Nations Unies

CAT/C/49/D/435/2010

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

30 janvier 2013

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Communication no 435/2010

Décision adoptée par le Comité à sa quarante-neuvième session (29 octobre-23 novembre 2012)

Communication p résentée par:

G. B. M. (non représenté par un conseil)

Au nom de:

G. B. M.

État partie:

Suède

Date de la requête:

5 octobre 2010 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision:

14 novembre 2012

Objet:

Expulsion du requérant vers la République-Unie de Tanzanie

Questions de procédure:

Griefs insuffisamment étayés

Questions de fond:

Risque de torture en cas d’expulsion; risque de peines ou autres traitements cruels, inhumains ou dégradants en cas d’expulsion

Article de la Convention:

3

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22de la Convention contre la torture et autres peinesou traitements cruels, inhumains ou dégradants(quarante-neuvième session)

concernant la

Communication no 435/2010

Présentée par:

G. B. M. (non représenté par un conseil)

Au nom de:

G. B. M.

État partie:

Suède

Date de la requête:

5 octobre 2010 (date de la lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 14 novembre 2012,

Ayant achevé l’examen de la requête no 435/2010, présentée par G. B. M. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1Le requérant est G. B. M., ressortissant de la République-Unie de Tanzanie, né en 1968, qui se trouvait en Suède quand il a envoyé sa communication initiale. Il affirme que son renvoi forcé en Tanzanie constituerait une violation par la Suède de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le requérant n’est pas représenté par un conseil.

1.2Le 4 novembre 2010, le Comité, par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires, a rejeté la demande de mesures provisoires de protection formulée par le requérant conformément au paragraphe 1 de l’article 108 de son règlement intérieur (CAT/C/3/Rev.4).

1.3Par la suite, en mai 2012, le requérant a informé le Comité qu’il avait été expulsé de Suède vers la République-Unie de Tanzanie mais s’était échappé lors d’une escale; il réside actuellement dans un pays tiers.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant travaillait comme journaliste en République-Unie de Tanzanie. Le 31 août 2008, il est entré en Suède pour participer à un stage organisé par l’Institut de perfectionnement des journalistes de l’Université de Kalmar. Le 16 ou le 17 septembre 2008, il a reçu un appel téléphonique d’un collègue en Tanzanie l’informant que la police voulait l’interroger à propos d’un article à caractère politique qu’il avait écrit avant son départ pour la Suède (ce qui a été aussi confirmé par la femme du requérant). L’article en question, publié dans un journal local le 3 août 2008, portait sur le statut de Zanzibar par rapport à la partie continentale du pays. Prenant peur, le requérant a demandé l’asile à la Suède le 22 septembre 2008.

2.2Le 4 février 2008, le requérant a été interrogé par l’Office suédois des migrations. À cette occasion, il a expliqué qu’en 2002 il avait été inculpé pour avoir écrit un article critiquant le Parlement, avait été interrogé et torturé et était resté en détention sans jugement pendant deux mois. Les charges retenues contre lui n’ont été abandonnées qu’en 2004. De plus, le 15 décembre 2007, le Ministère tanzanien de l’information, de la culture et des sports lui a interdit d’exercer sa profession au motif qu’il avait écrit des articles diffamatoires à l’égard des dirigeants du pays.

2.3Le 5 juin 2009, la demande d’asile du requérant a été rejetée par l’Office suédois des migrations, qui a fondé sa décision essentiellement sur le rapport sur les droits de l’homme du Département d’État des États-Unis concernant la République-Unie de Tanzanie, dans lequel il est dit que ce pays garantit et respecte la liberté d’expression et la liberté politique. L’Office a en outre estimé que le fait que le requérant ait été persécuté en 2002 par les autorités tanzaniennes ne justifiait pas l’octroi de l’asile, compte tenu du temps qui s’était écoulé depuis lors.

2.4À une date non précisée, le requérant a fait appel de la décision de l’Office devant le tribunal des migrations. Le 28 mai 2010, cette juridiction a rejeté son recours, jugeant peu convaincantes les raisons qu’il avait avancées pour justifier sa demande d’asile. Le tribunal a estimé qu’il n’y avait pas de raison suffisante de croire que le requérant risquait d’être persécuté en cas de renvoi en République-Unie de Tanzanie et que les circonstances de l’espèce ne suffisaient pas à montrer qu’il avait besoin de protection.

2.5Le 6 août 2010, le requérant a demandé à la Cour d’appel des migrations l’autorisation de former un recours. Le 27 août 2010, sa demande a été rejetée et la décision du 28 mai 2010 du tribunal des migrations est devenue définitive. Le requérant a par la suite été convoqué à deux reprises par l’Office des migrations à propos de la date de son expulsion et a donc décidé de se cacher.

Teneur de la plainte

3.Le requérant fait valoir que s’il est renvoyé en République-Unie de Tanzanie, il sera arrêté et soumis à la torture, en violation des obligations contractées par l’État partie en vertu de l’article 3 de la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Par une note verbale datée du 4 mai 2011, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il note que la demande de permis de séjour du requérant a été évaluée au regard de la loi de 2005 sur les étrangers, partiellement modifiée en janvier 2010. Dans ce cadre, l’Office des migrations procède à l’examen initial et les recours contre ses décisions sont examinés par l’un des trois tribunaux des migrations existants et, en dernier ressort, par la Cour d’appel des migrations.

4.2L’État partie explique qu’un premier entretien avec le requérant a eu lieu le 22 septembre 2008, au cours duquel le requérant a indiqué avoir travaillé comme journaliste au Tanzania Daima de Dar es-Salaam. À cause d’un article qu’il avait écrit au début du mois d’août 2008, il risquait d’être condamné à une peine s’emprisonnement et soumis à la torture s’il était renvoyé dans son pays d’origine. Il était membre du Chadema, un parti d’opposition. En avril 2002, il avait été arrêté et torturé. Libéré à la fin du mois de juin 2002, il avait dû par la suite, jusqu’à l’abandon en 2004 des charges retenues contre lui, se présenter aux autorités de police deux fois par semaine. Un deuxième entretien a eu lieu le 4 février 2009.

4.3Le 5 juin 2009, l’Office des migrations a rejeté la demande du requérant. Dans sa décision, l’Office a cité la section sur la liberté d’expression et la liberté de la presse du rapport annuel sur les droits de l’homme du Département d’État des États-Unis concernant la République-Unie de Tanzanie de 2006 à 2009, d’où il ressort que le droit à la liberté d’expression est inscrit dans la Constitution de la Tanzanie, que le Président a exprimé publiquement son soutien à la liberté de la presse, que les journalistes sont généralement en mesure de publier des articles, que les autorités permettent à l’opposition d’accéder librement aux médias et le journal du parti Chadema, le Tanzania Daima, paraît tous les jours. L’Office a en outre noté que, selon les informations émanant du Comité pour la protection des journalistes en Tanzanie, le requérant était correspondant du quotidien Mwananchi et avait été accusé d’«offense au Parlement» pour avoir soutenu, dans un article daté du 7 avril 2001, que certaines des réformes proposées avantageraient le parti au pouvoir. Le requérant a été arrêté et interrogé, mais il a été libéré sans inculpation plusieurs heures après. Toutefois, il a été de nouveau menacé de poursuites. Un procureur a déclaré ultérieurement que le Parlement l’avait chargé d’engager des poursuites contre le requérant mais que le Conseil des médias de Tanzanie et d’autres défenseurs de la liberté d’expression avaient soulevé des objections, ce qui avait empêché de nouvelles poursuites. Le même récit des événements est fait dans le Rapport sur l’état des médias en Afrique australe et par l’Institut international de la presse. En conséquence, l’Office a établi que le requérant n’était pas dans une situation telle qu’il faille lui accorder un permis de séjour en raison de circonstances particulièrement difficiles. Il a émis des doutes quant au fait de savoir si le requérant avait été emprisonné pendant deux mois en 2002, et a fait observer que depuis 2002 et en particulier après 2007 lorsqu’il lui avait été interdit de publier quoi que ce soit sur l’action des membres du Gouvernement, le requérant avait pu continuer à travailler comme journaliste et avait publié un certain nombre d’articles. Enfin, l’Office a estimé extrêmement curieux que le journal dans lequel son article politique du 3 août 2008 aurait été publié paraisse encore et n’ait subi aucune conséquence judiciaire.

4.4Le 22 juin 2009, le requérant a fait appel de la décision de l’Office des migrations auprès du tribunal des migrations. Le 7 mai 2010, le tribunal a tenu une audience sur cette affaire et a estimé qu’il n’y avait aucune raison de douter que le requérant avait été brièvement détenu en 2002 et que les autorités lui avaient interdit l’exercice de sa profession en 2007. Le tribunal a relevé que malgré ces incidents, le requérant avait continué de faire son métier de journaliste dans son pays d’origine. En outre, d’après sa demande de visa de 2008, il était employé par un journal et travaillait comme journaliste et rédacteur pour les questions politiques. Il a continué d’écrire et de publier des articles après les faits de 2002 comme après ceux de 2007. Le tribunal a également relevé que le requérant lui-même avait reconnu que son employeur avait souhaité qu’il reprenne son travail. Dans ces conditions, le tribunal des migrations a exprimé des doutes quant à l’existence d’un quelconque danger pour le requérant en République-Unie de Tanzanie. Il a aussi tenu compte du fait que les incidents de 2002 remontaient à longtemps et que le requérant avait pu, trois semaines après la publication de son article, quitter légalement son pays sans que les autorités paraissent de quelque manière s’intéresser à lui. De plus rien n’indiquait que les autorités se soient intéressées au journal en question ou au requérant lui-même après la publication de l’article. Pour ces motifs, le 28 mai 2010, le tribunal des migrations a rejeté le recours formé par le requérant.

4.5Le 17 juin 2010, le requérant a fait appel du jugement du tribunal des migrations. Le 27 août 2010, la Cour d’appel des migrations a décidé de ne pas accorder au requérant l’autorisation de faire appel. Enfin, l’État partie a informé le Comité qu’il avait reçu de l’Office des migrations des renseignements indiquant que le requérant avait quitté le territoire suédois le 20 novembre 2010.

4.6En ce qui concerne la recevabilité de la communication, l’État partie explique qu’à sa connaissance la même question n’a pas fait et ne fait pas actuellement l’objet d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement et que, au regard du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, les voies de recours internes ont été épuisées. L’État partie fait toutefois valoir que le grief du requérant, qui affirme qu’il risque de subir un traitement constitutif d’une violation de la Convention, n’est pas étayé par le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité. Il considère que la communication est manifestement dénuée de fondement et devrait donc être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention et du paragraphe b) de l’article 107 du Règlement intérieur du Comité (CAT/C/3/Rev.4).

4.7L’État partie ajoute que si le Comité venait à décider que la communication est recevable, sur le fond il faudrait déterminer si l’expulsion du requérant constituerait une violation de l’obligation qui incombe à la Suède en vertu de l’article 3 de la Convention. À ce sujet, l’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité, selon laquelle pour déterminer si le renvoi forcé d’une personne dans un autre pays constituerait une violation de l’article 3 de la Convention, il faut établir si l’intéressé courrait personnellementle risque d’être torturé dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence d’un ensemble de violations systématiques, flagrantes ou massives des droits de l’homme dans un pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour décider que telle ou telle personne risque d’être torturée en cas de renvoi dans ce pays.

4.8En ce qui concerne la situation générale des droits de l’homme en République-Unie de Tanzanie, l’État partie fait valoir que, selon la section consacrée à la liberté d’expression et la liberté de la presse dans les rapports pour la Tanzanie (2009 et 2010) du Département d’État des États-Unis sur les pratiques en matière de droits de l’homme, des médias indépendants existaient et exprimaient toutes sortes d’opinions sans restriction. D’après ces rapports, le Président de la République-Unie de Tanzanie a exprimé publiquement son soutien à la liberté de la presse et les journalistes pouvaient généralement faire paraître des articles imputant, par exemple, des faits de corruption à des responsables gouvernementaux sans subir de représailles. Des publications telles que le journal d’opposition Tanzania Daima paraissent tous les jours. Les rapports indiquaient aussi qu’en 2009, quatre rédacteurs avaient été convoqués au Ministère de l’information, de la culture et des sports et accusés d’avoir déformé les propos de membres du Gouvernement, et qu’en 2010 le Ministère avait averti les rédacteurs du quotidien Mwananchi qu’ils risquaient des poursuites judiciaires si leur journal continuait de publier des articles critiquant le Gouvernement. L’État partie note toutefois qu’aucune autre mesure n’a été prise contre ces rédacteurs et que Mwananchi a continué de publier des articles critiques. De plus, selon l’indice mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières pour 2010, la Tanzanie est classée parmi les 50 premiers pays pour ce qui est du respect de la liberté de la presse et des médias. L’État partie relève aussi que le nombre d’attaques contre des journalistes a diminué au fil des ans et que les conditions de travail des journalistes s’améliorent régulièrement.

4.9Dans le cas d’espèce, l’État partie estime qu’il n’est pas douteux que les circonstances décrites dans les rapports susmentionnés et dans la décision de l’Office des migrations ne suffisent pas en elles-mêmes à établir que le renvoi forcé du requérant en République-Unie de Tanzanie constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. Le Comité devrait par conséquent évaluer le risque encouru personnellement par le requérant d’être soumis à la torture après son renvoi en Tanzanie.

4.10L’État partie relève que selon la jurisprudence du Comité, aux fins de l’article 3, l’intéressé doit courir un risque prévisible, réel et personnel d’être torturé dans le pays dans lequel il est renvoyé. En outre, le critère du caractère nécessaire et prévisible doit être interprété à la lumière de l’Observation générale no 1 (1997) sur l’application de l’article 3 de la Convention, dans laquelle le Comité souligne que c’est au requérant qu’il incombe de présenter des arguments défendables. Par ailleurs, l’existence d’un risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons, mais il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable.

4.11L’État partie ajoute que les griefs du requérant ont été examinés conformément à la législation nationale applicable et que plusieurs dispositions de la loi sur les étrangers intègrent le même principe que celui de l’article 3 de la Convention. Ainsi, pour apprécier le risque de torture lorsqu’elles examinent une demande d’asile dans le cadre de la loi, les autorités suédoises compétentes en matière de migrations appliquent le même critère que le Comité applique s’il est amené à examiner ultérieurement une communication en vertu de la Convention. L’État partie souligne qu’il faut tenir compte du fait que les autorités nationales sont très bien placées pour apprécier les informations données par un demandeur d’asile ainsi que ses déclarations et griefs, étant donné qu’elles ont l’avantage d’être en contact direct avec l’intéressé. Compte tenu de ce qui précède, l’État partie affirme qu’il convient d’accorder un grand poids à l’appréciation des autorités suédoises compétentes en matière de migrations, qui dans le cas d’espèce était bien fondée.

4.12En ce qui concerne l’appréciation de la crédibilité des déclarations du requérant, l’État partie appelle l’attention sur le fait que le requérant a présenté au Comité un document qui semble être une fiche médicale, datée du 20 juillet 2002 et établie par l’hôpital municipal de Maswa, en République-Unie de Tanzanie. Or, aucun document de ce type n’a été produit aux autorités compétentes en matière de migrations. L’État partie ajoute qu’en tout état de cause on ne voit pas clairement si le requérant a été examiné par un médecin spécialisé dans les lésions résultant de la torture ni comment l’examen médical a été effectué. L’État partie note en outre que ce document semble être une fiche médicale et non un certificat médical au vrai sens du terme. Le document est vague et ne donne aucun détail concret, par exemple, sur les blessures et la façon dont elles ont pu être causées. En conséquence, l’État partie estime qu’il faut accorder à ce document une valeur très limitée, pour ne pas dire nulle, en tant qu’élément de preuve. En outre, même si l’on considère que ce document suffit à prouver que le requérant a été soumis dans le passé à un traitement pouvant être assimilé à la torture, cela n’est pas une preuve que le requérant court, actuellement, le risque d’être torturé s’il retourne dans son pays d’origine. Au contraire, rien n’indique qu’il subirait un tel traitement à son retour en Tanzanie.

4.13L’État partie estime en outre qu’il y a lieu de douter de la véracité des propos du requérant concernant la période au cours de laquelle il aurait été en détention, en 2002. Il fait observer que le Comité pour la protection des journalistes (dans son rapport sur les attaques contre la presse en 2002, publié le 31 mars 2003) aussi bien que l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (dans une étude juridique comparative sur la législation des médias en Afrique) indiquent que le requérant a été arrêté en 2002, mais seulement pendant quelques heures. Cette information contredit la déclaration du requérant qui a affirmé qu’il était en détention du 30 avril à la fin juin 2002.

4.14L’État partie relève que l’article qui aurait attiré l’attention des autorités tanzaniennes a été publié le 3 août 2008. Or le 27 août 2008 le Bureau des services de contrôle de la police au Ministère tanzanien de l’immigration a délivré un passeport au requérant, trois semaines et demie après la publication de cet article, et le requérant a pu se rendre en toute légalité en Suède. L’État partie considère que le requérant aurait été empêché de quitter son pays d’origine s’il était visé par les autorités. En outre, le requérant a pu travailler comme journaliste et publier des articles après les incidents qui se seraient produits en 2002 et après qu’il lui a été interdit d’écrire sur tout aspect des activités des membres du Gouvernement, en 2007. Selon sa demande de visa du 28 août 2008, le requérant était employé par le Tanzania Daima comme rédacteur. L’État partie estime que tout cela montre clairement que les autorités ne s’intéressaient aucunement au requérant lorsqu’il a quitté son pays et qu’aucune menace ne pèserait sur lui en cas de retour.

4.15L’État partie souligne qu’il s’est écoulé un laps de temps non négligeable depuis les incidents de 2002 et rappelle que si les événements passés peuvent certes avoir une importance, le but principal de l’analyse du Comité est de déterminer si le requérant court actuellement le risque d’être soumis à la torture en cas de renvoi en République-Unie de Tanzanie. À ce sujet, l’État partie souligne que les rapports les plus récents sur les droits de l’homme brossent généralement un tableau assez positif de la situation actuelle des journalistes en Tanzanie. Selon les rapports mentionnés plus haut, les médias indépendants expriment des points de vue très divers et publient des articles critiques à l’égard du Gouvernement sans restriction ni représailles. En outre, lorsque le requérant a quitté la Tanzanie, il était employé par le journal d’opposition Tanzania Daima. Rien n’indique donc qu’il attirerait l’attention des autorités tanzaniennes à cause de ses activités passées en cas de retour dans son pays.

4.16En conclusion, l’État partie estime que les éléments de preuve et les circonstances invoqués par le requérant ne permettent pas d’établir que le risque de torture allégué réunit les conditions requises, c’est-à-dire être un risque prévisible, réel et personnel. Le requérant n’a donc pas apporté de raisons substantielles de croire qu’il courrait un risque réel et personnel d’être soumis à la torture en violation de l’article 3 de la Convention s’il est renvoyé en République-Unie de Tanzanie. En conséquence, l’État partie estime que l’exécution de l’arrêté d’expulsion, dans les circonstances présentes, ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention. Étant donné que le grief tiré de l’article 3 de la Convention ne réunit pas le minimum d’éléments de preuve nécessaires, la communication devrait, selon l’État partie, être déclarée irrecevable parce que manifestement dénuée de fondement.

4.17Considérant que le requérant a quitté la Suède le 20 novembre 2010, l’État partie estime qu’il y a lieu pour le Comité de déterminer si le requérant veut toujours maintenir sa communication. Si le Comité reçoit des informations faisant état du souhait du requérant de ne pas maintenir sa communication, l’État partie invite le Comité à en cesser l’examen.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1En date du 31 mai 2012, le requérant a informé le Comité que la Suède avait procédé à son renvoi forcé en République-Unie de Tanzanie mais qu’il avait réussi à s’échapper à la faveur d’une escale dans un pays tiers. Pour le moment, le requérant se cache dans ce pays tiers. Le 5 juin 2012, il a adressé ses commentaires sur les observations de l’État partie. À propos de la situation générale des droits de l’homme en Tanzanie, il continue d’affirmer que l’État partie ne dispose pas d’une information fiable, authentique, complète et indépendante sur la situation générale dans ce pays. Il note en outre que les rapports du Département d’État des États-Unis sur les pays ne sont pas crédibles, indépendants ou complets. En ce qui concerne la situation des journalistes en Tanzanie, il renvoie à différentes informations, disponibles sur Internet signalant l’interdiction de journaux, des manifestations de journalistes et des perquisitions dans les locaux de journaux indépendants et au domicile de leurs rédacteurs en Tanzanie.

5.2Sur la question de savoir s’il est encore personnellement exposé au risque d’être torturé, le requérant répond que le fait qu’il court un tel risque est une évidence, compte tenu de son expérience antérieure en 2002 et de l’interdiction d’exercer sa profession de journaliste prononcée en 2007. Il note que l’État partie n’a pas apporté de preuves concrètes qu’il ne subirait pas de mauvais traitements en République-Unie de Tanzanie et il ajoute que l’État partie et les autorités compétentes en matière de migrations ont statué sur la base de simples hypothèses.

5.3En ce qui concerne la fiche médicale, le requérant souligne qu’en Afrique il n’y a pas de médecins spécialisés dans les lésions provoquées par la torture.

5.4En conclusion, le requérant explique qu’il souhaite maintenir sa communication au Comité parce qu’il a fait l’objet d’un renvoi forcé et qu’il a encore besoin d’une protection internationale.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la communication est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et il note que, comme l’exige le paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, les recours internes ont été épuisés.

6.3Le Comité a noté que l’État partie objecte que la communication est irrecevable car elle est manifestement dépourvue de fondement. Il considère toutefois que les arguments avancés par le requérant soulèvent des questions importantes au regard de l’article 3 de la Convention, qui devraient être examinées au fond. En conséquence, il ne relève pas d’autres obstacles à la recevabilité, déclare la communication recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant contre son gré en République-Unie de Tanzanie, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou renvoyer un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

7.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait personnellement d’être victime de torture s’il retourne dans son pays d’origine. Pour évaluer ce risque, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que l’individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé serait personnellement en danger. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

7.4Le Comité rappelle son Observation générale no 1 relative à l’article 3, dans laquelle il a établi que l’existence du risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. S’il n’est pas nécessaire de démontrer que le risque couru est «hautement probable», la charge de la preuve incombe généralement au requérant, qui doit présenter des arguments défendables montrant qu’il court «personnellement un risque réel et prévisible». Si, selon son Observation générale, le Comité est libre d’apprécier les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire, il rappelle qu’il n’est pas un organe juridictionnel de premier ou de second degré et qu’il doit accorder un poids considérable aux constatations de fait effectuées par les organes de l’État partie concerné.

7.5En l’espèce, le Comité note que les autorités de l’État partie compétentes en matière de migrations ont tenu compte du fait que le bilan des droits de l’homme en République‑Unie de Tanzanie n’était peut-être pas excellent mais restait modéré sur le plan de la liberté de la presse et du droit à la liberté d’expression. Toutefois, sans sous-estimer les préoccupations qui peuvent légitimement être exprimées à l’égard de la situation actuelle en Tanzanie en ce qui concerne la liberté de la presse et le droit à la liberté d’expression, les autorités et tribunaux compétents de l’État partie ont conclu que la situation prévalant dans ce pays ne suffisait pas en elle-même à établir que le renvoi forcé du requérant dans ce pays entraînerait une violation de l’article 3 de la Convention.

7.6Le Comité note que le requérant affirme avoir été détenu et torturé entre le 30 avril et la fin du mois de juin 2002. Il note également les doutes exprimés à ce sujet par l’État partie qui objecte que, selon des informations crédibles, le requérant n’a été arrêté que pendant quelques heures en 2002 (voir plus haut par. 4.13). Le Comité note en outre que, dans ses commentaires, le requérant n’a pas réfuté expressément cette information.

7.7Le Comité relève également le temps écoulé depuis les incidents de 2002 et rappelle que même si des éléments passés peuvent avoir une certaine importance, le but principal de son analyse est de déterminer si le requérant court actuellement un risque d’être soumis à la torture s’il retourne en République-Unie de Tanzanie. À ce sujet, le Comité note aussi la référence faite par l’État partie au dernier rapport sur les droits de l’homme analysant la situation actuelle des journalistes en Tanzanie (voir plus haut par. 4.15).

7.8Le Comité relève en outre que le requérant n’a pas réfuté les observations de l’État partie concernant le fait que l’article qui aurait selon lui attiré l’attention des autorités tanzaniennes avait été publié le 3 août 2008 mais que, plus tard, le 27 août 2008, le requérant s’était vu délivrer un passeport et avait pu se rendre à l’étranger sans aucun empêchement.

7.9Enfin, en ce qui concerne la fiche médicale jointe à la communication, le Comité fait observer que le requérant n’a pas expliqué pourquoi il n’avait pas présenté ce document aux autorités de l’État partie, et qu’en tout état de cause, le document en question n’apporte aucun élément complémentaire utile sur les mauvais traitements qu’il dit avoir subis.

8.Compte tenu de ce qui précède, et en l’absence de toute autre information pertinente, le Comité constate que le requérant n’a pas montré que son expulsion vers son pays d’origine l’exposerait personnellement à un risque réel et prévisible de torture au sens de l’article 3 de la Convention.

9.En conséquence, le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi forcé du requérant en République-Unie de Tanzanie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra aussi ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]