NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/93/D/1376/20054 août 2008

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingt‑treizième‑session7‑25 juillet 2008

CONSTATATIONS

Communication n o 1376/2005

Présentée par:

Soratha Bandaranayake (représenté par un conseil, M. K. S. Ratnawale)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Sri Lanka

Date de la communication:

21 janvier 2005 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 7 avril 2005 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

24 juillet 2008

Objet: Révocation d’un juge

Questions de procédure: Néant

Question s de fond: Procès inéquitable; accès à la fonction publique; inégalité

Article s du Pacte: 14 (par. 1), 25 (al. c) et 26

Article s du Protocole facultatif: 2 et 3

Le 24 juillet 2008, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci‑après en tant que constatations concernant la communication no 1376/2005 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L ’ HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L ’ ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑ treizième ‑ session

concernant la

Communication n o 1376/2005**

Présentée par:

Soratha Bandaranayake(représenté par un conseil, M. K. S. Ratnawale)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Sri Lanka

Date de la communication:

21 janvier 2005 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 juillet 2008,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1376/2005, présentée par M. Soratha Bandaranayake en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l ’ article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est M. Soratha Bandaranayake, citoyen sri‑lankais né le 30 janvier 1957. Il affirme être victime de violations par l’État partie des articles 14, 25 (al. c) et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil, K. S. Ratnawale.

Rappel des faits présentés par l ’ auteur

2.1L’auteur a été nommé juge de district de Negombo avec effet au 1er avril 1998, après avoir été magistrat pendant dix ans. Le 17 octobre 1998, alors qu’il se rendait en voiture à une cérémonie religieuse en compagnie d’un ami indien tamoul, l’auteur et son ami ont été arrêtés à un poste de contrôle et maltraités par la police. Le policier ne l’ayant pas reconnu, l’auteur a présenté sa carte d’identité. Il a ensuite porté l’affaire à l’attention du responsable du poste de police de Kirulapona. Le 26 octobre 1998, sur ordre du responsable en question, le policier a rendu visite à l’auteur dans son cabinet au tribunal de district et lui a présenté des excuses.

2.2À la suite de cet incident, l’auteur a reçu un coup de téléphone le citant à comparaître devant la Commission de la magistrature le 18 novembre 1998 et, sans qu’il soit fait référence à aucune plainte, a été interrogé sur la question de savoir s’il avait prétendu être un juge de la Haute Cour à un poste de police de Kirulapona. Il s’est avéré par la suite qu’une plainte a été déposée par le juge de la Haute Cour le 20 novembre 1998, deux jours après que l’auteur a été interrogé par la Commission de la magistrature ce qui, selon lui, atteste d’un complot contre lui. Conformément à l’article 114 de la Constitution, la nomination et le transfert des magistrats et les décisions disciplinaires les concernant incombent à la Commission de la magistrature. En vertu de l’article 112, la Commission de la magistrature est présidée par le Président de la Cour suprême et deux autres juges de la Cour suprême.

2.3Sur décision de la Commission de la magistrature en date du 24 novembre 1998, l’auteur a été mis en congé obligatoire sans que lui soient révélées la nature de la plainte ni l’identité du plaignant. Le 1er avril 1999, la Commission de la magistrature lui a adressé un avis exposant les fautes disciplinaires qui lui étaient reprochées, dans lequel il était affirmé que, lors d’une altercation avec un policier à un poste de contrôle, il s’était «fait passer» pour un juge de la Haute Cour, bénéficiant ainsi d’un traitement préférentiel, et avait ensuite réprimandé le policier en question. Il a été accusé d’entrave aux fonctions du policier, de fausse déclaration et d’abus d’autorité. On lui a demandé de présenter par écrit sa version des faits, ce qu’il a fait dans une lettre du 7 juillet 1999 qui rejetait ces accusations. Du 13 septembre 1999 au 21 mars 2000, une commission d’enquête nommée par la Commission de la magistrature et composée d’un juge de la Cour suprême, du Président de la cour d’appel et d’un juge de la cour d’appel, a enquêté sur cette affaire. L’auteur était représenté par un conseil.

2.4L’auteur met l’accent sur ce qu’il considère comme des irrégularités de la part de la Commission d’enquête:

La Commission d’enquête n’a pas produit à l’audience certains documents pouvant être utiles à la défense de l’auteur, notamment ceux ayant trait à la procédure du 18 novembre 1998, et a rejeté la demande du conseil tendant à ce que le secrétaire de la Commission de la magistrature témoigne et produise les documents en question;

Les membres de la Commission d’enquête n’avaient pas été désignés conformément à la loi;

Les dépositions des témoins sur lesquelles s’appuyaient les accusations n’étaient pas recevables;

Les déclarations des policiers n’avaient pas été faites sous serment ou solennellement conformément à la loi;

Les éléments de preuve sur la foi desquels l’auteur aété déclaré coupable n’étaient pas convaincants, notamment la plainte déposée par le juge de la Haute Cour, qui ne portait ni date ni timbre officiel;

Les membres de la Commission d’enquête ont interrogé l’auteur en détail sur son comportement passé pour essayer de le mettre en cause et il n’a pas eu la possibilité de démontrer qu’il avait été disculpé de toute faute et qu’il avait ensuite obtenu une promotion;

Il n’a pas été possible de faire subir un contre‑interrogatoire au témoin principal de la police;

La Commission d’enquête n’a pas tenu compte du fait que le témoin direct (le policier en question) avait été placé en détention provisoire sur présomption de meurtre et d’infraction liée à la drogue;

L’auteur a été privé du droit de convoquer des témoins importants, notamment le fonctionnaire qui était responsable du poste de police au moment de l’incident présumé;

La Commission d’enquête s’est fondée sur des éléments de preuve qui n’avaient pas été produits pendant l’enquête mais étaient liés à l’interrogatoire mené par la Commission de la magistrature le 18 novembre 1998, en particulier un document dans lequel l’auteur était censé reconnaître sa responsabilité, mais qui n’avait pas été produit au cours de l’enquête ni mis à la disposition de l’auteur;

Les objections émises par le conseil concernant l’absence de plainte ou d’inscription sur la main courante de la part des policiers n’ont pas été enregistrées (comme l’exige le règlement des services de police) et aucune décision n’a été prise à leur sujet;

La Commission d’enquête n’a pas tenu compte du fait que le juge de la Haute Cour en question a coutume de se plaindre des juges débutants;

Lorsque le juge de la Haute Cour en question a informé le Comité que, compte tenu des doutes qui planaient sur la crédibilité des témoins, il ne croyait plus que l’incident présumé avait eu lieu, la Commission d’enquête a refusé de mettre fin à la procédure;

La requête déposée par le conseil de l’auteur en vue de demander à la Commission d’enquête si celle‑ci avait établi que l’affaire était à première vue fondée a été rejetée;

La Commission d’enquête a insisté pour que l’auteur témoigne pour sa propre défense et a déclaré que s’il ne le faisait pas, cela aurait des conséquences désastreuses, le privant ainsi du droit de garder le silence contrairement au paragraphe 1 de l’article 12 de la Constitution.

2.5Le 12 juin 2000, l’auteur a été informé que la Commission d’enquête l’avait déclaré coupable des faits qui lui étaient reprochés. Aucune raison n’a été fournie à l’appui de cette décision. La lettre lui ordonnait de se présenter devant la Commission de la magistrature qui devait statuer sur les «mesures à prendre» et lui faisait savoir qu’il avait le droit d’être assisté d’un conseil. Avant que la Commission de la magistrature ne se réunisse, l’auteur a demandé plusieurs fois à avoir accès au dossier de l’enquête, notamment à des copies certifiées des actes de procédure et aux raisons sous‑tendant la décision de la Commission. Il n’a reçu aucune réponse. Le 31 juillet 2000, l’auteur a comparu devant la Commission de la magistrature, assisté d’un conseil. Le conseil a fait valoir qu’aucun élément ne permettait de déclarer l’auteur coupable. Le Président de la Cour suprême, qui présidait l’audience, a indiqué que même si la Commission de la magistrature ne tenait pas compte de la décision de la Commission d’enquête, lui‑même était porté à croire que le requérant était coupable pour d’autres motifs, c’est‑à‑dire à cause de ses antécédents. Lorsqu’il a fait remarquer au Président de la Cour qu’il avait été disculpé au sujet des incidents passés, on lui a dit de «la fermer». Le Président de la Cour a conseillé à l’auteur d’accepter une mise à la retraite, lui a demandé d’y songer et de donner son consentement par écrit, ce que l’auteur a refusé. La requête déposée par le conseil en vue de faire des déclarations supplémentaires a été rejetée. Le 7 novembre 2000, l’auteur a été informé qu’il avait été démis de ses fonctions par la Commission de la magistrature. Le 15 novembre 2000, l’auteur a adressé une lettre d’appel à la Commission de la magistrature mais il n’a reçu aucune réponse.

2.6À la suite de cela, l’auteur a porté plainte auprès de la Commission des droits de l’homme de Sri Lanka. Le 18 juin 2001, la Commission a demandé à l’auteur d’indiquer en quoi elle était compétente pour connaître de sa plainte contre la Commission de la magistrature. Le 8 avril 2003, l’auteur a déposé une requête devant la cour d’appel en vue d’obtenir l’annulation de l’ordonnance de révocation et sa réintégration. Le 17 juillet 2003, un «juge débutant» de la cour d’appel a rejeté la requête au motif que l’auteur n’avait pas démontré que le Président de la Cour avait fait preuve de malveillance. Selon l’auteur, le juge qui a tranché cette affaire avait auparavant travaillé sous les ordres du Président de la Cour suprême et laisse entendre que ce dernier l’aurait influencé dans sa décision de débouter l’auteur. Aucune réponse n’a encore été donnée à la demande d’autorisation spéciale de former recours contre cette décision qui a été déposée auprès de la Cour suprême. Selon l’auteur, le Président de la Cour suprême a omis d’inscrire cette affaire au rôle.

2.7L’auteur a déposé auprès de la Cour suprême une requête en protection de ses droits fondamentaux pour laquelle l’autorisation de faire appel lui a été refusée à la majorité le 6 septembre 2004. Selon l’auteur, le Président de la Cour suprême aurait demandé que la requête lui soit attribuée, bien qu’il participe déjà à la procédure engagée devant la Commission de la magistrature et malgré l’objection émise par le conseil de l’auteur. L’auteur affirme que bien qu’il ne fasse pas partie des juges ayant examiné l’affaire, le Président de la Cour suprême s’est fait attribuer la requête de manière à choisir des juges qu’il pouvait facilement influencer, s’assurant de la sorte que la requête serait rejetée.

2.8Selon l’auteur, le Président de la Cour suprême n’est pas bien disposé à son égard en raison de plusieurs incidents survenus alors qu’il était Procureur général et qui ont créé une certaine animosité entre eux. L’auteur cite des exemples de fautes commises par des magistrats pour lesquelles les sanctions prononcées ont été moins lourdes que celle dont il a fait l’objet.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’on ne lui a pas donné l’occasion d’être entendu équitablement pour se défendre des accusations portées contre lui, ce qui constitue une violation de ses droits en vertu du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’alinéa c de l’article 25 du Pacte. Sa révocation est principalement due à l’animosité que le Président de la Cour suprême nourrissait à son égard, celui-ci ayant influencé les autres membres de la Commission de la magistrature. Il se réfère en outre aux irrégularités de la procédure disciplinaire, depuis sa comparution devant la Commission de la magistrature le 18 novembre 1998 à l’enquête (voir par. 2.4 ci-dessus) et à sa révocation. Il affirme également que les accusations étaient très légères et que, même si elles avaient été prouvées, aucune d’elles n’équivalait à une «faute» telle que définie dans le volume II du Code de conduite des magistrats consacré au contrôle disciplinaire des fonctionnaires publics. Il affirme que sa révocation constituait une sanction disproportionnée.

3.2L’auteur déclare avoir fait l’objet d’une discrimination en violation de l’article 26, étant donné que d’autres juges qui ont été déclarés coupables par la Commission d’enquête n’ont pas été révoqués mais ont reçu des peines plus légères. Il affirme en outre qu’il n’a pas bénéficié d’un traitement égal devant la loi, étant donné que des incidents au sujet desquels il avait été disculpé et l’unique incident pour lequel il avait reçu un avertissement ont été pris en compte par la Commission d’enquête dans sa décision de le révoquer. Il affirme que cette décision n’était pas fondée sur la prétendue enquête à propos de la plainte déposée par le juge de la Haute Cour.

3.3L’auteur affirme également être victime d’une violation du paragraphe 3 de l’article 2 en ce qu’il a été privé d’un recours utile, dans la mesure où la Commission nationale des droits de l’homme et la Cour suprême ont refusé d’examiner la requête qu’il avait déposée en protection de ses droits fondamentaux.

3.4L’auteur demande réparation, y compris une déclaration de violation de ses droits, sa réintégration et une indemnisation.

Observations de l ’ État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans sa réponse du 7 octobre 2005, l’État partie déclare que l’auteur n’a pas établi à première vue qu’il y avait eu violation de l’un de ses droits en vertu du Pacte et ajoute que les allégations contre le Président de la Cour suprême sont dénuées de fondement. Conformément à la Constitution, le Président de la Cour suprême assure également la présidence de la Commission de la magistrature, mais il la partage avec deux autres juges de la Cour suprême. Il n’est donc pas seul à se prononcer. Concernant les faits, l’État partie indique que l’auteur est devenu magistrat en 1988, qu’il a été mis en congé obligatoire le 10 janvier 1997 et réintégré le 9 octobre 1997. Le 23 novembre 1998, l’auteur a été mis une nouvelle fois en congé obligatoire, puis le 7 novembre 2000, il a été révoqué. La lettre de révocation que la Commission de la magistrature lui a adressé le 7 novembre 2000 mentionne plusieurs cas dans lesquels l’auteur a commis une faute ou eu un comportement indigne d’un magistrat.

4.2Au cours de sa carrière, l’auteur a vu sa période d’essai prolongée, a été transféré pour des raisons disciplinaires, a reçu un avertissement, a été interdit d’exercer et a été mis en congé obligatoire avant d’être finalement révoqué. L’État partie joint des renseignements concernant les plaintes déposées contre l’auteur au long de sa carrière. Il explique que toutes les affaires dont il est question étaient antérieures à l’entrée en fonction du Président actuel de la Cour suprême et que, par conséquent, l’allégation de l’auteur, qui affirme avoir fait l’objet d’un traitement discriminatoire de la part du Président de la Cour suprême en raison de l’animosité qui régnait entre eux, est dénuée de fondement. En outre, il ressort clairement du dossier professionnel de l’auteur que celui-ci n’est pas qualifié pour occuper des fonctions publiques et que la décision de le révoquer était justifiée.

4.3L’État partie fait valoir que le Comité n’est pas compétent pour connaître en appel des décisions rendues au fond par la Commission d’enquête. L’enquête a été menée de manière équitable, l’auteur était présent et représenté par un conseil, et la décision était juste et raisonnable compte tenu des circonstances. En ce qui concerne la plainte pour discrimination, l’État partie déclare qu’étant donné les fautes qui lui sont reprochées, le cas de l’auteur n’est pas comparable aux autres cas qu’il a cités. Par conséquent, cette plainte est dénuée de fondement. Pour ce qui est du grief de l’auteur qui dit qu’il aurait dû être présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie, l’État partie fait valoir que cette notion n’est valable qu’en matière pénale. En tout état de cause, rien ne prouve que la cause de l’auteur était préjugée.

Commentaires de l ’ auteur sur les observations de l ’ État partie

5.1Le 15 janvier 2006, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie. Il réitère ses allégations et souligne que l’État partie ne les a pas niées et n’y a pas répondu. Il soutient que l’État partie essaie d’influencer les délibérations du Comité en mentionnant des incidents survenus au cours de sa carrière qui ont été réglés et n’ont pas de rapport avec l’enquête dont il a fait l’objet. En outre, l’État partie aurait déformé les faits en question en vue de lui porter préjudice et de donner une fausse idée de sa carrière judiciaire. L’auteur est convaincu qu’en étant contraint à revivre ces incidents, il est pénalisé deux fois pour des accusations qui ont été réfutées depuis longtemps.

5.2L’auteur conteste les arguments de l’État partie selon lesquels le Comité n’est pas en mesure de lui accorder réparation au motif que le Comité n’est pas compétent, en particulier pour interpréter la Constitution de l’État partie à cette fin. Il fait valoir que ces arguments ne constituent pas un motif légal pour rejeter sa communication et refuser de lui accorder réparation. Il relève que l’État partie n’a pas encore fourni les procès-verbaux ni les conclusions de l’enquête sur la base de laquelle il a été révoqué. Il fait observer en outre que, comme l’atteste la décision rendue par la Cour suprême le 6 septembre 2004, l’un des trois juges s’écartait de la décision prise par la Commission d’enquête pour ce motif. Il reconnaît que tous les incidents antérieurs mentionnés par l’État partie sont survenus alors que le Président actuel de la Cour suprême était Procureur général. Il affirme toutefois que l’animosité du Président de la Cour suprême à son égard est attestée par le fait qu’il a tenu compte d’incidents passés pour le révoquer.

5.3Au sujet des antécédents de faute mentionnés par l’État partie, l’auteur conteste l’allégation selon laquelle la Cour suprême aurait considéré qu’il avait violé les droits fondamentaux de la personne en question. Il affirme qu’il n’était même pas défendeur dans la procédure en question et que selon les termes du jugement, «bien que le conseil du requérant ait indiqué que le magistrat avait agi de façon «mécanique» et accepté la proposition formulée par la police, les éléments de preuve dont nous disposons ne nous permettent pas de parvenir à une telle conclusion». Cependant, la suite du jugement ordonnait qu’une copie du texte soit soumise à la Commission de la magistrature pour qu’elle prenne les mesures qu’elle jugerait appropriées. Ce point faisait partie des sept accusations qui étaient formulées dans l’avis adressé à l’auteur et dont il a par la suite été disculpé.

5.4L’auteur nie avoir jamais été interdit d’exercer et déclare qu’à l’occasion de l’unique incident qui a motivé son transfert, le juge de la Haute Cour qui a conduit l’enquête préliminaire a levé toutes les accusations portées contre lui et a recommandé qu’il soit réintégré à son poste antérieur. Quant à la prolongation de sa période d’essai, l’auteur avance qu’elle a eu lieu dans des «circonstances étranges». S’agissant de sa mise en congé obligatoire le 10 juillet 1997, il indique que plusieurs des accusations en question avaient trait à des décisions rendues par d’autres magistrats et que, quand elle l’a constaté, la Commission de la magistrature a ordonné que sa mise en congé obligatoire soit annulée et que ses augmentations de traitement lui soient versées. Dans l’année qui a suivi, il a été promu à la classe supérieure. L’auteur reconnaît que la Commission de la magistrature lui a adressé un avertissement lors d’une audience le 28 juillet 1991. Cependant, selon le Code de conduite des magistrats, il ne s’agirait que d’une sanction légère qui n’aurait pas dû compromettre le déroulement de sa carrière. De plus, il n’avait pas été consigné dans son dossier que tout incident ultérieur entraînerait une révocation.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2En ce qui concerne la question de l’épuisement des recours internes, tout en notant que ni l’auteur ni l’État partie n’ont fourni d’informations sur l’issue de la demande d’autorisation de former un recours contre la décision de la cour d’appel déposée par l’auteur auprès de la Cour suprême (voir par. 2.6 ci-dessus), le Comité relève que l’État partie n’a pas fait valoir que la communication était irrecevable quant au fond. Il s’ensuit que le Comité n’est pas empêché d’examiner la communication par les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.3En ce qui concerne le grief de violation de l’article 26 du Pacte, le Comité note que les renseignements fournis sur des affaires comparables ne suffisent pas à démontrer que la révocation de l’auteur constituait une discrimination ou un traitement inégal au sens de ladite disposition. Comme l’a fait observer l’État partie et comme le montrent les documents fournis par l’auteur, aucune des situations dans lesquelles se trouvaient les juges cités par l’auteur ne saurait être comparée à la sienne. En conséquence, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, sa plainte pour violation de l’article 26, et que cette plainte est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4Le Comité note que l’alinéa c de l’article 25 du Pacte confère le droit d’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques, et rappelle que ce droit inclut le droit de ne pas être révoqué arbitrairement de la fonction publique. Pour cette raison, le Comité considère que le grief de violation de l’article 25 est recevable et devrait être examiné au fond.

6.5Quant à la question de savoir si les autres griefs de l’auteur entrent dans le champ d’application du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, le Comité rappelle que la notion de «droits et obligations de caractère civil au sens du paragraphe 1 de l’article 14, est fondée sur la nature du droit en question plutôt que sur le statut de l’une des parties. Il rappelle en outre que l’imposition de mesures disciplinaires contre un fonctionnaire ne constitue pas nécessairement en soi une décision concernant des «droits et obligations de caractère civil» et ne constitue pas non plus, sauf dans les cas de sanctions qui, indépendamment de leur qualification en droit interne, ont un caractère pénal, une décision sur le bien‑fondé d’une accusation pénale au sens de la deuxième phrase du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Selon la même jurisprudence, le Comité considère que, s’il n’est pas nécessaire que la décision concernant une révocation disciplinaire soit prise par une cour de justice ou un tribunal, dans les cas où c’est un organe juridictionnel qui est chargé de mener une enquête disciplinaire et de décider de l’opportunité d’imposer des mesures disciplinaires, cet organe est tenu de respecter la garantie de l’égalité de tous devant les cours de justice et les tribunaux énoncée au paragraphe 1 de l’article 14 et les principes d’impartialité et d’égalité des moyens implicites dans cette garantie. Le Comité renvoie à son Observation générale relative à l’article 14 qui définit la notion de «tribunal» dans cette disposition, et estime que, dans la mesure où elle est «établie par la loi, … est indépendante du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif», la Commission de la magistrature est un tribunal au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Il considère donc que la procédure menée par la Commission de la magistrature et les recours ultérieurs devant les tribunaux constituent une décision sur les droits et obligations de caractère civil au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

6.6Le Comité fait toutefois observer que le caractère prétendument arbitraire de la révocation est lié dans une large mesure à l’appréciation des faits et des éléments de preuve au cours des procédures engagées devant la Commission de la magistrature et la cour d’appel. Il renvoie à sa jurisprudence et réaffirme qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties de réexaminer ou d’apprécier les faits et les éléments de preuve, ou d’examiner l’interprétation de la législation nationale par les cours et tribunaux nationaux, sauf s’il peut être établi que la conduite du procès, l’appréciation des faits et des éléments de preuve ou l’interprétation de la législation ont été manifestement arbitraires ou ont représenté un déni de justice. Le Comité note que la cour d’appel a réexaminé la décision de révoquer l’auteur prise par la Commission de la magistrature. Les plaintes concernant ce réexamen, qui ont été suffisamment étayées aux fins de la recevabilité, portent sur le fait que la Commission de la magistrature n’a pas fourni à l’auteur une copie du procès-verbal de l’audience du 18 novembre 1998 ni des conclusions et de l’exposé des motifs de la décision de la Commission d’enquête qui a abouti à la révocation. En conséquence, le Comité considère que ces plaintes soulèvent des questions au titre du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 25 c) du Pacte; elles ont été suffisamment étayées et doivent être examinées au fond. Le Comité considère que les autres plaintes sont irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif car elles n’ont pas été suffisamment étayées aux fins de la recevabilité.

Examen au fond

7.1Le Comité fait observer que l’alinéa c de l’article 25 du Pacte reconnaît le droit d’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques, et renvoie à sa jurisprudence selon laquelle pour assurer l’accès dans des conditions générales d’égalité, non seulement les critères mais aussi les «procédures régissant la nomination, l’avancement, la suspension et le licenciement doivent être objectifs et raisonnables». Une procédure n’est pas objective ou raisonnable si elle ne respecte pas les conditions d’équité élémentaire en la matière. Le Comité considère également que le droit d’avoir accès, dans des conditions d’égalité, à la fonction publique inclut le droit de ne pas être révoqué arbitrairement de la fonction publique. Il note que l’auteur fait valoir que la procédure ayant abouti à sa révocation n’était ni objective ni raisonnable. Malgré des demandes répétées, il n’a pas reçu de copie du procès‑verbal de sa première audience devant la Commission de la magistrature le 18 novembre 1998; cela est confirmé par la décision de la Cour suprême du 6 septembre 2004 et n’est pas contesté par l’État partie. Il n’a pas reçu non plus les conclusions de la Commission d’enquête, sur la base desquelles il a été révoqué par la Commission de la magistrature. La décision rendue par la cour d’appel confirme que ces documents ne lui ont jamais été fournis, conformément à la disposition expresse figurant à l’article 18 du Règlement de la Commission de la magistrature.

7.2L’article 18 du Règlement de la Commission de la magistrature dispose qu’«il ne sera toutefois pas délivré de copies de rapports ou d’exposés des motifs ayant trait à l’enquête ni d’instructions internes ou de minutes confidentielles». Le Comité note qu’il n’y a pas de dispositions dans le Règlement lui-même ni d’explication de la part des tribunaux ou de l’État partie qui justifie que l’exposé des motifs des décisions rendues en leur défaveur par la Commission d’enquête ne soit pas communiqué aux magistrats. Il relève que l’État partie n’aborde pas cette question. Il relève en outre que l’unique motif de révocation communiqué à l’auteur figure dans la lettre de révocation qui lui a été adressée le 7 novembre 2000, dans laquelle la Commission de la magistrature indique que la Commission d’enquête l’a déclaré coupable des faits qui lui étaient reprochés, sans aucune explication. La Commission de la magistrature a également pris acte des fautes dont l’auteur avait été accusé dans le passé et dont il a été ensuite disculpé. Il importe de noter que l’État partie lui-même n’a pas fourni de copie des conclusions de la Commission d’enquête. Le Comité considère que le fait pour la Commission de la magistrature de ne pas avoir fourni à l’auteur toutes les pièces nécessaires pour qu’il puisse bénéficier d’une procédure équitable et, en particulier, le fait de ne pas l’avoir informé des motifs pour lesquels la Commission d’enquête avait conclu qu’il était coupable, conclusion qui a elle-même abouti à sa révocation, sont des éléments qui, par leur conjonction, font que la procédure n’a pas respecté les conditions d’équité élémentaire en la matière et, partant, était déraisonnable et arbitraire. Pour ces raisons, le Comité considère que la conduite de la procédure de révocation n’a été ni objective ni raisonnable et qu’elle n’a pas respecté le droit de l’auteur d’avoir accès, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de son pays. En conséquence, il y a eu violation de l’article 25 c) du Pacte.

7.3Le Comité rappelle, comme il l’énonce dans son Observation générale relative à l’article 14, que la révocation de juges en violation de l’article 25 c) peut constituer une violation de cette garantie, considérée à la lumière du paragraphe 1 de l’article 14 qui prévoit l’indépendance du pouvoir judiciaire. Comme il est indiqué dans la même Observation générale, le Comité rappelle que «les juges ne peuvent être révoqués que pour des motifs graves, pour faute ou incompétence, conformément à des procédures équitables assurant l’objectivité et l’impartialité, fixées dans la Constitution ou par la loi». Pour les raisons exposées au paragraphe 7.2, la procédure qui a abouti à la révocation de l’auteur n’a pas respecté les conditions d’équité élémentaire et n’a pas été de nature à permettre que l’auteur bénéficie des garanties nécessaires auxquelles il avait droit en sa qualité de juge, ce qui a représenté une atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire. Pour cette raison le Comité conclut que les droits consacrés à l’article 25 c), lu conjointement au paragraphe 1 de l’article 14,ont été violés.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie de l’article 25 c) du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir à l’auteur un recours utile, y compris sous la forme d’une indemnisation adéquate.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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