Nations Unies

CCPR/C/112/D/2070/2011

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

25 novembre 2014

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Communication no 2070/2011

Décision adoptée par le Comité à sa 112e session(7-31 octobre 2014)

Communication présentée par:

José Antonio Cañada Mora (représenté par un conseil, José Luis Mazón Costa)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Espagne

Date de la communication:

14 mars 2011 (date de la lettre initiale)

Date de la décision:

28 octobre 2014

Objet:

Recouvrement de dettes fiscales

Question(s) de fond:

Déni de justice

Question ( s ) de procédure:

Non-épuisement des recours internes

Article(s) du Pacte:

14 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif:

5 (par. 2 b))

Décision concernant la recevabilité *

1.1L’auteur de la communication est José Antonio Cañada Mora, de nationalité espagnole, né le 2 juillet 1935, qui se dit victime d’une violation par l’Espagne du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. L’auteur est représenté par un conseil.

1.2Le 5 juillet 2011, le Comité a décidé, par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, qu’il n’avait pas besoin que l’État partie présente ses observations pour se prononcer sur la recevabilité de la communication.

Exposé des faits

2.1L’auteur était producteur de vin. Le Service des impôts du Ministère des finances a mené une enquête sur les revenus de l’auteur pour les exercices fiscaux de 1992 à 1996. Le 27 juillet 1998, le Service des impôts a conclu que l’auteur devait 55 810 667 pesetas, intérêts compris, à raison de montants non versés au titre de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), de revenus non déclarés et de versements non acquittés pour ces exercices fiscaux. Le Service des impôts lui a également infligé une amende d’un montant de 24 243 814 pesetas. Ces mesures ont été confirmées par le Tribunal économique et administratif régional (TEAR) et confirmées en appel par le Tribunal économique et administratif central (TEAC) le 25 avril 2011.

2.2Le 7 décembre 2001, l’auteur a introduit une requête devant le Tribunal supérieur de justice pour contester la décision du TEAC en date du 25 avril 2001. Il affirmait notamment que les dettes accumulées pour les années 1992 et 1993 n’étaient plus exigibles car prescrites. Selon l’auteur, il avait, au cours de la procédure, contesté les principales preuves documentaires présentées par le Service des impôts parce qu’il s’agissait de photocopies qui n’avaient pas été authentifiées et n’étaient pas conformes aux prescriptions légales. Le 31 mai 2003, le Tribunal supérieur a fait droit à cette demande et ordonné que la documentation fournie par le Service des impôts d’Albacete le 21 janvier 2003 soit retirée du dossier. Le 28 septembre 2004, le Tribunal supérieur a débouté l’auteur et confirmé la décision du TEAC.

2.3Le 15 octobre 2004, l’auteur a demandé au Tribunal supérieur l’autorisation de se pourvoir en cassation. Le 2 novembre 2004, le Tribunal supérieur a rejeté cette demande au motif que le montant contesté, pour chaque exercice fiscal, n’était pas supérieur à 25 millions de pesetas (environ 150 253 euros), comme l’exigeait la loi pour un tel pourvoi. Le Tribunal supérieur précisait que l’auteur pouvait contester sa décision devant la Cour suprême en formant un recours pour déni d’appel (recurso de queja) dans les dix jours suivant la décision en question.

2.4Le 10 novembre 2004, l’auteur a introduit un recours en annulation (recurso por nulidad de actuaciones) devant le Tribunal supérieur, pour contester la décision du 2 novembre 2004. Il affirmait que son droit à une procédure régulière, consacré par l’article 24 de la Constitution de l’État partie, avait été violé, notamment en ce que la décision était fondée sur des faits qui n’avaient pas été établis par le Service des impôts.

2.5Le 15 décembre 2004, l’auteur a introduit un recours pour déni d’appel auprès de la Cour suprême, pour contester la décision du Tribunal supérieur en date du 2 novembre 2004. Il a fait valoir notamment que les autorités s’étaient bornées à imposer un règlement unique de sa dette fiscale de 55 810 667 pesetas, sans établir de distinction entre les différents exercices fiscaux; c’était donc le montant total qui devait être pris en compte pour déterminer si son pourvoi en cassation satisfaisait aux exigences prévues par la loi.

2.6Le 7 février 2005, le Tribunal supérieur a rejeté le recours formé par l’auteur contre sa décision, déclarant que l’auteur n’avait pas avancé d’arguments recevables qui lui auraient permis d’annuler la décision du 2 novembre 2004, mais n’avait fait qu’exprimer son désaccord avec la décision.

2.7Le 14 mars 2005, l’auteur a introduit un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel, pour contester les décisions administratives et judiciaires qui avaient été prises à son encontre, et a allégué une violation de l’article 24 (droit à une protection légale effective) de la Constitution de l’État partie.

2.8Le 1er avril 2005, la Cour suprême a rejeté le recours pour déni d’appel introduit par l’auteur et confirmé la décision du Tribunal supérieur. La Cour suprême a indiqué que l’article 86.2.b de la loi no 29/1998 sur la compétence en matière de contrôle juridictionnel excluait la possibilité d’un pourvoi en cassation pour les affaires dans lesquelles le montant contesté n’était pas supérieur à 25 000 000 de pesetas, que cette exigence s’appliquait à chaque règlement fiscal (à chaque trimestre dans le cas de la TVA) et que, dans le cas de l’auteur, aucun des règlements fiscaux ne dépassait ce montant.

2.9L’auteur affirme que, le 25 avril 2005, il a introduit un second recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel. Il ressort de la copie de la requête communiquée par l’auteur que celui-ci a mentionné les principales décisions administratives et judiciaires qu’il avait contestées devant le Tribunal constitutionnel; il a informé le Tribunal de la décision de la Cour suprême en date du 1er avril 2005 et indiqué expressément qu’il «réintrodui[sait] le recours en amparo qu’il avait présenté le 14 mars 2005».

2.10Dans une décision du 11 décembre 2006, le Tribunal constitutionnel a pris note des requêtes de l’auteur en date du 14 mars et du 25 avril 2005, et a déclaré son recours en amparo irrecevable au motif qu’il n’avait pas épuisé les autres recours à sa disposition, comme le prévoit le paragraphe 1 a) de l’article 44 de la loi organique sur le Tribunal constitutionnel. Celui-ci s’est référé à sa jurisprudence et a indiqué que, pour que la nature subsidiaire des recours en amparo dans l’ordre juridique espagnol soit préservée, il fallait que la requête satisfasse aux conditions de recevabilité applicables au moment où elle était soumise au Tribunal constitutionnel. Dans le cas de l’auteur, son recours pour déni d’appel était toujours pendant devant la Cour suprême au moment où il avait déposé sa requête.

2.11Le 22 mai 2007, l’auteur a introduit une requête contre l’État partie devant la Cour européenne des droits de l’homme. Le 30 novembre 2010, la Cour, siégeant en formation à juge unique, a déclaré la requête de l’auteur irrecevable au motif que les recours internes n’avaient pas été épuisés, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 35 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme). Selon la Cour, l’auteur avait omis de former son recours en amparo conformément aux exigences prévues par la législation de l’État partie. Le 9 décembre 2010, l’auteur a demandé à la Cour européenne des droits de l’homme de revenir sur sa décision, faisant valoir que le raisonnement qu’elle avait suivi ne pouvait pas s’appliquer à sa requête du 25 avril 2005, qui était un autre recours en amparo présenté au Tribunal constitutionnel dans les formes prescrites par la loi. Le 13 décembre 2010, la Cour européenne des droits de l’homme a fait savoir à l’auteur que sa décision était finale.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’il est victime d’une violation des droits qu’il tire du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte et soutient que les décisions prises par les juridictions de l’État partie étaient arbitraires et n’étaient pas fondées sur les faits et sur les éléments de preuve. La seule preuve pertinente présentée contre lui par le Service des impôts a été retirée du dossier par une décision du Tribunal supérieur en date du 31 mai 2003. De ce fait, les décisions des instances judiciaires étaient fondées sur des éléments de preuve qui avaient été déclarés irrecevables par le Tribunal supérieur.

3.2L’auteur considère que le refus du Tribunal supérieur de l’autoriser à se pourvoir en cassation, refus qui a été confirmé par la Cour suprême dans une décision du 1er avril 2005, est arbitraire et équivaut à un déni de justice.

3.3Selon l’auteur, la décision du Tribunal constitutionnel qui a déclaré son recours en amparo irrecevable constitue elle aussi un déni de justice. Il fait valoir devant le Comité que le Tribunal constitutionnel aurait dû considérer sa requête du 25 avril 2005 comme un second recours en amparo. Il soutient également que cette requête développait celle qu’il avait soumise le 14 mars 2005.

Délibérations du Comité

4.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

4.2Le Comité rappelle que lorsqu’elle a ratifié le Protocole facultatif, l’Espagne a formulé une réserve à l’effet d’exclure la compétence du Comité à l’égard de toute question qui a déjà été examinée ou est en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il rappelle aussi sa jurisprudence en ce qui concerne le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif selon laquelle, lorsque la Cour européenne des droits de l’homme fonde une décision d’irrecevabilité non seulement sur des motifs de procédure mais également sur des motifs impliquant un certain examen de l’affaire sur le fond, il convient de considérer que la question a été examinée au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. En l’espèce, le Comité relève que la requête de l’auteur a été déclarée irrecevable par une formation à juge unique de la Cour européenne des droits de l’homme pour des motifs de procédure, à savoir que les recours internes n’avaient pas été épuisés. En conséquence, le Comité considère que rien ne l’empêche d’examiner la présente communication, conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

4.3Le Comité prend note des griefs de l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 14, selon lesquels les décisions administratives et judiciaires prises à son encontre n’étaient pas fondées sur des preuves suffisantes, puisque le seul élément de preuve pertinent soumis par le Service des impôts avait été déclaré irrecevable par le Tribunal supérieur et que le rejet de sa demande d’autorisation de se pourvoir en cassation constitue un déni de justice. Le Comité fait observer que ces griefs concernent l’appréciation des faits et des éléments de preuve, et de l’application de la législation nationale, par les tribunaux de l’État partie. Il rappelle sa jurisprudence et réaffirme qu’il appartient aux juridictions des États parties d’apprécier les faits et les preuves dans un cas d’espèce, ou l’application de la législation nationale, sauf s’il peut être établi que cette appréciation ou cette application a été manifestement arbitraire ou entachée d’irrégularités ou a représenté un déni de justice. Après avoir examiné les éléments présentés par l’auteur, notamment les décisions du Tribunal supérieur et de la Cour suprême en date du 28 septembre 2004, du 2 novembre 2004 et du 1er avril 2005, le Comité considère que ces éléments ne font pas apparaître que les procédures contre l’auteur aient été entachées de telles irrégularités. Il prend note également du grief de l’auteur selon lequel la décision du Tribunal constitutionnel en date du 11 décembre 2006 constitue un déni de justice, du fait que le Tribunal aurait dû examiner sa requête du 25 avril 2005 en tant que deuxième recours en amparo. Cependant, le Comité fait observer qu’il ne saurait être déduit du libellé de la requête adressée par l’auteur au Tribunal constitutionnel le 25 avril 2005 que son intention était de former un second recours en amparo, indépendant de celui qu’il avait présenté le 14 mars 2005. L’auteur n’y explique pas non plus les raisons pour lesquelles il a introduit le recours le 14 mars 2005 alors que son recours pour déni d’appel était toujours pendant devant la Cour suprême. Par ailleurs, il n’indique pas si la loi organique relative au Tribunal constitutionnel autorise le demandeur à étendre ou modifier sa demande originale en vue de satisfaire aux conditions de recevabilité. Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que les griefs de l’auteur n’ont pas été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et que la présente communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.En conséquence, le Comité décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.