Nations Unies

CAT/C/49/D/406/2009

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

28 janvier 2013

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Communication no 406/2009

Décision adoptée par le Comité à sa quarante-neuvième session,(29 octobre au 23 novembre 2012)

Communication p résentée par:

S. M. (représentée par un conseil, T. H.)

Au nom de:

S. M.

État partie:

Suisse

Date de la requête:

10 novembre 2009 (date de la lettre initiale)

Date de la décision:

23 novembre 2012

Objet:

Expulsion de la requérante vers l’Éthiopie

Questions de procédure:

Néant

Questions de fond:

Risque de torture en cas de renvoi dans le pays d’origine

Article de la Convention:

3

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (quarante-neuvième session)

concernant la

Communication no 406/2009

Présentée par:

S. M. (représentée par un conseil, T. H.)

Au nom de:

S. M.

État partie:

Suisse

Date de la requête:

10 novembre 2009 (date de la lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 23 novembre 2012,

Ayant achevé l’examen de la requête no 406/2009, présentée par S. M. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par la requérante, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention

1.1L’auteur de la communication est S. M., de nationalité éthiopienne, née le 2 juin 1979 dans un camp de réfugiés à Kassala (Soudan). Elle a demandé l’asile, qui lui a été refusé; au moment de la soumission de la requête, elle était en attente d’expulsion vers l’Éthiopie. Elle affirme que son retour forcé en Éthiopie constituerait une violation par la Suisse de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Elle est représentée par un conseil, T. H.

1.2Les 10 et 25 novembre 2009, la requérante a demandé au Comité de prier l’État partie de ne pas l’expulser vers l’Éthiopie tant que sa requête serait à l’examen. Le 25 novembre 2009, le Comité, par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a transmis la requête à l’État partie, sans demander de mesures provisoires de protection au titre du paragraphe 1 de la règle 108 de l’ancienne version de son règlement intérieur. Suite à la réitération par la requérante, le 21 avril 2011, de sa demande de sursis à son expulsion vers l’Éthiopie, le Rapporteur a de nouveau décidé de ne pas émettre de demande de mesures provisoires de protection.

Rappel des faits présentés par la requérante

2.1La requérante est née dans un camp de réfugiés à Kassala (Soudan). À l’adolescence, elle est revenue avec sa mère à Gondar et Dire-Daws, en Éthiopie, où elle affirme avoir été harcelée, en tant que chrétienne, par des personnes de confession musulmane. En 2001, elle est partie pour le Kenya. Un an plus tard, elle a pris l’avion de Nairobi à Zurich, où elle a demandé l’asile le 7 mars 2002.

2.2Le 7 octobre 2002, l’Office fédéral des réfugiés, qui a été ultérieurement remplacé par l’Office fédéral des migrations, a rejeté la demande d’asile de la requérante et lui a ordonné de quitter la Suisse. La Commission suisse de recours en matière d’asile, qui a été remplacée par le Tribunal administratif fédéral à compter du 1er janvier 2007, n’a pas examiné son recours pour des raisons de forme (voir aussi infra, par. 4.1).

2.3Le 22 décembre 2006, la requérante a déposé une deuxième demande d’asile, fondée cette fois sur ses activités politiques en Suisse. Elle affirme être un membre fondateur du groupe d’appui en Suisse à la Coalition pour l’unité et la démocratie (CUD; souvent désigné sous le sigle KINIJIT ou CUPD en dehors de l’Éthiopie), qui vise à renforcer l’état de droit en Éthiopie par un changement de régime. Elle en serait l’un des principaux membres en Suisse et a pris une part active à des dizaines de manifestations publiques, au cours desquelles elle a fréquemment pris la parole. Elle est le porte-parole de la section cantonale du groupe à Bâle. En avril 2006, elle a participé à la réunion de fondation du KINIJIT à l’Université de Genève, au cours de laquelle elle a pris une part active aux débats; elle a ultérieurement participé à des manifestations organisées par le mouvement KINIJIT, souvent en compagnie de dirigeants importants de l’opposition.

2.4Après un entretien avec la requérante le 29 mars 2007, l’Office fédéral des migrations a rejeté sa deuxième demande d’asile le 22 juin 2007. Son recours contre cette décision a été rejeté le 23 octobre 2009 par le Tribunal administratif fédéral. À la suite de l’arrêt du Tribunal, la requérante a été priée de quitter la Suisse le 25 novembre 2009 au plus tard. La requérante affirme que, si elle ne part pas de son plein gré, elle sera renvoyée de force en Éthiopie.

2.5La requérante fait valoir que le Tribunal administratif fédéral a confirmé qu’elle était un membre fondateur du mouvement KINIJIT et qu’elle avait participé à diverses manifestations et autres activités politiques. Le Tribunal a cependant fait remarquer que, selon sa jurisprudence, des activités politiques menées en exil ne sauraient conduire à l’octroi d’un statut de réfugié que s’il est hautement probable qu’elles entraînent des persécutions politiques dans le pays d’origine en cas de retour. Tout en acceptant l’affirmation de la requérante selon laquelle les membres de l’opposition éthiopienne en exil sont étroitement surveillés par les autorités éthiopiennes, le Tribunal a conclu que rien n’indiquait que la requérante ait pu attirer l’attention de ces dernières en raison de ses activités politiques. En outre, il a constaté que la requérante n’occupait pas un poste important au sein de la section suisse du KINIJIT, qui fait partie du mouvement international KINIJIT, et n’était pas l’un des cinq membres de l’équipe dirigeante. Le Tribunal administratif fédéral a établi qu’elle était principalement chargée de diffuser des informations. Il a également relevé que l’identité de la requérante n’avait pas été établie puis qu’elle n’avait présenté aucun document, et qu’elle n’avait pas été en mesure de démontrer qu’elle courrait un risque réel de torture en cas de renvoi en Éthiopie.

2.6La requérante fait valoir que son discours lors de la réunion de fondation du KINIJIT a fait l’objet d’un enregistrement sur DVD, dans lequel apparaissent également de nombreux dirigeants importants de l’opposition. Elle ne doute pas que l’ambassade d’Éthiopie a pris connaissance du contenu de cet enregistrement vidéo. Elle affirme également que la décision du Tribunal administratif fédéral est incompatible avec sa jurisprudence antérieure, le Tribunal ayant décidé, dans des circonstances similaires, qu’un autre ressortissant éthiopien remplissait les critères d’obtention du statut de réfugié. La requérante ajoute qu’elle a été depuis le début l’un des membres les plus actifs du KINIJIT. Elle s’est exprimée en public à de nombreuses reprises et a participé dès 2005 à des manifestations devant l’ONU. Elle était présente lors de la remise d’une pétition, en octobre 2007, à l’Office des Nations Unies à Genève, et a été photographiée à cette occasion en compagnie d’Ato Mistre Haile Selassie, chef du KINIJIT en Suisse. D’autres photographies la montrent en dirigeante de manifestation, tenant un mégaphone et s’adressant à une foule réunie devant l’Office des Nations Unies à Genève. Une autre fois encore, elle a été photographiée en compagnie d’Obang Metho, Directeur de la mobilisation internationale pour l’Anuak Justice Council. La requérante fait valoir que son implication dans les activités du KINIJIT a été constante au fil du temps et qu’elle en est une des personnalités de premier plan. Elle ajoute que les autorités éthiopiennes, qui surveillent de près les activités des dissidents à l’étranger, ne peuvent manquer d’avoir remarqué l’importance de son engagement dans le mouvement KINIJIT en Suisse.

2.7Selon la requérante, le Tribunal administratif fédéral a affirmé que les autorités éthiopiennes devaient avoir remarqué que les activités politiques de leurs ressortissants à l’étranger s’intensifiaient après une décision négative à propos d’une demande d’asile. Elle déduit de cette observation que, d’une part, les autorités éthiopiennes connaissent l’état d’avancement et le résultat des procédures d’asile entamées par les ressortissants éthiopiens en Suisse. Cela suppose qu’elles surveillent chaque demandeur d’asile éthiopien, ce qui rend extrêmement improbable qu’un d’entre eux puisse passer inaperçu. D’autre part, la date de la création du KINIJIT en Suisse n’a rien à voir avec ses demandes d’asile; son engagement à l’égard des objectifs politiques du mouvement est authentique et elle a consacré une partie importante de sa vie privée à exprimer ses préoccupations. Par conséquent, selon la requérante, l’affirmation du Tribunal administratif fédéral selon laquelle les autorités éthiopiennes feraient une distinction entre «vrais» et «faux» opposants est totalement injustifiée. À cet égard, elle renvoie également à la loi antiterroriste adoptée le 7 juillet 2009 par la Chambre éthiopienne des représentants des peuples, dans laquelle figure une définition large des «actes terroristes». La requérante ajoute que, d’après cette loi, tout type de dissidence politique publique peut conduire à une condamnation à une longue peine de prison, puisque les autorités éthiopiennes ne font pas de différence entre critique politique et terrorisme.

2.8En ce qui concerne son identité, la requérante soutient qu’elle n’a jamais donné de faux nom aux autorités suisses responsables de l’asile. Elle a demandé l’asile sous son nom de naissance (musulman) de S. M. Au cours de l’entretien de demande d’asile, elle a mentionné une fois qu’elle avait aussi un nom chrétien, A. A., qu’elle avait adopté après son retour du Soudan en Éthiopie avec sa famille. La requérante ajoute que le fait de ne pas être en mesure de présenter des papiers d’identité ne devait pas jouer en sa défaveur, étant donné qu’elle n’avait vécu que quatre ans en Éthiopie.

2.9La requérante affirme que la torture policière est encore très répandue en Éthiopie et renvoie à un rapport de Human Rights Watch, qui établit que la torture est utilisée par la police et les militaires dans les centres de détention tant officiels que secrets dans toute l’Éthiopie.

Teneur de la plainte

3.La requérante affirme que son renvoi forcé en Éthiopie par la Suisse constituerait une violation de l’article 3 de la Convention, étant donné qu’elle risque d’être arrêtée, interrogée et soumise à la torture ou à d’autres traitements inhumains ou dégradants par les autorités éthiopiennes en raison de ses activités politiques en Suisse.

Observations de l’État partie sur le fond

4.1Le 25 mai 2010, l’État partie a présenté ses observations sur le fond. S’agissant des faits, il précise que, le 5 novembre 2002, la requérante a formé un recours auprès de la Commission de recours en matière d’asile, de la décision de l’Office fédéral des réfugiés concernant sa première demande d’asile. Dans sa décision incidente du 14 novembre 2002, la Commission a estimé que la requérante n’avait pas fourni dans son recours de raisons suffisantes; elle lui a donné un délai supplémentaire pour compléter son recours et lui a demandé de verser une avance de frais au plus tard le 29 novembre 2002. Le 9 décembre 2002, la Commission a décidé de ne pas examiner le recours de la requérante, car elle ne l’avait pas complété ni versé l’avance demandée.

4.2L’État partie relève que devant le Comité, la requérante soutient qu’en raison de ses activités politiques en Suisse, elle courrait un risque personnel, réel et sérieux d’être soumise à la torture en cas de renvoi dans son pays d’origine. Elle ne présente pas d’éléments nouveaux de nature à remettre en cause l’arrêt du Tribunal administratif fédéral du 23 octobre 2009, qui a été rendu après un examen approfondi de l’affaire, mais conteste plutôt l’appréciation des faits et moyens de preuve effectuée par le Tribunal. L’État partie se propose de prouver la validité de la décision du Tribunal, à la lumière de l’article 3 de la Convention ainsi que de la jurisprudence et des observations générales du Comité, et affirme que l’expulsion de la requérante vers l’Éthiopie ne constituerait pas une violation de la Convention par la Suisse.

4.3L’État partie explique que, selon l’article 3 de la Convention, un État partie ne doit pas expulser, refouler, ni extrader une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. Pour déterminer s’il y a de tels motifs, les autorités compétentes tiendront compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l’existence, dans l’État intéressé, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. L’existence de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme n’est pas en soi un motif suffisant pour conclure qu’un individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans son pays, et des motifs supplémentaires doivent par conséquent exister pour que le risque de torture puisse être qualifié, aux fins de l’article 3, de «prévisible, réel et personnel».

4.4En ce qui concerne la situation générale des droits de l’homme en Éthiopie, l’État partie fait valoir que les élections qui ont eu lieu dans ce pays en mai et août 2005 ont renforcé la représentation des partis d’opposition au Parlement. Il admet que, même si les droits de l’homme sont expressément reconnus dans la Constitution éthiopienne, les cas d’arrestation et de détention arbitraires sont nombreux, en particulier parmi les membres de partis d’opposition. De plus, il n’existe pas de système judiciaire indépendant. Cependant, le fait d’être membre ou sympathisant d’un parti d’opposition n’expose pas en soi au risque d’être persécuté. La situation est différente pour les personnes qui occupent des postes de premier plan dans un parti d’opposition. Compte tenu de ce qui précède, les autorités suisses compétentes en matière d’asile ont adopté une méthode modulée pour évaluer le risque de persécution. Elles considèrent que les personnes soupçonnées par les autorités éthiopiennes d’appartenir au Front de libération oromo ou au Front national de libération de l’Ogaden sont exposées au risque d’être persécutées. Pour les membres d’autres groupes d’opposition, comme la Coalition pour l’unité et la démocratie (CUD), le risque de persécution est mesuré au cas par cas, compte tenu des critères évoqués plus haut. Pour ce qui est de la surveillance des activités politiques des Éthiopiens en exil, l’État partie estime que, selon les informations dont il dispose, les missions diplomatiques ou consulaires éthiopiennes ne disposent ni du personnel ni des structures nécessaires pour surveiller de manière systématique les activités politiques de membres de l’opposition en Suisse. Cependant, les membres actifs ou importants de l’opposition, ainsi que les militants d’organisations prônant l’usage de la violence, courent le risque d’être repérés et fichés, et, par conséquent, de faire l’objet de persécutions en cas de renvoi dans leur pays.

4.5L’État partie note que la requérante ne dit pas avoir été torturée ni arrêtée ou placée en détention par les autorités éthiopiennes et qu’il n’est par conséquent pas étonnant que sa deuxième demande d’asile du 22 décembre 2006 ait été fondée exclusivement sur ses activités politiques en Suisse. Il ajoute, en se référant à l’Observation générale no 1 du Comité (par. 8 e)), qu’un autre élément à prendre en compte pour évaluer le risque couru par la requérante d’être victime de torture si elle était renvoyée dans son pays d’origine est le fait de savoir si elle a eu des activités politiques en Éthiopie. L’État partie note à cet égard que la requérante ne prétend pas avoir mené des activités politiques dans son pays d’origine.

4.6En ce qui concerne les activités politiques de la requérante en Suisse, l’État partie note qu’elle en a fait état auprès des autorités responsables en matière d’asile environ trois ans après le dépôt de sa première demande d’asile et deux ans après la fin de la procédure concernant cette première demande. En outre, depuis le début de la première procédure d’asile, la requérante s’est présentée sous plusieurs identités et nationalités, et sa véritable identité n’a pas été établie à ce jour.

4.7L’État partie note que la requérante affirme être l’un des membres les plus actifs du KINIJIT depuis la création de cette organisation. Elle fait état, notamment, de son discours lors de la réunion de fondation du KINIJIT, de sa participation à plusieurs manifestations et de sa présence lors de la remise d’une pétition à l’Office des Nations Unies à Genève. L’État partie soutient que de nombreuses manifestations politiques auxquelles assistent des compatriotes de la requérante ont lieu en Suisse, que des photographies ou enregistrements vidéo montrant parfois des centaines de personnes sont publiés par les médias concernés et qu’il est peu probable que les autorités éthiopiennes soient en mesure d’identifier chaque personne, ou qu’elles aient même connaissance de l’affiliation de la requérante à l’organisation susmentionnée.

4.8L’État partie affirme que les allégations de la requérante ont fait l’objet d’une analyse approfondie par le Tribunal administratif fédéral et que ce dernier a noté, en particulier, qu’elle ne prétendait pas être un des cinq membres du comité de direction du KINIJIT en Suisse. Au lieu de quoi, selon les propres termes de la requérante, son rôle était de diffuser des informations concernant les manifestations et réunions du KINIJIT mais elle n’était pas, par exemple, impliquée dans leur organisation. En outre, elle avait participé à plusieurs manifestations, prononcé une déclaration lors d’une réunion du KINIJIT le 29 avril 2006 et apparaissait sur des photographies montrant un groupe de personnes lors du dépôt d’une pétition à l’Office des Nations Unies à Genève le 22 mai 2008.

4.9À cet égard, l’État partie souligne que les autorités éthiopiennes concentrent leur attention sur les personnes dont les activités sortent de l’ordinaire ou dont la fonction ou l’activité particulière pourrait être de nature à constituer un danger pour le régime éthiopien. Or, la requérante ne présentait pas un tel profil politique à son arrivée en Suisse, et l’État partie estime raisonnable d’exclure l’hypothèse qu’elle ait acquis un tel profil par la suite. L’État partie persiste à dire que les documents produits par la requérante ne permettent pas de conclure à l’existence d’une activité politique en Suisse susceptible d’attirer l’attention des autorités éthiopiennes. Le fait qu’elle soit identifiée sur des photos ou des vidéos ne suffit pas à établir un risque de persécution en cas de renvoi. Pour des raisons pratiques évidentes, il est difficile aux autorités éthiopiennes d’identifier les participants à une grande manifestation s’ils ne sont pas déjà connus d’elles.

4.10Selon l’État partie, rien ne tend à montrer que les autorités éthiopiennes auraient ouvert une procédure pénale contre la requérante ou pris d’autres mesures à son encontre.

4.11En ce qui concerne l’allégation de la requérante selon laquelle elle serait victime de la jurisprudence contradictoire du Tribunal administratif fédéral, l’État partie explique qu’il existe des différences considérables entre le cas de la requérante et celui mentionné dans sa communication au Comité, qui concernait une personne ayant occupé des postes importants dans l’armée éthiopienne, qui avait eu connaissance de données sensibles et avait été en contact étroit avec l’opposition avant sa fuite, et qui entrait par conséquent dans la catégorie des personnes exposées à un risque élevé d’être surveillées par les autorités éthiopiennes à l’étranger. Dans le cas de la requérante, cependant, l’Office fédéral des migrations et le Tribunal administratif fédéral n’ont pas jugé convaincante l’affirmation de la requérante selon laquelle son rôle au sein de la diaspora éthiopienne en Suisse était de nature à attirer l’attention des autorités éthiopiennes. En d’autres termes, la requérante n’a pas établi qu’en cas de renvoi en Éthiopie, elle risquerait d’être soumise à des mauvais traitements en raison de ses activités politiques en Suisse.

4.12L’État partie fait valoir que, dans ces conditions, rien n’indique qu’il existe des motifs sérieux de craindre qu’un renvoi de la requérante en Éthiopie l’exposerait à un risque prévisible, réel et personnel d’être soumise à la torture. Il invite le Comité à conclure qu’un tel renvoi ne constituerait pas une violation des engagements internationaux de la Suisse au titre de l’article 3 de la Convention.

Commentaires de la requérante sur les observations de l’État partie

5.1Le 21 avril 2011, la requérante a commenté les observations de l’État partie. Elle fait valoir que des rapports récents laissent penser que les autorités éthiopiennes surveillent étroitement les mouvements d’opposition et arrêtent souvent non seulement leurs dirigeants mais aussi leurs partisans et sympathisants. Elle ajoute que seul un renforcement de l’intérêt des autorités éthiopiennes pour l ’ ensemble du mouvement d’opposition − et pas seulement ses dirigeants − peut expliquer l’ampleur du contrôle et de la surveillance actuellement mis en œuvre par le régime de Meles Zenawi. La requérante réitère son affirmation initiale selon laquelle elle n’est pas une simple sympathisante du KINIJIT mais une responsable cantonale, et qu’elle apparaît souvent en tant qu’oratrice à l’occasion de manifestations politiques. Elle rappelle en outre qu’elle entretient des contacts personnels avec des personnalités de premier plan de l’opposition éthiopienne dans le monde et qu’elle a été photographiée avec eux à de nombreuses reprises. Selon elle, il y a donc tout lieu de penser qu’elle a bel et bien été identifiée par les autorités éthiopiennes.

5.2La requérante soutient en outre que des cas de torture ou d’autres traitements prohibés sont fréquemment signalés en Éthiopie. Ainsi, même une simple arrestation non suivie d’une condamnation peut entraîner des mauvais traitements, en particulier en ce qui concerne les femmes. La requérante fait valoir qu’il existe un risque réel et imminent qu’elle soit victime de torture ou d’autres traitements inhumains et dégradants en détention si elle était renvoyée de force en Éthiopie et réitère sa demande de mesures provisoires de protection.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité rappelle que conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il ne peut examiner aucune communication émanant d’un particulier sans s’être assuré que celui‑ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note que l’État partie a reconnu, en l’espèce, que la requérante avait épuisé tous les recours internes disponibles. Considérant qu’il n’existe aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la requête recevable.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2Le Comité doit déterminer si, en renvoyant la requérante en Éthiopie, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture. Le Comité doit déterminer s’il existe des motifs sérieux de croire que la requérante risque personnellement d’être soumise à la torture en cas de renvoi en Éthiopie. Pour apprécier ce risque, le Comité doit, en application du paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris l’existence d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Le Comité rappelle cependant que l’objectif est de déterminer si l’individu concerné courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé.

7.3Le Comité rappelle son Observation générale no 1, selon laquelle le risque de torture doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est «hautement probable» (par. 6), mais le Comité note que le fardeau de la preuve incombe généralement au requérant, qui doit présenter des arguments défendables tendant à montrer que le risque qu’il court d’être soumis à la torture est «prévisible, réel et personnel». Le Comité rappelle en outre que, conformément à son Observation générale no 1, il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé, mais qu’en même temps il n’est pas lié par de telles constatations et est au contraire habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

7.4Le Comité note que l’État partie a attiré son attention sur le fait que la requérante s’est présentée sous plusieurs identités et nationalités depuis le début de la première procédure d’asile et que sa véritable identité n’a pas été établie à ce jour. Le Comité prend également note des renseignements communiqués par la requérante sur ce point. Il estime toutefois que les incohérences dans le récit de la requérante ne l’empêchent pas d’évaluer le risque de torture qu’elle courrait en cas de renvoi en Éthiopie.

7.5Le Comité a pris note des informations communiquées par la requérante au sujet de sa participation aux activités du KINIJIT en Suisse. Il prend également note de ses déclarations indiquant qu’elle est l’un des membres les plus actifs du KINIJIT, et cela depuis la création de cette organisation, et qu’elle a entre autres prononcé un discours lors de la réunion de fondation, participé à plusieurs manifestations et qu’elle était présente lors de la remise d’une pétition à l’Office des Nations Unies à Genève. Le Comité relève aussi que la requérante n’a pas indiqué qu’elle avait été arrêtée ou maltraitée par les autorités éthiopiennes, ni que des charges avaient été retenues contre elle en vertu de la loi antiterroriste ou de toute autre loi interne. Par ailleurs, il prend note des allégations de la requérante selon lesquelles les autorités éthiopiennes utiliseraient des moyens technologiques sophistiqués pour surveiller les dissidents éthiopiens à l’étranger, mais constate qu’elle n’a pas donné de précisions à ce sujet ni fourni de preuves pour étayer ses propos. Le Comité note également que l’État partie a contesté ces allégations, tout comme l’argument de la requérante visant des incohérences dans la jurisprudence du Tribunal administratif fédéral quant à l’évaluation du risque encouru par les ressortissants éthiopiens en cas de renvoi dans leur pays d’origine (voir supra,par. 2.6 et 4.11). De l’avis du Comité, la requérante n’a pas démontré qu’elle avait une activité politique suffisamment importante pour attirer l’attention des autorités éthiopiennes. Elle n’a pas non plus apporté la preuve concrète que les autorités de son pays d’origine la recherchaient ou qu’elle courrait personnellement un risque de torture si elle était renvoyée en Éthiopie.

7.6En conséquence, le Comité conclut que les informations communiquées par la requérante, compte tenu notamment de l’inexistence de toute activité politique de sa part avant son départ d’Éthiopie et du faible niveau de son engagement politique en Suisse, ne suffisent pas à étayer ses allégations selon lesquelles elle serait personnellement exposée à un risque réel de torture en cas de renvoi en Éthiopie. Le Comité est préoccupé par les nombreux cas de violation des droits de l’homme, notamment de torture, signalés en Éthiopie, mais il rappelle qu’aux fins de l’article 3 de la Convention, la personne concernée doit courir un risque prévisible, réel et personnel d’être torturée dans le pays où elle est renvoyée. Compte tenu des considérations qui précèdent, le Comité estime que l’existence de ce risque n’a pas été établie.

8.Compte tenu de ce qui précède, le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi de la requérante en Éthiopie par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]