Nations Unies

CAT/C/63/D/673/2015

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégrada nts

Distr. générale

31 juillet 2018

Original : français

Comité contre la t orture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 673/2015 * , **

Communication p résentée par :D.R. (représenté par un conseil)

Au nom de :Le requérant

État partie :Suisse

Date de la requête :15 avril 2015 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision:27 avril 2018

Objet :Expulsion vers la République islamique d’Iran

Question ( s ) de procédure :Néant

Question ( s ) de fond :Risque de torture en cas de renvoi dans le pays d’origine

Article ( s ) de la Convention :3

1.1Le requérant est D.R., citoyen iranien né le 29 août 1980. Il a déposé une demande d’asile en Suisse, mais sa requête a été rejetée. Il fait l’objet d’une décision de renvoi vers la République islamique d’Iran et soutient que son rapatriement forcé constituerait une violation, par la Suisse, de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté parMeMarcel Zirngast.

1.2Le 20 avril 2015, le Comité contre la torture, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a prié l’État partie de ne pas expulser le requérant vers l’Iran pendant que sa requête étaiten cours d’examen par le Comité.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est un ressortissant iraniend’ethnie kurde et partisan du Parti démocratique du Kurdistan (PDK). À une date nonprécisée, il allègue s’être porté volontaire pour participer à une opération de libération de dix étudiants kurdes emprisonnés. Toutefois, l’action a été découverte par les autorités et le requérant a été arrêtéau mois dedécembre 2005, puis il a été emprisonné et torturé dans diverses prisonspar les services iraniens de sécurité. Il a été relâché à la suite du paiement d’une caution et desdéclarations de garantie par sa famille aux mois defévrier et mars 2006.Au mois demars 2006, il a quitté l’Iran pourse rendre en Turquie.

2.2Le 7 septembre 2008, le requérant est arrivé en Suisse et y a déposé une demande d’asile le jourmême. Le 22 mars 2012, après l’avoir entendu personnellement à deux reprises, l’ancien Office fédéral des migrationsde la Suisse (aujourd’hui Secrétariat d’État aux migrations) a rejeté sa demande faute de crédibilité des motifs allégués et a prononcé l’exécution de son renvoi de Suisse. L’Office fédéral des migrations a relevé de nombreuses contradictions dans le récit du requérant, que celui-ci n’a pas su expliquer. Le 19 avril 2012, le requérant a contesté cette décision auprès du Tribunal administratif fédéral.

2.3Le 28 janvier 2014, le Tribunaladministratif fédéral a rejeté lerecours du requérant, en considérant que ce dernier n’avait pas le profil d’un opposant au régime que les autorités iraniennes pourraientconsidérer comme une personne dangereuse.

2.4Les 15 avril et 1er mai 2014, lerequérant a saisi l’Office fédéral des migrations de deux demandes de réexamen fondéessur son état mental en raison du stress post-traumatique dont il souffrait à la suite despersécutions en Iran. Le 16 juillet 2014, l’Office fédéral des migrations a rejeté ses demandes puisque les problèmes psychiques du requérant ne se seraient manifestés qu’après l’arrêt du Tribunal administratif fédéral du 28janvier 2014. Le 3septembre 2014, le Tribunal administratif fédéral a confirmé cette décision.

2.5Le 29 décembre 2014, le requérant a demandé un nouveau réexamen, en invoquant un arrêt d’un tribunal iranienqui l’avait condamné en son absence à quatre ans d’emprisonnement et en indiquant que son nom figurait sur une liste noire qui aurait été distribuée aux banques et aux aéroports du pays afin qu’il soit arrêté dès son arrivée en Iran. Le 14 janvier 2015, le Tribunal administratif fédéral n’est pas entré en matière, estimant qu’au vu du dossier les délits pour lesquels le requérant prétendait avoir été condamné constituaient des infractions de droit commun.

2.6À la suite dela décision du Tribunal administratif fédéral du 28 janvier 2014, un délai de départ du requérant a été fixé au4 mars 2014. Cependant, l’exécution du renvoi a été suspendue en raison des demandes de réexamen mentionnées ci-dessus. Le 21 janvier 2015, le Département fédéral de justice et police du canton de Lucerne a infligé au requérant une amende de 1 200 francs suisses en raison de son séjour illégal en Suisse. Faute de moyens pour payer cette somme, le requérant a été envoyé en prison pour une période de trente-trois jours.

2.7Le requérant affirme qu’après sa fuite d’Iran il a poursuivi ses activités politiques. Iltientun blog sur Internet,par lequel il critique leGouvernement iranien. Il a écrit de nombreux articles politiqueslargementrelayés sur le Web, tous très critiques envers le régime iranien. De plus, il est présentateur et responsable d’une émission surRadio LoRa àZurich, nommée « Voix de la résistance ».

2.8Le requérant souffre d’un trouble de stress post-traumatique qui s’est nettement aggravé après la décision négative définitive en matière d’asile le concernantdu 28 janvier 2014. Son état ne lui permet plus de s’engager politiquement. Cependant, de nombreux articles critiques du Gouvernement iranien qu’il a rédigés sont toujours disponibles et commentés sur le Web, ainsi que de nombreuses émissions radio de la « Voix de la résistance ».

Teneur de la plainte

3.1Le requérant soutient qu’il est victime d’une violation de l’article 3 de la Convention par les autorités suisses qui ont ordonné son renvoi vers un pays où il sera certainement exposé à la torture et à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ilsouligne que le fait d’être sur une liste noireimplique qu’il sera détenu dès son entrée sur le territoire iranien. Étant donnéson engagement et ses activités politiques en Suisse, les risques qui pèsent sur sa vie et sur son intégrité physique sont significatifs.

3.2Le requérant allègue que les autorités suisses, notamment le Tribunal administratif fédéral, n’ont pas pris en compte l’ensemble des preuves présentées au cours de la procédure d’asile, qui démontraient que sa vie et son intégrité personnelle seraient menacées s’il était renvoyé en Iran. Il affirme avoir bien démontré qu’il a été persécuté par les autorités iraniennes, notammenten raison de sa condition de militant, depuis l’année 2000, du PDK,un parti interdit en Iran.

3.3Ainsi, le requérant considère que le Tribunaladministratif fédéral a statué de manière sommaire que les nombreux documents produits ne permettaient pas d’affirmer qu’il avait le profil d’un opposant politique notoire, en raisonduquel il serait exposé à des suspicions ou à des risques de persécution par les autorités iraniennes. Il allègue aussi que le Tribunal administratif fédéral s’est contenté d’indiquer d’une manière générale que le requérant n’avait pas à craindre de représailles en raison de son engagement politique contre le Gouvernement iranien.

3.4Le requérant estimequ’il est évident qu’il attire maintenant l’attention des autorités iraniennes en raison de ses activités politiques, même si ce n’était pas le cas auparavant. Àcet égard, il cite cinq affaires dans lesquelles le Comité avait constaté que la Suisse enfreindrait l’article 3 de la Convention si elle procédait à des renvois vers l’Iran. Le requérant fait valoir que, dans ces cinq affaires, l’État partie a également mis en doute la crédibilité des déclarations des intéressés, a révélé des contradictions et des incohérences, et a estimé que toute menace en cas d’expulsion était infondée. Le requérant affirme par ailleurs que, dans ces cinq affaires, ainsi que dans son cas, l’État partie a estimé que l’activité politique des intéressés dans le cadre de leur exil était insuffisamment profilée et qu’elle n’était mise en œuvre que pour obtenir un permis de séjour. Par conséquent, le requérant est d’avis que le risque personnel qu’il encourt d’être torturé en cas de retour en Iran doit être considéré comme réel.

Observations de l’État partie sur le fond

4.1Le 20 octobre 2015, l’État partie a soumis des observations sur le fond de la communication. Il rappelle les faits et les procédures engagées par le requérant en Suisse pour obtenir l’asile. Il note que les autorités compétentes en matière d’asile ont dûment pris en considération les arguments du requérant. Il déclare que la présente communication ne contient aucun élément nouveau susceptible d’infirmer les décisions des autorités compétentes.

4.2L’État partie rappelle qu’en vertu de l’article 3 de la Convention il est interdit auxÉtats parties d’expulser, de refouler ou d’extrader une personne vers un autre État où ily a des motifs sérieux de croire que cette personne risque d’être soumise à la torture. Pour déterminer s’il y a de tels motifs, les autorités compétentes doivent tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l’existence, dans l’État partie intéressé, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Concernant l’observation générale no1 (1997) du Comité sur l’application de l’article 3 dans le contexte de l’article 22 de la Convention, l’État partie ajoute que l’auteur devrait établir l’existence d’un risque « personnel, actuel et sérieux » d’être soumis à la torture en cas de retour dans le pays d’origine. L’existence d’un tel risque doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Il doit y avoir d’autres motifs pour qualifier le risque de torture de « sérieux ». Les éléments suivants doivent être pris en compte pour apprécier l’existence d’un tel risque : preuves de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays d’origine ; allégations de torture ou de mauvais traitements subis dans un passé récent et preuves indépendantes à l’appui de celles-ci ; activités politiques de l’auteur à l’intérieur ou à l’extérieur du pays d’origine ; preuves de la crédibilité de l’auteur ; et incohérences factuelles dans les affirmations de l’auteur.

4.3Pour ce qui est de l’existence d’un ensemble de violationssystématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, l’État partie fait valoir que cela ne constitue pas en soi un motif suffisant de penser qu’un individu serait victime de torture à son retour dans son pays d’origine. Le Comité doit déterminersi le requérant risque « personnellement » d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. D’autres motifs doivent exister pour que le risque de torture puisse être qualifié, au sens du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention, de « prévisible, réel et personnel ». Le risque de torture doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons.

4.4L’État partie considère que, même si la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran est inquiétante à plusieurs égards, le pays ne connaît pas deviolence généralisée. Il réaffirme que la situation qui règne dans le pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure que le requérant risque d’y être victime de torture en cas de renvoi. Le requérant mentionne un risque très général pour toutes les personnes étant politiquement actives à l’étranger contre le régime au pouvoir, mais il n’a pas démontré que lui-même court personnellement un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture.

4.5Pour ce qui est des allégations de torture ou de mauvais traitements subis dans un passé récent et de l’existence de preuves indépendantes à ce sujet, l’État partie souligne que les États parties à la Convention ont l’obligation de tenir compte de telles allégations pour évaluer le risque que le requérant concerné soit soumis à la torture s’il estrenvoyé dans son pays d’origine. L’État partie rappelle que le requérant a prétendu avoir été torturé dans diverses prisons pendant sa détention entre le 7 ou le 10 décembre 2005 et la mi-février 2006, mais qu’indépendamment du fait que l’Office fédéral des migrations et le Tribunal administratif fédéral ont qualifié de nonplausibles les allégations d’arrestation et de détention le requérant n’a pas fourni d’éléments de preuve concernant les mauvais traitements qu’il aurait subis. En outre, même si le certificat médical du 14 mars 2015 constate que le requérant souffre de troubles de stress post-traumatique, il n’en identifie pas les causes. Or, dans son arrêt du 3 septembre 2014, le Tribunal administratif fédéral n’a pas contesté l’existence du trouble de stress post-traumatique, mais a relevé que les causes sont autres que celles alléguées par le requérant. Il a ainsi rejoint la conclusion de l’Office fédéral des migrations, selon laquellece trouble n’est apparu qu’après la fin de la procédure d’asile.

4.6En ce qui concerne les activités politiques du requérant dans son pays d’origine, l’État partie note que ce dernier a affirmé qu’il avait été politiquement actif en Iran dès l’an 2000 ; qu’il aurait été un sympathisant du PDK et se serait porté volontaire pour participer à la libération de dix étudiants kurdes ; qu’en raison de son implication dans la préparation de cetteopération il aurait été arrêté, détenu et torturé au mois de décembre 2005. Ces allégations ont été dûment examinées par les autorités suisses chargées des demandes d’asile, qui ont établi qu’elles n’étaient pas crédibles.

4.7Pour ce qui est des activités politiques du requérant en Suisse, l’État partie soutient que, selon la jurisprudence du Tribunal administratif fédéral, s’il est possible que les services secrets iraniens exercent une surveillance sur les activités politiques hostiles au régime iranien menées à l’étranger, leur attention se porte principalement sur des personnes qui ont un profil particulier, dont les actes vont au-delà de l’opposition collective et qui occupent des fonctions ou accomplissent des actions susceptibles de représenter une menace sérieuse et concrète pour le régime.Le Tribunal administratif fédéral a aussi estimé que ce ne sont ni la qualité de membre ni les activités politiques typiques telles que la participation à des manifestations, la tenue d’un stand ou la distribution de matériel de propagande mais bien les positions qu’occupent les opposants dans leurs organisations, ou l’influence des actions menées, qui déterminent les risques encourus.Dans la présente affaire, le Tribunal administratif fédéral a souligné également dans son arrêt du 28 janvier 2014 que les autorités iraniennes n’ignoraient pas que beaucoup de demandeursd’asile iraniens débutent leur engagement politique en exil une fois que leur demande d’asile a été rejetée, ce qui rend cet engagement très douteux. Les autoritéssont bien en mesure de distinguer les activités politiques reflétant une conviction personnelle sérieuse de celles qui sont principalement destinées à fournir à leurs auteurs un titre de séjour.

4.8L’État partie relève ensuite que le requérant a déclaré, lors de sa deuxième audition par l’Office fédéral des migrations, qu’il était devenu sympathisant de l’Association démocratique pour les réfugiés, qu’il avait participé à plusieurs manifestations à Zurich et à Berne entre les mois de mars et de juin 2009, qu’il avait récité un poème lors d’une émission à la radio et qu’il gérait un blog et modérait une émission d’une station locale de radio.Ces activités ont fait l’objet d’un examen circonstancié par le Tribunal administratif fédéral qui a jugé que les tâches de modérateur d’une émission de radio se limitaient essentiellement à la lecture de nouvelles et de commentaires, et qu’elles n’étaient, de ce fait, pas aptes à témoigner d’un profil politique quelconque du requérant. Tel n’était pas non plus le cas, selon le Tribunal administratif fédéral, de la fonction de responsable de l’élaboration du programme de l’émission. Par ailleurs, l’État partie fait valoir que le requérant n’a spécifié ni devant le Tribunal administratif fédéral ni devant le Comité en quoi ces fonctions l’auraient exposé politiquement. En ce qui concerne les articles publiés à son nom, l’État partie note, comme l’a fait le Tribunal administratif fédéral, qu’il s’agit de contributions certes critiques, mais rédigées de façon plutôt générale. La participation à des activités de l’Association démocratique pour les réfugiés telles que des manifestations n’a pas non plus contribué à la création d’un profil d’une personne qui pourrait attirer l’attention des autorités iraniennes.

4.9L’État partie n’est pas convaincu de l’existence d’un lien de causalité entre l’état de santé du requérant et la fin de ses activités politiques, puisqu’il ressort du dossier que le requérant n’a plus été actif à la station de radio depuis le mois d’avril 2012 et que son dernier article date du 14 octobre 2013. Étant donné que le requérant n’occupait pas de fonction d’importance au sein d’une organisation politique opposée au régime iranien, l’État partie distingue sa situation de celle dans laquelle se trouvaient les requérants dans d’autres affaires devant le Comité. L’État partie souligne en ce sensque M. Azizi était un membre actif de la section suissedu PDK d’Iran et président du comité exécutif régional pour plusieurs cantons ;M. Tahmuresi était un membre actif de l’Association démocratique pour les réfugiés en Suisse depuis 2006, placé parmi les dirigeantsde cette organisation publiquement opposée au régime iranien et chargé de recruter de nouveaux membres ; etles auteurs X et Z étaient des membres actifs du parti Komala(Comité des révolutionnaires du Kurdistan iranien), comme plusieurs membres de leur famille, et avaient des antécédents de détention et de torture en Iran. De plus, le requérant n’a pas fait valoir que des membres de sa famille en Iran auraient été harcelés ou menacés.

4.10En ce qui concerne la crédibilité du requérant et la cohérence des faits rapportés, l’État partie rappelle que les autorités suisses compétentes en matière d’asile ont établi que le récit du requérant n’était pas plausible. Tout d’abord, l’Office fédéral des migrations et le Tribunal administratif fédéral ont relevé que le requérant avait présenté deux versions diamétralement opposées l’une de l’autre en ce qui concernait les événements entourant son arrestation. Selon la première, il se serait rendu à Sardasht pour chercher son collègue Mohammadi et se rendre avec lui chez son contact Barzagar, mais qu’en réalité son collègue Mohammadi serait resté à Sardasht. Selon la seconde, il aurait emmené son collègue Mohammadi chez lui à Téhéran, le recevantdans la maison de sa famille. La présentation des événements concernant la prétendue rencontre dans le jardin à AhmadAbadMostofi(Téhéran) a également fait l’objet de deux versions entièrement différentes. Lors de la première audition, le requérant a déclaré qu’il aurait conduit son contact Barzagar audit jardin. Une fois arrivé, le requérant lui aurait donné les statuts des partis politiques concernés que Barzagar aurait jetés par terre quand il voulait entrer par la porte d’entrée du jardin. Selon les dires du requérant lors de la seconde audition, c’est à l’occasion d’une discussion menée sur son lieu de travail concernant la rencontre imminente avec Mohammadi que Barzagar lui aurait demandé s’il avait emporté lesdits statuts. Le requérant aurait répondu que ceux-ci se trouvaient dans la voiture. Arrivé devant le jardin, Barzagar les aurait pris et en aurait perdu quelques feuilles qu’il aurait ramassées avant de continuer vers la porte d’entrée du jardin et de frapper à la porte.

4.11De plus, l’État partie relève que les divergences concernent également la prétendue arrestation du requérant. Selon sa première version, le requérant aurait été arrêté dans sa maison et l’arrestation de Barzagar aurait été effectuéeen même temps par des policiers en civil, devant ladite maison. Lors de la seconde audition, le requérant a déclaré avoir pu s’enfuir du jardin à AhmadAbadMostofi en voiture, supposant que Barzagaravaitété arrêté. Enfin, l’État partie considère que le comportement du requérant à la suite des événements qui ont eu lieu devant le jardin à AhmadAbadMostofi n’est pas compréhensible. Selon ses dires, le requérant s’est rendu chez lui après avoir téléphoné à son épouse qui aurait réussi à l’informer que plusieurs personnes seraient entrées dans la maison de la famille. Sur ce point également, l’État partie suit les instances internes, qui ont relevé que le requérantn’avait pas pu expliquer de manière plausible les raisons pour lesquelles il serait rentré chez lui sans prendre les moindres mesures de précaution alors que le risque d’arrestation était manifeste.

4.12Pour ce qui est du jugement que le Tribunal révolutionnaire de Téhéran aurait rendu contre le requérant, l’État partie exprime des doutes quant à son authenticité, ainsi que sur celle de la convocation qui l’a précédé, et des lettres d’avocats des 17 et 18 mars 2015. Ilconsidère qu’il est notoire que ce type de document peut être acheté sans la moindre difficulté en Iran. De plus, les lettres d’avocats sont des lettres de complaisance. Cette impression est corroborée par le fait que le même avocat aurait suggéré au requérant d’attaquer ledit arrêt, avec une stratégie de défense, ce qui ne ressort plus des lettres des 17 et 18 mars 2015.Cela étant dit, ledit jugement porterait sur des délits du droit commun (port et entretien illégal d’armes et de munitions), ce qu’a relevé également le Tribunal administratif fédéral dans son arrêt du 14 janvier 2015. Ainsi, ce jugement ne permet pas de conclure à un risque de persécution en raison d’éventuelles activités politiques du requérant. Un tel lien est d’autant moins plausible que la première convocation adressée directement au requérant date du 12 octobre 2006, soit environ dix mois après sa prétendue arrestation, huit mois après son alléguée remise en liberté et/ou six mois après qu’il eut quitté son pays. Cela a été considéré comme d’autant plus surprenant que, pour obtenir sa remise en liberté, le requérant aurait accepté de coopérer avec les autorités de sécurité. Le non-respect de cette obligation aurait ainsi immédiatement dû attirer l’attention desdites autorités. À la lumière de ces éléments, il n’est pas non plus compréhensible que ladite première convocation prévoyait un délai de trois mois jusqu’à l’audience du Tribunal révolutionnaire de Téhéran.

4.13Enfin, l’État partie note que le Tribunal administratif fédéral a également exprimé des doutes quant à deux convocations subséquentes adressées à la belle-mère du requérant, menaçant celle-ci de la confiscation de valeurs patrimoniales si le requérant ne se présentait pas au Tribunal révolutionnaire de Téhéran. Or, le requérant avait déclaré avoir été remis en liberté après avoir fourni des garanties financières de sa mère et de deux de ses sœurs, ainsi que de son beau-père.

4.14Au vu de ce qui précède, l’État partie est d’avis que le comportement du requérant en Iran et en Suisse n’est pas de nature à fonder un risque réel et concret de torture de la part des autorités iraniennes. Le requérant n’a pasrendu plausibles ses allégations de persécution en Iran, et iln’a pas le profil d’un opposant au régime qui le rendrait susceptible d’être considéré par les dirigeants iraniens comme une personne dangereuse en raison de ses activités développées en Suisse. En effet, rien au dossier ne permet de croire que lesdites activités auraient attiré l’attention des autorités iraniennes, que ces dernières en auraient eu connaissance, ou qu’elles auraient pris quelconques mesures en défaveur du requérant en raison de ces activités. L’État partie relève finalement que l’ensemble des arguments avancés relatifs à un risque de persécution en Iran, et notamment les activités du requérant en Suisse, a été apprécié de manière circonstanciée par les autorités suisses et que la communication du requérant ne contient pas d’éléments ou moyens de preuve nouveaux.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 2 janvier 2016, le requérant a transmis des commentaires relatifs aux observations de l’État partie. Il considère que l’État partie s’est limité à répéter et à résumer les arguments invoqués par l’Office fédéral des migrations et par le Tribunal administratif fédéral pour rejeter sa demande d’asile, sans toutefois aborder les explications contenues dans sa communication au Comité. Il affirme que l’État partie s’est limité à dépister et à souligner les prétendues incohérences dans ses explications détaillées, en ignorant délibérément que c’est précisément le degré de détail de ses explications qui parle en faveur de leur crédibilité. Les circonstances de vie concrètes qui l’ont mené à la fuite peuvent ne pas toujours sembler logiques ou plausibles, surtout lorsqu’elles sont considérées depuis un pays sûr. Un récit simple, logique et rigoureux peut certes sembler plus compréhensible, mais il est aussi plus susceptible d’avoir été inventé qu’une biographie détaillée dont tous les points ne sont pas toujours compréhensibles au premier abord.

5.2Le requérant considère qu’il a pu prouver et documenter le fait qu’il existe bien un jugement du Tribunal révolutionnaire de Téhéran, qu’il a été auparavant cité publiquement à comparaître devant ce tribunal et qu’ensuite le jugement a été publié. L’État partie ne prend pas en compte ces documents et se contente d’affirmer de manière sommaire qu’il est notoire que de tels documents peuvent aisément être contrefaits en Iran. Le requérant affirme que, si ces documents avaient effectivement été faux, il les aurait sans doute produits bien plus tôt dans la procédure, alors que cela lui était impossible. Ce n’est qu’avec l’aide de sa partenaire iranienne vivant en Suisse et des relations de cette dernière en Iran qu’il a pu obtenir ces documents.

5.3Pour ce qui est de l’affirmation de l’État partie selon laquelle le jugement du Tribunal révolutionnaire de Téhéran ne permet pas de conclure à un risque de persécution en raison d’éventuelles activités politiques, le requérant l’interprète dans le sens que l’État partie semble sous-entendre qu’une telle conclusion ne serait possible que si le jugement avait directement mentionné le fait qu’il avait été condamné en tant que militant politique kurde. Pour le requérant, une telle conception des choses est totalement irréaliste puisqu’il est évident que même l’Iran souhaite conserver, au moins formellement, l’apparence d’un État de droit. Il rappelle qu’il a dû avouer un délit impliquant une arme pour être libéré de la détention provisoire, ce qu’il considère être tout à fait plausible.

5.4En ce qui concerne ses activités politiques en Suisse, le requérant fait valoir que l’État partie n’a pas pris en considération les preuves présentées, qui documentent clairement le fait qu’il s’est impliqué fortement et de manière soutenue dans des activités politiques en Suisse et que ces activités à elles seules signifient un risque accru pour sa personne en Iran. Il considère ainsi que le fait qu’il ne s’est pas identifié formellement comme haut fonctionnaire d’un parti politique d’opposition n’a aucune importance et que son engagement documenté dépasse de loin ce qui pourrait être qualifié de « pseudo-activisme » pour trouver un motif de fuite. À cet égard, il rappelle que, depuis 2009, et en utilisant son vrai nom lors des programmes radio, il a lu plusieurs poèmes révolutionnaires et des articles qu’il avait écrits contre le régime iranien pour les crimes commis, et il a participé à des manifestations, dont deux fois à l’ambassade d’Iran à Berne, où le personnel de l’ambassade a enregistré des vidéos et pris des photos. En outre, environ 42 heures hebdomadaires de radio sur les violations des droits de l’homme en Iran – auxquelles il a participé – ont été diffusées, les fichiers audio étant toujours disponibles sur le site Web de Radio LoRa. Il précise ensuite qu’il a eu d’autres responsabilités, notamment en tant que membre fondateur exécutif de Radio Nedaye Moghavemat, membre du comité de rédaction de « Kanon mensuel », développeur de programme et animateur dans la lutte contre le régime. Il gère également un blog qui inclut des nouvelles et des rapports de violations des droits de l’homme en Iran, ainsi que ses essais, ses poèmes et des photos liées à diverses manifestations et rassemblements tenus en Suisse contre le régime iranien. Il affirme aussi que ce blog a été bloqué par les autorités de justice iraniennes.

5.5Enfin, le requérant invoque les tortures physiques et psychologiques qu’il a subies lors de son arrestation et de sa détention, qui ont été amplifiées par son statut à la fois de Kurde et de sunnite, et par son diagnostic de troubles de stress post-traumatique en 2014 lié à ces tortures. Il soutient que, s’il retourne en Iran, il sera forcé d’avouer l’espionnage et la coopération avec les agences de renseignement occidentales et il sera soumis à plus de torture par le régime iranien.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe5a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il ne peut examiner aucune communication émanant d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note que l’État partie, en l’espèce, n’a pas contesté le fait que le requérant avait épuisé tous les recours internes disponibles, ni la recevabilité de la requête.

6.3Le Comité considère que la requête soulève des questions substantielles au titre de l’article 3 de la Convention, qui doivent être examinées quant au fond. Ne voyant aucun obstacle à la recevabilité de la communication, le Comité la déclare recevable.

Examen au fond

7.1Le Comité a examiné la requête en tenant dûment compte de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention.

7.2Concernant le grief tiré par le requérant de l’article 3 de la Convention, le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait personnellement d’être victime de torture en cas de retour en République islamique d’Iran. Pour évaluer ce risque, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être victime de torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante pour établir qu’une personne donnée serait en danger d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays ; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.Le Comité relève en outre que, l’Iran n’étant pas partie à la Convention, dans l’éventualité d’une violation dans ce pays des droits qu’il tient de la Convention, le requérant serait privé de la possibilité légale de s’adresser au Comité pour obtenir une forme quelconque de protection.

7.3Le Comité fait référence à son observation générale no4 (2017) sur l’application de l’article 3 de la Convention dans le contexte de l’article 22 de la Convention, dans laquelle il a indiqué que l’existence d’un risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Le Comité rappelle que, bien qu’il ne soit pas nécessaire de montrer que le risque encouru est « hautement probable », la charge de la preuve incombe généralement au requérant, qui doit présenter des arguments défendables établissant qu’il court un risque « prévisible, réel et personnel ». Le Comité rappelle également que, conformément à son observation générale no4, il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé, mais il n’est pas lié par de telles constatations et est au contraire habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

7.4Dans le cas présent, le Comité relève que le requérant soutient avoir été emprisonné et torturé en Iran, puis condamné in absentia à quatre ans d’emprisonnement et mis sur une liste noire, raison pour laquelle il risqued’être arrêté dès son arrivée en Iran. Il note également que, selon le requérant, les autorités de l’État partie n’ont pas pris cet élément en considération. Pourtant, le Comité observe que, dans son jugement du 28 janvier 2914, le Tribunal administratif fédéral a analysé le prétendu jugement des autorités iraniennes et a conclu que l’existence même d’un procès pénal à l’encontre du requérant était questionnablecar aucun document n’a été fourni par le requérant à cet égard. Le Comité note en outre que, comme l’a souligné le Tribunal administratif fédéral dans son arrêt du 14janvier 2015, les délits pour lesquels le requérant prétendait avoir été condamné sont des infractions de droit commun.

7.5Le Comité prend également note des incohérences et des contradictions dans les propos et les communications du requérant sur lesquelles l’État partie a attiré l’attention. En particulier, le Comité note qu’au cours de la procédure devant les autorités nationales suisses le requérant a présentédeux versions diamétralement opposées en ce qui concerne les événements entourant son arrestationet sur le déroulement de celle-ci, et qu’il n’a fourni aucune information permettant de justifier ou de démentir ces contradictions.

7.6Le Comité note en outre que, selon l’État partie, les activités politiques du requérant en Suisse ne constituent pas une activité durable et intense qui puisse être considérée comme une menace pour le Gouvernement iranien. Le Comité prend également note de l’évaluation médicale du requérant, qui indiquela présence d’un trouble de stress post-traumatique, dont la cause n’est pas identifiée, et le fait que le requérant ne pouvait plus s’engager politiquement à cause de sa condition médicale. En outre, le Comité observe que, dans son arrêt du 3 septembre 2014, le Tribunal administratif fédéral a noté que le trouble de stress post-traumatique s’étaitmanifesté uniquement après la fin de la procédure d’asile et que le requérant disposait à Téhéran d’une famille et d’une structure médicale qui pouvaient lui offrir l’assistance dont il avait besoin.

7.7Dans ce contexte, le Comité fait toutefois observer que, même s’il devait porter foi à l’argument selon lequel le requérant a par le passé été soumis à la torture et à de mauvais traitements, la question qui se pose est celle de savoir si, à l’heure actuelle, l’intéressé risquerait d’être torturé en Iran s’il y était renvoyé de force. Le Comité rappelle en outre sa jurisprudence selon laquelle c’est généralement au requérant qu’il incombe de présenter des arguments défendables.

7.8Le Comité est conscient du fait que la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran reste problématique à de nombreux égards. Néanmoins, le Comité rappelle que l’existence de violations des droits de l’homme dans le pays d’origine n’est pas suffisante, en soi, pour conclure qu’un requérant court personnellement le risque d’y être torturé. Le Comité note également que le requérant a eu amplement la possibilité d’étayer et de préciser ses griefs devant l’Office fédéral des migrations et devant le Tribunal administratif fédéral. Toutefois, les éléments apportés ne permettent pas de conclure que sa participation aux activités politiques en Iran et en Suisse pourrait le mettre en danger de subir des actes de torture ou des traitements inhumains ou dégradants à son retour en Iran.

7.9Sur la base des informations dont il dispose, le Comité conclut que le requérant n’a pas apporté la preuve que ses activités politiques revêtent une importance telle qu’elles auraient attiré l’attention des autorités de son pays d’origine et conclut que les informations fournies ne démontrent pas que le requérant encourrait un risque personnel, actuel, prévisible et réel de torture s’il était renvoyé en Iran.

8.Dans ces circonstances, le Comité considère que les informations soumises par le requérant ne sont pas suffisantes pour établir qu’il courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Iran.

9.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que le renvoi durequérant vers l’Iran ne constituerait pas une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention.