Nations Unies

CAT/C/51/D/429/2010

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

16 décembre 2013

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Communication no 429/2010

Décision adoptée par le Comité à sa cinquante et unième session(28 octobre-22 novembre 2013)

Communication p résentée par:

Mallikathevi Sivagnanaratnam(représentée par un conseil, Niels-Erik Hansen)

Au nom de:

Mallikathevi Sivagnanaratnam

État partie:

Danemark

Date de la requête:

18 août 2010 (lettre initiale)

Date de la présente décision:

11 novembre 2013

Objet:

Expulsion de la requérante vers Sri Lanka

Questions de procédure:

Griefs non étayés

Questions de fond:

Expulsion d’une personne vers un autre Étatoù il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture

Article de la Convention:

3

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22de la Convention contre la torture et autres peinesou traitements cruels, inhumains ou dégradants(cinquante et unième session)

concernant la

Communication no 429/2010

Présentée par:

Mallikathevi Sivagnanaratnam(représentée par un conseil, Niels-Erik Hansen

Au nom de:

Mallikathevi Sivagnanaratnam

État partie:

Danemark

Date de la requête:

18 août 2010 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 11 novembre 2013,

Ayant achevé l’examen de la requête no 429/2010 présentée par Mallikathevi Sivagnanaratnam en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22de la Convention contre la torture

1.1La requérante est Mallikathevi Sivagnanaratnam, de nationalité sri-lankaise née le 1erfévrier 1957 qui, au moment où la communication a été envoyée, était en attente d’expulsion du Danemark. Elle affirme que l’État partie commettrait une violation de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants s’il l’expulsait. Elle est représentée par un conseil, Niels‑Erik Hansen.

1.2Le 19 août 2010, en application du paragraphe 1 de l’article 108 de son règlement intérieur, le Comité a demandé à l’État partie de ne pas expulser la requérante vers Sri Lanka tant que sa requête serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par la requérante

2.1La requérante affirme que si elle était renvoyée à Sri Lanka, elle serait soumise à la torture en raison de ses liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE). La requérante est elle-même Tamoule. Bien qu’elle n’ait jamais appartenu aux LTTE, son neveu était un militant en vue de cette organisation. Celui-ci a été tué en 1999, et la requérante a organisé ses funérailles et des cérémonies à sa mémoire dans la ville de Vanni qui, à l’époque, était tenue par les LTTE. Le neveu de la requérante a été proclamé «martyr», et de nombreux membres des LTTE sont venus aux cérémonies. Les funérailles ont fait l’objet d’une large publicité, y compris par la diffusion de tracts.

2.2La requérante affirme également que si elle était renvoyée à Sri Lanka, elle serait également prise pour cible par les autorités en raison du fait que son mari a prêté un bateau de pêche aux LTTE et qu’elle et son mari ont hébergé des militants dans leur maison à de nombreuses reprises et leur ont offert à manger.

2.3La requérante indique que par le passé elle a été arrêtée par la police plusieurs fois et battue. Une fois, en 2003, après qu’elle avait déménagé à Karaveddy, qui était sous le contrôle du Gouvernement, elle a été détenue pendant trois jours et battue jusqu’à ce qu’elle perde toutes ses dents. Elle affirme que d’autres membres de sa famille ont également été pris pour cible par les autorités et que sa nièce a été tuée en 2009.

2.4La requérante indique qu’elle a obtenu un passeport en versant un pot-de-vin et qu’elle a finalement pu fuir vers le Danemark avec l’aide de membres de sa famille qui vivaient à l’étranger et d’amis qui vivaient à Colombo.

2.5La requérante est arrivée au Danemark le 11 octobre 2008 et a demandé l’asile le 25 février 2009. Le Service de l’immigration a rejeté sa demande le 19 janvier 2010 car il estimait que le récit qu’elle faisait des événements qui l’avaient amenée à demander l’asile n’était ni cohérent ni crédible. La requérante a fait appel de cette décision, que la Commission de recours pour les réfugiés a confirmée le 19 mai 2010, et la requérante a reçu l’ordre de quitter le Danemark immédiatement. En août 2010, à une date non précisée, la requérante a été arrêtée par la police danoise en vue d’être expulsée vers Sri Lanka le 20 août 2010. La requérante affirme avoir épuisé les recours internes.

Teneur de la plainte

3.La requérante affirme que si elle était expulsée vers Sri Lanka, elle risquerait d’être arrêtée et torturée, et que cela constituerait donc une violation de l’article 3 de la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 20 août 2010, l’État partie a informé le Comité que le délai fixé pour le départ de la requérante serait suspendu tant que sa requête serait à l’examen.

4.2Dans des observations en date du 15 octobre 2010, l’État partie a indiqué que la requérante était entrée sur son territoire le 11 octobre 2008, avec un visa de visiteur qui était valable jusqu’au 4 janvier 2009 et qui lui avait été accordé pour qu’elle puisse rendre visite à sa fille et à d’autres membres de sa famille vivant au Danemark. Le 10 février 2009, le Service danois de l’immigration a rejeté sa demande de regroupement familial. Le 25 février 2009, la requérante a déposé une demande d’asile. Le 29 janvier 2010, sa demande a été rejetée par le Service de l’immigration. Le 19 mai 2010, la Commission de recours pour les réfugiés a confirmé la décision par laquelle le Service de l’immigration rejetait la demande d’asile.

4.3L’État partie indique que la requérante a motivé sa demande d’asile par le fait que son mari avait apporté une aide aux LTTE en leur prêtant des bateaux et des moteurs et qu’elle avait organisé les funérailles de son neveu, membre actif des LTTE qui avait été tué en 1999 et proclamé «martyr». Elle a également affirmé que les époux de ses nièces étaient des membres des LTTE, que l’une de ses nièces avait été tuée par l’armée et que l’armée sri-lankaise connaissait les liens de sa famille avec cette organisation et savait qu’elle avait organisé les funérailles de son neveu, qui s’étaient transformées en grande manifestation des LTTE. La requérante a en outre mis en avant le fait que son mari et d’autres membres de sa famille avaient été activement recherchés par l’armée en 2009, que l’armée avait découvert qu’elle avait quitté le pays et qu’en raison des faits décrits précédemment celle-ci considérait que la requérante était membre des LTTE. L’État partie indique également que la requérante a fait des déclarations contradictoires concernant sa détention par les autorités en 2003 et les actes de torture qui lui auraient été infligés. L’État partie souligne que la requérante n’a fait part des problèmes qu’elle avait eus avec les autorités à Colombo qu’en novembre 2009, alors qu’elle avait déposé sa demande initiale d’asile en mai 2009, et qu’elle affirme que les autorités la recherchent non pas à titre personnel, mais parce qu’elles persécutent tous les Tamouls. L’État partie met également en relief de nombreuses incohérences dans les déclarations de la requérante concernant les problèmes qu’elle a eus avec les autorités lorsqu’elle était à Colombo, les raisons pour lesquelles elle avait été autorisée à quitter le pays pour se rendre au Canada en 2007 et les raisons pour lesquelles elle craignait de retourner à Sri Lanka en 2009.

4.4L’État partie expose à nouveau la teneur de la décision de la Commission de recours pour les réfugiés et les raisons pour lesquelles la demande d’asile de la requérante a été rejetée, à savoir: le caractère limité de ses activités à Sri Lanka et le fait qu’elles avaient été menées des années auparavant; les «renseignements détaillés» donnés par la requérante dans ses différentes déclarations concernant ses arrestations et les actes de torture subis; le fait que la requérante ait pu quitter le pays librement et y revenir; le fait qu’elle n’ait pas fait de demande d’asile lorsqu’elle s’est rendue au Canada en 2007; le fait qu’elle n’ait demandé l’asile au Danemark qu’après que sa demande de regroupement familial a été rejetée. Pour ces raisons, la Commission de recours pour les réfugiés n’a pas estimé que la requérante serait exposée au risque d’être persécutée si elle retournait à Sri Lanka.

4.5L’État partie décrit la structure et le fonctionnement de la Commission de recours pour les réfugiés, indiquant qu’elle se compose d’un président et d’un vice-président qui exercent la profession de juge, ainsi que d’autres membres qui doivent être avocats ou exercer des fonctions au sein du Ministère des affaires sociales, de l’enfance et de l’intégration, et que ces membres sont nommés par le Comité exécutif de la Commission. Conformément à la loi sur les étrangers, les membres de la Commission siègent en toute indépendance et ne peuvent solliciter de directives auprès de l’autorité chargée des nominations. Généralement, la Commission charge un conseil d’assister le demandeur, et le conseil est autorisé à rencontrer le demandeur et à étudier le dossier de l’affaire. Les procédures engagées devant la Commission sont orales; un interprète ainsi qu’un représentant du Service de l’immigration sont présents aux audiences. Le demandeur peut faire une déclaration et répondre à des questions; le conseil et le représentant du Service de l’immigration peuvent formuler des observations finales, après quoi le demandeur peut faire une déclaration finale. La Commission rend une décision écrite, qui n’est pas susceptible de contrôle juridictionnel. Les recours contre les décisions par lesquelles le Service de l’immigration rejette les demandes d’asile sont portés devant la Commission, et le recours a un effet suspensif sur le renvoi de la personne concernée dans son pays.

4.6L’État partie note que, conformément au paragraphe 1 de l’article 7 de la loi sur les étrangers, un permis de séjour peut être accordé à un étranger si celui-ci relève des dispositions de la Convention relative au statut des réfugiés. À cette fin, l’article 1.A de cet instrument a été incorporé dans la législation danoise. Bien que cet article ne mentionne pas la torture comme motif justifiant l’asile, elle peut constituer un élément de persécution. Un permis de séjour peut donc être accordé lorsqu’il est établi que le demandeur d’asile a été victime de torture avant de venir dans l’État partie, et que les craintes réelles que peuvent lui inspirer les atteintes subies sont considérées comme fondées. Ce permis est accordé même si l’on considère qu’une expulsion éventuelle n’entraînerait pas un risque de nouvelles persécutions. De même, en vertu du paragraphe 2 de l’article 7 de la loi sur les étrangers, un permis de séjour peut être accordé à un étranger qui en fait la demande si l’intéressé risque la peine de mort ou d’être soumis à des actes de torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants en cas de renvoi dans son pays d’origine. Dans la pratique, la Commission de recours pour les réfugiés considère que ces conditions sont remplies lorsque des facteurs précis et particuliers rendent probable que l’intéressé soit exposé à un risque réel.

4.7Les décisions de la Commission de recours pour les réfugiés sont fondées sur une appréciation individuelle et spécifique des faits de la cause. Les motifs du demandeur d’asile sont appréciés à la lumière de tous les éléments de preuve pertinents, notamment les documents de référence généraux concernant la situation et les conditions dans le pays d’origine, en particulier lorsque des violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme se produisent de manière systématique. Ces informations proviennent de différentes sources, notamment les rapports de pays établis par d’autres gouvernements, ainsi que les renseignements émanant du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et d’organisations non gouvernementales importantes. En particulier, l’État partie renvoie à un rapport du HCR en date du 5 juillet 2010, dans lequel il est indiqué que les Sri-Lankais originaires du nord du pays n’ont plus besoin d’une protection internationale au titre des critères généraux applicables aux réfugiés ou de formes de protection complémentaires accordées au seul motif qu’ils courent le risque de subir un préjudice fondé sur la discrimination, que des mécanismes de protection à raison de l’appartenance à tel ou tel groupe ne sont plus nécessaires et qu’il n’y a plus lieu de présumer que les Sri-Lankais de souche tamoule originaires du nord du pays remplissent les conditions voulues à cet égard. Le HCR conclut en indiquant qu’«au moment de l’établissement du rapport, de manière générale, la situation à Sri Lanka s’était améliorée, et elle continuait d’évoluer».

4.8Lorsque la torture est invoquée à l’appui d’une demande d’asile, la Commission de recours pour les réfugiés peut soumettre le demandeur à un examen pour déceler d’éventuels signes de torture. La décision quant à la nécessité ou non d’un examen médical est prise lors de l’audience de la Commission et dépend des circonstances de l’affaire et d’autres éléments tels que la crédibilité de la déclaration du demandeur au sujet de la torture.

4.9L’État partie fait valoir que c’est au requérant qu’il incombe d’établir qu’à première vue sa communication est recevable au titre de l’article 22 de la Convention. En l’occurrence, il n’a pas été établi que la requérante serait en danger d’être soumise à la torture si elle était renvoyée à Sri Lanka. La demande de l’intéressée est manifestement infondée et devrait, par conséquent, être déclarée irrecevable.

4.10L’objet de la communication est d’utiliser le Comité comme organe de recours, afin qu’il effectue une nouvelle appréciation des éléments factuels présentés à l’appui de la demande d’asile. L’État partie rappelle l’Observation générale no 1 (1997) du Comité sur l’application de l’article 3 de la Convention et souligne que le Comité devrait accorder un poids considérable aux constatations de fait effectuées par l’État partie concerné. Dans le cas d’espèce, la requérante a eu la possibilité de présenter ses opinions, tant oralement que par écrit, avec l’assistance d’un conseil. Par la suite, la Commission de recours pour les réfugiés a procédé à un examen complet et approfondi des éléments de preuve. L’État partie affirme donc que le Comité doit accorder un poids considérable aux conclusions de la Commission.

4.11L’État partie soutient qu’il n’était pas nécessaire de faire examiner la requérante pour déceler d’éventuels signes de torture, étant donné que ses déclarations n’étaient pas crédibles. En outre, il fait valoir que le paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention exige que la personne concernée soit confrontée à un risque prévisible, réel et personnel d’être torturée dans le pays vers lequel elle va être expulsée, et que le risque de torture doit être évalué en fonction d’éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons, même s’il n’est pas nécessaire de montrer qu’il est hautement probable. L’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, ne constitue pas en soi un motif suffisant pour juger qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays.

4.12L’État partie fait valoir que la requérante n’a pas démontré qu’à première vue sa communication était recevable au titre de l’article 22 de la Convention et que sa communication est donc manifestement infondée et devrait être déclarée irrecevable.

4.13Dans l’éventualité où le Comité jugerait la requête recevable, l’État partie souligne que la requérante n’a pas démontré que son renvoi à Sri Lanka constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

Commentaires de la requérante sur les observations de l’État partie

5.1Dans des commentaires en date du 3 janvier 2011, la requérante fait valoir que la principale question qui se pose est celle de l’utilisation de la torture dans le pays de destination, et que l’État partie a le devoir de recueillir des informations à ce sujet. Elle fait remarquer que dans ses observations, l’État partie fait référence à un rapport publié en juillet 2010, mais que les autorités ont évalué sa situation en 2009 et que la Commission de recours pour les réfugiés a rendu sa décision définitive en mai 2010, soit deux mois avant la publication de ce rapport. Elle fait valoir qu’au moment où la décision a été prise, des violations graves, flagrantes et massives des droits de l’homme étaient commises à Sri Lanka contre les Tamouls du nord du pays et souligne que le HCR recommandait, dans ses directives, de ne pas y renvoyer les personnes dans ce cas. Elle affirme que la décision de la Commission de recours pour les réfugiés constituait clairement une violation de la Convention puisque, selon le HCR, le risque d’être soumis à la torture était trop important. Elle fait également valoir que bien qu’il soit possible que la situation dans le pays se soit améliorée depuis la décision des autorités danoises, les Tamouls du nord sont encore victimes d’actes de torture et de violations des droits de l’homme, et renvoie à un rapport d’Amnesty International. La requérante affirme que si l’État partie avait suivi les directives du HCR, il lui aurait accordé le statut de personne protégée en 2009 et aurait réévalué sa situation individuellement en 2010.

5.2La requérante fait valoir que l’article 7 1) de la loi sur les étrangers prévoit l’octroi du statut de réfugié dans les cas où une personne a été soumise à la torture et où elle court le risque de l’être dans l’avenir. Lorsqu’un demandeur a été torturé mais qu’il ne court pas le risque de l’être dans l’avenir, il peut quand même se voir accorder un permis de séjour. La requérante fait également valoir qu’il était du devoir de l’État partie d’établir si elle avait été soumise à la torture dans le passé afin, notamment, d’apprécier correctement les éléments qu’elle présentait, les victimes de torture éprouvant souvent des difficultés à faire part de ce qu’elles ont vécu et ne pouvant en parler que lorsqu’elles se sentent pleinement en sécurité. Elle estime que le fait qu’elle a uniquement parlé des actes de torture dont elle avait été victime dans le cadre de son entretien avec le Service de l’immigration ne devrait pas entamer sa crédibilité. La requérante fait valoir que lors de cet entretien, elle a non seulement informé les autorités du fait qu’elle avait été soumise à la torture, mais leur a montré les cicatrices sur son corps et leur a fait voir qu’elle n’avait plus de dents. Elle fait valoir qu’à ce moment-là on aurait dû lui proposer de signer une autorisation de pratiquer un examen médical, ce qu’elle aurait été disposée à faire. Au lieu de cela, les autorités ont décidé de fonder leur décision sur un «test de crédibilité» reposant sur des documents écrits et sur l’entretien.

5.3La requérante souligne également que la Commission de recours pour les réfugiés n’a pas ordonné un examen médical, en se fondant sur les mêmes arguments que ceux invoqués par le Service de l’immigration. Les autorités évaluent la crédibilité des demandeurs d’asile en se fondant sur les formulaires qu’ils remplissent lorsqu’ils font leur demande et sur les déclarations qu’ils font pendant l’entretien avec le Service de l’immigration. Or la requérante indique qu’elle a rempli ce formulaire dans sa langue maternelle et que celui-ci a ensuite été traduit, mais qu’il est apparu pendant l’audience de la Commission de recours pour les réfugiés qu’au moins une erreur de traduction avait été commise, et il pourrait y en avoir eu d’autres. Elle souligne également à nouveau que les victimes de torture éprouvent souvent des difficultés à parler de ce qu’elles ont vécu, et que le Service de l’immigration et la Commission de recours pour les réfugiés étaient tenus de procéder à un examen médical pour vérifier ses affirmations selon lesquelles elle avait été torturée. Elle affirme en outre que les déclarations qu’elle a faites tout au long de la procédure étaient cohérentes et que le fait qu’aucun examen médical n’ait été pratiqué pour examiner ses cicatrices et connaître son état de santé l’a privée de la possibilité de prouver qu’elle avait été victime d’actes de torture.

5.4La requérante renvoie à une affaire jugée par la Cour européenne des droits de l’homme, dans le cadre de laquelle celle-ci a estimé que le requérant, qui avait des cicatrices sur le corps, courait le risque d’être soumis à la torture à son retour car il était probable qu’à l’aéroport les autorités le retiendraient, le soumettraient à une fouille à nu, constateraient qu’il portait des cicatrices et en concluraient qu’il appartenait aux LTTE. Elle indique que, bien que dans le recours qu’elle a soumis à la Commission de recours pour les réfugiés, elle ait décrit l’épisode au cours duquel elle a été arrêtée et a perdu toutes ses dents, il n’en est pas fait mention dans la décision de la Commission.

5.5La requérante affirme à nouveau que si l’État partie la renvoie de force à Sri Lanka, il commettrait une violation du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention car elle courrait le risque d’être soumise à la torture, ainsi qu’une violation du paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention car il n’a pas enquêté sur la question de savoir si elle avait effectivement été soumise à la torture.

5.6La requérante affirme qu’elle a démontré qu’à première vue sa communication était recevable au titre de l’article 22 de la Convention. Elle fait en outre valoir que la décision de l’expulser constitue une violation de l’article 3 de la Convention, d’une part parce que les informations générales concernant la situation des droits de l’homme à Sri Lanka, les directives du HCR et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme montrent clairement qu’il ne devrait être procédé à aucune expulsion de Tamouls originaires du nord de Sri Lanka en raison du risque de persécution et de torture, et d’autre part parce que les autorités, dans le cadre d’un examen individuel de sa demande, auraient dû procéder à un examen visant à établir si elle a subi des actes de torture en vue de déterminer s’il y a des motifs sérieux de craindre qu’elle soit soumise à la torture.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Dans des observations complémentaires en date du 30 mai 2011, l’État partie fait valoir, s’agissant de la pertinence des directives du HCR, que celles-ci ont un caractère général et ne comportent aucune indication concernant l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs d’asile pris individuellement, tandis que la Commission de recours pour les réfugiés se prononce sur des cas individuels. La Commission applique les dispositions de la Convention et d’autres instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, en tenant compte de la situation personnelle du demandeur, ainsi que de l’ensemble des informations disponibles sur la situation dans le pays concerné. Les directives du HCR n’ont donc pas de poids décisif en elles-mêmes. L’État partie indique cependant que les recommandations du HCR et les documents de référence généraux établis par celui-ci constituent un élément essentiel de l’examen des affaires par la Commission et que celle-ci leur a accordé une importance considérable. Il affirme que cette approche est conforme aux vues de la Cour européenne des droits de l’homme. L’État partie renvoie en outre à la pratique du Comité selon laquelle l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante d’établir qu’une personne donnée serait en danger d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé serait personnellement en danger. De la même manière, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne. L’État partie souligne que dans l’affaire N. A. c. Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d ’ Irlande du Nord, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé qu’il n’existait pas de risque général pour tous les Tamouls retournant à Sri Lanka de subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, et que cette décision a été rendue avant celle de la Commission en date du 19 mai 2010 concernant l’affaire de la requérante.

6.2L’État partie fait en outre valoir que la requérante doit démontrer qu’il existe actuellement, au moment où le Comité examine l’affaire, des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture si elle est expulsée. Il estime que la présente affaire diffère nettement de l’affaire N. A. c. Royaume-Uni car, dans cette dernière, le requérant avait quitté Sri Lanka clandestinement après avoir été arrêté par l’armée et placé en détention à six reprises, avait été maltraité et meurtri au moins une fois et avait été photographié et s’était fait prendre les empreintes digitales.

6.3Pour ce qui est de l’affirmation de la requérante selon laquelle sa demande comportait des erreurs de traduction, l’État partie indique que jusque-là celle-ci avait signalé une erreur aux autorités, concernant l’année du décès de son neveu. La Commission de recours pour les réfugiés avait pris cette information en considération, et aucune autre faute de frappe ou erreur de traduction n’avait été relevée. Par ailleurs, la requérante avait adressé une lettre de quatre pages au Service danois de l’immigration, dans laquelle elle exposait de façon détaillée les motifs de sa demande d’asile, de sorte que l’État partie estime qu’il est peu probable qu’elle ait essayé d’occulter des renseignements, mais qu’au contraire elle était désireuse d’apporter des informations à l’appui de sa demande.

6.4En ce qui concerne la question de la conduite d’un examen médical pour déterminer si la requérante avait été victime de tortures, l’État partie renvoie à ses précédentes observations, à savoir que l’épisode au cours duquel elle avait été détenue et battue et avait perdu toutes ses dents est un élément central de sa demande, et que les autorités ont estimé qu’il était peu probable qu’elle ait oublié d’en faire état dans sa demande initiale et qu’elle ne s’en soit souvenue qu’en novembre 2009, soit plus de six mois plus tard. L’État partie expose une nouvelle fois le raisonnement à la base du rejet par la Commission de recours pour les réfugiés de la demande de la requérante (voir le paragraphe 4.4 ci-dessus).

Commentaires supplémentaires de la requérante

7.Dans des commentaires supplémentaires en date du 20 juillet 2011, la requérante renvoie à la jurisprudence du Comité dans la communication no 91/1997, A. c. Pays-Bas, affaire où le requérant portait également des cicatrices laissées par des actes de torture subis dans le passé et où le Comité avait conclu que l’État partie n’avait pas expliqué pourquoi il avait été jugé que les allégations de l’intéressé n’étaient pas suffisantes pour justifier un examen médical. De la même manière, le requérant dans cette affaire n’était pas membre d’un parti persécuté mais un simple sympathisant, et le Comité avait estimé que celui-ci ayant été détenu par le passé, il pourrait être torturé à nouveau. La requérante fait à nouveau valoir que la Commission de recours pour les réfugiés aurait dû ordonner un examen médical, et indique que les demandeurs d’asile au Danemark n’ayant pas le droit de travailler, elle n’avait pas les moyens d’assumer le coût d’un tel examen.

Observations complémentaires de l’État partie

8.Dans des observations complémentaires en date du 21 octobre 2011, l’État partie fait valoir que l’affaire à laquelle la requérante renvoie, à savoir A. c. Pays-Bas,est très différente de la sienne car, dans cette affaire, les autorités ne contestaient pas le fait que le requérant avait été torturé dans le passé. Dans la présente affaire, la Commission de recours pour les réfugiés a estimé, en se fondant sur les propres déclarations de la requérante, qu’il n’avait pas été établi que celle-ci avait été soumise à la torture dans son pays d’origine. L’État partie réaffirme que l’expulsion de la requérante vers Sri Lanka ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

9.2Le Comité considère que la communication a été étayée aux fins de la recevabilité, la requérante ayant exposé les faits et les fondements de sa requête d’une manière suffisamment détaillée pour que le Comité puisse prendre une décision. En conséquence, le Comité conclut qu’il n’existe aucun obstacle à la recevabilité de la communication et la déclare recevable.

Examen au fond

10.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

10.2Le Comité doit déterminer si, en renvoyant la requérante à Sri Lanka, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

10.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que la requérante risque personnellement d’être soumise à la torture à son retour à Sri Lanka. Pour évaluer ce risque, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité demeure sérieusement préoccupé par les allégations persistantes et cohérentes qui donnent à entendre que le recours généralisé à la torture et à d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants par des acteurs étatiques, qu’il s’agisse de personnels militaires ou des services de police persiste dans de nombreuses parties du pays depuis la fin du conflit en mai 2009. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressée court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumise à la torture dans le pays où elle serait renvoyée; des raisons supplémentaires de penser qu’elle serait personnellement en danger doivent être présentées.

10.4Le Comité rappelle son Observation générale no 1 (1997) relative à l’application de l’article 3 de la Convention, dans laquelle il indique que «l’existence (…) d’un risque [de torture] doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. En tout état de cause, il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est “hautement probable”»; le risque doit être encouru personnellement et actuellement. À ce propos, le Comité a conclu dans des décisions précédentes que le risque de torture devait être prévisible, réel et personnel. Le Comité rappelle que, conformément à son Observation générale no 1, il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé, mais qu’il n’est pas non plus lié par de telles constatations et est, au contraire, habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

10.5Le Comité prend note de l’affirmation de la requérante selon laquelle elle a été torturée dans le passé et l’État partie aurait dû ordonner un examen médical pour confirmer ou infirmer ses dires. Il constate, cependant, que les organes compétents de l’État partie se sont livrés à un examen approfondi des éléments présentés par la requérante, ont conclu qu’ils n’étaient guère crédibles et n’ont pas estimé nécessaire d’ordonner un examen médical. Le Comité fait en outre observer que même s’il devait accorder foi à l’affirmation de la requérante selon laquelle elle a été soumise à la torture dans le passé, la question qui se pose est celle de savoir si la requérante risque actuellement d’être torturée à son retour à Sri Lanka. Il ne découle pas nécessairement des faits allégués que, plusieurs années après qu’ils ont eu lieu, elle risquerait toujours d’être torturée si elle était renvoyée dans son pays d’origine. Le Comité a également pris note de l’affirmation de la requérante selon laquelle, si elle était expulsée vers Sri Lanka, elle serait torturée en raison de son appartenance supposée aux Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE). Cependant, la requérante ne l’a pas convaincu que les autorités de l’État partie qui ont examiné l’affaire n’ont pas mené une enquête adéquate. En outre, la requérante n’a apporté aucune preuve du fait que les autorités sri-lankaises l’avaient recherchée ou qu’elles s’étaient, dans un passé récent, intéressées à la question de savoir où elle se trouvait.

10.6En ce qui concerne les activités passées de la requérante, qui remontent pour l’essentiel à 1999, il n’est pas clairement établi que celles-ci revêtaient une importance suffisante pour attirer l’attention des autorités si la requérante avait été renvoyée à Sri Lanka en 2010. Le Comité rappelle le paragraphe 5 de son Observation générale no 1, dans lequel il indique que c’est à l’auteur d’une communication qu’il incombe de présenter des arguments défendables. De l’avis du Comité, la requérante n’a pas assumé la charge de la preuve comme elle le devait.

11.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que la décision de l’État partie de renvoyer la requérante à Sri Lanka ne constitue pas une violation de l’article 3 de la Convention.

[Adoptée en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]