Nations Unies

CCPR/C/110/D/1900/2009

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

28mai 2014

Original: français

Comité des droits de l’homme

Communication no1900/2009

Constatations adoptées par le Comité à sa 110esession(10-28 mars 2014)

Communication présentée par:Fatima Mehalli (représentée par un conseil, le Collectif des familles de disparu(e)s enAlgérie)

Au nom de:Mohamed Mehalli (disparu), son épouse Fatma Mehalli et leurs enfants BedraneMehalli; Abderrahmane Mehalli; SoumiaMehalli;RazikaMehalli;AtikMehalli (décédé) et de l’auteur elle-même

État partie:Algérie

Date de la communication:26juin 2009 (date de la lettre initiale)

Références:Décision prise par le Rapporteur spécial en application des articles92 et 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 6août 2009 (non publiée sous forme dedocument)

Date de l’adoption des constatations:21mars 2014

Objet :Disparition forcée

Question de procédure :Épuisement des recours internes

Questions de fond :Droit à la vie; interdiction de la torture et des traitements cruels et inhumains;droit à la liberté et à la sécurité de la personne;respect de la dignité inhérente à la personne humaine;reconnaissance de la personnalité juridique; t droit à un recours utile

Articles du Pacte :2 (par. 3), 6, 7, 9, 10 (par. 1), et 16

Article du Protocole facultatif :5 (par. 2b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (110e session)

concernant la

Communication no1900/2009 *

Présentée par:Fatima Mehalli(représentée par un conseil, le Collectif des familles de disparu(e)s enAlgérie)

Au nom de:Mohamed Mehalli (disparu), son épouse Fatma Mehalli et leurs enfants BedraneMehalli; Abderrahmane Mehalli; SoumiaMehalli; RazikaMehalli;AtikMehalli (décédé) et de l’auteur elle-même

État partie:Algérie

Date de la communication:26 juin 2009 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le21mars 2014,

Ayant achevé l’examen de la communication no1900/2009 présentée par Fatima Mehalli, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est Fatima Mehalli de nationalité algérienne née en 1969, agissant au nom de son père Mohamed Mehalli (disparu), samère et épouse du disparu, Fatma Mehalli et de leurs enfants (et frères et sœurs de l’auteur) BedraneMehalli; Abderrahmane Mehalli; SoumiaMehalli; RazikaMehalli et AtikMehalli (décédé), et en son propre nom, tous de nationalité algérienne né(e)s en 1935, 1939, 1971, 1977, 1964, 1974 et 1978, respectivement. Elle fait valoir que son père, ainsi que les membres de sa famille sont victimes, par l’État partie, de diverses violations au titre des articles2, paragraphe3; 6; 7; 9; 10 et 16 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle est représentée par le «Collectif des familles de disparu(e)s en Algérie».

1.2Le 19octobre 2009, le Comité, par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de ne pas séparer l’examen de la recevabilité de celui du fond.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Les familles des frères Chérif et MohamedMehalli occupaient une même maison héritée de leurs parents. Chérif était greffier au tribunal de Hussein Dey. En 1992, des membres du Front islamique du salut (FIS) l’ont menacé de mort s’il ne quittait pas son emploi; il a pris un congé maladie. Une nuit, plusieurs policiers en uniforme ont envahi la maison familiale et l’ont arrêté et détenu pendant huit jours au commissariat de Hussein Dey, et violemment torturé. Deux mois plus tard, après que la police s’était à nouveau présentée à son domicile à sa recherche, Chérif a informé ses proches qu’il partait. Dès lors, la maison, mais aussi tout le quartier a été mis sous surveillance et la famille a constamment été menacée par la police.

2.2Chérif ne revenant pas, la police s’en est pris tout d’abord à son neveu, Bedrane (frère de l’auteur), arrêté et détenu pendant 2jours au Commissariat de Leveilley, une première fois en 1993. Lors de sa deuxième arrestation, trois mois plus tard, il a été violemment torturé au commissariat de Hussein Dey: il est resté assis sur une chaise, menotté, les mains derrière le dos, pendant quatre jours d’affilée, alors que les agents lui assénaient régulièrement des coups. Pendant plus de huit jours, il n’a rien mangé ni bu. Lorsque son père lui a rendu visite au commissariat, les policiers ont confirmé sa détention, affirmant que Bedrane ne serait relâché que si son oncle Chérif se rendait; il a finalement été relâché, mais à nouveau harcelé, battu, et arrêté à de nombreuses reprises. Par la suite, les policiers souhaitaient qu’il travaille comme indicateur, suite à quoi Bedrane a fui un temps chez des proches en dehors d’Alger, avant de réintégrer la maison familiale, ses hôtes craignant des représailles. Entretemps, la famille a fait l’objet d’un harcèlement constant de la police, qui effectuait des perquisitions régulières et vandalisait la maison familiale, sous prétexte de rechercher Chérif. Las de ce harcèlement, et au vu de menaces reçues par la famille par courrier de la part de l’Organisation (clandestine) des jeunes algériens libres (affirmant que Chérif étant un terroriste et qu’ils allaient s’en prendre à ses biens et ses proches), Bedrane a quitté le domicile et n’est jamais revenu. Ses proches pensent qu’il a rejoint le maquis.

2.3La police s’en est ensuite prise à Atik, autre frère de l’auteur né en 1978. Un jour, sur le chemin de l’école, passant par un contrôle, il a été reconnu par la police et a été frappé. Le 15juillet 1996, lors d’une descente de police dans le quartier menée par un officier nommé Saad, Atik a tenté de suivre les jeunes qui fuyaient la police en courant. À cause d’un handicap résultant d’une chute, il se tenait la hanche droite en courant. Croyant qu’il cachait une arme, les policiers l’ont criblé de balles, et il est mort sur le coup. S’étant rendue au commissariat pour obtenir des explications, la famille a rencontré l’officier Saad, qui leur a dit avoir juré de nettoyer le quartier et détruire toute famille ayant un proche terroriste. La famille a eu beaucoup de mal à récupérer la dépouille d’Atik, 12jours après son assassinat, en attendant chaque jour devant un cimetière à Alger.

2.4Le père de l’auteur, Mohamed Mehalli, (frère de Chérif, et père de Bedrane et Atik) a quant à lui été arrêté une première fois en 1995, suite à une convocation au commissariat de Leveilley, et incarcéré à la prison d’El Harrach. Jugé le 1erjanvier 1997, il a été condamné à une peine d’un an de prison ferme pour appartenance à un groupe terroriste et non-dénonciation d’assassin. Comme il avait déjà passé 14mois en détention préventive, il a été libéré le 2janvier 1997.

2.5Une semaine après sa libération, le policier Saad est retourné à son domicile en vue de l’appréhender à nouveau. Il y a rencontré l’auteur qui l’a informé que son père était absent, suite à quoi l’officier l’a frappée en l’insultant. Il a attendu le retour du père de l’auteur, l’a embarqué, avant de le libérer par la suite. Le même scénario s’est répété toutes les deux semaines environ, et le père de l’auteur était battu à chaque appréhension. Le 14septembre 1997, au petit matin, des policiers sont revenus et ont sommé Mohamed de sortir de chez lui; une fois dehors, il a été mis à plat ventre et rué de coups durant une dizaine de minutes. Le 18septembre 1997, des policiers dirigés par Saad sont revenus et ont entraîné Mohamed dans un chantier à proximité. Il a été posé par terre et roué de coups; sa barbe a été brûlée et une pierre lourde lui a été posée sur la poitrine. Il a dû se faire soigner par un médecin.

2.6Pour fuir le harcèlement, il a loué une maison dans un autre quartier, et la famille y a vécu près d’un an, jusqu’au 29juin 1998, date à laquelle Mohamed a été arrêté dans sa voiture par des agents de la sécurité militaire, en présence de témoins. Parallèlement, des militaires et des agents en civil avaient investi le domicile familial. Le lendemain, inquiètes de l’absence de Mohamed, l’auteur et sa mère se sont rendues au commissariat, sans résultat. De retour chez elles, des agents de la sécurité militaire les attendaient, et ils ont embarqué dans un fourgon l’auteur, sa sœur Soumia et leur mère Fatima, les conduisant les yeux bandés à la caserne de Châteauneuf, réputée pour les actes de torture et la détention au secret qui s’y pratiquaient.

2.7Une fois à la caserne, les trois femmes ont été séparées dans des cellules différentes. L’auteur a été interrogée, puis battue, selon elle, pour que son père, détenu au même endroit, l’entende. Elle pouvait elle-même entendre son père se faire torturer. Sa sœur Soumia, quant à elle, a été allongée sur une table en ciment puis attachée à l’aide de câbles reliés à une batterie qui lui envoyait des décharges électriques. Elle a ensuite subi la torture du chiffon, l’empêchant de respirer, avant d’être violée au moyen d’un bâton. Les trois femmes sont restées huit jours en détention, puis ramenées à leur domicile. Juste avant leur libération, l’auteur a aperçu son père de la fenêtre de sa cellule. Il était traîné par les gardiens car il avait de la peine à marcher. Depuis ce jour, la famille n’a plus jamais eu de ses nouvelles.

2.8Les policiers s’en sont ensuite pris à Abderrahmane, l’autre frèrede l’auteur. Arrêté une première fois en 1993 au cours d’une rafle policière suite à un attentat dans le quartier, il a été détenu pendant trois jours au commissariat de Leveilley, puis relâché après avoir étéinterrogé. Il a été de nouveau arrêté en 1996 et détenu pendant 15jours au même commissariat. Les policiers le questionnaient sur son frère Bedrane et son oncle Chérif. Il a à nouveau été arrêté quelques mois plus tard, et détenu pendant 27jours. En mars 1997, il a été arrêté et est resté 15jours en détention au commissariat de Leveilley, avant d’être incarcéré à la prison d’El Harrach. Le 29mars 1997, le tribunal criminel d’Alger l’a condamné à cinq ans de prison pour appartenance à un groupe terroriste. Sorti en 2002, Abderrahmane a denouveau été arrêté à trois reprises par la police, qui lui a demandé de collaborer avec elle en échange d’une voiture et d’argent, ce qu’il a refusé et les policiers l’ont menacé. Ne supportant plus le harcèlement, il a fait des démarches pour obtenir un visa et partir à l’étranger. Néanmoins, le 26décembre 2006, il a de nouveau été arrêté, et sa famille est restée sans nouvelles de lui pendant 12jours. Durant sa détention, Abderrahmane a été forcé d’avouer sous la torture qu’il était entré en contact avec des groupes terroristes armés. Lui rendant visite le 14juin 1998, la famille l’a découvert marqué physiquement et psychologiquement par les actes de torture subis; il avait une plaie à la tête et le regard vide. Il a confié à une de ses sœurs avoir été torturé et abusé sexuellement avec un groupe de prisonniers, par des agents de sécurité visitant la prison. Le 23décembre 2008, il a été condamné à quatre ans de prison ferme et au moment du dépôt de la communication, il était emprisonné à Berrouaghia.

Épuisement des voies de recours internes

2.9Invoquant plusieurs constatations du Comité confirmant sa jurisprudence constante, l’auteur observe que seuls les recours efficaces, utiles et disponibles doivent être épuisés. Elle déclare que la famille du disparu a exercé tous les recours possibles, administratifs ou judiciaires, sans résultat.

2.10Concernant l’exécution sommaire de son frère Atik le 15juillet 1996, aucun recours n’est disponible, selon l’auteur, puisque l’officier responsable de sa mort a reconnu l’exécution, mais a menacé la famille en cas d’éventuelles démarches judiciaires. La crainte de voir d’autres proches se faite torturer ou tuer a dissuadé la famille de porter plainte.

2.11De la même manière, Bedrane, victime de harcèlement, de détention arbitraire et d’actes de torture répétés n’a pas porté plainte (ni sa famille à ce sujet) contre les autorités, car cela aurait irrémédiablement exposé sa famille à des représailles et, en plus, ses plaintes éventuelles n’auraient eu aucune chance de succès à l’époque.

2.12En 1998, après avoir elles-mêmes subi des actes de torture et des détentions arbitraires, l’auteur et sa mère, représentées par un avocat, ont déposé de nombreux recours concernant la disparition de Mohamed Mehalli. Un non-lieu a été prononcé le 8mai 2000 par le juge d’instruction du tribunal de Hussein Dey; un second non-lieu a été prononcé le 8août 2000, par un juge d’instruction d’une autre chambre du même tribunal. Le 22juillet 2000, le même tribunal a rejeté la demande de l’auteur pour une attestation de la disparition de son père, au motif qu’elle n’avait pas la qualité d’agir. Le 7février 2004, la mère de l’auteur a déposé plainte auprès du même tribunal et le 18octobre 2004, le tribunal a enfin reconnu la disparition de MohamedMehalli; la gendarmerie de Bachdjarah a émis le certificat correspondant le 4juillet 2006.

2.13 Pour ce qui est de l’ouverture d’une enquête ou d’éventuelles poursuites, l’auteur fait valoir qu’en tout état de cause, aucun recours utile au sens de l’article2 du Pacte n’est disponible en l’espèce, en particulier au vu des textes régissant la mise en œuvre de la «Charte pour la paix et la réconciliation nationale», empêchant tout recours en justice visant les agents de l’État, privant ainsi les victimes de tout recours utile.

2.14 S’agissant des recours administratifs, la famille a déposé plainte à la Wilaya d’Alger le 21septembre 1998 (sans suite). Elle s’est aussi adressée àl’Observatoire national des droits de l’homme (ONDH) le 14 juillet 1999. La Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme, qui a succédé à l’ONDH, lui a répondu le 24juillet 2002 que, d’après les informations obtenues par les forces de sécurité, la localisation du père de l’auteur était restée vaine. Suite à un second courrier adressé à l’ONDH par la famille le 7 septembre 1999, l’ONDH a répondu à la famille le 15mai 2000, que le père de l’auteur n’avait jamais été recherché ou arrêté par les forces de sécurité.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur allègue que l’État-partie s’est rendu coupable d’une violation des articles2, paragraphe3; 7; 9 et 16 du Pacte à l’égard de son père disparu Mohamed Mehalli. Elle demande à ce que les membres de la famille de Mohamed Mehalli soient indemnisés au titre de l’article2, paragraphe3, du Pacte et à ce que les autorités conduisent une enquête effective.

3.2L’auteur invoque également une violationdes articles6 et 2, paragraphe 3, à l’égard de son frère tué Atik; des articles2, paragraphe3, et de l’article 7 à l’égard de sa mère Fatma, de l’auteur elle-même et de sa sœur Soumia; des articles7 et 9 à l’égard de son frère Bedrane; et des articles7, et 10 et 2, paragraphe3, du Pacte à l’égard de son autre frère, Abderrahmane.

Observations de l’État partie

4.1Le 6octobre 2009, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication. Il considère qu’elle met en cause la responsabilité d’agents publics ou d’autres personnes agissant sous l’autorité de pouvoirs publics dans la survenance de cas de disparitions forcées pendant la période considérée, c’est‑à-dire de 1993 à 1998, doit être examinée dans le contexte plus général de la situation sociopolitique et être déclarée irrecevable. L’approche individuelle de cette plainte ne restitue pas le contexte intérieur sociopolitique et sécuritaire dans lequel se seraient produits les faits allégués et ne reflète ni la réalité ni la diversité factuelle des situations couvertes sous le terme générique de disparitions forcées durant la période considérée.

4.2Contrairement aux théories véhiculées par des organisations non gouvernementales internationales que l’État partie considère peu objectives, la douloureuse épreuve du terrorisme que l’État partie a vécue ne saurait être perçue comme une guerre civile opposant deux camps mais comme une crise qui a évolué vers une propagation du terrorisme à la suite d’appels à la désobéissance civile. Cela a donné naissance à l’émergence d’une multitude de groupes armés pratiquant des actes de criminalité terroriste, de subversion, de destruction et de sabotage d’infrastructures publiques et de terreur contre les populations civiles. Ainsi l’État partie a traversé durant les années 1990, une des plus terribles épreuves de sa jeune indépendance. Dans ce contexte, et conformément à la Constitution algérienne, des mesures de sauvegarde ont été prises et le Gouvernement a notifié la proclamation de l’état d’urgence au Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies conformément à l’article4, paragraphe3, du Pacte.

4.3Durant cette période, les attentats terroristes survenant dans le pays à une cadence journalière étaient commis par une multitude de groupes armés obéissant plus à une idéologie qu’à une chaîne hiérarchique structurée, ce qui avait diminué fortement les capacités des pouvoirs publics en matière de maîtrise de la situation sécuritaire. Il en était résulté une certaine confusion dans la manière dont plusieurs opérations avaient été menées au sein de la population civile, pour qui il était difficile de distinguer les interventions de groupes terroristes de celles des forces de l’ordre, auxquelles les civils ont souvent attribué les disparitions forcées. Selon différentes sources indépendantes, notamment la presse et les organisations des droits de l’homme, la notion générique de personne disparue en Algérie durant la période considérée renvoie à six cas de figure distincts, dont aucun n’est imputable à l’État: a)des personnes déclarées disparues par leurs proches, alors qu’elles étaient entrées dans la clandestinité de leur propre chef pour rejoindre les groupes armés en demandant à leur famille de déclarer qu’elles avaient été arrêtées par les services de sécurité pour «brouiller les pistes» et éviter le «harcèlement» par la police; b)les personnes signalées comme disparues suite à leur arrestation par les services de sécurité mais qui ont profité de leur libération pour entrer dans la clandestinité; c)ceux qui ont été enlevés par des groupes armés qui, parce qu’ils ne sont pas identifiés ou ont agi en usurpant l’uniforme ou les documents d’identification de policiers ou de militaires, ont été assimilés à tort à des agents des forces armées ou des services de sécurité; d)des personnes recherchées par leur famille, qui ont pris l’initiative d’abandonner leurs proches, et parfois même de quitter le pays, en raison de problèmes personnels ou de litiges familiaux; e)des personnes signalées comme disparues par leur famille et qui étaient en fait des terroristes recherchés, qui ont été tués et enterrés dans le maquis à la suite de combats entre factions, de querelles doctrinales ou de conflits autour des butins de guerre entre groupes armés rivaux; et enfin f)des personnes portées disparues mais vivant en fait sur le territoire national ou à l’étranger sous une fausse identité obtenue grâce à un réseau de falsification de documents.

4.4L’État partie souligne que c’est en considération de la diversité et de la complexité des situations couvertes par la notion générique de disparition que le législateur algérien, à la suite du plébiscite populaire de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, avait préconisé le traitement de la question des disparus dans un cadre global à travers la prise en charge de toutes les personnes disparues dans le contexte de la «tragédie nationale», un soutien pour toutes les victimes afin qu’elles puissent surmonter cette épreuve et l’octroi d’un droit à réparation pour toutes les victimes de disparition et leurs ayants droit. Selon des statistiques du Ministère de l’intérieur, 8 023 cas de disparition ont été déclarés, 6 774dossiers ont été examinés, 5 704 dossiers ont été acceptés à l’indemnisation, 934 ont été rejetés et 136 étaient en cours d’examen. Au total, 371 459 390 dinars algériens ont été versés à l’ensemble des victimes concernées à titre d’indemnisation et 1 320 824 683 dinars sont versés sous forrme de pensions mensuelles.

4.5L’État partie observe que tous les recours internes n’ont pas été épuisés et insiste sur l’importance de faire la distinction entre de simples démarches auprès d’autorités politiques ou administratives, les recours noncontentieux devant des organes consultatifs ou de médiation, et les recours contentieux exercés devant les diverses juridictions compétentes. L’État partie remarque qu’il ressort des déclarations de l’auteur que les plaignants ont adressé des lettres à des autorités politiques ou administratives, saisi des organes consultatifs ou de médiation et transmis une requête au parquet (procureurs généraux ou procureurs de la République) sans avoir à proprement parler engagé de procédure de recours judiciaire et l’avoir menée jusqu’à son terme par l’exercice de l’ensemble des voies de recours disponibles en appel et en cassation. Seuls les représentants du ministère public sont habilités à ouvrir une enquête préliminaire et à saisir le juge d’instruction. Dans le système algérien, le Procureur de la République est celui qui reçoit les plaintes et qui, le cas échéant, déclenche l’action publique. Cependant, pour protéger les droits des victimes ou de leurs ayants droit, le Code de procédure pénale autorise ces derniers à agir par voie de plainte avec constitution de partie civile directement devant le juge d’instruction. Dans ce cas, c’est la victime, et non le Procureur, qui enclenche l’action publique en saisissant le juge d’instruction. Ce recours visé aux articles 72 et 73 du Code de procédure pénale n’a pas été utilisé alors qu’il aurait permis aux victimes de déclencher l’action publique et d’obliger le juge d’instruction à informer, même si le parquet en avait décidé autrement.

4.6L’État partie note en outre que, selon l’auteur, il est impossible de considérer qu’il existe en Algérie des recours internes efficaces, utiles et disponibles pour les familles de disparus en raison de l’adoption, par référendum, de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale et de ses textes d’application, notamment l’article 45 de l’ordonnance no 06-01. Sur cette base, l’auteur s’est cru dispensé de l’obligation de saisir les juridictions compétentes en préjugeant de leur position et de leur appréciation dans l’application de cette ordonnance. Or, l’auteur ne peut invoquer cette ordonnance et ses textes d’application pour s’exonérer de n’avoir pas engagé les procédures judiciaires disponibles. L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle la croyance ou la présomption subjective d’une personne quant au caractère vain d’un recours ne la dispense pas d’épuiser tous les recours internes.

4.7L’État partie souligne ensuite la nature, les fondements et le contenu de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale et ses textes d’application. Il souligne qu’en vertu du principe d’inaliénabilité de la paix, qui est devenu un droit international à la paix, le Comité devrait accompagner et consolider cette paix et favoriser la réconciliation nationale pour permettre aux États affectés par des crises intérieures de renforcer leurs capacités. Dans cet effort de réconciliation nationale, l’État partie a adopté la Charte, dont l’ordonnance d’application prévoit des mesures d’ordre juridique emportant extinction de l’action publique et commutation ou remise de peine pour toute personne coupable d’actes de terrorisme ou bénéficiant des dispositions relatives à la discorde civile, à l’exception des auteurs ou complices d’actes de massacre collectif, de viols ou d’attentats à l’explosif dans des lieux publics. Cette ordonnance prévoit également une procédure de déclaration judiciaire de décès, qui ouvre droit à une indemnisation des ayants droit des disparus en qualité de victimes de la «tragédie nationale». En outre, des mesures d’ordre socio-économique ont été mises en place, parmi lesquelles des aides à la réinsertion professionnelle et le versement d’indemnités à toutes les personnes ayant la qualité de victime de la «tragédie nationale». Enfin, l’ordonnance prévoit des mesures politiques telles que l’interdiction d’exercer une activité politique à toute personne ayant contribué à la «tragédie nationale» en instrumentalisant la religion dans le passé et dispose qu’aucune poursuite ne peut être engagée à titre individuel ou collectif à l’encontre des éléments des forces de défense et de sécurité de la République, toutes composantes confondues, pour des actions menées pour la protection des personnes et des biens, de la sauvegarde de la nation et de la préservation des institutions de la République.

4.8Outre la création du fonds d’indemnisation pour toutes les victimes de la «tragédie nationale», le peuple souverain d’Algérie a, selon l’État partie, accepté d’engager une démarche de réconciliation nationale, seul moyen pour cicatriser les plaies générées. L’État partie insiste sur le fait que la proclamation de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale s’inscrit dans une volonté d’éviter les confrontations judiciaires, les déballages médiatiques et les règlements de compte politiques. L’État partie considère, dès lors, que les faits allégués par les auteurs sont couverts par le mécanisme interne de règlement global prévu par la Charte.

4.9L’État partie demande au Comité de tenir compte du contexte sociopolitique et sécuritaire, de conclure que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes, de reconnaître que les autorités de l’État partie ont mis en œuvre un mécanisme interne de traitement et de règlement global des cas visés par les communications selon un dispositif de paix et de réconciliation nationale conforme aux principes de la Charte des Nations Unies et des pactes et conventions subséquents, de déclarer la communication irrecevable et de renvoyer l’auteur à mieux se pourvoir.

4.10 Dans un mémoire additif, l’État partie se demande si la série de communications présentée au Comité ne constituait pas plutôt un détournement de la procédure visant une question globale historique dont les causes et circonstances échappent au Comité. Ces communications «individuelles» s’arrêtent sur le contexte général dans lequel sont survenues les disparitions, visant les agissements des forces de l’ordre sans toutefoisjamais évoquer ceux des divers groupes armés ayant adopté des techniques criminelles de dissimulation pour imputer la responsabilité aux forces armées.

4.11L’État partie rappelle qu’il ne se prononcera pas sur le fond de ces communications avant que leur recevabilité ne soit examinée et note que tout organe juridictionnel ou quasi juridictionnel est tenu d’adresser les questions préjudicielles avant de débattre du fond. La décision d’examiner de manière conjointe et concomitante les questions de recevabilité et de fond dans les cas de l’espèce, outre qu’elle n’a pas été concertée, préjudicie gravement à un traitement approprié des communications soumises, tant dans leur nature globale que dans leurs particularités. Se référant au règlement intérieur du Comité, l’État partie note que les sections relatives à l’examen de la recevabilité de la communication sont distinctes de celles relatives à l’examen au fond et que ces questions pourraient être examinées séparément. Il souligne qu’aucune des plaintes ou demandes d’informations formulées par les auteurs des communications n’a été présentée par des voies qui auraient permis leurs examen par les autorités judiciaires internes et note que seules quelques-unes de ces communications sont arrivées au niveau de la Chambre d’accusation (juridiction de second degré).

4.12Rappelant la jurisprudence du Comité sur l’épuisement des recours internes, l’État partie souligne que de simples doutes sur les perspectives de succès ainsi que la crainte de délais ne dispensent pas un auteur d’épuiser ces recours. S’agissant du fait que la promulgation de la Charte rend impossible tout recours en la matière, l’État partie estime que l’absence de toute démarche pour soumettre les allégations à examen a empêché les autorités algériennes de prendre position sur l’étendue et les limites de l’applicabilité des dispositions de la Charte. En outre, l’ordonnance ne requiert de déclarer irrecevables que les poursuites engagées contre des «éléments des forces de défense et de sécurité de la République» pour des actions dans lesquelles elles ont agi conformément à leurs missions républicaines de base, à savoir la protection des personnes et des biens, la sauvegarde de la nation et la préservation des institutions. En revanche, toute allégation d’action imputable aux forces de défense et de sécurité dont il peut être prouvé qu’elle serait intervenue en dehors de ce cadre est susceptible d’être instruite par les juridictions compétentes.

4.13Le 24janvier 2011, l’État partie a réitéré in extenso ses observations précédentes.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 30août 2012, l’auteur a présenté ses commentaires aux observations de l’État partie. L’auteur relève que l’État partie conteste la recevabilité de la communication pour non-épuisement des voies de recours interne, vu, notamment, qu’aucune procédure de recours judiciaire n’aurait été engagée et menée à terme, en appel et en cassation. Se référant à la jurisprudence du Comité, l’auteur note que seuls les recours disponibles et utiles doivent être épuisés, et que la règle d’épuisement ne s’applique pas à des recours n’ayant objectivement aucune chance d’aboutir. Elle note que le Comité a constaté que le caractère utile d’un recours suppose l’obligation pour l’État partie de mener une enquête diligente sur les crimes allégués, portant sur le fond, mais que cette obligation n’a pas été respectée dans ce cas. Ensuite, elle rappelle l’ensemble des démarches administratives et judicaires entreprises par la famille pour connaître le sort du disparu, y compris deux plaintes auprès du Procureur du tribunal de Hussein Dey, déposées par un avocat, dans l’année suivant la disparition, aboutissant à un non-lieu. En ce qui concerne l’exécution sommaire de son frère Atik et la détention arbitraire et torture de ses frères Bedrane et Abderrahmane, elle note qu’en vertu de la jurisprudence du Comité, une victime n’est pas tenue d’engager des recours qui lui porteront préjudice de manière prévisible. Elle réitère que le harcèlement et les menaces subis par la famille ont dissuadé cette dernière d’entreprendre des démarches judiciaires.

5.2L’auteur ajoute que dans le cas d’espèce, il n’y avait pas besoin de pallier une éventuelle inaction d’un procureur par le jeu des articles72 et 73 du Code de procédure pénale, vu que sa famille, malgré ses peurs, a saisi le procureur qui, à son tour, a activé la procédure aboutissant aux décisions judiciaires de non-lieu du 8mai et du 8août 2000. Également en 2000, la famille a entrepris les démarches pour obtenir une déclaration de disparition du père de l’auteur, ce qui n’a été fait qu’en octobre 2004, sans mentionner les circonstances de disparition. Par la suite, dans le cadre d’application de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, un certificat de disparition du père de l’auteur a été établi le 4juillet 2006, mais le document ne précise pas les circonstances de la disparition, malgré les témoignages de la famille auprès des services de police chargés des recherches; la famille n’a jamais été associée à une telle recherche.

5.3L’auteur invoque les constations du Comité dans la communicationno1588/2007, Benaziza c. Algérie, et relève que, dans le cas présent, les autorités compétentes ne pouvaient pas ignorer la disparition forcée de Mohamed Mehalli et qu’elles auraient dû procéder à une enquête approfondie sur les faits allégués, rechercher les responsables et engager des poursuites. Au vu de la description de la famille et des indications concernant les présumés responsables, le Procureur de la République aurait pu, en vertu de l’article170 du Code de procédure pénale, interjeter appel des ordonnances de non-lieu du juge d’instruction. Selon l’auteur, tout cela démontre que la famille n’a pas eu accès à des recours efficaces ou utiles pour amener les autorités à procéder à une enquête approfondie et diligente. Par la suite, avec l’entrée en vigueur de l’ordonnance no06-01 du 27février 2006, les recours sont devenus indisponibles pour les familles de disparus, vu que son article45 rendait impossible toute poursuite visant les forces de défense ou de sécurité.

5.4L’auteur affirme que les trois situations décrites à l’article45 de l’ordonnance no06‑01 sont rédigées d’une manière si large qu’elles peuvent couvrir l’ensemble des circonstances dans lesquelles les agents de l’État ont pu procéder à des exactions graves à l’encontre des personnes, telles que les disparitions, les exécutions extrajudiciaires ou encore la torture. Or, en indiquant que les plaintes contre les éléments des forces armées ou de sécurité seront irrecevables d’office, l’article45 exclut toute possibilité de voir une plainte être déclarée recevable par le parquet.

5.5Nombre de familles de disparus qui ont déposé au niveau de la justice des plaintes contre X et/ou ont demandé l’ouverture d’une enquête sur le sort des disparus se sont vues dirigées vers la commission de la wilaya chargée de l’application de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale afin de procéder aux démarches en vue d’obtenir les indemnisations. L’auteur maintient que, depuis 2006, les textes de la Charte et la procédure d’indemnisation sont la seule réponse des autorités à toutes les demandes de vérité adressées par les familles aux instances judiciaires et administratives. L’auteur rappelle par ailleurs que le Comité s’est prononcé sur la non-conformité de l’article45 de l’ordonnance citée, demandant son amendement et demandant à l’État partie de prendre toutes les mesures appropriées pour garantir que des graves violations des droits de l’homme, telles que des actes de torture et disparitions, fassent l’objet d’enquêtes et que les responsables, y compris les agents de l’État et les membres des groups armée, soient poursuivis.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1À titre préliminaire, le Comité rappelle que la jonction de la recevabilité et du fond (voir par.1.2 des présentes constatations) n’exclut pas un examen de ces questions en deux temps par le Comité. La jonction de la recevabilité et du fond ne signifie pas simultanéité de leur examen. Par conséquent, avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2En vertu du paragraphe2a) de l’article5 du Protocole facultatif, le Comité doit s’assurer que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que, selon l’État partie, l’auteur n’aurait pas épuisé les recours internes puisque la possibilité de saisir le juge d’instruction en se constituant partie civile en vertu des articles72 et 73 du Code de procédure pénale n’a pas été envisagée. En outre, selon l’État partie, l’auteur a adressé des lettres à des autorités politiques ou administratives sans avoir à proprement parler engagé une procédure de recours judiciaire et l’avoir menée jusqu’à son terme par l’exercice de l’ensemble des voies de recours disponibles, en appel et en cassation. Le Comité note également les démarches entreprises par l’auteur et sa famille, y compris les actions judiciaires, dans l’espoir de retrouver le disparu et note l’argument de l’auteur selon lequel leurs démarches ont été limitées par la crainte réelle de faire l’objet de représailles. En outre, le Comité note qu’après la promulgation, le 27février 2006, de l’ordonnance no06-01 portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, la famille s’est trouvée confrontée à l’impossibilité légale de recourir à une instance judiciaire.

6.4Le Comité rappelle que l’État partie a non seulement le devoir de mener des enquêtes approfondies sur les violations supposées des droits de l’homme portées à l’attention de ses autorités, en particulier lorsqu’il s’agit de disparitions forcées et d’atteintes au droit à la vie, mais aussi de poursuivre quiconque est présumé responsable de ces violations, de procéder à son jugement et de prononcer une peine à son encontre. La famille de Mohamed Mehalli a alerté, à de nombreuses reprises, les autorités policières, administratives et politiques de la disparition de ce dernier, mais l’État partie n’a procédé à aucune enquête approfondie et rigoureuse. En outre, l’État partie n’a pas apporté d’éléments permettant de conclure qu’un recours efficace et disponible est ouvert alors que l’ordonnance no06-01 du 27 février 2006 continue d’être appliquée en dépit des recommandations du Comité visant à sa mise en conformité avec le Pacte. Le Comité rappelle qu’aux fins de la recevabilité d’une communication, les auteurs doivent épuiser uniquement les recours utiles afin de remédier à la violation alléguée, en l’espèce, les recours utiles pour remédier à la disparition forcée. En outre, le Comité estime que la constitution de partie civile pour des infractions aussi graves que celles alléguées en l’espèce ne saurait remplacer des poursuites qui devraient être engagées par le Procureur de la République lui-même. Étant donné le caractère imprécis du texte des articles 45 et 46 de l’ordonnance, et en l’absence d’informations concluantes de l’État partie concernant leur interprétation et leur application dans la pratique, les craintes exprimées par l’auteur quant à l’efficacité de l’introduction d’une plainte sont raisonnables. Au vu de l’ensemble de ces considérations, le Comité conclut que le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif nefait pas d’obstacle à la recevabilité de la présente communication dans sa partie concernant la disparition de Mohamed Mehalli.

6.5 Le Comité a pris également note des autres allégations de l’auteur sur le sort de son frère Atiket les mauvais traitements et actes de torture subis par ses frères Bedrane et Abderrahmane, ainsi que la détention pendant huit jours dans la caserne de Châteauneuf de la mère de l’auteur, de l’auteur elle-même et de sa sœur Soumia et de la manière dont les deux dernières ont été traitées. Le Comité note que l’État partie s’est opposé de manière générale à la recevabilité de ces allégations pour non-épuisement des voies de recours internes. Il prend également note de l’explication de l’auteur selon laquelle le harcèlement et les menaces subis par la famille ont dissuadé cette dernière de porter plainte ou d’entreprendre des démarches judiciaires. En l’absence d’une indication claire par l’État partie, indiquant quels recours les victimes présumées auraient dû épuiser, et sans aucune explication de leur efficacité et de leur disponibilité dans le contexte général du cas présent, et en l’absence de toute autre information pertinente au dossier, le Comité considère qu’il convient d’accorder le crédit voulu aux affirmations de l’auteur. En conséquence, il déclare cette partie de la communication recevable.

6.6En conséquence, le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé ses allégations dans la mesure où elles soulèvent des questions au regard des articles 7, 9, 16, et2, paragraphe3, du Pacte relatives à la disparition de Mohamed Mehalli. Le Comité considère également que les allégations concernant le traitement des autres membres de la famille ont été suffisamment étayées, au titre des articles7, 9 et 10, du Pacte, ainsi qu’au titre de l’article6 du Pacte concernant le frère décédé de l’auteur, Atik. Le Comité procède donc à l’examen de la communication sur le fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2Dans la présente communication, l’État partie s’est contenté de maintenir que les communications alléguant la responsabilité d’agents publics ou exerçant sous l’autorité de pouvoirs publics dans la survenance de cas de disparition forcée de 1993 à 1998 doivent être examinées dans le contexte plus général de la situation sociopolitique et des conditions de sécurité dans le pays, à une période où le Gouvernement s’employait à lutter contre le terrorisme. Le Comité fait observer qu’en vertu du Pacte, l’État partie doit se soucier du sort de chaque individu, qui doit être traité avec le respect dû à la dignité inhérente à la personne humaine. Il tient à rappeler sa jurisprudence selon laquelle l’État partie ne saurait opposer les dispositions de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale à des personnes qui invoquent les dispositions du Pacte, ou qui ont soumis, ou qui soumettraient, des communications au Comité. L’ordonnance no06-01, sans les amendements recommandés par le Comité, semble promouvoir l’impunité et ne peut donc, en l’état, être compatible avec les dispositions du Pacte.

7.3Le Comité note que l’État partie n’a pas répondu aux allégations de l’auteur sur le fond et rappelle sa jurisprudenceselon laquelle la charge de la preuve ne saurait incomber uniquement à l’auteur d’une communication, d’autant plus que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que souvent, seul l’État partie dispose des renseignements nécessaires. Il ressort du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que les État parties sont tenus d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violation du Pacte portées contre eux et leurs représentants et de transmettre au Comité les renseignements qu’ils détiennent. En l’absence de toute explication fournie par l’État partie à ce sujet, il convient d’accorder tout le crédit voulu aux allégations de l’auteur dès lors qu’elles sont suffisamment étayées.

7.4Le Comité reconnaît le degré de souffrance qu’implique une détention sans contact avec le monde extérieur pendant une durée indéfinie. Il rappelle son observation générale no20 (1992) sur l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dans laquelle il recommande aux États parties de prendre des dispositions pour interdire la détention au secret. Il note en l’espèce que Mohamed Mehalli a été arrêté par les autorités le 29juin 1998, que, depuis, il n’a eu aucun contact avec sa famille et que, selon celle-ci, il aurait été torturé dans la caserne de Châteauneuf peu après son arrestation. En l’absence de toute explication de l’État partie sur ce grief, le Comité considère que ces faits constituent une violation de l’article7 du Pacte à l’égard de Mohamed Mehalli.

7.5Le Comité prend acte également de l’angoisse et de la détresse que la disparition de Mohamed Mehalli a causée à l’auteur, ainsi que des actes de harcèlement et mauvais traitements infligés à divers membres de la famille. En l’absence d’une réponse de l’État partie à ce sujet, le Comité considère que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article7 du Pacte à leur égard.

7.6Quant aux allégations de l’auteur au titre de l’article9 du Pacte, selon lesquelles les autorités n’ont jamais reconnu l’appréhension et la détention de son père, alors même que l’auteur a pu le voir détenu dans la caserne de Châteauneuf en 1998. En l’absence de toute information pertinente de la part de l’État partie, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits de Mohamed Mehalli au titre de l’article9 du Pacte.

7.7Le Comité note ensuite que l’auteur invoque également une violation des droits de son père au titre de l’article16 du Pacte. Il réitère sa jurisprudence constante selon laquelle le fait de soustraire intentionnellement une personne à la protection de la loi pour une période prolongée peut constituer un refus de reconnaissance de sa personnalité juridique, si la victime était entre les mains des autorités de l’État lors de sa dernière apparition et si les efforts de ses proches pour avoir accès à des recours potentiellement utiles, y compris devant les cours de justice (paragraphe 3 de l’article2 du Pacte), sont systématiquement empêchés. Dans le cas présent, le Comité note que l’État partie n’a pas fourni d’informations sur le sort réservé à la personne disparue ni sur le lieu où elle se trouve malgré les demandes que l’auteur a adressées à l’État partie. Le Comité en conclut que la disparition forcée de Mohamed Mehalli, depuis le 29juin 1998, l’a soustrait à la protection de la loi et l’a privé de son droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique, en violation de l’article 16 du Pacte.

7.8L’auteur invoque le paragraphe3 de l’article 2 du Pacte qui impose aux États parties l’obligation de garantir un recours utile à tous les individus dont les droits reconnus dans le Pacte auraient été violés. Le Comité attache de l’importance à la mise en place par les États parties de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations des droits. Il rappelle son observation générale no31(2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, qui indique notamment que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. En l’espèce, l’auteur et sa famille ont alerté les autorités compétentes de la disparition de Mohamed Mehalli dès son arrestation. Toutes les démarches entreprises se sont révélées vaines et l’État partie n’a procédé à aucune enquête approfondie et rigoureuse sur la disparition. Par ailleurs, l’impossibilité légale de recourir à une instance judiciaire depuis la promulgation de l’ordonnance no06-01 portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale continue de priver Mohamed Mehalli, l’auteur et sa famille tout accès à un recours utile puisque cette ordonnance interdit, sous peine d’emprisonnement, le recours à la justice pour faire la lumière sur les crimes les plus graves comme les disparitions forcées. Au vu de ce qui précède, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe3 de l’article2, lu conjointement avec les articles7;9 et 16 du Pacte à l’égard de Mohamed Mehalli, et du paragraphe3 de l’article2 du Pacte, lu conjointement avec les articles7 du Pacte, à l’égard de l’auteur, sa mère et ses frères et sœurs.

7.9Le Comité note ensuite la plainte de l’auteur concernant le meurtre de son frère Atik par la police. Il note que l’État partie n’a apporté aucun argument pour réfuter cette plainte. En l’absence de toute autre information pertinente, le Comité considère qu’il convient d’accorder tout le crédit voulu aux affirmations de l’auteur. En conséquence, il conclut que les faits tels que présentés révèlent la responsabilité de l’État partie dans la mort du frère de l’auteur, Atik, qui a été arbitrairement privé de sa vie, et conclut donc à une violation desdroits de ce dernier au titre de l’article6, paragraphe1, du Pacte.

7.10En ce qui concerne la détention illégale, lesmauvais traitements et les actes de torture infligés aux frères de l’auteur, Bedrane et Abderrahmane, ainsi que la détention pendant huit jours dans la caserne de Châteauneuf de la mère de l’auteur, de l’auteur elle-même et de sa sœur Soumia et de la manière dont les deux dernières ont été traitées et humiliées, et en particulier, les sévices sexuels subis par Soumiaqui constituent une forme de violence extrême liée au genre,le Comité note que l’État partie n’apas fourni des observations spécifiques pour réfuter ces allégations. Dans ces circonstances, le Comité considère qu’il convient d’accorder tout le crédit voulu aux affirmations détaillées de l’auteur. En conséquence, il conclut que cette partie de la communication révèle une violation des droits des frères de l’auteur Bedrane et Abderrahmane, ainsi que de ses propres droits et de ceux de ses sœurs et mère, au titre des articles7 et 9 du Pacte.

7.11 Au vu de ce qui précède, le Comité décide de ne pas examiner séparément les plaintes de l’auteur au titre de l’article10 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe4 de l’article5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l’État partie del’article7, de l’article9, de l’article16, et du paragraphe3 de l’article2, lu conjointement avec les articles7, 9 et 16 du Pacte à l’égard de Mohamed Mehalli. Il constate en outre une violation des articles7 et 9 du Pacte, et du paragraphe3 de l’article2, lu conjointement avec les articles7 et 9 du Pacte à l’égard de l’auteur, sa mère et ses frères Bedrane et Abderrahmane ainsi que de ses sœurs; et de l’article6, paragraphe1, du Pacte et du paragraphe3 de l’article2, lu conjointement avec l’article6, paragraphe1, en ce qui concerne son frère décédé Atik.

9.Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile, consistant notamment à: a) mener une enquête approfondie et rigoureuse sur la disparition de Mohamed Mehalli; b) fournir aux auteurs des informations détaillées quant aux résultats de ses enquêtes; c) libérer immédiatement Mohamed Mehalli au cas où il serait toujours détenu au secret; d) dans l’éventualité où Mohamed Mehalli serait décédé, restituer sa dépouille à sa famille; e) poursuivre, juger et punir les responsables des violations commises; et f) indemniser de manière appropriée l’auteur et sa famille pour les violations subies; ainsi que Mohamed Mehalli s’il est en vie; g)procéder à une enquête prompte et efficace concernant les allégations de torture infligée à l’auteur, ses sœurs et ses frères Bedrane et Abderrahmane, et poursuivre et punir les responsables, et leur offrir une compensation adéquate, y compris en ce qui concerne leur détention illégale dans ce contexte; h) procéder à une enquête prompte et efficace concernant les circonstances exactes de la mort du frère de l’auteur Atik afin de voir les responsables être poursuivis et punis. Nonobstant l’ordonnance no06-01, l’État devrait également veiller à ne pas entraver le droit à un recours effectif pour les victimes de crimes tels que la torture, les exécutions extrajudiciaires et les disparitions forcées. L’État partie est en outre tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 180 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement dans les langues officielles.

[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle de M. FabiánOmar Salvioliet M. VíctorRodríguez-Rescia

Nous sommes d’accord avec l’opinion du Comité et les conclusions auxquelles il est parvenu dans l’affaire Mehallic. Algérie, (1900/2009). Comme nous l’avons déjà indiqué à plusieurs reprises dans des affaires similaires, nous considérons qu’en l’espèce le Comité aurait dû constater que l’État avait enfreint l’obligation générale qui lui incombe en vertu du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques en adoptant l’ordonnance no06-01, dont certaines dispositions, en particulier l’article 46, sont clairement incompatibles avec le Pacte. Le Comité aurait également dû constater une violation du paragraphe 2 de l’article 2 lu conjointement avec d’autres dispositions de fond du Pacte. En ce qui concerne la réparation, nous estimons que le Comité aurait dû recommander à l’État partie de rendre l’ordonnance no06-01 conforme aux dispositions du Pacte.

De plus, en l’espèce, le Comité aurait dû constater une violation de l’article 6 du Pacte, étant donné que l’État a manqué à son devoir de garantir le droit à la vie. En parvenant à une telle conclusion, le Comité aurait eu une position conforme à sa jurisprudence −notamment dans des affaires concernant le même État partie− au sujet de faits identiques à ceux sur lesquels porte l’affaire Mehalli. En outre, au cours de la session durant laquelle il a adopté les conclusions concernant la présente communication, dans une affaire analogue de disparition forcée, le Comité est parvenu à une conclusion différente alors que les faits avérés étaient similaires.

Nous avons à maintes reprises affirmé que, lorsque les faits versés au dossier sont avérés, le Comité doit appliquer le Pacte sans nécessairement accepter les argumentations juridiques des parties. Le Comité a pris des décisions dans ce sens à diverses occasions, mais dans d’autres cas, comme dans la présente affaire Mehalli, il a limité ses propres pouvoirs sans donner de motif valable.

Pour des raisons exposées précédemment dans des affaires analogues, auxquelles nous renvoyons le lecteur pour éviter de les répéter ici, nous considérons qu’en l’espèce le Comité aurait dû conclure également qu’en adoptant l’ordonnance no06-01, l’État a violé les dispositions du paragraphe 2 de l’article 2 lu conjointement avec d’autres dispositions de fond du Pacte. En conséquence, dans le paragraphe relatif à la réparation, le Comité aurait dû conclure que l’État devait modifier l’ordonnance no06-01 pour la mettre en conformité avec les dispositions du Pacte.

Une telle conclusion aurait été cohérente avec l’argumentation exposée par le Comité lui-même dans la présente affaire. En effet, le Comité affirme que «[l]’ordonnance no06-01, sans les amendements recommandés par le Comité, semble promouvoir l’impunité et ne peut donc, en l’état, être compatible avec les dispositions du Pacte». Au vu du caractère catégorique de cette affirmation, il est incompréhensible que le Comité ne demande pas, à titre de réparation, que ladite ordonnance soit modifiée pour être mise en conformité avec le Pacte.

Nous souhaitons enfin exprimer notre satisfaction quant au fait que, pour la première fois de son histoire, le Comité a affirmé, dans le cadre de l’examen d’une communication émanant d’un particulier, que le traitement infligé à une femme victime d’un viol (en l’occurrence une des sœurs de l’auteur) constitue une forme de violence extrême liée au genre.

Une telle analyse, qui intègre une perspective de genre, représente un progrès dans l’exercice de la compétence d’un organe comme le Comité. Elle aurait dû donner lieu à l’octroi d’une réparation adaptée: l’éducation et la formation des agents des forces de l’ordre aux questions relatives au genre et aux droits fondamentaux des femmes, afin de garantir la non-répétition de tels faits.

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]