Nations Unies

CAT/C/MRT/CO/2

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

4 septembre 2018

Original: français

Comité contre la torture

Observations finales concernant le deuxième rapport périodique de la Mauritanie *

1.LeComitécontrelatortureaexaminéledeuxièmerapportpériodiquede la Mauritanie (CAT/C/MRT/2) àses1656eet1659e séances(voirCAT/C/SR.1656et 1659),les24 et 25 juillet 2018,eta adoptéles présentes observationsfinalesà sa1672e séance,le 6 août 2018.

A. I n t r o du c tion

2.Le Comité prend note de la présentation du deuxième rapport périodique de la Mauritanie et des réponses à la liste des points (CAT/C/MRT/Q/2/Add.1).

3.Le Comité se félicite d’avoir pu engager un dialogue constructif avec la délégation de l’État partie et accueille avec satisfaction les réponses apportées aux questions et aux préoccupations soulevées pendant l’examen du rapport.

B. Aspe c ts positi f s

4.Le Comité accueille avec satisfaction les mesures législatives mises en place par l’État partie pour donner effet à la Convention, notamment :

a)La loi no 2015-033 de 2015 relative à la lutte contre la torture, qui consacre la torture comme un crime autonome et imprescriptible et contient une définition de la torture conforme à la Convention ;

b)La loi no 2015-034 de 2015 instituant le mécanisme national de prévention de la torture ;

c)La loi no 2015-030 de 2015 relative à l’aide judiciaire et l’arrêté no 171-2017 de 2017 fixant la composition des bureaux d’aide judiciaire ;

d)La loi no 2015-031 de 2015 qui criminalise l’esclavage et en fait un crime contre l’humanité et le décret no 2016-077 de 2016, instituant une journée nationale de lutte contre les pratiques et séquelles de l’esclavage ;

e)La loi no 2017-016 de 2017 régissant la composition, l’organisation et le fonctionnement de la Commission nationale des droits de l’homme ;

f)La loi no 2018-024 de 2018 portant Code général de protection de l’enfant, qui interdit le châtiment corporel des enfants et les mutilations génitales féminines.

5.Le Comité salue également les autres efforts que déploie l’État partie pour donner effet à la Convention, notamment :

a)L’adoption en 2014 du plan d’action national sur les violences basées sur le genre (2014-2018) ;

b)L’adoption en 2014 d’une feuille de route pour l’éradication des séquelles et des formes contemporaines de l’esclavage ;

c)La construction de la prison de Bir Moghrein en 2016 et la prison de femmes en 2017.

6.Le Comité sait gré à l’État partie d’avoir renforcé la coopération avec les titulaires de mandat au titre des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme. Il note également avec satisfaction les visites effectuées dans l’État partie par le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté et le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée.

C. P r i n c i p a u x s u j e t s d e pr é o cc up a t ion e t recommandations

Questions en suspens concernant la procédure de suivi

7.Le Comité regrette que certaines des recommandations retenues aux fins du suivi dans les précédentes observations finales (CAT/C/MRT/CO/1) n’aient pas encore été mises en œuvre, à savoir : l’abolition du délai de garde à vue de quinze jours, renouvelable deux fois, en matière de terrorisme et d’atteinte à la sûreté de l’État, le renforcement des garanties juridiques auxquelles ont droit les détenus (par. 10c)), (l’amélioration des conditions de détention dans l’ensemble de ses établissements pénitentiaires (par. 22 a) et b)) et l’obligation de poursuivre et punir les auteurs d’actes de torture et de mauvais traitements (par. 18 a)) (voir par. 9, 15 et 19 ci-dessous).

Garanties juridiques fondamentales

8.Bien que la nouvelle loi relative à la lutte contre la torture (loi no 2015-033) consacre toutes les garanties fondamentales dès l’instant où intervient la privation de liberté, le Comité note avec préoccupation que ses dispositions sont peu ou pas appliquées, puisque les dispositions relatives au régime de la garde à vue du Code de procédure pénale, et des lois relatives au terrorisme, à la corruption et aux stupéfiants, sont appliquées prioritairement par le juge national. En conséquence, les personnes détenues pour des crimes prévus dans ces lois peuvent être placées en garde à vue pour des durées très longues, jusqu’à un total de quarante-cinq jours dans les cas de terrorisme, sans être présentées à un juge et sans avoir accès à un conseil. Le Comité est d’avis que ces régimes exposent les accusés à un risque élevé de torture ou de mauvais traitements. Le Comité demeure également préoccupé par le fait que : i) la durée de quarante-huit heures de la garde à vue pour les affaires de droit commun, renouvelable une fois sur autorisation, est souvent prolongée du fait que les jours non ouvrables ne comptent pas dans le délai maximal ; ii) la légalité de la garde à vue ne peut pas être mise en cause ; et iii) l’accès à un avocat dès l’instant où intervient la privation de liberté est garanti seulement si la personne le demande, autrement il lui sera nommé un avocat d’office dès sa comparution devant le juge, et seulement en matière criminelle. Le Comité constate avec préoccupation que le nombre très limité d’avocats et leur concentration dans la capitale empêchent en pratique le droit à l’assistance d’un conseil. En ce qui concerne l’accès des détenus à un examen médical, le Comité s’inquiète des informations dénonçant des cas de refus d’accès au médecin à l’admission dans des lieux de détention, ainsi que des cas où les gardiens étaient présents pendant les examens. Le Comité s’inquiète aussi d’informations reçues concernant la mauvaise tenue de registres, parfois même complétés a posteriori, bien qu’il note les projets en cours pour informatiser les registres au niveau de la police (art. 2).

9. L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires, y compris législatives, afin :

a) De réviser les dispositions du Code de procédure pénale et des lois relatives à la lutte contre le terrorisme, la corruption et les stupéfiants qui sont en conflit avec la loi n o 2015-033 relative à la torture et les normes internationales en matière de garanties fondamentales, et d’augmenter les activités de formation et de diffusion de la loi relative à la torture afin que les professionnels de la justice et les membres des forces de l’ordre connaissent et comprennent les dernières évolutions législatives, conformément aux recommandations du Rapporteur spécial sur la torture (voir A/HRC/34/54/Add.1, par. 117 c)) ;

b) De s’assurer que la durée maximale de la garde à vue n’excède pas quarante-huit heures, y compris les jours non ouvrables, quels que soient les chefs d’accusation retenus, la situation sociale du détenu ou sa nationalité, renouvelable une fois dans des circonstances exceptionnelles dûment justifiées par des éléments tangibles. Le détenu doit être présenté physiquement devant un juge à la fin de la garde à vue et doit pouvoir contester la légalité ou la nécessité de la détention à tout moment de la procédure ;

c) De garantir que tous les détenus, quels que soient les chefs d’accusation retenus, la situation sociale du détenu ou sa nationalité, bénéficient des garanties juridiques fondamentales prévues par la loi n o 2015-033 relative à la torture dès le début de leur privation de liberté, notamment le droit : i) d’être rapidement informés des motifs de leur arrestation, des accusations et de leurs droits dans une langue qu’ils comprennent ; ii) de bénéficier d’un accès confidentiel et sans délai à un avocat indépendant, en particulier pendant les interrogatoires de police et tout au long de la procédure , ou à l’aide juridictionnelle ; iii) de demander et d’obtenir sans condition un examen médical en toute confidentialité, effectué par du personnel médical qualifié sans délai dès leur arrivée dans un poste de police ou centre de détention, et d’avoir accès à un médecin indépendant ou de leur choix sur demande ; iv) d’informer un membre de leur famille ou toute autre personne de leur choix de leur détention ; et v) d’inscrire immédiatement leur arrestation dans un registre dans le lieu de détention, consignant l’information requise par l’article 4 de la loi relative à la torture et mis à la disposition de toute autorité compétente, ainsi que dans un registre central informatisé ;

d) De veiller à ce que le personnel médical signale tout signe de torture ou de mauvais traitement à une autorité d’enquête indépendante, en toute confiance et sans s’exposer à des représailles. L’État partie devrait rassembler des données statistiques sur le nombre de cas identifiés grâce à ce mécanisme ainsi que des renseignements détaillés sur les résultats des enquêtes concernant ces cas ;

e) De fournir les ressources nécessaires afin d’assurer l’accès de toutes les personnes démunies, indépendamment des peines encourues et de leur nationalité, à l’aide juridictionnelle dans toutes les régions et à tous les stades de la procédure pénale (voir A/HRC/34/54/Add.1, par. 119 c)) ;

f) De vérifier de manière systématique que les agents de l’État respectent, dans la pratique, les garanties juridiques et la stricte tenue de registres en sanctionnant tout manquement.

Lutte contre le terrorisme et détentions au secret et dans des lieux de détention officieux

10.Rappelant sa précédente recommandation (voir CAT/C/MRTCO/1, par. 10), le Comité demeure préoccupé par le fait que la loi no 2010-035 relative à la lutte contre le terrorisme n’a toujours pas été amendée afin de restreindre la portée trop vague de la définition des actes terroristes, tel que recommandé par l’audit fait par la direction du contreterrorisme des Nations Unies (voir CAT/C/MRT/2, par. 22). Il est également préoccupé par des informations fiables indiquant que des suspects d’actes de terrorisme sont souvent arrêtés et détenus au secret dans des lieux de détention officieux et soumis à la torture dans le but de leur extorquer des aveux. Nonobstant le fait que l’État partie nie l’existence de lieux de détention officieux, le Comité relève avec préoccupation que le Rapporteur spécial sur la torture s’est vu refuser l’accès à l’un de ces lieux pendant sa visite en Mauritanie. Tout en notant l’enquête menée au commissariat de police du 4e arrondissement de Nouakchott, le Comité regrette que l’État partie n’ait pas précisé si des enquêtes étaient ouvertes d’office, autre que celle mentionnée, sur des allégations d’utilisation présumée de centres de détention non officiels. Il regrette aussi que l’État partie continue à nier que la détention du sénateur Mohamed Ould Ghadde ait été arbitraire, malgré l’avis du Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire (art. 2, 11 et 12).

11. L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires, y compris législatives, afin :

a) De mettre fin à la pratique de la mise au secret et de veiller à ce que nul ne soit détenu dans un lieu secret ou non reconnu officiellement. L’État partie devrait faire en sorte que les procureurs examinent rapidement toutes les détentions effectuées en vertu de la loi relative à la lutte contre le terrorisme, en veillant à ce que les personnes retenues soient inculpées et jugées le plus tôt possible et que celles qui ne doivent pas être inculpées soient immédiatement libérées. Si la détention est justifiée, les détenus devraient être officiellement pris en compte et placés dans des lieux de détention officiels, avec accès aux garanties juridiques fondamentales reconnues dans la loi n o 2015-033 ;

b) D’enquêter d’office sur l’existence de lieux de détention non officiels et sur les allégations de détention au secret, d’identifier les responsables et de les traduire en justice, et d’accorder une réparation aux victimes, notamment au sénateur Mohamed Ould Ghadde (voir A/HRC/WGAD/2018/33, par. 63 et 64) ;

c) De garantir que tous les textes législatifs ayant trait à la lutte contre le terrorisme soient pleinement conformes à la Convention et aux normes internationales.

Recours à la torture et aux mauvais traitements pendant l’arrestation et la détention

12.Malgré l’affirmation contradictoire des réponses écrites de l’État partie indiquant que les informations faisant état d’actes de torture par la police et la gendarmerie n’étaient pas fondées, le Comité demeure préoccupé par des informations concordantes, émanant de sources fiables et du Rapporteur spécial sur la torture, selon lesquelles la torture demeure une pratique généralisé au sein de ces services, en particulier au cours de l’arrestation, pendant la garde à vue ou encore lors de transfèrements, quelle que soit la nature de l’infraction présumée, mais de manière systématique dans le cadre d’infractions terroristes. Il s’inquiète aussi d’informations selon lesquelles, malgré quelques améliorations, les enquêteurs n’ont pas les capacités nécessaires pour mener des enquêtes approfondies et ont souvent recours aux mauvais traitements dans le but d’extorquer des aveux. Le Comité relève aussi des informations indiquant que les victimes ont rarement un accès effectif aux procureurs et aux juges d’instruction du fait qu’ils n’effectuent pas des contrôles réguliers des lieux de garde à vue, tel que prévu par la loi (art. 2, 12, 13 et 16).

13. Le Comité engage l’État partie :

a) À p ublier une déclaration émanant du plus haut niveau d’autorité affirmant le caractère absolu de l’interdiction de la torture et faisant savoir que : i) quiconque commet de tels actes, ii) en donne l’ordre, iii) en est complice ou iv) les autorise tacitement, sera tenu personnellement responsable devant la loi ;

b) À installer et à garantir l’utilisation des dispositifs de vidéosurveillance dans tous les lieux de garde à vue , sauf dans les cas où cela risquerait de porter atteinte aux droits des détenus au respect de la vie privée ou à la confidentialité des échanges avec leur avocat ou un médecin. Ces enregistrements devraient être conservés en lieu sûr, contrôlés par des organes de surveillance et être mis à la disposition des enquêteurs, des détenus et de leurs avocats ;

c) À améliorer les méthodes d’enquête pénale pour mettre fin à la pratique consistant à considérer les aveux comme l’élément de preuve primordial dans le cadre des poursuites pénales ;

d) À augmenter les visites des lieux de privation de liberté par des procureurs et les magistrats instructeurs, afin que chaque détenu qui le demande puisse s’entretenir avec eux.

Impunité des actes de torture et des mauvais traitements et indépendance des enquêtes

14.Le Comité demeure préoccupé par des informations concordantes, émanant de sources fiables, dénonçant l’absence de suite donnée aux allégations de torture, même lorsque les faits de torture sont documentés et/ou dénoncés publiquement. L’État partie a d’ailleurs reconnu l’absence de suite aux allégations de torture invoquées par Abdellahi Matalla Saleck et Moussa Bilal Biram devant une cour criminelle, qui a simplement rendu un jugement déclarant son incompétence. Rappelant sa recommandation précédente (CAT/C/MRT/CO/1, par. 15), le Comité trouve toujours inquiétant que le Président de la République préside le Conseil supérieur de la magistrature, avec pour conséquence possible une ingérence dans les affaires judiciaires, en particulier dans celles concernant des violations des dispositions de la Convention par des agents de l’État. Compte tenu de ces informations, le Comité trouve préoccupant que l’État partie ne l’ait informé que de trois plaintes pour actes de torture, sans toutefois apporter plus d’information sur la teneur de ces enquêtes, et d’une seule condamnation, datant de 2012, de huit éléments de la Garde nationale. Il regrette que l’État partie n’ait pas fourni de données statistiques sur le nombre d’enquêtes que les procureurs ont ouvertes d’office ou sur le fondement d’informations fournies par des médecins (art. 2, 12, 13 et 16).

15. Réitérant ses précédentes recommandations (voir CAT/C/MRT/CO/1, par. 18 et 26), le Comité prie l’État partie de préciser le nombre d’enquêtes concernant des allégations de torture que les procureurs ont ouvertes d’office ou sur le fondement d’informations communiquées par des médecins. L’État partie devrait également prendre les mesures nécessaires pour :

a) Veiller à ce que toutes les allégations de torture et de mauvais traitements donnent rapidement lieu à une enquête impartiale menée par une instance indépendante, à ce qu’il n’y ait pas de lien institutionnel ou hiérarchique entre les enquêteurs et les auteurs présumés des faits, à ce que les suspects soient dûment traduits en justice et, s’ils sont reconnus coupables, et à ce qu’ils soient condamnés à des peines à la mesure de la gravité de leurs actes ;

b) Veiller à ce que les autorités ouvrent une enquête chaque fois qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis ou que des mauvais traitements ont été infligés ;

c) Veiller à ce que les auteurs présumés d’actes de torture et de mauvais traitements soient immédiatement suspendus pendant la durée de l’enquête, en particulier s’il existe un risque qu’ils soient en mesure de commettre de nouveau les actes dont ils sont soupçonnés, d’exercer des représailles contre la victime présumée ou de faire obstruction à l’enquête ;

d) Mettre en place un mécanisme indépendant, efficace, confidentiel et accessible pour faciliter le dépôt de plaintes dans tous les lieux de garde à vue et dans les prisons, et faire en sorte que, dans la pratique, les plaignants et les victimes soient protégés contre tout acte de représailles (voir A/HRC/34/54/Add.1, par. 118 j)) ;

e) Garantir la pleine indépendance de la justice, en assurant que son fonctionnement soit dépourvu de pressions et d’ingérence du pouvoir exécutif, tel que mentionné dans les précédentes observations finales (voir CAT/C/MRT/CO/1, par. 15) .

Irrecevabilité des aveux obtenus sous la torture

16.Au vu des allégations d’aveux forcés mentionnées par différentes sources, le Comité trouve inquiétant que l’État partie n’ait évoqué que deux cas (dossier no 101/2016 et RP 512/2006) dans lesquels des éléments de preuve ont été rejetés au motif qu’ils avaient été obtenus par la torture. Le Comité demeure préoccupé par des informations dénonçant la réticence des procureurs et des juges à enquêter sur les allégations de torture et de mauvais traitements. Le Comité s’inquiète également du manque d’expertise médico-légale pour prouver ces allégations, étant donné qu’il n’existe qu’un médecin légiste dans le pays (art. 15).

17. L’État partie doit adopter des mesures efficaces pour faire respecter dans la pratique l’irrecevabilité des éléments de preuve obtenus par la torture, conformément à la législation. Le Comité invite donc l’État partie à veiller à ce que :

a) E n cas d’allégations d’aveux extorqués sous la torture ou sous de mauvais traitements à tous les stades de la procédure judiciaire, il soit procédé sans délai à une enquête approfondie sur ces allégations et à un examen médico-légal de la victime présumée ;

b) Des capacités et des infrastructures médico ‑légales soient développées ;

c) Les agents de l’ É tat qui extorquent des aveux soient traduits en justice ;

d) Les magistrats soient formés aux moyens de vérifier la recevabilité des aveux et à l’obligation d’ouvrir des enquêtes lorsque des allégations de torture sont portées à leur connaissance , et à ce que des sanctions soient imposées à ceux qui ne prennent pas les mesures voulues au cours d’une procédure judiciaire.

Conditions de détention

18.Rappelant sa précédente recommandation (voir CAT/C/MRT/CO/1, par. 22), le Comité relève avec préoccupation que 7 des 18 centres de détention du pays demeurent surpeuplés. Il est aussi préoccupé par le nombre élevé de personnes en détention provisoire (38 %), malgré des progrès accomplis pour favoriser les mesures alternatives, et par le faible taux d’application des mesures d’aménagement des peines (8,7 %), aggravant le problème de la surpopulation. Bien que les autorités transfèrent des condamnés dans les prisons d’Aleg, de Nouadhibou et de Bir Moghrein, offrant plus de place, le Comité note avec préoccupation que ces prisons demeurent inaccessibles aux familles de détenus en raison de la distance et des difficultés de transport. Il note aussi les projets de construction et de réhabilitation des établissements pénitentiaires, mais il demeure préoccupé par le fait que, selon le mécanisme national de prévention de la torture, 11 centres sont des maisons d’habitation transformées en prisons et souffrent de nombreuses défaillances au niveau de l’assainissement, de la sécurité, de la salubrité et de l’hygiène. Selon l’État partie, l’inadaptation des infrastructures compromet aussila capacité de séparer condamnés et prévenus, prisonniers d’opinion et prisonniers de droit commun, ainsi qu’enfants et adultes, surtout dans la prison des femmes. Bien que des améliorations aient eu lieu ces dernières années, le Comité demeure préoccupé par des informations faisant état de conditions de logement et sanitaires insalubres, d’une alimentation de mauvaise qualité, de limitations dans l’accès à l’eau et aux visites familiales, y compris à des fins de punition collective, et d’un accès insuffisant aux espaces à l’air libre, à la scolarisation, aux formations professionnelles et au travail. Le Comité s’inquiète également de l’accès limité aux soins de santé, particulièrement pour des prisonniers gravement malades, comme dans le cas d’Ahmed Ould ElHadrami, du manque d’isolement de certains malades contagieux, et du manque de prise en charge dentaire et psychiatrique(art. 2, 11 et 16).

19. Le Comité engage l’État partie à intensifier ses efforts en vue de mettre les conditions de détention en conformité avec l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela), notamment :

a) À atténuer la surpopulation carcérale, en recourant davantage aux mesures d’aménagement de peines, comme la libération conditionnelle, et en instaurant des peines de substitution non privatives de liberté, tel que recommandé par le Rapporteur spécial sur la torture (voir A/HRC/34/54/Add.1, par. 118 b)) ;

b) À adopter les mesures nécessaires, notamment en matière de formation des juges, et à surveiller leur impact, afin de promouvoir davantage le recours aux mesures de substitution à la détention provisoire, pour qu’elle ne soit imposée qu’à titre exceptionnel et pour des périodes limitées , en fonction du critère de nécessité et au regard des circonstances individuelles ;

c) À garantir que les détenus soient placés dans les établissements les plus proches de leur domicile, si les capacités d’accueil le permettent ;

d) À continuer de mettre en œuvre des plans visant à développer l’infrastructure des prisons, en veillant à ce que les conditions d’hygiène et de salubrité, la prise en charge alimentaire et l’accès à l’eau potable soient adéquats, et que les établissements aient des installations pour que les détenus puissent faire de l’exercice (voir A/HRC/34/54/Add.1, par. 118 i)) ;

e) À interdire les punitions collectives, notamment les restrictions concernant l’accès à l’eau potable et les contacts avec la famille ;

f) À garantir la séparation stricte entre prévenus et condamnés, et entre mineurs et adultes, ainsi que leur prise en charge adéquate ;

g) À veiller à ce que le nombre de personnel de santé qualifié dans les services de santé pénitentiaires soit suffisant, en coopération avec les services de santé publique, et à assurer notamment une prise en charge adéquate aux prisonniers gravement malades et contagieux, ainsi que l’accès à des spécialistes en psychiatrie et en médecine dentaire , ainsi qu’à du matériel et à des médicaments appropriés ;

h ) À faciliter davantage l’accès des détenus à la scolarisation, à la formation professionnelle et au travail , afin de soutenir leur réadaptation dans la communauté.

Décès et allégations de mauvais traitements en prison

20.Même si les décès et la violence entre détenus ont diminué pendant la période considérée, le Comité demeure préoccupé par des allégations faisant état de décès survenus dans des circonstances suspectes, comme dans le cas de Mohamed Ould Brahim Maatalla, décédé d’un arrêt cardiaque après avoir été arrêté par la police. Il s’inquiète également des allégations faisant état de l’absence d’autopsies dans les cas de décès en détention, faute de médecins légistes, de mauvais traitements administrés en prison, comme le menottage et la pratique d’enchaînements serrés lors des transferts, ainsi que du recours de manière régulière aux fouilles des cavités corporelles (art. 2, 11, 12, 13 et 16).

21. L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour :

a) Veiller à ce que tous les actes allégués de violence, décès et mauvais traitements fassent rapidement l’objet d’enquêtes approfondies et impartiales, y compris d’un examen médico-légal indépendant conforme au Protocole type pour les enquêtes judiciaires concernant les exécutions extrajudiciaires , arbitraires et sommaires (Protocole du Minnesota) dans les cas de décès, à ce que les personnes responsables soient traduites en justice et, si elles sont déclarées coupables, à ce qu’elles soient dûment sanctionnées et à ce que les victimes ou leurs ayants droit obtiennent une réparation adéquate ;

b) Assurer, dans les cas où le menottage est jugé indispensable et aucune autre forme de contrôle ne peut être utilisée, que celui-ci ne soit pas très serré et ne soit pas utilisé plus de temps que nécessaire ;

c) Veiller à remplacer les fouilles corporelles par des détecteurs de métaux et, dans les cas où les procédures de fouille corporelle seraient strictement nécessaires, les soumettre à une surveillance stricte et garantir qu’elles ne soient effectuées que par du personnel compétent du même sexe et qu’elles ne soient pas dégradantes pour les détenus, comme le prévoient les règles 50 à 53 et 60 des Règles Nelson Mandela.

Régime disciplinaire

22.Le Comité est préoccupé par des informations fournies par l’État partie indiquant que l’isolement cellulaire est décidé par le chef de l’établissement, à hauteur de quinze jours consécutifs et à raison de vingt-trois heures par jour, mais si la conduite disciplinaire nécessite une sanction plus sévère, elle pourrait aller jusqu’à soixante jours. Il s’inquiète aussi d’informations indiquant que la Garde nationale, qui est un corps paramilitaire chargé de la sécurité en prison, imposerait des mesures disciplinaires à son entière discrétion. Le Comité exprime aussi sa préoccupation concernant le système d’autogestion de « chefs de cour », sur instruction des agents de la Garde nationale, selon lequel certain détenus contrôlent l’accès aux services et les conditions de vie des autres détenus, bien qu’il note le projet de constitution d’un corps spécialisé de gardes dans l’administration pénitentiaire (art. 11 et 16).

23. L’État partie devrait prendre les mesures législatives et administratives qui s’imposent pour garantir que les pratiques relatives au régime disciplinaire soient conformes aux normes internationales, en particulier aux règles 36 à 46 des Règles Nelson Mandela, et notamment :

a) Veiller à ce que l’isolement cellulaire constitue une mesure de dernier recours, appliquée pour une durée aussi brève que possible et jamais pour des périodes de plus de quinze jours consécutifs, et soumise à des conditions strictes de surveillance et de contrôle juridictionnel ;

b) Garantir que les droits à une procédure régulière soient toujours respectés dans les procédures disciplinaires engagées contre des détenus et établir un organe indépendant compétent pour réviser les décisions rendues en matière disciplinaire, tel que mentionné dans les précédentes observations finales (voir CAT/C/MRT/CO/1, par. 15 d)) ;

c) Créer au plus vite un corps pénitentiaire spécialisé avec un statut civil et surveiller entre-temps les situations d’autogestion dans les prisons, afin de prévenir les abus et la corruption et d’assurer que tous les détenus soient traités sur un pied d’égalité ;

d) Veiller à ce que tout officiel qui ne respecte pas ces règles soit soumis aux sanctions pénales et/ou disciplinaires appropriées .

Amnistie sur les faits survenus pendant la période appelée « passif humanitaire »

24.Le Comité prend note de la déclaration de l’État partie selon laquelle un protocole d’accord a été signé prévoyant l’indemnisation des veuves de militaires tués pendant la période appelée « passif humanitaire », et note que l’État partie a reconnu sa responsabilité lors d’une commémoration. Il juge toutefois préoccupant que l’État partie n’envisage pas d’amender la loi d’amnistie no 92-93afin d’enquêter sur les allégations d’actes de torture et de mauvais traitements qui auraient eu lieu durant cette période et de permettre l’accès à des recours aux victimes et à leurs ayants droit, en dépit des recommandations formulées par le Comité lors du précédent examen (voir CAT/C/MRT/CO/1, par. 19). Il demeure aussi préoccupé par des informations dénonçant des représailles contre les victimes, leurs ayants droit et des défenseurs des droits de l’homme quand ils tentent de commémorer les violations commises durant cette période (art. 2, 12, 13, 14 et 16).

25. Le Comité rappelle sa recommandation précédente (voir CAT/C/MRT/CO/1, par. 19) et engage l’État partie :

a) À amender la loi d’amnistie n o 92-93 et à supprimer toute amnistie pour des actes de torture ou mauvais traitements commis pendant la période appelée « passif humanitaire », ainsi que pour d’autres infractions, afin de pouvoir mener des enquêtes et des poursuites et permettre l’accès à des actions judicaires civiles en réparation à toutes les victimes et à leurs ayants droit, ainsi qu’une réadaptation la plus complète possible ;

b) À assurer la protection des victimes, de leurs familles et des autres personnes agissant en leur nom contre d’éventuelles représailles parce qu’elles ont fait valoir leur droit légitime d’obtenir réparation.

Actes d’intimidation, détentions arbitraires et obstacles à la coopération avec le Comité à l’égard de défenseurs des droits de l’homme

26.Même si l’État affirme que les défenseurs des droits de l’homme « ne font l’objet d’aucune intimidation, harcèlement, ou détention arbitraire » (voir CAT/C/MRT/Q/2/Add.1, par. 55), le Comité demeure préoccupé par des informations concordantes faisant état d’actes d’intimidation et de menaces contre des défenseurs des droit de l’homme et des blogueurs, qui ne font pas l’objet d’enquêtes, comme dans le cas de Mekfoula Brahim. Le Comité est également préoccupé par des informations fiables, y compris de la part du Groupe de travail sur la détention arbitraire, selon lesquelles de nombreux défenseurs des droits de l’homme, principalement des défenseurs antiesclavagistes, ont été arrêtés arbitrairement, et même parfois soumis à la torture, pour être ultérieurement poursuivis sur la base de chefs d’inculpation à la formulation vague, comme dans les cas des 13 membres de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste. Le Comité trouve inquiétant que certains d’entre eux, alors qu’ils ont purgé leur peine, sont toujours en détention administrative sine die pour des raisons de sécurité et sans pouvoir informer leurs proches du lieu de leur détention, comme dans le cas de Mohamed Mkhaïtir. Il prend note également avec préoccupation d’informations indiquant que les autorités auraient retenu à l’aéroport, sous prétexte de vérifier leurs visas, cinq défenseurs des droits de l’homme qui prévoyaient de coopérer avec le Comité à l’occasion de l’examen du deuxième rapport périodique de l’État partie (art. 2, 12, 13 et 16).

27. L’État partie devrait :

a) S’abstenir d’arrêter et de poursuivre pour des infractions définies en des termes très vagues des défenseurs des droits de l’homme se livrant à des activités légitimes ;

b) Libérer sans condition tous les défenseurs des droits de l’homme qui sont en détention de façon arbitraire, y compris Mohamed Mkhaïtir , tel que recommandé par le Groupe de travail sur la détention arbitraire (A/HRC/WGAD/2017/90, A/HRC/WGAD/2017/35, A/HRC/WGAD/2016/36), et offrir des réparations adéquates aux victimes ;

c) Veiller à ce que toutes les violations commises à l’encontre de défenseurs des droits de l’homme, telle Mekfoula Brahim, fassent l’objet d’enquêtes approfondies et impartiales dans les plus brefs délais, à ce que les responsables soient jugés et condamnés à des peines à la mesure de la gravité de leurs actes, et à ce que les victimes obtiennent réparation ;

d) Protéger les membres de la société civile qui ont coopéré avec le Comité dans le cadre de l’examen du deuxième rapport périodique contre des possibles actes de représailles.

Commission nationale des droits de l’homme

28.Le Comité relève avec préoccupation que, malgré les amendements apportés en juillet 2017 à la loi habilitante de la Commission nationale des droits de l’homme (loi no 2017-016), le Sous-comité d’accréditation de l’Alliance globale des institutions nationales des droits de l’homme a recommandé en novembre 2017 de rétrograder la Commission au statut B en raison notamment du manque de transparence de son processus de sélection et de son manque d’indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif (art. 2).

29. L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires, y compris législatives, afin :

a) D’établir un processus clair, transparent et participatif de sélection des membres de la Commission, en fonction du mérite plutôt que de l’organisation qu’ils représentent, et assurant le pluralisme ;

b) D’encourager la Commission à se prononcer de manière à assurer le respect de tous les droits de l’homme, en toutes circonstances et ce, sans aucune exception.

Mécanisme national de prévention de la torture

30.Tout en prenant note de la promulgation de la loi no 034/2015 instituant le mécanisme national de prévention de la torture, le Comité partage les inquiétudes du Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, mentionnées dans son rapport rendu public sur sa visite en Mauritanie (CAT/OP/MRT/2, par. 29 à 32, et 36), concernant i) le manque d’indépendance du Comité de sélection des membres, qui est placé sous la direction du Président de la République, et le fait que le Secrétaire général du mécanisme national de prévention de la torture est nommé par décret pris en Conseil des Ministres ; ii) le fait que les membres du mécanisme national de prévention de la torture n’obtiennent qu’une indemnité pécuniaire ; et iii) le manque d’autonomie budgétaire et de ressources financières suffisantes (art. 2 et 11).

31. L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires, y compris législatives, afin de garantir que (CAT/OP/MRT/2, par.  34, 39 et 43) :

a) Les membres soient désignés à l’issue d’un processus transparent, inclusif et participatif , et que le mécanisme national de prévention de la torture puisse recruter son propre personnel, y compris son Secrétaire général ;

b) Les membres du mécanisme national de prévention de la torture puissent recevoir un salaire adéquat ;

c) Le mécanisme national de prévention de la torture ait une véritable autonomie budgétaire et les ressources nécessaires pour s’acquitter efficacement de son mandat, y compris pour lui permett r e d’avoir un programme de visites régulières et inopinées dans tous les lieux de détention .

Usage excessif de la force par des agents de l’État

32.Tout en notant l’affirmation de l’État partie selon laquelle l’ensemble des manifestations pendant la période examinée se sont produites sans aucun incident, le Comité demeure préoccupé par des informations concordantes sur l’usage d’une force excessive par les forces de l’ordre pour disperser les manifestants, ayant provoqué, par exemple, la mort par balle de Lamine Mangane et de Ramdhane Ould Mohamed. Il s’inquiète aussi des informations concernant l’usage excessif de la force dans les opérations de contrôle des étrangers, notamment contre les pêcheurs étrangers sur les navires mauritaniens. Même si, selon l’État partie, aucune plainte n’aurait été enregistrée, le Comité regrette que l’État partie n’ait pas répondu aux demandes de renseignements sur la question de savoir si des enquêtes d’office ont été ou seront menées sur des allégations d’usage excessif de la force, de mauvais traitements et de torture par les membres des forces de l’ordre dans les manifestations de janvier 2015, du 29 février 2016, de juin 2016, d’avril 2017 et du 28 novembre 2017, ainsi que pendant les opérations de contrôle des étrangers(art. 2, 12, 13 et 16).

33. L’État partie devrait :

a) Veiller à ce que des enquêtes impartiales et approfondies soient menées sans délai sur toute allégation d’un usage excessif de la force, de torture et de mauvais traitements, ainsi que d’exécutions extrajudiciaires , par des agents de l’État lors des manifestations et d’ opérations de contrôle des étrangers , et faire en sorte que les responsables soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, qu’ils soient sanctionnés et que les victimes obtiennent réparation ;

b) Rendre les dispositions législatives et réglementaires régissant le recours à la force conformes aux normes internationales et veiller à ce que les forces de sécurité appliquent des mesures non violentes avant d’employer la force lors du contrôle de manifestations et de l’immigration et respectent les principes de légalité, de nécessité, de proportionnalité et d’obligation de rendre des comptes ;

c) Redoubler d’efforts pour dispenser à tous les membres des forces de l’ordre une formation systématique sur l’usage de la force, en particulier à ceux qui participent au contrôle des manifestations et de l’immigration, compte dûment tenu des Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois .

Peine de mort et peines corporelles

34.Le Comité relève avec préoccupation que le Code pénal contient toujours des dispositions autorisant les peines corporelles pour sanctionner les infractions passibles de peineshoudoud (la mort par lapidation publique, la flagellation et l’amputation), dont certaines sont imprescriptibles, et les peines de Ghissass et la Diya ou prix du sang, qui consacre la loi du talion dans les cas de crimes de violences portant atteinte à l’intégrité physique, et laisse la sanction ou le pardon à l’appréciation de la victime ou de sa famille, moyennant une compensation. Le Comité s’inquiète aussi des dispositions de l’article 303 du Code pénal, disposant qu’« [i]l n’y a ni crime ni délit lorsque l’homicide, les blessures et les coups étaient ordonnées par la loi et commandées par l’autorité légitime ». Le Comité s’inquiète de la récente modification de l’article 306 du Code pénal pour instituer la peine de mort obligatoire pour des actes qualifiés d’apostasie et sans possibilité de repentir ou d’appel. Bien qu’il existe un moratoire de facto sur l’application de la peine de mort et des peines corporelles, le Comité demeure préoccupé par leur persistance dans la législation et leur possible application future. Il s’inquiète également d’informations indiquant que plusieurs personnes condamnées à des peines privatives de liberté assorties d’un châtiment corporel demeurent détenues alors qu’elles ont purgé leurs peines d’emprisonnement, faute du pardon de la victime, parce que leurs peines corporelles n’ont pas été exécutées (art. 2 et 16).

35.Le Comité rappelle sa recommandation précédente (voir CAT/C/MRT/CO/1, par. 20) et engage l’État partie : i) à amender le Code pénal a fin de le mettre en conformité avec les obligations qui lui incombent en vertu de la Convention et d’autres normes internationales, notamment en abrogeant les peines criminelles houdoud, la peine de Ghissass et la Diya; ii) à annuler ou à commuer les peines corporelles déjà prononcées ; iii) à libérer les personnes dont les peines corporelles ne sont pas exécutées ; et iv) à veiller à ce que les victimes ou leurs ayants droit obtiennent une réparation adéquate . Le Comité recommande également à l’État partie d’abolir la peine de mort et de la commuer en peines d’emprisonnement.

Réparation

36.Même si la loi no 2015-033 relative à la lutte contre la torture garantit aux victimes un droit à la réparation, le Comité demeure préoccupé par l’absence d’informations sur les mesures de réparation ordonnées en faveur des victimes de torture, ainsi que sur les programmes de réadaptation (art. 14).

37. Le Comité appelle l’attention de l’État partie sur l’observation générale n o  3 (2012) relative à l’application de l’article 14 par les États parties et invite en particulier l’État partie :

a) À prendre les mesures législatives et administratives voulues pour garantir que les victimes d’actes de torture et de mauvais traitements aient accès à des recours utiles et puissent obtenir réparation, y compris dans les cas où l’auteur n’aurait pas été identifié ;

b) À évaluer pleinement les besoins des victimes d’actes de torture et à faire en sorte que des services spécialisés de réadaptation soient rapidement disponibles, en assurant directement les prestations dans ce domaine ou en finançant d’autres services pour le faire, y compris des services gérés par des organisations non gouvernementales.

Non-refoulement

38.Toute en notant que le projet de loi sur l’asile sera examiné par le Gouvernement en vue de sa soumission à la prochaine session parlementaire, le Comité note avec préoccupation que le projet attend son approbation depuis décembre 2016. Il regrette de n’avoir pas reçu d’informations concernant la reconnaissance, dans le projet de loi ainsi que dans la législation régissant l’extradition et l’expulsion des migrants sans papiers, du principe de non-refoulement sur la base du risque d’être soumis à la torture. Alors que l’État partie affirme que la procédure de reconduite à la frontière respecte toutes les garanties procédurales, le Comité demeure préoccupé par des informations selon lesquelles il serait procédé à des expulsions collectives de migrants sans papiers et de réfugiés, ce qui porte à croire que le principe de non-refoulement ne serait pas respecté, comme l’avait indiqué le Rapporteur spécial sur la torture (voir A/HRC/34/54/Add.1, par. 37) (art.3 et 11).

39. L’État partie devrait :

a) Accélérer la procédure législative pour adopter le projet de loi relatif au droit d’asile en Mauritanie et s’assurer que ce projet, ainsi que les lois régissant l’extradition et l’expulsion de migrants sans papiers , donne pleinement effet au principe de non-refoulement énoncé à l’article 3 de la Convention ;

b) R edoubler d’efforts pour dispenser systématiquement à tous les policiers et aux agents frontaliers une formation concernant les procédures d’asile et le respect du principe de non-refoulement, afin d’éviter des expulsions forcées des migrants ou refugiés.

Formation

40.Bien que plusieurs séminaires de vulgarisation aient été organisés, le Comité note avec préoccupation l’absence de formation adéquate et continue sur la Convention et les dispositions de la loi relative à la torture. Le Comité s’inquiète aussi d’informations dénonçant l’absence de médecins ayant suivi une formation sur le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul) (art. 10).

41. L’État partie devrait :

a) Poursuivre ses efforts de sensibilisation et de formation régulière et systématique sur le contenu de la Convention et de la loi n o 2015-033 relative à la lutte contre la torture ainsi qu e sur les méthodes d’interrogatoire non coercitives pour toutes les personnes qui interviennent dans la détention, l’interrogatoire ou le traitement des personnes privées de liberté, en particulier pour la police, la gendarmerie et la G arde nationale ;

b) Veiller à ce que tout le personnel concerné, notamment les membres du corps médical, soient spécifiquement formés à identifier les cas de torture et de mauvais traitements et à en recueillir les preuves, conformément au x dispositions du Protocole d’Istanbul ;

c) Élaborer et appliquer une méthode permettant d’évaluer l’efficacité des programmes d’enseignement et de formation relatifs à la Convention et au Protocole d’Istanbul.

Procéduredesuivi

42. Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir, au plus tard le 10 août 2019 des renseignements sur la suite qu’il aura donnée à ses recommandations concernant l’obligation de poursuivre et de punir les auteurs d’actes de torture et de mauvais traitements ; la libération des défenseurs des droits de l’homme qui sont en détention de façon arbitraire ; et le mécanisme national de prévention de la torture (voir par. 15, 27 b) et 31) . Dans ce contexte, l’État partie est invité à informer le Comité des mesures qu’il prévoit de prendre pour mettre en œuvre, d’ici la soumission de son prochain rapport, tout ou partie des autres recommandations formulées dans les présentes observations finales.

Autres questions

43. Le Comité invite l’État partie à envisager de ratifier les autres instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie.

44. L’État partie est invité à diffuser largement les rapports soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues, au moyen des sites Web officiels et par l’intermédiaire des médias et des organisations non gouvernementales.

45. L’État partie est invité à mettre à jour son document de base commun (HRI/CORE/1/Add.112), conformément aux instructions relatives au document de base qui figurent dans les directives harmonisées concernant l’établissement des rapports destinés aux organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme (voir HRI/GEN/2/Rev.6, chap. I).

46. Le Comité invite l’État partie à soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le troisième, le 10 août 2022 au plus tard. À cette fin, le Comité invite l’État partie à accepter, d’ici le 10 août 2019, la procédure simplifiée, consistant en la transmission par le Comité d’une liste de points à traiter avant la soumission du rapport. Les réponses de l’État partie à cette liste constitueront le troisième rapport périodique qu’il soumettra en application de l’article 19 de la Convention.