Prévention de la torture et des mauvais traitements à l’égard des femmes privées de liberté *

I.Introduction

Le présent document est publié conformément au mandat du Sous-Comité, défini à l’article 11 du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Le Sous-Comité a aujourd’hui une expérience de plusieurs années de visites de lieux de privation de liberté situés dans les États parties au Protocole facultatif, dans différentes régions du monde. C’est indubitablement une valeur ajoutée pour un organe de surveillance d’un instrument des droits de l’homme que de pouvoir réaliser des missions sur le terrain, recueillir des renseignements sur la situation des personnes privées de liberté auprès de sources directes et les analyser (par l’observation, les entretiens individuels et collectifs, et les réunions de travail avec les autorités et les organisations de la société civile) et, en se fondant sur ces renseignements, établir un rapport de visite comportant des recommandations concrètes et contextualisées visant la prévention de la torture et des mauvais traitements dans les pays visités.

Dans le cadre de cette action, le Sous-Comité a repéré des situations particulières, liées à l’appartenance de personnes privées de liberté à des catégories de la population frappées depuis longtemps par la discrimination, dont les femmes.

Force est de constater que, même si, de manière générale, la question de la torture suscite de vives préoccupations dans le cadre du droit international des droits de l’homme et de l’action menée par les organes conventionnels, la composante du genre dans cette violation particulière des droits de l’homme n’a pas été débattue comme il l’aurait fallu. Les risques particuliers de subir de la torture ou des mauvais traitements auxquels font face les femmes privées de liberté n’ont jusqu’ici fait l’objet que d’une attention limitée.

Le Sous-Comité sait que la torture et les mauvais traitements infligés aux femmes se produisent dans des situations très diverses et pas seulement dans les établissements pénitentiaires ou autres lieux de privation de liberté.

Parmi les causes générales de torture et de mauvais traitements, on retiendra que la société tolère et accepte que la violence soit un moyen de « résoudre » les conflits et que des rapports de force hiérarchiques se fondent sur l’infériorisation, la dévalorisation, l’occultation, la diabolisation et la déshumanisation de certains groupes de la population, dont les femmes. À un niveau intermédiaire, on peut signaler entre autres causes le fait que l’État ne reconnaît pas que la torture est pratiquée et l’impunité dont jouissent les auteurs de tels actes.

Le Comité contre la torture a observé que :

« Le fait que l’État n’exerce pas la diligence voulue pour mettre un terme à ces actes, les sanctionner et en indemniser les victimes a pour effet de favoriser ou de permettre la commission, en toute impunité, par des agents non étatiques, d’actes interdits par la Convention et que l’indifférence ou l’inaction de l’État face à des actes de torture constitue une forme d’encouragement et/ou de permission de fait. Le Comité a appliqué ce principe lorsque des États parties n’ont pas empêché la commission de divers actes de violence à motivation sexiste, dont le viol, la violence dans la famille, les mutilations génitales féminines et la traite des êtres humains, et n’ont pas protégé les victimes. ».

Le Sous-Comité précise que le présent document concerne la question bien particulière de la situation des femmes privées de liberté.

Partout dans le monde, les femmes sont minoritaires parmi les détenus des systèmes pénitentiaires puisqu’elles représentent de 2 % à 9 % de l’ensemble de la population carcérale dans la majorité des pays. En fait, les droits fondamentaux de la femme dans le contexte de la privation de liberté ont été, dans le meilleur des cas, englobés dans ceux reconnus à un sujet supposément neutre mais, dans la pratique, ont eu comme modèle l’homme, ou ont été purement et simplement négligés ou rendus invisibles; autrement dit, ces droits se sont caractérisés par l’androcentrisme. Par exemple, le Sous-Comité n’a pas constaté que les États avaient une approche systématique concernant la criminalité féminine, alors que celle-ci est très liée à la satisfaction des besoins familiaux fondamentaux des femmes pauvres qui sont chefs de ménage, et qu’il y a des situations particulières aux femmes, notamment leur participation à un pourcentage élevé d’infractions de microtrafic de stupéfiants, leur moindre accès à la justice, leur incapacité de réunir les sommes correspondant aux cautions et la stigmatisation renforcée qu’elles subissent lorsqu’elles ont transgressé les rôles liés à leur sexe.

En décembre 2010, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté les Règles des Nations Unies concernant le traitement des femmes détenues et les mesures de privation de liberté pour les délinquantes (Règles de Bangkok), qui visent précisément à rendre compte des besoins particuliers des femmes privées de liberté, qui, si longtemps, avaient été méconnus.

Dans ce contexte, le Sous-Comité se propose d’analyser comment, lors de ses visites, il a abordé les risques particuliers auxquels les femmes privées de liberté sont exposées d’être soumises à de la torture ou à des mauvais traitements, et réfléchir aux moyens à employer pour promouvoir une approche soucieuse de cet aspect dans son action de prévention.

II.L’obligation de prévenir la torture et les mauvais traitements

Le paragraphe 1 de l’article 2 de la Convention dispose que « tout État partie prend des mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture soient commis dans tout territoire sous sa juridiction ».

Par conséquent, tous les États parties au Protocole facultatif et à la Convention sont tenus de prévenir la torture et les mauvais traitements, que ces actes soient commis par des agents de l’État ou par des particuliers. Le Comité contre la torture souligne que c’est aux États parties qu’il incombe d’empêcher les actes de torture et mauvais traitements dans toutes les situations de privation de liberté ou de restriction de liberté, notamment dans les prisons, les hôpitaux, les établissements scolaires, les institutions chargées de la protection de l’enfance, des personnes âgées, des malades mentaux ou des personnes handicapées, dans le cadre du service militaire ainsi que dans les situations dans lesquelles la non-intervention des autorités renforce et accroît le risque que des individus portent atteinte à autrui.

Pour le Sous-Comité, l’obligation de prévenir la torture et les mauvais traitements englobe « le plus grand nombre possible d’éléments qui, dans une situation donnée, peuvent contribuer à réduire la probabilité ou le risque de torture ou de mauvais traitements. Une telle approche suppose non seulement que les obligations et les normes internationales pertinentes soient respectées, tant du point de vue de la forme que du fond, mais aussi que soient pris en compte d’autres facteurs en rapport avec l’expérience et le traitement des personnes privées de liberté, qui, par leur nature même, dépendront du contexte ».

Le Comité contre la torture sait que certaines personnes ou populations minoritaires ou marginalisées sont particulièrement exposées au risque de torture et que leur protection fait donc partie de l’obligation qui incombe aux États de prévenir la torture et les mauvais traitements. Le Sous-Comité ajoute à ce sujet que si toutes les personnes placées en détention forment effectivement une catégorie vulnérable, certaines d’entre elles appartiennent à des groupes plus particulièrement exposés aux risques : les femmes, les jeunes, les membres de groupes minoritaires, les étrangers, les personnes handicapées et les personnes présentant une dépendance ou une pathologie physique ou psychologique grave.

Le Comité a souligné que les rapports des États ne fournissaient généralement pas assez d’informations précises sur la mise en œuvre de la Convention eu égard aux femmes. Il a ajouté que le sexe était un facteur fondamental et que la condition féminine – croisée avec d’autres données personnelles telles que la race, la nationalité, les préférences sexuelles, l’âge ou encore le statut d’étranger – était une donnée cruciale pour déterminer dans quelle mesure les femmes et les filles subissaient des actes de torture ou des mauvais traitements, ou couraient le risque de subir de tels actes. La privation de liberté fait partie des situations comportant de tels risques. Le Sous-Comité estime que d’autres facteurs, dont l’identité de genre, doivent aussi être pris en compte.

III.Le rapport entre la torture et la discrimination contre les femmes

Le Comité contre la torture affirme que le principe de non-discrimination, principe général de base en matière de protection des droits de l’homme, est fondamental pour l’interprétation et l’application de la Convention. Celle-ci interdit expressément certains actes lorsqu’ils sont commis pour tout motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit. Le Comité met en effet l’accent sur le fait que le recours discriminatoire à la violence ou à des mauvais traitements psychologiques ou physiques est un critère important, s’agissant de conclure à l’existence d’un acte de torture.

L’article premier de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes dispose que l’expression « discrimination à l’égard des femmes » vise toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe qui a pour effet ou pour but de compromettre ou détruire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par les femmes, quel que soit leur état matrimonial, sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique et social, culturel et civil ou dans tout autre domaine.

Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes affirme que si la Convention ne mentionne que la discrimination fondée sur le sexe, une interprétation complète de la Convention montre que celle-ci concerne aussi la discrimination à l’égard des femmes fondée sur le genre. Le mot « sexe » renvoie aux différences biologiques entre l’homme et la femme, tandis que le mot « genre » renvoie aux identités, fonctions, attributs sociaux de la femme et de l’homme, et à la signification sociale et culturelle que la société attribue à ces différences biologiques, qui donnent lieu à des relations hiérarchiques entre hommes et femmes et à l’attribution de pouvoirs et de droits favorable à l’homme et défavorable à la femme. La situation que la femme et l’homme occupent dans la société dépend de facteurs politiques, économiques, culturels, sociaux, religieux, idéologiques et environnementaux que la culture, la société et la communauté peuvent modifier.

Le Comité a encore souligné que la violence infligée à la femme, qui réduit ou annule l’exercice de ses libertés et de ses droits fondamentaux, constitue une discrimination au sens où elle est définie dans la Convention. Ces droits et libertés englobent, notamment, le droit de ne pas être soumise à la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. La violence exercée contre la femme, entendue comme la violence qui la touche de manière disproportionnée ou qui la cible parce qu’elle est femme, englobe les actes qui infligent des tourments ou des souffrances d’ordre physique, mental ou sexuel, la menace de tels actes, la contrainte ou autres privations de liberté.

Pour le Sous-Comité, le principe d’égalité et de non-discrimination comprend autant l’interdiction d’un traitement différent lorsque celui-ci est arbitraire et impose un désavantage à une femme ou un groupe de femmes et limite ou annule leur exercice des droits de l’homme, que la reconnaissance de la différence quand celle-ci est raisonnable, nécessaire et proportionnelle, précisément pour obtenir l’exercice effectif des droits de l’homme.

IV.La situation des femmes privées de liberté

Lors de ses visites régulières dans les États parties – plus de 20 à ce jour –, le Sous-Comité s’est rendu dans divers lieux de privation de liberté (prisons, postes de police, centres pour adolescents délinquants, centres d’accueil et hôpitaux psychiatriques).

Il a relevé, au sujet de la population féminine privée de liberté, diverses situations problématiques constitutives de mauvais traitements, voire de torture.

A.Violence

Dans nombre de pays visités, le Sous-Comité a entendu les griefs formulés par des femmes privées de liberté, y compris des femmes enceintes, qui affirmaient avoir subi des mauvais traitements et de la torture physique, principalement au moment de l’arrestation et de l’enquête.

Néanmoins, les allégations relatives à diverses formes de violence sexuelle, dont l’extorsion sexuelle, les sévices sexuels ou encore le viol, commis par des policiers ou du personnel pénitentiaire masculin, sont plus fréquentes. Le Sous-Comité a constaté que, dans certains cas, les détenues étaient poussées à se prostituer. Il a relevé des cas d’incidents de violence sexuelle entre patientes, de recours indu à la force par le personnel d’un hôpital psychiatrique et un exemple où des étrangers à l’institution entraient dans l’établissement et commettaient des abus sur des patientes, faute de surveillance du périmètre de l’institution.

Dans certains cas, les mesures prises supposément pour protéger les femmes ayant subi et dénoncé de la violence pendant leur privation de liberté peuvent aboutir à de nouvelles violations de leurs droits, par exemple, lorsque des femmes sont soumises à l’isolement au nom de « mesures de protection ».

Dans certains États parties, lorsqu’elles sont fouillées, les femmes privées de liberté doivent se déshabiller en public ou s’accroupir, et sont soumises à des fouilles intimes, dont des touchers invasifs du vagin et de l’anus. Ce type de pratiques dégradantes vise aussi les visiteuses des centres pénitentiaires qui, dans certains cas, sont fouillées par du personnel masculin. En application de la jurisprudence et des lois qui régissent le droit pénal international et le droit pénal comparé, la Cour interaméricaine des droits de l’homme considère que « le viol n’implique pas nécessairement une relation sexuelle sans consentement par voie vaginale mais concerne également tous actes de pénétration vaginale ou anale sans le consentement de la victime par l’utilisation d’autres parties du corps de l’agresseur ou d’objets […] ». Pour le Sous-Comité, les fouilles vaginales et anales peuvent être qualifiées de violence sexuelle et doivent donc être interdites.

B.Santé

Le droit des femmes à la santé est un point problématique dans les lieux de privation de liberté, surtout s’ils sont mixtes, car il est fréquent qu’il n’y ait pas de professionnelles de la santé disponibles pour assurer le traitement et le suivi appropriés. Dans certains cas, des doctoresses se rendent entre une fois par semaine et une fois par mois dans les centres pénitentiaires pour s’y occuper des femmes, ce qui n’est pas suffisant. Bien souvent, les centres pénitentiaires ne disposent pas des services de femmes gynécologues ou d’obstétriciennes en mesure de soigner les femmes enceintes ou allaitantes, ou, plus généralement, de s’occuper de la santé procréative et sexuelle de la population féminine. D’une manière générale, on ne prête pas une attention suffisante aux besoins alimentaires spéciaux des femmes enceintes ou allaitantes. Dans divers établissements pénitentiaires, n’étant pas fournies gratuitement, les serviettes hygiéniques sont fournies par des membres de la famille, des proches et parfois des organisations non gouvernementales, des groupes religieux ou des volontaires.

Dans le cas des centres pénitentiaires pour hommes où une aile ou un quartier a été aménagé pour les femmes, l’accès à l’eau est limité parce que les points d’eau se trouvent dans les quartiers des hommes; pour en recevoir, les femmes doivent soit s’adresser au personnel de sécurité, qui doit raccorder un tuyau et leur remplir des récipients, soit s’acquitter elles-mêmes de la corvée de l’eau, dans des tranches horaires qui sont toujours limitées, pour éviter le contact avec les hommes.

Lors de certaines visites, le Sous-Comité a eu connaissance de cas de suicides et de tentatives de suicide parmi les femmes privées de liberté. Souvent, ces affaires sont liées à des conditions d’enfermement plus lourdes, à un nombre de sorties de cellule réduit, au caractère sporadique ou inexistant des activités professionnelles, éducatives ou récréatives, ou encore à des restrictions aux visites. Dans un cas ou l’autre, le Sous-Comité a constaté que l’institution recourait à une administration excessive de psychotropes aux détenues pour les maintenir dans un état « neutralisé », ce qui est totalement inacceptable.

C.Relations familiales et affectives

Pour le Sous-Comité, dans le cas des femmes privées de liberté, l’une des questions les plus préoccupantes concerne la situation des enfants mineurs et, plus particulièrement, des jeunes enfants. En raison du rôle principal assumé par la mère dans l’éducation des enfants, qui correspond aux modèles comportementaux associés à chaque sexe, lorsque la mère est absente, les enfants se trouvent privés de protection; à cet élément s’ajoute le fait que, à cause de la sélectivité du système pénal, la plupart des détenus, y compris les femmes, appartiennent aux couches sociales qui ont le moins de ressources économiques.

Dans certains États parties, on autorise la présence de jeunes enfants, filles et garçons, auprès de leur mère. Néanmoins, ces enfants ne sont pas toujours pris en compte dans le budget de l’établissement et ne sont donc pas prévus dans le calcul des rations alimentaires, ce qui signifie que les mères doivent partager leur nourriture et réduire d’autant leur propre ration, ce qui a des conséquences particulièrement graves lorsqu’elles allaitent. Dans plusieurs lieux de privation de liberté visités, comme il n’est pas prévu de lieu adapté pour leur logement, les enfants sont exposés aux mêmes conditions de surpopulation, en soi préoccupantes. Dans certains cas, les enfants ne sont pas pris en charge du point de vue médical, ou ne le sont pas selon la périodicité recommandée; les vaccins ne sont pas toujours disponibles et/ou il n’y a pas de pédiatres.

Le Sous-Comité a entendu des griefs préoccupants selon lesquels les détenues ne pouvaient conserver la garde de leur enfant après l’âge de 2 ans et l’enfant était parfois destiné à être adopté. De telles pratiques constitueraient manifestement de la torture psychologique.

À plusieurs reprises, le Sous-Comité a reçu des allégations de personnes qui affirmaient que la restriction du nombre de visites était utilisée comme forme de punition infligée aux femmes, ce qui entraînait des états de colère, de tristesse et de frustration.

Il convient également de tenir compte du fait qu’étant minoritaires dans la population privée de liberté, les femmes sont concentrées dans un nombre d’établissements très limité, souvent très loin du lieu de vie de leur famille qui, pour cette raison, éprouve des difficultés considérables à leur rendre visite régulièrement.

Il ne faut pas non plus perdre de vue le fait que les femmes dont un proche est détenu dans un établissement situé en un point très éloigné, par exemple, parce qu’il est sous le régime de haute sécurité, peuvent subir des mauvais traitements lorsqu’elles parcourent de longues distances pour lui rendre visite.

Pour ce qui est des visites intimes, le Sous-Comité a constaté qu’un traitement discriminatoire était parfois appliqué. Dans une prison pour femmes, les visites de longue durée du partenaire étaient interdites et le prix à payer pour utiliser les locaux réservés aux visites intimes était prohibitif et supérieur à celui appliqué dans les centres pénitentiaires pour hommes. Dans un centre pénitentiaire pour femmes, il fallait que les femmes remplissent des conditions extrêmement complexes pour que leurs demandes de visites intimes soient acceptées. Cette situation contrastait avec la facilité avec laquelle les hommes obtenaient l’autorisation de telles visites. Ainsi, un pourcentage minime de femmes avaient ce contact affectif et l’attente prolongée de la réponse à leur demande suscitait angoisse et frustration.

D.Les activités professionnelles, éducatives et récréatives

Dans certains lieux visités, le Sous-Comité a pu constater qu’il n’y avait pas assez ou pas du tout d’activités professionnelles pour les femmes privées de liberté.

Dans certains cas, ce problème est dû au fait que les détenues se trouvent dans des centres pénitentiaires mixtes qui n’ont pas été conçus pour accueillir des femmes et qui, faute d’infrastructures adaptées, font l’objet de certains aménagements. Néanmoins, en raison de ces aménagements improvisés, pour éviter les contacts entre détenus et détenues, il est interdit aux femmes de se rendre dans les zones collectives où se déroulent les activités de travail, d’éducation, d’exercice, de sport ou d’ordre récréatif. Il faut savoir également que, dans de nombreux pays, travailler ou suivre un programme éducatif ouvre la voie à des réductions de peine et à des avantages tels que la libération conditionnelle; n’ayant pas accès à de telles activités, les femmes subissent un préjudice.

Le Sous-Comité a relevé un exemple clair de discrimination sexuelle entre mineurs délinquants, où les garçons suivaient des cours en prison, avec l’appui d’un organisme de l’ONU, tandis que les filles n’y avaient pas accès.

Il a aussi relevé des exemples préoccupants d’exploitation par le travail et de travail forcé des détenues, qui effectuaient un travail exténuant et portaient de lourdes charges sans être équipées de vêtements de protection, douze heures par jour, auxquelles s’ajoutaient deux heures consacrées au nettoyage des installations pénitentiaires, travail pour lequel, dans le meilleur des cas, elles recevaient une somme dérisoire. Si elles se plaignaient de cette situation et refusaient de travailler, elles étaient punies par des travaux dégradants tels que le nettoyage, sans gants ni protection, de lieux d’aisance dans un état déplorable.

Dans d’autres cas, le Sous-Comité a constaté que les activités professionnelles proposées aux femmes privées de liberté renforçaient les stéréotypes associés aux rôles traditionnels de la femme dans la famille et dans la société (tissage, macramé, travaux manuels, coiffure, buanderie et repassage), alors que les hommes avaient davantage accès à des cours, y compris de l’enseignement supérieur, et à des activités sportives et récréatives.

E.Séparation hommes-femmes

Dans de nombreux lieux de privation de liberté, le Sous-Comité a constaté que la règle de la séparation selon le sexe n’était pas respectée. Il était encore plus fréquent que, faute de personnel féminin en nombre suffisant, le personnel masculin accomplisse les fonctions de sécurité. Cela dit, il arrive que le respect de la règle de la séparation pose de nouveaux problèmes. Par exemple, dans le cas des établissements mixtes, il peut arriver que la seule détenue ou les quelques détenues que compte l’établissement se retrouve(nt) en régime d’isolement de facto.

De même, le Sous-Comité a observé que, dans certains cas, les adolescentes n’étaient pas séparées de leurs aînées. Certaines mineures devenaient pratiquement des esclaves des femmes adultes pour pouvoir compléter leur ration alimentaire quotidienne.

F.Les discriminations multiples

Le Sous-Comité a constaté que le concours de diverses circonstances pouvait augmenter le risque de mauvais traitements et de torture; à la discrimination fondée sur le sexe pouvaient notamment s’ajouter celles fondées sur l’orientation sexuelle, l’âge, le type d’infraction commise, les régimes exceptionnels de détention (par exemple l’arraigo), l’appartenance ethnique, la situation migratoire ou encore la maladie mentale.

Par exemple, dans le cas de l’orientation sexuelle, il a constaté que, dans certains établissements, les relations lesbiennes entre adultes ou adolescentes, considérées comme une infraction, étaient punies. Dans certains cas, tout geste affectueux entraîne une sanction sévère, la mise à l’isolement. La discrimination contre les lesbiennes s’exprime en outre par l’interdiction du contact physique, le refus du droit à des visites intimes et la ségrégation au niveau des activités religieuses et culturelles.

Le Sous-Comité a aussi relevé des cas où un grand nombre de personnes privées de liberté appartenaient à une ethnie victime de discrimination de longue date. Dans certaines prisons pour hommes, il existait des sections où on prenait particulièrement en compte la situation de cette population, mais dans les établissements pour femmes, de tels programmes n’existaient pas.

Lors de certaines de ses visites, le Sous-Comité a entendu des allégations persistantes concernant des mauvais traitements infligés à des femmes handicapées mentales, apparemment à des fins de discipline.

V.Prévention de la torture et des mauvais traitements infligés aux femmes privées de liberté

L’objectif du présent exercice de récapitulation de l’expérience accumulée par le Sous-Comité lors de ses visites de lieux de privation de liberté accueillant des femmes était de systématiser succinctement les constatations faites au sujet de cette population précise, de recenser les points méritant une attention spéciale lors des visites de tout organisme national ou international s’occupant de la prévention de la torture et des mauvais traitements et, enfin, d’élaborer des recommandations pertinentes et efficaces.

Lorsqu’on visite des lieux de privation de liberté ou qu’on élabore un rapport assorti de recommandations, on ne doit pas perdre de vue que, dans une mesure qui varie, l’inégalité continue de caractériser les rapports de pouvoir hommes-femmes partout dans le monde.

Il convient de rappeler que, dans ce domaine, les asymétries s’expriment par la violence sexiste, la discrimination concernant notamment l’accès au travail, à l’éducation, à la santé, aux activités récréatives, à la sexualité ou encore aux relations familiales, et que de telles formes de violence et de discrimination sont aiguisées lorsqu’elles s’ajoutent à d’autres éléments tels que la classe sociale, l’appartenance ethnique, l’âge, l’orientation sexuelle, la nationalité, la situation migratoire, les conditions de santé, le type d’infraction commise ou encore les régimes exceptionnels de détention. Dans chaque cas, on examinera l’éventuel concours de ces formes de violence ou de discrimination qui peuvent constituer de la torture ou des mauvais traitements, et on proposera des recommandations concrètes, adaptées au contexte.

Le Sous-Comité a englobé dans plusieurs de ses rapports de visite une recommandation de large portée, visant l’élaboration d’une politique pénitentiaire tenant compte de la perspective du genre, conformément aux Règles de Bangkok. Il est clair que cet instrument international constitue une référence indispensable en matière d’application des normes internationales minimum en faveur des femmes privées de liberté, et que sa mise en œuvre contribue à la prévention des mauvais traitements et de la torture.

Face aux plaintes pour tortures et mauvais traitements formulées par des femmes privées de liberté, il est essentiel d’insister, dans les recommandations faites, sur le devoir qui incombe aux États parties de mener des enquêtes, de punir les auteurs des faits et d’offrir des réparations aux victimes de telles violations des droits de l’homme, compte tenu de l’obligation de ne pas établir de discrimination fondée sur le sexe.

Nous rappelons que, parmi les garanties fondamentales appliquées à toutes les personnes privées de liberté, figurent celles des recours, juridictionnels et autres, ouverts aux personnes qui courent le risque de subir de la torture ou des mauvais traitements, de sorte que leurs plaintes puissent être examinées rapidement et de manière impartiale, leurs droits défendus et la légalité de leur détention ou de leur traitement contestée.

L’un des problèmes les plus persistants que le Sous-Comité a rencontrés dans divers lieux visités concerne les conditions matérielles précaires des établissements de détention, qui, souvent, s’ajoutent à la surpopulation. Ce problème grave se présente aussi dans les établissements qui accueillent des femmes.

Cela dit, face à un problème aussi important et aussi persistant, il convient de rappeler que les conditions de détention peuvent non seulement soulever la question des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants mais aussi, dans certaines circonstances, constituer un moyen de torture si elles sont utilisées d’une manière définie dans les dispositions de l’article premier de la Convention.

Par conséquent, les recommandations relatives aux conditions de détention ont une fonction critique de prévention et portent sur une grande diversité d’aspects, dont les conditions matérielles, l’espace dont disposent les détenues et les raisons qui le déterminent, l’existence d’équipements et de services en suffisance et la possibilité d’y avoir accès.