Nations Unies

CCPR/C/112/D/2053/2011

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

7 janvier 2015

Français

Original: anglais

Comité des droits de l’homme

Communication no 2053/2011

Constatations adoptées par le Comité à sa 112e session(7-31 octobre 2014)

Communication présentée par:

B. L. (représenté par Balmain for Refugees)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Australie

Date de la communication:

15 avril 2011(date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application des articles 92 et 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 26 avril 2011 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

16 octobre 2014

Objet:

Expulsion vers le Sénégal

Question(s) de fond:

Droit à la vie; droit à la protection contre les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants; droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion

Question(s) de procédure:

Griefs insuffisamment étayés; non-épuisement des recours internes; irrecevabilité ratione materiae

Article(s) du Pacte:

6, 7 et 18

Article(s) du Protocole facultatif:

2, 3 et 5 (par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (112e session)

concernant la

Communication no 2053/2011 *

Présentée par:

B. L. (représenté par Balmain for Refugees)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Australie

Date de la communication:

15 avril 2011(date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 16 octobre 2014,

Ayant achevé l’examen de la communication no 2053/2011présentée par B. L. en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est B. L., de nationalité sénégalaise, né le 8 août 1978. Au moment de la soumission de la communication, il se trouvait en Australie et était sur le point d’être expulsé vers son pays d’origine. Il affirme que l’État partie violerait les droits qui lui sont reconnus par les articles 6, 7 et 18 du Pacte s’il l’expulsait vers le Sénégal. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour l’Australie le 13 août 1980 et le 25 septembre 1991, respectivement. L’auteur est représenté par Balmain for Refugees.

1.2Le 26 avril 2011, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, agissant au nom du Comité, a prié l’État partie de ne pas expulser l’auteur vers le Sénégal tant que sa communication était à l’examen. Le 20 décembre 2011, l’État partie a informé le Comité que l’auteur était toujours en Australie.

Exposé des faits

2.1L’auteur est né à Touba (Sénégal) au sein d’une grande famille musulmane pieuse qui appartenait et appartient toujours à la Confrérie des Mourides.

2.2Vers 1994, par l’intermédiaire de plusieurs amis, l’auteur a découvert l’Église des assemblées de Dieu, organisation chrétienne qui offrait de la nourriture et d’autres prestations aux enfants qui fréquentaient l’église. Il s’est intéressé à la Bible et a décidé de devenir chrétien. Il a été baptisé le 13 novembre 1994. À la suite de sa conversion de l’islam au christianisme, son père, ses frères et ses voisins lui ont dit que, s’il ne revenait pas vers l’islam, ils demanderaient à la Confrérie des Mourides d’émettre une fatwa (condamnation à mort) demandant qu’il soit tué. En novembre 1994, à une date non précisée, des membres de la famille de l’auteur et des personnes appartenant à la Confrérie des Mourides l’ont agressé et blessé; il n’a pas pu marcher pendant plusieurs jours. L’auteur affirme qu’on l’a ensuite enfermé dans la maison de son père pendant trois jours, sans nourriture, pour essayer de le forcer à se reconvertir à l’islam. Son père lui a dit qu’il avait déshonoré sa famille et l’avait couverte de honte, et qu’il voulait qu’il soit tué, s’il ne se reconvertissait pas à l’islam.

2.3À une date non précisée en 1994, l’auteur a quitté Touba pour Kaolack, ville située au sud de Touba, où il a trouvé du travail comme soudeur. Alors qu’il se trouvait à Kaolack, sa famille et d’autres membres de la Confrérie des Mourides l’ont retrouvé et l’ont roué de coups, le laissant pour mort.

2.4À une occasion, l’auteur a informé la police sénégalaise que la Confrérie des Mourides allait le tuer parce qu’il était devenu chrétien. Un haut gradé de la police lui a indiqué que celle-ci ne pouvait rien faire pour le protéger, parce qu’il s’agissait d’une affaire familiale et que la Confrérie des Mourides était trop puissante.

2.5Un pasteur chrétien a conseillé à l’auteur de quitter le Sénégal, pour des raisons de sécurité, et lui a fourni une aide financière à cette fin. L’auteur est arrivé en Afrique du Sud le 14 octobre 1998. Il était difficile d’y trouver du travail, et l’auteur est devenu marchand ambulant. Il avait le mal du pays et est donc rentré au Sénégal en 2006. Il a travaillé pendant une courte période à Kaolack pour son ancien employeur. Cependant, il a appris que des gens le cherchaient et il s’est caché. Ne se sentant pas en sécurité, il est reparti en Afrique du Sud en avril 2006.

2.6En raison de l’hostilité manifestée envers les travailleurs étrangers en Afrique du Sud, l’auteur est parti pour l’Australie, où il est arrivé le 14 octobre 2008.

2.7Le 9 avril 2009, l’auteur a déposé une demande de visa de protection (catégorie XA) auprès du Ministère de l’immigration et de la nationalité en vertu de la loi de 1958 sur l’immigration. Le 8 juillet 2009, le Ministère a rejeté sa demande, au motif qu’il ne satisfaisait pas aux conditions requises pour être considéré comme une personne à laquelle l’Australie devait protection au titre de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés.

2.8Le 24 juillet 2009, l’auteur a fait appel de cette décision devant le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés (Refugee Review Tribunal). Le 28 octobre 2009, le Tribunal a confirmé la décision du Ministère. Il a estimé que l’auteur était un témoin crédible qui avait évoqué de manière convaincante sa conversion et son attachement au christianisme. Le Tribunal a également considéré qu’il était resté actif dans l’Église en Afrique du Sud et en Australie parce qu’il y trouvait réconfort et consolation, et non pour étayer sa demande de statut de réfugié. Le Tribunal a jugé crédibles ses affirmations concernant son milieu familial et la réaction négative de sa famille et de certains proches à sa conversion au christianisme. Il a jugé recevables les éléments présentés par l’auteur pour établir que sa famille et des proches ou amis de la famille lui voulaient du mal et que sa famille et ses proches appartenaient à la Confrérie des Mourides. Il a également jugé recevables les éléments présentés par l’auteur pour établir qu’il avait été agressé par des membres de sa famille et leurs proches à deux occasions parce qu’il s’était converti au christianisme et que sa famille continuait à le rechercher lorsqu’il était rentré au Sénégal après avoir passé dix ans en Afrique du Sud. Il a estimé, toutefois, que la motivation de la famille et des proches était liée à leur volonté de le punir pour s’être converti, mais n’avait rien à voir avec leur appartenance à la Confrérie des Mourides. Le Tribunal n’a pas considéré que l’auteur avait des raisons justifiées de craindre la Confrérie des Mourides de manière générale, compte tenu d’informations indépendantes sur le pays concernant cette question.

2.9Le 28 octobre 2009, une demande d’intervention ministérielle en application de l’article 417 de la loi de 1958 sur l’immigration a été déposée par le décideur du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés. Il était demandé au Ministre d’examiner si la situation de l’auteur constituait des circonstances uniques et exceptionnelles dans lesquelles il serait dans l’intérêt public d’intervenir. La demande a été rejetée par le Ministre le 4 juin 2010.

2.10Le 30 septembre 2010, l’auteur a déposé une nouvelle demande d’intervention ministérielle en application de l’article 417 de la loi de 1958 sur l’immigration. Le service de l’intervention ministérielle a examiné l’affaire le 4 février 2011. Ayant établi qu’il n’y avait eu aucun changement important dans la situation de l’auteur qui soulèverait des questions non encore examinées, le service a rejeté la demande.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur fait valoir qu’il vit dans la peur d’être blessé ou tué soit par la Confrérie des Mourides, soit par sa propre famille pour s’être converti au christianisme. Il ajoute que s’il était né chrétien au Sénégal, il n’aurait pas subi une telle persécution; c’est sa conversion qui met sa vie en danger. L’auteur ajoute que la police sénégalaise ne pourrait pas le protéger et ne serait pas à même d’empêcher la Confrérie et sa famille de le tuer. Par conséquent, il fait valoir que les droits qui lui sont reconnus aux articles 6 et 7 du Pacte seraient violés s’il était renvoyé de force au Sénégal par l’Australie.

3.2En ce qui concerne le grief qu’il soulève au titre de l’article 18, l’auteur fait valoir que s’il était renvoyé de force vers le Sénégal, il ne serait pas à même de pratiquer sa religion chrétienne. Il ajoute qu’il va actuellement à l’église toutes les semaines et qu’il étudie régulièrement la Bible. C’est un chrétien fervent qui ne reviendra jamais à la foi musulmane. S’il était renvoyé au Sénégal, sa famille musulmane et des membres de la Confrérie des Mourides lui feraient subir des contraintes (y compris des menaces de mort) pour qu’il se reconvertisse à l’islam, et il serait donc obligé de renoncer à sa foi chrétienne.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 20 décembre 2011, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il a invité le Comité à déclarer irrecevables les allégations de l’auteur au titre des articles 6, 7 et 18 ou, à défaut, à considérer qu’elles sont dénuées de fondement.

4.2L’État partie rappelle qu’à l’issue de l’examen de la demande de visa de protection déposée par l’auteur, le 9 avril 2009, il a été établi que l’auteur n’était pas une personne ayant besoin d’une protection au sens de la Convention de 1951. L’auteur a été informé de cette décision le 8 juillet 2009. Le 28 octobre 2009, le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a confirmé la décision initiale de ne pas lui accorder de visa de protection. Le même jour, le décideur du Tribunal a aussi renvoyé l’affaire devant le Ministre de l’immigration et de la nationalité pour examen à titre humanitaire, conformément à l’article 417 de la loi sur l’immigration. Cependant, le 4 avril 2010, l’auteur a été informé que le Ministre avait décidé de ne pas intervenir.

4.3Le 27 septembre 2010, l’auteur a présenté par écrit une deuxième demande d’intervention ministérielle, fondée sur «un changement important dans la situation». Il a fait valoir: a) qu’après son baptême sa famille l’avait menacé d’en informer la Confrérie des Mourides, qui le ferait tuer s’il ne redevenait pas musulman; b) que lorsqu’il s’est rendu au commissariat de police à Touba en 1994, un haut gradé de la police lui a expliqué que celle-ci ne pouvait rien faire pour le protéger; c) que s’il rentrait au Sénégal, il ne serait en sécurité nulle part, car il avait de la famille et des proches dans différentes régions du Sénégal (Dakar, Touba, Kaolack et Giorbel) et qu’ils le retrouveraient et préviendraient les Mourides, et le feraient tuer; d) que la Confrérie des Mourides avait énormément de pouvoir et d’influence au Sénégal; e) qu’il pensait être le premier converti de Touba et que les Mourides voulaient le tuer pour dissuader d’autres personnes de se convertir; et f) qu’il était en bonne santé et apte à travailler et s’intégrerait aisément dans la société australienne. Aucun de ces points n’a été considéré comme apportant de nouvelles informations ou montrant un changement dans la situation de l’auteur. Par conséquent, celui-ci a été informé le 4 février 2011 que sa deuxième demande d’intervention ministérielle avait été rejetée.

4.4En juillet 2011, le Ministère de l’immigration et de la nationalité a soumis une troisième demande d’intervention ministérielle, demandant un réexamen de la situation, sur la base de la communication présentée par l’auteur au Comité. L’auteur a été invité à communiquer toutes les informations qu’il jugerait utiles, mais ne l’a pas fait. Sa dernière demande a été rejetée le 22 juillet 2011, après examen de sa situation et d’informations actualisées. L’État partie explique que l’auteur reste en détention au sein de la communauté.

4.5L’État partie fait valoir que les griefs de violation des articles 6, 7 et 18 ne sont pas recevables car l’auteur n’a pas épuisé les recours internes, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Le 28 octobre 2009, le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a confirmé la décision du Ministère de l’immigration et de la nationalité de ne pas accorder à l’auteur de visa de protection au titre de la loi sur l’immigration. L’auteur n’a pas demandé l’examen judiciaire de la décision du Tribunal et n’a pas expliqué pourquoi il ne l’avait pas fait. L’État partie ajoute que les faits décrits par l’auteur dans ses requêtes devant les organes nationaux sont essentiellement les mêmes que ceux soumis au Comité et que la décision rendue par le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, indiquant que l’auteur n’a pas le droit à un visa de protection, traite la question qui est au cœur de la communication dont le Comité est saisi, à savoir que l’auteur risquerait d’être persécuté en raison de ses convictions religieuses s’il était renvoyé au Sénégal. L’État partie fait également valoir que, s’il avait une issue favorable, l’examen judiciaire de la décision du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés entraînerait le réexamen par ce tribunal de la demande de visa de protection formulée par l’auteur, qui pourrait peut-être ainsi recevoir satisfaction quant aux griefs qu’il tire de son renvoi au Sénégal et qui fondent sa plainte devant le Comité. L’État partie indique en outre que l’examen judiciaire de la décision du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés reste un recours disponible que l’auteur devrait épuiser avant de demander au Comité d’examiner les griefs qu’il formule au titre du Pacte.

4.6L’État partie fait valoir que, étant donné que l’auteur n’a pas suffisamment étayé les griefs qu’il soulève au titre du paragraphe 1 de l’article 6 et de l’article 7 du Pacte, ces griefs devraient être déclarés irrecevables par le Comité, conformément à l’article 2 du Protocole facultatif. L’État partie souligne, en particulier, que l’auteur n’a pas donné suffisamment d’éléments pour démontrer que la Confrérie des Mourides ou des membres de sa famille qui appartiennent à la Confrérie risquent de lui faire du mal parce que la police sénégalaise ne peut pas ou ne veut pas le protéger. Il estime qu’au-delà des éléments de preuve examinés lors des procédures internes, l’auteur n’a pas joint d’éléments fiables montrant qu’il ne pourrait pas bénéficier d’une protection appropriée de la part des autorités.

4.7L’État partie rappelle qu’après avoir examiné tous les éléments disponibles, le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a admis les points suivants: a) l’auteur s’est converti au christianisme le 13 novembre 1994; b) il est issu d’une famille musulmane pieuse qui appartient à la Confrérie des Mourides; c) l’auteur et sa famille vivaient à Touba, ville à majorité musulmane; d) la famille de l’auteur était opposée à sa conversion au christianisme et, en novembre 1994, des membres de sa famille et des voisins ont agressé l’auteur et l’ont enfermé dans une maison pendant trois jours sans nourriture; e) les membres de la famille de l’auteur lui ont dit que la Confrérie des Mourides le tuerait ou émettrait une fatwa contre lui; f) l’auteur s’est enfui de Touba pour se rendre à Kaolack, où il a été retrouvé par deux de ses frères et d’autres membres de la Confrérie des Mourides et roué de coups; g) l’auteur a vécu dix ans en Afrique du Sud, puis est rentré au Sénégal où il a retrouvé son emploi précédent mais, peu de temps après, il a appris que sa famille le recherchait, ce qui l’a amené à retourner en Afrique du Sud, puis à partir en Australie; h) l’auteur craint que sa famille et les proches de sa famille ne lui fassent du mal; i) la famille de l’auteur et les proches de la famille appartiennent à la Confrérie des Mourides; j) la famille de l’auteur et les proches de la famille lui veulent du mal en raison de sa conversion au christianisme mais cela n’est pas lié à leur appartenance à la Confrérie des Mourides; k) la famille de l’auteur et les proches de la famille ont agressé l’auteur à deux occasions parce qu’il s’était converti au christianisme et continuaient à le rechercher quand il est rentré au Sénégal après avoir passé dix ans en Afrique du Sud, et les membres de la famille de l’auteur sont toujours en colère, comme en témoigne une lettre de la famille présentée à l’audition devant le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés; l) la religion de l’auteur est la raison essentielle et principale des persécutions infligées par la famille et ses proches; m) l’auteur a été agressé par des membres de sa famille et un petit nombre de proches au titre d’une vengeance personnelle, parce qu’il s’est converti au christianisme.

4.8L’État partie souligne que, dans sa décision, le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés n’a pas formulé expressément de conclusions au sujet des arguments de l’auteur indiquant qu’il avait demandé l’assistance de la police à une occasion et qu’on lui avait répondu que celle-ci ne pouvait pas l’aider parce qu’il s’agissait d’une affaire familiale et que la Confrérie des Mourides était trop puissante, et qu’il ne serait en sécurité nulle part au Sénégal car sa famille était nombreuse et le retrouverait où qu’il aille. L’État partie note en outre que le Tribunal n’a pas jugé recevables les arguments de l’auteur indiquant que la Confrérie des Mourides allait le tuer ou avait menacé de le tuer, ou qu’une fatwa avait été émise contre lui, qu’il avait des raisons sérieuses de craindre que la Confrérie des Mourides ne lui fasse du mal, ou encore que le Sénégal ne pouvait pas ou ne voulait pas le protéger contre les persécutions.

4.9L’État partie note que l’auteur a indiqué ne pas avoir porté plainte pour la première agression, et n’avoir informé la police que pour la deuxième. Il rappelle que l’auteur affirme que, lorsqu’il a porté plainte pour la deuxième agression, un haut gradé de la police lui a dit que celle-ci ne pouvait rien faire parce qu’il s’agissait d’une affaire familiale et que la Confrérie des Mourides était «trop puissante à Touba». D’après l’État partie, même si ce qu’affirme l’auteur est vrai, il ne s’agit que d’un incident isolé, qui ne montre pas un refus général de la part des autorités sénégalaises de protéger l’auteur en raison de ses convictions religieuses, ou leur incapacité à le faire. En tout état de cause, le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a expressément examiné ce grief et a rejeté l’argument de l’auteur indiquant qu’il ne pourrait pas bénéficier d’une protection appropriée ou effective dans un avenir prévisible.

4.10L’État partie fait observer que, alors que l’auteur affirme avoir été agressé deux fois et estime n’être en sécurité dans aucune ville, il n’a demandé la protection de la police qu’une fois. En conséquence, l’État partie estime que l’auteur n’a pas suffisamment démontré que la police sénégalaise ne peut pas ou ne veut pas le protéger.

4.11L’État partie indique en outre que rien ne prouve que l’auteur a essayé de s’installer dans une autre ville du Sénégal que Kaolack pour éviter que sa famille ne lui fasse du mal. Il ajoute que les informations disponibles concernant la Confrérie des Mourides au Sénégal portent à croire que, s’il peut y avoir des manifestations d’intolérance, en général la Confrérie se montre très tolérante. En outre, même si la famille de l’auteur appartient à la Confrérie des Mourides, rien ne permet d’affirmer que la Confrérie, en tant qu’organisation, est à l’origine des violences infligées à l’auteur ou a toléré ou approuvé de telles violences.

4.12L’État partie note que la communication soumise par l’auteur au Comité ne contient aucun nouvel élément que les autorités australiennes n’aient pas déjà examiné pour déterminer s’il pouvait prétendre à un visa de protection en vertu du droit australien, et que la demande de protection déposée par l’auteur a été examinée attentivement par le Ministère de l’immigration et de la nationalité et par le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés. Après examen de tous les éléments fournis, le Tribunal a estimé que l’auteur bénéficiait de la protection appropriée et effective des autorités au Sénégal et que, par conséquent, sa peur d’être persécuté n’était pas fondée. Néanmoins, il a transmis l’affaire pour examen à titre humanitaire en application de l’article 417 de la loi sur l’immigration, considérant que, même s’il avait estimé que la protection offerte par l’État était appropriée, cela ne voulait pas dire qu’il était absolument garanti que l’auteur ne serait pas victime ultérieurement d’actes commis par des membres de sa famille et leurs proches, ce qui pouvait constituer des circonstances uniques et exceptionnelles. L’État partie note que «l’absence de garantie absolue» diffère du critère de «risque réel» appliqué par le Comité. Le Ministre a, par la suite, refusé d’intervenir.

4.13L’État partie fait valoir que la décision de ne pas accorder à l’auteur de visa de protection a été prise en application du droit australien et se fonde sur la solide procédure d’examen au fond et d’examen judiciaire qu’offre le système juridique interne. Il prend note de la position du Comité, à savoir qu’il appartient aux juridictions des États parties d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. Dans l’affaire qui concerne l’auteur, la procédure n’a pas été entachée de telles irrégularités.

4.14L’État partie indique en outre que des informations récentes sur le pays confirment les conclusions du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, qui a estimé que le Sénégal était à même d’offrir une protection appropriée et effective à l’auteur. En particulier, des informations récentes indiquent que le Sénégal a pris des mesures raisonnables pour protéger la vie et la sécurité de ses habitants, notamment en veillant à ce qu’une législation pénale appropriée soit en place et à ce que les forces de police et le système de justice soient raisonnablement efficaces et impartiaux. Par conséquent, l’État partie estime que l’auteur n’a pas suffisamment démontré, aux fins de la recevabilité, qu’il ne bénéficierait pas au Sénégal d’une protection appropriée de l’État contre les menaces de la Confrérie des Mourides ou de sa famille.

4.15L’État partie fait valoir que son obligation de non-refoulement ne s’étend pas aux cas de violation potentielle de l’article 18 du Pacte. Par conséquent, il invite le Comité à déclarer cette partie de la communication irrecevable ratione materiae.

4.16Sur le fond, l’État partie indique que les faits allégués par l’auteur en relation avec les articles 6 et 7 ne satisfont pas au critère de «risque de préjudice irréparable», qui serait la conséquence nécessaire et prévisible du renvoi de l’auteur au Sénégal. Il réaffirme qu’il n’y a pas de motif sérieux de croire que l’auteur risque d’être soumis à la torture, à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ou à une privation arbitraire de liberté s’il est renvoyé au Sénégal. L’auteur peut bénéficier d’une protection appropriée et effective de l’État au Sénégal et, par conséquent, son renvoi n’aurait pas pour conséquence nécessaire et prévisible un préjudice irréparable. Rien ne montre que la violence à l’égard des chrétiens est tolérée ou approuvée de quelque façon que ce soit, et il n’a pas été fait état de cas de violence sociale, de harcèlement ou de discrimination liés à l’appartenance religieuse, aux convictions ou aux pratiques religieuses. Les responsables musulmans et chrétiens du pays entretiennent un dialogue public pour contribuer à désamorcer les crises sociales et promouvoir le dialogue, la législation sénégalaise interdit toute forme de discrimination et consacre la liberté de religion, et l’ordre public est maintenu de manière efficace dans tout le pays par les forces de police.

4.17En ce qui concerne l’article 18, l’État partie fait valoir que le grief de l’auteur est dénué de fondement car le Sénégal est un État laïque bien connu pour sa tolérance religieuse. Aucun élément ne permet d’affirmer que l’auteur a essayé de s’installer au Sénégal ailleurs qu’à Touba ou Kaolack pour éviter que sa famille ne lui fasse du mal. Par conséquent, selon l’État partie, le retour de l’auteur au Sénégal n’aurait pas pour conséquence nécessaire et prévisible de lui faire courir le risque d’une violation des droits consacrés à l’article 18.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 1er mars 2012, l’auteur a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond. Outre les faits présentés dans sa lettre initiale, il indique qu’il a épuisé les recours internes. Il n’aurait pu solliciter l’examen judiciaire de la décision du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés que s’il avait eu un motif pour interjeter appel auprès du tribunal fédéral d’instance. Or ce n’était pas le cas. L’article 474 de la loi de 1958 sur l’immigration interdit de faire appel des décisions du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés. Cependant, la Haute Cour, dans sa décision Plaintiff S157/2002 v. Commonwealth of Australia (2003), a établi que les décisions du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés entachées d’erreurs de compétence ne relèvent pas du champ d’application de cet article. Par conséquent, seules les décisions comportant une erreur de compétence peuvent faire l’objet d’un recours auprès du tribunal fédéral d’instance. À ce critère strict pour la recevabilité des recours, il faut ajouter l’obligation faite au requérant, en application des alinéas e et i de l’article 486 de la loi sur l’immigration, d’attester par écrit que le recours a des chances raisonnables d’aboutir. L’auteur indique que son conseil a examiné attentivement la décision du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés et a conclu qu’il n’y avait pas d’erreur de compétence dans la décision du 28 octobre 2009. En conséquence, l’auteur ne pouvait pas faire appel auprès du tribunal fédéral d’instance.

5.2En ce qui concerne l’affirmation de l’État partie selon qui l’auteur n’a pas étayé ses allégations, l’auteur réaffirme que des raisons et des éléments de preuve solides ont été fournis à l’appui de ses allégations, que son renvoi au Sénégal aurait pour conséquence nécessaire et prévisible de lui faire courir un risque réel de préjudice irréparable, et qu’il n’existe aucun endroit au Sénégal où il pourrait vivre en sécurité car a) sa famille élargie le retrouvera où qu’il aille dans le pays, b) la Confrérie des Mourides, qui est active dans tout le Sénégal, le retrouvera et le tuera, et c) la police ne le protégera pas parce qu’elle considère qu’il s’agit d’une affaire familiale et ne veut pas s’en mêler. La police a aussi expliqué à l’auteur que la Confrérie des Mourides était trop puissante. En outre, 95 % des policiers sénégalais sont musulmans et la plupart appartiennent à la Confrérie des Mourides.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie, qui affirme que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes puisqu’il n’a pas fait appel de la décision du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés auprès du tribunal fédéral d’instance. Il rappelle sa jurisprudence et réaffirme que l’auteur d’une communication doit exercer tous les recours internes pour satisfaire à l’obligation énoncée au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, pour autant que ces recours semblent être utiles dans son cas particulier et lui soient ouverts de facto. Dans le cas d’espèce, le Comité note que l’auteur affirme que, comme il n’y avait pas d’erreur de compétence dans la décision du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés du 28 octobre 2009, il ne pouvait pas, en application des dispositions de la loi sur l’immigration, telle qu’interprétée dans la jurisprudence pertinente, demander un examen de la décision auprès du tribunal fédéral d’instance. Le Comité note que l’argument de l’auteur n’a pas été réfuté par l’État partie et considère par conséquent que rien ne s’oppose à ce qu’il examine la communication conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.4Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication en vertu de l’article 2 du Protocole au motif que l’auteur n’a pas étayé ses griefs au titre des articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité estime toutefois qu’aux fins de la recevabilité, l’auteur a correctement expliqué pourquoi il craint qu’un renvoi forcé au Sénégal ne l’expose à un risque de traitement incompatible avec les articles 6 et 7 du Pacte, en s’appuyant sur son expérience passée, puisque, en tant que chrétien converti, il a été agressé à deux reprises, et sur le fait que, dit-il, il n’ait pas obtenu la protection de la police, qu’il avait sollicitée. Le Comité considère donc que les griefs soulevés par l’auteur au titre des articles 6 et 7 sont recevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel l’article 18 n’est pas d’application extraterritoriale, le Comité considère que les griefs soulevés par l’auteur au titre de cet article ne peuvent être dissociés des griefs qu’il tire des articles 6 et 7, qui doivent être examinés au fond.

6.6Le Comité déclare que la communication est recevable en ce qu’elle semble soulever des questions au regard du paragraphe 1 de l’article 6 et des articles 7 et 18 du Pacte, et procède à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité note que l’auteur affirme qu’en raison de sa conversion de l’islam au christianisme en 1994, il subirait des violences physiques de la part de la Confrérie des Mourides ou de sa propre famille et pourrait même être tué s’il était renvoyé au Sénégal. Le Comité note que l’auteur indique qu’en novembre 1994, il a été agressé par sa famille, qui l’a menacé d’une fatwa de la Confrérie des Mourides. Lorsqu’il s’est enfui et s’est réfugié dans la ville de Kaolack, il a été retrouvé par des membres de sa famille et d’autres membres de la Confrérie, qui l’ont roué de coups. Le Comité relève en outre que l’auteur affirme ne disposer d’aucune protection de l’État au Sénégal. Il note que le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, s’il a jugé recevables la plupart des éléments de l’affaire, n’a pas estimé que l’auteur risquait d’être la cible de la Confrérie des Mourides et a conclu que l’auteur pourrait se prévaloir d’une protection appropriée de l’État au Sénégal.

7.3Le Comité rappelle son Observation générale no 31 dans laquelle il se réfère à 1’obligation qui incombe aux États de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, tel que les traitements envisagés aux articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité rappelle également que, de manière générale, il appartient aux organes des États parties au Pacte d’examiner ou d’apprécier les faits et les éléments de preuve pour déterminer si un tel risque existe.

7.4Dans le cas d’espèce, le Comité fait observer que la demande de statut de réfugié déposée par l’auteur a été attentivement examinée par les autorités de l’État partie, qui ont conclu que l’auteur n’avait pas de motif sérieux de craindre d’être persécuté. L’auteur n’a pas demandé l’examen judiciaire de la décision par laquelle le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés l’a débouté, et ne relève pas d’irrégularités de procédure dans la décision du Tribunal. Le Comité note que le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a admis que l’auteur s’était converti au christianisme en 1994, qu’en novembre 1994 des membres de sa famille l’avaient agressé et l’avaient laissé trois jours sans nourriture, et que par la suite, à Kaolack, où il s’était réfugié, il avait été retrouvé et agressé par des membres de sa famille et des membres de la Confrérie des Mourides. Le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a conclu que l’auteur était menacé par des membres de sa famille et leurs proches, mais non par la Confrérie des Mourides en tant que telle, et a rejeté l’argument de l’auteur qui affirmait qu’il ne bénéficierait pas d’une protection appropriée et effective de l’État dans d’autres régions du Sénégal. Le Comité note en outre que l’auteur n’a pas donné d’autres raisons pour expliquer pourquoi il ne pourrait pas se réinstaller ailleurs au Sénégal. Il fait observer que l’auteur n’a pas identifié de facteur de risque que les autorités de l’État partie n’auraient pas dûment pris en considération ni relevé d’autres irrégularités dans la procédure de prise de décisions. L’auteur conteste les conclusions factuelles des autorités de l’État partie mais ne montre pas qu’elles sont manifestement déraisonnables. Le Comité conclut donc qu’il n’a pas été montré que les autorités sénégalaises ne seraient pas, de manière générale, disposées et aptes à protéger l’auteur de manière impartiale, appropriée et effective contre les menaces qui pèsent sur sa sécurité physique et qu’il ne serait pas déraisonnable d’attendre de l’auteur qu’il s’installe dans un endroit où il pourrait se prévaloir d’une telle protection, en particulier dans un endroit distant de Touba. Pour autant que l’auteur soit renvoyé uniquement dans un endroit dans lequel l’État partie estime qu’il peut bénéficier d’une protection appropriée et effective, le Comité ne peut pas conclure que le renvoi de l’auteur au Sénégal constituerait une violation des obligations qui incombent à l’État partie au titre de l’article 6 ou de l’article 7 du Pacte.

7.5En ce qui concerne le grief soulevé par l’auteur au titre de l’article 18, le Comité renvoie à ses conclusions du paragraphe 7.4 et, selon le même raisonnement, considère qu’il ne peut conclure que l’auteur courrait un risque réel de subir un traitement contraire à cet article s’il était renvoyé au Sénégal.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que le renvoi de l’auteur au Sénégal ne constituerait pas une violation des droits garantis par les articles 6, 7 ou 18 du Pacte.

Appendices

Appendice I

[Original: anglais]

Opinion individuelle signée de Gerald L. Neuman et Yuji Iwasawa (concordante)

Nous sommes entièrement d’accord avec les constatations du Comité, et nous y joignons la présente opinion individuelle simplement pour souligner que le raisonnement du Comité au paragraphe 7.4 reflète le principe bien établi de la «possibilité de se réfugier ailleurs dans le pays», qui est une règle de base du droit international des réfugiés et du droit international des droits de l’homme. Une personne n’a pas besoin de protection internationale si elle peut se prévaloir de la protection de son pays; si sa réinstallation dans le pays lui permet d’éviter un risque localisé et si cette réinstallation n’est pas déraisonnable dans les circonstances de l’espèce, le fait de renvoyer la personne dans un lieu où elle peut vivre en sécurité n’est pas contraire au principe de non-refoulement. Voir, par exemple, la communication no 1897/2009, S. Y. L. c. Australie, décision d’irrecevabilité du 24 juillet 2013, par. 8.4, Sufi et Elmi c. Royaume ‑ Uni, requêtes no 8319/07 et no 11449/07 (Cour européenne des droits de l’homme, 2011), par. 266, et Omeredo c. Autriche, requête no 8969/10 (Cour européenne des droits de l’homme, 2011) (décision d’irrecevabilité).

Appendice II

[Original: anglais]

Opinion individuelle signée de Dheerujlall B. Seetulsingh (concordante)

Même si je parviens à la même conclusion que la majorité, à savoir que l’État n’a pas commis de violation dans le cas d’espèce, j’estime que cette conclusion ne doit pas être subordonnée à la condition indiquée à la fin du paragraphe 7.4, car cela engendre un degré considérable d’incertitude qui risque de rendre difficile la mise en œuvre des constatations du Comité. À la lumière de la conclusion du Comité, qui a estimé que l’auteur n’a pas donné de raison pour expliquer pourquoi il ne pourrait pas se réinstaller ailleurs au Sénégal, c’est à l’auteur qu’il appartient de se prévaloir de la protection de son pays, comme l’établit la doctrine de la possibilité de se réfugier ailleurs dans le pays. Ce n’est pas aux autorités de l’État partie (Australie) qu’il incombe de déterminer à quel endroit du Sénégal il existe une protection appropriée et efficace. Ces autorités n’ont pas d’autre obligation que celle d’obtenir des renseignements fiables indiquant que le Sénégal est un État laïc où la tolérance religieuse est une réalité.

Appendice III

[Original: espagnol]

Opinion individuelle signée de Fabián Omar Salvioli (concordante)

Je suis d’accord avec la décision du Comité, qui constate qu’il n’y a pas eu de violation du Pacte dans l’affaire B. L. c. Australie (communication no2053/2011), mais je ne souscris pas au raisonnement par lequel il est arrivé à cette conclusion.

Je comprends que les autorités australiennes ont dûment examiné la demande de statut de réfugié présentée par l’auteur et que celui-ci n’a pas demandé l’examen judiciaire de cette décision.

L’auteur n’a pas montré au-delà de tout doute raisonnable qu’il risquait d’être persécuté par l’État sénégalais ou d’être la cible d’agressions ou de menaces de mort au Sénégal avec le consentement exprès ou tacite de l’État sénégalais. Selon moi, c’est sur ces motifs que le Comité aurait dû fonder sa décision.

Le Comité n’aurait pas dû déclarer que «l’auteur n’a pas donné d’autres raisons pour expliquer pourquoi il ne pourrait pas se réinstaller ailleurs au Sénégal»(par. 7.4). Il est également regrettable que le Comité ait conclu «qu’il ne serait pas déraisonnable d’attendre de l’auteur qu’il s’installe dans un endroit où il pourrait se prévaloir d’une telle protection, en particulier dans un endroit distant de Touba»(par. 7.4).

Le Comité n’a jamais fondé ses décisions sur les doctrines de la «possibilité de se réfugier ailleurs dans le pays» ou de la «possibilité de se réinstaller ailleurs dans le pays». Je crois comprendre qu’il ne l’a pas fait non plus en l’espèce et que les assertions mentionnées ci-dessus sont en marge du raisonnement qui a abouti à sa décision.

L’adoption de ces doctrines dans le cadre des délibérations du Comité constituerait une régression pour l’examen des futures affaires et fragiliserait les normes de protection déjà établies par le Comité dans sa jurisprudence constante.

J’espère qu’à l’avenir, le Comité s’abstiendra d’analyses superflues qui risquent de rendre ses pratiques incompréhensibles dans des affaires comme celle-ci. Lorsqu’une personne risque vraiment de devenir victime de violations de l’article 6 ou de l’article 7 du Pacte si elle est expulsée ou extradée d’un État partie vers un autre État (qu’il soit ou non partie au Pacte), le Comité devrait constater une violation, et ce, qu’il y ait ou non des régions plus sûres dans le pays où l’intéressé sera envoyé.