Nations Unies

CCPR/C/110/D/1885/2009

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

5 juin 2014

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Communication no 1885/2009

Constatations adoptées par le Comité à sa 110e session(10-28 mars 2014)

Communication présentée par:

Corinna Horvath (représentée par un conseil, Tamar Hopkins)

Au nom de:

L’auteure

État partie:

Australie

Date de la communication:

19 août 2008 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 13 juillet 2009(non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

27 mars 2014

Objet:

Inexécution de décisions judiciaires accordant des dommages-intérêts pour des actes répréhensibles commis par la police

Question(s) de fond:

Droit à un recours utile

Question(s) de procédure:

Non-épuisement des recours internes

Article(s) du Pacte:

2 (par. 3), 7, 9 (par. 1 et 5), 10 et 17

Article(s) du Protocole facultatif:

5 (par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titredu paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatifse rapportant au Pacte international relatif aux droitscivils et politiques (110e session)

concernant la

Communication no 1885/2009 *

Présentée par:

Corinna Horvath (représentée par un conseil,Tamar Hopkins)

Au nom de:

L’auteure

État partie:

Australie

Date de la communication:

19 août 2008 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 27 mars 2014,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1885/2009 présentée par Mme Corinna Horvath en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteure de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.L’auteure de la communication est Corinna Horvath, de nationalité australienne. Elle affirme que les droits qu’elle tient des articles 2, 7, 9 (par. 1 et 5), 10 et 17 du Pacte ont été violés par l’Australie. Elle est représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1Le 9 mars 1996, vers 21 h 40, deux policiers, les agents J. et D., sont venus au domicile de l’auteure à Summerville (État du Victoria), afin de procéder à l’inspection de sa voiture et vérifier qu’elle avait récemment circulé. La veille, ces agents avaient établi un certificat indiquant que le véhicule n’était pas en état de circuler. L’auteure, alors âgée de 21 ans, a demandé aux policiers de quitter les lieux car ils n’avaient pas de mandat, et elle-même et son compagnon, C. L., ont recouru à la force pour les faire partir. Les agents ont appelé des renforts et à 22 h 30 environ, huit policiers sont arrivés et ont déclaré qu’ils allaient arrêter l’auteure et C. L. parce que ceux-ci avaient agressé les agents J. et D. lors de leur première visite, et qu’ils n’avaient pas besoin de mandat à cette fin.

2.2L’agent J. a enfoncé la porte d’entrée à coups de pied et, ce faisant, a blessé au visage D. K., qui faisait partie d’un groupe d’amis de l’auteure également présents sur les lieux. Il l’a ensuite mis au sol, frappé à la tempe droite et lui a asséné des coups de matraque dans les reins. Puis, il a mis l’auteure au sol et lui a donné des coups de poing au visage. Avec l’aide d’un autre policier, il l’a ensuite retournée et, alors qu’elle saignait du nez, l’a menottée, traînée dans le car de police et emmenée au commissariat de police de Hastings.

2.3L’auteure souffrait d’une fracture du nez et d’autres lésions au visage, dont des ecchymoses et une dent ébréchée. Elle présentait aussi des contusions, écorchures et éraflures sur d’autres parties du corps. Elle était menottée de telle façon qu’elle ne pouvait pas atténuer la douleur et arrêter le saignement de nez, ni s’occuper autrement de ses blessures. Au commissariat de police, elle n’a pas été immédiatement soignée, mais placée dans une cellule où elle a été laissée, hurlant de douleur. Finalement, un médecin de la police l’a vue et a joint ses parents, qui ont pris des dispositions pour la faire conduire en ambulance à l’hôpital de Frankston. Une semaine plus tard, elle a été de nouveau hospitalisée pendant cinq jours pour sa fracture du nez. Elle s’est remise au bout de quelques mois de ses lésions corporelles qui lui ont cependant laissé des cicatrices au nez et peut-être l’aggravation d’une rhinite. Elle a aussi souffert d’anxiété et de dépression, pour lesquelles elle a été traitée.

2.4Le 6 juin 1997, l’auteure et trois autres demandeurs ont engagé une action en dommages-intérêts contre les quatre policiers pris individuellement, et contre l’État du Victoria, en vertu de l’article 123 de la loi de 1958 portant règlement de la police du Victoria (Police Regulations Act 1958 (Victoria)) devant le tribunal civil (County Court) du Victoria. Le 23 février 2001, le juge Williams siégeant à ce tribunal a jugé, que, pour ce qui concernait l’auteure, l’agent J. était responsable d’agression et de poursuites abusives, le sergent C. de négligence et les quatre autres policiers responsables conjointement de violation de domicile, et d’arrestation et de détention arbitraires. Il a également jugé les policiers responsables de faits similaires envers C. L. et les deux autres demandeurs.

2.5Le juge Williams a ordonné le versement des sommes suivantes à titre de dommages-intérêts: a) 120 000 dollars australiens pour négligence à la charge du sergent C., transférée à l’État; b) 90 000 dollars australiens pour agression, à la charge de l’agent J.; c) 30 000 dollars australiens pour violation de domicile, et arrestation et détention arbitraires, à la charge de tous les défendeurs, transférée à l’État; et d) 30 000 dollars australiens pour poursuites abusives, à la charge de l’agent J uniquement. Le juge a également déclaré que les policiers étaient redevables de dommages-intérêts comparables envers C. L. et les deux autres demandeurs.

2.6Le 9 avril 2001, l’État du Victoria a fait appel de la décision du juge Williams concernant les dommages-intérêts mis à sa charge. Le 7 novembre 2002, la cour d’appel a infirmé la décision du juge Williams mettant à la charge de l’État le versement des dommages-intérêts accordés en raison des faits commis intentionnellement par l’agent J. et de la négligence du sergent C. La cour a estimé que la faute commise par ce dernier n’était pas la cause des lésions subies par l’auteure, mais que celles-ci étaient dues à des actes intentionnels qui, de fait, avaient rompu la chaîne de responsabilité du sergent C. En conséquence, la responsabilité des policiers a été confirmée mais la condamnation de l’État au paiement de dommages-intérêts a été annulée. La cour a accordé à l’auteure des dommages-intérêts pour un montant total de 143 525 dollars australiens. En ce qui concerne son action contre l’État du Victoria, l’auteure a sollicité l’autorisation de se pourvoir contre l’arrêt de la cour d’appel devant la Cour suprême (High Court) d’Australie, qui lui a été refusée le 18 juin 2004.

2.7L’auteure a déposé une réclamation auprès du Département de la déontologie de la police du Victoria. En conséquence, une procédure disciplinaire a été engagée mais a ensuite été classée sans suite pour défaut de preuves, en dépit des solides constatations de fait établies contre les policiers lors de la procédure judiciaire décrite plus haut. L’auteure n’était pas partie à la procédure et n’a pas été citée comme témoin. Le 4 août 2004, elle a déposé une réclamation auprès du Médiateur de la police, qui a ensuite été transmise au Bureau de l’intégrité de la police.

2.8Lorsque l’auteure a soumis la communication au Comité, la situation concernant son indemnisation était la suivante: a) elle n’avait reçu des policiers concernés aucune somme à titre de dommages-intérêts; b) elle n’avait pas été dédommagée des frais de justice engagés pour rémunérer ses conseils; et c) l’État du Victoria conservait un cadre juridique qui l’exonérait de son obligation d’indemniser les victimes d’atteintes intentionnelles aux droits de l’homme. Sous l’angle disciplinaire, la situation était la suivante: a) tous les policiers impliqués dans les faits en cause, ou la plupart d’entre eux, étaient encore employés par l’État du Victoria, aucune action disciplinaire ou pénale n’ayant abouti contre eux, en dépit des conclusions du juge Williams leur imputant des fautes graves. Aucun des occupants de la maison n’avait été consulté par les policiers enquêteurs du Département de la déontologie; et b) le système juridique de l’État du Victoria ne permettait pas de garantir l’exercice d’une action disciplinaire ou pénale contre des policiers ayant commis des atteintes aux droits de l’homme.

2.9L’agent J. avait déposé une plainte contre l’auteure pour agression contre la police et infractions à la circulation routière, qui a été rejetée par le tribunal (Magistrates ’  Court) de Frankston le 9 novembre 1996. Dans sa décision du 23 février 2001, le juge Williams a estimé que J. avait engagé contre l’auteure une action pour agression fondée sur un motif fallacieux, associant hostilité et tentative de justification a posteriori du comportement général de la police durant toute l’affaire. Le juge a conclu à sa responsabilité pour poursuites abusives.

Teneur de la plainte

Article 2

3.1L’auteure affirme que l’État partie a violé le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte en ne lui offrant pas de recours utile. Elle n’a pas été indemnisée et les auteurs de l’agression n’ont fait l’objet d’aucune action disciplinaire.

3.2Il n’y a pas dans le Victoria de système légal permettant de réparer dûment les atteintes aux droits de l’homme. En common law, l’État n’est pas responsable du comportement de la police parce que lorsque des policiers agissent sur la base d’une habilitation de la loi, ils agissent indépendamment et non en tant qu’agents de l’État. L’article 123 de la loi de 1958 portant règlement de la police du Victoria ne remédie que partiellement à cette situation en disposant que l’État n’est tenu responsable que lorsque les policiers agissent raisonnablement de bonne foi. En outre, la loi crée un champ exceptionnellement étroit de responsabilité de l’État pour les actes ou omissions des policiers. Pour que l’État soit responsable, les actes des policiers doivent être fautifs, mais les policiers doivent aussi avoir agi de bonne foi et l’action ou l’omission doit être «commise nécessairement ou raisonnablement» dans l’exercice de leurs fonctions. Il est très difficile d’imaginer une affaire qui satisfasse à ces critères. En l’espèce, le juge de première instance a été convaincu que la planification et le contrôle de la descente de police par le sergent C. avaient constitué une action raisonnable mais fautive menée de bonne foi, et que le préjudice subi par l’auteure résultait de la faute ainsi commise. Cependant, la cour d’appel a infirmé cette analyse, estimant que les actes des policiers au cours de la descente avaient effectivement rompu la chaîne de causalité. Elle a conclu à l’existence d’un «projet commun» arrêté par les policiers en vue de causer intentionnellement un préjudice qui l’emportait sur toute faute éventuelle commise par le sergent C. dans la planification de la descente.

3.3Quatre États australiens prévoient une indemnisation par l’État des victimes de fautes commises par les policiers même lorsqu’il s’agit d’actes commis intentionnellement ou de mauvaise foi. Dans deux d’entre eux, l’État prend à sa charge les dommages-intérêts punitifs auxquels sont condamnés les policiers.

3.4L’État partie n’a pas veillé à ce que les auteurs des faits soient jugés par une juridiction pénale. En raison de leur qualité de policiers, ils n’ont pas été traduits devant un tribunal comme l’aurait été toute autre personne ayant commis des infractions comparables. En outre, l’État a permis aux agents en cause de continuer à occuper des postes où ils pouvaient avoir de nouveau un comportement inacceptable.

Article 7

3.5L’auteure affirme qu’elle ’a été soumise à un traitement cruel, inhumain et dégradant lors de la descente de police. Cette dégradation a été aggravée par le fait qu’elle a été menottée et placée en garde à vue et que des charges ont ensuite été portées contre elle. Son arrestation était cruelle et injustifiée.

3.6La force employée contre l’auteure au cours de la descente a considérablement excédé le niveau requis pour l’arrêter et n’était nullement justifiée. Le juge de première instance a établi que l’agent J. «après l’avoir mise au sol, avait commencé à la frapper “brutalement et inutilement” au visage, lui fracturant le nez et lui faisant perdre conscience. De ce fait, Horvath n’avait aucun souvenir de l’agression à laquelle J. s’était livré sur elle. Avec l’aide de S., J. a ensuite retourné Horvath et, alors qu’elle saignait du nez, l’a menottée et l’a traînée vers le car de police».

3.7L’article 7 impose deux obligations aux États parties: une obligation de fond (ou négative) de prévenir des violations, et une obligation procédurale (ou positive) de faire mener une enquête efficace sur les allégations de violations de l’obligation de fond. En l’espèce, l’enquête a été menée par le Département de la déontologie, qui est un service de la police du Victoria. Le système disciplinaire de la police du Victoria a été critiqué dans un rapport de 2007 du Bureau de l’intégrité de la police intitulé «A Fair and effective Victoria Police disciplinary system». Le cas de l’auteure est exposé dans ce rapport d’une façon qui montre clairement que le fait que la procédure disciplinaire n’ait pas retenu la responsabilité des policiers est préoccupant.

3.8Le County Court du Victoria a clairement conclu à une faute des policiers. Bien que les critères de preuve soient les mêmes dans les actions civiles et les procédures disciplinaires, la procédure disciplinaire a abouti en l’espèce à une conclusion différente. Parce qu’il n’a pas été mené d’enquête efficace et que les conclusions de l’action civile n’ont pas été utilisées pour suspendre de leurs fonctions les policiers en cause, ceux-ci sont restés en poste et n’ont fait l’objet d’aucune mesure disciplinaire. Cette inaction revient à tolérer une violation de l’article 7 et, de fait, à autoriser d’autres violations potentielles de l’article 7.

Article 9 (par. 1 et 5)

3.9L’auteure a fait l’objet d’une arrestation et d’une détention arbitraires, en violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte. Sans mandat, la police n’avait pas le droit de pénétrer chez l’auteure et de procéder à son arrestation. La détention n’était ni justifiée ni légale. Le juge Williams a conclu que l’auteure avait fait l’objet d’une arrestation et d’une détention arbitraires. En outre, l’État partie ne lui ayant pas garanti le droit à réparation, il en résulte une violation du paragraphe 5 de l’article 9.

Article 10

3.10Le fait que l’auteure a été agressée, menottée, arrêtée et détenue et qu’elle n’a bénéficié que tardivement de soins médicaux constitue un traitement inhumain et une violation de l’article 10, s’ajoutant à celle de l’article 7. Sa garde à vue, alors que son état nécessitait une prise en charge médicale, a aggravé le traumatisme qu’elle a subi.

Article 17

3.11En l’absence de mandat ou de raison de croire que l’auteure avait commis une infraction grave, l’irruption de la police dans la maison de l’auteure a constitué une intrusion arbitraire et illégale dans son domicile, sa vie de famille et sa vie privée. En outre, les poursuites abusives engagées ensuite contre l’auteure pour agression contre l’agent J. ont constitué une atteinte illégale à son honneur et à sa réputation et une action disproportionnée qui ne pouvait pas être justifiée par un quelconque motif social impérieux.

Épuisement des recours internes

3.12L’auteure affirme avoir épuisé les recours internes en tentant d’obtenir des dommages-intérêts de l’État du Victoria. Elle a appris par son avocat que les policiers contre lesquels un jugement avait été rendu n’avaient pas les moyens de régler le montant adjugé et les frais, ni une partie appréciable de celui-ci. En outre, elle ne peut pas obtenir d’indemnités du Tribunal d’indemnisation des victimes d’infractions, car les faits dont elle a été victime ne sont pas qualifiés pénalement.

3.13L’article 123 de la loi de 1958 portant règlement de la police n’offre aucun recours utile aux victimes de violences policières, même lorsque ces violences résultent d’une faute commise au cours d’opérations et de procédures de police. Les victimes de violences policières dans l’État du Victoria doivent compter sur les dommages-intérêts versés par chaque auteur. Cela pose un problème car les policiers organisent leur patrimoine de manière à se protéger contre la mise en cause éventuelle de leur responsabilité dans des actions civiles. Dans les cas où le policier concerné n’a pas les moyens de payer (ou ne possède pas de patrimoine propre), la victime n’est pas indemnisée. Cela ne constitue donc pas un système efficace d’indemnisation et n’incite pas non plus la police du Victoria à prévenir de nouvelles violences.

Réparation demandée

3.14L’auteure demande: a) qu’il lui soit accordé une indemnisation, calculée selon les normes applicables en droit interne australien; b) que l’État partie soit engagé à se doter d’une législation mettant à sa charge l’indemnisation due pour les activités illégales des policiers; c) que l’État partie soit engagé à veiller à ce que les personnes qui se disent victimes d’atteintes commises par des policiers aient un véritable accès à une action civile et reçoivent une assistance en la matière, afin que les actions en responsabilité civile aient une incidence systémique sur la réforme au sein des organes de la police; d) que l’État partie soit engagé à introduire des réformes dans les procédures disciplinaires en vigueur pour les policiers de l’État du Victoria afin que: i) tout policier jugé civilement responsable d’atteintes aux droits de l’homme fasse l’objet d’une procédure disciplinaire et soit révoqué; ii) l’État partie engage des poursuites contre les policiers ayant commis des infractions pénales; iii) les policiers contre lesquels aucune action civile n’est engagée fassent l’objet d’une enquête et d’une procédure susceptible de conduire à leur révocation si nécessaire.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1L’État partie a présenté ses observations le 24 mars 2010.

Griefs tirés de l’article 2

4.2L’État partie soutient que l’auteure n’a pas étayé son grief de violation de l’article 2. En particulier, elle n’a pas montré que les quatre membres de la police du Victoria contre lesquels un jugement a été rendu n’avaient pas les moyens de payer les indemnités qui lui avaient été accordées et n’avaient pas de patrimoine propre. En outre, des moyens légaux internes sont à la disposition de l’auteure pour déterminer si son affirmation est exacte. Le règlement de la Cour suprême du Victoria définit une procédure de divulgation d’informations aux fins d’exécution d’un jugement. La Cour peut, à la demande d’une personne en droit de faire exécuter un jugement, citer à comparaître le débiteur de l’obligation résultant du jugement, l’interroger sur des questions matérielles et lui demander de produire tout document ou objet se trouvant en sa possession, sous sa garde ou sous son pouvoir ayant un rapport avec ces questions matérielles. Il n’est pas démontré que l’auteure a tenté d’utiliser cette procédure.

4.3Même si les quatre membres de la police n’ont pas les moyens de payer ou ne possèdent pas de patrimoine propre, l’auteure dispose de voies de recours internes pour recouvrer tout ou partie du montant de la condamnation. Un arrêt ordonnant le paiement d’un certain montant, rendu par la Cour suprême du Victoria, qui comprend la cour d’appel, peut donner lieu à plusieurs voies d’exécution − mandat de saisie et de vente, saisie-arrêt de créances, saisie des revenus, ordonnance constitutive de charge sur les biens du débiteur et, dans certaines circonstances, renvoi devant le tribunal et mise sous séquestre (saisie des biens). Le règlement de la Cour suprême prévoit en particulier que le bénéficiaire d’un jugement peut saisir la Cour pour obtenir une ordonnance de saisie des revenus. Une telle ordonnance a pour effet d’obliger l’employeur de la personne condamnée à verser au bénéficiaire du jugement une proportion raisonnable des revenus du débiteur. L’auteure a aussi le droit de saisir la cour d’appel pour que celle-ci ordonne un paiement échelonné de la dette résultant du jugement. L’auteure n’a pas tenté de recouvrer la dette résultant du jugement, que ce soit au moyen d’une ordonnance de saisie des revenus ou autrement.

4.4En 2003, six mois environ après l’arrêt rendu par la cour d’appel contre l’agent J., celui-ci s’est déclaré en faillite. L’auteure n’a pas fourni de renseignements sur les éventuels contacts qu’elle aurait eus avec le syndic nommé pour administrer l’actif de l’agent J. afin que ses intérêts soient pris en considération au cours de la procédure. La faillite de l’agent J. a été annulée au bout de trois ans. L’auteure n’a pas tenté de faire exécuter le jugement contre lui à la suite de cette annulation en juillet 2006.

4.5Selon un document produit par l’auteure, celle-ci aurait appris en 2007 que son avocat n’avait entrepris aucune démarche pour recouvrer les sommes allouées par l’arrêt. Bien que l’auteure ait demandé en 2008 à ses avocats d’engager une procédure de faillite contre les autres policiers, le registre des faillites ne mentionne aucune requête se rapportant aux policiers concernés.

4.6L’auteure n’a pas sollicité d’indemnisation de la part du Tribunal d’aide aux victimes de la délinquance, ni de son prédécesseur le Tribunal d’indemnisation des victimes d’infractions, alors qu’elle avait qualité pour présenter une demande d’indemnisation à hauteur de 60 000 dollars australiens. L’absence de poursuites pénales concernant les faits commis par les policiers n’interdit pas la saisine du Tribunal. L’auteure n’a donc pas épuisé les recours internes sur cette base non plus.

4.7L’État partie soutient que les griefs de l’auteure tirés de l’article 2 ne sont pas fondés. En Australie, en vertu de la règle de common law énoncée dans l’affaire Enever v. The King , «les policiers sont individuellement responsables des actes injustifiables commis dans l’exercice de leurs pouvoirs légaux». La responsabilité résultant de tels actes n’est pas transférée à l’État. L’article 123 1) de la loi de 1958 portant règlement de la police modifie la position de la common law, en disposant que les policiers «ne sont pas personnellement responsables d’une action ou omission commise nécessairement ou raisonnablement de bonne foi dans l’exercice de leurs fonctions». En vertu de l’article 123 2), la responsabilité en raison de ce type d’action ou d’omission est au contraire imputée à l’État du Victoria. Il en résulte un système d’indemnisation dans lequel, en cas d’action ou d’omission illégale de la part d’un policier, c’est soit l’État soit le policier concerné qui est tenu responsable. Ce système établit un bon équilibre entre un niveau satisfaisant de protection et la nécessité de ne pas encourager le développement d’une attitude d’irresponsabilité parmi les policiers. Il garantit qu’aucune place n’est laissée à l’impunité et qu’une indemnisation sera accordée si nécessaire. La responsabilité individuelle a un important effet dissuasif. Le rôle que jouent les décisions allouant des dommages-intérêts exemplaires, aggravés ou punitifs serait compromis si leur charge devait être simplement transférée à l’État. En conséquence, le refus de celui-ci de verser des indemnités au titre d’actions ou d’omissions de policiers ne relevant pas de l’article 123 est conforme à l’article 2 du Pacte.

4.8La décision de la cour d’appel du Victoria a eu pour résultat d’obliger personnellement les policiers concernés à verser des dommages-intérêts pour agression, violation de domicile, détention arbitraire et poursuites abusives. Les sommes allouées à l’auteure comprenaient des dommages-intérêts compensatoires, aggravés et exemplaires pour un montant total de 143 525 dollars australiens. Ce montant se répartissait en 93 525 dollars australiens en réparation de l’agression commise contre l’auteure par l’agent J.; 30 000 dollars australiens de dommages-intérêts à la charge de tous les policiers pour violation de domicile et détention arbitraire; et 20 000 dollars australiens à la charge de l’agent J. pour poursuites abusives contre l’auteure. Il a ainsi été donné effet au droit de l’auteure à une réparation effective et appropriée. Selon l’État partie, l’auteure n’a pas démontré avoir rencontré des difficultés pour faire exécuter le jugement rendu en sa faveur, puisqu’elle dispose de voies judiciaires d’exécution. En tout état de cause, une violation de l’article 2 ne saurait dépendre du fait que les policiers contre lesquels un jugement a été rendu ont ou non les moyens d’acquitter le montant de la condamnation, ou ont ou non un patrimoine propre.

4.9S’agissant du grief de l’auteure selon qui l’État partie a violé l’article 2 en n’engageant pas de poursuites pénales contre les agents prétendument responsables de l’atteinte à ses droits, l’État partie rappelle que, selon la jurisprudence du Comité, le Pacte ne prévoit pas un droit pour un individu de demander que l’État partie engage des poursuites pénales contre un tiers. En outre, l’État partie a mis en place des voies de droit efficaces pour répondre à toutes allégations de violations ou de peines ou traitements inhumains ou dégradants imputables à des policiers, lesquelles ont été dûment invoquées en l’espèce.

4.10La loi de 1958 portant règlement de la police institue une procédure disciplinaire qui est supervisée par le commissaire principal de la police et mise en œuvre par le Département de la déontologie de la police du Victoria. Ce département est chargé d’enquêter sur les comportements répréhensibles et la corruption au sein de la police et de traiter les questions liées à l’exercice des fonctions et à la discipline. Il traite les réclamations sans délai et de manière impartiale. Depuis novembre 2004, le Bureau de l’intégrité de la police est l’organe indépendant qui détecte, instruit et prévient les cas de corruption et de faute grave au sein de la police. Des sanctions pénales sont en outre prévues pour des faits constitutifs de graves atteintes aux droits de l’homme. L’obligation légale d’informer le Médiateur adjoint (plaintes contre la police) des enquêtes disciplinaires permet d’assurer un contrôle indépendant important de la validité et de l’efficacité de la procédure disciplinaire.

4.11À la suite d’une réclamation déposée par l’auteure le 21 mars 1996, une enquête préliminaire a été ouverte. Le Département de la déontologie a informé à plusieurs reprises l’auteure de l’état de cette enquête et, lorsque le dossier a été ouvert, il a également informé l’auteure qu’elle pouvait déposer une autre réclamation auprès du Médiateur adjoint (plaintes contre la police). Le 30 avril 1997, le Médiateur adjoint a répondu que le délai de prise en charge médicale de l’auteure n’avait pas été déraisonnable et que la proposition tendant à ce que le sergent C. et l’agent J. aient à répondre d’infractions disciplinaires était appropriée en l’espèce. Au terme de l’enquête préliminaire, il a été reproché à l’agent J. un «comportement indigne» et au sergent C. une «négligence dans l’exercice de ses fonctions». L’audience sur le cas de l’agent J. a eu lieu le 25 août 1998 et celle sur le cas du sergent C. le 31 août 1998. Le fonctionnaire chargé d’examiner les dossiers n’ayant pu être raisonnablement convaincu par les moyens de preuve produits, toutes les charges ont été rejetées. Dans le cas de l’agent J., ce fonctionnaire a aussi noté des incohérences dans les attestations des témoins civils. À l’époque, l’action civile était en cours et le juge de première instance n’avait pas encore formulé ses constatations de fait susceptibles d’être prises en considération lors de l’audience. Ce résultat n’altère pas la validité de la procédure de traitement des réclamations concernant les fautes supposées de policiers. Dans sa pratique, le Comité ne remet généralement pas en cause l’appréciation des preuves par les instances nationales.

4.12L’écart entre les conclusions du juge de première instance et le résultat de la procédure disciplinaire peut s’expliquer par les différentes normes de preuve respectivement applicables dans chaque contexte. Dans le cadre d’une procédure disciplinaire sur des allégations de fautes graves, c’est la norme civile habituelle exigeant une preuve selon la probabilité la plus forte qui s’applique, mais il s’y ajoute une condition supplémentaire, à savoir que le degré de certitude requis doit être particulièrement élevé vu la gravité des conséquences découlant d’une conclusion défavorable à l’intéressé. Cette norme correspond à la gravité de la procédure et à la sévérité de la sanction, notamment la révocation, susceptible d’en résulter.

Griefs tirés de l’article 7

4.13Vu que l’auteure n’a pas exercé toutes les voies de recours judiciaires et administratives qui lui offrent une perspective raisonnable de réparation, l’État partie soutient qu’elle n’a pas épuisé les recours internes. Si le Comité considère que le grief tiré de l’article 7 est recevable, l’État partie fait valoir que les allégations sont dépourvues de fondement.

4.14Le traitement de l’auteure n’a pas été constitutif de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. L’État partie admet qu’au vu des faits, il est possible de conclure que ce traitement était inacceptable ou inapproprié, compte tenu en particulier de la décision de la cour d’appel de confirmer l’octroi de dommages-intérêts à l’auteure pour agression et détention arbitraire. Néanmoins, ce traitement n’a pas constitué une violation de l’article 7. Pour que, dans le cadre d’une arrestation, un traitement soit considéré comme dégradant, il doit exister un facteur aggravant supplémentaire s’ajoutant aux circonstances habituelles d’une arrestation. Dès lors qu’une arrestation, à l’instar d’une détention, comporte un élément inhérent d’humiliation, il doit s’y ajouter un élément répréhensible pour qu’elle constitue une violation de l’article 7. Tout facteur aggravant ou élément répréhensible, dans le cas de la prétendue arrestation ou détention de l’auteure, était insuffisant pour atteindre le seuil minimal de gravité requis pour qu’il y ait violation de l’article 7. De plus, l’auteure n’a pas étayé son allégation selon laquelle elle souffrirait de conséquences physiques ou psychologiques durables.

4.15Le refus de prodiguer des soins médicaux nécessaires peut, dans certaines circonstances, constituer une violation de l’article 7. En l’espèce cependant, les registres de la police confirment que l’auteure a reçu en temps voulu un traitement médical approprié pendant sa garde à vue. Elle a été soignée par un médecin vingt minutes après son arrivée au commissariat de police, à 23 heures le 9 mars 1996. À minuit, une ambulance est arrivée et d’autres soins lui ont été prodigués. La garde à vue a pris le 10 mars 1996 à 12 h 20, et l’auteure a été transportée en ambulance à l’hôpital. Elle a été de nouveau hospitalisée environ une semaine plus tard en raison de sa blessure au nez. Rien ne permet de penser qu’elle n’a pas bénéficié en temps voulu d’un traitement médical approprié pendant sa garde à vue. Le 30 avril 1997, le Médiateur adjoint a fait observer que le délai de prise en charge médicale de l’auteure n’avait pas été déraisonnable.

4.16Selon l’auteure, l’absence d’enquête et de procédure disciplinaire efficaces contre les agents ayant participé à la descente de police revient à tolérer et, de fait, autoriser d’autres violations potentielles de l’article 7. Ce grief recouvre cependant le grief tiré par l’auteure de l’article 2 et devrait être examiné en liaison avec celui-ci. Les États ont l’obligation de veiller à ce que les recours se rapportant à l’article 7 fassent l’objet d’une enquête rapide et impartiale par les autorités compétentes. En l’espèce, le succès de l’action civile engagée contre les membres de la police du Victoria démontre que chaque individu reste tenu de réparer les conséquences de ses actes ou omissions. Si, comme le propose l’auteure, la responsabilité civile pour l’ensemble des actes et omissions des policiers devait être transférée à l’État, cela exonérerait effectivement les individus de leur responsabilité civile individuelle éventuelle. Cette responsabilité a un important effet dissuasif pour les policiers.

Grief tiré de l’article 9, paragraphe 1

4.17L’État partie soutient que les recours internes n’ont pas été épuisés et que ce grief est dépourvu de fondement. Les prétendues arrestation et détention de l’auteure ne sauraient être qualifiées d’illégales ou d’arbitraires aux fins du paragraphe 1 de l’article 9. Comme l’a admis la cour d’appel du Victoria, les membres de la police du Victoria ayant participé à la descente pensaient qu’ils étaient habilités à pénétrer dans les lieux et à procéder à l’arrestation de l’auteure en vertu de l’article 459A de la loi du Victoria de 1958 sur les infractions (Crimes Act 1958 (Victoria)).

Grief tiré de l’article 10

4.18L’État partie fait valoir que les recours internes n’ont pas été épuisés et que le grief est dépourvu de fondement. De plus, l’auteure n’indique pas clairement quel traitement relèverait de l’article 10.

4.19Le principe selon lequel le traitement interdit par le Pacte en vertu de l’article 7 doit comporter des éléments qui dépassent la simple privation de liberté vaut aussi pour l’article 10. Tout élément d’humiliation qui a pu être associé à la pose de menottes et à la détention était insuffisant pour atteindre le seuil de gravité requis pour qu’il y ait violation de l’article 10. À la suite de son arrestation, l’auteure a été directement conduite au commissariat de police où les menottes lui ont été retirées. La pose de menottes à l’auteure dans le cadre de ce qui était considéré comme une arrestation légale, et compte tenu de son absence évidente de coopération, n’était pas déraisonnable dans les circonstances de l’espèce. Le fait que l’auteure aurait été empêchée d’atténuer la douleur et d’arrêter le saignement de nez ou de s’occuper autrement de ses blessures était insuffisant pour atteindre le degré d’humiliation ou d’avilissement interdit par l’article 10. En conséquence, le fait que l’auteure ait été prétendument arrêtée, menottée et détenue ne saurait en soi constituer une violation de l’article 10.

4.20S’agissant de la prise en charge médicale prétendument tardive, l’État partie affirme que le traitement de l’auteure en détention n’a pas violé l’article 10. Les registres de la police confirment que l’auteure a reçu rapidement des soins pendant sa garde à vue. Il n’y avait pas de contre-indication médicale à sa détention. La nature de ses lésions et la brève durée de la garde à vue sont des éléments pertinents à cet égard. L’auteure a été brièvement admise à l’hôpital quelques heures seulement après son arrestation, et elle a pu ensuite sortir. Elle n’a été véritablement hospitalisée que près d’une semaine après les faits, ce qui dénote l’absence d’urgence.

Grief tiré de l’article 17

4.21L’État partie fait valoir que les recours internes n’ont pas été épuisés et que le grief est dépourvu de fondement. Il reprend ses arguments relatifs au grief tiré de l’article 9 du Pacte et affirme que l’auteure n’a présenté aucun élément laissant penser qu’elle aurait été victime d’atteintes calomnieuses à son honneur et à sa réputation. Dans la mesure où les accusations portées contre elle l’avaient peut-être été sans cause raisonnable et dans une intention calomnieuse, l’auteure a obtenu gain de cause dans l’action qu’elle a engagée contre l’agent J. pour poursuites abusives.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie

5.1Le 2 juillet 2010, l’auteure a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie. Renouvelant ses allégations, elle affirme avoir épuisé toutes les voies de recours pour tenter de recouvrer le montant alloué par le jugement.

5.2Dès que les décisions de justice sont devenues exécutoires contre les policiers concernés, des mises en demeure ont été adressées à ceux-ci pour obtenir le paiement des sommes dues à l’auteure. En réponse, le conseil des policiers a informé le conseil de l’auteure que l’agent J. s’était déclaré en faillite et que l’auteure ne pouvait donc plus, en vertu des dispositions de la loi sur la faillite, poursuivre aucune action contre lui. S’agissant des autres défendeurs, ils ne possédaient, selon les recherches entreprises par le conseil de l’auteure, qu’un patrimoine insignifiant. En droit australien, le montant de la retraite est insaisissable dans le cadre d’une faillite. En conséquence, dans les faits, si l’un des défendeurs était déclaré en faillite, il n’y aurait eu aucun actif susceptible d’être distribué à l’auteure et à ses codemandeurs. Un mandat de saisie et de vente ou une ordonnance constitutive de charge sur un bien du débiteur ne peut produire d’effet qu’en présence d’actifs saisissables ou d’un patrimoine susceptible d’être grevé par une charge. Après avoir obtenu des renseignements des défendeurs et mené à bien ses propres recherches, le conseil de l’auteure a estimé que toute requête aux fins d’obtenir un mandat ou une ordonnance constitutive de charge serait vaine et ne permettrait de recouvrer aucune somme. Il a donc estimé préférable de tenter de négocier un règlement. En définitive, les défendeurs non faillis ont proposé de régler une somme de 45 000 dollars australiens à l’auteure et à ses trois codemandeurs, ce que ceux-ci ont accepté. L’agent J., a dû aviser le syndic de faillite de la somme due à l’auteure. Aucune communication n’ayant été reçue du syndic, il est apparu évident que celui-ci ne disposait pas des fonds nécessaires pour désintéresser les créanciers.

5.3À propos de l’observation de l’État partie, selon qui elle aurait pu présenter une demande d’indemnisation au Tribunal d’aide aux victimes de la délinquance, l’auteure affirme que ce tribunal n’indemnise pas le pretium doloris et s’emploie surtout à prendre rapidement des mesures pratiques pour aider les victimes d’infractions. Il peut accorder des sommes à titre d’assistance financière ou d’assistance financière spéciale. Une assistance financière est accordée pour couvrir des frais médicaux et de conseil, le manque à gagner ou le remplacement de vêtements endommagés par un acte de violence. L’assistance financière spéciale est censée avoir un caractère compensatoire. Le tribunal accorde des sommes modestes lorsqu’un préjudice important résulte directement pour le demandeur d’un acte de violence. Il utilise des catégories d’infractions pour déterminer le niveau maximum d’assistance financière spéciale à allouer. Dans le cas de l’auteure, si elle ne démontrait pas avoir subi un préjudice très grave, elle aurait peut-être droit à une assistance financière à hauteur, soit de 130 à 650 dollars, soit de 650 à 1 300 dollars, c’est-à-dire les montants accordés en cas d’infractions causant de graves préjudices et d’agression, respectivement. Les sommes allouées ont un caractère symbolique et ne visent pas à atteindre le niveau de réparation auquel les victimes d’infractions peuvent avoir droit en common law ou autrement. Un délai prorogeable de deux ans est applicable aux demandes soumises au tribunal. Il est probable qu’une demande concernant la présente communication serait irrecevable, car les faits se sont produits en 1996.

5.4En outre, le Tribunal ne se prononce pas sur la culpabilité. Ses pouvoirs d’investigation se limitent au point de savoir s’il y a eu acte de violence et s’il convient d’accorder une assistance financière pour couvrir les frais liés à cet acte. Il n’a pas les moyens de réparer les violations faisant l’objet de la présente communication et le type de décision qu’il rend ne constitue donc pas un recours utile pour l’auteure. Pour respecter la condition d’épuisement des recours internes, un auteur doit avoir accès à des recours disponibles et utiles pour réparer le préjudice. Ces recours doivent aussi donner la possibilité à l’État de répondre et de remédier au problème relevant de sa juridiction.

5.5L’auteure conteste les arguments de l’État partie concernant la responsabilité individuelle des auteurs des faits. Il incombe à l’État de veiller à ce que les membres de sa police ne portent pas atteinte aux droits de l’homme et de réparer les atteintes qui se produisent. En indemnisant directement les victimes, l’État garantit le respect de ses obligations en la matière. Pour autant, les auteurs individuels d’infractions ne sont pas exonérés de leur responsabilité devant la juridiction civile. Il est également possible à l’État de se retourner contre eux aux fins de remboursement. L’article 123 de la loi portant règlement de la police, tel qu’il est actuellement libellé, a pour effet pratique de dégager l’État de toute responsabilité pour des actes commis par des policiers de mauvaise foi, de manière déraisonnable ou en dehors de l’exercice de leurs fonctions. Au vu de cette situation, l’État du Victoria est tenu de modifier sa législation interne, comme l’ont déjà fait d’autres États. En outre, la violence policière s’explique en partie par des déficiences systémiques en matière de formation, de contrôle et de mesures disciplinaires. La responsabilité de l’État pour les actes de ses agents permet de garantir qu’il sera remédié à ces déficiences systémiques.

5.6Pour ce qui est des observations de l’État partie quant à l’efficacité du système disciplinaire du Victoria, l’auteure fait valoir que le Département de la déontologie manque d’indépendance, dans la pratique, et qu’il conclut rarement à un comportement délictueux ou cruel de la police. Elle affirme qu’elle n’a pas été invitée à témoigner lors de l’examen de la faute disciplinaire faisant l’objet de sa réclamation contre l’agent J. et qu’aucun témoin civil n’a par ailleurs été cité. L’audience s’est tenue deux ans après les faits et l’enquête a duré onze mois. Une telle durée est inexcusable.

5.7L’auteure a sollicité une copie du dossier disciplinaire relatif à son affaire, mais sa demande a été rejetée au motif que cela grèverait trop les ressources de l’État. Les seules informations publiques concernant la procédure figurent dans un bref paragraphe du rapport du Bureau de l’intégrité de la police intitulé «A fair and effective Victoria Police disciplinary system». Ni l’enquête, ni l’audience, ni la décision n’ont fait l’objet d’un contrôle public et il n’existait aucun mécanisme de recours pour l’auteure. Pour ce qui est du rôle du Médiateur adjoint en tant que garant de la procédure, l’auteure affirme que la seule mesure requise est une notification et qu’il n’y a pas de véritable contrôle.

5.8L’invocation par l’État partie de la norme de preuve pour expliquer la différence entre les conclusions de la procédure disciplinaire et celles de l’action civile est injustifiée et mal fondée. Cet argument ne tient pas compte du fait qu’à l’audience disciplinaire, aucun témoin civil n’a été appelé à apporter de vive voix la preuve du comportement répréhensible de la police, ce qui dénotait une grave déficience systémique de la procédure alors même qu’il était prétendu que les éléments de preuve étaient insuffisants pour conclure à une faute. La différence entre les résultats des deux procédures tient au manque d’efficacité, de transparence, de responsabilité et d’indépendance de l’instance disciplinaire.

5.9Lorsqu’il a été conclu, au terme du procès civil, que les policiers avaient menti sur des points de très grande importance, il était possible de rouvrir ou de reprendre la procédure disciplinaire et de saisir le Bureau du Procureur général d’un dossier d’accusation. L’État n’a pas mis en œuvre ces moyens.

5.10L’auteure réaffirme que le traitement auquel elle a été soumise est contraire à l’article 7 du Pacte. Elle avait 21 ans à l’époque et le traitement était prémédité et visait à la punir et à l’intimider. Elle a reçu plusieurs coups de poing, qui ont causé de très graves et cruelles souffrances − fracture du nez, lésions du visage, contusions au visage et sur d’autres parties du corps, dent ébréchée, perte de conscience, peur, angoisse, détresse, intimidation et troubles psychologiques persistants. L’agression s’est poursuivie alors qu’elle était sans défense et inconsciente. Le traitement a été inutilement prolongé par l’arrestation et le transport au commissariat de police, où elle est restée menottée. Selon le juge Williams, les policiers avaient de l’auteure une vision «extraordinairement intolérante et partiale», la décrivant comme une «fille répugnante, sale, droguée». Cela conforte le grief de l’auteure, pour qui ce traitement visait à la rabaisser, la dégrader et la punir.

5.11À propos des observations de l’État partie concernant l’article 9, l’auteure réaffirme que l’irruption de la police dans la maison était inappropriée, injuste et déraisonnable. Elle était aussi illégale, comme l’a affirmé le juge Williams. Les policiers auraient pu recourir à des mesures moins intrusives pour procéder à une arrestation, à supposer qu’elle fût vraiment nécessaire, comme l’obtention d’un mandat ou une surveillance statique des lieux. Même si les policiers concernés croyaient pouvoir entrer dans les lieux légalement, cela ne signifie pas que les faits qui se sont ensuite produits avaient un caractère légal. L’agression et le transfert au commissariat de police n’étaient pas proportionnés à la situation.

5.12Si le Comité considère qu’il n’y a pas eu violation de l’article 9, y compris du paragraphe 5, l’auteure soutient que ces faits étaient des atteintes à sa liberté de circulation garantie par l’article 12 du Pacte.

5.13L’auteure réaffirme ses griefs tirés de l’article 17. Selon elle, des poursuites abusives violent nécessairement son droit au respect de sa vie privée ainsi que son droit de ne pas faire l’objet d’atteintes illégales à sa réputation.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1En août 2011, l’État partie a soumis de nouvelles observations sur la recevabilité et sur le fond. S’agissant des possibilités d’indemnisation dans le cadre du système d’aide aux victimes de la délinquance, il soutient qu’à l’époque des faits, l’auteure aurait eu le droit de présenter une réclamation en vertu de la loi de 1983 relative à la réparation des dommages résultant d’infractions pénales au Victoria (Criminal Injuries Compensation Act 1983 (Victoria)) et aurait eu droit à une indemnité d’un montant maximum de 50 000 dollars australiens, y compris au titre du pretium doloris pour un montant maximum de 20 000 dollars australiens. Les catégories d’assistance financière spéciale mentionnées par l’auteure n’ont existé qu’à partir de 2000. Les sommes accordées dans le cadre de ces régimes servent à peu près aux mêmes fins que les indemnités de droit public existant dans le ressort d’autres États, sous l’angle de l’indemnisation et de la satisfaction.

6.2L’indemnisation prévue par la loi de 1996 sur l’aide aux victimes de la délinquance (Victims of Crime Assistance Act 1996) constitue un recours utile aux fins de l’article 2. L’auteure a encore le droit de demander une telle indemnité. Comme elle ne l’a pas fait, elle n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles.

6.3Dans les ressorts de juridiction où existe un droit d’action distinct de droit public en cas d’atteinte aux droits de l’homme, les indemnités de droit public peuvent avoir pour objectifs d’indemniser le demandeur pour les préjudices et les souffrances causés par l’atteinte, d’affirmer le droit en cause en soulignant son importance et la gravité de l’atteinte et de dissuader les agents de l’État de commettre de nouvelles atteintes. Des dommages-intérêts ne sont généralement accordés qu’à une ou plusieurs de ces fins. Lorsqu’ils ont un caractère approprié, ils visent à remettre la personne dans la situation qui aurait été la sienne si l’atteinte n’avait pas été commise.

6.4L’État partie rejette l’argument de l’auteure qui affirme que seuls le versement de dommages-intérêts compensatoires, de dommages-intérêts aggravés et de dommages-intérêts exemplaires et la prise en charge de l’intégralité de ses frais de justice par l’État du Victoria constitueront un «recours utile». L’article 123 de la loi portant règlement de la police signifie que l’État du Victoria est responsable des atteintes aux droits de l’homme commises par des policiers lorsque ceux-ci agissent conformément aux pratiques et procédures promulguées par la police du Victoria ou dans des cas où des problèmes systémiques comme les lacunes dans la formation, les politiques et les procédures, ont contribué au comportement en cause. Ce n’est que lorsqu’un policier agit bien en dehors des politiques et procédures autorisées, de sorte que la police du Victoria et l’État du Victoria ne peuvent être considérés comme ayant contribué d’une quelconque façon au comportement, que l’État du Victoria n’est pas tenu responsable de l’atteinte.

6.5S’agissant du grief tiré de l’article 12, l’État partie soutient que l’auteure n’a pas épuisé les recours internes, pour les raisons sus-énoncées, et que le grief est dépourvu de fondement. Le droit à la liberté et la liberté de circulation sont des notions distinctes. Si des restrictions non constitutives d’une atteinte au droit à la liberté peuvent dans certaines circonstances constituer une atteinte à la liberté de circulation, ce n’est pas toujours le cas. Les faits de l’espèce ne soulèvent pas de questions au regard de la liberté de circulation telle qu’elle est envisagée à l’article 12. En tout état de cause, l’éventuelle restriction à la liberté de circulation de l’auteure entrait dans le champ des restrictions autorisées en vertu du paragraphe 3 de l’article 12.

6.6Selon l’article 459A de la loi de 1958 sur les infractions (Crimes Act 1958 (Victoria)), un policier peut pénétrer dans un lieu et le perquisitionner afin de procéder à l’arrestation d’une personne lorsqu’il croit, sur la base de motifs raisonnables, que celle-ci a commis une infraction grave. Dans ces circonstances, l’entrée dans les lieux, la perquisition et l’arrestation sont des actes prévus par la loi et nécessaires pour protéger la sécurité nationale, l’ordre public et les droits et libertés d’autrui.

6.7Comme cela a été reconnu par la cour d’appel, les policiers étaient convaincus d’être autorisés à pénétrer dans les lieux pour procéder à l’arrestation de l’auteure en vertu de l’article 459A. S’il est vrai que la cour d’appel a finalement considéré que l’entrée dans les lieux et l’arrestation étaient illégales, la conviction des policiers doit être prise en considération pour apprécier leurs actes.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3L’auteure affirme que le traitement qu’elle a subi dans le contexte des faits advenus le 9 mars 1996 et des événements ultérieurs a constitué une violation des droits qu’elle tient des articles 7, 9 (par. 1 et 5), 10 (par. 1) et 17 du Pacte. Le Comité note que les griefs dont il est saisi par l’auteure ont le même fondement que ceux que l’auteure a soumis aux autorités judiciaires nationales. À ce sujet, le County Court du Victoria a conclu que les policiers qui avaient fait une descente chez l’auteure étaient responsables de violation de domicile, d’agression, d’arrestation et de détention arbitraires, de poursuites abusives et de négligence. La cour d’appel a jugé que ces policiers étaient individuellement tenus de verser des dommages-intérêts pour agression, violation de domicile, détention arbitraires et poursuites abusives. Le Comité considère qu’en statuant au fond sur les demandes de l’auteure, les juridictions nationales ont reconnu que les droits de l’auteure avaient été violés et établi que les défendeurs étaient civilement responsables de faits relevant des dispositions du Pacte susmentionnées. Étant donné que les tribunaux nationaux ont reconnu la responsabilité civile des agents de l’État pour des violations du droit interne qui sont visées aux articles 7, 9 (par. 1) et 17 du Pacte ainsi que leur obligation de verser des dommages-intérêts, le Comité considère que la véritable question dont il est saisi est celle de savoir si l’auteure a obtenu une réparation effective pour les violations des droits que lui reconnaît le Pacte, une fois la décision finale des tribunaux nationaux devenue exécutoire.

7.4Il prend note du grief que l’auteure tire de l’article 2, au motif qu’elle n’a pas reçu l’intégralité de l’indemnisation accordée par les tribunaux nationaux et que les auteurs de l’agression n’ont fait l’objet d’aucune action pénale ni disciplinaire. Il note aussi que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés, l’auteure n’ayant pas sollicité l’exécution du jugement rendu en sa faveur, en application du règlement de la Cour suprême du Victoria concernant la procédure de divulgation d’informations aux fins d’exécution d’un jugement, après l’annulation de la faillite de l’agent J. L’État partie soutient aussi que l’auteure n’a pas saisi le Tribunal d’aide aux victimes de la délinquance. Le Comité prend en outre note des renseignements fournis par l’auteure en ce qui concerne les démarches qu’elle a entreprises pour obtenir l’exécution du jugement et le règlement final qu’elle-même et ses codemandeurs se sont sentis obligés d’accepter. Il note que, selon les affirmations de l’auteure, les indemnités allouées par le Tribunal d’aide aux victimes de la délinquance ont un caractère symbolique et ne visent pas à atteindre le niveau d’indemnisation auquel les victimes d’infractions peuvent prétendre en common law ou autrement.

7.5Le Comité considère qu’en décidant d’engager une action en dommages-intérêts contre les policiers en vertu de la loi sur la responsabilité civile de la Couronne (Crown Proceedings Act), l’auteure a exercé une voie de recours appropriée, comme le montre notamment le fait qu’elle a obtenu gain de cause devant les tribunaux et que des dommages-intérêts lui ont été accordés en application de cette loi. Le fait que la décision de la cour d’appel n’a pas été pleinement exécutée, malgré tous les efforts qu’elle a ensuite entrepris à cet égard, n’est pas imputable à l’auteure. En conséquence, aux fins de la recevabilité de la présente communication, on ne peut attendre de l’auteure qu’en plus de ces procédures, elle ait soumis au Tribunal d’aide aux victimes de la délinquance une demande d’indemnisation. Le Comité conclut donc que les recours internes ont été épuisés.

7.6Le Comité ne voyant aucun autre obstacle à la recevabilité, il considère que la communication est recevable en ce qu’elle semble soulever des questions au regard des articles 7, 9 (par. 1), 10 (par. 1) et 17 du Pacte pris isolément et lus conjointement avec l’article 2 (par. 3), et de l’article 9 (par. 5) pris isolément.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

8.2Le Comité prend note des affirmations de l’auteure, qui prétend que l’État partie n’a pas fait en sorte que les auteurs des faits soient traduits devant une juridiction pénale et qu’il n’a pas été donné suite aux réclamations dont elle a saisi les organes disciplinaires de la police du Victoria. À ce propos, le Comité considère que le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte n’impose aux États parties aucune forme particulière de recours et que le Pacte ne prévoit pas un droit pour les individus de demander que l’État engage des poursuites pénales contre un tiers. Néanmoins, le paragraphe 3 de l’article 2 impose effectivement aux États parties l’obligation de faire mener par des organes indépendants et impartiaux des enquêtes diligentes, approfondies et efficaces sur les allégations de violations. En outre, pour décider si la victime d’une violation du Pacte a obtenu une réparation appropriée, le Comité peut prendre en considération non seulement la disponibilité et l’efficacité d’une voie de recours particulière, mais l’effet cumulé de plusieurs voies de recours de nature différente, telles que les voies pénale, civile, administrative ou disciplinaire.

8.3En l’espèce, l’action disciplinaire engagée devant les services de police a été rejetée pour défaut de preuves. À ce sujet, le Comité prend note des affirmations de l’auteure, non contestées par l’État partie, à savoir le fait que ni elle-même ni les autres témoins civils n’ont été appelés à déposer, qu’elle n’a pas eu accès au dossier, que l’affaire n’a pas été examinée en audience publique, et qu’après la conclusion de la procédure civile, il n’y avait pas de possibilité de rouvrir ou de reprendre la procédure disciplinaire. Compte tenu de ces défaillances et vu la nature de l’organe de décision, le Comité considère que l’État partie n’a pas montré que la procédure disciplinaire satisfaisait aux conditions du recours utile prévu au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

8.4Le Comité note en outre que l’auteure a obtenu gain de cause dans son action civile devant les juridictions nationales, qui ont fait droit à sa demande de dommages-intérêts contre les policiers jugés responsables des faits de violation de domicile, d’agression, d’arrestation et de détention arbitraires, de poursuites abusives et de négligence − faits illicites dont elle avait été reconnue victime. Cependant, les efforts de l’auteure pour obtenir l’exécution de la décision judiciaire définitive ont été vains’. En fin de compte, l’auteure n’a pas eu d’autre choix que d’accepter un règlement final pour un montant représentant une petite partie de l’indemnité que lui avait allouée le tribunal.

8.5En ce qui concerne l’article 123 de la loi portant règlement de la police du Victoria, le Comité constate qu’il limite la responsabilité de l’État pour les actes illicites commis par ses agents sans prévoir de mécanisme permettant de remédier pleinement aux violations du Pacte imputables à des agents publics. Dans ces conditions, le Comité considère que cet article est incompatible avec le paragraphe 2 et le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, car un État ne peut s’exonérer de sa responsabilité pour les violations du Pacte commises par ses propres agents. Le Comité rappelle que le paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte fait obligation aux États parties de prendre les mesures nécessaires pour donner effet dans l’ordre interne aux droits énoncés dans le Pacte et de modifier leurs lois et leurs pratiques de manière à les mettre en conformité avec celui-ci. Il rappelle également que, conformément au paragraphe 3 de l’article 2, les États parties sont tenus d’accorder réparation aux personnes dont les droits reconnus par le Pacte ont été violés. S’il n’est pas accordé une telle réparation, l’obligation d’offrir un recours utile, qui conditionne l’efficacité du paragraphe 3 de l’article 2, n’est pas remplie. Le Comité estime que, outre la réparation expressément prévue par le paragraphe 5 de l’article 9 et le paragraphe 6 de l’article 14, le Pacte impose de manière générale l’obligation d’accorder une réparation appropriée.

8.6Le Comité considère en outre que les actions en dommages-intérêts devant les juridictions internes peuvent offrir un recours utile en cas de comportement illégal ou de faute imputés à des agents de l’État. Il rappelle que l’obligation imposée aux États par le paragraphe 3 de l’article 2 comprend non seulement l’obligation d’offrir un recours utile, mais aussi celle de veiller à ce que les autorités compétentes assurent l’exécution des décisions faisant droit à un tel recours. Cette obligation, énoncée au paragraphe 3 c) de l’article 2, signifie qu’il incombe aux autorités de l’État de donner effet aux décisions des juridictions internes qui offrent un recours utile aux victimes. À cette fin, les États parties devraient employer tous les moyens appropriés et organiser leur système juridique de manière à garantir l’exécution de ces décisions conformément à leurs obligations résultant du Pacte.

8.7Dans la présente affaire, le succès obtenu par l’auteure dans son action en responsabilité civile a été annulé par l’impossibilité où elle s’est trouvée de faire dûment exécuter la décision de la cour d’appel, en raison d’obstacles factuels et juridiques. La procédure instituée par le droit interne de l’État partie en vue de remédier à la violation des droits que l’auteure tient des articles 7, 9 (par. 1), et 17 du Pacte. s’est révélée inefficace et le montant des dommages‑intérêts qui a été finalement proposé à l’auteure était insuffisant, compte tenu des faits en cause, pour satisfaire aux conditions d’une réparation effective au regard du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. Le Comité estime que dans les cas où l’exécution d’une décision définitive devient impossible en raison des circonstances de l’espèce, d’autres voies juridiques devraient être disponibles pour que l’État s’acquitte de son obligation de fournir une réparation appropriée à la victime. Toutefois, dans la présente affaire, l’État partie n’a pas démontré que ces autres voies existaient ou étaient efficaces. L’État partie fait référence à une indemnisation dans le cadre du système d’aide aux victimes de la délinquance, mais le Comité n’est pas convaincu, compte tenu des caractéristiques de ce régime, notamment le principe d’exclusion de la faute personnelle, que l’auteure pourrait en effet obtenir une réparation appropriée pour un préjudice grave causé par des agents de l’État. Le Comité note à ce propos que l’État partie n’a pas fourni de renseignements sur les cas dans lesquels des personnes ayant des griefs du même type que ceux de l’auteure ont obtenu une réparation appropriée grâce à ce système.

8.8Au vu de ce qui précède, notamment des défaillances de la procédure disciplinaire, le Comité considère que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec les articles 7, 9 (par. 1), et 17 du Pacte. Compte tenu de cette conclusion, le Comité n’examinera pas la question de savoir si les circonstances de l’espèce constituent une violation distincte des articles 7, 9 (par. 1) et 17. Il ne déterminera pas non plus s’il y a eu violation de l’article 10 (par. 1), pris isolément et lu conjointement avec l’article 2 (par. 3), et de l’article 9 (par. 5).

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que l’État partie a violé les droits que tient l’auteure du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec les articles 7, 9 (par. 1 et 5), 10 (par. 1) et 17 du Pacte.

10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteure une réparation effective, sous la forme notamment d’une indemnisation suffisante. Il est également tenu de veiller à ce que des violations du même type ne se reproduisent pas. À ce sujet, il devrait revoir sa législation en vue de la mettre en conformité avec les dispositions du Pacte.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement sur son territoire.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice I

Opinion individuelle (partiellement dissidente) de Anja Seibert‑Fohr, à laquelle se sont associés Yuji Iwasawa et Walter Kälin

1.Le problème principal, dans la présente affaire, est le fait que l’État partie n’a pas reconnu sa responsabilité dans les violences répréhensibles commises par des policiers. Le 9 mars 1996, comme l’a établi le tribunal civil (County Court) du Victoria, l’auteure a été empoignée par un policier qui l’a mise au sol et a commencé à la frapper brutalement au visage, lui faisant perdre connaissance et la laissant le nez abîmé et cassé. Elle a été retournée et menottée alors qu’elle saignait du nez et traînée jusqu’à un car de police. Bien que le County Court ait établi la responsabilité civile du policier concerné pour ces faits, l’État partie continue à nier toute responsabilité pour traitements cruels, inhumains ou dégradants. Nous regrettons que la majorité des membres du Comité ait décidé de ne pas tenir compte de cet aspect important de l’affaire et considéré que le véritable problème était les voies de recours à la disposition de l’auteure. Selon nous, compte tenu de la gravité des mauvais traitements et du déni de responsabilité de l’État partie, il était indispensable que le Comité constate que les actes du policier, qui étaient clairement imputables à l’État partie, constituaient une violation de l’article 7. Cette constatation aurait également fourni la condition préalable nécessaire pour l’analyse par le Comité de la demande d’indemnisation de l’auteure au titre du paragraphe 3 de l’article 2, qui n’énonce pas de droit indépendant et autonome.

2.Nous convenons que la violation de l’article 7 n’a pas donné lieu à une réparation suffisante parce que l’auteure n’a reçu aucune indemnité pour les mauvais traitements que lui a infligés l’agent J., et que ces mauvais traitements n’ont pas fait l’objet d’une enquête officielle indépendante, à laquelle elle aurait eu accès. La procédure établie en droit interne n’a donc pas offert à l’auteure le recours utile prévu au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte. Le renvoi que fait le Comité à l’alinéa c est cependant trompeur, car ce n’est pas la non-exécution de la décision résultant de l’exercice d’un recours judiciaire qui a conduit à une violation de l’article 2, mais le fait de n’avoir pas, en premier lieu, offert de recours utile. Nous insistons sur cet aspect parce que, sans cette précision, le raisonnement du Comité pourrait être interprété comme conférant le droit d’exercer les recours civils nationaux même lorsqu’ils vont au-delà des dispositions du paragraphe 3 a) de l’article 2, par exemple en prévoyant des dommages-intérêts punitifs. Ce n’est pas ce qu’exige l’article 2, et la conclusion du Comité, qui a indiqué que l’État partie est tenu d’assurer à l’auteure une réparation effective, sous la forme notamment d’une indemnisation suffisante, doit donc être lue compte dûment tenu des implications d’une interprétation autonome de l’article 2.

3.Nous sommes en désaccord avec le Comité lorsqu’il conclut que l’article 123 de la loi de 1958 portant règlement de la police du Victoria, qui prévoit que l’État engage sa responsabilité pour une catégorie spécifique de fautes commises par la police, est incompatible avec l’article 2. En fait, les dommages-intérêts octroyés par le County Court ont d’abord été mis à la charge de l’État en application de cette loi. Le fait de ne pas offrir de recours utile ne résulte pas de cette disposition, mais de ce que la cour d’appel a ultérieurement appliqué la common law dans cette affaire, ajouté au fait que l’État partie n’a pas établi qu’il existait un autre recours pour les cas dans lesquels les policiers concernés n’ont pas les moyens de payer l’indemnité prévue. Nous insistons sur ce point afin de souligner la particularité de la présente affaire et d’éviter des malentendus qui pourraient donner lieu à une interprétation trop large des constatations du Comité.

[Fait en anglais. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois, en espagnol, en français et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice II

Opinion individuelle (partiellement dissidente) de Gerald L. Neuman

1.Je suis d’accord sur le fond avec l’opinion dissidente rédigée par certains membres du Comité. J’écris ces quelques lignes afin de relever certains autres aspects des constatations du Comité auxquelles je ne saurais souscrire.

2.Les constatations adoptées par la majorité des membres n’entrent pas assez dans le détail des questions qui ne se rapportent pas à l’agression brutale commise par l’agent J., laquelle constitue une violation de l’article 7. La plupart des griefs sont envisagés comme un tout, alors que leur nature et les faits qui les fondent sont différents, et le règlement auquel l’auteure est parvenue avec les trois autres policiers ne fait pas l’objet d’une attention suffisante.

3.En outre, il serait inopportun de laisser entendre que l’État partie a refusé de «faire exécuter» une décision rendue par ses tribunaux. Le jugement reconnaissant la responsabilité des policiers et octroyant des dommages-intérêts, qui va au-delà des exigences du Pacte, n’a été rendu que contre les policiers concernés. La majorité des membres passe ensuite à meilleur escient, au paragraphe 8.7, à la question des «autres voies» par lesquelles l’État partie assurera à l’auteure une indemnisation appropriée provenant de fonds publics, ce que ne prévoit absolument pas l’arrêt de la cour.

4.Ma préoccupation au sujet de la façon dont la majorité des membres expose ses arguments va au-delà du cas d’espèce. La façon trop générale dont les questions sont traitées masque des distinctions importantes entre des violations pour lesquelles différentes mesures correctives peuvent suffire, et auraient peut-être suffi en l’espèce. À l’avenir, le Comité devrait débattre de façon plus nuancée des obligations découlant du paragraphe 3 de l’article 2.

5.Malheureusement, je suis dans l’incapacité de traiter dûment ces questions ici parce que l’Organisation des Nations Unies a insisté, pour des raisons budgétaires, pour limiter le nombre de mots que peuvent compter les constatations du Comité. Cette pratique, qui est contraire à la manière dont le Comité s’acquitte de ses responsabilités, devrait être abolie.

[Fait en anglais. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois, en espagnol, en français et russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]