuses fautes d’orthographe et de syntaxe dans la partie qui traitait de la situation personnelle de la requérante, contrairement au reste de la déclaration, qui reproduisait des renseignements figurant sur le site Web du Conseil. Le nom du secrétaire qui était supposé avoir signé la déclaration ne figurait nulle part. De plus, il était dit erronément que les autorités suisses avaient rejeté la demande d’asile de la requérante au motif que l’Éthiopie était un pays démocratique. L’État partie considère de plus que les autorités éthiopiennes ne visent pas les personnes d’appartenance oromo en général, mais qu’elles ciblent plutôt des personnes en vue qui, par exemple, participent à des activités pouvant présenter un danger pour le régime. L’État partie considère que la requérante ne correspond pas à ce profil; les photographies et les documents qu’elle a produits n’établissent pas qu’elle risque d’être persécutée si elle retourne en Éthiopie.

Commentaires de la requérante sur les observations de l’État partie

5.1Par une lettre en date du 7 février 2011, la requérante a fait parvenir ses commentaires sur les observations de l’État partie. À titre préliminaire, elle souligne que, techniquement, l’Office fédéral des migrations n’a pas «rejeté» sa première demande d’asile puisqu’il n’a pas examiné l’affaire sur le fond.

5.2La requérante réitère qu’elle a été harcelée en Éthiopie et affirme qu’elle a été cohérente dans ses allégations à ce sujet. Elle fait valoir qu’elle n’a jamais dit avoir mené des activités politiques en Éthiopie, mais maintient qu’elle était visée en raison des activités politiques de son père. Elle affirme que le militantisme de son père est confirmé par la déclaration de M. Shiferaw et que son allégation, selon laquelle le Gouvernement éthiopien surveille étroitement les opposants vivant à l’étranger et les poursuit, est étayée par un rapport établi récemment sur Djibouti par la Ligue des droits de l’homme de la corne de l’Afrique. La requérante affirme que la répression exercée par les autorités éthiopiennes contre l’opposition oromo ne vise pas que l’élite du parti et ajoute qu’elle est «l’une des personnalités principales du mouvement [FLO] en Suisse». Il suffirait aux autorités éthiopiennes de consulter les sites Web des dissidents les plus connus, tels que le Oromiya Times, pour s’apercevoir qu’elle est une militante active. Par conséquent, la requérante affirme qu’elle court un «risque réel, imminent et personnel d’être soumise à un traitement contraire à la Convention» si elle est renvoyée en Éthiopie.

5.3La requérante fournit une déclaration personnelle relative à ses activités au FLO en Suisse. Elle affirme que le FLO est une organisation politique dont l’objectif est de lutter en faveur de l’autodétermination du peuple oromo après un siècle de répression exercée par les dirigeants éthiopiens. De 2008 à 2009, ses activités au sein du FLO étaient les suivantes: contribution mensuelle et collecte de fonds; participation aux réunions mensuelles; promotion des activités culturelles oromo, manifestation de l’identité oromo et célébration des fêtes nationales oromo; participation active à la commémoration de la Journée des martyrs oromo et préparation de plats nationaux oromo à des fins de collecte de fonds. En 2010, elle a été élue membre du Comité exécutif du FLO Suisse; à ce titre, elle contribue à l’organisation de la diaspora «en fonction du sexe, de l’âge et de la profession, pour renforcer sa participation à la lutte politique oromo», à l’enseignement de la langue oromo, à la diffusion des principes idéologiques du FLO parmi les Oromo de Suisse, à l’information de la diaspora oromo sur la propagande diffusée par les autorités éthiopiennes et, enfin, à l’établissement des rapports mensuels du mouvement.

Observations supplémentaires de la requérante

6.1Le 19 septembre 2013, la requérante a communiqué des observations supplémentaires accompagnées d’un rapport médical, d’un certificat médical, d’une lettre de la Communauté oromo de Suisse et de sa carte de membre de cette organisation. Cette carte, établie le 1er août 2012, indique que la requérante est membre de la Communauté oromo de Suisse depuis 2008. Dans la lettre, datée du 9 septembre 2013, il est indiqué que cette organisation a pour mission de promouvoir la culture et la langue oromo au sein de la diaspora en Suisse. Il y est également dit que la requérante a été «persécutée et violemment maltraitée par les forces de sécurité du Gouvernement éthiopien», mais aucun élément n’est donné à l’appui de cette affirmation. Il ressort du certificat médical que depuis le 2 mai 2012 la requérante est régulièrement traitée pour une maladie inflammatoire chronique de la colonne vertébrale et du pelvis. Le rapport médical daté du 26 avril 2013 indique que la requérante souffre de troubles dépressifs récurrents et que toute nouvelle perturbation risquerait d’aggraver son état. Un deuxième rapport médical établi le 9 septembre 2013 par le même psychologue à la demande de l’Office fédéral des migrations conclut à une amélioration possible de l’état de santé de la requérante à moyen terme, mais précise que le pronostic serait défavorable si la requérante retournait en Éthiopie, en raison de l’indigence du système de soins dans le pays et du fait que la requérante est une femme célibataire.

Commentaires de l’État partie sur les observations supplémentaires de la requérante

7.1Le 10 octobre 2013, l’État partie a répondu aux observations supplémentaires de la requérante. Il estime que celle-ci n’a donné aucune information concernant ses prétendues activités politiques en Suisse. Il relève en outre une incohérence entre la date de naissance de la requérante indiquée sur la lettre de la Communauté oromo de Suisse et celle qui figure sur sa carte de membre de cette organisation. L’État partie est également d’avis que le certificat et les rapports médicaux ne démontrent pas que la requérante serait exposée à des mauvais traitements si elle était renvoyée en Éthiopie, en violation de l’article 3.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il ne peut examiner aucune communication émanant d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note que l’État partie a reconnu, en l’espèce, que la requérante avait épuisé tous les recours internes disponibles.

8.3Le Comité considère que la requête soulève des questions substantielles au titre de l’article 3 de la Convention qui devraient être examinées quant au fond. Ne voyant aucun obstacle à la recevabilité de la communication, le Comité la déclare recevable.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations communiquées par les parties.

9.2Le Comité doit déterminer si, en renvoyant la requérante en Éthiopie, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite à l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture. Le Comité doit déterminer s’il existe des motifs sérieux de croire que la requérante risquerait personnellement d’être soumise à la torture si elle était renvoyée en Éthiopie. Pour apprécier ce risque, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents en application du paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, y compris de l’existence d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Le Comité rappelle cependant que l’objectif est de déterminer si l’individu concerné courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays de renvoi. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’une personne donnée serait en danger d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé serait personnellement en danger.

9.3Le Comité rappelle son Observation générale no 1 (1997) relative à l’application de l’article 3, dans laquelle on peut lire ce qui suit: «l’existence [du risque de torture] doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons». Il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est «hautement probable» (par. 6) mais qu’il est couru personnellement et actuellement. À cet égard, dans ses décisions antérieures, le Comité a estimé que le risque de torture devait être prévisible, réel et personnel. Si, comme il l’indique dans son Observation générale, il est libre d’apprécier les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire, le Comité rappelle qu’il n’est pas un organe juridictionnel de premier ou de second degré et qu’il doit accorder un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné. En l’espèce, le Comité note que plusieurs autorités de l’État partie ont examiné les faits et apprécié les preuves que la requérante a présentés et qu’elle a également soumis au Comité.

9.4Pour évaluer le risque de torture en l’espèce, le Comité note que la requérante affirme que son père a été enlevé en 2005 à cause de ses activités au sein du FLO et que son frère a été recherché par les autorités éthiopiennes au motif de son allégeance présumée au même mouvement. Le Comité note aussi que la requérante affirme qu’un soldat a fait pression sur elle pour qu’elle l’épouse, afin d’assurer la sécurité de sa famille, et que des agents des autorités sont à plusieurs reprises venus au domicile familial pour lui demander où se trouvait son frère. Le Comité prend également note des allégations de la requérante concernant sa participation aux activités du FLO et de la position de l’État partie, qui considère à ce sujet que les activités de la requérante au FLO ne sont pas d’une nature éminemment politique et n’intéresseraient pas les autorités éthiopiennes. Le Comité note que l’État partie affirme que les documents fournis par la requérante pour étayer sa participation aux activités du FLO «ne démontrent ni qu’elle est engagée politiquement dans un mouvement de l’opposition, ni qu’elle milite activement contre le Gouvernement».

9.5Le Comité prend note des observations présentées par l’État partie au sujet du manque de crédibilité de la requérante. Ces observations sont fondées sur des facteurs tels que la présentation de renseignements contradictoires concernant le harcèlement qu’elle aurait subi en Éthiopie et l’année au cours de laquelle son père a été arrêté, l’authenticité et la véracité douteuses des déclarations complémentaires du Conseil des parlementaires oromo et de M. Shiferaw qu’elle a fournies et, enfin, l’incapacité de la requérante à fournir une pièce d’identité valide ou, à tout le moins, de donner une explication satisfaisante à ce sujet.

9.6Le Comité rappelle ses observations finales de 2010 relatives au rapport initial de l’Éthiopie, où il s’était dit «profondément préoccupé» par «les allégations nombreuses, persistantes et cohérentes» concernant «le recours routinier à la torture» par des agents gouvernementaux contre des dissidents politiques et des membres de partis d’opposition, des étudiants, des personnes suspectées de terrorisme et des partisans présumés de groupes rebelles violents tels que le FLO (CAT/C/ETH/CO/1, par. 10). Le Comité note aussi que, selon la requérante, les autorités éthiopiennes s’emploient à repérer les opposants politiques qui vivent à l’étranger. Il relève que l’État partie évalue différemment l’étendue de cette surveillance, mais reconnaît que les dissidents expatriés qui sont actifs risquent d’être persécutés s’ils retournent en Éthiopie. Le Comité ne sait pas si la situation s’est améliorée à cet égard depuis le changement de gouvernement intervenu après le décès du Premier Ministre éthiopien Meles Zenawi en août 2012.

9.7Toutefois, pour le Comité, la requérante n’a pas étayé ses affirmations concernant ses activités politiques ou d’autres aspects de sa situation; elle n’a en particulier pas démontré que ces activités étaient d’une importance telle qu’elles attireraient l’attention des autorités éthiopiennes aujourd’hui; elle n’a pas non plus apporté d’autres éléments de preuve crédibles qui démontrent qu’elle continue de courir personnellement le risque d’être torturée ou soumise à des mauvais traitements si elle est renvoyée en Éthiopie. Le Comité considère que les activités menées par la requérante au sein du FLO en Suisse ne sont pas fondamentalement politiques (collecte de fonds, organisation d’événements culturels et participation à de tels événements, enseignement de la langue oromo), et que la requérante n’a pas fourni d’éléments suffisants pour prouver qu’elle participait à des activités idéologiques et politiques de premier plan qui, logiquement, attireraient l’attention des autorités éthiopiennes et l’exposeraient à des mauvais traitements ou à la torture. Le Comité observe en outre que la requérante n’a pas du tout étayé ses griefs de harcèlement par les autorités éthiopiennes avant son arrivée en Suisse ni démontré que la police ou d’autres autorités éthiopiennes la recherchaient depuis lors. La requérante n’a pas indiqué non plus, ni devant les autorités suisses compétentes en matière d’asile, ni dans sa requête au Comité, que des charges avaient été retenues contre elle en vertu d’une quelconque loi interne. Le Comité est préoccupé par les nombreux cas de violations des droits de l’homme, notamment de torture, signalés en Éthiopie, mais il rappelle qu’aux fins de l’article 3 de la Convention, la personne concernée doit courir un risque prévisible, réel et personnel d’être torturée dans le pays où elle est renvoyée. Compte tenu de ce qui précède, le Comité estime que les éléments d’information présentés par la requérante, concernant notamment le caractère secondaire de ses activités politiques en Suisse, associés à la nature et à l’ampleur des incohérences de son récit, sont insuffisants pour étayer son grief selon lequel elle courrait personnellement un risque élevé d’être soumise à la torture si elle était renvoyée en Éthiopie aujourd’hui.

10.À la lumière de ce qui précède, le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi de la requérante en Éthiopie par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe. Paraîtra ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]