Nations Unies

CAT/C/49/D/385/2009

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

4 février 2013

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Communication no 385/2009

Décision adoptée par le Comité à sa quarante-neuvième session(29 octobre-23 novembre 2012)

Communication présentée par:

M. A. F. et consorts (non représentés par un conseil)

Au nom de:

M. A. F. et consorts

État partie:

Suède

Date de la requête:

13 mai 2009 (lettre initiale)

Date de la présente décision:

23 novembre 2012

Objet:

Risque d’expulsion des requérants vers la Libye

Questions de procédure:

Irrecevabilité ratione materiae

Questions de fond:

Expulsion d’une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture

Articles de la Convention:

3 et 22

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants(quarante-neuvième session)

concernant la

Communication no 385/2009

Présentée par:

M. A. F. et consorts (non représentés par un conseil)

Au nom de:

M. A. F. et consorts

État partie:

Suède

Date de la requête:

13 mai 2009 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 23 novembre 2012,

Ayant achevé l’examen de la requête no 385/2009 présentée par M. A. F. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1Le principal requérant, M. A. F., né en 1971, est de nationalité libyenne. Les autres requérants sont son épouse, Z. A., ressortissante libyenne née en 1970, et leurs cinq enfants. Les requérants affirment que leur expulsion vers la Libye par l’État partie constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. Ils ne sont pas représentés par un conseil.

1.2Le 26 juin 2009, en application du paragraphe 1 de l’article 108 de son règlement intérieur, le Comité a demandé à l’État partie de ne pas expulser les requérants vers la Libye tant que leur requête serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par les requérants

2.1Le frère de M. A. F., qui était un militant politique opposé au régime de Kadhafi, a été arrêté et condamné à la prison en 2001. Après cette arrestation, les autorités libyennes ont confisqué la maison de M. A. F. et ordonné à son employeur de le licencier, l’accusant lui et sa famille de soutenir l’opposition au gouvernement de Kadhafi. M. A. F. a été brutalisé et torturé par les forces de sécurité libyennes lors d’interrogatoires qui ont eu lieu en janvier 2001 et en novembre 2002; en cette dernière occasion, les policiers lui ont cassé le nez. Également en novembre 2002, des policiers ont bousculé Z. A. et l’ont fait tomber, ce qui lui a valu de faire une fausse couche. En 2003, un autre frère de M. A. F. a été arrêté et emprisonné par les autorités libyennes. À la date de la présente requête, les deux frères se trouvaient toujours en prison. Le 4 mai 2006, M. A. F. a été arrêté et emprisonné pendant deux mois, durant lesquels il a été torturé. À la suite de cette détention, Z. A. a fait une dépression nerveuse, et les enfants du couple ont cessé de fréquenter l’école, la famille changeant fréquemment de lieu de résidence en raison des persécutions qu’elle subissait de la part des autorités libyennes. En mars 2007, celles-ci ont émis contre M. A. F. un mandat d’arrestation exécutoire avant le 1er septembre 2007. Les requérants ont décidé de demander l’asile dans un pays européen. Ils ont payé 15 000 dollars des États-Unis et 30 000 dinars libyens à un haut fonctionnaire libyen travaillant dans le service des passeports qui leur a fourni de faux passeports portant des noms différents. Ce fonctionnaire a accompagné la famille à Stockholm, où il a repris les faux passeports avant de retourner à Tripoli.

2.2Dès leur arrivée en Suède, le 28 mai 2007, les requérants ont demandé l’asile. Leur demande a été rejetée le 10 décembre 2007 par l’Office des migrations. Celui-ci a noté que ni M. A. F. ni Z. A. n’avaient été actifs politiquement, ni reconnus coupables d’aucun crime, et qu’ils n’étaient pas en mesure de décrire les activités politiques du frère de M. A. F. Il a également mis en doute l’exactitude de l’itinéraire indiqué par la famille, notamment le fait qu’elle affirmait avoir franchi avec un passeur les contrôles stricts à l’aéroport de Tripoli. Dans l’ensemble, l’Office a conclu que la manière dont les membres de la famille avaient quitté le pays montrait qu’ils ne présentaient aucun intérêt pour les autorités libyennes, et que leur expulsion vers la Libye ne les exposerait pas à un risque réel d’être victimes de persécution, de châtiments corporels, de torture ou d’un quelconque traitement inhumain ou dégradant de la part des autorités.

2.3Les requérants ont alors engagé un recours devant le Tribunal des migrations, qui a été rejeté le 16 mai 2008. Le Tribunal a estimé que les nouveaux éléments apportés, qui n’avaient pas été évoqués devant l’Office des migrations, diminuaient la crédibilité des requérants et, dans certains cas, contredisaient les renseignements fournis oralement. Ceséléments étaient notamment le fait que M. A. F. avait été passé à tabac par la police en novembre 2002, qu’il avait été obligé de se présenter régulièrement aux autorités libyennes après sa libération de prison, et que Z. A. avait fait une fausse couche. Le Tribunal a mis en doute l’authenticité des nouveaux documents présentés pour établir l’identité de la famille, qui étaient des copies, et a estimé que les renseignements fournis par les requérants sur la situation en Libye étaient d’ordre général et ne démontraient pas que la famille courait un risque particulier.

2.4Le 30 juin 2008, l’autorisation de faire appel auprès de la Cour d’appel des migrations a été refusée aux requérants. Aucun autre recours n’est possible.

Teneur de la plainte

3.1Les requérants affirmaient que leur expulsion forcée vers la Libye par la Suède constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. Ils invoquaient l’existence d’un ensemble de violations graves, flagrantes et massives des droits de l’homme en Libye sous le gouvernement de Kadhafi, y compris la pratique systématique de la torture par les forces de sécurité. Ils faisaient valoir qu’ils étaient personnellement en danger, M. A. F. ayant déjà été torturé en raison du militantisme politique de membres de sa famille.

3.2Depuis le renversement de Kadhafi et la mise en place du Conseil national de transition, les requérants affirment que leur expulsion forcée constituerait toujours une violation de l’article 3 de la Convention. Ils invoquent l’instabilité dans le quartier d’Abou Slim, à Tripoli, et le fait que les cousins de Z. A. ont combattu au côté de Kadhafi durant la révolte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 26 février 2010, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il reconnaît que tous les recours internes disponibles ont été épuisés. Il considère que le grief des requérants, qui affirment qu’ils risquent de subir un traitement contraire à la Convention, n’est pas étayé par le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité et est donc irrecevable au regard du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention. L’État partie renvoie à ce propos à la jurisprudence du Comité et à ses arguments sur le fond énoncés ci-dessous.

4.2L’État partie fait observer que les allégations formulées par les requérants dans leur requête devant le Comité ont été soigneusement examinées par l’Office des migrations et le Tribunal des migrations, qui ont appliqué les mêmes types de critères que ceux utilisés par le Comité dans sa jurisprudence. L’État partie considère que la crédibilité qui peut être accordée aux déclarations d’un demandeur d’asile est souvent d’une grande importance pour l’évaluation de sa demande, et que les autorités suédoises sont très bien placées pour apprécier la crédibilité d’un risque allégué de traitement contraire à l’article 3 de la Convention, d’autant plus qu’elles ont un contact personnel avec la personne concernée. Avant de statuer sur cette affaire, l’Office a mené deux entretiens individuels avec le principal requérant ainsi qu’avec son épouse, et le Tribunal a tenu une audience, ce qui a renforcé leur capacité à évaluer correctement les arguments des requérants.

4.3S’agissant des documents présentés par les requérants à l’appui de leur demande, l’État partie fait observer que les documents d’identité avaient été émis sur la base de photocopies d’un «livret de famille», et que l’un est daté de 2004 alors qu’il a été émis en 2007. L’État partie estime donc que ces documents ne sont pas concluants pour déterminer l’identité des requérants et considère en outre que l’incapacité de ceux-ci à expliquer de façon satisfaisante pourquoi ils n’ont pas fourni de documents d’identité adéquats affaiblit la crédibilité générale de leurs allégations. Dans le cadre de la procédure engagée en Suède, à l’appui de l’affirmation selon laquelle M. A. F. avait eu le nez cassé après avoir été brutalisé par la police libyenne, les requérants ont présenté un dossier et un certificat médicaux, tous deux établis en janvier 2008 par un médecin suédois. Ces documents n’indiquent pas de lien entre l’incident présumé et la blessure en question et donc, de l’avis de l’État partie, n’étayent pas l’allégation des requérants. À l’appui de l’affirmation selon laquelle Z. A. a fait une fausse couche après avoir été bousculée par la police, les requérants ont présenté une fiche de sortie d’un hôpital libyen datée du 3 décembre 2002. L’État partie croit comprendre que ce document n’établit pas de lien entre l’incident présumé et la fausse couche. Il estime par conséquent que les preuves documentaires soumises par les requérants ne sont pas de nature à démontrer qu’ils risqueraient d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention s’ils étaient renvoyés en Libye.

4.4Les requérants n’ont pas présenté de documents étayant l’affirmation selon laquelle leur famille a été persécutée et harcelée par les autorités libyennes pendant de nombreuses années. Étant donné que, selon eux, cette persécution a été prolongée et valait à M. A. F. d’être régulièrement interrogé, arrêté et soumis à un contrôle, l’État partie considère que l’on pouvait s’attendre à ce qu’ils présentent des preuves documentaires à l’appui de leur récit des événements.

4.5Selon l’État partie, les déclarations orales et écrites des requérants sont entachées d’imprécisions et d’incohérences. En particulier, s’agissant de la nature des activités du frère de M. A. F., les requérants se sont contentés d’affirmer, en guise d’explication qui n’a d’ailleurs été avancée qu’à l’audience devant le Tribunal des migrations, qu’il avait été contacté à plusieurs reprises par des officiers de l’armée qui lui avaient fourni des documents. L’État partie estime hautement improbable que les requérants n’aient rien su des activités politiques du frère de M. A. F. si celles-ci avaient réellement entraîné les conséquences graves qu’ils décrivent.

4.6L’État partie fait valoir que la déclaration des requérants concernant la façon dont ils ont réussi à quitter la Libye en dépit des persécutions qu’ils prétendent avoir subies de la part des autorités est vague et incohérente. Les requérants affirment avoir reçu, avant de quitter la Libye, l’aide d’un homme qui les a avertis que M. A. F. devait être arrêté avant le 1er septembre 2007. Ils n’ont fourni au départ aucun renseignement sur cet homme, et ce n’est qu’à l’audience devant le Tribunal des migrations qu’ils ont affirmé qu’il s’agissait d’un ami du père de M. A. F., qui est un colonel à la retraite, sans fournir d’explication quant aux raisons pour lesquelles l’homme possédait des informations sur l’existence présumée d’un mandat d’arrêt. Les requérants ont donné des informations divergentes concernant un deuxième homme qui les aurait aidés à s’échapper, affirmant, dans une lettre datée du 19 septembre 2007 transmise à l’Office des migrations par leur conseil, qu’il était une connaissance des parents de Z. A. et, dans l’entretien mené par l’Office le 10 décembre 2007, qu’il était un parent de Z. A. Dans la lettre envoyée à l’Office par le conseil des requérants, il est affirmé que la police, lorsqu’elle avait libéré M. A. F. en 2006, lui avait dit de disparaître du pays. L’État partie en déduit que les requérants auraient pu être en mesure d’obtenir des passeports authentiques. Il estime que les requérants ont fourni des informations vagues et incohérentes sur des points importants, sans fournir d’explication satisfaisante, ce qui affaiblit la crédibilité de leurs déclarations.

4.7L’État partie note que les requérants, au cours de la procédure devant les autorités suédoises, ont ajouté des allégations importantes pour justifier leur demande d’asile. Cen’est qu’à l’audience du Tribunal des migrations qu’ils ont affirmé que M. A. F. avait été régulièrement soumis à des interrogatoires entre 2003 et 2006, qu’il avait fait l’objet d’un contrôle et été forcé de signer des documents de façon régulière pendant environ quatre mois après sa libération de prison en 2006, et qu’un mandat d’arrêt avait été émis contre lui en mars 2007 suite à son refus de se conformer aux exigences des autorités à partir de la fin de 2006. L’État partie considère qu’il est improbable que les autorités libyennes aient mis si longtemps à réagir à son refus d’obtempérer. Par ailleurs, dans la lettre datée du 19 septembre 2007 envoyée à l’Office des migrations par le conseil des requérants, il est dit que la police libyenne n’avait pas porté atteinte à l’intégrité physique de l’épouse de M. A. F. ou de leurs enfants, mais dans le recours engagé devant le Tribunal des migrations, en date du 9 janvier 2008, il est affirmé que, le 23 novembre 2002, Z. A. a été bousculée par des policiers au point de faire une fausse couche. Dans ce recours, les requérants ont également déclaré, outre ce qu’ils avaient dit à l’Office, qu’un jour des policiers avaient frappé M. A. F. et lui avaient cassé le nez. L’État partie considère que, à défaut d’explication satisfaisante quant à la raison pour laquelle ces informations avaient été omises initialement, cet ajout d’allégations importantes faisant suite à la décision de l’Office de rejeter la requête des requérants affaiblit la crédibilité des déclarations des requérants.

4.8L’État partie note en outre que les allégations soumises au Comité par les requérants ne sont pas entièrement cohérentes avec leurs déclarations aux autorités suédoises. Devant le Comité, les requérants font valoir que M. A. F. a été interrogé par les services de sécurité libyens entre janvier 2001 et novembre 2002, alors qu’ils ont déclaré aux autorités suédoises que ces interrogatoires s’étaient étalés sur environ trois ans, jusqu’en 2003.

4.9Les requérants prétendent avoir quitté la Libye en mai 2007. L’État partie fait valoir que même si, contrairement à sa propre position, le Comité devait conclure que les requérants ont étayé les raisons qui justifient selon eux leur départ de leur pays d’origine, il n’y a guère lieu de penser qu’ils présenteraient un intérêt quelconque pour les autorités libyennes s’ils y étaient renvoyés aujourd’hui.

4.10L’État partie est d’avis que les éléments de preuve présentés par les requérants et les circonstances que ceux-ci invoquent ne suffisent pas à démontrer qu’ils courent personnellement un risque prévisible et réel d’être victimes de torture. Étant donné que le grief soulevé par les requérants au titre de l’article 3 n’est pas étayé par un minimum d’éléments de preuve, la communication devrait être déclarée irrecevable pour défaut de fondement manifeste.

Commentaires des requérants sur les observations de l’État partie

5.1Avant de présenter ses observations, le principal requérant a fourni, les 22 juillet et 2 novembre 2010, des copies de rapports de visites médicales et des documents complémentaires.

5.2Le 10 janvier 2011, M. A. F. a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il a joint des copies de certains des documents justificatifs soumis à l’Office des migrations et au Tribunal des migrations. En ce qui concerne les prétendues incohérences et imprécisions dans les éléments de preuve fournis aux autorités suédoises, M. A. F. déclare qu’il a quitté la Libye dans des circonstances très éprouvantes et qu’il a eu très peur, et qu’il n’est pas rare qu’une personne placée dans ce genre de situation ne se souvienne pas de tout en détail. Il affirme en outre que les personnes engagées dans des activités politiques avec l’opposition libyenne devaient être très prudentes, et que dans ces circonstances, il était tout naturel que son frère n’ait rien dit de ses activités, même à ses proches parents, d’autant plus qu’il était en contact et collaborait avec des officiers de l’armée.

5.3En outre, M. A. F. explique que sa famille a tenté à deux reprises d’obtenir une autorisation de résidence en Norvège, et que lui-même est allé jusqu’à Genève, ce qui montre que leur crainte de subir des violences de la part des autorités libyennes est réelle et fondée.

Observations supplémentaires des parties

6.1Le 25 mars 2011, l’État partie a informé le Comité que, en raison de l’insécurité en Libye, les autorités suédoises n’exécutaient pas les décisions d’expulsion vers ce pays, et a demandé que l’examen de la communication soit reporté jusqu’à nouvel ordre.

6.2Le 20 avril 2012, M. A. F. a apporté un complément d’information. Il affirme que sa demande initiale visait à obtenir une protection à l’égard de l’ancien régime de Kadhafi, mais que les requérants courraient toujours un risque de la part du gouvernement actuel. Il note que, en mars 2012, un affrontement armé est survenu dans le quartier d’Abou Slim, à Tripoli, et qu’un groupe armé a enlevé un de ses frères dans la maison de sa sœur. Les ravisseurs ont informé la famille de M. A. F. qu’ils appartenaient au conseil militaire, mais ledit conseil, lorsqu’il a été contacté par la famille, a affirmé tout ignorer de l’événement. M. A. F. affirme que, s’ils étaient expulsés vers la Libye, sa famille et lui courraient le risque d’être enlevés. Il ajoute que sa maison a été détruite pendant la guerre civile, que les résidents d’Abou Slim, où il a vécu, sont particulièrement exposés au risque d’être tués ou kidnappés, et fait état d’informations sur la situation sanitaire en Libye, ainsi que sur le risque de viol. Il indique en outre que les cousins de son épouse ont combattu au côté de Kadhafi lors de la révolte, ce qui fait d’elle une cible d’éventuels actes de vengeance ou de torture.

6.3Le 10 mai 2012, l’État partie a apporté un complément d’information. Il note que, le 25 février 2010, M. A. F. a présenté une nouvelle demande à l’Office des migrations aux fins d’un réexamen de son cas. Il y affirme que les autorités libyennes lui ont fait subir un viol pendant son emprisonnement en 2006, et présente à l’appui de ses allégations une copie d’un dossier médical en date du 23 février 2010. Le 9 juillet 2010, l’Office a décidé de ne pas accorder de réexamen au requérant, estimant que le Tribunal des migrations et lui-même avaient tous deux trouvé des raisons de douter de la crédibilité de ses allégations antérieures et que cette nouvelle allégation ne faisait que s’ajouter aux précédentes. M. A. F. n’a pas contesté cette décision, mais il a ensuite présenté à l’Office une nouvelle demande de réexamen de son cas, qui a été rejetée le 26 octobre 2010. L’Office a estimé que, compte tenu des doutes entourant l’identité de M. A. F., on ne pouvait conclure que celui-ci fût réellement le destinataire de la lettre qu’il avait soumise, dans laquelle le Comité populaire général pour la sécurité générale le convoquait le 8 avril 2008 au Ministère de la sécurité intérieure. D’ailleurs, ce document étant une simple lettre dont seule une copie avait été présentée, il n’avait qu’une valeur probante limitée. Le requérant a contesté la décision de l’Office devant le Tribunal des migrations. Il a présenté une lettre qu’il affirmait être la convocation originale du Comité populaire général pour la sécurité générale, mais cette lettre différait dans sa forme et son contenu de celle présentée à l’Office. Le 17 janvier 2011, le Tribunal a rejeté le recours, estimant que ni l’Office ni lui‑même n’avaient conclu que le requérant avait prouvé son identité et que le document en question, compte tenu de sa nature et de l’absence de détails concernant la façon dont le requérant se l’était procuré, était dépourvu de véritable valeur probante. Le 24 février 2011, la Cour d’appel des migrations a décidé de ne pas accorder l’autorisation d’interjeter appel.

6.4Le 16 septembre 2011, les requérants ont été déclarés en fuite par l’Office des migrations.

6.5L’État partie fait observer que des «points de vue juridiques» concernant la Libye émis les 21 février, 17 juin et 25 octobre 2011 par le Directeur des affaires juridiques de l’Office des migrations. Celui du 25 octobre 2011 constate qu’il n’existe pas en Libye de système opérationnel permettant de prendre des mesures raisonnables et nécessaires en vue d’empêcher que les personnes soient persécutées ou subissent de graves préjudices. Toutefois, compte tenu de la nette amélioration des conditions de sécurité, il peut être possible, approprié et raisonnable qu’une personne cherche refuge ailleurs dans le pays, en fonction de sa situation individuelle. Le point de vue répertorie les groupes particulièrement vulnérables, notamment ceux qui risquent d’être accusés de loyauté à l’égard de l’ancien régime du colonel Kadhafi et les personnes déplacées appartenant à certaines minorités. Le point de vue prend note des informations faisant état de tensions à Tripoli, en particulier dans certaines parties du quartier d’Abou Slim et des alentours, traditionnellement fidèles à Kadhafi. L’État partie considère qu’il est peu probable que les risques de torture et de représailles allégués par les requérants persistent encore. Aucun renseignement n’indique que les requérants appartiennent à un groupe particulièrement vulnérable, et le niveau et l’intensité de la violence en Libye ne sont pas tels que les conditions générales de sécurité soient en soi suffisantes pour établir que l’expulsion des requérants constituerait une violation des obligations de l’État partie au titre de l’article 3 de la Convention.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si celle-ci est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.2Le Comité note également que l’État partie, dans sa lettre datée du 26 février 2010, a confirmé que tous les recours internes avaient été épuisés, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22.

7.3L’État partie fait valoir que la plainte est «manifestement infondée» et qu’il n’y a pas lieu de l’examiner au fond. Le Comité est d’avis que les arguments qui lui sont présentés soulèvent des questions appelant un examen sur le fond, et non au regard de la recevabilité uniquement.

7.4En conséquence, le Comité déclare la communication recevable et procède à son examen au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

8.2Le Comité doit déterminer si, en expulsant le requérant vers la Libye, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui incombe en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

8.3Concernant les griefs soulevés par les requérants au titre de l’article 3, le Comité doit tenir compte de tous les éléments, y compris l’existence dans l’État de renvoi d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Il s’agit cependant de déterminer si le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture en Libye. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’il risquerait d’être soumis à la torture en cas d’expulsion vers ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires de penser que l’intéressé court personnellement un risque.

8.4Le Comité rappelle son Observation générale no 1 (1997) relative à l’application de l’article 3, dans laquelle il explique qu’il n’est pas nécessaire de montrer que le risque encouru est hautement probable, mais que ce risque doit être encouru personnellement et actuellement. À cet égard, le Comité a établi dans des décisions antérieures que le risque de torture devait être «prévisible, réel et personnel». En ce qui concerne la charge de la preuve, le Comité rappelle qu’il incombe généralement au requérant de présenter des arguments défendables et que le risque de torture doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons.

8.5En outre, le Comité rappelle que, conformément à son Observation générale no 1, il accorde un poids considérable aux constatations factuelles de l’État partie, mais qu’il n’est pas lié par de telles constatations et est au contraire habilité à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

8.6En évaluant le risque de torture dans le cas d’espèce, le Comité note que les requérants ont soumis des documents à l’appui de leur allégation initiale selon laquelle ils risquaient la torture en cas de renvoi en Libye sous le régime de Kadhafi. Toutefois, ils n’ont fourni aucune preuve à l’appui de leur affirmation selon laquelle ils risqueraient actuellement d’être soumis à la torture s’ils étaient renvoyés en Libye, après la révolte et le changement de régime. Dans sa lettre datée du 20 avril 2012, M. A. F. s’est référé à l’instabilité générale qui prévaut dans certains quartiers de Tripoli et à la situation sanitaire du pays. Il a en outre déclaré que sa famille et lui risquaient d’être enlevés ou torturés en cas de renvoi, en particulier en raison du fait que les cousins de son épouse ont combattu au côté de Kadhafi pendant la guerre civile, mais n’a fourni aucune preuve documentaire à l’appui de ces allégations.

8.7Le Comité est conscient de la situation des droits de l’homme en Libye, mais il estime que, compte tenu notamment du changement dans l’exercice de l’autorité politique et des circonstances actuelles, les requérants n’ont pas étayé leur allégation selon laquelle ils courraient personnellement le risque d’être soumis à la torture en cas de renvoi en Libye.

8.8Se fondant sur l’ensemble des informations dont il dispose, le Comité estime que rien ne permet de conclure que les requérants courraient personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture s’ils étaient renvoyés en Libye. Il conclut par conséquent que leur expulsion vers ce pays ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

9.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi des requérants en Libye par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]