Nations Unies

CAT/C/63/D/750/2016

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

7 juin 2018

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 750/2016 * , **

Communication présentée par :

R. H. (représenté par deux conseils, Mathias Blomberg et Beatrice Rohdin)

Au nom de :

R. H.

État partie :

Suède

Date de la requête :

19 mai 2016 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

10 mai 2018

Objet :

Expulsion vers la République islamique d’Iran

Question ( s ) de fond :

Non-refoulement ; prévention de la torture

Question ( s ) de procédure :

Néant

Article(s) de la Convention :

3

1.1Le requérant est R. H., un Kurde de souche ressortissant de la République islamique d’Iran résidant en Suède. Il est né le 25 avril 1972 en République islamique d’Iran et est représenté par deux conseils, Mathias Blomberg et Beatrice Rohdin. Il affirme qu’en le renvoyant en République islamique d’Iran, où il risquerait d’être persécuté en raison de ses activités politiques contre le régime iranien, la Suède violerait les droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. La Suède a fait la déclaration prévue à l’article 22 de la Convention en 1986.

1.2Le 20 mai 2015, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a demandé à l’État partie de ne pas expulser le requérant tant que sa requête serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant affirme qu’en République islamique d’Iran, sa famille et lui-même menaient des activités d’opposition au régime. Des membres de sa famille ont été emprisonnés et persécutés en raison de leurs opinions politiques. Le père du requérant était propriétaire de deux magasins dans sa ville natale de Kermanshah, où sa famille et lui‑même menaient leurs activités politiques. Le requérant louait quant à lui un magasin à Téhéran, où il menait également des activités politiques. Dans le cadre de ces activités, il tenait des réunions avec d’autres Kurdes pour débattre de possibles réformes en République islamique d’Iran, a fait campagne lors des élections de 2009, vendait des articles promotionnels pour soutenir le « Mouvement vert » et œuvrait à faire connaître un parti d’opposition. Du fait de l’engagement politique de longue date du requérant et de sa famille, celui-ci était connu comme un critique du régime dans sa ville d’origine et à Téhéran.

2.2En décembre 2011, le requérant a été arrêté et incarcéré à la prison d’Elvin, où il est resté vingt-cinq jours. Pendant cette détention, il a été interrogé sur ses activités politiques et ses liens avec le Mouvement vert. Après sa libération sous caution, il a compris qu’il ne pouvait pas poursuivre ses activités politiques et a fermé son magasin à Téhéran. Le 17 mars et le 8 mai 2012, il a reçu deux citations à comparaître devant le Département d’exécution des jugements et, par la suite, copie d’un jugement par défaut du Tribunal révolutionnaire le condamnant à une peine de huit ans d’emprisonnement pour insulte à la République islamique et à la sainteté du régime, complot et atteinte à l’état d’esprit de la population. Ces infractions sont passibles de peines d’emprisonnement, voire de la peine de mort.

2.3Après avoir reçu les citations susvisées, le requérant et sa fille sont entrés dans la clandestinité. Après que le Tribunal révolutionnaire eut rendu son jugement, la police s’est mise à sa recherche. Son père a été emmené au poste de police à plusieurs reprises pour y être interrogé. Le 22 novembre 2012, le requérant et sa fille ont quitté la République islamique d’Iran. Ils se sont rendus en Suède avec l’aide de passeurs et ont demandé l’asile dès leur arrivée dans ce pays, le 3 décembre 2012.

2.4Le 5 décembre 2013, l’Office des migrations a rejeté la demande d’asile du requérant, au motif, notamment, qu’il n’avait pas établi de manière plausible qu’il était recherché ou que s’il devait retourner dans son pays d’origine, il courrait le risque d’être repéré par les autorités iraniennes et d’être persécuté ou de subir un traitement similaire.

2.5Le 7 janvier 2014, le requérant a fait appel de la décision de rejet de l’Office des migrations devant le Tribunal de l’immigration. Pendant la procédure de demande d’asile, le requérant a continué de mener, contre la République islamique d’Iran, des activités politiques dans le cadre desquelles il déplorait la situation politique régnant dans le pays et critiquait le régime et l’islam en général. Entre autres choses, en février 2014, il a publié en Suède un ouvrage qu’il avait achevé après avoir quitté la République islamique d’Iran. Dans ce livre consacré aux infractions et aux peines en République islamique d’Iran, il critiquait l’islam et condamnait les violences, le harcèlement et la censure auxquels se livrait le régime iranien. La teneur de cet ouvrage prêtait tellement à controverse que son éditeur n’a pas voulu que son nom y figure, par crainte de la réaction du régime iranien. En outre, le requérant était actif sur Internet. En particulier, le site Web de Khabar 1, une chaîne d’information iranienne, reproduit plusieurs articles sur la religion en République islamique d’Iran qui visent nommément le requérant et sa fille et sont accompagnés de leurs photographies. De même, le nom et une photographie du requérant ainsi qu’une présentation de son livre ont été publiés sur Balatarin, un site populaire du mouvement de résistance au régime iranien. En raison des activités du requérant sur Internet, son père et d’autres membres de sa famille ont été convoqués par les autorités locales pour être interrogés et ont été menacés de « conséquences » si le requérant ne mettait pas fin à ses activités d’opposition au régime. Le requérant a également fourni au Tribunal un certificat attestant sa qualité de membre de la section suédoise du Parti communiste-ouvrier d’Iran, qui est interdit en République islamique d’Iran car il vise à renverser le régime actuel pour le remplacer par une république socialiste.

2.6Le 4 juin 2014, le Tribunal de l’immigration a rejeté l’appel du requérant et a jugé que son récit de ses activités en République islamique d’Iran n’était pas fiable. En ce qui concerne les motifs de la demande d’asile « sur place » du requérant, le Tribunal a conclu qu’il n’y avait aucune raison de supposer que les autorités iraniennes s’intéresseraient particulièrement à lui, car il n’était pas une personnalité politique connue en République islamique d’Iran et n’avait pas démontré que les activités d’opposition au régime qu’il menait en Suède étaient connues des autorités iraniennes.

2.7Le 24 juin 2014, le requérant a fait appel de la décision du Tribunal de l’immigration devant la Cour d’appel de l’immigration. Le 3 octobre 2014, la Cour d’appel de l’immigration a refusé de lui accorder l’autorisation d’interjeter appel.

2.8Le 16 décembre 2014, le requérant a demandé à l’Office des migrations de surseoir à son expulsion et de réexaminer sa décision précédente en raison d’obstacles à l’exécution de la mesure d’expulsion. Le requérant invoquait des circonstances nouvelles qui appelaient une protection accrue pour lui-même et pour sa fille, à savoir que son livre avait été largement diffusé, s’étant vendu en Suède, en Allemagne, aux États-Unis d’Amérique et au Canada et pouvant être téléchargé gratuitement en République islamique d’Iran comme à l’extérieur de ce pays. Le Président de l’organisation Iranian PEN Centre in Exile a confirmé dans une lettre que le livre était disponible sur Internet. En outre, la page Facebook du requérant, qui était suivie par plus de 1 199 personnes, comportait plusieurs textes et photographies critiquant le régime iranien et l’islam et des articles sur l’hebdomadaire français Charlie Hebdo.

2.9Le 29 décembre 2014, l’Office des migrations a rejeté la demande du requérant, estimant qu’il était improbable que les autorités iraniennes aient eu connaissance de ses activités.

2.10Le 22 janvier 2015, le requérant a fait appel de la décision de l’Agence devant le Tribunal de l’immigration. À ce stade, il avait écrit un autre livre intitulé « Terreur en République islamique d’Iran », dans lequel il critiquait l’islam, l’histoire islamique et le pouvoir exercé par les autorités iraniennes au nom de l’islam. Ce livre a été publié en Suède par un éditeur local, en langue perse, et il peut être téléchargé gratuitement sur Internet.

2.11Le 26 janvier 2015, le Tribunal de l’immigration a rejeté l’appel du requérant, estimant que les circonstances invoquées ne pouvaient pas être considérées comme nouvelles et qu’il n’y avait pas d’obstacle à l’exécution de la mesure d’expulsion.

2.12Le 13 février 2015, la Cour d’appel de l’immigration a rejeté la demande d’autorisation d’interjeter appel soumise par le requérant.

Teneur de la plainte

3.Le requérant affirme qu’il peut prétendre au statut de réfugié « sur place » et que si lui et sa fille étaient renvoyés en République islamique d’Iran, ils seraient arrêtés par les autorités et soumis à la torture et ou à d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants en raison de ses activités d’opposition au régime. Le requérant fait valoir que les autorités suédoises ont utilisé une jurisprudence ancienne et des informations dépassées sur le pays d’origine comme critères aux fins de la détermination du statut de réfugié « sur place », et que c’est donc à tort qu’elles lui ont refusé l’asile, ainsi qu’à sa fille.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale en date du 21 novembre 2016, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Après avoir expliqué la législation en vigueur et les faits de l’espèce, l’État partie affirme que le requérant n’a pas suffisamment étayé ses griefs aux fins de la recevabilité. Il fait donc valoir que la communication est manifestement dénuée de fondement et, de ce fait, irrecevable au regard du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention et de l’article 113 b) du Règlement intérieur du Comité.

4.2Sur le fond, l’État partie affirme que pour déterminer s’il y a violation de l’article 3 de la Convention, le Comité doit prendre en considération : a) la situation générale des droits de l’homme en République islamique d’Iran, et, en particulier ; b) le risque prévisible et réel que le requérant courrait personnellement d’être soumis à la torture à son retour.

4.3En ce qui concerne la situation générale des droits de l’homme en République islamique d’Iran, l’État partie renvoie aux rapports publiés récemment par le Département d’État des États-Unis, Freedom House, Amnesty International, Human Rights Watch et d’autres entités, et indique que sans sous-estimer les inquiétudes légitimes qui peuvent être exprimées quant à la situation des droits de l’homme dans ce pays, il conclut que la situation actuelle en République islamique d’Iran n’est pas telle que les demandeurs d’asile originaires de ce pays ont de manière générale besoin d’une protection.

4.4Pour ce qui est de l’affirmation du requérant selon laquelle le jugement du Tribunal de l’immigration était fondé sur une jurisprudence ancienne et des informations sur le pays dépassées, l’État partie fait valoir que le Tribunal a bien pris en considération les informations les plus récentes disponibles sur le pays d’origine, tout en les mettant en regard des circonstances ayant fait l’objet de la jurisprudence citée. Dans son jugement, le Tribunal fait observer que les activités menées dans l’affaire citée l’avaient été en République islamique d’Iran durant la période suivant les élections de 2009 et qu’aucune information nouvelle ne donnait à penser que la situation était différente aujourd’hui.

4.5L’État partie attire l’attention du Comité sur le fait que plusieurs dispositions de la loi suédoise relative aux étrangers reprennent les principes énoncés à l’article 3 de la Convention. Les autorités suédoises de l’immigration, lorsqu’elles examinent une demande d’asile présentée au titre de la loi relative aux étrangers, appliquent donc les mêmes critères que le Comité lorsqu’il examine une requête soumise en vertu de la Convention. L’État partie souligne qu’en l’espèce, l’Office des migrations comme le Tribunal de l’immigration ont mené un examen approfondi de la situation du requérant.

4.6L’État partie rappelle le paragraphe 9 de l’observation générale no 1 (1997) du Comité, sur l’application de l’article 3 de la Convention dans le contexte de l’article 22, ainsi que les constatations du Comité dans lesquelles celui-ci a indiqué qu’il n’était pas un organe d’appel ni un organe juridictionnel ou administratif, et qu’il accordait un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé.

4.7Dans sa requête, le requérant affirme qu’il courrait le risque de subir un traitement contraire à la Convention en raison de ses activités politiques d’opposition au régime au pouvoir en République islamique d’Iran. Dans le cadre de l’examen de sa demande d’asile par les autorités nationales, le requérant a déclaré à l’Office des migrations qu’il avait été politiquement actif avant les élections de 2009. Il a indiqué que son activité se limitait à vendre, au bénéfice du Mouvement vert, des articles tels que des foulards, et à débattre de questions de société avec d’autres Kurdes, ce qui, ainsi qu’il l’a également confirmé, n’était pas illégal. En outre, il a expressément déclaré qu’il n’avait été membre d’aucun parti ou organisation politique. Selon ses propres dires, les autorités iraniennes ne se sont intéressées à lui qu’en 2011, année où il aurait été arrêté et détenu pendant vingt‑cinq jours, après quoi lui et sa famille ont cessé leurs activités politiques. Les motifs invoqués par le requérant devant l’Office des migrations pour demander l’asile se sont multipliés dans ses conclusions devant le Tribunal de l’immigration, dans lesquelles le requérant présentait de nouveaux éléments d’information, indiquant notamment que son magasin à Téhéran avait servi de centre de campagne électorale et qu’il avait été politiquement actif jusqu’à son arrestation. Il a de plus produit des documents pour prouver qu’il était membre du Parti communiste-ouvrier d’Iran, alors qu’auparavant, il avait déclaré n’appartenir à aucun parti. En outre, devant le Tribunal le requérant a pour la première fois déclaré que des inconnus avaient pris contact avec lui par téléphone à son magasin et l’avaient menacé pour lui faire cesser ses activités politiques, ce qui contredisait les déclarations qu’il avait faites devant les services de l’immigration, à savoir qu’avant son arrestation il n’avait jamais eu maille à partir avec les autorités. Le Tribunal de l’immigration a donc conclu que les motifs invoqués par le requérant à l’appui de sa demande d’asile s’étaient multipliés au cours de la procédure et que ses déclarations étaient pour partie contradictoires, vagues et imprécises, et donc qu’elles n’étaient pas fiables et ne justifiaient pas qu’on lui accorde, ainsi qu’à sa fille, un permis de séjour.

4.8L’État partie conteste en outre l’affirmation du requérant selon laquelle il peut prétendre au statut de réfugié « sur place ». Aux termes du paragraphe 96 du Guide et principes directeurs sur les procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, un document établi par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés :

Une personne peut devenir un réfugié « sur place » de son propre fait, par exemple en raison des rapports qu’elle entretient avec des réfugiés déjà reconnus comme tels ou des opinions politiques qu’elle a exprimées dans le pays où elle réside. La question de savoir si de tels actes suffisent à établir la crainte fondée de persécution doit être résolue à la suite d’un examen approfondi des circonstances. En particulier il y a lieu de vérifier si ces actes sont arrivés à la connaissance des autorités du pays d’origine et de quelle manière ils pourraient être jugés par elles.

Selon une estimation du requérant lui-même, donnée dans le cadre de la procédure devant le Tribunal de l’immigration, son livre sur les infractions et les peines en République islamique d’Iran a été publié à 300 exemplaires en Suède et était en vente dans une librairie de Stockholm. En se fondant sur cette déclaration du requérant, le Tribunal de l’immigration a conclu qu’il était peu probable que ce livre ait eu un large lectorat et que le requérant n’avait pas démontré de manière plausible que l’ouvrage avait attiré l’attention des autorités iraniennes. Le Tribunal a également conclu que même si ce livre et les articles en ligne avaient attiré l’attention des autorités iraniennes, l’ampleur des activités « sur place » du requérant était relativement limitée et il n’y avait aucune raison de supposer que les autorités iraniennes s’y intéresseraient particulièrement, d’autant plus que rien n’indiquait que le requérant était une personnalité politique connue en République islamique d’Iran. L’État partie souligne que, dans de tels cas, il importe au plus haut point de commencer par examiner l’ampleur de l’engagement politique du demandeur d’asile avant d’évaluer la probabilité ou le risque que ses activités « sur place » attirent l’attention des autorités nationales à son retour. Ce n’est qu’une fois ces premiers facteurs évalués que l’on peut déterminer s’il existe un risque réel de persécution en cas de retour dans le pays d’origine.

4.9L’État partie renvoie à un rapport du Ministère de l’intérieur du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, qui indique que les décideurs doivent être convaincus que les personnes qui affirment être des journalistes ou des blogueurs sont en mesure de démontrer que leurs activités ont attiré ou risquent d’attirer l’attention négative des autorités iraniennes. Les décideurs doivent tenir compte de tous les facteurs pertinents, en particulier le sujet sur lequel porte le matériel en question, la langue et le ton utilisés, le moyen de communication employé, l’audience de la publication − c’est-à-dire le nombre de personnes avec lesquelles l’intéressé communique − et le retentissement qu’elle a eu, la fréquence des publications et la question de savoir si l’intéressé a été inquiété par les autorités par le passé. En raison du grand nombre d’Iraniens en exil qui prennent part à des manifestations et à des activités en ligne, les autorités iraniennes ne peuvent pas surveiller toutes leurs activités en ligne. Elles sont donc obligées de se concentrer sur les personnes dont les activités sont de vaste portée et vont au-delà de l’expression de simples critiques, et sur celles qui mènent une opposition organisée au régime et représentent pour celui-ci une menace réelle et sérieuse.

4.10En ce qui concerne la lettre de l’organisation Iranian PEN Centre in Exile présentée à l’Office des migrations, l’État partie affirme qu’elle ne comporte que des informations générales et qu’elle semble reposer sur des informations fournies par le requérant lui-même. Elle ne saurait à elle seule établir dans quelle mesure le requérant critiquait le régime iranien sur Internet et son livre a été diffusé.

4.11L’État partie souligne que le requérant n’a pas joué de rôle de premier plan au sein de l’opposition politique ou dans une organisation d’opposition au régime en République islamique d’Iran. Il n’a pas non plus exercé de fonctions politiques en vue qui, associées à des activités politiques menées en République islamique d’Iran ou à l’étranger, l’exposeraient au risque d’être persécuté à son retour. Il n’était pas connu en République islamique d’Iran et n’a été ni inquiété ni persécuté par les autorités après sa détention alléguée, en 2011. En outre, ses activités en Suède ne peuvent pas être considérées comme de vaste portée ni comme constituant une menace pour le régime iranien. Ainsi, l’État partie estime que rien ne vient étayer l’affirmation du requérant selon laquelle les autorités iraniennes prendraient des mesures contre lui en raison de ses activités passées en République islamique d’Iran ou des activités « sur place » menées en Suède dont il fait état.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Dans une note en date du 1er avril 2017, le requérant conteste l’affirmation de l’État partie selon laquelle sa communication est manifestement infondée.

5.2Le requérant affirme que, dans ses observations sur le fond, l’État partie s’est appuyé sur des rapports concernant la situation générale des droits de l’homme en République islamique d’Iran qui ne sont plus d’actualité. Renvoyant à un rapport plus récent du Département d’État des États-Unis, le requérant fait valoir que les procureurs iraniens utilisent fréquemment l’incrimination de moharebeh(inimitié ou guerre contre Dieu) à l’encontre de dissidents politiques et de journalistes, les accusant de lutter contre les préceptes de l’islam et l’État qui en assure le respect. Le Gouvernement accuse souvent les dissidents politiques d’infractions vagues telles que « comportement antirévolutionnaire », « corruption sur la terre », « ralliement à l’arrogance mondiale », « moharebeh » et « crimes contre l’islam ». Il est fréquent que des agents en civil appréhendent sans préavis des journalistes et des militants, les autorités refusant ensuite de reconnaître qu’elles les détiennent ou de communiquer des informations à leur sujet. Selon des informations crédibles, les forces de sécurité et le personnel pénitentiaire torturent et maltraitent les détenus et les condamnés. Au nombre des châtiments corporels auxquels la justice peut recourir figurent la flagellation, l’aveuglement et l’amputation, que le Gouvernement défend, les qualifiant de « peines » et non de torture. Le requérant fait valoir que, même si les informations ci-dessus ne suffisent pas en soi pour établir que la situation générale des droits de l’homme en République islamique d’Iran est telle que son expulsion constituerait une violation de l’article 3 de la Convention, elles sont d’une importance considérable pour évaluer le risque qu’il courrait personnellement d’être soumis à un traitement contraire à cet article.

5.3En ce qui concerne le risque qu’il courrait personnellement d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention, le requérant fait valoir que ce sont avant tout les activités qu’il a menées « sur place » en Suède qui représentent la menace la plus manifeste et la plus importante pour lui, et non les événements qui se sont produits auparavant en République islamique d’Iran. Ceux-ci sont toutefois également pertinents car ils mettent en évidence ses activités politiques passées et le harcèlement dont il a fait l’objet, lesquels ont des incidences sur l’évaluation du risque qu’il courrait s’il était renvoyé en République islamique d’Iran. Le requérant a produit des documents, notamment les citations à comparaître et le jugement par défaut du Tribunal révolutionnaire dont l’Office suédois des migrations et le Tribunal de l’immigration ont décidé qu’ils n’avaient guère de valeur probante et étaient de caractère sommaire, donnant ainsi à penser qu’ils n’ont pas du tout été pris en considération.

5.4Le requérant renvoie au document directif de l’Agence suédoise des migrations elle‑même pour la détermination des activités « sur place », dans lequel il est indiqué qu’un demandeur peut avoir attiré l’attention des autorités iraniennes si : a) il a exprimé en son nom propre, par l’intermédiaire des médias ou via Internet, des opinions critiques à l’égard du régime iranien susceptibles de se propager en Suède et/ou en République islamique d’Iran ; b) il existe des éléments concrets, par exemple un jugement ou une citation à comparaître, qui donnent à penser que les autorités iraniennes s’intéresseraient particulièrement à sa personne ; c) l’intéressé a exercé d’importantes fonctions politiques en vue de critiquer le régime. Si un demandeur peut montrer de manière plausible que ses critiques à l’égard du régime ont attiré ou sont susceptibles d’attirer l’attention des autorités iraniennes, un permis de séjour lui est accordé. Le requérant affirme qu’il n’a jamais prétendu avoir exercé d’importantes fonctions politiques en République islamique d’Iran ou y avoir un autre profil de ce type, ce qui a amené l’État partie à conclure que ses activités ne pouvaient être considérées comme de vaste portée ou comme constituant une menace pour le régime iranien. Or les critères susmentionnés en matière d’activités « sur place » n’exigent pas que d’importantes fonctions politiques ou fonctions similaires aient été exercées, dès lors qu’il est satisfait aux deux autres critères.

5.5Le requérant fait valoir qu’une simple recherche de son nom ou de celui de sa fille sur Internet fait apparaître plusieurs photographies de lui et de sa fille ainsi que des sites Web proposant son livre en téléchargement, des interviews qu’il a données et des articles le concernant. Il affirme que son livre a été téléchargé plusieurs fois et distribué par le public en République islamique d’Iran. Sa page Facebook est suivie par plus de 1 199 personnes et comporte plusieurs textes et photographies critiquant le régime iranien et l’islam. Des organes gouvernementaux iraniens, notamment le « cyberconseil » basidj, la cyberpolice et la cyberarmée, dont on présume qu’ils sont contrôlés par le Corps des Gardiens de la révolution islamique, surveillent, recensent et contrent ce qu’ils considèrent comme des cybermenaces contre la sécurité nationale de la République islamique d’Iran. Ces organes ciblent en particulier les activités des citoyens sur les réseaux sociaux officiellement interdits par le comité chargé de détecter les contenus offensants, tels que Facebook, Twitter, YouTube et Flickr, et harcèleraient les personnes qui critiquent le Gouvernement ou évoquent des problèmes sociaux délicats.

5.6Le requérant cite un rapport de l’organisation Freedom House dans lequel il est indiqué que les autorités iraniennes ont renforcé leur surveillance des médias sociaux et leurs attaques techniques contre les voix de l’opposition. Dans un rapport sur les personnes ayant quitté illégalement la République islamique d’Iran, le Ministère de l’intérieur du Royaume-Uni indique que quiconque entre dans le pays fait l’objet d’un contrôle visant à déterminer si son nom figure sur deux listes de surveillance, établies respectivement par le Ministère du renseignement et de la sécurité et les Gardiens de la révolution. Les personnes ainsi repérées sont arrêtées sur-le-champ ou autorisées à entrer dans le pays et surveillées pendant leur séjour, ou encore se voient confisquer leur passeport et entrent en République islamique d’Iran à la condition de se soumettre à des interrogatoires conduits dans les locaux du Ministère. Le requérant renvoie à un autre rapport, émanant de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, dans lequel il est indiqué que les demandeurs d’asile déboutés qui retournent en République islamique d’Iran sont interrogés, qu’ils aient ou non été politiquement actifs en République islamique d’Iran ou à l’étranger, et qu’ils sont placés en détention pendant plusieurs jours, le temps que la police vérifie qu’ils n’ont pas mené d’activités politiques, après quoi ils sont libérés. Le requérant conclut qu’il ressort clairement de ces rapports que les autorités iraniennes disposent de mécanismes de surveillance à grande échelle efficaces pour identifier les personnes critiquant le régime et ses valeurs. Étant donné que le requérant a formulé des critiques du type de celles qui attirent normalement l’attention des autorités et aura été débouté de sa demande d’asile lorsqu’il arrivera en Iran, il sera contrôlé et interrogé par les autorités. Les citations à comparaître et le jugement par défaut ne manqueront pas d’être mis au jour lors de l’établissement de son identité, et par une simple recherche sur Internet les autorités pourront trouver sa page Facebook, sur laquelle figure ses opinions critiques envers le régime et l’islam, ainsi que ses livres et ses entretiens.

Observations complémentaires de l’État partie

6.Dans une note verbale en date du 15 août 2017, l’État partie a fait observer que les commentaires du requérant ne contenaient, quant au fond, aucun nouvel élément qu’il n’ait pas déjà envisagé dans ses observations du 21 novembre 2016, et souligne qu’il maintient sa position concernant la recevabilité et le fond de la requête.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief soumis dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce l’État partie reconnaît que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles et qu’il ne conteste pas la recevabilité de la requête.

7.3Le Comité considère que la requête soulève d’importantes questions au regard de l’article 3 de la Convention et que ces questions devraient être examinées quant au fond. Ne voyant aucun obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2Le Comité doit déterminer si le renvoi du requérant en République islamique d’Iran constituerait une violation de l’obligation incombant à l’État partie en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture.

8.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait personnellement d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en République islamique d’Iran. Pour ce faire, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si la personne concernée courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être victime de torture dans le pays où elle serait renvoyée. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi un motif suffisant pour déterminer qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays ; il doit exister des motifs supplémentaires de penser qu’elle courrait personnellement un tel risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne risque pas d’être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

8.4Le Comité rappelle son observation générale no 4 (2017), sur l’application de l’article 3 de la Convention dans le contexte de l’article 22, dans laquelle il indique qu’il apprécie l’existence de « motifs sérieux » et considère que le risque de torture est prévisible, personnel, actuel et réel lorsqu’il existe, au moment où il adopte sa décision, des faits démontrant que ce risque en lui-même aurait des incidences sur les droits que le requérant tient de la Convention en cas d’expulsion. Les facteurs de risque personnel peuvent inclure, notamment : a) l’origine ethnique du requérant ; b) l’affiliation politique ou les activités politiques du requérant et/ou des membres de sa famille ; c) l’existence d’un mandat d’arrêt sans garantie d’un traitement et d’un procès équitables ; d) le fait que le requérant a été condamné par contumace. Pour ce qui est du fond d’une communication soumise en vertu de l’article 22 de ladite convention, la charge de la preuve incombe à l’auteur, qui doit présenter des arguments défendables, c’est-à-dire de montrer de façon détaillée qu’il court personnellement un risque prévisible, réel et actuel d’être soumis à la torture. Le Comité rappelle également qu’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné mais n’est pas tenu par ces constatations ; il apprécie librement les informations dont il dispose, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, compte tenu de toutes les circonstances pertinentes pour chaque cas.

8.5Le Comité constate que l’État partie lui-même reconnaît les inquiétudes légitimes qui peuvent être exprimées concernant la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran. Le Comité rappelle que dans son dernier rapport daté du 17 mars 2017 (A/HRC/34/65), la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran montre que la législation de la République islamique d’Iran continue d’autoriser que des peines telles que la flagellation, l’aveuglement, l’amputation et la lapidation soient infligées aux personnes condamnées pour certaines infractions. Il est souligné dans ce rapport que le Gouvernement iranien rejette l’idée que l’amputation et la flagellation constitueraient une forme de torture et continue d’affirmer qu’il s’agit des moyens efficaces de dissuader les délinquants potentiels.

8.6Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le requérant n’a pas joué de rôle de premier plan au sein de l’opposition politique ou dans une organisation d’opposition au régime en République islamique d’Iran. Il prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel en raison du très grand nombre d’Iraniens exilés qui prennent part à des manifestations et à des activités en ligne, les autorités iraniennes ne peuvent pas surveiller toutes leurs activités en ligne. Le Comité relève toutefois que des rapports récents et sa propre jurisprudence indiquent que les activités d’opposition de moindre importance sont également surveillées de près en République islamique d’Iran. Ces rapports indiquent aussi que le Gouvernement iranien continue de condamner des individus qui ont légitimement exercé leurs droits à la liberté d’expression et la liberté d’opinion. Le Comité note que l’authenticité du jugement et des citations à comparaître reçus par le requérant n’a jamais été contestée par l’État partie. Le requérant ayant déjà été condamné par défaut à huit ans d’emprisonnement en République islamique d’Iran pour insulte à la République islamique et à la sainteté du régime, complot et atteinte à l’état d’esprit de la population, le Comité suppose qu’il est actuellement recherché par les autorités iraniennes pour sa condamnation de 2012 et qu’il sera arrêté à son arrivée en République islamique d’Iran.

8.7Pour apprécier le risque de torture en l’espèce, le Comité note que le requérant affirme : a) qu’il appartient à la minorité kurde ; b) qu’il a pris part à des activités politiques en République islamique d’Iran, d’abord comme membre du Mouvement vert, puis en tant que membre du Parti communiste-ouvrier d’Iran, et que des membres de sa famille ont été persécutés et exécutés en raison de leurs opinions politiques ; c) qu’il a été arrêté puis condamné par contumace pour ses activités politiques ; d) qu’il a quitté illégalement la République islamique d’Iran après sa condamnation ; e) qu’il a exprimé ouvertement des opinions critiques à l’égard du régime actuel et de la religion d’État en République islamique d’Iran dans ses livres, qui peuvent toujours être téléchargés gratuitement sur Internet, et dans des messages publiés sur les réseaux sociaux, ce qui est interdit par la loi et puni en pratique par les autorités iraniennes, y compris de peines constituant des formes de torture.

8.8À la lumière de l’ensemble de ces circonstances, notamment la situation générale des droits de l’homme en République islamique d’Iran, la situation personnelle du requérant, qui continue de participer activement à des activités politiques d’opposition au régime iranien à l’étranger, et sa condamnation antérieure, ainsi que de la jurisprudence du Comité, le Comité est d’avis que le requérant risque fort d’avoir attiré l’attention des autorités iraniennes. Le Comité estime que le livre du requérant, dans lequel il critique le régime actuel et l’islam en général, aggrave le risque qu’il soit placé en détention s’il est renvoyé dans son pays d’origine. Compte tenu de ces considérations prises dans leur ensemble, le Comité est d’avis que, dans les circonstances particulières de l’espèce, il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en République islamique d’Iran. En outre, le Comité fait observer que la République islamique d’Iran n’étant pas partie à la Convention, le requérant, en cas de violation dans cet État des droits qu’il tient de la Convention, serait privé de la possibilité légale de s’adresser au Comité pour demander une quelconque forme de protection.

9.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que l’expulsion du requérant vers la République islamique d’Iran constituerait une violation de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

10.Le Comité est d’avis que l’État partie est tenu de s’abstenir de renvoyer de force le requérant en République islamique d’Iran ou dans tout autre pays où il courrait un risque réel d’être expulsé ou renvoyé vers la République islamique d’Iran. Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 de son règlement intérieur, le Comité invite l’État partie à l’informer, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises pour donner suite à celle-ci.