Nations Unies

CAT/C/63/D/704/2015

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

17 septembre 2018

Original : français

Comité contre la torture

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 704/2015 * , ** , ***

Communication présentée par :

X (représentée par un conseil)

Au nom de :

La requérante

État partie :

Suisse

Date de la requête :

24 septembre 2015

Date de la présente décision :

17 mai 2018

Objet :

Expulsion vers la République démocratique du Congo

Questions de procédure :

Non-épuisement des voies de recours internes

Questions de fond :

Non-refoulement

Article(s) de la Convention :

3 et 22

1.1La requérante est X, née en 1989, ressortissante de la République démocratique du Congo. Elle a demandé l’asile en Suisse et sa demande a été rejetée. Elle a présenté une requête, datée du 24 septembre 2015, arguant que son expulsion vers la République démocratique du Congo par la Suisse constituerait une violation de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. La requérante est représentée par un conseil.

1.2En application de l’article 114 de son règlement intérieur, le Comité a demandé à l’État partie le 15 octobre 2015 de ne pas expulser la requérante tant que sa requête serait en cours d’examen. Le 16 octobre 2015, l’État partie a informé le Comité que, conformément à sa pratique constante, l’Office fédéral des migrations avait demandé à l’autorité compétente de n’entreprendre aucune démarche en vue de l’exécution du renvoi de la requérante. Cette dernière était ainsi assurée de demeurer en Suisse tant que sa communication serait en cours d’examen devant le Comité et que l’effet suspensif ne serait pas levé.

Rappel des faits présentés par la requérante

2.1En décembre 2008, la requérante a rencontré Y, ressortissant belge et agent immobilier, à Kinshasa. Le 22 février 2009, ils ont été unis par un mariage coutumier. Le 26 septembre 2009, le mari de la requérante a quitté le domicile familial et n’y est plus revenu, et n’a plus donné de ses nouvelles. Quelques jours plus tard, la requérante a appris que son mari avait été arrêté pour implication présumée dans une tentative d’organisation d’un mouvement insurrectionnel. Suite à cette arrestation, leur résidence familiale a fait l’objet de visites de soldats accompagnés d’un agent des services de renseignements. Au cours de ces visites, le domicile de la requérante a été fouillé et elle a été menacée de viol par les agents. Elle a également été menacée de subir le même sort que son mari, tout en étant sommée de fournir des informations sur l’endroit où son mari aurait caché des armes.

2.2Le 26 octobre 2009, ne supportant plus cette situation, la requérante a quitté Kinshasa pour se rendre à Lukolela, une petite ville dans la province de l’Équateur, où elle a vécu jusqu’à son départ de la République démocratique du Congo, le 5 septembre 2012. Durant son séjour à Lukolela, elle a appris avoir fait l’objet de recherche de la part des autorités.

2.3Le 6 septembre 2012, la requérante est entrée en Suisse et y a déposé une demande d’asile le jour même. Cette demande a été rejetée par le Secrétariat d’État aux migrations le 6 février 2015 aux motifs que le bien-fondé des allégations de la requérante n’avait pas été prouvé. Le Secrétariat d’État a fondé sa décision sur des invraisemblances relevées dans les déclarations de la requérante et sur des informations à disposition.

2.4Le 12 mars 2015, la requérante a contesté cette décision auprès du Tribunal administratif fédéral. Pour appuyer son recours, la requérante a produit un acte de reconnaissance de son union conjugale, signé par son mari et daté du 3 mars 2015, et un communiqué de presse de la fondation Paix sur Terre faisant part de la persécution de la requérante. Le recours a été rejeté le 18 juin 2015 et la requérante a été requise de quitter la Suisse avant le 22 juillet 2015.

2.5Le 28 juillet 2015, la requérante a déposé auprès du Tribunal administratif fédéral une demande de révision de la décision du 18 juin 2015. À l’appui de cette demande, la requérante a produit de nouveaux moyens de preuve : une convocation datée du 28 février 2015 émise par le commissariat provincial de la ville de Kinshasa l’enjoignant à se présenter au bureau du Groupe mobile d’intervention ; une attestation du mariage coutumier monogamique datée du 10 juillet 2015 ; et une lettre de l’avocat de son époux, adressée au Tribunal, indiquant que l’époux de la requérante se trouvait toujours en prison et reflétant la validité légale du mariage coutumier en République démocratique du Congo. Par décision incidente du 11 août 2015, le Tribunal a imparti à la requérante un délai allant jusqu’au 25 août 2015 pour s’acquitter de l’avance des frais de procédure, a rejeté la demande de mesures provisoires et ne l’a pas autorisée à séjourner en Suisse jusqu’à la clôture de la procédure. Selon la requérante, le Tribunal a jugé également que les nouveaux moyens de preuve étaient irrecevables.

2.6La requérante joint à sa plainte devant le Comité, outre les pièces susmentionnées, une autre convocation de la police nationale à se présenter au bureau du Groupe mobile d’intervention datant du 1er février 2014, les procès-verbaux des auditions de la requérante avec les autorités suisses effectuées pendant la procédure de demande d’asile, et les décisions des autorités fédérales.

Teneur de la plainte

3.1La requérante soutient que son expulsion vers la République démocratique du Congo constituerait une violation de l’article 3 de la Convention par l’État partie. La requérante fait noter que son mari se trouve toujours dans la prison centrale de Makala et a été condamné pour tentative d’organisation d’un mouvement insurrectionnel. Elle souligne également que la persécution de proches de personnes poursuivies pour des affaires liées à la sûreté de l’État est avérée. Elle soutient que, si elle était expulsée vers la République démocratique du Congo, elle risquerait d’être soumise à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants.

3.2La requérante considère que la République démocratique du Congo remplit les conditions du paragraphe 301 de l’observation générale no 1 du Comité (A/53/44, annexe IX, et A/53/44/Corr.1), à savoir l’existence de violations systématiques des droits de la personne, graves, flagrantes ou massives.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 3 décembre 2015, l’État partie a transmis ses observations sur la recevabilité de la plainte. Il considère que la plainte est irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes.

4.2L’État partie relève que la requérante a produit de nouveaux documents lors de sa demande de révision du 28 juillet 2015 devant le Tribunal administratif fédéral. Le 11 août 2015, le Tribunal a jugé que deux des nouveaux moyens de preuve (un écrit de l’avocat du mari de la requérante et une attestation de mariage coutumier monogamique) étaient irrecevables dans le cadre de la procédure de révision. Il s’agissait des deux documents de date postérieure à l’arrêt du 18 juin 2015. L’avance des frais n’ayant pas été versée dans le délai imparti, le Tribunal a déclaré irrecevable la demande de révision par un arrêt rendu le 1er septembre 2015.

4.3L’État partie relève que la décision d’irrecevabilité concernant deux des nouveaux moyens de preuve ne concerne que la procédure de révision car, selon la jurisprudence constante du Tribunal administratif fédéral, dans une demande de révision, ledit Tribunal n’est pas tenu de considérer ni d’examiner des moyens de preuve postérieurs à la clôture de la procédure ordinaire mais portant sur des faits antérieurs, ni de transmettre au Secrétariat d’État aux migrations pour réexamen des demandes de révision fondées sur de tels moyens de preuve. La requérante aurait néanmoins pu faire valoir ces faits nouveaux devant le Secrétariat d’État aux migrations en présentant une demande de réexamen.

4.4L’État partie souligne que la décision incidente du 11 août 2015 ne préjuge pas du fond du cas de la requérante et qu’il ne ressort pas du dossier qu’elle n’avait pas les moyens de payer l’avance des frais qui lui a été demandée pour présenter un recours devant le Tribunal administratif fédéral.

4.5Ainsi, selon l’État partie, la requérante n’aurait pas rempli la condition relative à l’épuisement des voies de recours internes dans la mesure où elle avait la possibilité soit d’engager une voie de droit extraordinaire pour faire valoir de nouveaux moyens de preuve par une demande de réexamen devant le Secrétariat d’État aux migrations, dont la décision peut faire l’objet d’un recours devant le Tribunal administratif fédéral, soit de soumettre une nouvelle demande d’asile. L’ouverture d’une nouvelle demande d’asile donne au demandeur le droit de séjourner en Suisse jusqu’à la clôture de la procédure et, dans le cas d’une procédure extraordinaire, l’autorité compétente peut décider de suspendre l’exécution du renvoi après examen de la demande.

4.6L’État partie informe que la requérante prétend avoir joint à sa demande de révision les deux convocations de police qu’elle joint à sa requête devant le Comité, mais il note que seule la convocation datée du 1er février 2014 a été soumise au Tribunal administratif fédéral. Le Tribunal n’a donc pas eu la possibilité d’apprécier ce nouveau moyen de preuve.

Commentaires de la requérante sur les observations de l’État partie sur la recevabilité

5.1Par lettre du 8 janvier 2016, la requérante a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie sur la recevabilité.

5.2La requérante allègue que, selon la loi applicable, elle aurait risqué d’être renvoyée en République démocratique du Congo pendant la procédure extraordinaire de réexamen ou de révision. La requérante rappelle que dans sa décision incidente du 11 août 2015, le Tribunal administratif fédéral avait refusé de l’autoriser à demeurer en Suisse pendant la suite de la procédure. Même si elle avait réglé l’avance des frais de procédure, la requérante aurait donc risqué d’être renvoyée.

5.3La requérante fait valoir que les moyens de preuve présentés devant le Tribunal administratif fédéral n’ouvrent pas le droit à une nouvelle demande d’asile, puisqu’ils ne se rapportent pas à des faits nouveaux postérieurs à la fuite, mais aux faits déjà évoqués par la requérante au cours de la procédure ordinaire. S’agissant du moyen de preuve relatif à la convocation de la police en date du 1er février 2014, il ne suffit pas pour la présentation d’une nouvelle demande d’asile dans la mesure où il est antérieur à l’arrêt du Tribunal. Il ne peut donc servir que pour une demande de révision.

5.4La requérante conclut qu’elle n’avait donc aucune possibilité d’introduire une nouvelle demande d’asile et, par conséquent, ne pouvait pas bénéficier de la protection juridique lui permettant de séjourner en Suisse jusqu’à la clôture de la procédure. La requérante allègue qu’elle a ainsi épuisé les voies de recours internes.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Par lettre du 17 mars 2016, l’État partie a soumis ses observations concernant le fond de la requête.

6.2L’État partie rappelle que, dans son observation générale no 1, le Comité a spécifié les éléments qui doivent être pris en compte pour conclure à l’existence d’un risque de torture au sens de l’article 3 de la Convention. L’État partie regroupe ces éléments de la façon suivante : a) les preuves de l’existence dans l’État intéressé d’un ensemble de violations systématiques des droits de la personne, graves, flagrantes ou massives ; b) les allégations de torture ou de mauvais traitements subis dans un passé récent ainsi que l’existence d’éléments de preuve de sources indépendantes ; c) les activités politiques des requérants dans ou hors de l’État d’origine ; d) les preuves quant à la crédibilité des requérants ; et e) les incohérences factuelles dans les affirmations des requérants.

6.3Concernant l’existence dans l’État intéressé d’un ensemble de violations systématiques des droits de la personne, l’État partie rappelle que celle-ci ne constitue pas un motif suffisant pour conclure qu’un individu risquerait d’être victime de torture à son retour, et que des motifs supplémentaires doivent par conséquent exister pour que le risque de torture puisse être qualifié au sens de l’article 3 de la Convention. L’État partie considère que, quoique la situation des droits de la personne en République démocratique du Congo reste préoccupante, elle ne saurait constituer, à elle seule, un motif suffisant pour conclure que la requérante risque d’y être torturée en cas de renvoi.

6.4L’État partie note également que la requérante n’a pas présenté d’allégations ou d’éléments de preuve de sources indépendantes qui démontrent qu’elle aurait subi des actes de torture ou des mauvais traitements, ou qu’elle aurait mené des activités politiques.

6.5Concernant les incohérences factuelles dans les affirmations de la requérante et sa crédibilité, l’État partie fait valoir que le Secrétariat d’État aux migrations et le Tribunal administratif fédéral ont qualifié de dépourvues de pertinence les allégations de la requérante. L’État partie note que, pendant ses auditions, la requérante a fourni des éléments contradictoires concernant l’adresse de son domicile conjugal et la date exacte à laquelle elle aurait quitté ce domicile. Il a aussi été constaté que la requérante ignorait des événements s’étant déroulés au village de Lukolela au moment où elle allègue s’y être refugiée.

6.6L’État partie estime que les documents présentés pour confirmer le mariage de la requérante n’ont pas de valeur probante. L’État partie considère inexplicable que la requérante ait pu faire établir un acte de reconnaissance de mariage, daté du 3 mars 2015, signé par quelqu’un qui, comme l’indique l’acte, purgerait une peine de dix ans de prison pour des raisons politiques et demanderait aux autorités d’un pays tiers d’octroyer l’asile politique à la requérante. Pour l’État partie, ce document ne pourrait pas avoir passé le contrôle effectué par la direction de la prison centrale de Makala. Quant à l’attestation de mariage coutumier monogamique, elle comporte des données qui sont en contradiction avec les déclarations de la requérante : Y apparaît comme étant ressortissant de la République démocratique du Congo, alors que, selon les déclarations de la requérante, il aurait acquis la nationalité belge depuis 2001 de par sa fille, et que la République démocratique du Congo n’autorise pas la double nationalité à ses ressortissants. En outre, la requérante aurait déclaré appartenir à une ethnie provenant du village de Lukolela situé dans la province de l’Équateur, alors que l’attestation de mariage indique qu’elle est originaire du secteur de Gombe-Matadi, dans la province du Kongo-Central. L’attestation contiendrait en outre quelques erreurs : le quatrième paragraphe étant incomplet, une référence à l’ordonnance loi nº 21/164 figurant dans le document serait contraire à la pratique des autorités de la République démocratique du Congo, qui se référeraient habituellement à « l’ordonnance nº 21/164 » (sans le mot « loi »). L’État partie note également que la requérante n’a produit ladite attestation qu’après le constat du Secrétariat d’État aux migrations qu’elle ne l’avait pas remis. Concernant la lettre de l’avocat d’Y, elle ne contient pas de procuration dûment signée et contient une erreur d’orthographe dans le prénom de son client. L’État partie considère que cette lettre revêt un caractère complaisant.

6.7L’État partie considère que l’authenticité des documents soutenant que la requérante aurait fait l’objet de poursuites en République démocratique du Congo est douteuse. Il souligne à cet égard des contradictions entre le communiqué de presse de la fondation Paix sur Terre et les déclarations de la requérante. En effet, selon ledit communiqué, Y était sans nouvelle de son épouse depuis plus d’un trimestre (soit avril 2012), or la requérante aurait déclaré s’être cachée à Lukolela entre le 26 octobre 2009 et le 5 septembre 2012 et n’avoir plus eu de nouvelles d’Y depuis son arrestation le 26 septembre 2009. L’État partie note en outre que les deux convocations de police remises au Comité ont un en-tête de mauvaise qualité qui aurait pu faire l’objet de plusieurs copies ; qu’elles ne font pas référence à la même adresse que celle qui aurait été signalée par la requérante comme son domicile (numéro 81 au lieu de numéro 1 de la rue Trèfle) ; que les deux convocations n’ont pas la même dénomination pour désigner l’autorité qui les aurait délivrées ; qu’une convocation comprend une faute d’orthographe ; et qu’elles ont été émises un samedi, sommant la requérante à se présenter le lendemain, soit un dimanche, jour non ouvrable en République démocratique du Congo. Pour l’État partie, ces éléments rendent l’authenticité de ces documents fortement douteuse.

6.8Concernant le récit de la requérante, l’État partie considère non crédible que les autorités de la République démocratique du Congo, quoique recherchant activement la requérante, ne l’aient pas retrouvée à Lukolela ou qu’elles aient encore essayé de la trouver à son ancien domicile conjugal avant son départ de ce pays, trois ans après qu’elle ait quitté ce domicile. Il semble également illogique que la requérante, se sachant menacée et accusée de complicité dans l’affaire de son mari, décide de rester au domicile conjugal pendant un mois, courant ainsi le risque d’être interpellée ou mise en détention. De plus, une personne recherchée n’aurait pas pris le risque de quitter la République démocratique du Congo par l’aéroport de Kinshasa, la voie la plus surveillée du pays.

6.9Par conséquent, l’État partie allègue que rien n’indique qu’il existe des motifs sérieux de craindre que la requérante soit exposée concrètement et personnellement à la torture en cas de retour en République démocratique du Congo.

Commentaires de la requérante sur les observations de l’État partie sur le fond

7.1Par lettre du 30 mai 2016, la requérante a soumis ses commentaires aux observations de l’État partie sur le fond.

7.2La requérante soutient que les observations de l’État partie n’apportent pas d’éléments susceptibles de mettre en cause les risques concrets, réels, actuels et personnels de la victime de subir des tortures et des traitements inhumains et dégradants en cas de retour en République démocratique du Congo. D’après la requérante, l’État partie ne se fonde que sur les appréciations formulées par ses instances internes au cours de l’examen de sa demande d’asile.

7.3La requérante prétend qu’il n’existe aucun doute qu’Y ait été condamné en République démocratique du Congo pour atteinte à la sûreté de l’État et se trouve en prison depuis 2009. La requérante note qu’il existe encore des violations systématiques des droits de la personne en République démocratique du Congo et que lorsque quelqu’un est persécuté, ses proches font l’objet de menaces, de violences, de chantage, d’arrestation et de traitements humiliants et dégradants au sens de l’article 1 de la Convention.

7.4La requérante soutient que les invraisemblances relevées par l’État partie ne peuvent pas remettre en cause l’authenticité des pièces du dossier et que son lien avec Y ne devrait plus faire l’objet de doute.

7.5La requérante joint à ses commentaires un message d’Y transmis par la Croix-Rouge de la République démocratique du Congo. Le Comité a également reçu un courrier électronique signé d’Y affirmant que la requérante était son épouse, demandant au Comité de reconnaître une violation de la Convention, et alléguant avoir subi des actes de torture pendant sa réclusion.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité doit déterminer si la communication est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la requête pour non‑épuisement des voies de recours internes. Le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel la requérante avait la possibilité de soumettre une nouvelle demande d’asile. Le Comité note que la requérante fait valoir que les moyens de preuve présentés devant le Tribunal administratif fédéral n’ouvrent pas le droit à une nouvelle demande d’asile, ces moyens de preuve ne se rapportant pas à des faits nouveaux postérieurs à sa fuite, mais aux faits qu’elle avait déjà évoqués au cours de la procédure ordinaire. L’État partie fait également valoir que si la requérante s’était acquittée des frais de procédure, le juge du fond aurait pu statuer sur sa demande de révision ; qu’en l’absence de ce paiement, la demande devait être jugée irrecevable, et que la requérante avait la possibilité d’engager une autre voie de droit extraordinaire pour faire valoir de nouveaux moyens de preuve par une demande de réexamen devant le Secrétariat d’État aux migrations. Le Comité note l’argument de la requérante selon lequel elle aurait risqué d’être renvoyée en République démocratique du Congo pendant la procédure extraordinaire de réexamen ou de révision dans la mesure où, dans sa décision incidente du 11 août 2015, le Tribunal administratif fédéral avait refusé de l’autoriser à demeurer en Suisse pendant la suite de la procédure. Le Comité note que la requérante n’a pas fait preuve de diligence pour épuiser le recours extraordinaire de révision ouvert, ne s’étant pas acquittée des frais de procédure. Le Comité note que la requérante n’a pas allégué ne pas avoir les moyens de payer l’avance des frais qui lui a été demandée, et conclut que la requérante n’a pas produit suffisamment d’éléments justifiant son non-acquittement des frais de procédure. Le Comité rappelle que l’ouverture d’une nouvelle demande d’asile donne au demandeur le droit de séjourner en Suisse jusqu’à la clôture de la procédure. Le Comité est donc d’avis que les recours internes n’ont pas été épuisés conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention.

9.En conséquence, le Comité contre la torture décide :

a)Que la requête est irrecevable ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et au requérant.

Annexe

[Original : anglais]

Opinion individuelle (dissidente) de Diego Rodríguez-Pinzón

1.Je me permets de ne pas souscrire aux conclusions du Comité en ce qui concerne la nature des recours dont dispose l’auteure de la communication pour se protéger contre une expulsion ou un renvoi vers la République démocratique du Congo. La requérante n’est pas tenue d’épuiser les recours internes qui ne la protègent pas efficacement contre un renvoi si elle est exposée à un risque de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants. Conformément aux articles 3 et 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, les recours disponibles doivent permettre de suspendre l’expulsion tant qu’une décision finale n’a pas été rendue dans la procédure interne. Par conséquent, lorsque cette procédure cesse de permettre la suspension de l’expulsion ou du renvoi (comme avec la décision incidente du 11 août 2015 par laquelle le Tribunal administratif fédéral a refusé à la requérante l’autorisation de rester en Suisse jusqu’à la clôture de la procédure), elle n’est plus efficace aux fins de la protection requise par l’article 3 de la Convention, et la personne concernée n’est pas tenue de l’épuiser. En outre, si le Comité considère qu’une nouvelle demande d’asile offrirait la possibilité de solliciter à nouveau cette protection, je pense qu’il ressort clairement du dossier que le dépôt d’une nouvelle demande ne serait possible que si de nouveaux faits étaient présentés aux autorités, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

2.Le Comité lui-même a affirmé dans sa jurisprudence que les recours internes visant à contester une décision d’expulsion doivent avoir un effet suspensif si la personne concernée risque d’être torturée ou maltraitée. Sans cela, ces recours ne peuvent pas être considérés comme efficaces au sens du droit international des droits de l’homme. Le Comité a déjà conclu dans le passé qu’une requête était recevable même si l’intéressé n’avait pas épuisé tous les recours internes, en considérant que ces recours étaient inefficaces du fait qu’ils n’avaient pas d’effet suspensif sur la procédure d’expulsion. Les paragraphes 34 et 35 de l’observation générale no 4 (2017) du Comité sur l’application de l’article 3 de la Convention dans le contexte de l’article 22 confirment cette position.

3.Les normes du système européen des droits de l’homme sont particulièrement pertinentes en l’espèce, selon les dispositions du paragraphe 2 de l’article 16 de la Convention, étant donné que la Suisse est également partie à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme). La Cour européenne des droits de l’homme a statué dans de nombreuses affaires que les personnes visées par une mesure d’expulsion les exposant à un risque de torture ou de mauvais traitements doivent avoir accès à un recours avec effet suspensif. Dans l’affaire Čonka c. Belgique, par exemple, la Cour a estimé que la notion de recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme exigeait que le recours puisse empêcher l’exécution de mesures qui étaient contraires à la Convention et dont les effets étaient potentiellement irréversibles. En conséquence, elle a estimé que l’article 13 s’opposait à ce que pareilles mesures soient exécutées avant même l’issue de l’examen par les autorités nationales de leur compatibilité avec la Convention. Dans son arrêt concernant l’affaire Gebremedhin [ Gaberamadhien ] c. France, la Cour a précisé, en faisant référence à l’affaire Čonka c. Belgique, qu’un étranger menacé d’expulsion devait avoir accès à un recours avec effet suspensif lorsqu’il y avait des motifs sérieux de croire qu’il risquait d’être soumis à la torture ou à des mauvais traitements en violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour a confirmé la teneur de l’arrêt Čonka c. Belgique dans des affaires ultérieures, parmi lesquelles M. S. S. c. Belgique et Grèce et Hirsi Jamaa et autres c. Italie. En outre, dans l’affaire Olaechea Cahuas c. Espagne, la Cour a considéré que le recours dont disposait le requérant pour obtenir un sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion était inefficace car il n’avait pas d’effet suspensif. Elle a par conséquent rejeté l’argument du Gouvernement espagnol selon lequel la requête était irrecevable en raison du non-épuisement des recours internes par le requérant. En outre, dans l’affaire de Souza Ribeiro c. France, la Cour a rejeté l’objection soulevée par le Gouvernement concernant le non-épuisement des recours internes, en déclarant que les recours existants étaient inefficaces car ils n’avaient pas d’effet suspensif sur l’expulsion du requérant.

4.Je me dois de souligner également que la Cour de Justice de l’Union européenne a adopté l’approche de la Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt sur l’affaire Centre public d ’ action sociale d ’ Ottignies-Louvain-la-Neuve c. Moussa Abdida lorsqu’elle a déclaré que les recours internes devaient avoir un effet suspensif lorsque l’exécution d’une décision de renvoi pouvait exposer le ressortissant concerné d’un pays tiers à un risque sérieux de détérioration grave et irréversible de son état de santé, ce qui était susceptible de constituer un traitement inhumain ou dégradant. La Cour de Justice de l’Union européenne s’est référée aux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme dans les affaires Gebremedhin [ Gaberamadhien ] c. France et Hirsi Jamaa et autres c. Italie.

5.D’une manière générale, la possibilité de suspension des procédures internes visant à renvoyer ou expulser une personne vers un pays où elle risque d’être soumise à la torture ou à des traitements cruels, inhumains ou dégradants est une garantie essentielle découlantde l’article 3 de la Convention. Il est très important que le Comité maintienne cette garantie centrale et préserve les normes internationales que lui-même et les autres organes internationaux de défense des droits de l’homme ont reconnues.