Nations Unies

CCPR/C/110/D/1899/2009

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

5 juin 2014

Original: français

Comité des droits de l’homme

Communication no 1899/2009

Constatations adoptées par le Comité à sa 110e session(10-28 mars 2014)

Communication présentée par:Zineb Terafi (représentée par le Collectif des familles de disparu(e)s en Algérie)

Au nom de:Ali Lakhdar-Chaouch (fils de l’auteur) et en son nom propre

État partie:Algérie

Date de la communication:26 juin 2009 (date de la lettre initiale)

Références:Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 29septembre 2009 (non publiée sous forme dedocument)

Date de l’adoption des constatations:21mars 2014

Objet:Disparition forcée

Question de procédure:Épuisement des recours internes

Questions de fond:Interdiction de la torture et des traitements cruels et inhumains; droit à la liberté et à la sécurité de la personne; reconnaissance de la personnalité juridiqueet droit à un recours effectif

Articles du Pacte:2 (par. 3); 7; 9; 16

Article du Protocole facultatif:5 (par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (110e session)

concernant la

Communication no 1899/2009 *

Présentée par:Zineb Terafi (représentée par le Collectif des familles de disparu(e)s en Algérie)

Au nom de:Ali Lakhdar-Chaouch (fils de l’auteur) et en son nom propre

État partie:Algérie

Date de la communication:26 juin 2009(date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 21 mars 2014,

Ayant achevé l’examen de la communication no1899/2009 présentée par Zineb Terafi, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est Zineb Terafi, épouse Lakhdar-Chaouch. Elle affirme que son fils, Ali Lakhdar-Chaouch,de nationalité algérienne, né le 4mars 1970 est victime de violations par l’État partie des articles2, paragraphe3; 7; 9et 16 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle affirme être elle-même victime de violations par l’État partie des articles2, paragraphe3, et 7 du Pacte. L’auteur est représentée par un conseil.

1.2Le 10 mai 2010, le Comité, par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de ne pas séparer l’examen de la recevabilité de celui du fond.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 1er avril 1997, à une heure du matin, Ali Lakhdar-Chaouch, chirurgien orthopédiste de 27 ans, a été arrêté sur son lieu de travail, l’hôpital universitaire de Kouba, alors qu’il y effectuait sa garde au service des urgences. Des agents de la sécurité militaire, habillés en civil, qui provenaient du «Centre territorial de recherches et d’investigations» de Ben Aknoun se seraient présentés à l’hôpital, munis d’un mandat d’arrêt au nom de la victime. L’arrestation de la victime s’est déroulée en présence de nombreux témoins, dont la directrice de l’hôpital, le directeur des hôpitaux d’Alger centre, le chef du personnel, et de nombreux infirmiers. La directrice de l’hôpital a tenté de s’opposer à l’arrestation, mais les agents de sécurité ont rétorqué qu’ils n’avaient que quelques questions à poser à Ali Lakhdar-Chaouch, et que ce dernier ne serait pas détenu longtemps. Ils ont par la suite embarqué la victime dans une voiture banalisée blanche. Sa famille n’a plus eu de ses nouvelles depuis.

2.2Depuis 1997, l’auteur n’a cessé de faire des recherches et de déposer des plaintes pour retrouver la trace de son fils. Elle s’est rendue dans les commissariats et gendarmeries d’Alger où on lui a répondu que son fils n’était pas détenu. En juillet 1997, l’auteur a déposé une première plainte auprès du tribunal d’El Harrach, plainte qui a abouti à un non-lieu. Le 5 mars 2000, sur ordre du Procureur du tribunal d’Hussein Dey et suite à un procès-verbal de la gendarmerie de Baraki, une demande d’ouverture d’enquête concernant une plainte contre X pour disparition a été effectuée. Le père du disparu a été entendu par le Procureur le 15 mars 2000. L’auteur a par la suite déposé une plainte auprès du tribunal de Hussein Dey mettant en cause les agents de l’État partie. Toutefois, le 24 décembre 2000, le juge d’instruction a prononcé un non-lieu pour vice de procédure au motif que les responsables de l’arrestation ne pouvaient être identifiés. Il aurait fallu convoquer et interroger les témoins mais l’auteur affirme que le personnel de l’hôpital a refusé de témoigner par peur de représailles.

2.3Le 12 février 2001, l’auteur a interjeté appel de cette décision au nom de la famille Lakhdar-Chaouch au motif que les responsables de l’arrestation étaient identifiables et que la directrice de l’hôpital pourrait être appelée à témoigner. Le 13 février 2001, la Chambre d’accusation de la cour d’appel d’Alger a fait droit à la demande et a annulé le non-lieu du 24 décembre 2000. L’affaire a été renvoyée devant le juge d’instruction, qui a prononcé un nouveau non-lieu le 17 novembre 2003, malgré le témoignage de la directrice de l’hôpital en date du 19 janvier 2003. L’auteur a interjeté appel de cette décision auprès de la cour d’appel d’Alger. Le 21 avril 2004, celle-ci a fait droit à la demande et a renvoyé l’affaire devant le juge d’instruction, qui a confirmé le non-lieu le 15 août 2004.

2.4Le 2 juillet 2006, l’auteur a obtenu un constat de disparition de la victime, émis par la brigade de gendarmerie de Baraki. Insatisfaite de ce simple constat, l’auteur a déposé plainte auprès du Procureur de la République du tribunal de Hussein Dey, suite à quoi elle a été notifiée le 8 février 2007 par la police judiciaire de Baraki que ce constat avait été émis après qu’une enquête diligente ait été effectuée.

2.5Concernant les recours administratifs et les recours auprès d’instances internationales, l’auteur a déposé une plainte le 30 juin 1997 auprès de l’Observatoire national des droits de l’homme (ONDH), lui demandant de faire la lumière sur le sort de son fils. La Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme, qui a succédé à l’ONDH, a mis plus de trois ans à accuser réception de cette plainte, informant finalement la famille qu’elle diligenterait une enquête. À ce jour, la famille n’a reçu aucune nouvelle de la Commission. L’auteur a envoyé de nombreux courriers aux autorités algériennes au sujet de la disparition de son fils. En 1997 puis en 2003, des lettres ont été envoyées au Président de la République. En janvier 2003, l’auteur s’est adressée également au Ministre de la justice, au Ministre de l’intérieur et au Premier Ministre, mais n’a jamais obtenu de réponse. La famille de la victime a contacté des organisations non gouvernementales étrangères telles que la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et Amnesty International. Par ailleurs, l’auteur a soumis le cas de son fils au Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées ou involontaires, sans que le cas ne puisse être élucidé.

2.6En outre, l’auteur affirme que la Charte pour la paix et la réconciliation nationale et ses textes d’application rendent maintenant impossible tout recours devant la justice algérienne. L’ordonnance no 06/01 verrouille toute possibilité d’action judiciaire à l’encontre d’agents de l’État puisqu’elle dispose, en son article 45, qu’aucune «poursuite ne peut être engagée, à titre individuel ou collectif, à l’encontre des éléments des forces de défense et de sécurité de la République, toutes composantes confondues, pour des actions menées en vue de la protection des personnes et des biens, de la sauvegarde de la Nation et de la préservation des institutions de la République algérienne démocratique et populaire». En vertu de cette ordonnance, «toute dénonciation ou plainte doit être déclarée irrecevable par l’autorité judiciaire».

Teneur de la plainte

3.1L’auteur estime que la disparition de son fils depuis plus de 12 ans constitue une disparition forcée et viole les articles 2, paragraphe 3; 7; 9 et 16 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle affirme être elle-même victime de violations par l’État partie des articles 2, paragraphe 3, et de l’article 7 du Pacte.

3.2Selon la jurisprudence du Comité, conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, consistant notamment à mener une enquête approfondie et diligente sur la disparition et le sort de son fils, à remettre celui -ci immédiatement en liberté s’il est encore en vie, à informer comme il convient sur les résultats de ses enquêtes et à indemniser de façon appropriée l’auteur et sa famille pour les violations subies par le fils de l’auteur. L’État partie est également tenu d’engager des poursuites pénales contre les personnes tenues responsables de ces violations, de les juger et de les punir. L’État partie est d’autre part tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir.

3.3L’auteur souligne que selon la jurisprudence du Comité, le seul fait pour la victime d’être soumise à une disparition forcée est constitutif de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 7 du Pacte. Par ailleurs, la disparition de son fils depuis plusieurs années constitue une épreuve douloureuse et angoissante pour elle, en tant que mère. Elle ignore tout du sort qui lui a été réservé et s’inquiète d’autant plus que son fils est diabétique et risque de ne pas avoir reçu les traitements nécessaires. L’absence de la victime et le temps qui s’écoule lui enlève chaque jour un peu plus l’espoir de le revoir et lui cause d’importantes souffrances morales qui constituent une violation de l’article 7 du Pacte également à son égard.

3.4L’auteur rappelle la jurisprudence constante du Comité, selon laquelle, toute détention non reconnue d’un individu constitue une négation totale du droit à la liberté et à la sécurité garanti par l’article 9 du Pacte. Le fait que l’arrestation de la victime, le 1er avril 1997 par les services de la sécurité militaire de Ben Aknoun, n’ait pas été reconnue, que sa détention n’ait pas été mentionnée dans les registres de garde à vue et qu’il n’y ait pas eu d’enquête effective et efficace, constitue une violation de l’article 9 par l’État partie.

3.5L’auteur soutient également que la victime a été privée de sa capacité d’exercer ses droits et d’accéder à un quelconque recours. Elle a ainsi été soustraite à la protection de la loi et le refus par l’État de reconnaître sa personnalité juridique constitue une violation de l’article 16 du Pacte.

3.6La famille Lakhdar-Chaouch n’a jamais cessé de faire des démarches auprès des autorités algériennes pour connaître le sort qui a été réservé à leurs fils depuis sa disparition. En l’absence d’enquêtes approfondies sur les violations supposées des droits de l’homme, l’État partie a violé les articles 7, 9, 16 et 2, paragraphe 3, du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité de la communication

4.1Le 3mai 2010, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication. Il considère que la communication qui met en cause la responsabilité d’agents publics ou d’autres personnes agissant sous l’autorité de pouvoirs publics dans la survenance de cas de disparitions forcées pendant la période considérée, c’est-à-dire de 1993 à 1998, doit être examinée dans le contexte plus général de la situation sociopolitique et être déclarée irrecevable. L’approche individuelle de cette plainte ne restitue pas le contexte intérieur sociopolitique et sécuritaire dans lequel se seraient produits les faits allégués et ne reflète ni la réalité ni la diversité factuelle des situations couvertes sous le terme générique de disparitions forcées durant la période considérée.

4.2À cet égard et contrairement aux théories véhiculées par des organisations non gouvernementales internationales que l’État partie considère peu objectives, la douloureuse épreuve du terrorisme que l’État partie a vécue ne saurait être perçue comme une guerre civile opposant deux camps mais comme une crise qui a évolué vers une propagation du terrorisme à la suite d’appels à la désobéissance civile. Cela a donné naissance à l’émergence d’une multitude de groupes armés pratiquant des actes de criminalité terroriste, de subversion, de destruction et de sabotage d’infrastructures publiques et de terreur contre les populations civiles. Ainsi l’État partie a traversé durant les années 1990, une des plus terribles épreuves de sa jeune indépendance. Dans ce contexte, et conformément à la Constitution algérienne (art. 87 et 91) des mesures de sauvegarde ont été prises et le Gouvernement algérien a notifié la proclamation de l’état d’urgence au Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies conformément à l’article4, paragraphe3, du Pacte.

4.3Durant cette période, les attentats terroristes survenant dans le pays à une cadence journalière, étaient commis par une multitude de groupes armés obéissant plus à une idéologie qu’à une chaîne hiérarchique structurée, ce qui avait entraîné une situation où les capacités des pouvoirs publics de maîtrise de la situation sécuritaire avaient été fortement diminuées. Il en était résulté une certaine confusion dans la manière dont plusieurs opérations avaient été menées au sein de la population civile, pour qui il était difficile de distinguer les interventions de groupes terroristes de celles des forces de l’ordre, auxquelles les civils ont souvent attribué les disparitions forcées. Selon différentes sources indépendantes, notamment la presse et les organisations des droits de l’homme, la notion générique de personne disparue en Algérie durant la période considérée renvoie à six cas de figure distincts, dont aucun n’est imputable à l’État. Le premier cas de figure cité par l’État partie concerne des personnes déclarées disparues par leurs proches, alors qu’elles étaient entrées dans la clandestinité de leur propre chef pour rejoindre les groupes armés en demandant à leur famille de déclarer qu’elles avaient été arrêtées par les services de sécurité pour «brouiller les pistes» et éviter le «harcèlement» par la police. Le deuxième cas concerne les personnes signalées comme disparues suite à leur arrestation par les services de sécurité mais qui ont profité de leur libération pour entrer dans la clandestinité. Le troisième cas concerne des personnes qui ont été enlevées par des groupes armés qui, parce qu’ils ne sont pas identifiés ou ont agi en usurpant l‘uniforme ou les documents d’identification de policiers ou de militaires, ont été assimilés à tort à des agents relevant des forces armées ou des services de sécurité. Le quatrième cas de figure concerne les personnes recherchées par leur famille qui ont pris l’initiative d’abandonner leurs proches, et parfois même de quitter le pays, en raison de problèmes personnels ou de litiges familiaux. Il peut s’agir, en cinquième lieu, de personnes signalées comme disparues par leur famille et qui étaient en fait des terroristes recherchés, qui ont été tués et enterrés dans le maquis à la suite de combats entre factions, de querelles doctrinales ou de conflits autour des butins de guerre entre groupes armés rivaux. L’État partie évoque enfin une sixième catégorie, celle de personnes portées disparues vivant en fait sur le territoire national ou à l’étranger sous une fausse identité obtenue grâce à un réseau de falsification de documents.

4.4L’État partie souligne que c’est en considération de la diversité et de la complexité des situations couvertes par la notion générique de disparition que le législateur algérien, à la suite du plébiscite populaire de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, avait préconisé le traitement de la question des disparus dans un cadre global à travers la prise en charge de toutes les personnes disparues dans le contexte de la «tragédie nationale», un soutien pour toutes les victimes afin qu’elles puissent surmonter cette épreuve et l’octroi d’un droit à réparation pour toutes les victimes de disparition et leurs ayants droit. Selon des statistiques élaborées par les services du Ministère de l’intérieur, 8 023cas de disparition ont été déclarés, 6 774 dossiers ont été examinés, 5 704dossiers ont été acceptés à l’indemnisation, 934 ont été rejetés et 136 sont en cours d’examen. Au total, 371 459 390 dinars algériensont été versés à l’ensemble des victimes concernées à titre d’indemnisation. À cela s’ajoutent 1 320 824 683dinars versés sous forme de pensions mensuelles.

4.5L’État partie fait également valoir que tous les recours internes n’ont pas été épuisés. Il insiste sur l’importance de faire une distinction entre les simples démarches auprès d’autorités politiques ou administratives, les recours non contentieux devant des organes consultatifs ou de médiation et les recours contentieux exercés devant les diverses juridictions compétentes. Il remarque qu’il ressort des déclarations de l’auteur que les plaignants ont adressé des lettres à des autorités politiques ou administratives, saisi des organes consultatifs ou de médiation et transmis une requête à des représentants du parquet (procureurs généraux ou procureurs de la République) sans avoir à proprement parler engagé une procédure de recours judiciaire et l’avoir menée jusqu’à son terme par l’exercice de l’ensemble des voies de recours disponibles en appel et en cassation. Parmi toutes ces autorités, seuls les représentants du ministère public sont habilités par la loi à ouvrir une enquête préliminaire et à saisir le juge d’instruction. Dans le système judiciaire algérien, le Procureur de la République est celui qui reçoit les plaintes et qui, le cas échéant, déclenche l’action publique. Cependant, pour protéger les droits de la victime ou de ses ayants droit, le Code de procédure pénale autorise ces derniers à agir par voie de plainte avec constitution de partie civile directement devant le juge d’instruction. Dans ce cas, c’est la victime et non le Procureur qui met en mouvement l’action publique en saisissant le juge d’instruction. Ce recours visé aux articles 72 et 73 du Code de procédure pénale n’a pas été utilisé alors qu’il aurait permis aux victimes de déclencher l’action publique et d’obliger le juge d’instruction à informer, même si le parquet en avait décidé autrement.

4.6L’État partie note en outre que, selon l’auteur, il est impossible de considérer qu’il existe en Algérie des recours internes efficaces, utiles et disponibles pour les familles de victimes de disparition en raison de l’adoption par référendum de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale et de ses textes d’application, notamment l’article 45 de l’ordonnance no 06-01. Sur cette base, l’auteur s’est cru dispensé de l’obligation de saisir les juridictions compétentes en préjugeant de leur position et de leur appréciation dans l’application de cette ordonnance. Or les auteurs ne peuvent invoquer cette ordonnance et ses textes d’application pour s’exonérer de n’avoir pas engagé les procédures judiciaires disponibles. L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle la croyance ou la présomption subjective d’une personne quant au caractère vain d’un recours ne la dispense pas d’épuiser tous les recours internes.

4.7L’État partie souligne ensuite la nature, les fondements et le contenu de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale et ses textes d’application. Il souligne qu’en vertu du principe d’inaliénabilité de la paix, qui est devenu un droit international à la paix, le Comité devrait accompagner et consolider cette paix et favoriser la réconciliation nationale pour permettre aux États affectés par des crises intérieures de renforcer leurs capacités. Dans cet effort de réconciliation nationale, l’État partie a adopté la Charte, dont l’ordonnance d’application prévoit des mesures d’ordre juridique emportant extinction de l’action publique et commutation ou remise de peine pour toute personne coupable d’actes de terrorisme ou bénéficiant des dispositions relatives à la discorde civile, à l’exception de celles ayant commis, comme auteurs ou complices, des actes de massacre collectif, des viols ou des attentats à l’explosif dans des lieux publics. Cette ordonnance prévoit également une procédure de déclaration judiciaire de décès, qui ouvre droit à une indemnisation des ayants droit des disparus en qualité de victimes de la «tragédie nationale». En outre, des mesures d’ordre socioéconomique ont été mises en place, parmi lesquelles des aides à la réinsertion professionnelle et le versement d’indemnités à toutes les personnes ayant la qualité de victimes de la «tragédie nationale». Enfin, l’ordonnance prévoit des mesures politiques telles que l’interdiction d’exercer une activité politique à toute personne ayant contribué à la «tragédie nationale» en instrumentalisant la religion dans le passé et dispose qu’aucune poursuite ne peut être engagée à titre individuel ou collectif à l’encontre des éléments des forces de défense et de sécurité de la République, toutes composantes confondues, pour des actions menées en vue de la protection des personnes et des biens, de la sauvegarde de la nation et de la préservation des institutions de la République.

4.8Outre la création du fonds d’indemnisation pour toutes les victimes de la «tragédie nationale», le peuple souverain d’Algérie a, selon l’État partie, accepté d’engager une démarche de réconciliation nationale qui est le seul moyen pour cicatriser les plaies générées. L’État partie insiste sur le fait que la proclamation de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale s’inscrit dans une volonté d’éviter les confrontations judiciaires, les déballages médiatiques et les règlements de compte politiques. L’État partie considère, dès lors, que les faits allégués par l’auteur sont couverts par le mécanisme interne global de règlement induit par le dispositif de la Charte.

4.9L’État partie demande au Comité de constater la similarité des faits et des situations décrits par l’auteur et de tenir compte du contexte sociopolitique et sécuritaire dans lequel ils s’inscrivent, de conclure que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes, de reconnaître que les autorités de l’État partie ont mis en œuvre un mécanisme interne de traitement et de règlement global des cas visés par la communication en cause selon un dispositif de paix et de réconciliation nationale conforme aux principes de la Charte des Nations Unies et des pactes et conventions subséquents, de déclarer la communication irrecevable et de renvoyer l’auteur à mieux se pourvoir.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 3 décembre 2012, l’auteur a présenté ses commentaires aux observations de l’État partie. À titre préliminaire, l’auteur tient à attirer l’attention du Comitésur la nature générale de la réponse apportée par l’État algérien puisqu’il s’agit d’une simple copie des arguments présentés pour l’ensemble des communications individuelles pendantes devant le Comité depuis l’entrée en vigueur de la Charte et de ses textes d’application. L’auteur allègue que l’Algérie a méconnu les exigences du Comité, qui impose aux États de fournir une réponse spécifique et des preuves pertinentes aux allégations de l’auteur d’une communication.

5.2L’auteur souligne que selon la jurisprudence constante du Comité des droits de l’homme, seuls les recours efficaces, utiles et disponibles au sens de l’article2, paragraphe3, doivent être épuisés. Concernant l’argument de l’État partie visant à contester l’épuisement des voies de recours internes, l’auteur rappelle que la famille Lakhdar-Chaouch a, dans le respect de la procédure algérienne, introduit de nombreux recours qui se sont tous avérés inutiles. En effet, sur les nombreuses plaintes juridictionnelles et non-juridictionnelles déposées entre 1998 et 2006, aucune n’a abouti à une enquête diligente ou à des poursuites pénales, alors qu’il s’agissait d’allégations graves de disparition forcée. Or, alors même qu’il incombe à l’État de démontrer qu’il a bel et bien respecté son obligation d’enquêter, les autorités algériennes n’ont apporté aucune réponse spécifique à la situation d’Ali Lakhdar-Chaouch; elles se sont contentées d’une réponse générale. L’État n’a apporté aucun élément tangible prouvant que des recherches effectives ont été engagées pour retrouver le fils de l’auteur et pour identifier les responsables de sa disparition.

5.3Par ailleurs, l’auteur répond à l’argument de l’État partie selon lequel l’exigence d’épuiser les voies de recours internes requiert que soit mise en œuvre l’action publique par le biais d’un dépôt de plainte avec constitution de partie civile auprès du juge d’instruction. L’auteur rappelle qu’elle a déposé plusieurs plaintes auprès du tribunal d’El Harrach et d’Hussein Dey et que celles-ci ont toutes été classées sans suite. De surcroît, l’auteur fait référence à de précédentes décisions du Comité en matière de disparition forcée dans lesquelles celui-ci a déclaré que la constitution de partie civile pour des infractions aussi graves que celles alléguées en l’espèce ne saurait remplacer des poursuites qui devraient être engagées par le Procureur de la République lui-même. Il incombait au Procureur d’engager lui-même une enquête approfondie.

5.4S’agissant de l’argument de l’État partie selon lequel la simple croyance ou la présomption subjective d’une personne quant au caractère vain d’un recours ne la dispense pas d’épuiser les recours internes, l’auteur se réfère à l’article45 de l’ordonnance no 06/01, qui verrouille toute possibilité d’action judiciaire à l’encontre des agents de l’État. Selon la jurisprudence du Comité,l’ordonnance no06/01, sans les amendements recommandés, semble promouvoir l’impunité et ne peut donc, en l’état, être compatible avec les dispositions du Pacte. Les victimes ont ainsi épuisé tous les recours internes disponibles.

5.5L’auteur rappelle également, que selon la jurisprudence du Comité, l’État partie ne peut pas invoquer les dispositions de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale contre des personnes qui ont soumis des communications au Comité.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1En premier lieu, le Comité rappelle que la jonction de la recevabilité et du fond décidée par le Rapporteur spécial (voir par. 1.2) n’exclut pas un examen en deux temps de ces questions par le Comité. La jonction de la recevabilité et du fond ne signifie pas simultanéité de leur examen. Par conséquent, avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2En vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité doit s’assurer que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il note que la disparition d’Ali Lakhdar-Chaouch a été signalée au Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées ou involontaires (par. 2.5 ci‑dessus). Toutefois, il rappelle que les procédures ou mécanismes extraconventionnels mis en place par la Commission des droits de l’homme ou le Conseil des droits de l’homme, et dont les mandats consistent à examiner et à faire rapport publiquement sur la situation des droits de l’homme dans tel ou tel pays ou territoire ou sur des phénomènes de grande ampleur de violation des droits de l’homme dans le monde, ne relèvent généralement pas d’une procédure internationale d’enquête ou de règlement au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. En conséquence, le Comité estime que l’examen du cas d’Ali Lakhdar-Chaouch par le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires ne rend pas la communication irrecevable en vertu de cette disposition.

6.3Le Comité note que, selon l’État partie, l’auteur n’aurait pas épuisé les recours internes puisque la possibilité de saisir le juge d’instruction en se constituant partie civile en vertu des articles72 et 73 du Code de procédure pénale n’a pas été envisagée. Le Comité note en outre que, selon l’État partie, l’auteur a adressé des lettres à des autorités politiques ou administratives sans avoir à proprement parler engagé une procédure de recours judiciaire et l’avoir menée jusqu’à son terme par l’exercice de l’ensemble des voies de recours disponibles en appel et en cassation. Toutefois, le Comité note l’argument de l’auteur selon lequel la famille Lakhdar-Chaouch a déposé de nombreuses plaintes devant les organes judiciaires entre 1998 et 2006 et qu’après la promulgation, le 27février 2006, de l’ordonnance no 06/01 portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, l’auteur s’est trouvé confronté à l’impossibilité légale de recourir à une instance judiciaire.

6.4Le Comité rappelle que l’État partie a non seulement le devoir de mener des enquêtes approfondies sur les violations supposées des droits de l’homme portées à l’attention de ses autorités, en particulier lorsqu’il s’agit de disparitions forcées et d’atteintes au droit à la vie, mais aussi de poursuivre quiconque est présumé responsable de ces violations, de procéder à un jugement et de prononcer une peine. La famille d’Ali Lakhdar-Chaouch a, à de nombreuses reprises, alerté les autorités policières et politiques de la disparition de ce dernier, mais l’État partie n’a procédé à aucune enquête approfondie et rigoureuse. En outre, l’État partie n’a pas apporté les éléments permettant de conclure qu’un recours efficace et disponible est ouvert alors que l’ordonnance no 06-01 du 27 février 2006 continue d’être appliquée en dépit des recommandations du Comité visant à sa mise en conformité avec le Pacte.Le Comité rappelle qu’aux fins de la recevabilité d’une communication, l’auteur doit épuiser uniquement les recours utiles afin de remédier à la violation alléguée, en l’espèce, les recours utiles pour remédier à la disparition forcée. En outre, le Comité estime que la constitution de partie civile pour des infractions aussi graves que celles alléguées en l’espèce ne saurait remplacer des poursuites qui devraient être engagées par le Procureur de la République lui-même.Étant donné le caractère imprécis du texte des articles 45 et 46 de l’ordonnance, et en l’absence d’informations concluantes de l’État partie concernant leur interprétation et leur application dans la pratique, les craintes exprimées par l’auteur quant à l’efficacité de l’introduction d’une plainte sont raisonnables. Au vu de l’ensemble de ces considérations, le Comité conclut que le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne fait pasobstacle à la recevabilité de la présente communication.

6.5Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé ses allégations dans la mesure où elles soulèvent des questions au regard des articles7, 9,16, et 2, paragraphe3, du Pacte, et procède donc à l’examen de la communication sur le fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties.

7.2Dans la présenteaffaire, l’État partie s’est contenté de maintenir que les communications alléguant la responsabilité d’agents publics ou de personnes agissant sous l’autorité des pouvoirs publics dans la survenance de cas de disparition forcée de 1993 à 1998 doivent être examinées dans le contexte plus général de la situation sociopolitique et des conditions de sécurité dans le pays, à une période où le Gouvernement s’employait à lutter contre le terrorisme.Le Comité fait observer qu’en vertu du Pacte, l’État partie doit se soucier du sort de chaque individu, qui doit être traité avec le respect dû à la dignité inhérente à la personne humaine. Il tient à rappeler sa jurisprudence selon laquelle l’État partie ne saurait opposer les dispositions de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale à des personnes qui invoquent les dispositions du Pacte ou qui ont soumis, ou pourraient soumettre, des communications au Comité. L’ordonnance no 06-01, sans les amendements recommandés par le Comité, semble promouvoir l’impunité et ne peut donc, en l’état, être compatible avec les dispositions du Pacte.

7.3Le Comité note que l’État partie n’a pas répondu aux allégations de l’auteur sur le fond et rappelle sa jurisprudence,selonlaquelle la charge de la preuve ne doit pas incomber uniquement à l’auteur d’une communication, d’autant plus que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que souvent seul l’État partie dispose des renseignements nécessaires. Il ressort du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte portées contre lui et ses représentants et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient.En l’absence d’explicationsde l’État partie à ce sujet, il convient d’accorder tout le crédit voulu aux allégations de l’auteur dès lors qu’elles sont suffisamment étayées.

7.4Le Comité reconnaît le degré de souffrance qu’implique une détention sans contact avec le monde extérieur pendant une durée indéfinie. Il rappelle à ce sujet son observation générale no 20 (1992) sur l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dans laquelle il recommande aux États parties de prendre des dispositions pour interdire la détention au secret.Le Comité note en l’espèce qu’Ali Lakhdar-Chaouch a été arrêté par des agents de la sécurité militaire algérienne le 1eravril 1997 et que, depuis, il n’a eu aucun contact avec sa famille.En l’absence de toute explication satisfaisante de l’État partie, le Comité considère que ces faits constituent une violation de l’article7 du Pacte à l’égard d’Ali Lakhdar-Chaouch.

7.5Le Comité prend acte également de l’angoisse et de la détresse que la disparition d’Ali Lakhdar-Chaouch ont causé à l’auteur, sa mère. Le Comité considère en conséquence que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article7 du Pacte à l’égard de cette dernière.

7.6En ce qui concerne les griefs de violation de l’article 9, le Comité note les allégations de l’auteur qui affirme que l’arrestation de la victime le 1eravril 1997 par les services de la sécurité militaire de Ben Aknoun n’a jamais été reconnue, que sa détention n’a pas été mentionnée dans les registres de garde à vue, et qu’il n’y a pas eu d’enquête effective et efficace de la part de l’État. En l’absence d’explications satisfaisantes de l’État partie, le Comité conclut à une violation de l’article9 à l’égard d’Ali Lakhdar-Chaouch.

7.7S’agissant du grief de violation de l’article16, le Comité réitère sa jurisprudence constante selon laquelle le fait de soustraire intentionnellement une personne à la protection de la loi pour une période prolongée peut constituer un refus de reconnaissance de sa personnalité juridique, si la victime était entre les mains des autorités de l’État lors de sa dernière apparition et si les efforts de ses proches pour avoir accès à des recours potentiellement utiles, y compris devant les cours de justice (paragraphe 3 de l’article2 du Pacte), sont systématiquement empêchés. Dans le cas présent, le Comité note que les autorités de l’État partie n’ont fourni aucune informationà l’auteur sur le sort réservé à Ali Lakhdar-Chaouch ni sur le lieu où il se trouve,et ce malgré les demandes que l’auteur a adressées aux différentes autorités de l’État partie. Le Comité en conclut que la disparition forcée d’Ali Lakhdar-Chaouch depuis le 1eravril 1997 l’a soustrait à la protection de la loi et l’a privé de son droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique, en violation de l’article 16 du Pacte.

7.8L’auteur invoque le paragraphe3 de l’article2 du Pacte qui impose aux États parties l’obligation de garantir un recours utile à tous les individus dont les droits reconnus dans le Pacte auraient été violés. Le Comité attache de l’importance à la mise en place par les États parties de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations des droits. Il rappelle son observation générale no31(2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, qui indique notamment que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. Toutes les démarches entreprises se sont révélées vaines et l’État partie n’a procédé à aucune enquête approfondie et rigoureuse sur la disparition. En outre, l’impossibilité légale de recourir à une instance judiciaire après la promulgation de l’ordonnance no 06-01 portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale continue de priver Ali Lakhdar-Chaouch et l’auteur de tout accès à un recours utile puisque cette ordonnance interdit, sous peine d’emprisonnement, le recours à la justice pour faire la lumière sur les crimes les plus graves comme les disparitions forcées. Au vu de ce qui précède, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article2, lu conjointement avec les articles 7,9 et 16 du Pacte à l’égard d’Ali Lakhdar-Chaouch, et du paragraphe3 de l’article2 du Pacte, lu conjointement avec l’article7 du Pacte, à l’égard de l’auteur.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe4 de l’article5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l’État partie de l’article7, de l’article9, de l’article16, et du paragraphe3 de l’article2, lu conjointement avec les articles7, 9, et 16 du Pacte à l’égard d’Ali Lakhdar-Chaouch. Il constate en outre une violation de l’article 7, et du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avecl’article 7 à l’égard de l’auteur.

9.Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer a l’auteur un recours utile, consistant notamment à: a) mener une enquête approfondie et rigoureuse sur la disparition d’Ali Lakhdar-Chaouch; b)fournir à l’auteur des informations détaillées quant aux résultats de son enquête; c) libérer immédiatement l’intéressé au cas où il serait toujours détenu au secret; d) dans l’éventualité où Ali Lakhdar-Chaouch serait décédé, restituer sa dépouille à sa famille; e) poursuivre, juger et punir les responsables des violations commises; et f) indemniser de manière appropriée l’auteur pour les violations subies, ainsi qu’Ali Lakhdar-Chaouch s’il est en vie. Nonobstant l’ordonnance no 06-01, l’État partie devrait également veiller à ne pas entraver le droit à un recours effectif pour les victimes de crimes tels que la torture, les exécutions extrajudiciaires et les disparitions forcées. L’État partie est en outre tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus par le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et les diffuser largement dans les langues officielles.

[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle (concordante) de M. Fabián Omar Salvioli et M. Víctor Manuel Rodríguez Rescia

Nous sommes d’accord avec l’opinion du Comité et les conclusions auxquelles il est parvenu dans l’affaire Lakhdar - Chaouch c. Algérie (communication no 1899/2009). Comme nous l’avons déjà indiqué à plusieurs reprises, dans des cas analogues, nous estimons aussi dans la présente affaire que le Comité aurait dû constater que l’État avait enfreint l’obligation générale qui lui incombe en vertu du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte en adoptant l’ordonnance no 06/01, dont certaines dispositions, en particulier l’article 46, sont clairement incompatibles avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Comité aurait dû également constater une violation du paragraphe 2 de l’article 2, lu conjointement avec d’autres dispositions de fond du Pacte. En ce qui concerne la réparation, nous estimons que le Comité aurait dû considérer que l’État partie devait rendre l’ordonnance no 06/01 conforme aux dispositions du Pacte.

En outre, dans la présente affaire, le Comité aurait dû conclure à la violation de l’article 6 du Pacte, étant donné que l’État ne s’est pas acquitté de l’obligation qui lui incombe de garantir le droit à la vie. En parvenant à cette conclusion, le Comité aurait été cohérent avec la jurisprudence issue d’affaires antérieures, dont certaines concernent le même État partie, et qui présentent des faits identiques à ceux qui caractérisent l’affaire Lakhdar ‑Chaouch. De surcroît, lors de la même séance au cours de laquelle ont été approuvées les présentes constatations, dans une affaire analogue de disparition forcée, le Comité est parvenu à une conclusion différente alors que les faits avérés sont les mêmes.

Nous avons soutenu à maintes reprises que, lorsque les faits sont établis dans un dossier, le Comité doit appliquer le Pacte sans être limité par les argumentations juridiques des parties. C’est ainsi que le Comité a agi correctement à plusieurs reprises, tandis qu’en d’autres occasions, comme dans la présente affaire Lakhdar - Chaouch, le Comité a décidé d’imposer des limites à ses prérogatives sans donner de raisons valables pour cela.

Pour des raisons qui ont été exposées précédemment dans des affaires analogues, auxquelles nous renvoyons pour ne pas les réitérer, nous estimons qu’en l’espèce le Comité aurait dû conclure également que l’État, en adoptant l’ordonnance no 06/01, a violé le paragraphe 2 de l’article 2, en ce qui concerne divers droits fondamentaux énoncés dans le Pacte. Par conséquent, dans le paragraphe concernant les réparations, le Comité aurait dû demander à l’État partie de rendre l’ordonnance no 06/01 conforme aux dispositions du Pacte.

Nous estimons que le Comité doit faire preuve de cohérence dans les décisions rendues concernant des faits établis d’une manière égale, dans l’application effective du Pacte et dans les réparations qui s’imposent pour éviter que les faits ne se reproduisent. C’est en faisant preuve de la clarté juridique voulue que le Comité des droits de l’homme s’acquittera le mieux de son rôle et fera en sorte que les États parties respectent et garantissent les droits énoncés dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]