Nations Unies

CCPR/C/116/D/2314/2013

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

25 mai 2016

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2314/2013 * , **

Communication présentée par :

Y. (représenté par un conseil, Arash Banakar)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Canada

Date de la communication :

6 décembre 2013 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 9 décembre 2013 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

22 mars 2016

Objet :

Expulsion vers Sri Lanka

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Droit à la vie ; torture ; peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; détention arbitraire

Article(s) du Pacte :

6 (par. 1), 7 et 9 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif :

2

1.1L’auteur de la communication, Y., de nationalité sri-lankaise, est né le 25 juillet 1986 et réside au Canada. Il est sous le coup d’une mesure d’expulsion vers Sri Lanka, à la suite du rejet de sa demande d’octroi du statut de réfugié au Canada. Il affirme que le Canada, en l’expulsant de force vers Sri Lanka, violerait les droits qu’il tient des articles 6 (par. 1), 7 et 9 (par. 1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Canada le 19 mai 1976.

1.2Le 9 décembre 2013, conformément à l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a prié l’État partie de surseoir à l’expulsion de l’auteur vers Sri Lanka tant que la communication serait à l’examen.

Exposé des faits

2.1Y. est un Tamoul de confession hindoue originaire de la province du nord de Sri Lanka (Jaffna). Il affirme que, pendant la guerre civile à Sri Lanka, il a été agressé à plusieurs reprises en raison de ses activités de photographe de presse axées sur des manifestations et célébrations publiques, et sur les tragédies humaines dont était quotidiennement victime la population tamoule, comme des enlèvements, des menaces de mort, des tirs d’armes à feu et des disparitions à bord de fourgonnettes blanches. Il indique qu’à partir d’octobre 2006, il a pris des photographies pour le journal Uthayan, dans le district de Valikamam (région occidentale), et qu’il a aussi vendu des clichés au journal Namathi Eelandu. Cette activité a attiré l’attention des autorités, notamment du Parti démocratique populaire de l’Eelam. L’auteur dit avoir été arrêté une première fois en février 2007 lors d’une manifestation organisée pour protester contre les enlèvements et les exécutions. Son appareil lui a été confisqué et il a été enfermé dans un camp militaire à Uduvil. Il a été interrogé à propos de ses liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul et de son travail journalistique, il lui a été fermement déconseillé de participer à des manifestations sensibles et on lui a dit qu’il devait se borner à photographier des événements publics comme des cérémonies d’inauguration. Pendant sa détention, l’auteur a été sauvagement agressé, frappé roué de coups de pied. Victime d’une fracture au bras droit, il s’est évanoui à cause de la douleur. À une date non précisée, il a été abandonné sur une route.

2.2L’auteur a continué de photographier des actes de brutalité dans la région. Ses clichés étaient publiés sous des pseudonymes. Le 19 décembre 2007, alors qu’il rentrait chez lui, l’auteur a été arrêté par trois hommes. Ceux-ci l’ont emmené de force dans un camp militaire, où ils l’ont menacé en pointant une arme sur sa tête. L’auteur est resté détenu pendant six jours, durant lesquels il a été interrogé et menacé. Il a ensuite été libéré avec l’aide de sa mère. En 2008, il a déposé une demande de passeport pour quitter le pays, mais il a essuyé un refus. Il a donc continué à travailler, mais vivait constamment dans la peur. En septembre 2009, la police a perquisitionné à son domicile et obligation lui a été faite de se présenter au poste de police une fois par semaine. L’auteur affirme que chaque fois qu’il s’y rendait, il était harcelé et menacé par les policiers et les membres du Parti démocratique populaire qui étaient présents. Cette obligation hebdomadaire a pris fin en avril 2011. En mai 2011, des hommes en civil ont tenté de l’enlever à son domicile, mais ils y ont renoncé lorsque des voisins sont intervenus. Ces hommes lui ont dit de cesser de travailler pour le journal. Craignant pour sa vie, l’auteur a quitté Sri Lanka en juillet 2011.

2.3L’auteur est arrivé au Canada le 17 octobre 2011 et a déposé une demande d’asile. Le 12 février 2013, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande, estimant que différents aspects de son récit n’étaient pas crédibles. Premièrement, l’auteur ne pouvait établir qu’il avait été journaliste ou photographe professionnel, démontrer qu’il était lauréat des prix de la photographie qu’il prétendait avoir remportés, ni répondre à des questions portant sur une connaissance élémentaire de la photographie, ce qui faisait douter de sa bonne foi. Ainsi, l’auteur n’avait pas été capable de répondre à la question de savoir comment photographier en basse lumière. Tout en reconnaissant les problèmes de traduction posés par l’emploi de termes techniques dans ces questions, la Commission a conclu que les réponses de l’auteur n’établissaient pas qu’il était, comme il le prétendait, photographe professionnel. Deuxièmement, la Commission a estimé que l’auteur ne vivait probablement pas à Sri Lanka à la fin de la guerre civile, car il ne pouvait relater précisément ce qui s’était passé dans le pays durant cette période, concernant notamment les élections présidentielle et législatives de 2010. La Commission a considéré que, s’il avait été photographe, l’auteur aurait dû avoir connaissance de ces événements. Troisièmement, l’auteur n’a pas été en mesure de faire état d’un problème précis qu’il aurait eu avec le Parti démocratique populaire de l’Eelam, prétendant seulement que les membres de ce parti n’appréciaient pas le fait qu’il prenne des photos pour le journal. Même si la Commission admettait qu’il était très dangereux d’exercer la profession de journaliste à Jaffna, l’auteur était tout au plus un photographe de personnes décédées dans un secteur de Jaffna qui ne remettait pas en cause la politique ni les actions du Gouvernement. La Commission attendait donc de l’auteur qu’il étaye ses allégations par des éléments probants, des documents prouvant qu’il avait travaillé pour le journal Uthayan, comme une lettre que celui-ci, en tant qu’employeur, lui aurait adressée, des bulletins de salaire établis par le journal ou des photographies publiées sous son nom, ce que l’auteur n’a pas fait. La Commission n’a pas accordé d’importance à la carte de presse de l’auteur, considérant que la contrefaçon de tels documents est fréquente à Sri Lanka.

2.4La Commission de l’immigration et du statut de réfugié a aussi indiqué que, à supposer qu’elle considère comme véridiques les allégations de l’auteur, celui-ci n’obtiendrait pas le statut de réfugié, car il ne pouvait pas établir que son travail était de nature à attirer l’attention du Gouvernement. Elle a cité des rapports indiquant que seuls les journalistes que le Gouvernement sri-lankais considérait comme militants ou occupant une position d’influence risqueraient d’être persécutés en cas de renvoi à Sri Lanka, ce qui n’était pas le cas de l’auteur. De plus, le fait d’être un Tamoul de Jaffna et demandeur d’asile débouté ne justifierait pas l’octroi du statut de réfugié, car des rapports indiquaient que, depuis la fin des hostilités, les Sri-Lankais originaires du nord du pays n’avaient plus besoin de protection et que des milliers de demandeurs d’asile déboutés avaient déjà été renvoyés à Sri Lanka « dans des conditions généralement sûres ».

2.5L’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes disponibles, vu que le seul recours qui lui était ouvert était la saisine de la Cour fédérale qui, le 29juillet 2013, a rejeté sa demande d’autorisation de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Il ajoute qu’à l’époque où il a présenté sa communication au Comité, il ne remplissait pas les conditions requises pour présenter une demande d’examen des risques avant renvoi, ni une demande de résidence permanente pour motifs d’ordre humanitaire, car une disposition de la loi interdisait la soumission de telles demandes avant l’écoulement d’un délai d’un an à compter de la décision de refus de l’asile.

2.6À compter du 12 février 2014, l’auteur remplissait les conditions requises pour engager la procédure d’examen des risques avant renvoi. Le 19 mars 2014, il a soumis sa demande, qui a été rejetée le 17 avril 2014. L’agent qui a procédé à l’examen des risques avant renvoi a estimé que l’auteur avait repris un grand nombre des allégations qu’il avait formulées devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. L’agent a aussi rejeté la plupart des éléments de preuve présentés par l’auteur, considérant que certains avaient déjà été soumis à la Commission, ou qu’ils étaient antérieurs à la décision de celle‑ci, ou qu’aucune explication satisfaisante ne justifiait leur soumission tardive, ou qu’ils étaient dénués de pertinence et ne pouvaient donc pas être pris en considération dans le contexte d’une demande d’examen des risques avant renvoi. À cet égard, l’État partie fait référence à : a) un certificat médical daté du 12 mars 2007 indiquant que l’auteur a été traité dans un hôpital de Jaffna, à la suite d’une agression ayant provoqué des lésions et la fracture d’un bras ; b) des photographies des blessures de l’auteur ; c) une attestation de la mère de l’auteur datée du 23 novembre 2012, confirmant les faits invoqués à l’appui de la demande d’asile ; d) une lettre non datée de Mme S. dans laquelle celle-ci déclare qu’elle connaît l’auteur depuis l’époque de sa scolarité, qu’il est un homme honnête sans aucune activité antisociale ou antigouvernementale, et qu’il travaillait habituellement comme photographe pour les médias. Seules deux nouvelles pièces ont été acceptées : une lettre datée du 20 mai 2013 signée du rédacteur en chef du journal Uthayan, attestant que l’auteur avait travaillé pour le journal d’octobre 2006 à mai 2011 comme photojournaliste, et une lettre de la Commission des droits de l’homme de Sri Lanka datée du 6 décembre 2013, concernant une plainte déposée par la mère de l’auteur le 27 septembre 2013, indiquant que des soldats et des « jeunes hommes armés » étaient venus la veille chez elle pour demander où se trouvait l’auteur. Dans cette lettre, il est déconseillé à l’auteur de revenir à Sri Lanka car il serait « certainement repéré par les forces de sécurité et que l’on s’en prendrait à lui ».

2.7L’agent qui a procédé à l’examen des risques avant renvoi a estimé que la situation dans le pays n’avait pas évolué de manière notable depuis la décision de la Commission, et que seules les personnes considérées comme des critiques ou des opposants du Gouvernement courraient un risque en cas de renvoi. Il lui incombait donc de déterminer si l’auteur avait démontré qu’il était effectivement lui-même un critique du Gouvernement, ou était considéré comme tel. L’agent a conclu que cela ne ressortait pas des éléments produits. Il a estimé que la lettre émanant de l’Uthayan n’était pas digne de foi parce que l’auteur n’avait pas expliqué de façon plausible pourquoi il n’avait pas pu l’obtenir plus tôt. L’agent a aussi considéré que, même si la lettre était authentique, elle n’étayait pas les dires de l’auteur concernant le risque qu’il courrait, car elle n’indiquait pas que l’auteur serait vu comme un critique ou un opposant du Gouvernement et donc exposé à un risque réel à Sri Lanka. Pour ce qui est de la lettre de la Commission des droits de l’homme de Sri Lanka, l’agent a mis en doute son authenticité au vu de son ton peu professionnel, et été d’avis qu’elle n’établissait pas que l’auteur courrait un risque en cas de renvoi. Enfin, il a estimé, comme la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, que le fait d’être un homme tamoul originaire du nord de Sri Lanka ne constituait plus un facteur de risque. Le 19 juin 2014, l’auteur a saisi la Cour fédérale d’une demande d’autorisation de contrôle judiciaire de la décision de rejet de sa demande d’examen des risques avant renvoi. La Cour a rejeté cette demande le 7 octobre 2014, sans motif.

2.8Après le rejet de sa demande d’examen des risques avant renvoi, l’auteur a été avisé par l’Agence des services frontaliers du Canada qu’il devait demander un nouveau passeport. Il s’est rendu au Haut-Commissariat de Sri Lanka à Ottawa pour demander un nouveau passeport, mais sa demande a été rejetée parce que le Haut-Commissariat ne fournit pas de documents aux détenteurs de certains types de permis de travail − liés à la procédure d’asile −, comme celui que possédait l’auteur. L’auteur a été informé que seule l’Agence des services frontaliers du Canada pouvait demander un passeport pour les personnes dans ce type de situation. Le 15 octobre 2013, l’auteur s’est entretenu avec des représentants de l’Agence des services frontaliers du Canada, qui lui ont dit que celle-ci demanderait un document de voyage en son nom aux autorités sri-lankaises.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur soutient que les autorités canadiennes, en le renvoyant de force à Sri Lanka, violeraient les droits qu’il tient des articles 6 (par. 1), 7 et 9 (par. 1) du Pacte. Il affirme qu’il serait soumis à des mauvais traitements en raison de son profil, caractérisé par les traits suivants : a) il est un Tamoul de Jaffna ; b) il est un demandeur d’asile débouté ; c) il était photojournaliste pour le journal Uthayan, qui est considéré comme critique envers le Gouvernement et a été à plusieurs reprises ciblé pour cette raison ; d) il a été victime d’agressions à plusieurs reprises pendant la guerre civile à Sri Lanka ; e) il serait renvoyé de force à Sri Lanka pourvu d’un document de voyage délivré par le Haut-Commissariat de Sri Lanka à la demande des autorités canadiennes.

3.2L’auteur affirme que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a agi de façon abusive et a contrevenu à l’équité procédurale en concluant qu’il n’avait pas établi sa qualité de photojournaliste pour l’Uthayan ou tout autre journal parce qu’il avait une connaissance insuffisante des appareils photographiques et de la photographie. Il soutient que le membre de la Commission qui avait posé des questions à ce propos employait des mots que l’interprète ne pouvait pas traduire en langue tamoule. Il précise que la Commission a reconnu ces problèmes d’interprétation dans sa décision, et qu’il aurait pu répondre aux questions s’il les avait comprises. L’auteur dit aussi que c’est à tort que la Commission a douté de sa crédibilité. Comme il l’a dit devant la Commission, ses photos avaient été publiées sous différents pseudonymes pour des raisons de sécurité, et il n’avait pas de reçus du journal parce que, conformément à la pratique suivie par celui-ci, il était rémunéré en espèces. Il ajoute qu’il n’a pas été en mesure d’obtenir une lettre du journal avant l’audience de la Commission, parce que le chef du service photographique avait quitté ses fonctions. L’auteur a également expliqué à la Commission qu’il avait en vain tenté d’appeler le journal et que sa sœur et sa mère s’étaient rendues au siège de l’Uthayan pour demander un certificat de travail mais que deux policiers leur avaient barré l’accès des bureaux. Il avait fourni une lettre de l’un de ses anciens collègues du journal Uthayan confirmant qu’il avait travaillé au journal, mais cela n’avait même pas été mentionné dans la décision de la Commission.

3.3Selon l’auteur, l’argument de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié qui considère que sa carte de presse est fausse parce que la contrefaçon de ce type de documents est fréquente à Sri Lanka est insuffisant. L’auteur affirme que la Commission elle-même admet dans sa jurisprudence que la preuve d’une pratique répandue de fabrication de faux documents dans un pays n’est pas en soi suffisante pour justifier le rejet de documents étrangers. L’auteur conteste également la conclusion de la Commission qui a estimé qu’il ne présentait pas le profil de quelqu’un qui serait pris pour cible par le Parti démocratique populaire de l’Eelam, ou par la police, s’il était renvoyé à Sri Lanka. Selon lui, la Commission n’a pas pris en considération le fait qu’il avait été visé parce qu’il travaillait pour un journal qui passe pour critique du Gouvernement et qui pour cette raison a fait l’objet d’attaques répétées, en rejetant à ce sujet les affirmations dûment étayées de l’auteur.

3.4L’auteur fait valoir que, bien que la guerre civile soit terminée, les arrestations et détentions arbitraires, les enlèvements, extorsions, tortures et assassinats restent très répandus à Sri Lanka et que des personnes ayant le même profil que lui continuent d’être prises pour cible. Il cite plus particulièrement des rapports de Reporters sans frontières et des articles de presse indiquant que les professionnels des médias risquent sérieusement d’être agressés ou tués à Sri Lanka. Selon lui, ces actes restent impunis, et la simple existence d’un gouvernement démocratique et d’un système juridique ne peut être considérée comme assurant une quelconque protection. L’auteur ajoute que les hommes tamouls qui sont expulsés vers Sri Lanka sont exposés à un risque particulièrement élevé de persécution. En outre, le risque que court l’auteur d’être arrêté à son arrivée et soumis à des mauvais traitements ou à la torture est aggravé par la manière dont les autorités canadiennes ont traité son cas, puisque c’est l’Agence des services frontaliers du Canada qui a pris contact avec le Haut-Commissariat de Sri Lanka à Ottawa pour faire en sorte qu’il obtienne un document de voyage.

3.5L’auteur dit que sa demande d’autorisation de contrôle judiciaire de la décision négative de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a été rejetée sans motif et sans aucun recours possible. Il soutient donc qu’il ne lui a jamais été offert de réelle possibilité de contester cette décision au fond ni de produire toutes les pièces justificatives utiles à l’appui de ses griefs, et qu’il ne lui a pas été possible de présenter une demande d’examen des risques avant renvoi pour des raisons de délai.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 19 décembre 2014, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il estime que la communication devrait être déclarée irrecevable parce que : a) l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles ; b) l’allégation de l’auteur, qui prétend que son renvoi à Sri Lanka violerait l’article 9 (par. 1) du Pacte, est incompatible avec la teneur de cette disposition, en contravention avec l’article 3 du Protocole facultatif et l’article 96 d) du Règlement intérieur du Comité ; c) les griefs que l’auteur tire de deux instruments internationaux autres que le Pacte sont incompatibles avec l’article 3 du Protocole facultatif et l’article 96 d) du Règlement intérieur du Comité ; et d) les griefs de l’auteur sont mal fondés. L’État partie considère aussi qu’il appartient généralement aux autorités internes d’apprécier les faits et les éléments de preuve, et il indique que l’auteur n’a communiqué au Comité aucun élément de preuve qui n’ait pas déjà été présenté aux autorités canadiennes au cours de la procédure d’asile.

4.2L’État partie estime que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes, car il n’a pas présenté de demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire alors que ce recours lui était ouvert dès le 12février 2014. L’État partie affirme que la demande pour considérations d’ordre humanitaire est un recours utile qui a des chances raisonnables d’aboutir ; il s’agit en effet d’un réexamen général et discrétionnaire du dossier par un responsable qui peut décider s’il est possible d’accorder à une personne le statut de résident permanent dans les cas où celle-ci se heurterait à des difficultés inhabituelles ou injustifiées en raison de la règle exigeant que les demandes de visa permanent soient effectuées en dehors du Canada. Ces décisions sont susceptibles de révision, moyennant une autorisation, par la Cour fédérale. L’État partie indique que l’auteur aurait pu exercer ce recours pour prouver ses liens familiaux au Canada, où il a un oncle, et exposer les difficultés qu’il risquerait de rencontrer en cas de renvoi à Sri Lanka. L’État partie indique que, même si la procédure de demande pour considérations d’ordre humanitaire n’entraîne pas automatiquement un sursis à l’expulsion, l’auteur pourrait saisir la Cour fédérale d’une requête tendant à ce qu’un tel sursis soit ordonné par décision judiciaire tant que sa demande est en cours d’examen. L’État partie regrette que, dans des constatations récentes, le Comité ait considéré que les demandes pour considérations d’ordre humanitaire ne constituent pas des recours qui devraient être épuisés aux fins de la recevabilité.

4.3L’État partie soutient que le grief de l’auteur, selon qui l’article 9 (par. 1) du Pacte serait violé s’il était renvoyé à Sri Lanka, est irrecevable, car il est incompatible avec la teneur de cet article. Il affirme que l’article 9 (par. 1) n’impose pas aux États l’obligation de ne pas expulser des personnes qui courent un risque réel de détention arbitraire dans le pays de renvoi. En conséquence, même si l’auteur démontrait qu’il serait soumis à une détention contraire à l’article 9 (par. 1) à Sri Lanka, ce que réfute l’État partie, la responsabilité du Canada ne serait pas engagée. L’État partie dit n’avoir connaissance d’aucune décision du Comité dans laquelle celui-ci constaterait que le renvoi d’une personne viole un droit consacré dans le Pacte autre que les droits garantis aux articles 6 et 7 ; il estime donc que le Comité devrait déclarer irrecevable le grief que l’auteur tire de l’article 9 (par. 1).

4.4L’État partie ajoute que la communication devrait être déclarée irrecevable parce que les griefs de l’auteur sont manifestement infondés. Il fait valoir qu’il appartient généralement aux autorités internes d’apprécier les faits et les éléments de preuve, sauf s’il peut être établi que la conduite de la procédure en cause ou l’appréciation des faits et des éléments de preuve a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice, ce qui n’est pas le cas dans la présente communication. Tous les éléments de preuve présentés au Comité ont été précédemment examinés par les autorités internes et l’auteur n’a soumis au Comité aucun élément ni fait nouveau qui pourrait démontrer qu’il courrait un risque réel s’il était renvoyé à Sri Lanka. L’État partie estime que le Comité devrait accorder le crédit voulu aux décisions des autorités internes, en particulier de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié qui a estimé que l’auteur n’avait pas étayé la plupart de ses allégations relatives à son passé à Sri Lanka.

4.5L’État partie indique que l’aspect le plus plausible du récit de l’auteur est qu’il a réalisé quelques clichés pour le journal Uthayan pendant plusieurs mois à partir de la fin 2006. Il se peut aussi que l’auteur ait été maltraité par des soldats de l’armée sri-lankaise en février 2007. Cependant, l’auteur a été incapable de fournir une quelconque preuve de son travail en tant que photographe professionnel. L’État partie estime qu’aucun des documents produits n’a prouvé de manière crédible la réalité de son travail pour l’Uthayan entre 2006 et 2011. Pour ce qui est de la carte de presse datée du 1er janvier 2011 délivrée par ce journal, l’État partie dit qu’il s’agit vraisemblablement d’un faux, et que cela ne cadre pas avec les dires de l’auteur, qui a affirmé qu’il avait recours à un intermédiaire. S’agissant des photographies montrant l’auteur recevant un prix en 2006, l’État partie fait remarquer qu’elles ne démontrent pas qu’un prix lui aurait été attribué pour son travail de photographe. Quant à la lettre du 20 mai 2015 signée du rédacteur en chef de l’Uthayan indiquant que l’auteur a travaillé pour le journal en tant que photojournaliste du 8 octobre 2006 au 3 mai 2011, l’État partie ne la considère pas comme un document fiable car, vu que l’auteur aurait travaillé sous un pseudonyme et en recourant à un intermédiaire, le rédacteur en chef ne le connaissait probablement pas, et la lettre ne donne aucune explication à cet égard. En outre, l’auteur n’a fourni aucune raison plausible pour expliquer pourquoi cette lettre n’avait pas été présentée aux autorités canadiennes au premier stade de la procédure d’asile. De plus, cette lettre est probablement un faux établi en réaction aux conclusions de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié quant au manque de crédibilité de l’auteur et à l’absence de corroboration de ses dires. Pour ce qui est de la lettre de N. R. du 21 novembre 2012 dans laquelle le signataire dit avoir travaillé avec l’auteur pour l’Uthayan entre la fin 2006 et août 2007, l’État partie pense qu’elle est peut-être authentique, mais qu’elle démontrerait seulement que l’auteur a travaillé pour le journal pendant quelques mois entre 2006 et 2007, mais pas au-delà du premier semestre 2007. En ce qui concerne l’attestation du 23 novembre 2012 signée de la mère de l’auteur, dans laquelle celle-ci confirme la plupart des allégations de l’auteur, l’État partie estime que ce document n’est pas fiable car il n’apporte aucune preuve de source indépendante et ne fournit aucune explication plausible des raisons pourquoi il a été produit à la fin de la procédure d’asile. Selon l’État partie, il s’agit vraisemblablement d’un faux établi pour étayer les allégations de l’auteur, à la suite de ce qu’il avait déclaré dans son formulaire de renseignements personnels. Enfin, l’État partie affirme que la lettre non datée de Mme S. indiquant qu’elle connaissait l’auteur et que celui-ci était photojournaliste est, elle aussi, vraisemblablement un faux établi pour justifier les allégations de l’auteur.

4.6L’État partie admet que l’auteur a apparemment été blessé en février 2007, peut-être par des soldats de l’armée sri-lankaise. Il considère néanmoins que rien ne prouve que ces blessures aient eu un lien avec le travail de photographe de l’auteur pour le journal, et que, même si les blessures étaient graves, elles ne relevaient pas de la torture. De plus, il soutient que l’auteur n’a pas étayé ses allégations de harcèlement, de détention et de mauvais traitements de la part de différents agents publics ou groupes associés de décembre 2007 à juillet 2011, pas plus qu’il n’a produit de pièces justificatives, comme un certificat médical ou des documents prouvant qu’il avait dû se présenter chaque semaine au poste de police pendant plus de dix-huit mois. Selon l’État partie, le récit de l’auteur relatif à cette période manque de précision, l’auteur s’étant borné à indiquer qu’il avait dû vivre en différents lieux pour des raisons de sécurité. L’État partie estime que l’on peut douter que l’auteur ait effectivement séjourné à Jaffna, ou à Sri Lanka, après 2007 ou 2008 au plus tard.

4.7L’État partie ne conteste pas le fait que des journalistes sont actuellement en danger à Sri Lanka, notamment les journalistes travaillant pour l’Uthayan. Il estime cependant que l’auteur n’a pas démontré que son travail pour ce journal, axé sur des questions locales, pouvait attirer l’attention des autorités nationales, en particulier s’il publiait ses clichés sous un pseudonyme. En outre, les informations d’ordre général consultées par l’État partie ne portent pas à croire que des personnes ayant travaillé autrefois pour l’Uthayan courraient un risque en cas de renvoi à Sri Lanka, car les rapports de pays indiquent que seuls les journalistes travaillant actuellement à Sri Lanka sont en danger. En conséquence, l’auteur ne serait exposé à aucun risque réel puisqu’il dit avoir collaboré avec le journal il y a plusieurs années. L’État partie soutient aussi que l’auteur n’a nullement prouvé qu’il serait encore recherché par les autorités en raison de sa collaboration avec le journal, et estime que la lettre de la Commission des droits de l’homme de Sri Lanka où il est dit que des soldats de l’armée sri-lankaise seraient venus au domicile de l’auteur en septembre 2013 pour demander où celui-ci se trouvait, reprend simplement les informations prétendument communiquées par la mère de l’auteur à la Commission.

4.8L’État partie considère aussi que l’auteur n’a pas établi le risque qu’il courrait s’il était renvoyé de force à Sri Lanka en raison de son profil de jeune Tamoul originaire du nord et demandeur d’asile débouté, ni que ce profil conduirait les autorités à penser qu’il a eu, ou qu’il a, des liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul. L’État partie note que l’auteur n’a jamais revendiqué aucun lien avec ce groupe et pense que sa simple qualité de Tamoul originaire du nord ne l’exposerait pas un risque réel. De plus, le fait qu’il soit un demandeur d’asile débouté aura pour seule conséquence éventuelle qu’il sera obligé de répondre à davantage de questions. L’État partie affirme que l’auteur ne serait pas soupçonné d’avoir des liens importants avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul, puisqu’il n’a jamais revendiqué de tels liens et qu’il n’a évoqué ce groupe qu’une seule fois, au cours de sa détention par l’armée sri-lankaise en février 2007. À cette occasion, les soldats lui auraient demandé s’il avait des liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul, ce qu’il a nié. Selon l’État partie, en admettant même que ce récit soit crédible, rien n’indique que les autorités sri-lankaises penseraient sérieusement que l’auteur a été lié à ce groupe. L’État partie considère donc que le grief sur ce point est seulement éventuel.

4.9À propos de l’allégation de l’auteur qui affirme que le risque serait d’autant plus grand pour lui que son document de voyage a été délivré par les autorités sri-lankaises à la demande des autorités canadiennes, l’État partie renvoie aux rapports de pays qui indiquent que cette circonstance ne constitue pas un facteur de risque. Selon ces rapports, lorsqu’elles reçoivent la demande de délivrance d’un document de voyage, les autorités sri-lankaises peuvent rechercher dans leurs dossiers si la personne concernée a actuellement des liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul mais elles ne s’intéressent qu’aux individus qui représentent réellement une menace pour l’État unitaire sri-lankais ou son Gouvernement. Puisque tel n’est pas son cas, l’auteur ne ferait pas l’objet d’un examen plus poussé. En réponse à l’argument de l’auteur qui prétend qu’il serait pris pour cible par les membres du Parti démocratique populaire de l’Eelam s’il était renvoyé à Sri Lanka, l’État partie indique qu’après la fin du conflit, les groupes paramilitaires, dont ce Parti, sont devenus des bandes criminelles dont le principal moyen d’action est l’extorsion. Étant donné que le Parti démocratique populaire de l’Eelam semble concentrer ses opérations dans le nord de Sri Lanka, l’État partie estime qu’en cas de harcèlement ou d’extorsion de la part de ce groupe, l’auteur pourrait s’installer dans une autre partie du pays, par exemple à Colombo.

4.10L’État partie soutient qu’une décision du Comité déclarant la communication recevable serait totalement infondée. Il réaffirme que les griefs de l’auteur ne sont pas étayés, faute de crédibilité et d’éléments corroborant ses dires. Il répète que l’auteur a tout au plus collaboré à l’Uthayan par quelques clichés entre fin octobre 2006 et 2007 et qu’il se peut qu’il ait été placé en détention et maltraité en 2007. L’auteur n’a cependant pas pu démontrer qu’il avait été détenu par des soldats de l’armée sri-lankaise en raison de son travail pour le journal, ni qu’il avait vécu à Sri Lanka de 2007 à 2008 et en 2011. L’État partie estime que, même si le Comité acceptait la version des faits donnée par l’auteur, la communication n’en serait pas moins dépourvue de fondement, car rien ne porte à croire que du fait de sa collaboration passée avec le journal, quelle qu’elle ait été, l’auteur courrait un risque s’il rentrait dans le pays maintenant, de nombreuses années plus tard. Les allégations de l’auteur relatives à son profil ne sont pas acceptables non plus, car sa double qualité de Tamoul du nord et de demandeur d’asile débouté ne lui ferait pas en elle-même courir un risque de dommage irréparable, vu qu’il n’a aucun lien réel ou supposé avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul.

4.11Enfin, l’État partie fait valoir que les allégations de l’auteur concernant le manque d’équité de la procédure d’asile, en particulier l’impossibilité de faire réexaminer au fond la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, ne relèvent pas du champ d’application du Pacte parce qu’elles concernent l’efficacité de la procédure d’asile de manière générale. De plus, ces allégations sont dépourvues de fondement parce que le Comité a reconnu que le contrôle judiciaire par la Cour fédérale constituait un recours interne utile, qui aurait donc dû être épuisé par l’auteur.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 11 janvier 2016, l’auteur a fait parvenir ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il conteste l’argument de l’État partie qui affirme qu’il n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles parce qu’il n’a pas présenté de demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. L’auteur estime que ce recours n’est pas pertinent aux fins de la recevabilité parce que, comme le Comité l’a indiqué dans l’affaire Shakeel c. Canada, « cette demande ne protège pas l’auteur d’une expulsion […], et qu’on ne saurait donc dire qu’elle constitue pour lui un recours utile ».

5.2En ce qui concerne l’affirmation de l’État partie, qui prétend que la communication est manifestement infondée, l’auteur répète ses arguments relatifs au risque qu’il courrait en cas de renvoi à Sri Lanka : a) il a travaillé pour le journal Uthayan, qui est considéré comme « l’organe » des Tigres de libération de l’Eelam tamoul ; b) il est un Tamoul ; c) il a 30 ans ; d) il est originaire de la province du nord de Sri Lanka ; e) il est un demandeur d’asile débouté ; f) il serait renvoyé de force à Sri Lanka muni d’un document de voyage temporaire obtenu par l’intermédiaire du Haut-Commissariat de Sri Lanka à Ottawa. L’auteur se fonde sur les éléments précédemment communiqués au Comité et y ajoute ceux qui sont devenus disponibles après la présentation de sa plainte.

5.3Selon l’auteur, des preuves documentaires confirment que, bien que le conflit ait pris fin, les Tamouls subissent encore de graves violations des droits de l’homme à Sri Lanka. Il est prouvé que les Tamouls jeunes et d’âge moyen, en particulier dans le nord et l’est du pays, sont encore fréquemment victimes de harcèlement par les forces de sécurité et des groupes paramilitaires. Les Tamouls sont aussi touchés de manière disproportionnée par les détentions arbitraires, exécutions extrajudiciaires, disparitions forcées, viols en détention, actes de torture et détentions prolongées sans procès. L’auteur ajoute que, si le seul fait d’être un Tamoul ne saurait justifier sa peur d’être persécuté, ce fait conjugué à d’autres facteurs étaye solidement sa crainte d’être exposé à un risque réel en cas de renvoi à Sri Lanka.

5.4Le fait que l’auteur soit un demandeur d’asile débouté est l’un de ces autres facteurs. L’auteur indique que des Tamouls qui ont été renvoyés de force ou sont rentrés de leur plein gré à Sri Lanka ont été victimes de mauvais traitements et de torture. Il cite un rapport d’une organisation non gouvernementale qui a réuni des preuves sur des cas de torture à Sri Lanka qui se sont produits même après la fin du conflit. Selon ce rapport, les actes de torture prenaient notamment la forme de traumatismes infligés par une force contondante, de brûlures, de sévices sexuels, de suffocation et d’asphyxie, de contrainte, de pendaison, de suspension et de torture psychologique. Dans 96 % des cas, les victimes de ces actes de torture étaient des Tamouls qui avaient des liens réels ou supposés avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul. Selon les conclusions du rapport, des personnes d’origine tamoule qui n’avaient que des liens distants avec ce groupe, voire étaient simplement soupçonnées d’entretenir de tels liens, ont été détenues et torturées.

5.5L’auteur évoque également le processus de contrôle des Tamouls à leur retour à l’aéroport, où le Criminal Investigation Department est présent 24 heures sur 24. Selon les documents de référence qu’il cite, les Haut-Commissariats de Sri Lanka à l’étranger enverraient des indications détaillées concernant les personnes expulsées vers Colombo. Les personnes suspectes sont d’abord interrogées à l’aéroport, où les agents n’hésitent pas à recourir à la violence. Lorsqu’il apparaît qu’une personne a demandé l’asile, elle est considérée comme traître et même si elle est laissée en liberté, elle reste sous surveillance et peut être arrêtée à tout moment. Ceux qui sont soupçonnés d’avoir des liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul ou les médias risquent tout particulièrement d’être emprisonnés. Les Tamouls du nord et de l’est, et les personnes âgées de 20 à 40ans subissent encore davantage de contrôles. Il est établi que de nombreux Tamouls ont été arrêtés à leur retour de l’étranger et que les arrestations sont le plus souvent accompagnées de torture. C’est pourquoi l’auteur considère qu’il serait exposé à un risque réel de violation des articles 6 (par.1), 7 et 9 (par.1) du Pacte en cas de renvoi à Sri Lanka.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte formulée dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que l’auteur d’une communication doit faire usage de tous les recours judiciaires disponibles pour satisfaire à la prescription énoncée au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, pour autant que ces recours semblent être utiles en l’espèce et lui soient ouverts de facto. Le Comité note que l’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes utiles qui lui étaient ouverts. Il prend également note de l’argument de l’État partie qui soutient que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes puisqu’il n’a pas présenté de demande pour considérations d’ordre humanitaire, ce qu’il aurait pu faire dès février 2014. Le Comité note cependant que cette demande ne protège pas l’auteur d’une expulsion vers Sri Lanka, et ne peut donc être considérée comme un recours utile. En conséquence, il considère qu’il n’est pas empêché par les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif d’examiner la présente communication.

6.4Le Comité prend aussi note de l’argument de l’État partie qui affirme que les griefs que l’auteur tire de l’article 6 (par. 1) et de l’article 7 du Pacte devraient être déclarés irrecevables en ce qu’ils sont manifestement mal fondés. Il note que l’auteur a exposé les raisons pour lesquelles il craint d’être renvoyé à Sri Lanka, en se fondant sur ce qu’il a vécu avant son départ de Sri Lanka, et le fait qu’il est un Tamoul et a été débouté de sa demande d’asile. Le Comité considère qu’aux fins de la recevabilité, l’auteur a produit suffisamment d’informations détaillées et de preuves documentaires pour démontrer qu’il risquerait personnellement d’être tué, maltraité ou torturé, et il déclare cette partie de la communication recevable.

6.5S’agissant des griefs que l’auteur tire de l’article 9 (par.1) du Pacte, le Comité relève l’argument de l’État partie qui affirme que son obligation de non-refoulement ne s’étend pas aux cas de violation potentielle de cette disposition et que ces griefs sont donc irrecevables parce qu’ils sont incompatibles avec la teneur de cette disposition. Le Comité estime que l’auteur n’a pas clairement expliqué en quoi son renvoi à Sri Lanka contreviendrait aux obligations incombant à l’État conformément à cet article. En conséquence, le Comité conclut que l’auteur n’a pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les allégations qu’il formule au titre du paragraphe 1 de l’article 9, et déclare donc cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6Le Comité déclare par conséquent que la communication est recevable en ce qu’elle semble soulever des questions au regard de l’article 6 (par. 1) et de l’article 7 du Pacte, et il procède à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité rappelle son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans laquelle il mentionne l’obligation des États parties de ne pas extrader, déplacer ou expulser une personne ou la transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, tel que celui envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité a également précisé que le risque devait être personnel et qu’il fallait des motifs sérieux de conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. C’est pourquoi tous les faits et circonstances pertinents doivent être pris en considération, notamment la situation générale des droits de l’homme dans le pays d’origine de l’auteur.

7.3Le Comité rappelle sa jurisprudence, dont il ressort qu’il convient d’accorder un poids suffisant à l’analyse à laquelle a procédé l’État partie et que, d’une manière générale, c’est aux organes des États parties d’examiner les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce afin de déterminer l’existence d’un tel risque, sauf s’il peut être établi que l’appréciation des éléments de preuve a été arbitraire ou manifestement entachée d’erreur, ou qu’elle a représenté un déni de justice.

7.4Le Comité note que, selon l’auteur, l’État partie n’aurait pas tenu compte du fait que le risque qu’il courrait en cas de renvoi à Sri Lanka serait le résultat d’une conjonction de facteurs dont chacun ne peut être examiné isolément. L’auteur est un Tamoul du nord et un demandeur d’asile débouté qui a travaillé pour un journal considéré comme un soutien des Tigres de libération de l’Eelam tamoul et un critique du régime, et qui a été autrefois victime de plusieurs violations de ses droits en raison de son travail de photojournaliste. Le Comité note que l’auteur tire principalement grief de l’appréciation des éléments de preuve à laquelle ont procédé les autorités de l’État, en faisant valoir que ces facteurs n’ont pas été dûment pris en considération.

7.5À cet égard, le Comité relève que l’État partie ne conteste pas que l’auteur est un Tamoul du nord qui serait renvoyé à Sri Lanka avec un document de voyage temporaire délivré à la demande des autorités canadiennes. L’État partie ne conteste pas non plus le fait que des journalistes sont actuellement en danger à Sri Lanka, notamment les journalistes travaillant pour le journal Uthayan (voir par. 4.7). Néanmoins, selon l’État partie, l’auteur n’a pas démontré qu’il avait travaillé pour l’Uthayan de 2007 à 2008 et en 2011 et, à supposer même que son récit concernant sa collaboration avec le journal soit accepté par le Comité, l’auteur n’a pas établi que son travail, axé sur des événements locaux, pouvait attirer l’attention des autorités nationales, des années après la publication de ses clichés sous un pseudonyme. Le Comité note que les autorités internes canadiennes n’ont pas accepté comme des preuves dignes de foi plusieurs documents soumis par l’auteur à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, ainsi que d’autres pièces présentées à l’agent chargé d’examiner les risques avant renvoi, visant à établir que l’auteur avait travaillé pour l’Uthayan pendant plusieurs années au cours desquelles il avait été plusieurs fois victime d’agressions à cause de son travail.

7.6Le Comité relève que les autorités de l’État partie, après avoir pris connaissance des éléments de preuve fournis par l’auteur et des rapports établis par des États et des organisations non gouvernementales contenant des informations sur la situation des Tamouls à Sri Lanka à l’époque où elles ont examiné la demande de l’auteur, ont refusé de faire droit à celle-ci, considérant que l’auteur n’avait pas démontré à quel risque réel il serait exposé en cas de renvoi à Sri Lanka, qu’il n’avait pas fourni d’éléments de preuve fiables pour corroborer son récit et que le fait d’être un Tamoul du nord et un demandeur d’asile débouté ne l’exposerait pas, en soi, à un risque réel et personnel. Le Comité considère que l’auteur n’a pas démontré l’existence d’irrégularités dans le processus de prise de décisions ni celle d’un facteur de risque que les autorités de l’État partie auraient omis de prendre dûment en compte. En conséquence, il estime que l’auteur, bien qu’étant en désaccord sur les conclusions des autorités de l’État partie quant aux faits, n’a pas démontré que ces conclusions étaient arbitraires ou manifestement erronées ou qu’elles avaient constitué un déni de justice. Compte tenu de ce qui précède, le Comité n’est pas en mesure de conclure que les informations dont il est saisi montrent que l’auteur serait exposé à un risque réel et personnel de traitement contraire au paragraphe 1 de l’article 6 et à l’article 7 du Pacte s’il était renvoyé à Sri Lanka.

8.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que l’expulsion de l’auteur vers Sri Lanka ne constituerait pas une violation des droits qu’il tient des articles 6 (par. 1) et 7 du Pacte.

Appendice

Opinion individuelle (dissidente) de M. Dheerujlall Seetulsingh

L’État partie affirme avec la plus grande vigueur, au paragraphe 4.2 tel qu’il figure dans le texte des constatations adoptées à la majorité des membres du Comité, que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes et qu’il a encore la possibilité de trouver un recours utile dans une demande pour considérations d’ordre humanitaire. L’État partie élargit la gamme des recours concernant les demandes d’octroi du statut de réfugié en qualifiant la demande pour considérations d’ordre humanitaire de « recours utile qui a des chances raisonnables d’aboutir … dans les cas où [une personne] se heurterait à des difficultés inhabituelles ou injustifiées ».

L’État partie va jusqu’à regretter que le Comité des droits de l’homme ait considéré par le passé que les demandes pour considérations d’ordre humanitaire « ne constituaient pas des recours qui devraient être épuisés aux fins de la recevabilité ». Selon la position de la majorité des membres du Comité, telle qu’elle est exprimée au paragraphe 6.3 des présentes constatations, la demande pour considérations d’ordre humanitaire « ne protège pas l’auteur d’une expulsion vers Sri Lanka et ne peut donc être considérée comme un recours utile ».

Dans le cas d’espèce, où les membres du Comité ont conclu à la majorité à une absence de violation, la position qu’ils ont adoptée amenuise les chances de l’auteur de voir aboutir une éventuelle demande pour considérations d’ordre humanitaire. Il est vrai que l’auteur lui-même, en se fondant sur les constations antérieures du Comité, affirme qu’il a épuisé les recours internes, afin de rendre sa communication recevable au regard du Protocole facultatif. Toutefois, dans le contexte général du droit canadien et des règles procédurales relatives aux demandes de résidence permanente, et compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, où l’État partie se montre très ouvert, généreux et libéral, la communication de l’auteur aurait dû être considérée comme irrecevable, ce qui lui aurait permis de présenter une demande pour considérations d’ordre humanitaire.

Notre Comité est un comité des droits de l’homme et non une cour d’appel ou un organisme quasi juridictionnel. Il n’est pas tenu de se conformer toujours et en toute circonstance à ses constatations antérieures. Il dispose du pouvoir discrétionnaire et de la souplesse nécessaires pour adapter ses conclusions aux circonstances particulières de chaque affaire et à une situation en évolution constante, notamment dans le domaine des demandes d’octroi du statut de réfugié, tout en renforçant les droits à la protection consacrés par le Pacte et en se conformant strictement aux principes applicables conformément au Protocole facultatif en ce qui concerne l’épuisement des recours internes. Au paragraphe 4.2, il est dit que l’État partie ne verrait pas d’objection à ce que l’auteur, s’il présentait une demande pour considérations d’ordre humanitaire, introduise une requête tendant à ce qu’il soit sursis à son expulsion par décision judiciaire en attendant l’issue de l’examen de cette demande. L’État partie mentionne même les motifs sur lesquels l’auteur peut se fonder, à savoir la preuve de ses liens familiaux au Canada et les difficultés qu’il risquerait de rencontrer à Sri Lanka.

Je suis d’avis que l’État partie, puisqu’il s’est clairement exprimé en ce sens, devrait autoriser l’auteur, si celui-ci le souhaite, à présenter une demande pour considérations d’ordre humanitaire.