Comité contre la torture
Communication no 432/2010
Décision adoptée par le Comité à sa quarante-neuvième session (29 octobre-23 novembre 2012)
Communication p résentée par: |
H. K. (représentée par un conseil, T. H.) |
Au nom de: |
H. K. |
État partie: |
Suisse |
Date de la requête: |
1er septembre 2010 (date de la lettre initiale) |
Date de la décision: |
23 novembre 2012 |
Objet: |
Renvoi de la requérante en Éthiopie |
Questions de procédure: |
Néant |
Questions de fond: |
Risque de torture en cas de renvoi dans le pays d’origine |
Article de la Convention: |
3 |
Annexe
Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (quarante‑neuvième session)
concernant la
Communication no 432/2010
Présentée par: |
H. K. (représentée par un conseil, T. H.) |
Au nom de: |
H. K. |
État partie: |
Suisse |
Date de la requête: |
1er septembre 2010 (date de la lettre initiale) |
Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Réuni le 23 novembre 2012,
Ayant achevé l’examen de la requête no 432/2010 présentée par H. K. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par la requérante, son conseil et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture
1.1La requérante est H. K., de nationalité éthiopienne, née le 28 juillet 1973. Elle a demandé l’asile, qui lui a été refusé. Lorsqu’elle a soumis cette demande, elle était en attente d’expulsion vers l’Éthiopie. Elle affirme que son renvoi dans ce pays constituerait une violation par la Suisse de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. La requérante est représentée par un conseil, T. H.
1.2Le 8 septembre 2010, en application du paragraphe 1 de l’ancien article 108 de son règlement intérieur, le Comité a demandé à l’État partie de ne pas expulser la requérante vers l’Éthiopie tant que sa requête serait à l’examen.
Rappel des faits présentés par la requérante
2.1La requérante, qui est originaire d’Addis-Abeba, était employée comme secrétaire par une société spécialisée dans le commerce du café. En décembre 2004, elle s’est engagée dans la Coalition pour l’unité et la démocratie (CUD, également connue sous le nom de KINIJIT ou CUDP), créée peu de temps auparavant. Elle a commencé à soutenir ce mouvement et aidé à organiser des rencontres et des manifestations. En mai 2006, elle a été arrêtée par des membres de l’armée éthiopienne et emprisonnée pendant un mois. Après avoir été gravement maltraitée durant sa détention, elle a été libérée sous caution. Elle continuait toutefois d’être surveillée par les autorités éthiopiennes et craignait d’être à nouveau arrêtée. En juin 2007, l’occasion lui a été offerte d’assister à une conférence à Genève en tant que représentante de son employeur. Elle a saisi cette opportunité de quitter légalement l’Éthiopie et a déposé pour la première fois, le 25 juin 2007, une demande d’asile en Suisse.
2.2La requérante indique qu’elle a poursuivi son militantisme politique en Suisse. Depuis octobre 2007, elle est un membre actif du KINIJIT et occupe aujourd’hui le poste de représentante de l’Organisation de soutien au KINIJIT en Suisse (KSOS) pour le canton de Lucerne, un poste où elle joue un rôle actif en organisant des réunions, en suscitant de nouvelles adhésions et en mettant sur pied des manifestations. De plus, elle prend fréquemment la parole à l’occasion de manifestations à caractère protestataire et publie des commentaires et des articles critiques sur l’Internet. La requérante est en outre membre de l’Association des Éthiopiens en Suisse (AES), qui organise fréquemment des manifestations contre les autorités éthiopiennes.
2.3Le 25 juillet 2007, l’Office fédéral des migrations a décidé de ne pas se prononcer sur le bien-fondé de la demande d’asile de la requérante et ordonné son expulsion de Suisse. Le recours formé par la requérante contre cette décision a été rejeté par le Tribunal administratif fédéral le 11 décembre 2008.
2.4Le 24 avril 2009, la requérante a soumis une deuxième demande d’asile, dans laquelle elle faisait état, à titre de preuve, de ses activités politiques en Suisse et à laquelle étaient joints des photographies, des tracts, des articles dont elle était l’auteur, des observations formulées par elle sur des forums de débat, une lettre de confirmation du KSOS, une lettre de l’AES et un rapport de Human Rights Watch. L’Office fédéral des migrations a entendu la requérante le 30 octobre 2009 et rejeté sa deuxième demande d’asile le 12 novembre 2009. Il a indiqué que la requérante n’avait pas été en mesure de démontrer de manière crédible la menace de persécution des autorités éthiopiennes pour raison politique dans sa première demande d’asile. Il a donc considéré qu’il n’y avait pas de raison de penser qu’elle ait pu être repérée comme dissidente par les autorités éthiopiennes avant son départ ou qu’elle ait été d’une quelconque façon fichée comme opposante au régime ou militante politique. Par conséquent, de l’avis de l’Office, il n’y avait aucune raison de penser que la requérante ait pu faire l’objet d’une surveillance de la part des autorités éthiopiennes après son arrivée en Suisse.
2.5L’Office fédéral des migrations a en outre considéré que les renseignements donnés par la requérante lors de son audition, le 30 octobre 2009, ne suggéraient pas qu’elle occupait un rôle de premier plan au sein du KSOS. De plus, rien ne permettait de penser que les autorités éthiopiennes connaissaient son appartenance au KSOS ou qu’elles avaient pris des mesures contre elle. En outre, son activité au sein de l’AES, une association se déclarant politiquement neutre et surtout concernée par des activités d’ordre culturel, était relativement modeste. L’Office a retenu comme un fait avéré que la requérante, comme bon nombre de ses compatriotes, était politiquement active en exil. Cependant, les témoignages qu’elle a livrés dans ce sens attestent − comme dans bon nombre d’autres demandes d’asile se fondant sur des éléments similaires − que bien souvent les activités déployées par des dissidents en exil en Suisse ne durent guère que quelques mois. Ensuite, des photographies de groupe − fréquemment «arrangées» et montrant des centaines de personnes − sont publiées dans les médias correspondants. Même si les photographies fournies par la requérante la montrent armée d’un mégaphone au premier rang des manifestants, l’Office estime que cela ne constitue pas un élément pouvant la présenter comme une opposante susceptible de déstabiliser le régime éthiopien. Il a souligné que la requérante n’avait pas été la seule à scander des slogans et que son nom n’apparaissait pas dans la légende des photographies parues sur l’Internet. On ne pouvait donc pas en conclure qu’elle était plus exposée que d’autres.
2.6S’agissant des articles de nature politique diffusés par la requérante sur l’Internet, l’Office fédéral des migrations a considéré que des centaines d’articles hostiles au Gouvernement étaient affichés sur l’Internet et qu’il n’y avait pas lieu de croire que la requérante avait particulièrement attiré l’attention des autorités éthiopiennes. En effet, même si celles-ci étaient informées des activités politiques des nationaux exilés, elles n’étaient pas en mesure de surveiller et d’identifier chaque personne, compte tenu du grand nombre d’Éthiopiens vivant à l’étranger. Qui plus est, les autorités éthiopiennes devaient être conscientes du fait que bon nombre d’émigrants s’efforçaient, principalement pour des raisons économiques, d’obtenir un permis de résidence en Europe, et plus particulièrement en Suisse, avant ou après l’issue de la procédure d’asile, et qu’ils s’adonnaient par conséquent à des activités hostiles au Gouvernement, comme la participation à des manifestations, la publication de textes et de photographies, etc.
2.7L’Office fédéral des migrations a donc conclu que les autorités éthiopiennes n’avaient pas intérêt à distinguer une personne en particulier, à moins que ses activités ne soient perçues comme une menace tangible pour le système politique en place. Dans le cas de la requérante, il n’existait aucun élément permettant de penser qu’elle était active ou particulièrement exposée. La requérante n’appartenait certainement pas au groupe cible des dissidents exilés du noyau dur auquel s’intéressaient les autorités éthiopiennes.
2.8Le recours formé par la requérante contre la décision de l’Office fédéral des migrations a été rejeté par le Tribunal administratif fédéral le 6 août 2010. À la suite de ce jugement, la requérante a été invitée à quitter la Suisse pour le 9 septembre 2010. La requérante fait savoir que, si elle ne quitte pas le territoire de son plein gré, elle sera renvoyée de force en Éthiopie.
2.9Outre les raisons avancées par l’Office fédéral des migrations pour rejeter la deuxième demande d’asile de la requérante, le Tribunal administratif fédéral a estimé que les articles publiés sur l’Internet n’étaient pas de nature à permettre aux autorités éthiopiennes d’en identifier l’auteur sans aucun doute possible. D’une part, les cinq différentes signatures ne constituaient pas la preuve que la requérante était l’auteur de ces articles. D’autre part, on ne pouvait pas écarter qu’une autre personne portant le même nom qu’elle en soit réellement l’auteur.
2.10De manière générale, le Tribunal administratif fédéral a conclu que la requérante ne donnait pas le sentiment d’être une opposante très en vue du régime éthiopien en place, capable de déstabiliser celui-ci, et justifiant l’intérêt des services secrets éthiopiens pour sa personne. En conséquence, elle ne courait pas le risque de faire l’objet de persécutions politiques ni d’être soumise à la torture ou à d’autres traitements inhumains ou dégradants si elle était renvoyée en Éthiopie.
2.11La requérante fait valoir que, contrairement à ce qu’a estimé le Tribunal administratif fédéral, elle est pleinement fondée à craindre d’avoir été repérée et fichée comme activiste dissidente par les autorités éthiopiennes et courrait un risque réel de subir des traitements contraires à la Convention si elle était expulsée vers l’Éthiopie, et ce, pour les raisons ci-après:
a)Le Gouvernement éthiopien surveille activement et étroitement l’opposition, tant en Éthiopie qu’en exil. Selon la législation antiterroriste récemment adoptée, la répression des dissidents politiques par les autorités éthiopiennes s’est intensifiée. La législation susmentionnée prévoit une peine de vingt ans d’emprisonnement à l’encontre de «quiconque écrit, édite, imprime, publie, fait connaître, diffuse, montre, fait entendre toute déclaration encourageant, soutenant ou servant des actes terroristes». Comme cela a été dit par un analyste politique, la loi fait l’amalgame entre l’opposition politique et le terrorisme. La requérante renvoie également à une analyse de Human Rights Watch, selon laquelle «les opposants au Gouvernement et les citoyens ordinaires sont exposés de la même façon à une répression qui décourage et punit la libre expression et le militantisme politique». Les publications affichées sur l’Internet qui sont critiques des autorités éthiopiennes sont un motif particulier de préoccupation pour le Gouvernement, dans la mesure où les nationaux se tournent de plus en plus vers l’Internet pour s’informer. À l’appui de cet argument, la requérante renvoie au rapport de Freedom House «Freedom of the Press 2009: Ethiopia», dans lequel il est dit que les sites Web et les blogs, parmi lesquels des sites d’information qu’alimentent des Éthiopiens de l’étranger, sont surveillés par les autorités éthiopiennes, qui tendent de les bâillonner;
b)De nombreux rapports attestent sans équivoque que la police éthiopienne a recours à la torture contre les opposants politiques et autres personnes critiques à l’égard du régime. Les arrestations à l’aveugle et les détentions provisoires de longue durée sont monnaie courante. La torture est couramment utilisée pour extorquer des aveux et des renseignements. La requérante renvoie au rapport de Human Rights Watch, qui fait état de l’usage de la torture par les fonctionnaires de police et les militaires à la fois dans les lieux de détention officiels et dans d’autres lieux de détention secrets en différents points du territoire éthiopien;
c)La qualité et la teneur des articles de la requérante, où celle-ci critique sévèrement le régime du Premier Ministre éthiopien, Meles Zenawi, font penser que les autorités éthiopiennes ont tout intérêt à la surveiller. La requérante est une intellectuelle jouissant d’une bonne éducation, qui suit de très près les développements politiques en cours. De plus, elle a de solides liens avec le mouvement dissident en exil, ce dont attestent la publication de ses articles sur le site Web dissident bien connu cyberethiopia.com et aussi son appartenance de longue date au KSOS. De plus, la requérante participe à des débats et des commentaires en ligne à propos de contributions d’autres militants. Compte tenu de la répression largement attestée dont sont victimes les opposants éthiopiens et de la pratique des autorités consistant à surveiller systématiquement les sites Web critiques et à s’efforcer d’identifier ceux qui s’expriment le plus ouvertement, il est très probable que l’identité de la requérante soit connue des services secrets éthiopiens;
d)Quant à l’argument du Tribunal administratif fédéral selon lequel la requérante n’aurait pas démontré avoir personnellement écrit les articles en question, celle‑ci considère que les autorités suisses compétentes en matière d’asile sont le mieux placées pour savoir s’il existe en effet une autre personne de nationalité éthiopienne en Suisse portant le nom de H. K., active au sein du mouvement dissident éthiopien et publiant des articles sous le nom de H. K. (Suisse). La requérante considère cet argument comme une spéculation plutôt improbable si l’on considère que son pays de résidence actuel et son adresse de courrier électronique apparaissaient dans les articles en question, qu’elle a remis aux autorités suisses compétentes sa carte d’identité éthiopienne, et qu’elle a ainsi prouvé son identité. Si les autorités éthiopiennes ont connaissance d’une personne publiant des articles critiques à leur endroit sous le nom de H. K., on peut en déduire qu’elles soupçonneront la requérante d’être cette même personne si elle devait être renvoyée de Suisse en Éthiopie.
Teneur de la plainte
3.La requérante affirme que son renvoi forcé en Éthiopie constituerait une violation, par la Suisse, de l’article 3 de la Convention, étant donné qu’elle risque, du fait de sa qualité de membre actif et éminent de la communauté éthiopienne dissidente, d’être soumise à la torture et à d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants de la part des autorités éthiopiennes en raison de ses activités politiques en Suisse.
Observations de l’État partie sur le fond
4.1Le 24 février 2011, l’État partie a soumis ses observations sur le fond. Il rappelle la teneur de la plainte et note les arguments avancés devant le Comité, selon lesquels la requérante serait exposée à un risque personnel, réel et sérieux d’être soumise à la torture si elle était renvoyée dans son pays d’origine, en raison de ses activités politiques en Suisse, et plus particulièrement de celles auxquelles elle a pris part après le jugement du Tribunal administratif fédéral du 11 décembre 2008. La requérante ne présente aucun nouvel élément permettant de remettre en question les décisions des autorités suisses compétentes en matière d’asile, lesquelles ont été prises après un examen détaillé du dossier, mais conteste plutôt leur évaluation des faits et des preuves. L’État partie maintient que l’expulsion de la requérante vers l’Éthiopie ne constituerait pas une violation de la Convention par la Suisse.
4.2En vertu de l’article 3 de la Convention, il est interdit aux États parties d’expulser, de refouler ou d’extrader une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. Pour déterminer s’il y a de tels motifs, les autorités compétentes doivent tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l’existence, dans l’État intéressé, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. L’existence de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme dans un pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure qu’une personne risque d’être victime de torture à son retour dans ce pays; pour que l’article 3 s’applique, il faut qu’il existe des motifs supplémentaires de penser que l’intéressé court un risque «prévisible, réel et personnel» d’être soumis à la torture.
4.3En ce qui concerne la situation générale des droits de l’homme en Éthiopie, l’État partie fait valoir que les élections qui se sont déroulées dans ce pays en mai et en août 2005 ont renforcé la représentation des partis d’opposition au Parlement. Il admet que, même si les droits de l’homme sont expressément reconnus dans la Constitution éthiopienne, les cas d’arrestation et de détention arbitraire sont nombreux, et en particulier parmi les membres de partis d’opposition. De plus, il n’existe pas de système judiciaire indépendant. Cependant, le fait d’appartenir ou de soutenir un parti d’opposition n’expose pas en soi au risque d’être persécuté. La situation est différente pour les personnes qui occupent des postes de premier plan dans un parti d’opposition. Compte tenu de ce qui précède, les autorités suisses compétentes en matière d’asile ont adopté une approche différenciée pour évaluer le risque de persécution. Elles considèrent que les personnes soupçonnées par les autorités éthiopiennes d’appartenir au Front de libération Oromo ou au Front national de libération de l’Ogaden sont exposées au risque d’être persécutées.
4.4Pour ce qui est de la surveillance des activités politiques des Éthiopiens en exil, l’État partie fait valoir que, selon les informations dont il dispose, les missions diplomatiques ou consulaires éthiopiennes ne disposent ni du personnel ni des structures nécessaires pour surveiller de manière systématique les activités politiques des membres de l’opposition en Suisse. Il n’est donc pas étonnant que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada n’ait pas été en mesure de trouver des informations attestant de l’existence réelle d’une telle surveillance. Cependant, les membres actifs ou importants de l’opposition, ainsi que les militants d’organisations prônant l’usage de la violence, courent le risque d’être repérés et fichés et, par conséquent, de faire l’objet de persécutions en cas de renvoi dans leur pays.
4.5S’agissant de l’Observation générale no 1 du Comité (par. 8 b)), l’État partie considère que les actes de torture ou les mauvais traitements qui auraient été infligés par le passé à un requérant sont l’un des éléments dont il faut tenir compte dans l’évaluation du risque que l’intéressé soit torturé ou soumis à de mauvais traitements s’il est renvoyé dans son pays d’origine. À cet égard, l’État partie rappelle que la requérante a dit avoir été maltraitée durant sa détention en mai 2006. Il ajoute toutefois qu’elle n’a pas étayé cette allégation devant les autorités suisses lors de la première procédure de demande d’asile et que le document établi par la Commission de la police de la ville d’Addis-Abeba qu’elle a produit au Comité ne change rien à l’évaluation faite antérieurement. Il n’est donc pas surprenant que la requérante n’ait pas maintenu cette affirmation dans sa deuxième demande d’asile le 24 avril 2009. L’État partie s’étonne cependant qu’elle en ait fait état devant le Comité sans en apporter la preuve.
4.6S’agissant des activités politiques auxquelles la requérante a pris part dans son pays d’origine, l’État partie relève qu’elle a effectivement fait état, entre autres, de ses activités politiques en Éthiopie lors de la première procédure de demande d’asile. Alors qu’elle affirme être membre du KINIJIT, elle n’a pu donner que des informations vagues et superficielles sur ce mouvement d’opposition. On s’attendrait pourtant à des connaissances plus précises de la part de quelqu’un qui, comme elle, a reçu une formation universitaire et prétend s’intéresser à la vie politique de son pays d’origine.
4.7L’État partie relève en outre que la requérante a quitté légalement l’Éthiopie environ une année après sa détention. Elle est arrivée le 4 juin 2007 par un vol direct Addis‑Abeba‑Zurich, munie d’un passeport établi à sa demande le 8 février 2007 et sans avoir rencontré aucune difficulté, en vue d’assister, en qualité de représentante de son employeur, à une conférence se tenant à Genève. La requérante semble avoir détruit son passeport après son arrivée et passé environ trois semaines avec ses compatriotes avant de déposer une demande d’asile le 25 juin 2007. Ce comportement paraît relativement surprenant si l’on tient compte des activités politiques qu’elle revendique et de ses allégations de persécution par les autorités éthiopiennes. De plus, elle a attendu la fin de la première procédure de demande d’asile pour présenter ses titres de transport et faire état de la conférence à laquelle elle devait assister.
4.8L’État partie fait observer que le document confirmant la détention de la requérante, présenté par cette dernière au Comité le 8 septembre 2010 et qu’avait examiné préalablement le Tribunal administratif fédéral, ne change rien à l’évaluation faite par les autorités suisses compétentes en matière d’asile lors de la première procédure de demande d’asile de la requérante. Selon ce document, la requérante a été condamné e par un tribunal fédéral, alors qu’elle n’a pas fait mention de l’existence d’une telle condamnation ni devant les autorités suisses compétentes en matière d’asile ni dans sa plainte au Comité. L’État partie note en outre que le document en question est contradictoire, en ce sens que, au premier paragraphe, il est fait mention de charges pesant contre la requérante, alors qu’au second paragraphe, il est dit qu’elle est condamnée à un mois de prison. À la lumière de tous ces éléments, l’État partie a de sérieux doutes sur l’authenticité dudit document. Il conclut en approuvant la conclusion du Tribunal administratif fédéral, selon laquelle la requérante n’avait pas de profil politique avant son départ du pays.
4.9Quant aux activités politiques déployées par la requérante en Suisse, l’État partie relève qu’elle dit avoir participé à de nombreuses manifestations contre les autorités éthiopiennes, écrit des articles et contribué au forum cyberethiopia.com, et affirme également avoir joué un rôle au sein de deux mouvements politiques en exil. L’État partie fait observer que l’Office fédéral des migrations et le Tribunal administratif fédéral ont évalué de manière détaillée le risque auquel serait exposée la requérante d’être torturée ou de subir un traitement inhumain ou dégradant en raison des activités qu’elle dit avoir déployées, si elle devait être renvoyée en Éthiopie. Quant à l’AES, dont elle dit être membre, l’État partie fait observer que, selon le registre du commerce, il s’agit d’une organisation politiquement neutre, dont les activités sont exclusivement d’ordre culturel. En conséquence, la requérante ne court pas le risque d’être persécutée du fait de son appartenance à cette organisation.
4.10S’agissant du fait que la requérante se réclame de la qualité de représentante du KSOS dans le canton de Lucerne, l’État partie fait observer qu’il a été question de son rôle au sein de cette organisation lors de son audition par l’Office fédéral des migrations, le 30 octobre 2009, à la suite de sa demande d’asile. Dans l’incapacité de décrire concrètement son rôle en tant que représentante du KSOS pour le canton, la requérante a fini par admettre qu’il n’existait pas de structure hiérarchique dans le canton de Lucerne. L’État partie ajoute qu’il ressort en outre du procès-verbal de l’audition que son rôle à l’occasion de deux manifestations auxquelles elle a pris part en 2009 ne se distinguait pas de celui de nombreux autres participants. La requérante a également pris part à des opérations de mobilisation de fonds et à une réunion organisée par le KINIJIT/CUDP de Zurich.
4.11Pour ce qui a trait aux articles que la requérante dit avoir publiés sur l’Internet, l’État partie indique qu’ils ont également fait l’objet d’une évaluation détaillée de la part de l’Office fédéral des migrations et du Tribunal administratif fédéral. L’Office a tenu compte des explications données par la requérante lors de son audition pour l’obtention de l’asile et a conclu que, compte tenu du nombre d’articles de même nature, la requérante ne pouvait pas avoir particulièrement attiré l’attention des autorités éthiopiennes. Le fait qu’elle n’ait pu donner que des informations vagues et superficielles sur ses activités politiques en Éthiopie lors de la première procédure de demande d’asile est un autre élément amenant à douter qu’elle soit l’auteur de ces articles, s’ajoutant aux raisons avancées par le Tribunal administratif fédéral.
4.12En conclusion, l’État partie estime improbable que les autorités éthiopiennes aient pris note des activités récentes de la requérante. Les autorités éthiopiennes se concentrent sur les personnes dont les activités sortent de l’ordinaire ou dont la fonction ou l’activité particulière est de nature à constituer un danger pour le régime éthiopien. À son arrivée en Suisse, la requérante ne présentait pas un tel profil, pas plus sur le plan politique que dans un autre domaine, et l’État partie estime raisonnable d’exclure qu’elle ait acquis un tel profil par la suite. Il maintient que les documents produits par la requérante ne permettent pas de conclure à l’existence d’une activité politique en Suisse susceptible de retenir l’attention des autorités éthiopiennes. Le fait que la requérante soit identifiée sur des photographies et dans des enregistrements vidéo ne suffit pas à établir un risque de persécution en cas de renvoi.
4.13À ce propos, l’État partie souligne que de nombreuses manifestations politiques auxquelles prennent part des compatriotes de la requérante ont lieu en Suisse et dans d’autres pays, que des photos ou des vidéos montrant parfois des centaines de participants sont rendues publiques par les médias et qu’il est peu probable que les autorités éthiopiennes soient capables d’identifier chaque personne, ou qu’elles aient même connaissance des liens de la requérante avec les organisations mentionnées plus haut.
4.14L’État partie fait valoir que rien ne prouve que les autorités éthiopiennes aient ouvert une procédure pénale contre la requérante ou pris d’autres mesures à son égard. En conséquence, l’Office fédéral des migrations et le Tribunal administratif fédéral n’ont pas jugé convaincant l’argument selon lequel le rôle joué par la requérante au sein de la diaspora éthiopienne était de nature à attirer l’attention des autorités de son pays. En d’autres termes, la requérante n’a pas établi qu’en cas de renvoi en Éthiopie, elle risque d’être soumise à des mauvais traitements en raison de ses activités politiques en Suisse.
4.15L’État partie fait valoir qu’à la lumière de ce qui précède, rien n’indique qu’il existe des motifs sérieux de craindre qu’un renvoi de la requérante en Éthiopie exposerait celle‑ci à un risque prévisible, réel et personnel d’être soumise à la torture. Il invite le Comité à conclure que le renvoi de la requérante en Éthiopie ne constituerait pas une violation des obligations internationales de la Suisse en vertu de l’article 3 de la Convention.
Commentaires de la requérante sur les observations de l’État partie
5.1En date du 5 mai 2011, la requérante a fait parvenir ses commentaires sur les observations de l’État partie. Elle indique que, selon des informations ayant circulé récemment, les autorités éthiopiennes ont intensifié leurs efforts pour contrôler les prises de position dissidentes sur l’Internet et qu’elles s’efforcent effectivement d’identifier les militants de l’opposition en analysant les photographies et les enregistrements vidéo de manifestations, du moins en Éthiopie. La requérante évoque en outre la dégradation de la situation au plan des droits de l’homme en Éthiopie et les efforts déployés par les autorités pour restreindre la liberté d’expression. Elle estime que l’État partie n’a pas tenu compte des rapports cités dans sa plainte au Comité, qui suggèrent que les autorités éthiopiennes exercent effectivement une surveillance très étroite des différentes formes de dissension. La demande d’information sur le pays d’origine dont fait état l’État partie date de début 2007 et ne peut donc pas être considérée comme une source fiable pour réfuter son affirmation selon laquelle elle serait persécutée en raison de ses activités politiques si elle devait être renvoyée par la force en Éthiopie.
5.2La requérante relève que, selon la législation de l’État partie en matière d’asile, une nouvelle demande d’asile doit contenir des preuves indiquant que des incidents qui se sont produits après la dernière décision concernant la demande d ’ asile sont pertinents pour la détermination du statut de réfugié. Les raisons motivant la demande d’asile qui ont déjà été présentées lors de la première procédure ne peuvent être invoquées que dans le cadre d’une demande en révision, auquel cas de nouvelles preuves doivent être présentées. À ce propos, la requérante maintient qu’elle a été emprisonnée et gravement maltraitée en mai 2006. Contrairement à ce qu’a dit l’État partie, il n’est pas surprenant qu’elle n’en ait pas fait état lors de la deuxième demande d’asile. En effet, les autorités suisses compétentes en matière d’asile n’ont pas jugé cette allégation crédible lorsqu’elle l’a formulée lors de la première procédure, et elle n’avait pas de nouvelles preuves à produire à l’appui de ses affirmations lors de la deuxième procédure. Soumettre une demande de révision sans être en mesure de produire de nouvelles preuves aurait été inutile et coûteux.
5.3Quant à ses activités politiques en Éthiopie, la requérante répète qu’elle était membre du KINIJIT avant son arrivée en Suisse. Elle affirme que, lors de l’audition pour l’obtention de l’asile qui a suivi sa première demande, elle a répondu correctement à toutes les questions sur le KINIJIT, mais n’a pas été invitée à expliquer plus en détail les visées ou le mode d’organisation de ce mouvement. Qui plus est, l’audition n’a duré que deux heures, en comptant le temps nécessaire pour la traduction en amharique. La requérante considère par conséquent que le reproche qui lui est fait de ne pas avoir pu fournir certaines informations ne peut pas être retenu contre elle. Elle ajoute que les autorités suisses compétentes en matière d’asile ne lui ont jamais demandé si elle avait été ou non condamnée. En outre, la traduction du document confirmant sa détention a été effectuée par la requérante elle-même, qui n’est pas traductrice de profession.
5.4À propos de ses activités politiques en Suisse, la requérante répète qu’elle est membre du KSOS depuis octobre 2007 et qu’elle a le statut de représentant cantonal. Elle affirme qu’elle a publié de nombreux articles critiques et bien informés contre le régime de Meles Zenawi et qu’elle contribue régulièrement aux blogs. À l’appui de ses affirmations, elle produit des copies d’un article et de huit contributions à des blogs parues sous son nom depuis qu’elle a saisi le Comité.
5.5La requérante relève que l’État partie se réfère essentiellement à la décision de l’Office fédéral des migrations et qu’il juge improbable qu’elle ait été identifiée en tant qu’opposante au régime par les autorités éthiopiennes. Elle fait cependant valoir que cette décision a été prise en novembre 2009 et que, depuis lors, elle est devenue l’un des membres les plus actifs du mouvement éthiopien dissident en Suisse. Elle a publié nombre d’articles traitant des développements politiques en Éthiopie et joue un rôle de pointe lors des manifestations. Elle conclut que, compte tenu des efforts croissants des autorités éthiopiennes pour faire taire les voix critiques à l’égard du régime, elle court le risque d’être arrêtée et placée en détention à son retour en Éthiopie.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
6.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il ne peut examiner aucune communication émanant d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note que l’État partie a reconnu, en l’espèce, que la requérante avait épuisé tous les recours internes disponibles. Considérant qu’il n’existe aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la requête recevable.
Examen au fond
7.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations communiquées par les parties.
7.2Le Comité doit déterminer si, en renvoyant la requérante vers l’Éthiopie, l’État partie manquerait à l’obligation, qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention, de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture. Le Comité doit déterminer s’il existe des motifs sérieux de croire que la requérante risquerait d’être soumise à la torture en cas de renvoi en Éthiopie. Pour apprécier ce risque, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents en application du paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, y compris de l’existence d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Le Comité rappelle cependant que l’objectif est de déterminer si le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé.
7.3Le Comité rappelle son Observation générale no 1 sur l’application de l’article 3, selon laquelle l’existence du risque de torture doit être appréciée sur la base d’éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. S’il n’est pas nécessaire de démontrer que le risque couru est «hautement probable» (par. 6), le Comité rappelle que la charge de la preuve incombe généralement au requérant, qui doit présenter des arguments défendables montrant qu’il court «personnellement un risque réel et prévisible». Le Comité rappelle en outre que, conformément à son Observation générale no 1, il doit accorder un poids considérable aux constatations de fait effectuées par les organes de l’État partie concerné, mais qu’il n’est pas lié par de telles constatations et est au contraire habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.
7.4Dans l’évaluation du risque de torture en ce cas d’espèce, le Comité prend note de l’affirmation de la requérante selon laquelle elle a été emprisonnée et gravement maltraitée par les militaires éthiopiens en mai 2006. Il note également l’argument de l’État partie selon lequel la requérante n’a pas étayé cette allégation devant les autorités suisses compétentes enmatière d’asile lors de sa première demande d’asile et qu’elle ne l’a pas réitérée lors de sa deuxième demande. Le Comité note en outre que l’État partie met en doute l’authenticité du document confirmant sa détention, lequel aurait été délivré par la Commission de la police de la ville d’Addis‑Abeba. Il note aussi les informations fournies à ce propos par la requérante. Il observe à cet égard qu’elle n’a pas apporté de preuves à l’appui de ses allégations de mauvais traitements graves infligés par les militaires éthiopiens avant son arrivée en Suisse ou permettant de penser que la police ou d’autres autorités éthiopiennes seraient depuis lors à sa recherche. La requérante n’a pas davantage fait savoir, pas plus dans sa demande d’asile aux autorités suisses que dans sa requête au Comité, que des charges avaient été retenues contre elle en vertu de la loi antiterroriste ou de toute autre loi interne.
7.5Le Comité prend note des informations communiquées par la requérante au sujet de sa participation aux activités du KSOS et de l’AES. Il note également qu’elle affirme être l’un des membres les plus actifs du mouvement éthiopien dissident en Suisse, diffusant régulièrement sur l’Internet des articles critiquant les autorités éthiopiennes et contribuant aux blogs de l’opposition. Il relève aussi que l’État partie met en doute le fait que la requérante soit l’auteur des articles et des contributions affichés sur les blogs en question. Il relève par ailleurs l’affirmation de la requérante selon laquelle les autorités éthiopiennes feraient usage de moyens technologiques sophistiqués pour surveiller les dissidents éthiopiens à l’étranger, mais constate qu’elle n’a pas donné de précisions à ce sujet ni fourni de preuves pour étayer ses propos. De l’avis du Comité, la requérante n’a pas apporté assez de preuves attestant qu’elle avait eu une activité politique suffisamment importante pour attirer l’attention des autorités éthiopiennes. Elle n’a pas non plus apporté de preuve concrète pour démontrer que les autorités de son pays d’origine la recherchaient ou qu’elle courrait personnellement un risque de torture si elle était renvoyée en Éthiopie.
7.6En conséquence, le Comité conclut que les informations communiquées par la requérante, compte tenu notamment de la nature incertaine de ses activités politiques en Éthiopie avant son départ de ce pays et du faible niveau de son engagement politique en Suisse, ne suffisent pas à étayer ses allégations selon lesquelles elle serait personnellement exposée à un risque réel de torture en cas de renvoi en Éthiopie. Le Comité est préoccupé par les nombreux cas de violation des droits de l’homme, notamment de torture, signalés en Éthiopie, mais il rappelle qu’aux fins de l’article 3 de la Convention, la personne concernée doit courir un risque prévisible, réel et personnel d’être torturée dans le pays où elle est renvoyée. Compte tenu des considérations qui précèdent, le Comité estime que l’existence de ce risque n’a pas été établie.
8.À la lumière de ce qui précède, le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi de la requérante enÉthiopie par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]